Les classes sociales dans l`Algérie indépendante, 1972.

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LES CLASSES SOCIALES URBAINES EN ALGERIE,
LE MARCHE MONDIAL ET LA MONDIALISATION.
M.L. Benhassine
Introduction et position du problème.
Depuis l'avènement de la politique économique néolibérale et sa mise en pratique dans des pays
dominés(1), tout un langage approprié a pris place dans les différents discours. Les concepts de
marché, d'économie de marché, d’offre et de demande, de privatisation, d'économie mondiale, de
mondialisation, etc., forment le support de ces discours et donnent un contenu aux
nouvelles orientations. Mais la réalité économique et sociale des pays dominés ou sous
développés est aussi un ensemble de faits passés et présents qui demeurent têtus. Ils ne permettent,
ni facilement, ni aisément à ces concepts - venus d’autres cieux - d’épouser ou de refléter les
exigences profondes de cette réalité.
Le décalage plus ou moins grand entre la marche naturelle de cette réalité des pays sous-développés
et les concepts qu’on veut lui appliquer - pour soit disant l’exprimer et la traiter - nous donne
l’impression de la violenter en la forçant à entrer dans des moules qui sont loin d’être les siens.
Un encadrement de type à la fois marchand et mercantile est ainsi imposé à la majorité de la
population par la politique économique néolibérale des grands Etats capitalistes, que les
responsables des pays sous veloppés appliquent souvent docilement. Il est présenté comme une
voie unique de développement, celle du mieux être futur pour la société entière, malgré les dégâts
économiques et sociaux que cette même politique produit chaque jour dans le corps économique et
social de ces pays.
Sans vouloir entrer dans une critique théorique de ces concepts et de leurs inadéquations à saisir la
réalité sous-développée travail pouvant être intéressant à plus d’un titre – il faudrait rapidement
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souligner non seulement l’ambiguïté de ces termes et les fonctions de détournement idéologique
que beaucoup d’entre eux tentent de remplir. Par exemple, les termes de marché, d’économie de
marché, d’économie mondiale, ne sont-ils pas proposés pour dédouaner, faire oublier les concepts
historiques, lourds de sens, ceux de capital, de capitalisme, de capitalisme impérialiste,
d’impérialisme?….Plus encore, les économies et les activités économiques d’un pays, d’une région ou
d’un système, quels qu’ils soient, ne sont pas et ne peuvent être ramenés à une somme d’activités
individuelles. L’économie d’un pays n’est pas non plus seulement la somme de l’économie de ses
secteurs économiques. Ou encore, les réussites ou les échecs d’une économie ne peuvent pas être
reflétés seulement par la combinaison comptable de ses agrégats macro économiques et macro
financiers.
L’économie d’un pays ou d’un système est donc toujours un ensemble d’activités économiques et
sociales de production, d’échange, de répartition et de consommation de biens et de services, où les
relations entre les classes sociales, les relations entre les hommes, s’établissent par l’intermédiaire
de ces biens et services.
Dans le capitalisme, développé ou sous développé, la production du profit sous ses différentes
formes, se fait par la participation active des classes et couches sociales qui concourent à sa création
et à son appropriation. Mais, à l’inverse de l’approche néolibérale qui tend toujours à occulter les
rapports sociaux, à saisir l’activité économique d’un pays comme un ensemble de résultats
comptables ou surtout quantitatifs. Au contraire, nous pensons qu’il est indispensable de chercher à
apprécier cette activité économique dans son mouvement social, où le quantitatif et le qualitatif
s’entrelacent, se contredisent sous les injonctions conjuguées des institutions qui impulsent la
politique économique néolibérale.
Le but recherché dans cet article n’est pas de traiter de l’accumulation du capital d’une façon entière,
ni de faire ressortir l’articulation des classes et couches sociales de la société algérienne dans et par
ce processus d’accumulation.
Nous voulons commencer une réflexion sur les capacités de la société algérienne à fixer sa présence
dans le marché mondial et dans le processus de mondialisation capitaliste en cours.
L’expérience de cette relation est à la fois courte et longue:
Courte, si nous nous référons seulement à l’année 1994, date du début de la mise en application du
Programme d’ajustement structurel.
