La Première Guerre mondiale et ses conséquences en Europe

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> La Première Guerre
mondiale
et ses conséquences
en Europe
Séquence 13-HG11
341
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Chapitre 1
Chapitre 2
> La Grande Guerre 14-18, les événements
A
L’échec de la guerre de mouvement : 1914
B
La guerre de position ou l’enfer des tranchées : 1915-1916
C
1917, crises et renouveau
D
1918, le dénouement
E
Bilan de la guerre
...........................
> La Grande Guerre, une mobilisation générale
A
345
...........
351
......................................................................................................................................................
359
Des hommes et des armes : la mobilisation humaine
La vie quotidienne des Poilus
La révolte : les mutineries de 1917
B
La mobilisation des esprits
L’encadrement de l’opinion
La religion
C
La mobilisation économique et sociale
Devoir type n° 3
Faire un plan détaillé de composition
Sujet : En quoi la première Guerre mondiale a-t-elle ébranlé la puissance européenne ?
342
Sommaire séquence 13-HG11
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Chapitre 3
> La révolution russe
A
.................................................................................................
26
1917, l’année des révolutions
Un État désorganisé par la guerre
La révolution de février 17, essai d’une démocratie parlementaire
Lénine et le coup d’État bolchevick
B
La consolidation du communisme en Russie
Les premières mesures
Le communisme de guerre
Chapitre 4
> L’illusion d’un nouvel ordre international
A
........................
37
1919-1920 : la paix des vainqueurs
Des négociations difficiles
Des traités controversés
Une nouvelle Europe
B
L’espoir d’une sécurité collective
La Société des Nations
Premières contestations de l’ordre issu de la Grande Guerre
C
Les relations franco-allemandes de 1919 à 1931
1919-1924 : tensions franco-allemandes au sujet des réparations de guerre
L’esprit de Genève
Sommaire séquence 13-HG11
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La Grande Guerre 14-18,
les événements
Objectif de ce chapitre :
Vous sont rappelées les principales phases de la 1re Guerre Mondiale ; c’est une approche traditionnelle
et événementielle. Vous ne devez retenir que les phases principales, le détail des événements n’a que
peu d’intérêt. Il importe cependant que vous puissiez replacer tel ou tel document dans son contexte.
Ce chapitre pose le contexte du suivant.
Plan : traitement
de la problématique
Notions Clés
A L’échec de la guerre de mouvement : 1914
Etats-majors – Plan Schlieffen – Plan XVII – offensives –
« Course à la mer » – front
B La guerre de position ou l’enfer des tranchées : 1915 1916
Tranchées – fortifications – « Poilus » – armement – « stratégie de l’usure » – approvisionnement – Duplice – Entente
– blocus
C 1917, crises et renouveau
Chars – mutineries – désertions – grèves – permissions – pacifisme – consensus d’Union Sacrée – « gouvernements forts »
– neutralité – Congrès – Gouvernement Provisoire russe – Paix
immédiate – Bolcheviks
D 1918, le dénouement
Armistice – République – Révolution – Spartakistes – « Coup
de poignard dans le dos »
E Bilan de la guerre
Pertes humaines – infirmes – « gueules cassées » – déficit
des naissances – pertes financières – emprunts – dettes de
guerre – inflation – dépréciation des monnaies – évolution
de la condition féminine – détresse morale – « der des der »
– génocide des Arméniens
Séquence 13-HG11
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Tableau chronologique de la Grande Guerre
Fronts Francais et Italien
AOÛT
Invasion de la Belgique
L’Offensive allemande atteint Meaux
1
9
1
4
SEPTEMBRE
Joffre, par la bataille de la Marne repousse l’armée
allemande jusqu’à l’Aisne
Front Russe
Début AOÛT : petits succès russes
Front Balkanique
Les Serbes reprennent Belgrade
Fin AOÛT : Hindenburg et Ludendorff écrasent à
Tannenberg, puis aux lacs Mazures les armées
russes.
Mais le deuxième front subsiste
OCTOBRE
Bataille des Flandres. « Course à la mer ».
NOVEMBRE
Stabilisation du front
Fin de la guerre de mouvement et émergence de
la guerre de position
1
9
1
AVRIL
Entrée en guerre de l’Italie
Echec des offensives franco-anglaises en
Champagne et en Artois
Offensive victorieuse des Allemands de la Baltique
au Dniestr : recul considérable du front.
La guerre d’usure
Contre-offensive russe (Broussilov)
Mais
Echec car l’ « intendance » ne suit pas.
AOÛT
La Roumanie est avec les Alliés.
FÉVRIER
Révolution russe
Abdication du Tsar
Effondrement de l’armée Russe
JUIN
La Grèce aux côtés des alliés
OCTOBRE
Ecrasement de la Serbie.
Débarquement Franco-anglais à Salonique
5
1
9
1
6
FÉVRIER – DÉCEMBRE
L’offensive allemande contre Verdun échoue
JUIN
Bataille navale du Jutland
9
1
7
AVRIL
Entrée en guerre des Etats-Unis.
Echec de l’offensive française au chemin des
dames.
Mutineries dans l’armée française.
9
1
8
DÉCEMBRE
Armistice
Reprise de la Guerre de Mouvement
MARS
Traité de Brest-Litovsk (Allemagne – Russie)
JUILLET
Contre offensive victorieuse de Foch en
Champagne
SEPTEMBRE – OCTOBRE
Offensive victorieuse des alliés sur tous les
fronts
OCTOBRE
Les Italiens battent les Autrichiens à Vittorio
Vénéto.
6 NOVEMBRE
Abdication de Guillaume II, proclamation de la
République Allemande (9 novembre)
11 NOVEMBRE
Armistice
346
OCTOBRE
Deuxième Révolution russe
OCTOBRE
Défaite Italienne à Caporetto
MARS
Offensive allemande en Picardie.
Foch devient Général en chef des armées mais
l’offensive allemande de Champagne atteint
Château-Thierry
1
DÉCEMBRE
Ecrasement de la Roumanie
JUILLET – OCTOBRE
Offensive française sur la Somme
Extension de la guerre sous-marine.
1
Echec des alliés aux Dardanelles
La Bulgarie se joint aux empires centraux.
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SEPTEMBRE
Offensive des alliés en Bulgarie
Capitulation de la Bulgarie
3 NOVEMBRE
L’Autriche-Hongrie signe l’armistice
Rappel
C’est l’attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 qui mit le feu aux poudres ; l’Autriche déclarant la guerre à
la Serbie un mois plus tard. Par une application stricte et rigide des alliances, le conflit s’internationalise :
la Russie décrète la mobilisation générale le 30 juillet. Le 1er août, l’Allemagne fait de même et entre en
guerre le 3 août. Entre temps, la France, fidèle à ses engagements, a décrété la mobilisation générale.
L’Angleterre entre à son tour dans la guerre le 4 août. L’empressement des puissances européennes à
en découdre par les armes s’explique par l’illusion que la guerre sera courte. Chez les soldats, c’est la
résignation devant le devoir à accompli qui domine.
Les forces en présence
En août 1914, la France et l’Allemagne disposent d’un même nombre de soldats dans l’armée active et
peuvent rapidement en mobiliser un million d’autres. Le Royaume-Uni ignore la conscription et ne peut
donc fournir qu’un corps expéditionnaire modeste. Du côté russe, les troupes sont lentes à mobiliser
et mal équipées. L’armée française n’est pas prête même si elle dispose du canon « 75 » , très léger ;
elle manque de mitrailleuses et d’artillerie lourde. Surtout, les fantassins français, souvent sans casque
portent un pantalon rouge, cible immanquable pour les troupes adverses alors que les soldats des
empires centraux (Reich, empire austro-hongrois) sont déjà vêtus de gris.
Aussi importante que l’armement et les hommes fut la résolution des mobilisés et de leurs dirigeants :
l’Union Sacrée se met en place en France mais aussi en Allemagne. Partout l’on se croit agressé, partout
on adopte un réflexe de patriotisme défensif .
A
L’échec de la guerre de mouvement : 1914
Les états-majors pensent unanimement que la guerre sera brève, en conséquence ils adoptent un plan
offensif. Les Allemands reprennent le plan Schlieffen, établi en 1905, selon lequel l’armée française devait
être écrasée en moins de 6 semaines avant la mobilisation effective des Russes. De leur côté, les Français
dans le plan XVII envisageaient une offensive rapide en Lorraine et en Alsace. Malheureusement, le chef
d’état-major français, le général Joffre négligeait les risques d’invasion allemande par la Belgique.
Dès l’été 1914, les grandes offensives échouent sur le front ouest. La bataille de Lorraine engagée
le 19 août échoue à enfoncer les forces allemandes. Les Français prennent Mulhouse mais doivent
refluer et l’affaire se termine lamentablement par une sanglante défaite dans laquelle la responsabilité
du haut commandement français est évidente : le 22 août 27 000 fantassins se font faucher par les
mitrailleuses allemandes.
Le plan Schlieffen est mis en œuvre et semble réussir. Les troupes allemandes de von Moltke envahissent
la Belgique neutre puis déferlent sur le Nord de la France et se dirigent vers Paris, transformé en camp
retranché par le général Gallieni ; elles arrivent jusqu’à Senlis. Le gouvernement français est évacué à
Bordeaux le 2 septembre. L’effet de surprise a joué à plein. Gallieni réagit, et le 6 septembre démarre
une héroïque contre-offensive, ce fut la bataille de la Marne (6 – 13 septembre 1914). La garnison de
Paris, transportée notamment par des taxis réquisitionnés, oblige les Allemands à reculer au-delà d’une
ligne Verdun – Reims – Lille.
En octobre-novembre 1914, les adversaires cherchent à se déborder, c’est la « course à la mer » ; le
front se stabilise de la mer du Nord à la Suisse sur plus de 700 km, on y creuse les premières tranchées.
Fin 1914, les risques d’enlisement sont nets mais les empires centraux ont l’avantage de se battre en
territoire ennemi et d’occuper des régions industrielles importantes .
A l’Est, les Russes ont mené une spectaculaire offensive dès août 1914 mais subirent 2 graves revers, à
Tannenberg, les 26 et 27 août et aux lacs Mazures (décembre 1914). Les Russes, mal équipés, doivent
céder face aux des généraux allemands Hindenburg et Ludendorff.
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B
La guerre de position ou l’enfer des tranchées
1915-1916
Dans l’incapacité de vaincre sur le front occidental, les Allemands retournent leurs plans et attaquent la
Russie. De mai à septembre 1915, les Allemands et Austro-Hongrois reprennent la Galicie, s’emparent
de la Pologne russe, font reculer les Russes de plus de 500 km et mettent hors de combat 2 millions de
soldats. Toutefois, là encore, pas de victoires décisives sur ce front.
A l’Ouest, la guerre de position succède à la guerre de mouvement, prenant la forme d’une guerre de
tranchées. Sur 700 km de front (de la Mer du Nord à la Suisse), les 2 adversaires s’enterrent, bâtissant des
lignes de fortifications reliées entre elles par des boyaux, protégés de barbelés et de champs de mines.
La vie des « Poilus » devient particulièrement pénible. La tenue des soldats évolue, le casque métallique
s’impose partout (le casque à pointe allemand disparaît), les Français adoptent un uniforme moins
voyant de couleur bleu horizon, les Anglais choisissent le kaki, les Allemands le Feldgrau. Spectaculaire
est le perfectionnement des armes : mitrailleuses, gaz asphyxiants, lance-flammes, mortiers (dont le tir
courbe permet d’atteindre l’intérieur des tranchées adverses), grenades. En 1916, sont mis en service
les premiers tanks ; l’aviation, de reconnaissance, sert aux bombardements. Dans ces conditions, la
puissance des tranchées comme système de fortifications voue à l’échec toute tentative de percée.
Pourtant, les états majors persistent…
Les Alliés lancent des offensives en 1915, en Artois puis en Champagne. Irréalistes, mal préparées, elles
se concluent toutes par des échecs sanglants : l’armée française perd 349 000 hommes en 1915 contre
300 000 morts en 1914.
Du côté adverse, Falkenhayn (nouveau commandant en chef allemand) invente la « stratégie de l’usure ».
il ne s’agit plus de conquérir du terrain, Falkenhayn a pris acte de l’impossibilité de rompre le front
français, mais d’user l’adversaire jusqu’au moment où celui-ci ne sera plus en état de combattre, le
saigner à blanc. C’est sur cette base que fut engagée le 21 février 1916 la bataille de Verdun, une
bataille où les Français, obligés de se battre dans des conditions difficiles, subiraient de lourdes pertes.
Malgré un pilonnage extrême (8 millions d’obus en 2 mois !), les Français résistent. De février à juin
1916, les combats sont intenses. Pétain assure un approvisionnement régulier du front grâce au défilé
incessant des camions sur la « voie sacrée ». Le bilan, une fois de plus, est accablant : 240 000 morts
allemands, 275 000 pour l’Entente !
Dans la même logique, les Anglais et Français lancent la bataille de la Somme, de juillet à novembre
1916 : plus d’un million de morts et blessés de tout côté pour des gains territoriaux dérisoires…
1915 marque l’extension du conflit ; chaque camp s’assure de nouveaux alliés. Déjà en 1914, l’empire
ottoman, verrouillant les Détroits, était entré en guerre au côté de la Duplice ; la rejoint en 1915 la
Bulgarie. L’Entente se renforce de l’Italie en 1915 à laquelle les accords secrets de Londres (avril 1915)
promettent les « terres irrédentes », renfort de peu de poids car l’armée italienne n’était pas prête.
L’Angleterre et la France engagent leurs empires coloniaux, recrutant dans les colonies soldats et
travailleurs. Les théâtres d’opérations ne cessent de s’élargir : les fronts occidental, oriental, balkanique, moyen-oriental où les Anglais utilisent le nationalisme arabe contre les Turcs grâce à leur agent
Lawrence d’Arabie. On se bat également sur mer ; les Allemands se lancent dans la guerre sous-marine
en Atlantique Nord pour briser le blocus franco-anglais visant à asphyxier l’économie allemande. La
seule grande bataille navale de la guerre eut lieu en mai 1916, la bataille du Jutland opposant la flotte
britannique à la flotte allemande, indécise, elle eut comme résultat l’inaction de la Kriegsmarine.
Fin 1916, aucune issue n’apparaît.
C
1917, crises et renouveau
Dans toutes les armées, la guerre d’usure et les attaques meurtrières sont jugées inutiles. En France,
le général Joffre lance une seconde bataille de la Somme, convaincu que les Allemands ne tiendraient
pas. Son successeur Nivelle reprend la même tactique de la grande offensive. Le 16 avril 1917, une
grande offensive française est lancée sur le chemin des dames accompagnées de chars d’assaut. Rien
n’y fait, la défaite est terrible : 150 000 tués et blessés. Nivelle est relevé de son commandement. Les
Britanniques perdent 250 000 hommes (tués et blessés) à Passchendaele (Belgique) lors des offensives
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Séquence 13-HG11
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des Flandres sans résultats concrets. La lassitude et l’exaspération gagnent les soldats qui ne comprennent plus l’intérêt de telles offensives.
