N°3 —
AVRIL 2007
Une publication
de la
Du pus louable au vaccin
Alain Tedgui 1
Récepteurs Toll et immunité innée : de la
drosophile à l'homme
Jules Hoffmann 3
Mécanismes moléculaires inédits et instabilité
des plaques
Prediman Shah, Lai Wang,
Behrooz Sharifi 4
Mécanisme des réponses immunes innées au
LDL oxydé
Joseph Witztum 6
Rôle régulateur de la réponse immune dans
l'athérosclérose
Ziad Mallat 7
Immunisations active et passive basées sur
les antigènes LDL oxydés
Jan Nilsson 9
Cellules et molécules coupables de la
formation des plaques
Göran Hansson 11
nflammare: “mettre en feu”.Vers l'époque de la naissance de Jésus-Christ, le
médecin romain Celse proposa les quatre signes cardinaux de
l'inflammation: rougeur, gonflement, chaleur, douleur. Deux siècles plus tard, le
médecin grec Galien défendit le concept de “pus louable” pour formuler sa
conception humorale de l'inflammation, dans laquelle il voyait un processus
bénéfique permettant la guérison d'une blessure. Ce point de vue persista jusqu'au
XIXesiècle et à la découverte du cinquième signe cardinal de l'inflammation par
Rudolf Virchow: la perte de la fonction. A la différence de Galien, celui-ci considérait
l'inflammation comme pathologique en soi. Ces dernières années, les scientifiques
ont pris conscience du rôle central de l'inflammation dans de nombreuses
pathologies cardiovasculaires et en sont venus à concevoir l'athérosclérose comme
une maladie inflammatoire.
Cette prise de conscience a découlé d'un
ensemble de découvertes majeures
survenues depuis le XIXesiècle. A cet égard,
il est important de mentionner à nouveau
Rudolf Virchow, qui reconnut la nature
cellulaire de l'inflammation, Elie Metchnikov,
qui décrivit le mécanisme immunitaire inné
de la phagocytose par les leucocytes, et
Nicolai Anitchkov, qui identifia le cholestérol
en tant que puissant déclencheur de
l'inflammation. La question du cholestérol a
été délaissée pendant des décennies jusqu'à
ce que, dans les années 1980, Dan Steinberg
et Joe Witztum la réactualisent en décrivant
comment les récepteurs “scavenger”
capturent le cholestérol-LDL oxydé pour
déclencher l'inflammation [1].
Du “pus louable”
au vaccin
sommaire
I
Larbre vasculaire en feu
Alain Tedgui
Inserm U689
Hôpital Lariboisière
Paris, France
LArbre
vasculaire
s u i t e p . 2
Le médecin grec Galien
défendit le concept de “pus
louable” pour formuler sa
conception humorale
de l'inflammation, dans
laquelle il voyait un processus
bénéfique permettant la
guérison d'une blessure. Ce
point de vue persista jusqu'au
XIXesiècle et à la découverte
du cinquième signe cardinal
de l'inflammation par Rudolf
Virchow : la perte de la
fonction.
Traduction du rapport de Laura Spinney
Plus cemment, grâce aux outils modernes de la biologie moléculaire, Timothy Springer a mis en
exergue le rôle des molécules d'adhérence endothéliale dans l'inflammation [2]. Il est important de
noter que l'immunologiste Charles Janeway a imaginé le premier ce qu'il appelait le “méchant petit
secret des immunologistes”: les adjuvants bactériens permettant d'induire des réponses immunitaires
adaptatives présentent une structure moléculaire conservée - le motif moléculaire associé au
pathogène (PAMP) - qui se lie aux récepteurs de reconnaissance des motifs (PRR). Avec Jules Hoffman,
il décrivit le premier de ces récepteurs PRR: le récepteur Toll-like.
Quel enseignement avons-nous ti de ce travail colossal? Nous savons, par exemple, que
l'immunité innée, comme l'immuni adaptative, sont impliquées dans la réponse inflammatoire qui est
au cœur de l'athérosclérose. Nous savons que, pour qu'une ponse inflammatoire soit déclenchée et
maintenue, un enchaînement complexe d'événements doit survenir pour assurer le recrutement de
populations leucocytaires spécifiques à la lumière vasculaire [3]. Cette réponse se déroule selon deux
principaux modes de transmission. D'abord, il se produit une interaction physique entre les cellules
endothéliales et les leucocytes, via les molécules d'adhérence endothéliale. Ensuite, le deuxième axe
de la réponse implique la production de signaux solubles, les cytokines, qui modulent de façon
réciproque l'activité de ces cellules.
