Aperçu de la catégorie grammaticale de l`aspect en langues

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žmogus ir žodis 2011 III
k albot yra
Aperçu de la catégorie
grammaticale de l’aspect en
langues analytiques et en langues
synthétiques
Gramatinės veikslo kategorijos
apžvalga analitinėse ir
sintetinėse kalbose
Rasa MatonienĖ
Lietuvos edukologijos universitetas
Studentų 39, LT-08106
[email protected]
Santrauka
Apžvelgus ir pastudijavus veikslo sąvoką analitinėse (prancūzų) ir sintetinėse (lietuvių ir slavų)
kalbose, galima teigti, kad lietuvių ir slavų kalbose
veikslas pagal reikšmių abstrakciją ir opozicinį pobūdį yra gramatinė kategorija. Veikslas – tai dvinarė
gramatinė kategorija, atspindinti dvejopą to paties
veiksmo suvokimą. Todėl šios kategorijos branduolį
sudaro tie veiksmažodžiai, kurie skirdamiesi savo
individualia leksine reikšme, gali būti sugretinti
vienas su kitu kaip reiškiantys to paties veiksmo priešingas savybes. O prancūzų kalboje veikslo sąvoka
siejama tai su gramatika, tai su stiliumi. Prancūzų
kalboje veikslas nėra reguliari gramatinė kategorija.
Turėdami galvoje prancūzų kalbos veiksmažodį, mes
negalime nurodyti, ar tai besitęsiantis, ar kartotinis
veiksmas, kaip nurodome būsimąjį ar būtąjį dažninį
laiką. Galima teigti, kad lietuvių ir slavų kalbose
veikslo sąvoka yra labai svarbi, tuo tarpu prancūzų
kalboje tai yra tik sunykusio gramatinio reiškinio
liekana, atitinkanti atsitiktinį poreikį.
Esminiai žodžiai: analitinė kalba, sintetinė kalba,
gramatinė kategorija, veikslas, opozicija.
Summary
The Category of Aspect in Analytic and Synthetic languages
In the French language the category of aspect is
related unevenly either to grammar or style. In French
it is not a regular grammatical category. Referring the
French verb we cannot indicate whether it expresses
a continuous action or a repeated action, as we can do
in case of future or past frequentative tense.
In the Lithuanian and Slavonic languages the category of aspect is very important, whereas in French
it is only the remnant of the defunct grammatical
phenomena meeting the occasional needs.
Key words: analytic language, synthetic language, grammatical category, the category of aspect,
opposition.
ISSN 1392-8600
After the thorough analysis of the category of
aspect in Analytic (French) and Synthetic (Lithuanian, Slavonic languages) languages, the following
conclusion could be made: the category of aspect
in Lithuanian and Slavonic languages is a binary
grammatical category reflecting both abstraction of
meanings and oppositional character. This statement
is proved by the fact that although the kernel of the
category of aspect is made up of the verbs which
have different lexical meanings, they can still be
juxtaposed as expressing opposed character of one
and the same process.
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Introduction
Le but de l’article consiste à révéler diverses nuances de la catégorie de l’aspect en langues analytiques
(français) et en langues synthétiques (lituanien et
langues slaves) et ses moyens d’expression.
Malgré une très abondante littérature et un intérêt
périodiquement renouvelé pour la notion d’aspect,
aucune définition généralement admise ne s’est
encore dégagée. Les phénomènes linguistiques
considérés comme aspectuels varient d’un auteur
à un autre.
Il ne sera pas inutile de citer à ce propos l’appréciation formulée par J. Vendryès (1942 – 1945, 84),
il y a plus de soixante ans, et qui reste toujours en
vigueur: «Il n’y a guère en linguistique de question
plus actuelle que celle de l’aspect. Chaque linguiste
s’en préoccupe du point de vue de ses études propres
et l’introduit dans ses recherches sur les langues les
plus variées. Mais il n’y a guère aussi de plus difficile
parce qu’il n’y en a pas de plus controversée et sur
laquelle les opinions divergent davantage. On n’est
d’accord ni sur la définition même de l’aspect, ni sur
les rapports de l’aspect et du temps, ni sur la façon
dont l’aspect s’exprime, ni sur la place qu’il convient
de reconnaître à l’aspect dans le système verbal des
différentes langues».
