Jeudi 7 novembre – Lycée Caraminot 17h Inauguration de l’esplanade « Ida Grinspan » 18h Concert à la salle Henri Brousse ARTISTES : Jacques BONVALLET, violon Cécile WIENER, violon Laurent JOUANNEAU, alto Thalie MICHALAKAKOS, violoncelle Il y a des concerts qui signifient bien au-delà de la musique qu'ils présentent à leur programme. Ou, plutôt, par ce programme, ouvre l'événement artistique à une dimension au-delà de l'écoute des œuvres telles quelles. Le concert donné ce 7 novembre prochain au Lycée Caraminot est de cet ordre. " Des hommes qui sont capables de pleurer en écoutant de la musique peuvent-ils être capables de commettre tant de cruautés sur le reste de l'humanité ? Il est des réalités auxquelles on ne peut croire. Et pourtant... " Simon Laks dans « Mélodies d’Auschwitz » Simon Laks, compositeur et violoniste professionnel, est devenu le chef d'un orchestre... celui de Birkenau-Auschwitz II. Il pose dans son récit une poignante interrogation sur le rôle de la musique dans l'infernale entreprise d'extermination. Comment cette " expression la plus sublime de l'âme humaine " a-t-elle activement précipité les prisonniers vers leur fin ? Un chapitre de l'histoire de la musique qu'aucun historien n'écrira jamais. Jouer dans une cérémonie liée à la mémoire d’Auschwitz, c’est aussi faire revivre la mémoire d’une musicienne de grand talent, violoniste d'exception, fondatrice et chef d'orchestre de l'Orchestre des femmes de Birkenau-Auschwitz, morte dans ce camp de concentration le 4 avril 1944. Elle s'appelait Alma Rosé. Capturée en France en l'hiver 1942, elle se trouva vite sur le train de non-retour pour Auschwitz. Avant d'être envoyée aux chambres à gaz, elle demanda à un responsable de sa baraque de pouvoir jouer une dernière fois du violon. La suite fut la création de l'Orchestre des femmes de BirkenauAuschwitz. La plupart de ces musiciennes ont survécu cet enfer indescriptible, jouant Mozart, Schubert et Strauss (Johann) sur horizon de fours crématoires. Une harmonie née au bord de la violence absolue. Une violence apprivoisée par la musique ? Des instruments instrumentalisés ? Quoiqu'il en soit, leur violon, leur violoncelle était leur ancre de miséricorde. Et la musique a été l'ultime paradoxe du microcosme concentrationnaire. L'orchestre fut le capital-de-survie, dernière trace sonore d'une humanité enfuie. CAMP DE TEREZIN Le camp de Terezin (nom tchèque) ou Theresienstadt (nom allemand), « camp-modèle » instauré par les Nazis, est formé du ghetto et d’une terrible forteresse-prison. Théâtre d'une vie culturelle intense, c’est l'antichambre dès octobre 1941 des camps d’extermination. En 1942, les occupants de la ville sont évacués. Y demeurent et y affluent les déportés essentiellement Juifs. « Les autorités nazies transfèrent l’administration du ghetto au Conseil des Anciens, organe dirigeant de l’administration Juive dont la marge de manœuvre est infime, pour se consacrer à l’organisation des « transports ». Les internés doivent travailler de 10 à 12 heures par jour dans des conditions de sousalimentation chronique » et d’absence d’hygiène, ce qui cause le développement des maladies et la mort de dizaines de milliers de déportés. Fin 1943, débutent les travaux d’embellissement destinés à tromper le Comité international de la Croix-Rouge dont une visite est prévue en 1944. Sur environ 140 000 déportés – dont 70 000 vieillards, plus de 10 000 enfants - à Terezin, plus de 80 000 sont transférés vers les camps d’extermination. Viktor Ullmann, Gideon Klein, Pavel Haas et Hans Krasa forment le quatuor des auteurs les plus prolifiques du ghetto de Terezin, l’art étant conçu comme activité créatrice et forme de résistance au nazisme. GIDEON KLEIN Musicien tchèque d'origine juive, Gideon Klein est né en 1919. Enfant prodige, pianiste extrêmement doué, musicien précoce, il révéla tout de suite une personnalité et des dispositions hors du commun malheureusement vite