Les mutineries débutent dès avril 1917 dans l’armée française pour atteindre leur maximum en juin
et juillet. Les révoltés réclament la cessation des massacres. A Kiel, des mutineries éclatent également
dans les bases de la Kriegsmarine. En Italie, les désertions se multiplient. La population allemande
est lassée du blocus qui gêne considérablement l’approvisionnement ; l’hiver 1916-1917 est, dit-on,
l’« hiver des rutabagas ». Les grèves se multiplient, surtout en Russie, en Allemagne où l’on réclame
la paix. En France, les mutineries sont réprimées avec une relative modération. Fait d’une assez faible
minorité, elles témoignent néanmoins de la conscience d’être conduits par des généraux peu soucieux
de la vie et du bien être de leurs soldats. Le général Pétain, hâtivement appelé à la tête de l’armée
française, s’employa à rétablir le moral des troupes en améliorant les conditions de vie (permissions
plus longues) des soldats et en proscrivant les attaques inutiles. Il fait cependant juger les mutins et
procède à 49 exécutions… pour l’exemple !
La crise devient politique, le moral des populations est au plus bas en France et en Allemagne. En Italie,
c’est plus criant encore après le désastre de Caporetto face aux Austro-Hongrois en octobre 1917. Le
pacifisme étend son audience, le consensus d’Union Sacrée se brise un peu partout : en juillet 1917,
la majorité du Reichstag vote une motion réclamant une paix sans annexion ni indemnité ; en août le
pape Benoît XV lance un appel au compromis. En France, les socialistes quittent le gouvernement en
septembre 1917 sous la pression des pacifistes. Toutes ces initiatives étaient vouées à l’échec, aucune
des puissances belligérantes n’étant disposé à faire des concessions.
Pour surmonter les crises militaires, morales et politiques, on assiste à la mise en place de « gouvernements forts ». En Allemagne, la crise donne la réalité du pouvoir à l’état major, Hindenburg et son
adjoint Ludendorff établissent une véritable dictature réprimant opposants, limogeant le chancelier.
Dans les pays de l’Entente, c’est l’avènement d’hommes d’Etat énergiques qui, pour gagner la guerre,
mettent de côté libertés et principes démocratiques, ainsi Lloyd George en Grande Bretagne, Orlando en
Italie et Clemenceau en France. Clemenceau, seul maître de la conduite de la guerre, refuse d’informer
Parlement, conseil des ministres, président de la République et se lance dans la guerre à outrance jusqu’à
la victoire ; le « Tigre » arrête les pacifistes, renforce la censure et le « bourrage de crâne ».
La nouveauté, dans ce tableau sombre, vient d’Outre-Atlantique. 1917 est incontestablement une année
charnière dans l’histoire de la Grande Guerre. Le président américain Woodrow Wilson abandonne la
neutralité le 2 avril. En réalité, les Etats-Unis étaient déjà impliqués dans le conflit pour leurs fournitures
et leurs prêts mais ils désirent désormais combattre aux côtés de l’Entente car la liberté des mers est
menacée. En effet, début 1917, les Allemands s’étaient lancés dans une guerre sous-marine à outrance,
risquant une réaction américaine énergique. Le torpillage d’un cargo américain, la paralysie du commerce et la découverte d’intrigues allemandes au Mexique provoquent un revirement américain et le
2 avril Wilson obtient du Congrès l’entrée en guerre contre l’Allemagne. Dans un premier temps, les
conséquences militaires sont nulles, les Etats-Unis ne disposant que de 200 000 soldats mais ils mettent
au service de l’Entente la première puissance économique mondiale.
L’autre fait majeur est bien sûr l’effondrement de la Russie. En février, la Russie connaît une révolution
qui abat le tsarisme. Le Gouvernement Provisoire est incapable de mener la guerre étant donné l’état
de décomposition de l’armée et la désertion généralisée. Les Bolcheviks utilisent le mécontentement
populaire pour s’emparer du pouvoir par un coup d’Etat en octobre 1917. Ils respectent leur mot d’ordre
de « paix immédiate » et décident d’un armistice à Brest-Litovsk en décembre 17, armistice qui fut
transformé en paix définitive en mars 1918.
D
1918, le dénouement
La nouvelle donne internationale avec le retrait russe (La Russie perd la Finlande, la Pologne, les
pays Baltes, doit reconnaître l’indépendance de l’Ukraine) et la lenteur de la mobilisation américaine
risquait de placer les Alliés en situation périlleuse. Ce ne fut qu’à partir d’avril 1918 que des divisions
américaines combattirent, renversant le rapport de force en faveur des Alliés. Conscient de l’occasion,
l’état-major allemand cherche à profiter de sa passagère supériorité numérique en lançant plusieurs
offensives sur le front occidental. Entre mars et juillet 1918, l’Allemagne lance 4 grandes offensives sur
la Somme, en Flandre, au Chemin des Dames, en Champagne. Les victoires allemandes se suivent, la
Marne est à nouveau franchie en mai 17, Paris est bombardé par les avions allemands et par la Grosse
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Bertha, un canon à longue portée. Cependant, faute d’effectifs suffisants, les Allemands ne peuvent
exploiter leurs victoires.
L’arrivée des Américains permet un complet renversement de situation. A partir du 18 juillet 1918, Foch
conduit la contre-offensive franco-américaine. Après le 8 août, l’offensive alliée se déploie sur tous les
fronts (1 200 000 Américains participent à la contre-offensive alliée sous les ordres de Pershing) appuyée
par les chars (Renault) et l’aviation. Dès le 28 septembre, le général Ludendorff exige que l’armistice soit
demandé le plus rapidement possible ; les Alliés de l’Allemagne capitulent : le 30 septembre, la Bulgarie
signe l’armistice, les Turcs un mois plus tard, le 27 octobre. La situation de l’empire austro-hongrois est
compromise, les Italiens battant nettement les Autrichiens à Vittorio-Veneto le même jour : 27 octobre
1917. Le 3 novembre, l’empire austro-hongrois signe l’armistice, les Slaves révoltés font éclater le vieil
empire : la République est proclamée à Prague, Vienne, Budapest.
Vaincue militairement, privée d’alliés, l’Allemagne demande une paix début octobre. Guillaume II réclame
au président Wilson un accord de paix sur la base des 14 points. Le 9 novembre 1918, la Révolution
éclate dans Berlin affamé, la République est proclamée. Le socialiste EBERT devient chancelier tandis
que le Kaiser abdique. Des conseils ouvriers, formés à l’instigation de l’extrême gauche allemande,
les Spartakistes, préparent une seconde révolution sur le modèle bolchevik. Urgence est donc pour
l’Allemagne d’accepter les conditions alliées. L’armistice est signé à Rethondes le 11 novembre 1918.
La Grande Guerre s’achève… L’armée allemande parle d’un « coup de poignard dans le dos », incapable de poursuivre le combat, elle rentre en Allemagne pour lutter contre la révolution spartakiste
qui pointe à l’horizon.
E
Bilan de la guerre
Les pertes humaines énormes sont la 1re manifestation du coût monstrueux de la Grande Guerre, c’est
le conflit le plus meurtrier connu jusqu’à cette date : 9 millions de militaires dont 1 400 000 français,
1 700 000 russes, 2 millions d’allemands, 1 million d’austro-hongrois, 800 000 anglais, 500 000 italiens… ; 17 millions de blessés dont 6 500 000 d’infirmes. Ce sont les « gueules cassées », mutilés ou
gazés. Tout aussi grave, le déficit des naissances, désastre démographique pour les pays européens,
estimé à 1 million de personnes en France, 1 300 000 en Italie et 3 500 000 en Allemagne.
Les destructions matérielles sont très importantes sur les zones de combat : Italie du Nord et surtout
un grand quart nord-est de la France : sols labourés d’obus, hectares (3 millions en France) perdus pour
l’agriculture, immeubles détruits (400 000), routes inutilisables. Les mines du Nord ont été inondées
par les Allemands lors de leur retraite.
Les pertes financières ne sont pas moindres. La guerre fut financée à coup d’emprunts intérieurs ou
internationaux. En décembre 1918, les dettes de guerre entre pays vainqueurs sont considérables. La
dépréciation des monnaies, la forte inflation provoquée par l’accroissement de la masse de papier-monnaie en circulation contribuent à fragiliser plus encore les économies européennes. L’Europe s’efface
derrière les Etats-Unis : 1re puissance économique et financière, détentrice de la moitié du stock d’or
mondial.
Les sociétés européennes sont bouleversées par la Grande Guerre. Les fantassins fauchés par les obus
de part et d’autre étaient pour la plupart des paysans, leurs officiers subalternes appartenaient aux
élites intellectuelles : instituteurs, professeurs, élèves de grandes écoles.
L’inflation a rongé l’épargne des classes moyennes rentières qui se sont appauvries ; les salariés ont
vu leur pouvoir d’achat baisser et le chômage s’installe en 1919 consécutif à la difficile reconversion
des économies de guerre.
Plus connue, l’évolution de la condition féminine. Les hommes absents, au front, elles ont pu accéder
à des postes autrefois réservés aux hommes ; leur part dans la population active s’accroît momentanément mais elles rentrent massivement dans « leur » foyer après guerre. Cependant en Allemagne et
en Angleterre, elles obtiennent le droit de vote.
La Grande Guerre laisse derrière elle une profonde détresse morale, le pessimisme succède à l’optimisme
scientiste chez les anciens combattants. Tous espéraient que ce fut la « der des der »… La focalisation
du regard européen sur les conflits armés ne saurait faire oublier, que déjà, se produisit en 1915 le
génocide des populations civiles arméniennes par les Turcs faisant 1 500 000 de victimes.
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La Grande Guerre,
une mobilisation générale
Problématique :
En quoi peut-on dire que la Grande Guerre fut une guerre totale ?
Plan : traitement
de la problématique
Notions clés
Repères
Introduction
Guerre totale – fronts économique et politique
A Des hommes et des armes : la mobilisation
humaine
Opinion publique – Mobilisation
Analyser deux témoignages contradictoires sur un
même événement
« Enfer sur terre » - traumatisme
Prendre connaissance de témoignages d’anonymes
et de document littéraires
désespoir – désobéissance – originalité française
– Pétain
Confronter deux documents sur un même événement
La vie quotidienne des Poilus
La révolte : les mutineries de 1917
B La mobilisation des esprits
L’encadrement de l’opinion
Censure – propagande – black out – presse – affiche
– bourrage de crâne – pacifisme
Commenter une affiche de propagande
La religion
Renouveau religieux – Culte de la Vierge – détournement de la religion
Etudier une prière et un pastiche de prière.
C La mobilisation économique et sociale
Armer – ravitailler – financer – gains de productivité
– dirigisme économique – munitionnettes – travail
obligatoire – blocus – pénurie – rationnement
– impôt – emprunt – inflation.
Conclusion
Militarisation des consciences – mentalité ancien
combattant – propagande « viol des foules » – phénomène de masse – totalitarismes
Quand on parle de la Grande Guerre, on insiste, à juste titre, sur la nature particulière de ce conflit.
Une nouvelle forme de guerre s’impose : la guerre totale, mondiale, transformant complètement la vie
des nations c’est-à-dire de leur population, leur gouvernement, leur économie… La durée surprenante
du conflit, imprévue, a imposé des adaptations : les sociétés ont été réorganisées en fonction de la
guerre, l’économie également a été mobilisée ainsi que toute une classe d’âge.
La nouveauté est là : la défaite ou la victoire se joue non seulement sur les champs de bataille mais
aussi sur les fronts économique et politique.
La plus frappante de ces mobilisations, c’est la levée des soldats, celle des hommes.
A
Des hommes et des armes :
la mobilisation humaine
La guerre de 1914 est tout sauf une surprise, on peut même dire que les opinions publiques y étaient
préparées sentant l’inéluctabilité du conflit. La surprise réside d’abord dans sa durée et sa nature : une
guerre de position, une guerre de tranchées.
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Document 1
La mobilisation vue par un instituteur du Dauphiné
« Dans ce petit village, l’ordre de mobilisation a été une profonde surprise. A ce moment, la fenaison se
poursuit avec activité. Les journaux ne sont pas lus, faute de temps.
Le 31 juillet cependant, l’ordre de tenir les chevaux prêts pour la réquisition commence à émouvoir l’opinion ;
mais personne ne croit à l’imminence de la guerre.
Aussi les cloches annonçant la mobilisation causent-elles une sorte d’effarement chez tout le monde. Chacun
cesse le travail, atterré. Aucune manifestation bruyante dans le village : ni enthousiasme, ni récrimination ;
plutôt un profond étonnement. »
Lettre de l’instituteur de Malleval en septembre 1914.
Document 2
La déclaration de guerre vue par un paysan français
« Le maître nous crie :
– Allez dire à Achille qu’il sonne le trompette, à Cagé de prendre son tambour. Vous, les gars, sonnez le
tocsin.
Alors, moi et Albert Bardet qui a été tué à la guerre, on a sonné le tocsin. Le monde, ils ont laissé leurs
faucheuses ; les charretiers ont ramené leurs chevaux. Tout ça arrivait à bride abattue. Tout ça s’en venait
de la terre. Tout le monde arrivait devant la mairie. Un attroupement. Ils avaient tout laissé. En pleine moisson, tout est resté là. Des centaines de gens devant la mairie. Pommeret sonnait le clairon. Cagé battait la
Générale. On voyait que les hommes étaient prêts.
– Et toi, quand donc tu pars ?
– Je pars le deuxième jour.
– Moi le troisième jour.
– Moi, le vingt-cinquième jour.
– Oh, t’iras jamais. On sera revenu.
Le lendemain, le samedi, Achille se promenait avec son clairon :
– Tous ceux qui ont de bons godillots, de bons brodequins, faut les prendre. Ils vous seront payés quinze
francs.
Tu aurais vu les gars. C’était quasiment une fête, cette musique-là. C’était la Revanche. On avait la haine
des Allemands. Ils étaient venus à Saint-Loup en 70 et ils avaient mis ma mère sur leurs genoux quand elle
avait deux, trois ans. Dans l’ensemble, le monde a pris la guerre comme un plaisir ».
Ephraïm Grenadou, cité dans Alain Prévost, Grenadou, vie d’un paysan français,
Éditions du Seuil, 1966, coll. Points Histoire, 1978.
Questions
Réponses
352
Séquence 13-HG11
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Listez
les points communs entre les deux documents sur les modalités concrètes de la
mobilisation.