L’aspect tel qu’il est envisagé actuellement dans
les études englobe toute une variété de distinctions
qui «ne devraient peut-être pas du tout être appelées
aspectuelles» (Leinonen, 1984, 239). À cet égard,
il nous semble nécessaire de faire voir comment ce
problème se présente dans les langues analytiques
(français) et synthétiques (lituanien et langues slaves).
Interprétation de l’aspect en
langues analytiques (français)
On trouve 6 points de vue sur l’aspect en tant que
catégorie grammaticale en grammaire française: 1)
cette catégorie est représentée par l’opposition temps
simples/temps composés, 2) par l’opposition temps
linéaires/temps ponctuels, 3) par les deux oppositions à la fois, 4) par les périphrases verbales, 5)
cette catégorie n’existe pas en français, 6) le temps
et l’aspect forment une «surcatégorie» qui se réalise
selon le contexte.
Selon G. Guillaume (1991, 47 – 58), l’aspect
est une forme qui, dans le système même du verbe
dénote une opposition transcendant toutes les autres
oppositions du système et capable de s’intégrer à
chacun des termes entre lesquels se marquent lesdites
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Gramatinės veikslo kategorijos apžvalga analitinėse ir
sintetinėse kalbose
oppositions. Il distingue deux aspects en français:
simple (formes simples qui recouvrent l’aspect inaccompli) et composé (formes composées recouvrant
l’aspect accompli). G. Guillaume fonde sa théorie
de l’aspect sur les oppositions binaires (aspect simple – aspect composé). Il ne prête pas attention aux
valeurs aspectuelles particulières rendues par certains
temps, l’opposition de l’imparfait et du passé simple
«duratif – non duratif» est exclue par G. Guillaume
de la catégorie de l’aspect.
R. L. Wagner et J. Pinchon (1991, 288) affirment
qu’on désigne sous le nom d’aspect les valeurs qui
concernent l’accomplissement du procès et les formes du verbe qui les traduisent. L’aspect, en français,
s’exprime: 1) morphologiquement, par l’opposition
d’une forme simple et d’une forme composée à tous
les modes, à tous les temps et à toutes les personnes,
accessoirement au moyen du pronominal. 2) lexicalement, au moyen de périphrases verbales.
Pour M. Grevisse (2007, 605) l’aspect du verbe
est le caractère de l’action considérée dans son développement, l’angle particulier sous lequel le procès
de cette action est envisagé, l’indication de la phase
à laquelle ce procès en est dans son déroulement.
Quant à la forme d’expression, M. Grevisse admet
toute une diversité:
Je suis en train de lire (aspect duratif); Il se met à
rire (aspect inchoatif ou ingressif); Je relis la lettre
(aspect itératif); Elle a vécu (aspect perfectif); Je
cherche une solution (aspect imperfectif).
Selon V. Gak (1986, 216) l’aspect est une catégorie
grammaticale du verbe qui exprime le caractère du
déroulement de l’action (durée, répétition, phases,
accomplissement / non accomplissement, etc.). Les
significations aspectuelles sont essentielles au verbe,
mais elles ne constituent pas toujours une catégorie
grammaticale.
En français, les nuances aspectuelles peuvent être
exprimées par des moyens lexicaux (verbes perfectifs
/ imperfectifs, préfixes, suffixes), dans ce cas on ne
saurait parler d’une catégorie grammaticale, malgré
que les distinctions sémantiques des verbes aient
une grande influence sur la formation des nuances
aspectuelles dans certaines constructions et formes
temporaires; par des moyens syntaxiques (périphrases verbales); par des moyens morphologiques (significations des formes verbales). C’est dans ce dernier
cas seulement qu’on pourrait parler de l’aspect
comme d’une catégorie grammaticale. En français, il
y a deux oppositions de formes verbales qui peuvent
être interprétées comme aspectuelles: temps simples
/ temps composés; temps linéaires (imparfait) / temps
ponctuels (passé composé, passé simple).
Rasa MatonienĖ
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langues analytiques et en langues synthétiques
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perfectif / aspect perfectif (par exemple, verbe simple
/ verbe composé: battre, abattre; semer, parsemer).
