ESPÈCES №2 - Décembre 2011
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Biologie Entr’espèces Botanique Archéozoologie Paléontologie Systématique Exobiologie
UN GECKO INSULAIRE
pollinistur t disprsur d grins
... plantes et animaux, fort éloignés les uns les autres
dans l’échelle de la nature, sont reliés entre eux
par un réseau de relations complexes”
Les îles présentent des caractéris-
tiques écologiques très particu-
lières. Si on y trouve générale-
ment, pour des habitats comparables,
plus d’espèces endémiques, la richesse
des espèces y est nettement plus faible
que sur les continents. Les écosytèmes
insulaires sont ainsi considérés comme
“simplifiés” et plus vulnérables aux
perturbations naturelles ou d’origine
anthropique. Les introductions d’es-
pèces y provoquent régulièrement
des invasions biologiques qui boule-
versent les équilibres écologiques. Si
l’on rajoute à ce tableau la destruction
par l’homme de certains habitats, on
comprend comment de nombreuses
espèces insulaires ont pu s’éteindre au
cours des derniers siècles et pourquoi
d’autres sont gravement en péril.
L’île Maurice, située dans l’océan
Indien, fournit un cadre parfaitement
illustratif de ce qui précède. L’arrivée
de l’homme y a entraîné nombre de
disparitions d’espèces, le cas du dodo,
éradiqué un siècle après sa découverte,
étant emblématique de la fragilité des
espèces insulaires. Depuis quelques
décennies, à l’île Maurice comme
ailleurs, des initiatives visant à limiter
les dégâts occasionnés aux milieux
naturels et aux espèces autochtones
ont vu le jour. Ainsi, un oiseau très
différent du dodo, le petit faucon
endémique, Falco punctatus, revient-il
vraiment de loin. Alors qu’en 1974 il
n’en restait plus que quatre individus,
un programme de restauration a abouti
à des résultats spectaculaires : les effec-
tifs actuels de ce rapace dépassent les
800 spécimens.
Sur l’île Maurice, toujours, qui ne
compte plus que 2 % de sa couver-
ture forestière d’origine, pousse un
arbuste remarquable, Roussea simplex,
dont il ne reste que moins de cent
exemplaires répartis sur quelques sites.
Son espèce est la seule représentante
au monde de la famille botanique
des Rousseacées, raison supplémen-
taire pour en préserver des popula-
tions viables. Néanmoins, alors que la
situation de notre arbuste paraît moins
sérieuse que ne l’était celle du faucon
mauritien en 1974, rien ne garantit
un succès comparable à celui obtenu
pour ce dernier. En effet, la sauvegarde
d’une espèce menacée est complexe à
assurer, car elle passe aussi par la préser-
vation des interactions vitales qu’elle
a établies avec d’autres êtres vivants.
Comme chez toutes les plantes à
La rubrique des interactions dans le monde vivant
par Bruno Corbara
CNRS/université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand
Le gecko Phelsuma cepediana
sur une fleur de Roussea
simplex (cliché D. Hansen).
Charles Darwin, De l’origine des espèces (1859)
ESPÈCES №2 - Décembre 2011
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Biologie Entr’espèces Botanique Archéozoologie Paléontologie Systématique Exobiologie Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Le gecko Mycologie Mammalogie Botanique
fleurs, le cycle de vie de Roussea com-
porte deux phases cruciales, la polli-
nisation et la dispersion des graines,
qui nécessitent toutes deux l’inter-
vention d’agents extérieurs. Sous les
tropiques, ce sont le plus souvent des
insectes, des oiseaux ou des chauves-
souris qui jouent le rôle de pollini-
sateur. La fleur les attire et les retient
en leur fournissant le nectar (produit
par des nectaires floraux) et parfois le
pollen (produit par les étamines) dont
ils s’alimentent. Allant de fleur en fleur,
ils transportent les grains de pollen sur
les stigmates d’autres fleurs de la même
espèce et assurent ainsi la fertilisation
de ces dernières. Pour ce qui est de
la dispersion des graines, les oiseaux
et les mammifères (dont à nouveau
les chauves-souris) sont souvent
d’excellents agents. En se nourris-
sant de fruits, ces animaux ingèrent
des graines qui, après un transit par le
tube digestif, sont rejetées à distance de
leur plante d’origine, prêtes à germer.