Comment la mobilisation est-elle vécue selon les auteurs ?
Que pouvez-vous en déduire quant à la valeur de ces témoignages ?
Dans les deux documents sont évoqués le tocsin pour avertir la population de la mobilisation : «
Ainsi, les cloches annonçant la mobilisation » (doc. 1) et « Vous les gars, sonnez le tocsin » (doc. 2)
ainsi que la réquisition des chevaux (en plus des hommes, cela va de soi) : « L’ordre de tenir prêts les
chevaux pour la réquisition » (doc. 1) et « les charretiers ont ramené leurs chevaux » (doc. 2).
Selon le 1er document, la mobilisation est inattendue « une profonde surprise » et elle se fait dans
un climat d’incrédulité, d’« effarement », « ni enthousiasme, ni récrimination ; plutôt un profond
étonnement ». Au contraire, d’après le second document, la mobilisation se serait faite dans un
atmosphère de « fête », de patriotisme revanchard voire de nationalisme xénophobe : « C’était la
Revanche. On avait la haine des Allemands ». Cette mobilisation est tout sauf une surprise : « On
voyait que les hommes étaient prêts ».
Le moins que l’on puisse dire est que ces deux témoignages sont contradictoires ; il nous faut donc
rester critique sur la valeur de ces témoignages. Pour autant, ces différences s’expliquent. L’instituteur
de Malleval parle d’une population paysanne peu informée, repliée sur sa communauté villageoise
car occupée par ses travaux agricoles. Grenadou vient d’une autre région, il a gardé le souvenir
de la guerre de 70 ; il témoigne d’une frange de l’opinion sensible au nationalisme revanchard
véhiculé notamment à l’école.
La plupart des soldats sont jeunes et vont brusquement être déracinés de leur milieu social, ce sont
surtout des paysans, affectif (familial), géographique (ainsi, l’incompréhension de Bretons ne voyant
pas la nécessité de se battre pour une province lointaine…). La dégradation des conditions de vie des
Poilus est directement liée à l’enlisement dans les tranchées au début de 1915. N’oubliez jamais qu’un
soldat, un fantassin de 14 – 18 c’est avant tout un civil ayant revêtu l’uniforme.
La vie quotidienne des Poilus
Les Poilus vécurent l’horreur, l’« enfer sur terre » ; pour toute une génération, la guerre causa un
traumatisme majeur.
Les Poilus durent affronter à la fois :
– des conditions atmosphériques pénibles : la boue, le froid, la pluie.
Document 3
La boue
« On meurt de la boue comme des balles, et plus horriblement. La boue où s’enlise l’homme et – ce qui
est pire – l’âme. Mais où sont-ils tous ces « chieurs » d’articles héroïques quand il y a de la boue comme
ça ! La boue recouvre les galons. Il n’y a plus que de pauvres êtres qui souffrent. Tiens, regarde, il y a des
veines rouges sur cette flaque de boue. C’est le sang d’un blessé. L’enfer n’est pas du feu. Ce ne serait pas
le comble de la souffrance. L’enfer, c’est la boue ! »
« Le bochofage », 26 mars 1917, dans Les combattants des tranchées, S. Audouin-Rouzeau, Armand Colin, 1986.
– le manque d’hygiène : les rats, les poux, la saleté.
– la mort : cadavres déchiquetés par les obus, les gaz…
.
Document 4
Les gaz
« Avec la vague, la mort nous a enveloppés, elle a imprégné nos vêtements et nos couvertures, elle a tué
autour de nous tout ce qui vivait, tout ce qui respirait. Les petits oiseaux sont tombés dans les boyaux, les
chats et les chiens, nos compagnons d’infortune se sont étendus à nos pieds et ne se sont plus réveillés. Nous
avions tout vu : les mines, les obus, les lacrymogènes, les bouleversement des bois, les noirs déchirements
des mines tombant par quatre, les blessures les plus affreuses et les avalanches de fer les plus meurtrières,
mais tout cela n’est pas comparable à ce brouillard qui, pendant des heures longues comme des siècles, a
voilé à nos yeux, l’éclat du soleil, la lumière du jour, la blanche pureté de la neige. »
« Le filon », 20 mars 1917, dans Les combattants des tranchées.
– la peur et le bruit infernal
– l’attente qui sape le moral succédant à l’attaque
Séquence 13-HG11
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Document 5
L’attaque
« Le talus, de tous côtés, s’est couvert d’hommes qui se mettent à dévaler en même temps que nous. Nous
traversons nos fils de fer par les passages. On se reforme de l’autre côté du réseau, puis on se met à dégringoler la pente […]. Brusquement, devant nous, sur toute la largeur de la descente, de sombres flammes
s’élancent en frappant l’air de détonations épouvantables. En ligne, de gauche à droite, des fusants sortent
du ciel, des explosifs sortent de la terre. C’est un effroyable rideau qui nous sépare du monde, nous sépare
du passé et de l’avenir […]. On passe. On est passé, au hasard : j’ai vu, çà et là, des formes tournoyer,
s’enlever et se coucher d’un brusque reflet d’au-delà. […] Je me rappelle avoir enjambé un cadavre qui
brûlait, tout noir, avec une nappe de sang vermeil qui grésillait sur lui, et je me souviens aussi que les pans
de la capote qui se déplaçait près de moi avaient pris feu et laissaient un sillon de fumée. »
Henri Barbusse, Le feu, 1916.
Éditions Flammarion, 1989
– les frustrations sexuelles (l’absence des femmes)
La révolte : les mutineries de 1917
Le sentiment d’être conduit par des généraux sans qualité, l’exaspération face à des conditions de vie
lamentables, le désespoir conduisit un certain nombre de poilus à la désobéissance, ce qu’on appela
les mutineries. Ce phénomène fut général dans les armées européennes. L’originalité française résida
en la modération de la répression, 49 exécutions seulement : Pétain comprit le malaise de ses troupes
et sa gestion intelligente de la crise lui donna une extraordinaire popularité. Il promet de renoncer aux
offensives meurtrières mal préparées, améliore la vie quotidienne des Poilus en assouplissant notamment
le régime des permissions, en assurant mieux le ravitaillement de ses troupes.
Document 6
La révolte
« Un soir, un caporal chanta des paroles de révolte contre la triste vie des tranchées, de plainte et d’adieu
pour les êtres chers qu’on ne reverrait peut-être plus, de colère contre les responsables de cette guerre
infâme et les riches embusqués qui laissaient se battre ceux qui n’avaient rien à défendre.
Au refrain, des centaines de bouches reprenaient en chœur et, à la fin, des applaudissements frénétiques
éclataient auxquels se mêlaient les cris de « Paix ou Révolution ! A bas la guerre ! » etc., « Permission !
Permission ». Un soir, patriotes voilez-vous la face, L’Internationale retentit, éclata en tempête. Cette fois
nos chefs s’émurent (…). La patrouille ayant jugé prudent de battre en retraite, notre capitaine – adjudant
– major vient lui-même escorté par tout le poste de police. Il essaya de parler avec modération, mais dès
les premiers mots, des huées formidables l’arrêtèrent. Bavant de rage, mais impuissant, il s’en prit aux
malheureux sergents de jour qui avaient imprudemment rendu compte qu’il ne manquait personne » et les
obligea à faire un contre-appel rigoureux.
Louis Barthas, Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier.
© François Maspéro, 1978.
Document 7
La lassitude des soldats
Du 152e régiment d’infanterie, 25 mai 1917 :
« Ca ne va plus, nous devions attaquer ce soir, mais les déserteurs sont trop nombreux et on ne sait s’ils se
dirigent chez nous ou chez les Boches qu’ils pourraient renseigner sur les opérations que nous devons faire
[…]. Au 152e, une compagnie s’est débinée et d’autres régiments qui sont avec nous ont mis les voiles.
Comme ça, la guerre finira, car ce n’est pas rigolo, d’aller faire une attaque sur le plateau de Craonne. Ce
n’est plus une guerre, c’est un massacre complet. Je te dirai qu’en ce moment, tous les combattants en ont
marre de l’existence. Il y en a beaucoup qui désertent.
Cité par G. Pedroncini, Les mutineries de l’armée française.
Éditions Gallimard, 1968.
« Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés. Sauf autorisation, toute utilisation de celui-ci
autre que la consultation individuelle et privée est interdite. » www.gallimard.fr
354
Séquence 13-HG11
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Questions
Quelles
sont les formes de la révolte ?
Quelles
sont les raisons de la révolte ?
Quel
Réponses
courant politique inspire les révoltés ? Prouvez-le !
Dans le 1er document, la contestation reste symbolique : « chanta des paroles de révolte » ; dans le
2nd c’est plus radical, les soldats désertent : « Il y en a beaucoup qui désertent ».
Dans
le 1er document, les soldats se rebellent par lassitude devant le spectacle d’une mort omniprésente : « pour les êtres chers qu’on ne reverrait peut-être plus », ils dénoncent les profiteurs de
guerre : « contre les responsables de cette guerre infâme et les riches embusqués » ; ils attendent
une amélioration de leurs conditions de vie : « Permission ». Dans le 2nd, ce sont essentiellement les
attaques meurtrières qui sont dénoncées : « Ce n’est pas rigolo d’aller faire une attaque… Ce n’est
plus une guerre, c’est un massacre complet ».
B
Les soldats (du 1er document) sont inspirés par les courants socialistes ; un certain anti-capitalisme
affleure dans la dénonciation des profiteurs de guerre ; surtout ils se réfèrent au chant ouvrier révolutionnaire par excellence : « L’Internationale ». Pour le 2nd, nous n’avons pas de précisions.
La mobilisation des esprits
Il fallait créer une opinion unanime, ne doutant pas de la justesse de sa cause, mobiliser mentalement
pour vaincre et anéantir le doute, la critique, la remise en cause. Cette croyance était perçue comme
une évidence, quelques soient les Etats en guerre, démocraties comme Etats autoritaires.
L’encadrement de l’opinion
L’essentiel des opinions publiques adhère au pouvoir en place, on le remarque déjà avant guerre par des
manifestations, des pressions bellicistes sur les gouvernements et surtout par l’assistance enthousiaste
aux revues militaires.
Pour former l’opinion, 2 outils sont principalement utilisés : la censure et la propagande.
La censure établit un silence complet ou black-out sur les opérations militaires et filtre les informations
pour maintenir le moral. La censure est particulièrement vigilante sur les lettres des Poilus envoyées à
leur famille. Aucune critique ne doit transparaître ; il faut taire les mauvaises nouvelles.
Les Etats développent une propagande officielle, à l’époque elle n’utilise que 2 supports principaux :
la presse et l’affiche.
➟ Voir document 8 page suivante.
Cette propagande prend souvent des formes outrancières, c’est le « bourrage de crâne », de la pure
intoxication. On pouvait lire dans la presse populaire française, mais le même constat vaut pour l’Allemagne, des jugements cinglants sur la lâcheté des Allemands, le peu d’efficacité de leur artillerie, la
rareté du danger où les éclats d’obus ne font que des bleus…, la nourriture du soldat allemand réduite
à de la paille, l’odeur pestilentielle des cadavres « boches » tandis que ceux des Français sentaient
l’eau de rose.
Il importe dès lors de se demander si ces efforts de censure ou de propagande ont réussi à créer une
opinion convaincue de la victoire, rassemblée par la haine de l’ennemi. Très sincèrement, on peut en
douter. Prenons l’exemple anglais, la conscription n’avait pas été mise en place au début de la guerre et
dès 1916 les engagements de volontaires se tarissent au point de la rendre nécessaire. Autre démenti,
le développement du pacifisme, surtout chez les socialistes, bien que ceux-ci restent minoritaires. Ils se
réunissent secrètement en Suisse à Zimmerwald en septembre 1915 où ils réclament une paix blanche
(sans annexion) et à Kienthal l’année suivante.
Séquence 13-HG11
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Document 8
”Daddy, what did YOU do in the Great War?”
« Papa, qu’as tu fait pendant la Grande Guerre ? », Affiche britannique de 1914.
The Stapleton Collection / © Bridgeman Giraudon
Bref commentaire de cette affiche
Cette affiche met en scène une famille de la « middle class » britannique, un homme en costume a le
regard perdu droit devant lui ; sur ses genoux, sa fille qui le regarde, au 1er plan, son garçon qui joue
au soldat de plomb. C’est une scène de vie ordinaire, d’un petit intérieur confortable.
L’affiche joue sur le sentiment de culpabilité. La guerre vient de débuter (l’affiche date de 1914) et le
gouvernement britannique a besoin de volontaires (la conscription n’est pas encore instaurée).
La religion
Malgré le clergé ou parfois avec son accord, la religion est mobilisée. Comme dans toutes les périodes
de crise, on assiste à un renouveau religieux. La guerre synonyme de mort installe une culture morbide ;
356
Séquence 13-HG11
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les habits de deuil se multiplient. Le christianisme, par la perspective d’un au-delà qu’il propose console.
On s’en remet aux saints protecteurs qu’on vénérait autrefois, à la Vierge.
Document 9
Prière pour le cher Absent, 1916
Notre Dame, ô Vierge Marie,
Protège notre cher Absent
Qui pour défendre la Patrie
Nous a quitté si bravement.
Quand il combat plein de vaillance
De ton bras tout puissant, ô Mère,
Chasse la balle meurtrière
Quand il sommeille dans la nuit
Montre-lui l’étoile qui luit,
Comme un doux rayon d’espérance.
Garde-le brave et courageux
Et qu’il revienne victorieux. »
Parfois, on assiste même à un détournement de la religion où ce sont les chefs de guerre ; ici Joffre, qui
sont héroïsés. Ainsi, ce pastiche du Notre Père :
Document 10
Notre Joffre,
Qui êtes au feu,
Que votre nom soit glorifié, que votre victoire arrive,
Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel ;
Donnez leur aujourd’hui votre « pain » quotidien ;
Redonnez-nous l’offensive, comme vous l’avez donnée à ceux qui les ont enfoncés ;
Ne nous laissez pas succomber à la teutonisation, mais
Délivrez-nous des Boches ! Ainsi soit-il.
« Le Radical de Marseille », 1914
C
La mobilisation économique et sociale
Elle se résume en 3 maîtres mots : armer, ravitailler, financer.
L’Etat devait régler un problème économique majeur : organiser une économie de guerre c’est-à-dire
adapter la production et la distribution aux besoins et contraintes d’une guerre longue. Les Etats prennent en main leur économie.
La mobilisation est industrielle, il faut répondre aux besoins d’armement et d’équipements. Des gains de
productivité s’imposent. Le taylorisme, la parcellisation des tâches se généralisent, la concentration des
entreprises s’accélèrent. Les cadences deviennent infernales. Si la France de 1914 produisait 4 000 obus
par jour, elle en produira 150 000 en 1916 !
