L’ulcère cornéen L’ulcère cornéen est l’affection oculaire la plus courante chez le chien et plus particulièrement chez le bouledogue qui a une conformation de l’œil l’exposant facilement aux traumatismes de la vie. La gravité de cette lésion peut aller jusqu’à la perte de la vue et même si le résultat n’est pas toujours fatal il ne faut pas oublier que la cornée est transparente et que la cicatrisation devra préserver cette transparence pour permettre au chien de vivre normalement après cette affection. En fait l’ulcère est une perte de substance affinant la cornée. Le premier symptôme qui vous alertera sera la gêne souvent douloureuse qu’éprouve votre chien au niveau de l’œil, il cligne de l’œil, le ferme plus ou moins parfois complètement, le bord des paupières se mouille de larmes, le chien essaye de se gratter, il cherche à soulager cette douleur en se frottant la tête contre quelque chose, un rebord de canapé, contre vos jambes et si vous essayez de lui toucher l’œil, il refuse en se débattant ou en se sauvant ; votre bouledogue a mal! Il s’isole et surtout il fuit la lumière qui semble lui brûler l’œil. Si vous arrivez à lui ouvrir les paupières vous voyez un œil un peu grisâtre, légèrement œdémateux. Douleur, larmoiement, photophobie tout est réuni pour qu’une visite urgente soit envisagée chez votre vétérinaire. p. 1 Dr Jacques MULIN - © CEBF La cornée de l’œil est la partie la plus superficielle de l’œil mesurant environ 1 millimètre d’épaisseur, légèrement plus fine en son centre. Transparente, elle est faite de trois épaisseurs, de la surface vers la profondeur, on a un fin épithélium puis le stroma l’essentiel de la cornée enfin la zone basale l’endothélium qui fait barrière au liquide, l’humeur aqueuse, retenu dans la chambre antérieure du globe oculaire. L’innervation de la cornée se trouve en surface de l’épithélium et explique pourquoi la douleur n’est pas proportionnelle à la gravité de l’ulcère, une simple éraflure de la cornée peut être plus douloureuse qu’un ulcère profond. La fermeture des paupières ou bléphorospasme se fera de façon réflexe. Suivant la destruction de ses structures, nous aurons les ulcères superficiels, les ulcères profonds et enfin les ulcères perforés et le passage d’un stade à un autre peut se faire rapidement. La cornée est transparente sans vascularisation et le renouvellement cellulaire hebdomadaire, car en effet les cellules de l’épithélium mettent environ une semaine pour se régénérer, ce qui explique la durée de la guérison, mais pendant ce temps de guérison il faudra mettre en œuvre un traitement anti-infectieux afin que les nouvelles cellules ne soient pas endommagées. Si un ulcère superficiel ou moyen se trouve colonisé par une bactérie, celle-ci s’attaque au stroma cornéen et finit par le lyser amenant la perforation oculaire. p. 2 Dr Jacques MULIN - © CEBF Comme toute surface organique, la cornée doit rester fraîche, humide et ne doit surtout pas se dessécher. Les glandes lacrymales sont là pour que sans arrêt la cornée soit hydratée. Les paupières protègent macroscopiquement la cornée et les larmes la protègent microscopiquement. Tout dérèglement dans cette protection amènera la pathologie de l’ulcère cornéen. L’épithélium recouvert du film lacrymal donne l’aspect brillant qu’a la cornée. En fin d’évolution, quand la cornée est rupturée, la membrane de Descemet qui contient le liquide de la chambre antérieure fait hernie hors du globe oculaire et finit par s’ouvrir en laissant couler ce même liquide, l’œil est crevé. L’ulcère de cornée est du à un traumatisme au sens large d’origine externe, interne, infectieux, ou dysimmunitaire. L’origine externe peut être une blessure volontaire ou non, une griffe d’un autre animal, un végétal, bois ou autre entrant en contact plus ou moins violemment avec l’œil, ou simplement du shampooing qui va dans l’œil. Si dans les cas précédents, le traumatisme est ponctuel, il peut être également persistant avec la présence de corps étrangers. Les épillets qui se coincent sous une paupière, la troisième le plus souvent, agissent comme une véritable toile émeri sur la surface cornéenne sans pouvoir sortir du cul de sac conjonctival. Les petites graines de graminées sans qu’elles n’agissent de façon directe elles aussi, par leur seule présence dans le coin interne de l’œil peuvent énerver le chien qui ne saura quoi faire avec ses pattes pour essayer de les extraire. Epillet veut dire danger p. 3 Dr Jacques MULIN - © CEBF Les origines internes sont des disfonctionnements des annexes du globe oculaire. Les glandes lacrymales doivent produire continuellement et en suffisante quantité des larmes qui viennent lubrifier la cornée. Sans ces larmes la cornée se dessèche, s’enflamme, se sclérose et n’arrive plus à se défendre contre les microbes. L’épithélium superficiel se fendille et donne jour à un ulcère qui aura du mal à cicatriser, d’ailleurs cette cicatrisation ne sera pas