XIV° CONGRES AMIK – BORDEAUX 28 et 29 Septembre 2012 Les confèrences ÉQUILIBRE, DÉSÉQUILIBRE, TOUT EST MÉMOIRE Christian Chiffoleau, Masseur kinésithérapeute Mézièriste, Bordeaux Aux 3 M, figures emblématiques de BORDEAUX, Montaigne, Montesquieu, Mauriac, vient s’inviter Françoise Mézières. Nous voilà donc aujourd’hui avec nos 4 M ! Déjà au XVI ème siècle Montaigne, à travers ses Essais, faisait référence au lien intime entre le corps et l’esprit ; pour cela il a largement puisé dans les grands textes de l’antiquité (Plutarque, Sénèque, Virgile…). Il consacre 3 volumes à se décrire sans complaisance, « avec ses faiblesses, son inconstance, sa vanité, son orgueil, il s’achemine vers sa fin, tirant sa force de la certitude de sa petitesse et de l’acceptation de son destin qui est de vivre : « Le seul secret de la vie, c’est vivre ! » « Mon métier, mon art, c’est vivre ! » « Il faut toujours être botté et prêt à partir ! » « Nous sommes nés pour agir ! » En plein XXème siècle le Professeur Henri Laborit énonce : « La seule raison d’être d’un être c’est d’être, c’est‐à‐dire de maintenir sa structure. C’est de se maintenir en vie. Sans cela il n’y aurait pas d’être ». « Un cerveau ça ne sert pas à penser, mais ça sert à agir». Françoise Mézières est née en 1909 à Hanoï. Henri Laborit est né en 1914 à Hanoï (médecin chirurgien neurobiologiste innombrables publications. Il fit ses études à l’école principale du service de santé à Bordeaux) Montaigne écrivait : « L’interprétation de toute philosophie doit faire une place au corps du philosophe ». « Le monde ne s’enseigne pas, mais se pratique dans un apprentissage continu fondé sur les expériences corporelles ». Se maintenir en vie, maintenir son équilibre vital, avec quelle certitude d’y arriver, allons‐nous avancer ? Si Desproges disait : « je n’ai qu’une certitude c’est que je doute ». Montaigne affirme : « la vérité n’est plus qu’une forme dont on a extirpé le doute ». Pour s’éloigner du doute et puisque « nous sommes nés pour agir », cherchons comment ne pas basculer vers le déséquilibre, comment revenir à l’équilibre en travaillant sur les apprentissages (mémoires) nécessaires à cette réussite. Les animaux, donc l’homme qui est un animal, ne peuvent se maintenir en vie qu’en consommant cette énergie solaire qui a déjà été transformée par les plantes. Ce qui exige de se déplacer. Ils sont forcés d’agir à l’intérieur d’un espace, ce qui exige un système nerveux. Et ce système nerveux va agir, va permettre d’agir sur l’environnement et dans l’environnement. Et toujours pour la même raison : pour assurer la survie. Si l’action est efficace, il va en résulter une sensation de plaisir. Ainsi, une pulsion pousse les êtres vivants à maintenir leur équilibre biologique, leur structure vivante. Et cette pulsion va s’exprimer dans 4 comportements de base : ‐ La consommation : le plus banal, boire, manger, copuler … ‐ La lutte ‐ La fuite ‐ L’inhibition (il faut tenir à tout prix). Et voilà comment un individu maintenu par « sa réussite » à son état d’équilibre (notion de plaisir) peut basculer vers le déséquilibre suite à des échecs, des traumatismes divers et variés… de la vie. Si H. Laborit dit : « un cerveau ça sert à agir », Montaigne lui crée un lien : « mes pensées dorment si je les assieds, mon esprit ne va si les jambes ne l’agitent ». Mais comment sont orientées nos actions ? Essayons de voir à travers quelques exemples simples ce que peut être le cheminement de certains éléments du vécu : ‐ Un stimulus banal déclenche une réponse automatique, réflexe d’équilibre, mouvement de la marche, etc… ‐ Le stimulus déclenche une réaction inconsciente : il vient activer une pulsion, cette réponse élaborée au niveau de l’inconscient, vient influencer la réaction motrice, à l’insu même du sujet. Ce sont tous les gestes inconscients : mimique, posture, etc… ‐ Le stimulus éveille une signification consciente, mais cette signification, cette perception, est elle‐même plus ou moins influencée par les pulsions et les interdits rencontrés au passage au niveau de l’inconscient. La sensation qui vient au niveau conscient est donc déjà altérée et mêlée d’une certaine charge affective. Le conscient va rationaliser à la fois cette charge affective (affectivité consciente) et le contenu « objectif » de la