Les conséquences en sont considérables : à l’ancien libéralisme économique se surimposent les directives
de l’Etat. En Allemagne, dès 1914, on crée un office des matières premières… L’Etat contrôle progressivement les grands secteurs économiques ; il impose sa mainmise sur le commerce extérieur, choisit ses
fabricants, organise le recrutement de la main d’œuvre, fixe les prix et les salaires. Toute l’industrie est
mobilisée pour produire les armes qu’exige l’Etat et les armements en quantité suffisante. La France,
sur ce point, subit le lourd handicap de l’occupation du Nord et de l’Est, cœur industriel de la France.
L’industrie a besoin de main d’œuvre or les hommes sont au front. Il faut donc trouver de nouveaux
travailleurs ; c’est pourquoi on fait appel massivement aux femmes, ce furent les « munitionnettes »
Séquence 13-HG11
357
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dans les usines d’armement ; on recourt à la main d’œuvre étrangère voire même à celle des colonies,
aux prisonniers, quand ce ne sont pas les enfants. L’Allemagne ne pouvait guère y avoir recours aussi
décrète-t-elle le travail obligatoire .
La Grande Guerre fut économique dans un double sens. L’économie a été mobilisée pour faire la guerre
(ce qu’on vient de voir) mais aussi, l’économie est devenue un enjeu, un but de guerre. Détruire l’économie adverse fut un élément clé de la stratégie de l’Entente. C’est toute la politique de blocus contre
l’Allemagne à partir de 1915 dont l’objectif avoué était d’asphyxier l’économie allemande et ainsi de
faire céder le pays. Dans ces conditions, la question du ravitaillement est devenue essentielle dans la
conduite de la guerre sans quoi le moral des soldats comme de la population en général risquait de
défaillir. Or la pénurie s’installe en Allemagne et même en France, le manque de main d’œuvre n’est
pas surmonté. En conséquence, les Etats ont à gérer cette pénurie et mettent en place des mesures de
rationnement très strictes. Les cartes alimentaires apparaissent en Allemagne ; en 1915 le sous-préfet
de Valenciennes en France rappelle la ration maximale de pain et de viande autorisée par personne
et par jour et en appelle par économie à ce qu’on ne pèle plus les pommes de terres… En 1917 c’est
autour du sucre d’être rationné.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, tout aussi crucial, le financement de la guerre. La guerre coûte
cher. La facture se monte à 140 milliards de francs-or pour la France soit 28 années de budget ! On perçoit
assez vite l’impasse financière dans laquelle se sont engagées les autorités françaises. Si en Allemagne
et en Grande Bretagne on recourut préférentiellement à l’impôt, en France on finança l’effort de guerre
à coup d’emprunts. Nombreuses sont les affiches, appelant à l’épargne des Français pour l’effort de
guerre : « Pour la France, versez votre or », « on les aura, Souscrivez », « Souscrivez… vous aiderez
nos héroïques soldats ». Autre solution facile, l’émission de papier-monnaie par les banques centrales
avec un risque mécanique implacable qui s’est cruellement vérifié par la suite : l’augmentation de la
masse monétaire génère de l’inflation. Les prix ont augmenté de 80 % en 1917.
La Grande Guerre eut des répercussions considérables par sa mobilisation tous azimuts : elle provoqua
une militarisation des consciences, développa la mentalité « ancien combattant » et le goût immodéré
des uniformes. Surtout, par son habitude de la propagande, « ce viol des foules », elle créa une méthode
de mise en condition des esprits particulièrement bien adaptée aux phénomènes de masse, ce dont se
souviendront les totalitarismes nazi, fasciste ou communiste.
358
Séquence 13-HG11
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evoir type n° 3
Faire un plan détaillé de composition
Sujet : En quoi la Première Guerre Mondiale a-t-elle ébranlé la puissance
européenne ?
Consignes
– L’introduction et la conclusion doivent être totalement rédigées
– Pour chaque grande partie vous donnerez un titre (qui rappellera le thème que vous développerez
dans cette partie), au-dessous vous énumérez les idées et exemples qui en feront le contenu.
Quelques rappels
de base
Une introduction doit toujours comporter :
– une phrase d’accroche ou d’entrée en matière
– le rappel du sujet et de sa problématique
– une délimitation spatiale et chronologique du sujet
– l’annonce du plan
La conclusion doit comporter 2 éléments :
– un bilan (bref rappel des principaux enseignements que vous retirez de votre développement).
– un élargissement (sous forme de question, mais cela n’a rien d’obligatoire).
Attention
Ici, l’on vous demande un plan détaillé. Ultérieurement, voir DEVOIR TYPE N° 4, tout, absolument tout,
devra être rédigé. Une composition complètement rédigée ne comporte aucun titre.
Séquence 13-HG11
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orrigé
Introduction
Au 19e siècle, l’Europe est le « centre du monde » ; c’est elle qui domine et organise l’espace mondial
(révolutions industrielles, aventure coloniale). A partir des années 1880 – 1890, l’Europe est balayée
par un nationalisme de plus en plus radical ; celui-ci débouche sur une course effrénée aux armements
et sur la Grande Guerre de 1914 à 1918. C’est un conflit d’un type nouveau, une guerre totale et particulièrement meurtrière [Contexte du sujet]. En novembre 1918, quand l’armistice est signé, l’Europe
a perdu sa position hégémonique [limitation chronologique du sujet à l’immédiat après-guerre] aussi
convient-il de se demander en quoi la 1re Guerre Mondiale a ébranlé la puissance européenne [annonce
du sujet et/ou de sa problématique]. L’Europe a été saignée à blanc, la guerre a été pour elle un désastre
économique et financier, son leadership moral est de plus en plus contesté [annonce du plan].
Première Partie
Une Europe saignée à blanc
– des pertes considérables, entre 9 et 10 millions de morts dont 2 millions pour l’Allemagne, 1,5 pour
l’Autriche, 1,4 pour la France, 900 000 pour le Royaume-Uni, 750 000 pour l’Italie, 1,7 pour la Russie…
à quoi l’on doit ajouter le génocide des Arméniens.
– des pertes énormes par rapport aux Etats-Unis : 150 000 seulement
– de nombreux invalides et des bras qui manquent pour reconstruire (5 millions en Allemagne ; 2 millions en Autriche ; 4 millions en France) et qui deviennent une charge pour la société ; pensez aux
« gueules cassées » d’Otto Dix.
– la disparition des élites (écrivains : Charles Péguy, Guillaume Apollinaire …) Proportionnellement, plus
d’officiers sont morts que de fantassins, ils étaient recrutés dans les professions libérales. Egalement,
disparition des forces productives, on pense là aux paysans…
– l’angoisse du déclin démographique (apparition des classes creuses qui se traduira dans les années 30
en France par une baisse de la natalité ; déséquilibre du nombre homme – femme ; développement
d’une culture du deuil : multiplication des monuments aux morts, le 11 novembre devenu fête
nationale, tombeau du Soldat Inconnu, les veuves sont très nombreuses ; appel aux immigrés pour
combler le manque de main-d’œuvre).
Deuxième partie
Un désastre économique et financier
– une chute de la production industrielle (perte d’1/3 en Allemagne et en France).
– un endettement considérable : les Etats Unis devenus les créanciers de l’Europe (3 milliards de dollars
dus par la France aux Etats-Unis en 1919, la dette française se monte à 220 milliards de francs).
– une épargne engloutie par la guerre (emprunt, inflation : les prix ont été multipliés par 3 en France
de 1914 à 1918).
– les monnaies se sont dévalorisées par l’émission trop importante de papier-monnaie.
– l’émergence de puissances concurrentes : Etats-Unis et Japon (Les Etats-Unis, puissance économique, industrielle, agricole, financière… la 1/2 du stock d’or mondial ! New York devient la 1re place
financière mondiale au détriment de Londres).
– des destructions considérables mais concentrées (Nord-Est de la France notamment… pensez à l’inondation des mines du Nord) ; les flottes marchandes française et britannique en partie détruites.
– des pénuries qui persistent (disettes, cartes alimentaires…), le niveau de vie chute, les impôts augmentent…
– une dépendance économique qui s’affirme. L’Europe devient importatrice de produits agricoles.
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Troisième partie
Une exemplarité morale contestée
– science mise au service de la guerre (perfectionnement des techniques d’armement, pensez aux
gaz…) Cf. Paul Valéry en 1924 : « il a fallu beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper
tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps ».
– perte de prestige de la civilisation européenne (remise en cause du scientisme, de la croyance au
progrès).
– guerre, expérience barbare et traumatisante (cadavres, morts, désolation…).
– atteinte au prestige européen dans les colonies et volonté d’émancipation (dans l’Empire des Indes
notamment…), les 14 points de Wilson servent de point d’appui à la contestation comme le principe
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
– continent divisé où les désaccords perdurent : qui paye ? Opposition entre l’idéalisme américain et
la politique de réparations exigée par les Français…
– apprentissage de la démagogie : propagande (affiches, presse…), censure, désinformation…
– montée de la contestation idéologique antidémocratique (bolchevisme… et anti-bolchevisme nationaliste).
– césure mal vécue entre les anciens combattants et les « profiteurs de guerre » avec le développement
d’un certain pacifisme.
Conclusion
La Grande Guerre apparaît comme une guerre civile européenne, un suicide des nations européennes
qui n’ont pas hésité à sacrifier leurs jeunesses, à saccager leurs économies, quitte à se ruiner, et même
à se discréditer moralement.
La puissance européenne ressort fortement ébranlée de la 1re Guerre mondiale ; de nouveaux rivaux se
sont affirmés, surtout les Etats-Unis, devenus principale puissance économique et financière mondiale.
L’Europe est en 1919 plus divisée que jamais, la « paix des vainqueurs » entretient les rancœurs, la
guerre n‘a rien réglé [Bilan]. Mais est-ce là le principal ébranlement ? On peut en douter. Elle a instillé
le goût de la violence, la remise en cause de la démocratie. Plus que la puissance européenne, ce sont
ses valeurs qui ont été ébranlées et déjà pointent les totalitarismes… [Elargissement]
Séquence 13-HG11
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La Révolution russe
Problématique :
Comment expliquer qu’une révolution communiste ait pu s’installer et durer dans un
Etat paysan et archaïque ?
PLAN – traitement
de la problématique
Notions Clés
Repères
« colosse aux pieds d’argile » - russification - « faim
de terres » – douma – autocratie –
Lire un tableau des différentes forces politiques en
Russie à la veille de la Révolution
La Révolution de février 1917, essai de démocratie parlementaire
calendriers julien et grégorien – gouvernement
provisoire – soviet – socialistes révolutionnaires
– mencheviks – KD – bolcheviks
Analyser une déclaration – programme (du gouvernement provisoire)
thèses d’Avril – nationalisation – dictature du prolétariat – Gardes Rouges – Révolution d’Octobre
Voir et comprendre un tableau (art et propagande)
Analyse de documents fondamentaux : « les thèses
d’Avril »
« La dictature du prolétariat »
A 1917, l’année des révolutions
Un Etat désorganisé par la guerre
Lénine et le coup d’Etat bolchevik
B La consolidation du communisme en Russie
Les 1res mesures
Conseil des Commissaires du peuple – Lénine –
Trotski – Staline – Décrets d’Octobre (sur la paix, la
terre, les nationalités, le contrôle ouvrier) – allogènes – autochtones – autodétermination – « guerre
révolutionnaire » – paix de Brest-Litovsk
Analyse de documents fondamentaux : « les décrets
d’Octobre »
Le communisme de guerre de 1917 à 1921
Dictature – Tcheka – délation – camps de travail
– assemblée Constituante- parti unique – parti communiste – Armée Rouge – commissaire politique
– guerre civile – « terreur » rouge – réquisitions
– famine – Spartakistes – Komintern.
Lire et comprendre une carte historique : « la citadelle assiégée »
Analyser d’un texte sur le fonctionnement du
Komintern.
Vue d’Europe occidentale, la chute du tsarisme en 1917 ne surprend pas vraiment ; le régime tsariste
autocratique paraissait archaïque. On s’attendait à l’avènement d’un régime parlementaire, or, à la
surprise générale, ce sont des révolutionnaires communistes qui finissent par contrôler l’Etat instituant
un régime de parti unique. La nouveauté est radicale, jusque-là, le « socialisme » (à comprendre dans sa
version marxiste uniquement) n’était qu’une espérance. La révolution russe, faite au nom du prolétariat
repose sur une énorme contradiction, en effet la Russie était alors un pays massivement agricole avec
un monde ouvrier urbain extrêmement minoritaire.
Lénine, en parlant de la Grande Guerre disait qu’alors le tsar a « fait son plus cadeau à la Révolution »,
la prise de pouvoir par les révolutionnaires modérés puis bolcheviques ne s’explique que par un contexte
historique exceptionnel.
362
Séquence 13-HG11
© Cned – Académie en ligne
A
1917, l’année des révolutions
Avant de voir successivement la révolution de février et ensuite celle d’Octobre, voyons la situation de
départ : que contestaient les futurs révolutionnaires ? Pourquoi en est-on arrivé là ?
Un Etat désorganisé par la guerre
En août 1914, les apparences sont trompeuses. Au moment de l’entrée en guerre, la Russie apparaît
comme une grande puissance. L’empire du tsar Nicolas II compte environ 170 millions d’habitants, c’est
la 5e puissance économique mondiale. Pourtant, les revers militaires accumulés lézardent ce bel édifice ;
la Russie est en fait « un colosse aux pieds d’argile ».
Les causes de fragilité sont nombreuses :
– La russification des minorités est de plus en plus mal supportée. Cela concerne essentiellement
les Finlandais, les Baltes et surtout les Polonais à qui l’on impose le russe comme langue. Cette politique entretient le nationalisme des minorités et est un ferment d’éclatement territorial de l’empire.
– L’industrialisation progresse certes, mais de manière bien limitée. Elle est dépendante des
capitaux extérieurs, notamment français. Elle ne concerne que quelques points urbains du territoire
comme les grandes villes de Moscou ou Petrograd ou quelques zones comme l’Ukraine ou l’Oural,
riches en ressources naturelles. La Russie ne compte alors que 3 millions d’ouvriers !