À cette liste on ajoute habituellement l’aspect
itératif (répétition). La liaison de cet aspect avec
le temps est indéniable: la répétition consiste dans
le retour, à des intervalles de temps plus ou moins
réguliers, d’un même procès.
J. Vendryès (1979) signale la faculté du verbe français de rendre lexicalement la valeur aspectuelle, ce
qui deviendra plus tard chez d’autres linguistes l’objet de réflexions sur «les modes d’action» (telle est
l’opposition des verbes imperfectifs et perfectifs).
En français, l’aspect oscille constamment entre la
grammaire et le style. Le français n’est donc inapte
à examiner l’aspect, puisqu’il trouve le moyen de le
faire, dès qu’il en sert le besoin. Seulement l’aspect
n’est pas en français une catégorie grammaticale
régulière. Un verbe français étant donné, nous ne
pouvons en indiquer le duratif ou l’itératif comme
nous en indiquons le futur ou l’imparfait. S’il y a
des langages, comme le lituanien ou le russe, où la
notion d’aspect est prépondérante au point de devenir
le principe du système verbal, en français elle n’est
qu’une survivance isolée ou ne répond qu’à un besoin
accidentel (Abrosimova, 1987, 117–124).
Interprétation de l’aspect en
lituanien
Quant aux recherches fondamentales de l’aspect et
sa réalisation dans la langue lituanienne, les travaux
d’Aldona Paulauskienė, à notre avis, sont les plus
fructueux. A. Paulauskienė (1979, 55–83) souligne
que les verbes lituaniens sont invariables, mais chaque verbe est d’un aspect quelconque: si le verbe
exprime l’action en cours, alors il est de l’aspect
imperfectif, si le verbe exprime le résultat, le verbe
est de l’aspect perfectif.
L’aspect est une catégorie grammaticale binaire
qui reflète la perception dualiste de la même action.
C’est pourquoi le noyau de cette catégorie est constitué des verbes qui se distinguent par sa signification
lexicale individuelle et qui peuvent être confrontés
l’un à l’autre par des traits opposés: daryti – padaryti,
balti – išbalti, eiti iš kur nors et išeiti, etc. Il y a des
verbes qui sont toujours uniquement de l’aspect imperfectif (mylėti, priklausyti), d’autres – de l’aspect
perfectif (atsitikti, žvilgtelėti).
En considérant l’aspect comme une catégorie
grammaticale, on se heurte à de grands problèmes
grammaticaux, notamment le problème de la signification grammaticale et le problème du rapport entre
les formes grammaticales.
ISSN 1392-8600
Selon L.Iliïa (1970, 65 – 71), l’aspect est considéré comme la catégorie grammaticale du verbe qui
exprime le caractère cursif de l’action. On distingue
les oppositions principales du verbe: perfectivité /
imperfectivité, limitation / illimitation, continuité /
instantanéité et encore d’autres significations aspectuelles, telles que l’action initiale, terminative,
itérative, résultative etc.
L. Pitskova (1991, 65) constate que l’aspectualité
est une notion généralisante qui inclut toutes les
manifestations des relations aspectuelles qui existent dans une langue concrète et tous les moyens
linguistiques qui les expriment. L’aspectualité
embrasse deux notions: la catégorie de l’aspect et
les modes d’action. Ces notions diffèrent sur le plan
des moyens d’expression aussi bien que sur le plan
du contenu.
Malgré un grand nombre de travaux traitant des
questions de l’aspect en français, la discussion qui
porte sur l’aspect grammatical du système verbal
français n’est pas close. Certains savants ne reconnaissent pas l’existence de la catégorie de l’aspect en
français (Damourette et Pichon, 1950; Meillet, 1926;
Tesnière, 1959). Les grammairiens qui estiment que
l’aspect grammatical est propre au verbe français
ne sont pas du même avis sur sa présentation morphologique. On propose les corrélations suivantes:
formes simples / formes composées (Benveniste,
1959; Martin, 1971; Klum, 1961; Gak, 1986); imparfait / passé simple (Rasmussen, 1891; Martin,
1971; Pitskova, 1982); passé simple, futur simple /
présent / imparfait, futur hypothétique (Togeby,
1966); présent, imparfait / toutes les autres formes
personnelles (Klum, 1961).