perception. La réponse ainsi élaborée va être soumise à son tour au « filtre » de l’inconscient, avant d’aboutir à sa réalisation motrice. Ainsi la « personnalité » du sujet, c’est‐à‐dire la façon dont il a intégré son vécu intérieur, est‐elle toujours présente dans chacune de ses réactions motrices. Pour certains d’entre nous la formation Mézières nous avait amené à St Mont dans le Gers où Françoise Mézières enseignait….après une brève pensée nostalgique au panneau de St Mont nous poursuivons quelques kms plus loin vers Marciac où a eu lieu son XXXV éme festival de jazz. La musique n’est‐ elle pas une quête permanente d’équilibre ? « sans musique, la vie serait une erreur » (Nietzsche). Cette année JIM avait aussi invité la F.R.C. (fédération pour la recherche sur le cerveau). Plusieurs rencontres et conférences étaient organisées par un professeur de neuro psychologie et membre du laboratoire inserm(neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine). Je vous passerai les détails de ces interventions, mais sur témoignage inscrit grâce aux IRM(f) apparait clairement l’existence d’une neuroplasticité du cerveau qui montre la possibilité d’adaptations synaptiques (structurale ou fonctionnelle) en réponse à des stimulis physiologiques (dans le cas présent même les cerveaux des souris répondent à l’écoute régulière de musique par un enrichissement de leur connectique). LES FAITS : 100 milliards de neurones participent au fonctionnement du cerveau et comme nous venons de le voir, le cerveau possède des capacités d’évolution et d’adaptation extraordinaires, que l’on appelle « plasticité », nos circuits de neurones se fabriquent beaucoup par l’expérience : 10% des connections entre nos neurones existent à notre naissance, les 90% restants vont résulter des influences que nous rencontrerons tout au long de notre vie. Nous avons donc tous des cerveaux différents, cette incroyable capacité à évoluer persiste tout au long de la vie adulte et fait de chacun de nous un être unique. L’imagerie médicale nous fait découvrir ces évolutions, chaque cliché étant à lui seul un tableau. La perte en neurones serait de 10 à 20% à 90 ans, soit une perte de 10 milliards de neurones : il n’y a cependant pas de quoi s’alarmer, c’est d’avantage la qualité de la connexion entre les neurones que leur quantité qui fonde nos capacités cérébrales. Cela dépend de notre entretien intellectuel et physique sur toute une vie. « 1kg230, un poids tout juste honorable pour une aussi grosse tête, avec, suite aux analyses confiées à divers laboratoires américains une conclusion décevante : le cerveau d’Einstein présente une normalité désespérante ». Il faut savoir que tous les neurones sont en état de veille permanent, pour eux, il s’agit même d’une nécessité vitale, puisqu’un neurone non stimulé dégénère « mes pensées dorment si je les assieds… » La FRC écrit au sujet de la mémoire : « l’idée générale étant que la trace mnésique est d’autant plus tenace que le souvenir est répété (mémoire concrète ou abstraite) ». « L’imagerie cérébrale permet aujourd’hui de suivre en temps réel l’activité du cerveau. Les chercheurs commencent ainsi à mieux identifier où nous stockons nos différents souvenirs dans notre tête » et à savoir quel chemin, quelle logique nous allons suivre ! Le prix Nobel Eric Kandel a montré que l’enregistrement d’une information en mémoire se faisait grâce à un renforcement de la communication entre neurones au niveau de leur zone d’échange : les synapses. Nos expériences diverses entrainent la libération de neurotransmetteurs, de molécules capables de s’auto‐perpétuer : de proteïnes qui ancrent nos acquis. Mais nos souvenirs ne sont pas obligatoirement des copies conformes des évènements vécus, ils sont le fruit d’une reconstruction mentale complexe qui obéit à deux principes complémentaires : Celui de la correspondance (il doit refléter au mieux notre expérience de la réalité). Celui de la cohérence (il doit être en accord avec ce que nous sommes, nos croyances, nos aspirations. La prouesse de la mémoire tient donc moins à son exactitude qu’à sa capacité à modifier nos souvenirs en faisant en sorte qu’ils restent cohérents avec notre identité. Un vaste réseau cérébral intervient dans la formation et l’évocation des souvenirs. Par exemple : une zone du cortex est spécialisée dans les objets, une autre dans le contexte, une troisième lie ses informations entre elles. Le lobe temporal joue un rôle primordial pour le fonctionnement de la mémoire. Il est formé à la surface du cortex temporal et en profondeur notamment de 3 structures : - L’hippocampe, - le cortex périrhinal, - le cortex parahippocampique, déterminantes pour l’encodage, la consolidation et le rappel des souvenirs. 