– La cohésion de la société russe est précaire. Le monde paysan (80 % des Russes) est en plein
accroissement démographique et se heurte au manque de terres, « la faim de terres » génère des
révoltes. Les paysans convoitent de plus en plus les grands domaines seigneuriaux ou de l’Etat. Le
monde ouvrier, bien qu’infime en nombre est à la pointe du combat social et politique ; il est présent
lors des grèves, il porte les idées révolutionnaires et conteste ses conditions de vie et de travail aliénantes : longues journées de travail, salaires dérisoires…
– La révolution de 1905 avait, même si elle fut un échec, obligé le tsar à accepter la création d’une
Douma ou assemblée mais le tsar ne lui a laissé aucun pouvoir ; et justement, cette pratique solitaire
et autoritaire du pouvoir qu’est l’autocratie est de plus en plus contestée. Seule la guerre pouvait
réellement l’affaiblir. Dans les cercles du pouvoir, certains conseillers du tsar s’en inquiètent…
La guerre va précipiter la décomposition sociale et politique de la Russie. L’Empire est même menacé
d’éclatement. Les Allemands occupent les territoires occidentaux où ils réveillent les sentiments nationalistes. Au départ, pourtant, le 30 juillet 1914, quand Nicolas II lance l’ordre de mobilisation générale
la Russie est unie ; là aussi, c’est l’Union Sacrée ; on rebaptise Saint-Pétersbourg du nom de Petrograd,
le nom précédent ayant une consonance un peu trop germanique. Très vite, dès août 1915, Nicolas II
s’investit dans le commandement militaire et les revers accumulés montrent crûment son incompétence,
ce qui précipite la désagrégation du pouvoir impérial.
L’opposition au tsarisme reprend de plus belle…
Séquence 13-HG11
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Document 1
Les partis d’opposition à la veille de la Révolution
Courant libéral
Courant révolutionnaire
Principaux
partis
Constitutionnel-démocrate
(KD)
Socialiste-révolutionnaire
(SR)
Principale
audience
Bourgeoisie
Paysannerie
Programme
principal
Réformes politiques (établissement d’un véritable régime
parlementaire, comme en
Occident)
Réforme agraire
(confiscation des
grandes propriétés et
partage gratuit des
terres)
Révolution sociale, selon les théories de Marx
(collectivisation des moyens de production et
d’échanges)
Tactique
Opposition parlementaire à la
Douma
Action dans les campagnes. Assassinats
terroristes
Alliance provisoire
avec les libéraux
Principal
leader
Milioukov
Kerenski
Socialiste-démocrate
(SD)
Menchevik (minoritaire)
Socialiste- démocrate
(SD)
Bolchevik
(majoritaire)
Prolétariat ouvrier
Martov
Révolution instaurant
la dictature du prolétariat
Lénine
Les Constitutionnels-démocrates animés par Milioukov sont partisans de l’Union Sacrée, la plupart des
socialistes veulent la continuation de la guerre malgré le tsarisme, tandis que seuls, Lénine et quelques
bolcheviks en appellent à une attitude défaitiste.
La guerre désorganise complètement l’économie, le pouvoir impérial ne prend aucune mesure pour
redresser le pays. Les soldats là aussi sacrifiés dans des offensives inutiles, sont mal équipés, affamés ;
les transports sont désorganisés, les réquisitions pour l’armée asphyxient les échanges. Les villes sont
mal approvisionnées, les usines, faute de matière première ne peuvent plus fonctionner et mettent leurs
ouvriers au chômage. Et, spontanément, se créent des associations et comités qui prennent en main
l’approvisionnement de la population, des ouvriers, des soldats. De véritables pouvoirs parallèles se
constituent. L’inflation rogne le pouvoir d’achat déjà maigre des populations, les grèves se multiplient ;
on y réclame du pain, la paix et la fin de l’autocratie.
La révolution de Février 1917,
un essai de démocratie parlementaire
La révolution de février est un mouvement spontané provoqué par la misère, elle se déroule du 23 au
27 février 1917.
Attention
Les dates jusqu’en février 1918 vous seront données selon l’ancien calendrier russe, le calendrier julien ;
le nôtre a une avance d’une quinzaine de jours, cela correspond aux 8 au 12 mars 1917).
A Petrograd, le 23 février 1917, à l’occasion de la journée internationale des femmes, les ouvrières du
textile organisent une manifestation. Des ouvriers métallurgistes se mettent en grève et les rejoignent. La
foule ne réclame que du pain. Dans les jours qui suivent, le mouvement de grève s’étend et se politise ; les
manifestants brandissent des drapeaux rouges et crient : « A bas la guerre ! », « A bas l’autocratie ! ».
Le tsar ordonne aux troupes de mettre fin au désordre mais les soldats qui, dans un premier temps, ont
tiré sur la foule finissent par fraterniser avec les émeutiers. Le tsar a perdu toute autorité.
Le vide politique laissé par le tsar est rapidement comblé. Alors qu’un régiment rebelle marche vers
le Palais d’Hiver, le 27 février se créent 2 pouvoirs concurrents. L’un tient sa légitimité de la Douma
(assemblée ayant peu de pouvoirs, créée après l’échec de la Révolution de 1905) et prend le nom de
Gouvernement Provisoire. Il est dirigé par le prince Lvov et est composé d’une majorité de libéraux KD,
un seul socialiste y participe : Alexandre Kerenski. Simultanément est mis en place un SOVIET ou comité
d’ouvriers et de soldats à Petrograd, animé par des dirigeants révolutionnaires SR et Mencheviks.
Le 2 mars, le tsar Nicolas II abdique (en fait, en faveur de son frère Michel, qui décline l’offre dès le
lendemain) ; la Russie semble donc évoluer vers une République parlementaire.
364
Séquence 13-HG11
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La dualité des pouvoirs (gouvernement provisoire d’un côté, soviet de l’autre) équivaut en réalité à une
absence de pouvoir : le gouvernement provisoire n’a pas la confiance de la population de Petrograd,
le soviet n’a pas d’autorité, sauf sur l’armée qu’il place sous son autorité. L’administration finit de se
décomposer et les soviets se créent un peu partout qui se fédèrent pour contrôler le gouvernement
provisoire.
Les gouvernements provisoires s’usent rapidement car ils ne prennent pas assez en compte les aspirations populaires : partage des terres, signature d’une pays immédiate. Quelques mesures ont bien été
adoptées : libertés d’opinion, de presse, de réunion, journée de 8 heures, affirmation du droit syndical
mais ce n’est pas une réponse aux problèmes immédiats.
Document 2
La première déclaration du gouvernement provisoire
« Un grand événement a eu lieu. Par la puissance impulsion du peuple russe, l’ancien régime a été renversé.
Une Russie libre et nouvelle est née […]. Lorsque la Russie, à cause de l’action illégale et fatale de ses
gouvernants, s’est trouvée confrontée avec les désastres les plus graves, la nation a été obligée de prendre
le pouvoir entre ses propres mains. […]
Le gouvernement croit que l’esprit de profond patriotisme manifesté durant la lutte contre l’ancien régime
inspirera nos vaillants soldats sur les champs de bataille. Pour sa part, il fera tout pour pourvoir l’armée du
nécessaire pour mener la guerre jusqu’à sa fin victorieuse. Le gouvernement considérera comme sacrées les
alliances qui nous lient aux autres puissances […]. Le gouvernement […] convoquera l’Assemblée constituante le plus rapidement possible sur la base du suffrage universel, direct, égal et secret […]. L’Assemblée
constituante promulguera les lois fondamentales qui garantissent aux pays des droits inaliénables à la
justice, à la liberté, à l’égalité. »
Marc Ferro, La Révolution russe de 1917,
Aubier, 1967.
Questions
Réponses
Comment le gouvernement provisoire légitime-t-il l’insurrection de février ?
Que promet-il à la France et à la Grande Bretagne ? En quoi s’aliène-t-il le soutien populaire ?
Montrez qu’il pense être démocratique.
En
raison de « l’action illégale et fatale de ses gouvernants », on peut doublement le comprendre
par la conduite de la guerre par le tsar lui-même ou ses proches, surtout le gouvernement provisoire se
réfère au fait d’avoir ordonné aux troupes de tirer sur les manifestants de février.
Le gouvernement provisoire promet de respecter ses alliances « sacrées les alliances qui nous lient
aux autres puissances » donc de continuer la guerre alors que le pays est épuisé, que les désertions se
multiplient, que les pénuries se généralisent. La population attend avant tout la fin de la guerre.
Le Gouvernement Provisoire se pense comme démocratique car il veut respecter le processus électoral
« convoquera l’Assemblée constituante le plus rapidement possible sur la base du suffrage universel,
direct, égal et secret » et se réfère aux valeurs fondamentales des démocraties libérales à l’occidentale :
« à la justice, à la liberté, à l’égalité ».
Le gouvernement provisoire souhaite la continuation de la guerre à l’inverse du soviet (le gouvernement
provisoire entend respecter la parole de l’Etat, il y a va de sa crédibilité internationale). En avril 1917, le
soviet contraint Milioukov, ministre des Affaires Etrangères du gouvernement provisoire à démissionner
pour sa politique belliciste, les Socialistes Révolutionnaires et les Mencheviks entrent alors au gouvernement. En juin 17, Kerenski devient président du gouvernement provisoire mais il poursuit la même
politique belliciste s’aliénant la confiance populaire que seuls les Bolcheviks possèdent désormais.
Séquence 13-HG11
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Lénine et le coup d’Etat bolchevik
Document 3
Vladimir Serov, « Lénine proclame le pouvoir des Soviets », 1963 .
© Akg-images / RIA Nowosti.
Questions
Réponses
Quel est le style artistique du tableau ?
Décrivez Lénine, le personnage et son attitude
Décrivez plus généralement la scène.
C’est un tableau hyper-réaliste.
Lénine est au centre du tableau. C’est un petit homme, chauve, avec un « bouc ». Il est en train de
discourir une main tendue vers l’avant pour convaincre son auditoire, l’autre tenant une feuille, peutêtre des notes qu’il ne lit même pas.
Ce tableau représente une réunion générale « panrusse » des soviets, donc de révolutionnaires. De
nombreux drapeaux (rouges) sont repérables ; beaucoup sont armés. Cette scène date d’octobre 1917
au moment de la constitution du gouvernement bolchevique présidé par Lénine.
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Séquence 13-HG11
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Lénine, leader bolchevik, de retour d’exil en avril 1917 expose ses idées dans les thèses d’avril 1917 :
Document 4
Les thèses d’avril (extraits)
« Ce qu’il y a d’original dans la situation actuelle en Russie, c’est la transition de la première étape de la
révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie […], à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir
au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie […].
Aucun soutien au gouvernement provisoire ; démontrer le caractère mensonger de ses promesses, notamment
de celles qui concernent la renonciation aux annexions […].
Expliquer aux masses que les soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement
révolutionnaire […].
Tant que nous sommes en minorité, nous nous appliquons à critiquer et à expliquer les erreurs commises,
tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux soviets des députés ouvriers, afin que les
masses s’affranchissent de leurs erreurs par l’expérience […].
Non pas une république parlementaire – y retourner après les soviets des députés ouvriers serait un pas
en arrière – mais une république des soviets de députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans le pays
tout entier, de la base au sommet […].
Nationalisation de toutes les terres dans le pays et leur mise à la disposition des soviets locaux de députés
des salariés agricoles et des paysans […].
Formation de soviets de députés des paysans pauvres […].
Créer une Internationale révolutionnaire, une Internationale contre les social-chauvins.
Lénine, Les Tâches du prolétariat dans la révolution, avril 1917.
Questions
Réponses
Qu’espère Lénine ?
Quelle tactique politique retient-il pour conquérir les masses ?
Quel type de régime politique entend-il instaurer ?
En quoi répond-il bien aux aspirations populaires ?
Que révèle la dernière mesure ?
Lénine espère une seconde révolution : « transition de la 1re étape – la Révolution bourgeoise - …
à sa deuxième étape – la Révolution prolétarienne »
Lénine retient comme tactique politique le dénigrement systématique du gouvernement provisoire :
« Aucun soutien au gouvernement provisoire » ; « critiquer et expliquer les erreurs commises »
Lénine refuse « une république parlementaire » pour « une république des soviets… de la base
au sommet » ; son idéal politique n’est donc pas encore celui d’un parti qui dicte à la population ce
qu’elle doit faire et penser.
Lénine déjà se montre très concret et pragmatique . Il sait que la faim de terres chez les paysans est
une obsession aussi propose-t-il la « Nationalisation de toutes les terres dans le pays et leur mise à la
disposition des soviets locaux de députés des salariés agricoles et des paysans ».
La création d’une Internationale révèle la volonté d’exporter la Révolution au-delà de la Russie ;
les Bolcheviks espèrent que la Révolution se déclenchera dans de nombreux autres pays européens,
notamment en Allemagne.
Lénine convainc les Bolcheviks de ne pas soutenir le gouvernement provisoire, son mot d’ordre : « Tous
les pouvoirs aux soviets » ; il faut refuser la guerre, nationaliser les terres, les banques, les usines.
Lénine définit son idéologie : la dictature du prolétariat (c’est un emprunt à Marx).
Séquence 13-HG11
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Document 5
« Organiser la dictature du prolétariat »
« La société capitaliste, considérée dans ses conditions de développement les plus favorables, nous offre
une démocratie plus ou moins complète. Mais cette démocratie […] reste toujours, quant au fond, une
démocratie pour la minorité, uniquement pour les classes possédantes, uniquement pour les riches. La liberté,
en société capitaliste, reste toujours à peu près ce qu’elle fut dans les républiques de la Grèce antique : une
liberté pour les propriétaires d’esclaves. […]
La dictature du prolétariat, c’est-à-dire l’organisation de l’avant-garde des opprimés en classe dominante
pour mater les oppresseurs, ne peut se borner à un simple élargissement de la démocratie. En même temps
qu’un élargissement considérable de la démocratie, devenue pour la première fois démocratie pour les
pauvres, démocratie pour le peuple et non pour les riches, la dictature du prolétariat apporte une série de
restrictions à la liberté pour les oppresseurs, les exploitants, les capitalistes. Ceux-là, nous devons les mater
afin de libérer l’humanité de l’esclavage salarié ; il faut briser leur résistance par la force ; et il est évident
que, là où il y a répression, il a violence, il n’y a pas de liberté, il n’y a pas de démocratie. […] Démocratie
pour l’immense majorité du peuple et, pour les exploiteurs, les oppresseurs du peuple, exclusion de la
démocratie. […]
C’est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée,
que les capitalistes ont disparu et qu’il n’y a plus de classes, […] c’est alors seulement que l’Etat cesse
d’exister et qu’il devient possible de parler de liberté. Alors seulement deviendra possible et sera appliquée
une démocratie vraiment complète, vraiment sans aucune exception».
Lénine, L’Etat et la Révolution, rédigé en août-septembre 1917, publié en brochure en 1918
Questions
Réponses
Quelles critiques émet Lénine contre la société capitaliste ?
Comment définit-il la dictature du prolétariat ?
Montrez qu’il reprend l’idée de lutte des classes définie par Marx
Qu’accepte-t-il comme moyens pour instaurer son pouvoir ?
Quel est son but politique ? Est-ce réalisable à court terme ? Qu’en déduisez-vous ?