complète et laissera toujours le chemin libre à une récidive. Les paupières se ferment et s’ouvrent normalement sans frottement devant le globe oculaire, les larmes ayant un rôle lubrificateur. Lors d’entropion, c’est-à-dire lors d’un enroulement du bord libre de la paupière sur elle-même, les cils et même les poils de cette paupière viennent au contact de la cornée avec un effet de frottement. Cet enroulement est permanent et la chirurgie corrective est à envisager avant d’avoir des lésions cornéennes ne guérissant que très difficilement. Parfois, même quand la paupière est normale, des cils ectopiques poussent sur la sangle de la paupière mais à l’intérieur de celle- ci et viennent au contact de la cornée de façon permanente. Chez certains chiens on va même jusqu’à voir un deuxième rang de cils ectopiques. Ces cils ectopiques doivent être enlevés soit par épilation périodique, soit par ablation chirurgicale du bulbe. Le frottement permanent de ces cils est la cause d’ulcération chronique de la cornée. Les ulcères bactériens sont souvent une complication d’un traumatisme, exogène ou endogène. Les bactéries, staphylocoques ou streptocoques se développent facilement dans le stroma après la rupture de l’épithélium, en produisant des enzymes lysant le collagène de ce même stroma. Cette attaque secondaire de la cornée doit faire envisager une prise de conscience que tout traumatisme oculaire est à prendre au sérieux, plus l’intervention est rapide, moins les lésions seront importantes et surtout moins de séquelles aussi fâcheuses il y aura. p. 4 Dr Jacques MULIN - © CEBF Certains virus responsables de la maladie de Carré, de l’hépatite de Rubarth et même de l’herpès virose peuvent être responsables de l’apparition d’ulcères. La consultation chez votre vétérinaire est une urgence. Votre bouledogue n’est pas bien, il ne sait quoi faire, il n’ouvre qu’à moitié un œil qui larmoie. Il a mal et il ne veut pas que vous le touchiez. Votre vétérinaire, dès qu’il le voit a déjà tout compris, il essaie de lui regarder l’œil mais il pense qu’il doit l’anesthésier légèrement pour pouvoir l’examiner de façon moins coercitive. Examen direct à la lumière ou avec un ophtalmoscope, il peut dès à présent vous dire que l’ulcère est là. Il fait un test à la fluorescéine, colorant hydrophile, qui se dissout dans l’eau des tissus. En revenant en arrière, vous allez tout comprendre : l’épithélium en surface est fait de cellules vieillissantes, donc hydrofuges, si cet épithélium n’est pas rupturé la fluorescéine ne marquera donc pas, par contre si cet épithélium est rupturé, la fluorescéine se trouve en contact avec les cellules de collagène du stroma, tissu hydrophile donnant l’aspect gonflé, turgescent de la rétine et cet état d’hydrophilie permettra à la fluorescéine d’être retenue. En cas d’ulcère profond la fluorescéine est peu réactive car tous le stroma hydrophile a été lysé et la membrane de Descemet n’est pas hydrophile, en plus la présence de fibrine due à la destruction des tissus sera une barrière pour le passage de la fluorescéine vers le stroma. Dans ce cas on voit un marquage en couronne avec un centre non pigmenté. Un décapage de l’ulcéré est parfois nécessaire pour que le test à la fluorescéine puisse être parfaitement interprété. Après avoir diagnostiqué l’ulcère, votre vétérinaire va essayer d’en découvrir la cause : examen minutieux des paupières, corps étrangers, cils ectopiques, entropion, bilan du débit lacrymal ou test de Schirmer avec un papier buvard, prélèvement pour analyse bactérienne. Ensuite ayant écarté les causes directes traumatisantes, il va mettre en œuvre un traitement qu’il faudra bien observer. Le premier travail est de supprimer la douleur, avec un collyre à base d’atropine qu’on mettra plusieurs fois par jour et on aura la preuve que le spasme de douleur est levé quand on verra la pupille toute dilatée. Des larmes artificielles auront un rôle calmant tout autant qu’un rôle protecteur. Car la production de larmes est réduite lorsqu’il y a douleur. La protection oculaire par la présence de l’épithélium étant disparue, un traitement anti-infectieux est indispensable. Collyres locaux, injections sous-conjonctivales, comprimés par voie orale ou injections par voie générale, tout est bon pour que les microbes ne se développent pas et qu’ils n’émettent pas les toxines destructrices des cellules de collagènes du stroma. Justement pour lutter contre ces enzymes lytiques, il existe des collyres inhibiteurs de la collagénase qu’on utilise de façon systématique dans le cas des ulcères p. 5 Dr Jacques MULIN - © CEBF cornéens. Le collyre « NAC » nom déposé est connu de tous. Ce collyre est d’autant plus intéressant, qu’il contient des agents de cicatrisation. Tous ces traitements locaux permettent en général une cicatrisation rapide, un contrôle éventuel avec le test de la fluorescéine permet de savoir où en est la cicatrisation. Si tous ces soins locaux