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L’aire toulonnaise, un conservatoire unique du patrimoine fortif
Bernard Cros, Ingénieur en chef de la marine (e.r.)
Historien du patrimoine militaire et maritime
Vue aérienne de la rade de Toulon © Emmanuel
Rathelot, Marine nationale
Dotée des ato
uts touristiques inhérents à toute agglomération
du littoral méditerranéen, l’aire toulonnaise présente une
particularité culturelle exceptionnelle
; le patrimoine fortifié
qui s’égrène le long de ses rivages et couronne ses points
hauts en fait un véritab
le conservatoire de l’architecture
militaire. Les particularités de l’aire toulonnaise résident dans
le double fait que son patrimoine fortifié s’étage du niveau de
la mer à une altitude proche de 800 mètres et que son
édification suit toutes les évolution
s de l’architecture
militaire, du début du 16è siècle au milieu du 20è siècle. On
peut y ajouter que Toulon s’est trouvé à plusieurs reprises au
cœur d’événements militaires de portée nationale et que, en
dépit de combats parfois virulents, l’état de conservation de
ce patrimoine est plutôt satisfaisant. L’occupation durable des
ouvrages par des organismes militaires a de plus favorisé leur maintien en condition.
Le patrimoine concerné comporte près de soixante forts et batteries, disséminés de Sanary à
Carqueiranne, en passant au nord par Evenos et La Valette. Il a pour complément indissociable
l’ensemble d’ouvrages fortifiés qui protègent la rade et les îles d’Hyères.
La vocation navale du port de Toulon est naturellement à l’origine des ouvrages fortifiés qui
couvrent cette place maritime essentielle pour la présence française en Méditerranée et bien au-
delà. Pourtant l’ouvrage le plus ancien est antérieur à l’érection de Toulon en port de guerre. La
Grosse tour (actuelle Tour royale) est en effet une création du règne de Louis XII, destinée à
protéger l’entrée de la rade qui abritait alors un port de commerce et de pêche dont le réseau
d’échanges dépassait largement les limites de l’antique mare nostrum.
La Grosse tour, ou tour royale est un torrione édifié de 1514 à 1524 © B. Cros
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Créé sur le papier par Henri IV en 1595, l’arsenal prend véritablement corps grâce à Richelieu
après 1635, époque de la prise de îles de Lérins par les Espagnols. C’est dans ce contexte que
sont bâties les tours de Balaguier et des Embiez1 et que sont envisagés d’autres ouvrages
défensifs qui devront attendre le règne suivant.2 C’est sous le règne de Louis XIV et par la main
de Colbert que l’arsenal de Toulon connaît un véritable essor. Le port doit alors être en mesure
de construire et soutenir une flotte de cinquante à soixante vaisseaux. Vauban sera l’artisan de ce
projet considérable, réalisé de 1678 à la fin du siècle.
Carte de la rade de Toulon vers 1750, Bélidor, Architecture hydraulique, collection B. Cros
La protection de la rade devient alors une préoccupation majeure. La guerre contre la Hollande
(1672) avait déjà incité à renforcer les batteries de la Grosse tour et de Balaguier et à construire
le fort de l’Eguillette pour parachever la protection de la petite rade. Vauban fait construire le fort
des Vignettes, ou fort Saint Louis, pour interdire le mouillage de galiotes à bombes hors de
portée des batteries de la petite rade3.
Plan de la tour royale levé à l’occasion de la confection du plan-relief Fort de Balaguier, comme à la Tour royale, des batteries ont
de Toulon © B. Cros été ajoutées en 1672 © P. Fromentin, Marine nationale
1 Elles sinscrivent dans un programme qui couvre les îles d’Hyères et qui s’étend jusque Antibes.
2 Les forts Saint Louis et Lamalgue, en particulier.
3 A la veille du siège de 1707 le front de mer aligne 177 canons et 14 mortiers dans les seize ouvrages compris en la
plage de Saint Elme et Sainte Marguerite.
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Fort Saint Louis, relevé pour un plan-relief non exécu Fort de l’Eguillette, état 1694
© B. Cros (dessin de Benoît Maffre, architecte DPLG) © B. Cros
Du côté de terre, la défense est essentiellement assurée par l’enceinte bastionnée de Toulon.
Construite du temps de Henri IV (1589-1595), son tracé est inspiré des projets de l’ingénieur
piémontais Ercole Negro, qui a largement fortifié les places du sud-est de la France. Lors de ses
passages à Toulon Vauban n’estime pas nécessaire de placer des ouvrages fortifiés permanents à
l’extérieur de la ville, protégée par les reliefs.
Le système défensif est mis à l’épreuve du feu en juillet-août 1707, lors de l’attaque conduite par
le duc Victor-Emmanuel de Savoie. Le fort Saint Louis est ruiné, la ville est bombardée depuis la
mer.