Selon Lénine, la société capitaliste offre des droits et libertés plus formels que réels c’est-à-dire qu’ils
sont affirmés, garantis par les lois mais rarement ou incomplètement appliqués : « une démocratie
plus ou moins incomplète » ; ces droits en société capitaliste sont vains quand on ne dispose pas du
minimum nécessaire pour vivre libre : « une liberté pour les propriétaires d’esclaves ».
« La dictature du prolétariat, c’est-à-dire l’avant-garde des opprimés en classe dominante pour mater
les oppresseurs ». Il faut comprendre la prise du pouvoir par les prolétaires ou leurs représentants :
« avant-garde des opprimés », les Bolcheviks au détriment des « oppresseurs » : les bourgeois ou la
classe possédante.
Lénine
reprend l’idée de lutte des classes de Marx ; pour lui l’intérêt du travailleur et du capitaliste
sont incompatibles ; l’un exploite l’autre : « libérer l’humanité de l’esclavage salarié ».
Lénine accepte d’emblée un régime politique dictatorial : « série de restrictions à la liberté pour les
oppresseurs… là où il y a de la répression, il y a de la violence, il n’y a pas de liberté, il n’y a pas de
démocratie ». C’est selon lui une étape nécessaire.
Lénine souhaite réaliser : « la société communiste »… où « les capitalistes auront disparu et qu’il n’y
a plus de classes ». C’est le portrait d’une société idéale, fantasmatique, irréalisable à court ou moyen
terme. C’est une utopie, une religion politique.
En avril 17, les Bolcheviks ne sont encore qu’un groupuscule d’agitateurs mais leur audience s’accroît
avec leur slogan : « la paix, le pain et la terre ». Déjà, les paysans spontanément entament un mouvement de confiscation des terres aux grands propriétaires nobles.
Le 2 juillet 1917, croyant le moment venu, les Bolcheviks déclenchent une insurrection à Petrograd, c’est
un échec. Les dirigeants bolcheviks sont arrêtés par le gouvernement provisoire et Lénine s’exile en
Finlande. C’est sur sa droite que le gouvernement provisoire est débordé ; le chef de l’armée, le général
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Séquence 13-HG11
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Kornilov tente un coup d’Etat qui échoue de justesse grâce à l’intervention du soviet de Petrograd. Le
gouvernement provisoire de Kerenski est complètement déconsidéré. Sa fin semble proche.
Pour Lénine, le moment est venu. « La crise est mûre ». La décomposition de l’Etat est totale. Les paysans
confisquent les terres, les patrons sont séquestrés dans les usines, les soldats désertent massivement.
La situation est plus qu’insurrectionnelle, elle redevient révolutionnaire.
Revenu d’exil le 23 octobre, Lénine obtient du parti bolchevique le vote en faveur de l’insurrection qui
est fixée à la nuit du 24 au 25 octobre 1917.
Le soviet de Petrograd avait constitué un Comité Militaire Révolutionnaire dirigé par Trotski, composé
de quelques milliers d’hommes, ouvriers, soldats, marins encadrés par des Gardes Rouges. Ils occupent
les points stratégiques de Petrograd.
Kerenski s’enfuit dans une voiture de l’ambassade des Etats-Unis, le Palais d’Hiver est pris où s’était
réfugié le reste du gouvernement provisoire. Le soviet approuve alors la formation d’un gouvernement
uniquement bolchevique dirigé par Lénine.
Ce coup d’Etat réussi, c’est la « Révolution d’octobre ». Son succès doit plus à la faiblesse de l’adversaire
qu’à la minutie de sa réparation. En Russie, en octobre 1917, le pouvoir était à prendre.
Maintenant, voyons comment s’installe ce nouveau régime insolite, inédit.
B
La consolidation du communisme en Russie
Les premières mesures
Aussitôt formé, le 26 octobre, le gouvernement bolchevique prend le nom de Conseil des Commissaires
du peuple. Il est présidé par Lénine, Trotski est aux Affaires Etrangères et Staline aux Nationalités. Ce
nouveau pouvoir ne commet pas l’erreur fatale du gouvernement provisoire et comprend qu’il faut
répondre au plus vite aux aspirations populaires, aussi Lénine promulgue les décrets d’Octobre.
Document 6
Les décrets d’Octobre
Décret sur la paix
Le gouvernement ouvrier et paysan créé par la révolution des 24 et 25 octobre et s’appuyant sur les soviets
des députés ouvriers, soldats et paysans, propose à tous les peuples belligérants et à leurs gouvernements
d’entamer des pourparlers immédiats en vue d’une paix juste et démocratique.
La paix juste et démocratique, dont a soif l’écrasante majorité des classes ouvrières et laborieuses, épuisées,
harassées, martyrisées par la guerre, dans tous les pays belligérants – la paix qu’exigent de la façon la plus
résolue et la plus instante les ouvriers et les paysans russes depuis le renversement de la monarchie tsariste
– cette paix, le gouvernement estime qu’elle ne peut être qu’une paix immédiate, sans annexions (c’est-àdire sans mainmise sur les terres étrangères, sans rattachement par la force de nationalités étrangères) et
sans contributions de guerre. (…)
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
Par annexions ou conquêtes de terres étrangères, le gouvernement entend, conformément à la conscience du
droit qu’ont les démocraties en général et les classes laborieuses en particulier, tout rattachement à un Etat
grand ou puissant d’une nationalité petite ou faible, si l’accord et le désir de cette nationalité n’ont pas été
exprimée avec précision, avec clarté et de plein gré, indépendamment de l’époque où ce rattachement par
la force a été réalisé, indépendamment aussi du degré de développement ou de l’état arriéré de la nation
rattachée par la force ou maintenue par la force dans les frontières d’un Etat donné. Indépendamment,
enfin, du fait que cette nation se trouve en Europe ou dans de lointains pays d’outre-mer.
Séquence 13-HG11
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Décret sur la terre
La propriété des propriétaires fonciers sur la terre est abolie immédiatement sans indemnité.
Les domaines des propriétaires fonciers, ainsi que les terres des apanages, des monastères et de l’Eglise,
avec tout leur cheptel mort et vif, toutes leurs constructions et dépendances, sont mis à la dispositions
des comités agraires de cantons et des soviets des députés des paysans de district jusqu’à l’Assemblée
constituante ».
Izvestia du Comité exécutif central, N° 208 et 209, octobre 1917
Questions
Que proposent ces décrets ?
Réponses
Le décret sur la paix du 26 octobre incite les pays en guerre à entamer des négociations. Il satisfait le
désir des soldats de cesser les combats.
Le décret sur les nationalités, du 2 novembre, accorde aux peuples autochtones ou allogènes le droit
d’autodétermination. En fait, c’est une déclaration d’intention, on veut gagner ces populations à la
révolution bolchevique plus que leur accorder l’indépendance. Il y a là une grande ambiguïté.
Le décret sur la terre du 26 octobre abolit la grande propriété privée et confie les terres aux comités
locaux de paysans. La plupart des Bolcheviks y sont opposés mais Lénine, toujours pragmatique réplique :
« Nous ne pouvons faire abstraction de la volonté des masses, même si nous sommes en désaccord
avec elles ». En effet, la petite propriété demeure.
Enfin, il reste un décret important que n’évoque pas le document 6 : le décret sur le contrôle ouvrier
du 27 octobre qui confie le contrôle des usines à des comités de travailleurs.
On pourrait encore ajouter à ces 4 grands décrets, une autre réforme fondamentale : la séparation des
Eglises et de l’Etat.
Les décrets d’Octobre flatte l’opinion mais il reste encore un dossier épineux et essentiel pour que les
Bolcheviks soient crédibles aux yeux de la population russe : faire la paix. A ce sujet, les Bolcheviks
se divisent. Trotski souhaite une guerre révolutionnaire c’est-à-dire la continuation de la guerre pour
propager la Révolution à l’Allemagne.
Lénine, voulant avant tout préserver le pouvoir bolchevique menacé par l’avancée des Allemands en
territoire russe, oblige les Bolcheviks à signer la paix de Brest-Litovsk le 3 mars 1918. Elle impose de très
lourds sacrifices à la Russie. Lénine, réaliste, déclara : « il faut céder de l’espace pour gagner du temps ».
La Russie perd 800 000 km2 : la Finlande, les pays Baltes, la Pologne orientale, la Moldavie…
L’euphorie de la Révolution est brève pour les Bolcheviks et pour les Russes qui y ont cru ; les ennemis de
la Révolution bolchevique s’organisent militairement. Le bolchevisme, de plus, commence à se dévoiler
comme pratique politique dictatoriale.
Le communisme de guerre
Le communisme de guerre désigne la forme de pouvoir exercée par les Bolcheviks de 1917 à 1921, il
revêt 3 aspects : politique, militaire et économique.
Politique
Cela correspond à la naissance de la dictature bolchevique. C’est à la fois l’application de la doctrine
communiste de la dictature du prolétariat et le produit d’un contexte historique exceptionnel : sauver
à tout prix la révolution.
La Tcheka est crée en décembre 1917 sous la direction de Félix Dzerjinski. La Tcheka est une police
politique chargée de traquer les opposants et fonctionnant sur la délation. Les opposants sont « jugés »
sommairement et exécutés sans passage devant un tribunal. Ainsi, le 16 juillet 1918, le tsar et toute sa
famille sont exécutés sans jugement à Iekaterinbourg. La Tcheka complète son dispositif répressif en
mettant en place les premiers camps de travail avec pour objectif « l’extermination de la bourgeoisie »,
« des ennemis de classes ». Ces camps de travail sont promis à un grand avenir. La peine de mort qui
avait été abolie en octobre 17 est pratiquement aussitôt rétablie. La liberté de la presse est supprimée,
les emprisonnements se généralisent…
370
Séquence 13-HG11
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C’est aussi l’achèvement du coup d’Etat d’Octobre. En novembre 17, les Bolcheviks avaient organisé
des élections libres pour créer une assemblée constituante. Or les résultats sont en leur défaveur. Les
Bolcheviks n’obtiennent que 25 % des voix alors que les Socialistes-révolutionnaires en ont 45 %, les
Mencheviks 24 % et les KD 5 %. Dès le 1er jour de sa réunion, le 6 janvier 1918, l’Assemblée Constituante
est dissoute. Les Bolcheviks ne respectent pas le suffrage universel ; la démocratie, dès le départ, n’était
pas leur objectif.
L’été 18 marque un tournant essentiel : le parti bolchevik se baptise parti communiste. Tous les autres
partis sont interdits : le Parti Communiste est parti unique.
La dictature est installée.
Militaire
C’est la lutte contre les Blancs ou Guerre Civile
C’est une lutte fratricide mais victorieuse contre les généraux Blancs – par opposition aux Rouges– qui
avaient organisé une lutte armée contre le pouvoir bolchevik en 1918 – 1919 : Koltchak en Oural,
Youdenitch aux Pays Baltes, Denikine en Ukraine, puis Wrangel en 1920 en Crimée.
En 1919, la république bolchevique est assiégée, on parle de « citadelle assiégée » , réduite à l’ancienne
principauté de Moscou.
Il faut ajouter à cette guerre civile des interventions étrangères sur le sol russe ; interventions cependant
non décisives contre les Bolcheviks : française en Crimée, japonaise et américaine en Extrême-Orient
russe, anglaise en Mer Blanche…
L’armée rouge, plus nombreuse et mieux organisée vainc ses adversaires en imposant la terreur rouge.
Le 15 janvier 1918 avait créée l’Armée Rouge par Trotski . Chaque unité avait été placée sous le contrôle
d’un commissaire politique, le service militaire obligatoire a été décrété. On va même jusqu’à établir
un système d’otages pour enrayer les désertions. De fait, Trotski installe une discipline rigoureuse et
construit une puissante armée de 5,5 millions d’hommes.
C’est la prise en main de l’économie par l’Etat.
L’Etat nationalise le commerce extérieur, les mines, les banques, toutes les entreprises de plus de
10 ouvriers. Les ouvriers sont surveillés par la création du livret de travail et doivent travailler volontairement le samedi, c’est le « samedi communiste ».
Economique
Surtout, le gouvernement développe une politique de réquisitions des récoltes à partir de janvier 1919
pour ravitailler l’Armée Rouge et les populations urbaines. Le pouvoir souhaite limiter les effets d’une
terrible famine qui sévit.
Le Bilan est accablant :
– naissance d’une dictature sanglante
– désastre économique : la famine de 1920-1921 aurait fait plus de 7 millions de morts, les réquisitions ont échoué à quoi s’ajoutent les 3 millions de morts par épidémie, les 1 millions de la Guerre
Civile.
– révolte des marins de Cronstadt en 1921 est durement réprimée, eux qui réclamaient « les Soviets
sans les communistes »
– Révolution qui ne s’exporte pas, ni en Allemagne, ni ailleurs.
En Allemagne, début novembre 1918, des marins se mutinent à Kiel, des soviets d’ouvriers et de soldats
se forment dans les grandes villes. Les Spartakistes allemands, comme les Bolcheviks, dirigés par Karl
Liebknecht et Rosa Luxembourg, tentent un coup d’Etat contre la jeune république de Weimar dirigée
par les sociaux-démocrates. L’insurrection est écrasée du 6 au 13 janvier 1919 par l’armée ralliée à
Ebert et aux sociaux-démocrates. En Hongrie, le communiste Béla Kun s’empare du pouvoir en mars
1919 mais est vite chassé.
Malgré ces échecs, en mars 1919 est créée à Moscou la IIIème Internationale ou Komintern, regroupant
les communiste du monde entier. Le Komintern a pour objectif de favoriser la propagation du communisme au-delà de la Russie.
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Document 7
Les conditions d’adhésion au Komintern en 1920
1. La propagande et l’agitation quotidienne doivent un caractère effectivement communiste et se conformer
au programme et aux décisions de l’Internationale communiste […]
3. Les communistes ne peuvent se fier à la légalité bourgeoise. Il est de leur devoir de créer partout, à côté
de l’organisation légale, un organisme clandestin […]
8. Tout parti appartenant à la III° Internationale a pour devoir d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole […]
9. Des noyaux communistes doivent être formés dans le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats
aux communistes […]
12. Les partis appartenant à l’Internationale communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique [note additionnelle : Obligation absolue pour les militants d’obéir aux organes centraux
du parti une fois ceux-ci démocratiquement élus] […].
16. Toutes les décisions des congrès de l’Internationale, de même que celles du Comité Exécutif sont obligatoires pour tous les partis affiliés à l’Internationale communiste […].
Cité par Annie Kriegel, Le Congrès de Tours,
Julliard, 1954.
Montrez que les partis communistes adhérents au Komintern sont des partis révolutionnaires et obéissants à Moscou.
