Coordonner les traitements par hormone de croissance et hormones sexuelles chez les adolescents hypopituitaires Iva Gueorguieva, Anya Rothenbühler Service d’Endocrinologie Pédiatrique Hôpital Bicêtre 78, rue du Général Leclerc 94275 Le Kremlin-Bicêtre E-mail : [email protected] Mots Clés : puberté, panhypopituitarisme, minéralisation osseuse, croissance, fertilité L’ induction de la puberté chez les patients ayant un hypopituitarisme est un moment crucial de la prise en charge de la maladie. Des changements physiques s’opèrent chez des patients que le médecin suit le plus souvent dès la période néonatale. Les questions existentielles qui accompagnent ce changement vont de la possibilité de ressembler physiquement aux autres adolescents, à la découverte de la sexualité, à la future fertilité, et plus globalement la capacité à se projeter dans la vie d’adulte. Pour choisir le meilleur moment et la vitesse optimale d’induction de la puberté, le médecin doit prendre en compte le gain statural attendu et le pronostic de taille finale, la demande du pré-adolescent et de ses parents, la maturité et avoir le souci de favoriser la qualité de vie qui comprend l’apparence physique, la vie sentimentale et les débuts de la vie sexuelle. Notre point de vue est issu de l’expérience du service dans la prise en charge des patients insuffisants hypophysaires. « Pas trop tard, pas trop lentement » La tradition ancienne voulait que la puberté soit induite le plus tard possible chez les patients insuffisants hypophysaires et de façon très progressive pour ne pas compromettre leur taille finale. Suivant le « dogme des 150 cm », l’attitude thérapeutique consistait à ne pas démarrer la puberté en dessous de cette taille sans trop se soucier de l’âge du patient. Cette approche nous paraît contestable pour deux raisons. Les enfants insuffisants hypophysaires n’ont pas de raison d’avoir un pic de croissance pubertaire de moindre amplitude, à condition qu’ils aient un traitement substitutif par l’hormone de croissance (GH), bien ajusté individuellement sur la réponse clinique et les mesures d’IGF-1. Ainsi entre l’âge de 10 et 11 ans chez les filles et 11 et 12 ans chez les garçons, le médecin doit systématiquement évaluer le gain statural et pronostiquer la taille finale en tenant compte des tailles parentales, de la taille actuelle, de la taille de naissance et du pic pubertaire. Dès que le pronostic de taille finale le permet, le démarrage du traitement qui induit la puberté doit se faire sans tarder, c’est-à-dire autour de 11 ans pour les filles, et autour de 13 ans pour les garçons. La croissance pendant cette période est surveillée tous les 4 mois en suivant la vitesse de la soudure du cartilage de croissance fémoral inférieur, dont dépend la plus grande part du gain de taille. Bien souvent, les adolescents hypopituitaires souffrent si leurs caractères sexuels secondaires se développent trop lentement. La masse osseuse (évaluée par la DEXA) est de moins bonne qualité si la phase de l’induction de la puberté a été trop lente. Médecine Clinique endocrinologie & diabète • 9ème Journée d’Endocrinologie Sexuelle Alfred Jost, mars 2011 • Jost Anya.indd 9 9 10/03/11 09:04 Coordonner les traitements par hormone de croissance et hormones sexuelles chez les adolescents hypopituitaires Quels schémas utilisons-nous ? Quels objectifs et quels paramètres de surveillance ? Concernant la croissance Le traitement par GH est poursuivi en parallèle de l’induction de la puberté. Les doses doivent permettre d’obtenir une vitesse de croissance d’au moins 7 à 10 cm chez la fille et 10 à 15 cm chez le garçon la première année, puis ce gain statural décroît de 20 à 50 % les années suivantes jusqu’à l’arrêt total. Les doses de GH sont adaptées aux taux d’IGF-1 en veillant à maintenir ceux-ci dans des valeurs inférieures à + 2DS pour l’âge : par exemple entre 600 et 700 ng/ml pour les 12-14 ans, entre 750 et 850 ng/ml au-delà de 15 ans. La maturation du cartilage fémoral inférieur est à surveiller tous les 6 mois. Les schémas d’induction pubertaire Le but est de réaliser l’induction artificielle des caractères sexuels associés à la puberté, à une vitesse voisine de la physiologie. Chez les filles Nous préférons les estrogènes per os, plutôt que les formes en patch ou gel car ces dernières ont une absorption beaucoup plus aléatoire et une moins bonne observance. La « féminisation » est débutée en utilisant un œstrogène naturel : 17b estradiol à la dose de 1 mg tous les 2 jours pendant 3-6 mois puis 1 mg/j pendant les 6 mois suivants et enfin 2 mg/jour. Nous préférons l’œstradiol naturel à l’éthinyl estradiol à cause de son plus faible risque de maladie thrombo-embolique ou d’hypertension. Un progestatif est ajouté 12 à 24 mois après le début de l’estrogénothérapie, dès que l’utérus atteint une longueur de 55-60 mm. On utilise de la progestérone