ne semblent pas suffisants, on peut intervenir sur le frottement des paupières sur la cornée, afin de ne plus la « traumatiser », sous anesthésie générale on peut fermer l’œil, soit en suturant la paupière supérieure et la paupière inférieure, soit en pratiquant ce qu’on appelle une tarsorraphie, c’est-à-dire en rabattant la troisième paupière sur l’œil. Ainsi l’œil est mis en « stand by » tout en continuant d’être soigné par les collyres qui diffusent entre les points. Après une semaine, généralement l’œil est guéri après l’enlèvement des points. La réparation d’un ulcère cornéen consiste au remplacement des cellules lésées par de nouvelles cellules et il est certain qu’un ulcère superficiel guérira plus vite qu’un ulcère profond. Dans l’ulcère superficiel, seul l’épithélium doit se régénérer. La couche la plus profonde de cet épithélium est une tunique, la basale, où les cellules sont en pleines multiplications avec de gros noyaux, au fur et à mesure que les nouvelles cellules se forment, elles sont poussées vers le haut et on a ainsi plusieurs couches de cellules, comme dans un oignon. Les cellules quand elles arrivent à une certaines hauteur perdent leur noyau puis elles disparaîtront quand elles mourront. Il est certain que la couche basale qui a été épargnée pourra vite redonner de nouvelles cellules, surtout si un traitement antibiotique est institué pour empêcher le développement bactérien. Dans l’ulcère profond les dégâts sont plus importants il faudra déjà que le stroma cicatrise puis ensuite l’épithélium se régénèrera comme il l’a fait dans l’ulcère superficiel. Le stroma représente environ les 9/10 de l’épaisseur de la cornée et il est constitué de fibres de collagènes collées entre elles par de l’eau et quelques cellules rendant la cornée transparente, il est nourri par les tissus voisins et les larmes rendent inutile la vascularisation. Après le début de l’ulcère, la plaie se remplit de fibrine et les leucocytes, cellules sanguines agissant dans la défense de l’organisme arrivent très rapidement pour se nourrir des débris cellulaires, puis c’est le tour des cellules qui produiront les fibres de collagène. Les débris cellulaires doivent vite disparaître afin que les bactéries ne viennent pas s’y multiplier. Ensuite des vaisseaux se forment spontanément pour venir nourrir ces cellules. La cicatrisation se fait en une dizaine de jours si tout se passe bien et si en particulier il n’y a pas d’infection, puis ensuite les vaisseaux disparaîtront en laissant un stroma cicatrisé et transparent. p. 6 Dr Jacques MULIN - © CEBF Prédisposition raciale chez le Bouledogue Français ? Chez le Bouledogue Français l’ulcère cornéen se constate assez souvent et peut être récurrent chez certains chiens. La conformation de l’œil peut-elle en être la cause ? Allons voir le standard et n’oublions pas que le bouledogue est un ultra-concave dans sa conformation: Yeux : A l'expression éveillée, placés bas, assez loin de la truffe et surtout des oreilles, de couleur foncée, assez grands, bien ronds, légèrement en saillie et ne laissant voir aucune trace de blanc (sclérotique) quand l'animal regarde de face. Le bord des paupières doit être noir. Les chiens à face concave comme le Carlin, le Pékinois, le Shih Tzu, le King Charles Spaniel et également le Bouledogue Français présentent une ouverture palpébrale importante avec des yeux plus ou moins proéminents. De façon naturelle ils présenteront des lésions ulcératives de l’œil fortement favorisées par l’évaporation du film lacrymal de la cornée. Tous les traumatismes où la paupière ne se ferme pas assez vite seront néfastes, la branche qui revient trop vite dans la face lors de course dans le jardin, l’obstacle caché, la giclée de shampooing ou de produits irritants acides ou basiques. L’ulcère superficiel sera la conséquence immédiate. p. 7 Dr Jacques MULIN - © CEBF Si en plus la conformation de l’œil présente une ouverture palpébrale trop grande, la protection de ces mêmes paupières sera encore moindre et on ne parle pas des yeux globuleux, exorbités où les paupières ne servent plus à grand chose dans la protection. Des anomalies des annexes de l’œil peuvent être observées chez notre bouledogue, un dérèglement de la production des larmes par les glandes lacrymales avec sécheresse cornéenne, des cils ectopiques à l’intérieur du bord des paupières, le plus souvent la paupière supérieure, avec l’apparition de ces ulcères récidivants et même des entropions de la paupière inférieure au coin médial. N’oublions pas également le dermoïde cornéen, touffe de poils poussant sur la cornée qu’on rencontre parfois sur des chiots. En conclusion je dirai que les yeux de nos bouledogues sont fragiles et qu’il faut intervenir rapidement quand on constate une lésion oculaire et demandez toujours un examen minutieux des annexes de l’œil, car la vérité des ulcères cornéens s’y trouvent le plus souvent. p. 8 Dr Jacques MULIN - © CEBF