L’aspect révolutionnaire est perceptible par la référence à la clandestinité (art. 3) , par la contestation
de l’impérialisme colonial (art. 8), par le noyautage des mouvements ouvriers, des syndicats (art. 9) ;
l’aspect autoritaire, obéissant à Moscou se perçoit dès le 1er article : « se conformer au programme et
aux décisions de l’Internationale communiste », dans l’art. 12 par l’organisation pyramidale (du haut
vers le bas) du centralisme démocratique et le dernier qui rappelle que « les décisions… sont obligatoires pour tous les partis affiliés à l’Internationale communiste » autrement dit c’est un alignement
sur Moscou.
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L’illusion d’un nouvel ordre
international
Problématique :
Pourquoi l’ordre international issu de la Grande Guerre a-t-il échoué ? En quoi était-il
novateur ?
PLAN – traitement
de la problématique
Notions - Clés
Repères
Etudier d’un document « support de mémoire » :
les 14 points de Wilson
A 1919-1920 : la paix des vainqueurs
Des négociations difficiles
Conférence de Paix – militarisme – nationalités – réparations – droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes – SDN – terres irrédentes – idéalisme
– hégémonie
Des traités controversés
Partial – tutelle de la SDN – partition – zone démilitarisée – avoirs – clause de la nation la plus favorisée – mandats
Une nouvelle Europe
Corridor ou couloir de Dantzig – Mitteleuropa
– fédération – cordon sanitaire – république bolchevique.
Réaliser une carte bilan de l’Europe après les traités
de paix.
B L’espoir d’une sécurité collective
La Société des Nations
Négociations ouvertes – politique d’arbitrage
– droit international – désarmement – Assemblée
générale – Conseil – Secrétariat permanent – unanimité – résolution – recommandation – exécutoire
Premières contestations de l’ordre issu de la
Grande Guerre
« victoire mutilée » - Diktat – révision – isolationnisme
C Les relations franco-allemandes de 1919 à
1931
1919 – 124 : tensions franco-allemandes au sujet
des réparations de guerre
Politique d’exécution des traités – résistance passive – hyper-inflation –
Plans DAWES et YOUNG – alliances de revers
– pacifisme
L’Esprit de Genève
La Grande Guerre fut pour l’Europe une épreuve sans précédent : près de 10 millions de morts, une
génération d’invalides, des régions entières dévastées par les opérations militaires . La rancœur entre
Français et Allemands n’est pas stoppée pour autant, au contraire la haine reste vive ; les Français
réclament vengeance sous forme de réparations de guerre sonnantes et trébuchantes. Les Européens,
alors, ne se rendent pas encore compte qu’ils sont collectivement vaincus, qu’à l’issue de ce conflit,
seule une puissance, extra-européenne, s’affirme… et outrageusement : les Etats-Unis. Wilson souhaite
faire entendre la voix de l’Amérique dans le règlement de la paix, avec encore beaucoup d’idéalisme,
voire de naïveté sinon de la niaiserie mais aussi une indéniable modernité.
D’ailleurs, au sujet des Européens et de leurs rivalités toujours attisés, Wilson en conclut vite, et très
justement que « la paix sera plus difficile à faire que la guerre ».
Pour comprendre les relations internationales de l’immédiat après-guerre, on essaiera de comprendre
pourquoi la paix fut si difficile et en quoi elle consista, si ce fut comme on semble l’affirmer la paix ou
la vengeance des vainqueurs, ensuite on verra en quoi le programme de Wilson était novateur avec
l’instauration d’un organisme international, la SDN, afin d’éviter la répétition d’un tel conflit dévastateur
et comment il échoua, malgré quelques illusions comme le rapprochement franco-allemand dans la
2nde partie des années 20.
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A
1919-1920 : la paix des vainqueurs
Des négociations difficiles
En janvier 1919 commence la Conférence de la Paix à Versailles. Elle réunit les représentants de 27 Etats,
les vainqueurs. Sont exclus des négociations les vaincus : Allemagne et Autriche – Hongrie ainsi que la
Russie bolchevique. Dans la pratique, la conférence est dirigée par le Conseil des Quatre c’est-à-dire
Wilson, président des Etats-Unis, Clemenceau, président du conseil français, Lloyd George, premier
ministre britannique et Orlando, président du conseil italien.
Initialement, cette conférence s’était fixée 3 objectifs :
– dessiner de nouvelles frontières : cela concerne les 4 empires disparus (le Reich, l’Autriche-Hongrie, la
Russie, l’empire Ottoman) et doit satisfaire les aspirations des nationalités en Europe mais également
régler le sort des colonies allemandes.
– empêcher la renaissance du militarisme allemand
– régler le problème des réparations
Bien vite, les négociations se compliquent, différentes thèses contradictoires s’affrontent, surtout la
française et l’américaine. C’est particulièrement grave car les Allemands avaient obtenu comme garantie
pour signer leur reddition l’instauration d’une paix basée sur les 14 points de Wilson ce dont les Français
ne voulaient pas entendre parler.
Woodrow Wilson veut faire triompher les principes de paix contenus dans ses 14 points, présentés au
Congrès américain en janvier 1918. Ils serviront de base aux discussions.
Document 1
« Les 14 points de Wilson »
C’est donc le programme de la paix du monde qui constitue notre programme. Et ce programme, le
seul possible selon nous, est le suivant :
Des conventions de paix, au grand jour, préparées au grand jour...
Liberté absolue de la navigation sur mer, en dehors des eaux territoriales...
Suppression, autant que possible, de toutes les barrières économiques et établissement de conditions
commerciales égales pour toutes les nations...
Échange de garanties suffisantes que les armements de chaque pays seront réduits au minimum compatible avec la sécurité intérieure.
Arrangement
librement débattu de toutes les revendications coloniales, basé sur la stricte observation
du principe que... les intérêts des populations en jeu pèseront d’un même poids que les revendications
équitables du gouvernement dont le titre sera à définir.
Evacuation du territoire russe tout entier et règlement de toutes questions concernant la Russie... en vue
de donner à la Russie toute latitude sans entrave ni obstacle, de décider, en pleine indépendance, de son
propre développement politique et de son organisation nationale.
Il faut que la Belgique soit évacuée et restaurée...
Le territoire français tout entier devra être libéré et les régions envahies devront être restaurées ; le tort
causé à la France par la Prusse en 1871 en ce qui concerne l’Alsace-Lorraine, préjudice qui a troublé la
paix du monde pendant près de cinquante ans, devra être réparé afin que la paix puisse de nouveau être
assurée dans l’intérêt de tous.
Une rectification des frontières italiennes devra être opérée, conformément aux données clairement
perceptibles du principe des nationalités.
Aux peuples d’Autriche-Hongrie, dont nous désirons voir sauvegarder et assurer la place parmi les nations,
devra être accordée au plus tôt la possibilité d’un développement autonome.
La Roumanie, la Serbie et le Montenegro devront être évacués ; les territoires occupés devront être
restitués ; à la Serbie devra être assuré un libre et sûr accès à la mer.
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Aux régions turques de l’Empire ottoman actuel devront être garanties la souveraineté et la sécurité ;
mais, aux autres nations qui sont maintenant sous la domination turque on devra garantir une sécurité
absolue d’existence et la pleine possibilité de se développer d’une façon autonome ; quant aux Dardanelles,
elles devront rester ouvertes...
Un État polonais indépendant devra être créé, qui comprendra les territoires habités par des populations
indiscutablement polonaises, auxquelles on devra assurer un libre accès à la mer.
Il faut qu’une association générale des nations soit constituée... ayant pour objet d’offrir des garanties
mutuelles d’indépendance politique et d’intégralité territoriale aux petits comme aux grands Etats. »
W. Wilson, message au Congrès, 8 janvier 1918.
Questions
Que
condamne Wilson dans le 1er article ?
Quelle
idéologie politique et économique veut-il voir triompher (articles 2 et 3) ?
Quelle
mesure attend-il des vainqueurs (article 4) ?
Quelle
est sa position sur la colonisation ? Qui peut-être visé ? Au nom de quels principes prend-il
cette position (article 5) ?
Quels
Réponses
sont ses souhaits quant au nouveau découpage de l’Europe (articles 7 à 13) ?
Que souhaite-t-il instaurer dans l’article 14 ?
Wilson condamne la diplomatie secrète . C’est très important car les Italiens en 1915 sont entrés en
guerre aux côtés de l’Entente d’après les accords secrets de Londres qui leur promettaient les « terres
irrédentes » ; il est en droit de les considérer comme nuls et non avenus.
C’est le capitalisme libéral.
Un désarmement des vainqueurs.
Wilson condamne la colonisation ce qui peut viser 2 de ses alliés, la Grande Bretagne et la France qui
dispose de 2 gigantesques empires coloniaux. Il étaye sa position au nom du principe des nationalités
et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Il souhaite l’ « évacuation » de la Belgique (art. 7), le retour de l’Alsace Lorraine à la France (art. 8),
le respect du principe des nationalités pour retoucher aux frontières italiennes (art. 9), le maintien de
l’empire d’Autriche-Hongrie avec autonomie accordée aux différentes nationalités minoritaires (art. 10) ;
le maintien de l’empire ottoman mais avec autonomie des nationalités dépendantes (art. 12) ; la création d’un Etat polonais avec accès à la mer (art. 13) donc implicitement la division de l’Allemagne en
2 entités disjointes.
Une instance internationale qui dirait le droit et assurerait la sécurité internationale : « une association générales des nations ».
Wilson réclame :
la fin de la diplomatie secrète. Cela signifie et ce fut d’une portée considérable pour l’avenir, le refus
de tenir compte des accords secrets signés avant l’entrée en guerre des Etats-Unis comme les accords
de Londres qui reconnaissaient à l’Italie le droit d’annexer toutes les terres irrédentes.
le respect des nationalités et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
le désarmement (des vaincus comme des vainqueurs).
surtout, la création d’une assemblée internationale : la SDN qui sera chargée d’appliquer ces principes
et dont le but serait de réaliser une paix universelle.
Evidemment, ces nobles et généreux principes vont se heurter aux intérêts nationaux et aux nationalismes : les Italiens réclament les terres irrédentes, les Français veulent assurer leur sécurité et les Polonais,
mais aussi les Tchèques réclament leur indépendance.
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Clemenceau s’oppose brutalement à l’idéalisme de Wilson , il a 2 intentions :
démembrer l’empire austro-hongrois
affaiblir durablement l’Allemagne et occuper la Sarre
Les Anglais souhaitent établir leur hégémonie au Moyen Orient, comptant sur la dislocation de l’empire
ottoman. Les Anglais craignent un déséquilibre des puissances en Europe continentale au profit de la
France qui y est alors 1re puissance politique et militaire.
A ces rivalités, se surajoutent :
« le péril bolchevik » ou la crainte d’une contagion à toute l’Europe du communisme et de la révolution. Pour l’éviter, les Européens espèrent créer un cordon sanitaire.
la difficile application du principe des nationalités.
Le résultat ne pouvait que décevoir dans de telles conditions et la paix qui allait en sortir était pour le
moins partiale, injuste notamment contre l’Allemagne.
Des traités controversés
De tous les traités signés après guerre, on ne retient souvent que l’un d’entre eux ; le traité dit de
Versailles et c’est à juste titre car c’est le plus important et le plus controversé.
Le traité de Versailles
Il est signé le 28 juin 1919 dans la galerie des Glaces du château de Versailles, là même où 48 ans
auparavant avait été proclamé l’empire allemand. Il porte sur l’Allemagne. C’est un traité partial, dur
pour l’Allemagne vaincue, jugée responsable de la guerre et traitée en conséquence.
Au plan territorial
L’Allemagne restitue à la France l’Alsace-Lorraine et au Danemark le Schleswig du Nord plus quelques
cantons pour les Belges. La Sarre, région voisine de l’Alsace et riche en charbon, est placée sous la
tutelle de la SDN et on lui laisse un délai de 15 ans pour que sa population après plébiscite puisse
choisir entre la France et l’Allemagne. L’Allemagne recule à l’Est, elle perd la Posnanie et surtout la
Prusse occidentale. Surtout, elle est scindée en deux ensembles par le couloir de Dantzig qui sépare
donc la Prusse orientale et du reste de l’Allemagne. Quant à ses colonies, elle les perd toutes (art. 119).
Celles-ci sont confiées aux principales puissances vainqueurs sous forme de mandats.
Au plan militaire
L’Allemagne perd son statut de grande puissance : le service militaire est aboli (art. 173), l’armée réduite
à 100 000 hommes (art. 160). Blindés, artillerie lourde et aviation sont interdits (art. 171, 198) autrement
dit tout l’armement moderne, sa marine est également réduite. Enfin, la rive gauche du Rhin plus une
bande de 50 km à l’Est devient zone démilitarisée (art. 42 et 43).
Au plan économique et financier, les sanctions pleuvent
L’Allemagne perd la propriété de ses brevets industriels (mesure très forte car l’Allemagne était avant
1914 la 1re puissance industrielle européenne, au cœur de la 2nde révolution industrielle), ses avoirs à
l’étranger sont gelés, ses fleuves comme l’Oder, l’Elbe et le Rhin sont internationalisés, les vainqueurs
s’octroient la « clause de la nation la plus favorisée » c’est-à-dire qu’ils paieront peu de droits de
douane sur ce qu’ils exporteront en Allemagne. La France bénéficie en plus du charbon de la Sarre
pour compenser les destructions subies dans le Nord et l’Est de son territoire. Enfin, l’Allemagne jugée
coupable et responsable du déclenchement de la Grande Guerre (article 231) doit verser de très lourdes
réparations de guerre.
Moins connus, les autres traités concernent le reste des vaincus :
les traités de St Germain en Laye (septembre 1919) et du Trianon (1920) démantèlent l’empire austro-hongrois ;
le traité de Neuilly (novembre 1919) réaménage les Balkans : la Bulgarie perd la Thrace au profit de
la Grèce et une portion de la Macédoine au profit de la nouvelle Yougoslavie.
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le traité de Sèvres (août 1920) enlève à l’empire ottoman ses territoires arabes confiés sous forme
de mandats de la SDN à l’Angleterre pour la Palestine et l’Irak, à la France pour la Syrie et le Liban. Les
détroits sont neutralisés. Les Turcs ne gardent plus en Europe qu’Istanbul et son arrière-pays.
On pense alors par ces traités faire triompher la démocratie sur les vieux empires autocratiques mais
ces traités, bien vite, donnent naissances à de très nombreuses contestations.
Une nouvelle Europe
En vous aidant des 2 cartes suivantes
Carte 1
Carte 2
FRONTIÈRES DE 1914
FRONTIÈRES APRÈS GUERRE
FINLANDE
NORVÈGE
FINLANDE
NORVÈGE
SUÈDE
ESTONIE
SUÈDE
D
LETTONIE
D = DANEMARK
M = MONTÉNÉGRO
A = ALBANIE
EMPIRE
ALLEMAND
EMPIRE RUSSE
LITUANIE
ALL.