Lorsqu’on a commencé à s’intéresser
à la conservation de Roussea simplex,
on ignorait tout de sa biologie repro-
ductive. C’est à un chercheur suisse de
l’université de Zürich, Dennis Hansen,
et à ses collaborateurs que l’on doit
la découverte récente des agents de
dispersion des grains de pollen et des
graines de l’arbuste et que, par là, une
étape indispensable à la conservation
de l’espèce a été franchie. Hansen a
observé que plusieurs espèces ani-
males visitaient régulièrement les
fleurs de Roussea pour en exploiter le
nectar. Parmi celles-ci, un passereau et
un gecko, tous deux endémiques de
l’île, ainsi que plusieurs insectes dont
un papillon également local et trois
espèces introduites d’hyménoptères
sociaux, l’abeille domestique Apis mel-
lifera, une guêpe Polistes et la fourmi
invasive Technomyrmex albipes. Le cher-
cheur suisse a cependant montré que
l’arbuste était exclusivement polli-
nisé par le gecko Phelsuma cepediana,
lui seul étant à même de déposer le
pollen collant de la plante au niveau
des stigmates. Les geckos ou les lézards
sont quelquefois connus comme pol-
linisateurs, mais c’est rare. Cela arrive
surtout dans les îles : on pense que c’est
parce que l’on y rencontre – relative-
ment – peu d’espèces d’oiseaux, d’in-
sectes et de mammifères. Par ailleurs,
en raison d’une plus faible pression
de prédation exercée sur eux, lézards
et geckos y atteindraient des niveaux
de densité très élevés. En conséquence,
leur régime alimentaire (habituelle-
ment nettement insectivore) s’élargi et
pourrait inclure du nectar, du pollen,
des feuilles et des fruits. Hansen a
d’ailleurs montré que le même gecko
est également le disperseur des graines
de Roussea. Que les deux fonctions
(pollinisation et dispersion) soient assu-
rées par la même espèce est un phéno-
mène très rare. Roussea dépend donc,
pour sa survie, de celle d’un gecko qui
Pour en savoir plus
Un dossier avec des compléments
d’information sur les geckos
pollinisateurs des îles et sur des sujets
voisins (Une sauterelle pollinisatrice à
La Réunion) est consultable sur le site
de la revue : www.especes.org, rubrique
“compléments d’articles”.
est assez commun. Malheureusement,
les ouvrières de T. albipes, qui exploi-
tent le nectar des Roussea repoussent
très souvent les geckos par leur agressi-
vité, empêchant ces derniers d’assurer
leur fonction de pollinisateur la plante
est donc fortement menacée de dis-
paraître à cause de cette fourmi inva-
sive. Phelsuma cepediana ne pollinise pas
seulement les fleurs de Roussea, mais
aussi celles d’une Malvacée, Trochetia
blackburniana, dont il apprécie parti-
culièrement le nectar coloré. Trochetia
n’est pas en voie de disparition, mais
ses arbustes, tout comme ceux des
Roussea, sont favorisés par la proximité
de certains arbres, des Pandanus dont la
densité du feuillage assure une protec-
tion aux geckos vis-à-vis de leur pré-
dateur de choc, le petit faucon Falco
punctatus. L’avenir de l’espèce Roussea
simplex n’est pas si simple… et sa pré-
servation dépend d’un grand nombre
d’acteurs de l’écosystème.
Dessin de Florine Corbara
Cet autre gecko de l’île Maurice,
Phelsuma ornata, serait aussi un
pollinisateur. Celui-ci visite une
fleur du palmier Latania loddigesii
(cliché D. Hansen).
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