Suivant la méthode des oppositions aujourd’hui
courante en linguistique descriptive, on pourrait
grouper les aspects de la façon suivante:
1. L’opposition fondamentale est celle du déroulement inachevé et du déroulement achevé du
procès: aspect de l’inaccompli / aspect de l’accompli
(par exemple, dans la langue écrite, présent / passé
composé); le résultatif est une variante de l’accompli,
dont il représente en quelque sorte l’ultérieur.
2. Une opposition très importante est celle qui
résulte de la présence ou de l’absence de durée dans
le déroulement du procès: aspect duratif /aspect
ponctuel ou momentané (par exemple, imparfait /
passé simple). L’aspect progressif (par exemple, les
prix vont en augmentant) est un cas particulier de
l’aspect duratif.
3. On peut considérer le procès indépendamment
de ses limites initiale et finale, ou au contraire comme
aboutissant au terme de son déroulement: aspect im-
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Si l’on s’appuie sur la notion étroite de la catégorie
grammaticale, on arrive à une seule résolution positive: l’aspect est une catégorie intermédiaire entre
le lexique et la grammaire qui a des traits typiques
aux catégories grammaticales et lexicales. L’aspect
est considéré comme la catégorie intermédiaire
(lexico-grammaticale) parce que la notion étroite de
la catégorie grammaticale n’embrasse pas tous les
phénomènes grammaticaux et on attribue la même
fonction pour les affixes de la formation des mots et
pour les flexions.
On peut constater que les mêmes affixes peuvent
accomplir la fonction de la formation des mots
d’un côté et celle de la désinence verbale de l’autre.
L’affixe peut accorder la fonction lexicale à la fonction grammaticale en révélant dans certains cas la
fonction lexicale, dans d’autres cas – la fonction
grammaticale.
J. Jablonskis (1997, 292) définit l’aspect comme
une espèce de formes du verbe qui montrent l’action
en cours ou l’action achevée. Alors, on distingue
deux aspects: 1) l’aspect imperfectif – eigos veikslo
(bėgti, bėginėti, rašyti, skaityti...) et 2) l’aspect perfectif – įvykio veikslo (pabėgti, subėginėti, pabėgėti,
parašyti, suskaityti...).
Pour L. Dambriūnas (1975) l’aspect est la catégorie binaire dont les membres sont liés par le rapport
d’opposition; alors nous avons le cours – l’événement
ou la durée – la fin. Les verbes qui expriment le cours
de l’action sont les verbes de l’aspect imperfectif:
berti, barstyti, lenkti, lankstyti, etc. Les verbes qui
signifient l’événement de l’action, c’est-à-dire le
résultat, sont de l’aspect perfectif: padaryti, nueiti,
sukrauti, etc.
Dans la plupart des cas les verbes de l’aspect
perfectif sont composés des verbes de l’aspect imperfectif avec des préfixes, mais ce n’est qu’une partie
des verbes sans préfixes qui ont la signification de
l’aspect perfectif.
En lituanien, la catégorie de l’aspect est considérée
comme la catégorie grammaticale variable. Il est
très important d’analyser les façons et les moyens
à l’aide desquels on exprime l’opposition le cours /
l’événement. Il existe quatre façons pour exprimer
le cours et l’événement de la même action:
1. Quand on ajoute aux verbes sans préfixes signifiant le cours d’une certaine direction les préfixes qui
signifient la fin de l’action d’une certaine direction
et le résultat (le plus souvent iš-, pa-, nu-, su-, už-,
plus rares ap-, at-, į-, per-, pra-, pri-): bėgti – išbėgti,
lipti – užlipti, daryti – padaryti, etc. Ici les préfixes
modifient d’une façon pas très importante la signification lexicale du verbe.