entravées par la persécution antisémite de l'occupant nazi. En tant que juif, Klein est empêché de se rendre à la « Royal Académie » de Londres pour étudier. Empêché de se produire sous son nom à consonance juive, sa carrière fut interrompue malgré l'usage d'un pseudonyme Karel Vranek : déporté dans le camp de concentration de Therensienstadt en décembre 1941, il participa activement à la vie culturelle du camp, composa de la musique de chambre et des transcriptions de chansons populaires, s'occupa d'enfants, organisa des concerts. En octobre 1944, neuf jours après avoir achevé son trio à cordes, il est déporté à Auschwitz. Il y travaille à la mine et meurt peu de temps avant la libération dans des circonstances restées inconnues peu avant la libération, en 1945. Quelque temps avant sa déportation, Gideon Klein a confié à un de ses amis une valise contenant les partitions de toutes ses œuvres. Cette valise ne sera découverte qu'au début des années 1990. Sa sœur Eliska Kleinova, qui a survécu, a préparé l'édition de ses œuvres. En 1994, elle a créé la Fondation Gideon Klein. VIKTOR ULLMANN Issus de familles juives, ses parents s'étaient convertis avant sa naissance à la religion catholique. Son père Maximilian a pu, en tant que juif converti, entreprendre une carrière d'officier. En 1929, il obtient son premier succès international avec une œuvre pour piano les « Schoenberg-Variationen ». Il découvre l’anthroposophie fondée par Rudolf Steiner (1861-1925). «L’anthroposophie est la « conscience de son humanité ", il s’agit d’éduquer sa volonté, de cultiver la connaissance, vivre le destin de son temps afin de donner à son âme une orientation de conscience, une sophia [ sagesse] », déclarait Steiner en 1923. Ullmann se passionne tant pour ce mouvement qu’il dirige de 1931 à 1933 une librairie à Stuttgart spécialisée dans ce genre d’ouvrages. En 1933, à l’arrivée des Nazis au pouvoir, il se réfugie à Prague. En mars 1939, les Nazis occupent la République tchèque. Malgré les restrictions et les persécutions, Ullmann poursuit sa création. « Sur la cinquantaine d’œuvres qu’il compose avant sa déportation à Theresienstadt en septembre 1942, seules 18 ont été conservées, … ». Son œuvre la plus connue est l’opéra « Der Kaiser von Atlantis » composé et créé en 1944 dans le camp de concentration de Therensienstadt, et qui est devenu l’ouvrage symbole de la destruction de plusieurs générations d’artistes juifs. Les auteurs de « L’Empereur de l’Atlantide », opéra emblématique de la création réalisée avant l'anéantissement concentrationnaire offre « une réflexion vertigineuse sur la finitude humaine ». Ils multiplient les identifications entre l’Empereur et Hitler. Ils stigmatisent l’oppression nazie, en élargissant leur propos à un message plus universel, humaniste, empreint d’humanisme, inspiré par les idées de Rudolf Steiner. Pressentant son départ imminent, Ullmann confie les manuscrits de ses œuvres à un autre prisonnier, Emil Utitz, le priant, s’il ne revenait pas, de les donner à HansGünther Adler, un ami pragois. Le 13 avril 2011, cet opéra a été représenté au Mémorial de la Shoah dans le cadre de La musique contre la Barbarie. Il est organisé par le Forum des Voix étouffées et le Cercle d'études historiques du Marais. PROGRAMME Franz SCHUBERT Trio en si bémol Majeur Allegro moderato Viktor ULLMANN String Quartet n°3 opus 46 (1943) 1. 2. 3. 