Une connaissance croissante de ces voies a abouti à la recherche d'un vaccin contre
l'athérosclérose, un domaine aussi dynamique que passionnant. Mais, il ne faut pas en rester là. La
réponse inflammatoire étant régulée de façon endogène, le corps possède ses propres mécanismes
pour limiter l'étendue de l'inflammation. Une meilleure compréhension de ces mécanismes nous
permettrait de les exploiter pour perfectionner les nouvelles formes de traitements contre les maladies
cardiovasculaires. Alors, un allégement sensible de la souffrance humaine commencerait à se faire
jour après un siècle et demi de découvertes scientifiques remarquables.
Propriétés pro- et anti-
inflammatoires des
phospholipides
Dror Harats 13
Biologie vasculaire des cyclo-
oxygénases
Garret A. FitzGerald 14
Inflammation et angiogenèse
post-ischémique
Jean-Sébastien Silvestre 16
Les maladies inflammatoires
chroniques sont responsables
du vieillissement vasculaire
précoce
Mary Roman 18
Marqueurs inflammatoires de
la maladie coronarienne -
Perspective épidémiologique
John Danesh 20
Polymorphismes des gènes
inflammatoires et
athérosclérose
Laurence Tiret 22
sommaire
2L’Arbre Vasculaire - n°3 - Avril 2007
Références
1. Steinberg D, Thematic review series: the pathogenesis of atherosclerosis. An interpretative history of the
cholesterol controversy: part I. J Lipid Res 45, 1583-1593 (2004)
2. Charo IF, Ransohoff RM, The many roles of chemokines and chemokine receptors in inflammation. N Engl J
Med 354, 610-621 (2006)
3. Tedgui A, Mallat Z, Cytokines in atherosclerosis: pathogenic and regulatory pathways. Physiol Rev 86, 515-
581 (2006)
L'athérosclérose est une maladie inflammatoire : les leucocytes adhèrent à l’endothélium
d’une artère, comme on peut l’observer au microscope confocal.
Récepteurs Toll et immunité innée :
de la drosophile à l'homme
Jules Hoffmann
Institut de Biologie Moléculaire et Cellulaire-CNRS
Strasbourg, France
niquement dotée d'une immunité
innée, la drosophile ou mouche
du vinaigre ne possède pas
d'immunité adaptative. On la
considère généralement comme
un bon exemple de l'immunité innée chez les
mammifères. Notre laboratoire a découvert que
le récepteur transmembranaire Toll contrôlait
une réponse immune chez la drosophile et cette
découverte a abouti à la mise au jour des
récepteurs Toll-like (TLR) chez les mammifères, à
la fin des années 1990 [1]. Nous savons
désormais que tous les vertébrés utilisent les
récepteurs TLR dans leurs défenses immunitaires
innées et adaptatives.
Cependant, au cours de la dernière décennie,
l'enthousiasme suscité par les TLR a dû être
tempéré. En effet, bien que l'immunité innée
semble remarquablement conservée chez les
drosophiles et les mammifères, ils ne agissent
pas exactement de la même manière aux
infections. Ainsi, chez la souris, la
lipopolysaccharide (LPS), une molécule située
sur la membrane externe des bactéries gram-, se
lie à une molécule de surface cellulaire appelée
CD14. L'exposition directe du récepteur TLR4 à la
LPS active la signalisation intracellulaire. Chez la
mouche, en revanche, les champignons et les
bactéries gram+induisent une activation
indirecte des récepteurs Toll, par l'intermédiaire
d'une forme clivée de la cytokine spaetzle. Le
clivage de cette cytokine est induit par des
capteurs microbiens avec lesquels les
champignons et les bactéries gram+
interagissent.
Par conséquent, si le récepteur TLR peut être
considéré comme un récepteur de
reconnaissance de motifs (PRR), il n'en est pas
de même pour le récepteur Toll. Les études
reposant sur une mutagenèse non biaisée et à
grande échelle ont révélé que la
spécificité de la réponse immune
de la drosophile à un pathogène
dépendait de récepteurs PRR
circulants, appelés protéines de
reconnaissance du PeptidoGlycan
Recognition Protein (PGRP). Ces
récepteurs subsistent chez les
mammifères et participent à leurs défenses
immunitaires innées à travers leurs activités
bactériolytiques ou bactériostatiques.