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Gramatinės veikslo kategorijos apžvalga analitinėse ir
sintetinėse kalbose
2. Quand on ajoute aux verbes signifiant le déroulement d’une certaine direction (le plus souvent
les verbes du mouvement) les préfixes qui réalisent
la fonction locale conforme. Ils ne donnent pas au
verbe de signification d’une nouvelle direction, mais
ils montrent la signification de la fin de l’action
conforme et le résultat, expriment morphologiquement la direction qui en cas de déroulement est
exprimée analytiquement. Alors on a une corrélation
des aspects suivante:
eiti iš... – išeiti iš...
eiti nuo... – nueiti nuo...
mesti į... – įmesti į...
nešti į... – išnešti į...
vesti per... – pervesti per...
sunktis pro... – prasisunkti pro...
dėti prie... – pridėti prie...
kišti už... – užkišti už...
3. Quand on ajoute au verbe de l’aspect perfectif le
suffixe itératif, on obtient le verbe de l’aspect imperfectif: apsimesti – apsimetinėti, atsakyti – atsakinėti,
perrašyti – perrašinėti etc.
4. C’est l’expression du déroulement et de l’événement de la même action à l’aide des radicaux des
temps différents: duoda – davė, duodavo, duos...,
baigia – baigė, baigdavo, baigs... etc. L’opposition
la plus claire existe entre les formes du présent et du
passé composé.
Interprétation de l’aspect en
langues slaves
Dans les langues slaves on voit la tendance de
considérer l’aspect comme deux variantes de la
signification opposée de la même action. On dit que
les verbes de l’aspect imperfectif expriment le cours
(le procès) de l’action, les verbes de l’aspect perfectif
- l’événement (le résultat).
Les aspects slaves se manifestent par un jeu
complexe de préfixation et de suffixation d’où les
distinctions entre imperfectifs simples (type tchitat’ – «lire»), perfectifs simples (dat’ – «donner»),
perfectifs dérivés (protchitat’ – «lire») et imperfectifs secondaires (protchityvat’ – «lire»). Mais
la définition des aspects ne peut pas être faite en
termes purement morphologiques (Holt, 1942, 59).
Il faut se rappeler la controverse des slavistes qui
concerne les paires aspectuelles et donc le statut
des préverbes vides (c’est-à-dire les préfixes qui ont
une signification purement grammaticale et non pas
lexicale): la distinction entre l’imperfectif simple
du type pisat’ «écrire» et le perfectif préfixé du type
napisat’ «écrire» est-elle une opposition aspectuelle
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langues analytiques et en langues synthétiques
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ou une différence lexicale? Si cette distinction est
d’ordre lexical, la véritable opposition aspectuelle
ne se situe-t-elle pas alors entre le perfectif préfixé
napisat’ «écrire» et l’imperfectif secondaire pisat’
«écrire»? Dans ces discussions apparaît nettement
le problème de la distinction entre la catégorie des
modes d’action et la catégorie de l’aspect bien que
la frontière entre les deux n’est pas toujours très
franche. Y. Maslov (1984) définit la distinction entre
l’aspect et les modes d’action de la manière suivante:
«Par opposition avec les aspects, les modes d’action
ne constituent pas de catégories grammaticales, ils
ne forment pas d’oppositions paradigmatiques nettes
d’une grande ampleur, ils restent dans le cadre des
distinctions lexicales entre les verbes». D’un autre
côté, la question est importante dans la mesure où elle
touche à la préfixation en tant que moyen permettant
de perfectiver une forme verbale slave. Or, comme
la préfixation verbale est propre à plusieurs langues
indo-européennes et que les verbes préfixés manifestent certaines similitudes sémantiques en commun,
des assimilations ont été faites, par exemple, entre
les perfectifs slaves (Guentcheva, 1991, 51).
Il apparaît donc que les termes slaves de perfectif
et d’imperfectif marquent d’abord des distinctions de
type morphologique.
À l’opposition morphologique perfectif / imperfectif se superpose la distinction de perfectif et
d’imperfectif définie en termes sémantiques. Différentes notions sémantiques telles que durée, procès
en développement, répétition ont souvent été retenues
comme essentielles pour définir l’imperfectif. Selon
A. Meillet (1902–1905, 100), par exemple, l’imperfectif indique le procès dans sa durée et le perfectif
en dehors de toute durée. Le linguiste tchèque J.