1‐ ENCODAGE : L’image de la plage avec le parasol est transmise à l’œil vers le cortex visuel primaire où elle est traitée et codée. Les informations sont ensuite transférées via la voie visuelle ventrale aux zones de la mémoire. Les éléments de l’image y sont traités séparément : - Le cortex périrhinal prend en charge la mémorisation des objets (le parasol). - Le cortex parahippocampique celle du contexte (la plage). - L’hippocampe fait ensuite le lien entre les 2 types d’éléments pour former un seul et même souvenir. 2‐REMEMORATION : La vue du parasol dans le garage va raviver le souvenir des vacances, l’image du parasol est d’abord transmise de l’œil au cortex visuel primaire, puis elle est transférée via la voie visuelle ventrale au cortex périrhinal chargé de la mémorisation des objets. Ce dernier se connecte alors à l’hippocame qui réactive le souvenir de la plage au niveau du cortex parahippocampique chargé de la mémoration du contexte. 3‐CONSOLIDATION : Dans les jours et les mois qui suivent sa formation, le souvenir est consolidé grâce au renforcement des connexions entre l’hippocampe et les cortex périrhinal et parahippocampique. L’hippocampe continue à être le liant entre le souvenir de l’objet et celui du contexte. Mais, avec le temps, le souvenir peut perdre sa vivacité originale et se transformer en « histoire » plus stable : « le parasol que j’emporte habituellement en vacances ». Dans ce cas, les connexions entre l’hippocampe et les cortex périrhinal et parahippocampique s’effacent progressivement … « Quand d’un passé ancien rien ne subsiste, l’odeur et la saveur restent encore longtemps à porter sans fléchir l’édifice immense du souvenir » écrivait Proust avec un juste pressentiment. Le parfum d’un être cher saisi en croisant un passant, les souvenirs d’enfance jaillissant au détour des senteurs d’un jardin. Les odeurs ont un rapport privilégié avec l’émotion et la mémoire. Et pour cause, l’entrée olfactive dans les narines n’est qu’à 2 neurones de l’amygdale et 3 neurones de l’hippocampe, des régions essentielles pour les émotions et la mémoire. Tous les autres sens passent au moins par le thalamus avant d’atteindre ces structures. Toute nos expériences rencontrées seront donc encodées, mémorisées, et reliées entre ces assemblées de neurones répartis à différents endroits dans le cerveau. Ainsi, dans notre système mnésique les informations isolées se mémorisent moins bien que les informations associées à des connaissances existantes : plus il y a d’associations entre nouveauté et ce qui est déjà connu meilleurs est l’apprentissage. RETENONS QUELQUES PHRASES ET MOTS ‐ La personnalité du sujet, c’est‐à‐dire la façon dont il a intégré son vécu intérieur est toujours présente dans chacune de ses réactions motrices. ‐ La trace mnésique est d’autant plus tenace que le souvenir est répété. ‐ Les souvenirs ne sont pas obligatoirement des copies conformes des événements vécus. ‐ Les informations associées se mémorisent mieux. ‐ Notion de plasticité du cerveau, par richesse de la connexion synaptique. Le comportement mnésique peut être largement influencé par certains facteurs : ‐1‐ Le degré de vigilance, d’éveil, d’attention et de concentration : «l’attention est le burin de la mémoire » ‐2‐ L’intérêt, la force de motivation, le besoin ou la nécessité. Apprendre est plus facile lorsque le sujet vous passionne. ‐3‐ Les valeurs affectives attribuées au matériel à mémoriser, l’humeur et le degré d’émotion de l’individu (l’état émotionnel lors d’un événement peut influencer grandement son souvenir). « ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire » disait déjà Voltaire. ‐4‐ Le lieu, l’éclairage, l’odeur, les bruits, bref tout le contexte présent lors de la mémorisation s’enregistre avec les données à mémoriser. Nos systèmes mnésiques sont donc contextuels. Quel intérêt à développer