naturelle à la dose de 10 mg pendant 10 jours (du 15 e au 25e jour), l’œstradiol étant alors prescrit du 1er au 25e jour. Pour faciliter l’ob10 Jost Anya.indd 10 servance, nous conseillons de démarrer le traitement le 1er de chaque mois. La survenue de saignements sous estrogènes seuls, à cause d’une hyperplasie de l’endomètre, motive la prescription immédiate du traitement combiné. Les objectifs d’une féminisation correcte sont : – un développement mammaire satisfaisant pour les patientes : S3 à un an, S4 ou S5 à 2 ans de l’induction pubertaire – une longueur utérine ≥ 55 mm à un an et ≥ 75 mm à 2 ans de l’induction – des hémorragies de privation à 2 ans de l’induction Chez les filles, nous ne proposons pas de traitement par gonadotrophines pour induire la puberté. Le traitement œstro-progestatif donne des résultats très satisfaisants en terme de développement des seins, de la pilosité et de l’utérus. Le traitement par GnRH en administration pulsatile sous cutanée (pompe) sera proposé à ces patientes à l’âge adulte pour induire l’ovulation lorsqu’elles désirent procréer. Chez les garçons Le traitement doit répondre aux deux objectifs : la masculinisation et la future fertilité. Proposer d’emblée un traitement par gonadotrophines, permet une conservation de sperme au terme de l’induction de la puberté (2 ans). Ceci a une importance capitale chez les patients avec hypogonadisme hypogonadotrope (HH) congénital dont la fertilité est souvent compromise. Le traitement que nous proposons associe d’emblée l’hCG et la FSH recombinantes pour une durée de 2 ans. L’hCG stimule la fonction Leydigienne et la production de testostérone, la FSH induit l’augmentation du volume testiculaire par le biais de la croissance des tubes séminifères. Ce traitement consiste en 4 injections sous-cutanées hebdomadaires pour une durée de 2 ans : FSH recombinante à la dose de 150 UI 3 fois par semaine associée à l’hCG recombinante 125 µg 1 fois par semaine. A ces doses d’hCG la testostérone augmente plus rapidement que ne le voudrait la physiologie mais il est impossible d’injecter moins d’une demi ampoule. Les objectifs du traitement sont d’obtenir à la fin de la première année une longueur des testicules > 30 mm et une testostéronémie entre 1,5 et 3 ng/ ml, et à la fin de la deuxième année une longueur des testicules > 40 mm, une testostéronémie > 5 ng/ml et un taux d’inhibine B autour de 300 pg/ml. Ces résultats sont plus faciles à obtenir chez les patients avec HH acquis que chez ceux avec un HH congénital, probablement parce que les premiers avaient eu une minipuberté physiologique dans les premiers mois de vie. Ces résultats sont encore plus difficiles à obtenir chez les patients avec une cryptorchidie initiale. Au terme de ces 2 ans de traitement, nous conseillons souvent de réaliser un spermogramme avec une cryopréservation systématique de sperme (paillettes). Nous pensons qu’il est facile d’obtenir et de conserver du sperme à cet âge, une précaution que nous adoptons souvent désormais. Un traitement, moins contraignant, par testostérone : énanthate de testostérone 1 ampoule de 250 mg toutes les 3 semaines, est ensuite prescrit. Néanmoins, certains adolescents préfèrent conserver le traitement par gonadotrophines au long cours pour maintenir le volume testiculaire. Le traitement sous-cutané continu par GnRH à la pompe est plus coûteux et n’aurait pas d’effet supérieur sur le volume testiculaire et la fertilité chez l’homme adulte [1]. Le principal inconvénient du traitement par gonadotrophines est le nombre d’injections (4 par semaine) qui peut représenter un obstacle pour certains patients puisque si on l’additionne avec le traitement par hormone de croissance, on arrive à 10 injections par semaine. Si le patient refuse le traitement par gonadotrophines, ou si son observance est mauvaise, notre préférence (comme pour d’autres auteurs [2]) va au traitement par testostérone retard injectable énanthate de testostérone par voie intramusculaire toutes les 3 semaines. La dose initiale pour induire la puberté est environ 60 mg (1/4 d’ampoule mensuel) p e n d a n t 3 à 6 m o i s , p u i s 1 2 5 m g (1/2 ampoule) les 6 à 12 mois suivants Médecine Clinique endocrinologie & diabète • 9ème Journée d’Endocrinologie Sexuelle Alfred Jost, mars 2011 • 10/03/11 09:04 pour atteindre les doses adultes de 250 mg (une ampoule) au bout de 12 à 18 mois de traitement. Assez souvent, une demi ampoule suffit. Comme alternative aux injections, d’autres formes galéniques peuvent être utilisées, mais posent souvent des problèmes d’observance. Les gels de testostérone nécessitent une application quotidienne et ne sont de ce fait pas adaptés aux adolescents. On peut débuter par un sachet quotidien de 5 g ou une dose de 3 g, et monitorer la testostérone pour atteindre les objectifs. Les patchs percutanés ne sont pas remboursés. De plus, 10% des patients ont des réactions locales. Les formes orales de testostérone nécessitent pour être efficaces 2 à 3 prises quotidiennes et posent le problème de l’observance. L’undécanoate de testostérone est une forme retard d’une durée de 3 mois. Elle peut être utile pour le traitement d’entretien chez l’adulte mais n’est pas indiquée pour les inductions de la puberté. Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de données précises sur la pharmacocinétique des gonadotrophines recombinantes, ni de la testostérone exogène. Il n’existe pas non plus de marqueur universel clinique et/ou biologique qui permettrait de monitorer facilement le traitement substitutif. Outre les considérations sur la croissance (exposées plus haut), l’adaptation des doses du traitement doit prendre en compte la variabilité individuelle de la sensibilité à la testostérone. Les effets indésirables sont inexistants quand le traitement est bien manié (agressivité, acné). Le rôle du médecin est de trouver pour chaque adolescent le schéma thérapeutique avec un niveau de contraintes assurant une bonne observance et le minimum d’effets indésirables à court terme sans pour autant compromettre les effets osseux et métaboliques à moyen et long terme. La surveillance est surtout clinique. Induction de la puberté et minéralisation osseuse Chez les patients qui ont un panhypopituitarisme, le développement de la masse osseuse est doublement compromis, à la fois par le déficit somatotrope et gonadotrope. L’hormone de croissance et l’IGF-1 jouent un rôle important dans le turn-over osseux tout au long de la vie et les hormones sexuelles déterminent l’acquisition de la masse osseuse à la puberté. Les anomalies de la minéralisation osseuse touchent surtout l’os cortical (os longs) mais aussi à moindre degré, l’os trabéculaire (vertèbres). Les biopsies de la crête iliaque chez des jeunes hommes déficitaires en GH et traités ont montré une augmentation de la résorption osseuse et une épaisseur corticale augmentée témoignant d’une minéralisation osseuse retardée [3]. La sévérité de l’atteinte osseuse est proportionnelle à la durée et au degré de carence hormonale [4]. Ainsi les patients avec déficits hypophysaires congénitaux, et ceux avec déficits hypophysaires multiples sont les plus atteints. Dans ce contexte, il est facile de comprendre que la qualité de la masse osseuse à l’entrée de l’âge adulte est étroitement liée à la qualité du traitement hormonal substitutif. Les études qui ont évalué le contenu minéral osseux chez les hommes adultes avec hypopituitarisme montrent que ces valeurs sont en moyenne inférieures de 9% pour les vertèbres et de 30 % pour les avant-bras par rapport au contenu minéral osseux des témoins du même âge et de la même taille [5]. Le taux de fractures chez les patients adultes, qui ont un traitement substitutif par hormones sexuelles mais qui n’ont plus de traitement GH, est en moyenne 3 fois supérieur par rapport à la population témoin du même âge [6]. Dans la série de 46 adolescents hypopituitaires de Baroncelli et coll dont la densité minérale osseuse a été évaluée à 16 ans pour les filles et 17 ans pour les garçons, 24 % avaient une densité minérale osseuse < -1DS et 20 % < -2DS par rapport aux normes pour l’âge [7]. L’évaluation du contenu minéral osseux doit faire partie de l’évaluation de tout patient hypopituitaire au début et à la fin de la puberté, qu’elle soit spontanée ou induite. Conclusion Longtemps préoccupés par la croissance et le pronostic de taille finale, les médecins mettaient au second plan la souffrance physique et psychique d’une puberté trop tardive et trop lente chez les patients avec hypopituitarisme. A cette période délicate de la vie de nos patients, la décision thérapeutique doit être personnalisée avec le souci d’induire la puberté aux âges et à la vitesse les plus physiologiques possibles. Nous devons évaluer l’efficacité du traitement par des critères cliniques qui sont la vitesse du développement des caractères sexuels secondaires (pilosité, seins, longueur de la verge, volume testiculaire) mais aussi la sexualité, la libido et le vécu psychologique. N’oublions pas les enjeux à long terme qui sont la fertilité et le capital osseux. Remerciement : Merci aux docteurs P. Bougnères, L. Duranteau et C. Bouvattier qui ont mis au point ces schémas thérapeutiques. Références 1. Buchter D et al, Eur J Endocrinol 1998 ; 139:298. 2. Han TS et al, Clin Endocrinol (Oxf) 2010 ; 72:731. 3. Bravenboer N et al, Bone 1996 ; 18:551. 4. Giustina A et al, Endocr Rev 2008 ; 29:535. 5. Kaufman JM et al, J Clin Endocrinol Metab 1992 ; 74:118. 6. Rosen T et al, Eur J Endocrinol 1997 ; 137:240. 7. Baroncelli GI et al, J Clin Endocrinol Metab 2002 ; 87:3624. Médecine Clinique endocrinologie & diabète • 9ème Journée d’Endocrinologie Sexuelle Alfred Jost, mars 2011 • Jost Anya.indd 11 11 10/03/11 09:04