Les leçons de l’attaque sont tirées sans attendre. L’ingénieur Niquet élabore un projet
d’amélioration de la défense qui repose principalement sur l’édification d’une ligne de forts
détachés à l’est de Toulon. Partant de la hauteur de Lamalgue4, elle aboutit aux contreforts du
Faron (redoute d’Artigues) en passant par la hauteur de sainte Catherine. La reconstruction du
fort Saint Louis est achevée dès l’été 1708. La construction de la redoute d’Artigues est terminée
en 1709.
Fort d’Artigues, plan-relief confectionné après 1793 © Musée des Plans-reliefs
4 La redoute ou fort qu’il propose d’élever à Lamalgue devra autant s’opposer à une attaque terrestre que couvrir les
arrières du fort Saint Louis, dont il complètera aussi l’action contre la mer.
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A peine esquissé en 1709, le fort Lamalgue connaît un début de travaux en 1738. Son projet est
amendé et amélioré en 1750, mais le travail n’avance que par à-coups, au gré des disponibilités
financières irrégulières et limitées.
La guerre de Succession d’Autriche (1744 – 1748) est précédée, en Provence par des accrochages
entre forces navales françaises et anglaises5. En 1746 les Austro-Savoyards s’apprêtent à rééditer
une attaque contre Toulon. La Provence est mise à la hâte en état de défense sous les ordres du
maréchal de Belle-Isle. Des redoutes de campagne, en pierres sèches, sortent de terre autour de la
rade. Après cette alerte sans conséquence, l’ingénieur d’Antibes de Bertaud, directeur des
fortifications, reprend le projet du fort Lamalgue (1750) et propose d’édifier un ouvrage
permanent sur la hauteur des Pomets. La redoute des Pomets couvrira par l’ouest le débouché de
la vallée de Dardennes. Débutant en 1748 sous la conduite de l’ingénieur Auguste Verrier, les
travaux se terminent en 1755.
Après le sursaut de 1708, l’alerte de 1746 et les atermoiements des années 1740 1750, il faut
attendre la fin de la guerre de Sept Ans (1756 -1763) pour voir le renouveau de la défense
terrestre mis à l’ordre du jour. C’est à l’ingénieur Milet de Monville que reviendra le soin de
concevoir et réaliser le système destiné à marquer durablement le paysage militaire de Toulon6.
Mis en œuvre à partir de 1764, le projet de Milet de Monville transforme le système défensif de
la place. A l’est de la ville la ligne de forts détachés prend corps, de Lamalgue au Faron. Après
des déroctages considérables pour aplanir la hauteur Lamalgue, le fort s’élève sous l’action d’une
véritable armée de travailleurs, renforcée par des soldats. Le fort rectangulaire aux quatre angles
bastionnés est complété par une lunette détachée face à l’est, ainsi que par une batterie de côte
qui couvre son glacis méridional. Comparable à une citadelle, il devient la pièce maîtresse de la
défense face à l’est.
Fort Lamalgue, détail du plan-relief de Toulon. Le fort est complété par une batterie de côte à flanc de colline
© Musée des plans-reliefs
5 Affaire de Saint Tropez durant laquelle des Anglais pourchassent des galères espagnoles dans le port et y jettent
des brûlots, prise d’embarcations de pêche, combat de Sicié en février 1744.
6 Nicolas Milet d’Estouf, seigneur de Monville (1696-1773) est issu d’une famille de militaires comptant plusieurs
ingénieurs. Ingénieur ordinaire en 1723, sa carrière le verra principalement en Provence. Directeur des fortifications
de Provence de 1758 à 1773.
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Entre Lamalgue et Artigues, la redoute de Sainte Catherine est construite à la même époque.
Redoute Saint Catherine - Trois tours de grande hauteur sont venues coloniser le site à la fin des années 1960 © B. Cros
Sur les contreforts du Faron, une redoute est créée de façon à contrôler les approches pouvant
se faire par la pente douce qui monte depuis La Valette. Le futur fort Faron est implanté de
Caserne retranchée du Faron, un monument militaire exceptionnel avec son impluvium
© B. Cros
façon à interdire l’occupation du
plateau Fournier qui pourrait
profiter à un assiégeant pour y
établir des batteries. Le site étant
éloigné de la ville, un
cantonnement de chantie
r est
édifié à proximité pour héberger
les ouvriers et offrir magasins et
atelier à ce chantier. Destiné à
être conservé comme caserne
défensive après la construction
du fort, le bâtiment est protégé
par une enceinte tenaillée à deux
rangs de créneaux de fusillade.
Pour pallier la rareté de l’eau,
une citerne de près de 400 m3
est creusée le long du bâtiment
afin de stocker l’eau nécessaire à la construction du fort. Le sol pentu en amont de la citerne
est nivelé et réglé de façon à former impluvium. Cet ouvrage constitue un exemple unique en
France dans le domaine de l’architecture militaire du XVIII
è
siècle.
Le fort Faron sort également de terre à partir de 1764. De plan pentagonal, il doit être complété
par une « flèche », sorte de réduit avancé destiné à compléter ses vues vers le rebord sud-est du
replat d’assiette du fort. En 1770 les travaux sont suspendus, alors que seuls le niveau de plain-
pied a éconstruit.
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