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Longue, si était mise en lumière l’appartenance de la branche des hydrocarbures non seulement au
marché mondial, mais aussi au processus de mondialisation.
Dans les deux situations, les classes et couches sociales, ou leurs représentants qui organisent ces
deux types de relations, sont différentes. Dans la première situation, c’est toute la société, à travers
ses commerçants, ses industriels, ses affairistes et ses institutions, qui est en quelque sorte sommée
de « s’ouvrir « au marché mondial et de trouver des ancrages dans le processus de mondialisation.
Dans la deuxième situation, c’est principalement l’Etat national qui doit céder des parts de sa
souveraineté et réexaminer sa propre relation à la propriété d’Etat, afin de pouvoir continuer à
accéder aux « avantages et aux bienfaits » du marché mondial capitaliste et se retrouver, souvent
sans le savoir, dans une branche ou dans un secteur déjà depuis longtemps mondialisé. Un accent
particulier sera porté sur l’analyse de la première situation. Mais auparavant, définissons les termes
de marché mondial et de mondialisation.
Il ne s’agit pas de reprendre les définitions de termes qui ont fait l’objet en Europe et dans le monde,
de recherches et de débats nombreux. Mais, compte tenu des degrés nouveaux de maturation des
problèmes économiques et sociaux dans une grande partie des pays sous développés actuels, il
devient urgent de s’interroger sur leur sens à partir de l’optique de ces pays
En effet, leur pratique économique et sociale s’est tellement diversifiée et différenciée pendant les
décennies des indépendances politiques que leurs relations au marché mondial et au système
capitaliste, dont ils font partie, se distinguent des relations et des pratiques qu’entretiennent les pays
capitalistes développés entre eux.
Par conséquent, il faudrait rechercher à la fois ce qui, dans les concepts employés, est commun et
général et ce qui est propre et singulier à la situation des pays sous développés et développés.
A- le marché mondial capitaliste - qu’il ne faut pas confondre avec le marché extérieur - est composé
de l’ensemble des marchés, ou des espaces économiques, dans lesquels des biens et des services
s’échangent et circulent à l’échelle mondiale. Chaque système économique et social, quand il est régi
par des rapports marchands, se forge son propre marché mondial. Le capitalisme étend et intensifie
sans cesse ce marché grâce au développement des forces productives et des classes sociales qui s’y
activent.
Les pays sousdéveloppés ont une place particulière dans ce marché. Ils y ont été historiquement
intégrés pendant la domination coloniale et leur place est déterminée par les produits qu’ils
déversent ou qu’ils achètent dans le marché extérieur capitaliste, ainsi que par les opérations de
services que les différentes institutions réalisent entre elles.
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Pour ce qui est de la place de l’Algérie dans le marché capitaliste mondial, il faut distinguer deux
phases principales qui ont eu chacune des incidences sur le développement des classes et couches
sociales directement liées aux activités de ce marché:
- la phase d’étatisation des opérations du commerce extérieur qui s’achève lorsque les mesures de
libéralisation des années 90 sont progressivement introduites. Cette phase n’a jamais signifié
enfermement ou autarcie des activités du commerce extérieur, comme se plaisent parfois à le dire
les partisans des orientations libérales ou ultra libérales. La régulation étatisée des activités du
commerce extérieur a engendré un premier profil de classe, constitué par les intermédiaires de l’Etat
qui ont occupé les espaces sociaux des activis économiques face à leurs partenaires de l’autre côté
du marché mondial. Ce premier rapport économique et social stable et durable va engendrer une
couche sociale: la bourgeoisie bureaucratique. Mais la régulation étatique, avec son fonctionnement
hégémonique et sectaire des activités économiques monopolisées, a aussi entraîné la formation de
circuits informels, clandestins ou para étatiques qui se sont organisés d’une façon autonome et ont
pris des initiatives d’ouverture du commerce et des services extérieurs, en utilisant toutes les
potentialités de la production marchande intérieure et en occasionnant des brèches successives dans
les institutions de l’Etat. Dans cette phase intermédiaire, se forment les bourgeons d’une classe
sociale nouvelle, actionnée par le capital marchand privé qui s’est développé à l’ombre des circuits
du capital commercial d’Etat.