Chez la drosophile comme chez les
mammifères, nous savons qu'une attaque
bactérienne entraîne une rapide régulation à la
hausse de près de 1000 gènes. Ceux-ci codent,
entre autres, pour des peptides antimicrobiens.
Chez la drosophile, la production de ces
peptides a lieu via le facteur transcriptionnel NF-
κB (NF-κB). A son tour, le facteur NF-κB est activé
par deux voies : celle du récepteur Toll pour les
champignons et les bactéries gram+, par
l'intermédiaire de protéines PGRP véhiculées par
le sang, et la voie IMD (défense immunitaire)
pour les bactéries gram-, où le PRR est un
récepteur membranaire.
U
L’Arbre Vasculaire - n°3 - Avril 2007 3
Références
1. Medzhitov R, Preston-Hurlburt P,
Janeway CA Jr, A human
homologue of the Drosophila Toll
protein signals activation of
adaptive immunity. Nature 388,
394-397 (1997)
2. Hoffmann JA, The immune
response of Drosophila. Nature
426, 33-38 (2003)
3. Kawai T, Akira S, TLR Signalling.
Cell Death Differ 13, 816-25 (2006)
Infection fongique
foudroyante dans
le cadre d’un
déficit en TLR
(Lemaitre B,
Nicolas E, Michaut
L, Reichhart JM,
Hoffmann JA. Cell,
1996, 20:973-83 )
Notre laboratoire a découvert que le
récepteur transmembranaire Toll
contrôlait une réponse immune chez
la drosophile et cette découverte a
abouti à la mise au jour des
récepteurs Toll-like (TLR) chez les
mammifères.
Notre conception de la façon dont l'immunité
innée active l'immunité adaptative a également
évolué depuis les années 1990. A l'époque,
Charles Janeway pensait que si une cellule
présentatrice d'antigène (APC) présentait un
peptide à une cellule T naïve, celle-ci pouvait
difficilement déterminer s'il s'agissait d'un
peptide endogène ou d'un peptide produit par
une invasion microbienne. Il supposa donc
l'existence d'autres récepteurs, les PRR, offrant un
niveau supplémentaire de discrimination.
Aujourd'hui, la plupart des chercheurs pensent
que le rôle des récepteurs TLR est d'activer la
maturation des APC afin de déclencher la
production de protéines co-stimulatoires (les
cytokines) et d'amplifier le signal transmis aux
lymphocytes T [2]. Au cours de ces cinq
dernières années, ce modèle est devenu encore
plus complexe. Outre les récepteurs TLR liés à la
membrane, il s'avère qu'il existe d'autres
récepteurs TLR dans les endosomes de la cellule
[3]. En outre, la voie de signalisation NF-κB n'est
pas la seule impliquée dans la régulation à la
hausse des gènes. Une autre voie existe, celle
des facteurs IRF (Interferon Regulatory Factors).
Des recherches menées durant les dernières
décennies écoulées, une déduction au moins
s'impose : malgré les différences observées, les
défenses immunitaires innées de l'homme et de
la drosophile sont si semblables que l'on peut
affirmer avec confiance l'existence d'une
ascendance commune.
4L’Arbre Vasculaire - n°3 - Avril 2007
Récepteurs TLR et leurs ligands
Mécanismes moléculaires inédits
et instabilité des plaques
Prediman Shah, Lai Wang, Behrooz Sharifi
Cedars Sinai Medical Center et University of California, Los Angeles
Los Angeles, Etats-Unis
ertaines artères sont
remarquablement résistantes à
l'athérosclérose. C'est le cas,
par exemple, de l'artère
mammaire. Comment expliquer
cela en sachant qu'elles baignent dans les
mêmes lipides circulants que des artères
sujettes à l'athérosclérose comme les artères
coronaires ? La résistance de l'artère mammaire
interne est traditionnellement attribuée à sa
structure et à son flux sanguin, tous deux
différents de ceux des artères coronaires.
Toutefois, nous avons découvert que le profil
d'expression génique de l'artère mammaire
interne différait également de celui des artères
coronaires.