Holt (1942, 66) rejette la notion de durée comme
fondamentale pour définir le perfectif et l’imperfectif
parce que certains verbes imperfectifs comme dajati
«donner» ne contiennent rien de plus duratif que le
verbe perfectif dati «donner». À partir de l’analyse
des formes verbales, il met en évidence la notion de
terme: les verbes perfectifs désignent le procès avec
son terme, tandis que les verbes non perfectifs ne
possèdent pas une telle indication; un procès peut
être interrompu sans pour autant être achevé.
L’opposition slave perfectif / imperfectif et la corrélation tripartite des thèmes du présent, de l’aoriste
et de parfait en grec ancien sont regardées comme
des modèles classiques de l’expression de l’aspect
(Holt, 1942; Maslov, 1984). D’autres oppositions
grammaticales dans des langues aussi bien indo-européennes que non indo-européennes sont également
considérées comme aspectuelles: il en serait ainsi
pour l’opposition accompli / inaccompli dans les
langues sémitiques, l’opposition du thème infectum / perfectum en latin, l’opposition continuous /
non-continuous en anglais, l’opposition imparfait /
passe simple en français. Et lorsque ces oppositions
marquent une certaine ressemblance avec les aspects
slaves, on a recours aux termes de perfectif et d’imperfectif des langues slaves.
L’opposition perfectif / imperfectif des langues
slaves est attachée au système verbal, mais en réalité
l’utilisation d’une forme verbale obligatoirement
aspectuée dépend d’autres facteurs tels que la sémantique du lexème, la présence d’une expression
adverbiale (Maslov, 1984; Bondarko, 1971), les
propriétés sémantiques du groupe nominal assumant
la fonction syntaxique d’objet direct et plus rarement
celle du sujet.
Il se pose enfin la question de la nature de la
relation entre temps et aspect: sont-ils deux catégories distinctes ou deux faces d’une seule et même
catégorie?
Le problème est controversé même si la majorité
des linguistes proclament l’indépendance du temps
et de l’aspect. Ainsi, A. Bondarko (1971, 235), par
exemple, affirme que temps et aspect (en russe)
sont deux catégories grammaticales distinctes et
s’empresse de souligner leur interrelation et interdépendance. Temps et aspect sont deux catégories
indépendantes parce qu’ils «ont des systèmes de
formes distincts, un contenu sémantique différent et
des moyens d’expressions différents». Mais temps
et aspect sont en interrelation principalement parce
que le paradigme temporel dépend de l’aspect, que le
fonctionnement des aspects dépend du plan temporel,
que certains traits sémantiques sont propres aussi
bien au système aspectuel qu’au système temporel.
D’une façon ou d’autre, des notions temporelles
interviennent toujours dans les études sur l’aspect
même lorsqu’on examine l’opposition perfectif /
imperfectif. D’ailleurs l’expression «formes aspectotemporelles» en est la preuve. Le point, de façon
succincte, fait par A. Timberlake (1985) dans un
article sur l’aspect, le montre clairement: pour certains, les différences d’aspect relèvent de la qualité
de la structure du temps lui-même (Galton, 1976);
pour d’autres, l’aspect est défini par la différence qui
apparaît entre les situations (événements) de base,
construites elles-mêmes dans le temps (Kutchera,
1983); pour d’autres enfin, de façon implicite ou
explicite, l’aspect est défini comme une relation entre
les prédicats et le temps (Timberlake, 1985).
Nous nous associons au point de vue qui considère temps et aspect comme catégories qui sont
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étroitement liées. Nous partons d’une constatation
fort simple que des termes comme limité, borné,
terminatif, achevé, accompli, etc. ne sont jamais bien
définis. La signification qui leur est attribuée n’est
pas très bien précise, ce qui les rend à la fois proches
et concurrents.
Nous nous plaçons dans un cadre théorique où la
notion de changement est considérée comme fondamentale pour la description des phénomènes aspectotemporels dans les langues. Si l’on accepte cette
notion, tout énoncé dénote alors soit une situation
statique, soit une situation dynamique: une situation
statique envoie à un état, une situation dynamique
renvoie soit à un processus, soit à un événement. Par
conséquent, état, processus et événement doivent
être considérés comme des concrets de base. Mais
pour bien comprendre le concept d’événement, il
est nécessaire d’introduire deux autres concepts à
savoir le concept d’achèvement et le concept d’accomplissement.