POLOGNE
ALLEMAGNE
TCHÉC
OSLOV
AQUIE
EMPIRE
AUSTRO-HONGROIS
AUTRICHE
ROUMANIE
HONGRIE
ROUMANIE
ITALIE
M
SERBIE
YOUGOSLAVIE
BULGARIE
ITALIE
BULGARIE
A
GRÈCE
EMPIRE
OTTOMAN
A
GRÈCE
TURQUIE
300 km
Vous complèterez la carte bilan de l’Europe après les traités.
Vous placerez ou mettrez
– Le nom des Etats
– Les vainqueurs en jaune
– L’Allemagne en noir
– Les Etats nés de la dislocation de l’Autriche-Hongrie en bleu
– Les Etats formant le « cordon sanitaire », créés pour contenir la révolution
– bolchevique en rouge
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Enfin, vous direz en bilan-commentaire quels sont les principaux enseignements que vous retirez sur
la nouvelle géographie politique de l’Europe dans les années 1920.
L’Europe après les traités
L’Europe en 1923 a été assez profondément remaniée, surtout à l’Est :
– l’Allemagne est coupée en 2 ensembles par le couloir ou corridor de Dantzig, ville qui est internationalisée.
– C’est l’avènement d’une Mitteleuropa ou Europe centrale émiettée. Des Etats nés de la dislocation
de l’empire austro-hongrois se dotent de constitution démocratique comme la Tchécoslovaquie,
l’Autriche. Un cas particulier, la Yougoslavie qui est une fédération de nations, les slaves du Sud, dans
la pratique la monarchie serbe va très vite dominer.
– Un cordon sanitaire a été réalisé à l’Est pour isoler la Russie bolchevique devenue URSS en 1922.
Ce cordon est composé de la Pologne, des Etats baltes, de la Finlande, des territoires précédemment
occupés (en partie pour la Pologne) par l’empire des tsars.
Le principe des nationalités a été partiellement respecté (dans l’ancienne Autriche-Hongrie par exemple)
mais bien des points de tensions subsistent : dans les Balkans, les terres irrédentes, au Moyen Orient,
entre la Prusse orientale et la Lituanie…
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B
L’espoir d’une sécurité collective
Cet espoir repose sur un nouvel organisme : la SDN.
La Société des Nations
Revenons au dernier des 14 points de Wilson : « Une association générale des nations devra être formée d’après des conventions spéciales, dans le but de fournir des garanties mutuelles d’indépendance
politique et d’intégrité territoriale aux grands comme aux petits Etats ». Wilson prévoyait la mise en
place d’une assemblée d’Etats chargée de veiller au maintien de la paix dans le monde.
Et c’est selon le programme de paix que la société des Nations est créée (pacte du 28 juin 1919,
préambule au traité de Versailles).
On prévoit donc :
de remplacer la diplomatie secrète par des négociations ouvertes
d’imposer une politique d’arbitrage en cas de différends
de respecter le droit international, sous-entendu non plus la loi du plus fort
de favoriser le désarmement des vainqueurs
de respecter les frontières existantes
La SDN est installée à Genève et repose sur 3 institutions fondamentales.
LE CONSEIL
(5 membres permanents
+ 4 membres temporaires)
LE SECRÉTARIAT
PERMANENT
L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
42 membres au départ
Elle siège à Genève
L’Assemblée générale représente le pouvoir législatif de la SDN ; chaque Etat membre dispose d’une
voix. Elle se réunit une fois par an. On y traite des grandes affaires internationales. L’Assemblée émet
des résolutions ou recommandations.
Le Conseil représente le pouvoir exécutif de la SDN ; il compte 5 permanents : Royaume-Uni, Italie,
France, Japon et Chine ; en effet, les Etats-Unis, bien que vainqueurs de la Grande Guerre, ont refusé d’y
siéger. Le Conseil, à l’unanimité, rend exécutoires les résolutions ou recommandations de l’Assemblée
générale, c’est-à-dire qu’elles sont juridiquement valables et applicables.
Le secrétariat permanent prépare les travaux. Il est peuplé de fonctionnaires internationaux.
A ces 3 institutions fondamentales, il faut ajouter des organismes spécialisés : la Cour internationale de
Justice de La Haye, l’Organisation Internationale du travail, le Haut Commissariat pour les réfugiés…
Ce dispositif annonce l’ONU d’après 1945 mais, dès le départ, la crédibilité de la SDN est en cause : les
décisions doivent être prises à l’unanimité, autrement dit peu de textes aboutissent. Elle pâtit d’une
sorte de faute originelle : chargée de faire respecter l’intégralité des frontières, elle apparaît de plus
en plus comme le « syndicat des vainqueurs » dont elle défend les intérêts. Il lui manque l’essentiel :
une force armée. Les seules sanctions prévues sont économiques et financières, ce n’est qu’en dernier
ressort que l’exclusion est envisagée.
Séquence 13-HG11
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Premières
contestations de l’ordre issu de la
guerre
La nouvelle Europe ne satisfait que les vainqueurs, France et Grande Bretagne. Les mécontents sont
nombreux sur ce qui apparaît de plus en plus comme une paix bâclée.
Les Italiens, bien que membre du Conseil de la SDN, sont mécontents : ils n’ont pas obtenu toutes les «
terres irrédentes » promises en 1915 lors des accords secrets de Londres, ce pourquoi ils étaient entrés
en guerre. Ils parlent donc de « victoire mutilée ».
Plus grave, l’Allemagne, totalement tenue à l’écart des négociations (c’est un précédent !) est humiliée :
l’opinion publique et une partie de la classe politique refusent ce Diktat, c’est-à-dire une paix dictée par
les vainqueurs. On comprend dès lors son refus absolu d’appliquer le traité. Vainement, les Allemands
essaient d’en obtenir la révision. Ce qui est inacceptable, c’est bien sûr la partition de leur Etat par le
corridor de Dantzig. Plus humiliant, le fait que Dantzig essentiellement composée d’Allemands soit
déclarée ville internationale…
La SDN doit donc faire aux récriminations italiennes et allemandes mais dans un court terme, elles
n’aboutissent pas et ne la fragilisent pas. Plus sérieux sont les coups de force qui se multiplient pour
remettre en cause le tracé des frontières tel qu’il est sorti des traités.
Le 1er de ces coups de force est engagé par la Pologne. Insatisfaite de sa frontière avec la Russie, elle croit
le moment venu de l’attaquer alors que celle-ci est en pleine révolution et guerre civile. Elle obtient par
le traité de Riga en 1921 l’avancée de sa frontière de 200 km plus à l’est aux dépens des Bolcheviks.
Plus spectaculaire, la remise en cause du traité de Sèvres par la Turquie. La Turquie est sortie humiliée
des traités et réduite à Istanbul et les territoires anatoliens. C’est dans ce contexte qu’un puissant
mouvement nationaliste dirigé par Mustapha Kemal renverse le sultan, prend le pouvoir. Les Grecs
d’Asie Mineure se soulèvent et les Turcs au prix d’un conflit très dur repoussent les armées grecques.
L’affaire se règle définitivement par le traité de Lausanne en 1923 et c’est très important pour le Moyen
Orient : des flux de réfugiés qui ressemblent à des exodes massifs assurent l’échange des Grecs de
Turquie contre les Turcs de Grèce, l’idée d’une indépendance des Kurdes est abandonnée, la question
arménienne enterrée.
Ce qui va durablement affaiblir la SDN est l’absence des Etats-Unis et dans une bien moindre mesure
celle de la république des soviets. En mars 1920, les Républicains gagnent le Congrès et adoptent une
politique étrangère isolationniste, c’est-à-dire repli sur leur pays, le ne plus se mêler des affaires européennes. Logiquement, le Congrès refuse de ratifier le traité de Versailles comme l’entrée des Etats-Unis
dans la SDN. Le traité est donc immédiatement affaibli par le désengagement américain. La 1re puissance mondiale est absente de l’organisme qu’elle a voulu créer ! Entendons-nous, l’isolationnisme
américain est relatif : l’Amérique Latine reste plus que jamais la chasse gardée des Etats-Unis ; sur les
affaires européennes, les Etats-Unis ne cachent plus leur agacement face aux velléités hégémoniques
des Français sur le continent.
Quant à l’URSS, elle est alors purement et simplement écartée des instances internationales.
C
Les relations franco-allemandes de 1919 à 1931
1919 – 1924 : tensions franco-allemandes au sujet
des réparations de guerre
Au début des années 20, la crispation dans les relations internationales ne cesse pas ; l’intransigeance
française y contribua fortement. Le traité de Versailles, jugeant l’Allemagne responsable de la guerre,
la condamna à payer des réparations de guerre aux vainqueurs, leur montant n’est fixé qu’en 1920
à 132 milliards de mark-or. Sur cette question, les Français poursuivent leur politique dure et intransigeante, mettant de 1919 à 1924 au centre des relations internationales le problème des dettes et
réparations allemandes. Paris entend que les clauses du traité soient strictement appliquées comme la
livraison obligatoire de charbon, la priorité aux produits industriels français en Allemagne. C’est une
source de déséquilibre en Europe qui inquiète les Britanniques car agir ainsi, c’est faire de la France la
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1re puissance européenne aussi, les Anglais choisissent-ils une politique plus souple de réduction des
réparations. 2 arguments les motivent, le bon sens, (ils savent que l’Allemagne n’est pas en capacité
de payer,) et la crainte de l’expansionnisme français en Europe. L’économiste J.M.Keynes a clairement
évoqué cette position dans son ouvrage « les conséquences économiques de la paix ». De leur côté, les
Etats-Uniens recherchent une autre solution, plus consensuelle par le jeu des conférences d’experts.
Les rivalités franco-allemandes s’aiguisent encore :
– l’Allemagne réussit à maintenir une armée ; la France craint pour sa sécurité.
– A la stupeur générale, l’Allemagne se rapproche de l’URSS par les accords de Rapallo en avril 1922.
Les 2 pays renoncent à leurs dettes respectives et surtout signent des accords militaires, des techniciens allemands sont envoyés en URSS ; les Allemands espèrent utiliser le territoire soviétique pour
expérimenter l’armement que leur interdit le traité de Versailles.
Une étape supplémentaire est franchie dès janvier 1923 : des troupes franco-belges, 3 divisions, occupent la Ruhr pour obliger l’Allemagne à payer ses réparations – ce fut le prétexte d’intervention. Par
cette politique unilatérale du fait accompli, la France entend alerter ses partenaires britannique et
américain sur ses difficultés. L’occupation tourne mal, la population allemande pratique la résistance
passive, les grèves se multiplient. Parfois même, la protestation va au-delà sous la forme de sabotages ou d’attentats. Privée de son cœur économique et industriel, l’économie allemande s’effondre et
s’enfonce dans l’hyper-inflation. Le nouveau chancelier au pouvoir, Stresemann débloque la situation,
en renonçant à la résistance passive. La France en est pour ses frais, complètement désavouée sur la
scène internationale.
L’esprit de Genève
1924 marque un tournant. Les Français sont contraints d’abandonner leur politique de stricte d’exécution
des traités. Une certaine détente s’installe. Les Américains se ré-intéressent aux affaires européennes.
En 1924, la France accepte le plan DAWES ; il apporte un début de solution aux réparations dues par l’Allemagne. L’Allemagne est obligée de verser des réparations mais avec des montants plus raisonnables.
Cette question trouve sa vraie solution dans le plan Young de 1929, il réduit le montant des réparations,
étale les annuités jusqu’à 1988 ! Surtout, les Américains s’investissent financièrement en prêtant des
dollars aux Allemands qui peuvent alors payer leurs réparations aux Français, à leur tour les Français
pourront rembourser leurs dettes de guerre aux Etats-Unis. Cet habile circuit financier ramène la détente.
C’était sans compter sur la crise économique des années 30 qui anéantit le plan Young ; dès 1931, les
Etats-Unis suspendent leurs prêts aux Allemands. Il faudra la conférence de Lausanne de 1932 pour que
cette question des réparations soit close ; elle met un terme aux versements allemands. Cette question
des réparations eut de très fâcheuses conséquences ; elle isola la France sur la scène internationale et
affaiblit la jeune république de Weimar, la propagande hitlérienne put s’en saisir allègrement…
Revenons à 1924 et au déblocage des relations franco-allemandes. Le rôle des Etats-Unis est important
mais celui de la SDN aussi. En France comme en Allemagne d’autres hommes politiques s’imposent, la
conjoncture économique s’améliore, on peut même dire qu’une relative prospérité revient. 2 hommes
incarnent le rapprochement franco-allemand : Aristide Briand, ministre des affaires étrangères français de
1925 à 1932 et Gustav Stresemann, chancelier allemand. L’un comme l’autre souhaitent la conciliation,
un certain rapprochement, mais ce n’est pas sans arrière-pensées.
On peut distinguer 2 étapes principales dans ce rapprochement :
– la 1re : la conférence de Locarno en octobre 1925. Lors de cette conférence, l’Allemagne reconnaît ses
frontières avec la France et la Belgique de même qu’elle renonce à la force pour les modifier. Rien de
neuf là-dedans, ce n’est que la réaffirmation du traité de Versailles. On saisit assez vite l’ambiguïté
d’un tel accord car rien n’est dit de la Sarre que l’Allemagne entend récupérer et que la France souhaite garder comme gage ; pire, l’Allemagne refuse de reconnaître sa partition, ses frontières avec la
Pologne. La France pour assurer sa sécurité signera des alliances de revers avec la Tchécoslovaquie
et la Pologne, au cas où… La méfiance reste de mise.
– la 2e, plus symbolique est l’entrée de l’Allemagne à la SDN en 1926 . On croit la détente durablement
installée au point que la rive gauche du Rhin occupée par les Alliés est évacuée avant le calendrier
prévu par le traité de Versailles.
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Cette croyance en l’apaisement des relations internationales sous les auspices de la SDN comme arbitre
suprême, c’est l’esprit de Genève. A la fin des années 20 et au début des années 30, la SDN est à son
apogée ; on pense sincèrement fonder ce nouvel ordre international fondé sur le droit. L’idéal de paix
que la SDN incarne trouve une de ses traductions dans la signature du pacte Briand-Kellog (le 27 août
1928) [Kellog était le secrétaire d’Etat américain] déclarant la guerre « hors la loi ».
Cet esprit de Genève, pacifiste, optimiste reposait sur des bases fragiles et illusoires. C’était sans compter sur les arrières-pensées des différentes puissances. Le nouvel ordre international reposait sur une
conjoncture économique favorable. Quand la crise éclata en 1929 et se répandit en 1930-31, le château
de cartes s’effondra : les rancœurs , les égoïsmes nationaux reprirent le dessus.
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