4. Allegro moderato Presto (Scherzo and Trio) Largo (Recapitulation of opening) Rondo-Finale with Coda (Allegro vivace e ritmico) Cette musique hors du contexte tragique qui l’entoure est avant tout une musique, puissante, fascinante, témoin de son temps. Une sorte de stèle musicale. GIDEON KLEIN Duo pour violon et violoncelle (inachevé) - 1941 Sa musique frappe par une surprenante maturité et une exceptionnelle profondeur: pourtant quasiment autodidacte pour la composition, ses œuvres font preuve d'un aboutissement étonnant. Elles se limitent dans leur genre aux maigres moyens dont il avait la disposition au camp de Terezin: essentiellement vocal, musique de chambre. Son style se partage entre l'influence de la seconde école de Vienne, et celle de Janacek et de Dvorak. Deux chefs-d’œuvre, le trio à cordes (1944) et la fantaisie et fugue (1943) d'une maîtrise stylistique stupéfiante et d'une charge émotionnelle intenses. Dimitri CHOSTAKOVITCH 8ème quatuor opus 110 (1960) 1 2 3 4 5 Largo Allegro molto Allegretto Largo Largo L’œuvre est dédicacée aux victimes de la guerre et du fascisme. Dans ses mémoires cependant, il écrit à propos de la partition : « on la qualifia d'office de dénonciation du fascisme. Pour dire cela il faut être à la fois sourd et aveugle [...] j'y cite Lady Macbeth, la Première symphonie, la cinquième, qu'est-ce que le fascisme a à voir avec cela ? [...] dans ce même quatuor je reprends un thème juif du 2e trio...» Chostakovitch rajoute à propos de ce quatuor : « Je me suis dit qu’après ma mort personne sans doute ne composerait d’œuvre à ma mémoire. J’ai donc résolu d’en composer une moi-même… » L’histoire veut que ce quatuor, expressionniste et spectaculaire ait ete ecrit entre le 1 et 14 uillet 1960, sous l’impression (pour ne pas dire le choc) ressenti par Chostakovitch pendant sa visite de Dresde. Cette partition amere et violente a un caractere autobiographique et nous decrit bien l’atmosphere de l’epoque de la guerre froide Chostakovitch cite musicalement plusieurs de ces œuvres Lad acbeth, la premiere s mphonie, la eme. l fait entendre un chant russe a la memoire des victimes de la evolution... et reprend un theme iddish ( musique uive) qu’il a de a utilise dans son eme rio... Chostakovitch appartient lui-meme a l'histoire de l' qui a fait des artistes, comme des Juifs, des cibles de discriminations specifiques. arce qu'il se sentait opprime comme eux, mais aussi parce qu'il etait sensible a la richesse de leur patrimoine culturel, Chostakovitch a lie une partie de son œuvre au sort des Juifs d' ses œuvres d'inspiration uive sont revelatrices de son parcours a la fois comme compositeur et comme cito en russe. L’Œ V E en cinq mouvements Le largo (1er mouvement) debute sur la signature musicale du compositeur ( C ), hommage evident au C utilise par Jean-Sébastien Bach lui-même, l’expression est ici celle de la douleur. L’allegro suivant ( eme mouvement) forme une sorte de mouvement perpetuel confie au premier violon qui mene cette danse de fureur usqu’a un point culminant, mais qui ne s’essouffle que bien plus loin pour ne plus lancer que des lambeaux du theme cache, emprunte a la melodie uive utilisee comme dans le trio n . Les autres instruments ponctuent cet enonce du theme qui sonne comme des coups de poignard. L’allegretto qui s’enchaine est attaque en triple forte au premier violon et utilise le theme d’ouverture du 1er concerto pour violoncelle contemporain. Chostakovitch manie ici remarquablement bien l’ironie en superposant une mélodie o euse issue de sa signature musicale sur un accompagnement sombre de valse. Le tout est grin ant et Chostakovitch nous fait comprendre que l’enferment qu’il denonce dans ce quatuor est le sien lui-meme. Chostakovitch etait en effet en tant que compositeur officiel oblige de servir le regime de taline en fournissant des œuvres qui le commémore comme par exemple la célèbre s mphonie talingrad... Le deuxième largo qui suit, expression de l’horreur, est un chant funèbre, proposant une citation du Dies Irae (chant de la messe des morts depuis le Moyen-âge) ainsi qu’un air dechirant de l’opera acbeth, confie au violoncelle dans le registre aigu. Les paroles correspondantes dans l’opera parlent d’une cruelle captivite... Le dernier mouvement est encore un largo, qui cite de nouveau faiblement la signature du compositeur et retourne a l’atmosphere de douleur du premier mouvement, puis s’acheve morendo ( en faisant mourir le son) dans l’extrême grave.