ce thème qui parait si éloigné de notre consultation du patient couché à l’horizontal sur la serviette ? Et bien, moi je pense que nous sommes au cœur de l’action Mézières, car la compréhension de toute cette connexion corporelle et psycho‐corporelle peut nous aider à faire cheminer, à ouvrir notre recherche sans fin des différents trajets neuro‐moteurs « verrouillant » certains fonctionnements jadis libre. Pour moi, du Mézières c’est faire de la neuro, d’ailleurs le Professeur Henry neurologue réputé bordelais n’était‐il pas le « Parrain » du premier congrès à Aire sur Adour puis à celui de Nantes ? Ne cherche‐t‐on pas la commande » antidote » à l’opposé des « choix », moteur de notre patient ? Mais pourquoi ce sujet couché sur mon tapis d’examen a les côtes basses surélevées, le trait mamelon pubis passe à 10 cm dudit pubis ! L’apnée est totale bien que je lui ai promis de ne pas l’agresser. Une hanche est en flexum, trace d’une tension extrême du psoas est‐il déjà prêt à se lever pour partir, pourtant il a mis ses deux poings l’un sur l’autre sous l’occiput pour pouvoir tenir la position décubitus heureusement, pour nous, il existe les bottins (et les oreillers pour dormir). Que pouvons‐ nous faire ? Le chemin inverse ! Une mémoire en vaut bien une autre ! Ce qui nous vaut quelques accusations en rapport avec nos exigences : « Ce que vous me faites faire est contre nature ». « Avec vous c’est toujours de ma faute ». « Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça ». Tiens, voilà une autre connexion qui vient s’ajouter aux précédentes ! Avec combien d’interférences neuro‐motrices inhibitrices arrivent nos patients ? Il est évident que nous ne pourrons accéder qu’à une minorité de tous ces complexes en inter‐relation les uns avec les autres : démêler, dénouer comme disait Françoise Mézières pour rendre le corps et l’esprit libres dans un fonctionnement plus économique : en fait, à l’origine, l’animal primaire n’irait pas si mal c’est le pilote qui pose problème ! Le devenir de la structure dépend du pilote et n’oublions pas que nous sommes tenus, avant tout, par quelques règles hégémoniques de survie bien sûr, mais n’oublions pas le timing de l’évolution : serpent (chaine postérieure), sauriens (rotateurs internes), humains (rotateur externes) et c’est avec eux qu’arrive notre problématique, reculer, s’offrir (le Christ) qu’elle drôle d’idée, qu’elle complexité mais aussi quelle tentation ! Je pense que ce qui est le plus important c’est de ne jamais oublier que si nous sommes capables de voir là où se situe le problème, même si nous devons le suivre à la trace (tout en sachant qu’il est impossible de tout voir) ce sera au patient avec notre aide, d’apporter le message correcteur qu’il devra inscrire le plus profond possible, car l’encodage d’un traumatisme (cf « l’attention est le burin de la mémoire ») parce que c’est justement un traumatisme LUI a des risque de laisser une inscription tenace ! le bonheur, une caresse, doivent se répéter longtemps pour devenir indétrônables, mais alors….quel avenir ! « je m’intéresse à l’avenir car c’est là que j’ai décidé de passer le reste de mes jours ... » Woody Allen Françoise Mézières dans la pratique de sa thérapie « remontait dans le temps » pour chaque patient , à l’affût des moindres anomalies corporelles à « réinitialiser » : Même si les directions « choisies » par la pathologie sont infinies, les orientations correctrices se doivent d’être au moins aussi nombreuses (voir plus, si l’on veut gagner une marge de sécurité) aidées par l’énormité de notre capital neuro à explorer ou réexplorer : vive la plasticité synaptique et leur nombre ! Par la justesse de sa réalité, Mézières, c’est de l’espoir. Je vous dois une vérité, au retour de mon séjour chez Françoise Mézières j’ai cherché le « lézard », l’anomalie, le trop plein de certitudes déjà vus lors de stages précédents annonciateurs de miracles ! Et j’ai trouvé ! Pour que le patient gagne sur la problématique avec laquelle il arrive, il va lui falloir transformer certains mécanismes de façon durable. Il lui faudra lutter, avec notre aide, pour laisser trace ; la difficulté sera de faire la bonne chose au bon moment et, là, c’est juste le problème de la compétence de chacun qui va allier le regard, l’écoute et le geste.