Un processus est une situation dynamique. Il
est conçu comme une certaine transformation qui
s’opère à partir d’un état initial et qui est orienté
vers un état final. Construit comme une succession
d’états instantanés non identiques entre eux et donc
temporellement orientés, le processus est lié intimement à la notion de changement. Pris au cours de
son développement, le processus se présente comme
non accompli.
En revanche, lorsque le processus est interrompu
au cours de son développement, il peut renvoyer
soit à un processus accompli, soit à un processus
accompli et achevé.
Le processus est dit accompli lorsque la transformation qu’il opère n’est pas complète, c’est-à-dire
que le processus est interrompu avant “d’atteindre
son terme”. Le processus est dit achevé lorsque la
transformation qu’il opère est complète et qu’il n’est
pas possible de la poursuivre plus loin; le processus
a donc atteint tout naturellement son état final.
Dans les langues slaves où la notion d’achèvement
est grammaticalisée, le concept d’achèvement trouve
son expression dans la forme perfective. Mais la notion d’achèvement trouve un support dans d’autres
parties du discours comme, par exemple, le groupe
nominal en fonction d’objet syntaxique.
En ce qui concerne des langues comme le français
où la notion d’achèvement n’est pas grammaticalisée
comme dans les langues slaves et le lituanien au
niveau du système verbal, il est pertinent de se de-
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Gramatinės veikslo kategorijos apžvalga analitinėse ir
sintetinėse kalbose
mander si cette notion trouve son expression et si oui,
comment elle se manifeste. Un simple coup d’oeil sur
le français montre que, pour signifier l’achèvement,
on a recours soit à l’article défini comme dans J’ai
bu le café qui s’oppose nettement à J’ai bu du café
et selon les contextes à J’ai bu un café et, d’un autre
côté, à des expressions adverbiales du type en une
heure, en un jour, etc. comme dans Il a lu le livre
en un jour qui s’oppose à Il a lu le livre pendant
une heure.
Dans les langues slaves, l’opposition morphologique perfectif / imperfectif ne se réduit pas à une
simple opposition entre signification d’achèvement
et non signification d’achèvement. En effet, la productivité du processus de préfixation et de suffixation permet d’obtenir des formes à partir de formes
perfectives déjà dérivées (c’est-à-dire que la forme
perfective est déjà le résultat d’une préfixation d’une
forme imperfective) (Guentcheva, 1991, 49-66).
Pour résumer les interprétations de l’aspect en
lituanien et en russe (dans les langues flexionnelles),
nous allons recourir aux recherches de K. Musteikis
(1972, 125–140) faites en ce domaine. L’auteur
remarque que les deux langues, pour exprimer la
catégorie de l’aspect verbal, utilisent les moyens
d’expression analogues ou semblables: préfixation,
suffixation, alternance des radicaux, supplétivisme.
Pourtant, là encore, on s’aperçoit que la charge
grammaticale de ces moyens d’expression n’est pas
identique. En russe, la dérivation préfixale et suffixale
est plus grammaticalisée qu’en lituanien.
Conclusion
Après avoir présenté les interprétations de l’aspect
verbal en langue analytique (français) et en langues
synthétiques (lituanien, langues slaves), on pourrait
dire que l’aspectualité est une notion généralisante
qui inclut toutes les manifestations des relations
aspectuelles se réalisant dans une langue concrète à
l’aide des moyens linguistiques divers.
Dans les langues synthétiques (lituanien, langues
slaves), l’aspect est considéré comme la catégorie
grammaticale, il se manifeste dans la plupart des cas
comme une catégorie dérivationnelle parallèlement
à l’expression de l’aspect par les formes temporelles, en langue analytique (français), l’aspect est
une catégorie sémantique et grammaticale à la fois,
une catégorie mixte qui se trouve à cheval entre la
grammaire et le lexique.
Rasa MatonienĖ
Aperçu de la catégorie grammaticale de l’aspect en
langues analytiques et en langues synthétiques
žmogus ir žodis 2011 III
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Bibliographie
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