Lors des études menées sur l'expression
génique, nous avons constaté que quelque 3000
gènes s'exprimaient différemment dans les
artères mammaires internes et les artères
coronaires. La plupart des gènes spécifiques aux
artères coronaires étaient liés à des processus
impliquant la liaison lipidique, la
C
néovascularisation et l'inflammation. En
revanche, les gènes spécifiques aux artères
mammaires internes codaient pour des facteurs
de croissance et des inhibiteurs de la protéase,
entre autres protéines. Nous nous sommes
intéressés à un gène particulier. Exprimé de
manière sélective dans l'artère coronaire, il code
pour la protéine matrice ténascine-c (TN-C).
Les études in vitro ont montré que la TN-C était
impliquée dans l'adhésion, la prolifération, la
survie et la migration cellulaires, ainsi que dans
plusieurs fonctions apparemment
contradictoires. Cependant, on peut se
demander quelle est sa pertinence dans
l'athérosclérose in vivo. En 1999, nous avons
démontré que l'ARN messager de la TN-C et la
protéine TN-C étaient exprimés dans les plaques
athérosclérotiques humaines riches en
macrophages [1], ce qui supposait un éventuel
rôle pathogène de la TN-C dans
l'athérosclérose. Nous avons également
découvert, sur des souris KO pour
l'apolipoprotéine E (apoE), une expression de la
TN-C dépendante de l'âge et de la lésion. Nous
avons donc produit des souris KO pour la TN-C
et l'apoE afin d'examiner les effets de la
suppression de la TN-C sur l'athérosclérose
murine.
Nous nous attendions à observer une
réduction de l'athérosclérose chez ces souris. A
notre surprise, au bout de 18 semaines, elles
présentaient une aggravation accélérée de
l'athérosclérose par rapport aux témoins apoE
nul. Ne pouvant s'expliquer par une
modification relative aux lipides circulants, ce
résultat suggérait un rôle athéroprotecteur plutôt
que pathogène de la TN-C. En outre, entre les
semaines 18 et 25, nous avons trouvé un
nouveau phénotype totalement inattendu chez
les souris KO pour la TN-C et l'apoE et ayant suivi
un régime cétogène : une hémorragie
intraplaque spontanée (IPH) chez les deux tiers
d'entre elles environ.
L'hémorragie intraplaque est courante dans
l'athérosclérose avancée. Selon l'hypothèse du
pathologiste Renu Virmani, elle contribuerait à
l'expansion du noyau riche en lipides de la
plaque, via le cholestérol dérivé de la
membrane des globules rouges, tout en offrant
un moyen d'introduction des cellules
inflammatoires dans la plaque. Ces deux
processus peuvent contribuer à une rupture des
plaques et à une thrombose [2]. Selon une
étude récente, la croissance des plaques
athérosclérotiques et des noyaux lipidiques sur
18 mois est plus rapide chez les patients
présentant une hémorragie intraplaque que
chez les patients sans IPH [3].
L'hémorragie intraplaque résulterait, au moins
en partie, de la rupture de canaux
néovasculaires perméables dans la lésion
athérosclérotique. De plus, certaines données
portent à penser que l'angiogenèse et
l'inflammation s'entretiennent mutuellement
selon un cycle sans fin [4]. Selon nous, la TN-C
joue un rôle anti-inflammatoire et
athéroprotecteur, au moins sur des modèles
murins, et nous étudions actuellement le
mécanisme de son action. Nous espérons
pouvoir répondre rapidement aux questions
relatives à la cause de l'hémorragie intraplaque
et au rapport entre TN-C et néovascularisation.
Références
1. Wallner K, Li C, Shah PK et al,
Tenascin-C is expressed in
macrophage-rich human coronary
atherosclerotic plaque. Circulation
99, 1284-1289 (1999)
2. Shah PK, Mechanisms of plaque
vulnerability and rupture. J Am
Coll Cardiol 41, 15S-22S (2003)
3. Takaya N, Yuan C, Chu B et al,
Presence of intraplaque
hemorrhage stimulates progression
of carotid atherosclerotic plaques:
a high-resolution magnetic
resonance imaging study.
Circulation 111, 2768-2775 (2005)
4. Moreno PR, Purushothaman KR,
Zias E et al, Neovascularization in
human atherosclerosis. Curr Mol
Med 6, 457-477 (2006)
Le profil d'expression
génique de l'artère
mammaire interne
diffère de celui des
artères coronaires.
L’Arbre Vasculaire - n°3 - Avril 2007 5
Hémorragie intraplaque et progression de la plaque
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