iologie Entr’espèces Botanique Archéozoologie Paléontologie Systématique Exobiologie 70 Un gecko insulaire pollinisateur et disperseur de graines “[...] plantes et animaux, fort éloignés les uns les autres dans l’échelle de la nature, sont reliés entre eux par un réseau de relations complexes” Charles Darwin, De l’origine des espèces (1859) La rubrique des interactions dans le monde vivant par Bruno Corbara CNRS/université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand L es îles présentent des caractéristiques écologiques très particulières. Si on y trouve généralement, pour des habitats comparables, plus d’espèces endémiques, la richesse des espèces y est nettement plus faible que sur les continents. Les écosytèmes insulaires sont ainsi considérés comme “simplifiés” et plus vulnérables aux perturbations naturelles ou d’origine anthropique. Les introductions d’espèces y provoquent régulièrement des invasions biologiques qui bouleversent les équilibres écologiques. Si l’on rajoute à ce tableau la destruction par l’homme de certains habitats, on comprend comment de nombreuses espèces insulaires ont pu s’éteindre au cours des derniers siècles et pourquoi d’autres sont gravement en péril. L’île Maurice, située dans l’océan Indien, fournit un cadre parfaitement illustratif de ce qui précède. L’arrivée de l’homme y a entraîné nombre de disparitions d’espèces, le cas du dodo, éradiqué un siècle après sa découverte, étant emblématique de la fragilité des espèces insulaires. Depuis quelques décennies, à l’île Maurice comme ailleurs, des initiatives visant à limiter les dégâts occasionnés aux milieux naturels et aux espèces autochtones ont vu le jour. Ainsi, un oiseau très différent du dodo, le petit faucon ESPÈCES №2 - Décembre 2011 endémique, Falco punctatus, revient-il vraiment de loin. Alors qu’en 1974 il n’en restait plus que quatre individus, un programme de restauration a abouti à des résultats spectaculaires : les effectifs actuels de ce rapace dépassent les 800 spécimens. Sur l’île Maurice, toujours, qui ne compte plus que 2 % de sa couverture forestière d’origine, pousse un arbuste remarquable, Roussea simplex, dont il ne reste que moins de cent exemplaires répartis sur quelques sites. Son espèce est la seule représentante au monde de la famille botanique des Rousseacées, raison supplémentaire pour en préserver des populations viables. Néanmoins, alors que la situation de notre arbuste paraît moins sérieuse que ne l’était celle du faucon mauritien en 1974, rien ne garantit un succès comparable à celui obtenu pour ce dernier. En effet, la sauvegarde d’une espèce menacée est complexe à assurer, car elle passe aussi par la préservation des interactions vitales qu’elle a établies avec d’autres êtres vivants. Comme chez toutes les plantes à Le gecko Phelsuma cepediana sur une fleur de Roussea simplex (cliché D. Hansen). Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Le gecko Mycologie Mammalogie Botan fleurs, le cycle de vie de Roussea comporte deux phases cruciales, la pollinisation et la dispersion des graines, qui nécessitent toutes deux l’intervention d’agents extérieurs. Sous les tropiques, ce sont le plus souvent des insectes, des oiseaux ou des chauvessouris qui jouent le rôle de pollinisateur. La fleur les attire et les retient en leur fournissant le nectar (produit par des nectaires floraux) et parfois le pollen (produit par les étamines) dont ils s’alimentent. Allant de fleur en fleur, ils transportent les grains de pollen sur les stigmates d’autres fleurs de la même espèce et assurent ainsi la fertilisation de ces dernières. Pour ce qui est de la dispersion des graines, les oiseaux et les mammifères (dont à nouveau les chauves-souris) sont souvent 71 d’excellents agents. En se nourrissant de fruits, ces animaux ingèrent des graines qui, après un transit par le tube digestif, sont rejetées à distance de leur plante d’origine, prêtes à germer. Lorsqu’on a commencé à s’intéresser à la conservation de Roussea simplex, on ignorait tout de sa biologie reproductive. C’est à un chercheur suisse de l’université de Zürich, Dennis Hansen, et à ses collaborateurs que l’on doit la découverte récente des agents de dispersion des grains de pollen et des graines de l’arbuste et que, par là, une étape indispensable à la conservation de l’espèce a été franchie. Hansen a observé que plusieurs espèces animales visitaient régulièrement les fleurs de Roussea pour en exploiter le nectar. Parmi celles-ci, un passereau et un gecko, tous deux endémiques de l’île, ainsi que plusieurs insectes dont un papillon également local et trois espèces introduites d’hyménoptères sociaux, l’abeille domestique Apis mellifera, une guêpe Polistes et la fourmi invasive Technomyrmex albipes. Le chercheur suisse a cependant montré que l’arbuste était exclusivement pollinisé par le gecko Phelsuma cepediana, lui seul étant à même de déposer le pollen collant de la plante au niveau des stigmates. Les geckos ou les lézards sont quelquefois connus comme pollinisateurs, mais c’est rare. Cela arrive surtout dans les îles : on pense que c’est parce que l’on y rencontre – relativement – peu d’espèces d’oiseaux, d’insectes et de mammifères. Par ailleurs, en raison d’une plus faible pression de prédation exercée sur eux, lézards et geckos y atteindraient des niveaux de densité très élevés. En conséquence, leur régime alimentaire (habituellement nettement insectivore) s’élargi et pourrait inclure du nectar, du pollen, des feuilles et des fruits. Hansen a d’ailleurs montré que le même gecko est également le disperseur des graines de Roussea. Que les deux fonctions (pollinisation et dispersion) soient assurées par la même espèce est un phénomène très rare. Roussea dépend donc, pour sa survie, de celle d’un gecko qui est assez commun. Malheureusement, les ouvrières de T. albipes, qui exploitent le nectar des Roussea repoussent très souvent les geckos par leur agressivité, empêchant ces derniers d’assurer leur fonction de pollinisateur la plante est donc fortement menacée de disparaître à cause de cette fourmi invasive. Phelsuma cepediana ne pollinise pas seulement les fleurs de Roussea, mais aussi celles d’une Malvacée, Trochetia blackburniana, dont il apprécie particulièrement le nectar coloré. Trochetia n’est pas en voie de disparition, mais ses arbustes, tout comme ceux des Roussea, sont favorisés par la proximité de certains arbres, des Pandanus dont la densité du feuillage assure une protection aux geckos vis-à-vis de leur prédateur de choc, le petit faucon Falco punctatus. L’avenir de l’espèce Roussea simplex n’est pas si simple… et sa préservation dépend d’un grand nombre d’acteurs de l’écosystème. ❁ Dessin de Florine Corbara Cet autre gecko de l’île Maurice, Phelsuma ornata, serait aussi un pollinisateur. Celui-ci visite une fleur du palmier Latania loddigesii (cliché D. Hansen). Pour en savoir plus Un dossier avec des compléments d’information sur les geckos pollinisateurs des îles et sur des sujets voisins (Une sauterelle pollinisatrice à La Réunion) est consultable sur le site de la revue : www.especes.org, rubrique “compléments d’articles”. ESPÈCES №2 - Décembre 2011