- La phase d’ouverture du commerce extérieur au capital commercial, qui commence d’une façon
graduelle à partir des années 90, s’organise selon le principe de passation du monopole étatique au
monopole privé. Ce sont les costumes qui changent. Les visages pouvant rester les mêmes. Ce qui ne
dérange point le tailleur. Malgré le poids des relations formelles et institutionnelles qui encadrent
cette relation au marché mondial par l’intermédiaire du commerce extérieur, il se dégage lentement
mais sûrement un profil de classes commerçantes et marchandes, et de couches intermédiaires dont
il faudra approfondir les traits plus tard.
B - La mondialisation est un processus de concentration et de centralisation poussé du grand capital
transnational dans ses différentes composantes, entraînant dans son mouvement d' extension et d'
expansion les pays et continents jadis dominés par ce même capital. Il s'agit d'un mouvement
d'intégration économique, politique, sociale…qui, à la suite de la révolution scientifique et technique
et de la crise sociale qui ont accéléré ce mouvement de socialisation de plus en plus mondialisée,
rapproche les larges classes sociales mondiales, les pousse dans une perspective longue de luttes, à
imposer de nouvelles répartitions du revenu social mondial et une démocratisation large des
rapports sociaux mondiaux.
Mais, pour le moment, il faut s’interroger sur la confusion souvent entretenue, parce qu’elle cache
des intérêts de classe, entre intégration forcée ou imposée aux pays dominés dans ce vaste
ensemble, d’une part, et appartenance active et souveraine au processus de mondialisation, d’autre
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part. L'intégration économique et politique des pays dominés peut en effet, avec le temps,
apparaître comme une annexion, admise par des forces au pouvoir dans les pays sous développés,
et qui peut se vêtir du manteau du partenariat. Il est vrai que cette expérience est encore récente,
mais l’expérience de ces relations et l'action des lois économiques peut aussi aider à mieux prévoir la
mise en place et le fonctionnement des nouveaux profils des rapports de classes.
De toute façon, l’angle d’ouverture de l’économie nationale, par l’intermédiaire du commerce
extérieur, va aussi déterminer, pour beaucoup, les positions relatives des différentes classes sociales
dans le processus économique d’ensemble. D’autres facteurs interviennent aussi:
- La régulation étatisée du commerce extérieur établit un certain nombre de relations précises au
marché mondial et au processus de mondialisation; elle donne un profil et un mouvement de classes
sociales qui ne sont point ceux que nous avons, lorsque les activités au sein de ce même marché
sont régies par le capital marchand et la capital commercial privés;
- Les formes d’hégémonie du pouvoir qui s’insèrent dans les processus de régulation de l’économie
contribuent aussi à encourager ou à décourager l’émergence et l’extension de classes et couches
sociales au détriment d’autres; ces formes d’hégémonie qui sont des comportements de la
superstructure politique et les modes de régulation économique correspondants, trouvent leurs
places et leurs positions dans la politique économique ou dans la politique de développement
adoptée. C’est pour cela qu’on peut dire que politique économique et politique de développement
contiennent, sur le terrain de leurs applications, suffisamment de ressorts, et de mécanismes
d’injonctions qui favorisent l’émergence de profils de classes au détriment d’autres.
- Enfin, le poids et l’intensité de la présence du marché mondial et des processus de mondialisation
sur la politique économique ou sur la politique de développement des pays sous-développés suscite
aussi l’extension ou la contraction de telle classe sociale, de telle couche sociale au détriment
d’autres. Comme nous le constaterons par la suite; la réalisation des projets de la politique de
développement permet l’émergence de certaines classes, ou profils de classes, dont les
caractéristiques sont différentes de celles qui émergent du fait du fonctionnement de la politique
économique.
C’est l’action conjuguée et coordonnée de tous ces facteurs sur le terrain de l’activité
économique qui fait agir les classes sociales, chacune porteuse de buts spécifiques qu’elle cherche à
atteindre, par la contribution à la production, à la répartition et à la redistribution du produit social.
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Les classes sociales dans l`Algérie indépendante, 1972.

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