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L'ENFANT, L'ARTHRITE CHRONIQUE ET LE CHIRURGIEN
Philippe TOUZET Chirurgien Orthopédiste Pédiatre
Hôpital Necker - Enfants Malades, Paris
(1ère partie : chirurgie à la phase aiguë)
Près des 2/3 des enfants et adolescents atteints d'arthrite chronique juvénile ou d'autres maladies
inflammatoires auront besoin de consulter un Chirurgien Orthopédiste Pédiatre, parfois dès la
phase active de la maladie, parfois seulement aux stades de séquelles. Le recours au chirurgien
génère une certaine angoisse chez l'intéressé et peut-être plus encore chez ses parents : qui dit
chirurgien dit opération, anesthésie, cicatrices, douleurs, rééducation, etc. Mais il ne faut pas céder
à la panique : les chirurgiens orthopédistes pédiatres sont des chirurgiens très particuliers. Ils
opèrent très peu (en moyenne, 1 consultant sur 10), et souvent la consultation est demandée, non
pas pour cider d'une opération, mais pour demander un avis sur une articulation qui s'abîme ou
qui se déforme, ou qui fait mal. Il y a bien d'autres moyens que les opérations pour améliorer la
situation.
BIOPSIE
Quelques fois, le chirurgien est consulté dès le début de la maladie parce que les différents
examens qui ont été faits n'ont pas permis de faire le diagnostic d'une anomalie articulaire. Le
médecin lui demande alors de faire une biopsie, c'est à dire de prélever quelques petits fragments
de membrane synoviale ou de cartilage ou d'autres tissus pour pouvoir les examiner au
microscope et rechercher éventuellement des microbes (culture cellulaire). Cette biopsie peut se
faire par arthroscopie par exemple aux genoux ou par une très petite ouverture dans les autres
articulations. C'est donc une petite opération, mais il faut prendre certaines précautions après
pour éviter que la cicatrice ne "colle" les tendons et les ligaments : il faut parfois immobiliser
l'articulation à l'aide d'attelles et faire une bonne rééducation.
SYNOVIORTHESES
Lorsque la maladie est connue et évolutive, l'une des causes des lésions articulaires est une
prolifération incontrôlée de la membrane synoviale. Celle-ci produit du liquide synovial en excès
qui contient un nombre de cellules plus ou moins grand (plus il y a de cellules, plus le liquide est
trouble). Le résultat est une distension de la capsule articulaire et des ligaments qui unissent les os
entre eux. Cette distension est douloureuse, ce qui entraîne des contractures musculaires (pour
protéger l'articulation) et elle abîme les ligaments qui sont étirés. Ultérieurement certains
constituants du liquide articulaire (enzymes) abîment le cartilage en le fendillant puis en le
fissurant. Enfin, la membrane synoviale qui prolifère va ronger l'os sous le cartilage en creusant de
véritables galeries. Dans certains cas, il peut devenir nécessaire de détruire cette prolifération
synoviale avant qu'elle n'ait trop abîmé l'articulation. Pour cela, on dispose de procédés chimiques
(traitements appelés synoviorthèses) ou mécaniques (opération appelée synovectomie).
La synoviorthèse consiste à injecter dans l'articulation (après avoir évacué le maximum de liquide)
un produit qui va "dissoudre" la synoviale en excès sans abîmer le cartilage ni les ligaments. Le
produit le plus utilisé en France est l'HEXATRIONE Retard. Un autre produit plus rarement utilisé
est l'acide osmique. Lorsque l'injection est faite rapidement et sans hésitation, elle ne fait pas plus
mal qu'une prise de sang, surtout si l'on a fait une anesthésie locale à la crème EMLA auparavant.
Mais parfois, il est nécessaire de faire une injection sous anesthésie générale. Une immobilisation
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de 3 jours par différents procédés (traction, attelles, gros pansements...) suit la synoviorthèse.
L'amélioration est immédiate, perceptible dès l'ablation de l'attelle en général. L'amélioration se
poursuit pendant quelques semaines. L'articulation peut redevenir tout à fait normale avec une
membrane synoviale reconstituée, d'épaisseur normale.
LAVAGE ARTICULAIRE
Mais quelquefois le résultat est incomplet ou bien une récidive survient rapidement. Dans certains
cas on peut être amené à faire un lavage articulaire par arthroscopie ou par simple ponction. Le
lavage permet d'éliminer de nombreux débris intra-articulaires qui empêchaient l'action complète
des produits de synoviorthèse. L'injection est faite 2 à 3 semaines après le lavage.
SYNOVECTOMIE
Mais parfois, la synoviorthèse est insuffisamment efficace ou une récidive survient rapidement
(moins de 6 mois), malgré le lavage éventuel. Dans ce cas, il faut faire une opération : la
synovectomie (ou la ténosynovectomie si on nettoie des gaines tendineuses). Cette opération
consiste à sectionner les attaches de la synoviale en excès à sa base.
On peut la réaliser par arthroscopie au genou ou à l'épaule, ce qui est plus simple dans les suites
opératoires que lorsqu'on la réalise par des procédés classiques (arthrotomie, c'est-à-dire
ouverture articulaire). Dans tous les cas, l'élément le plus important pour la réussite de la
synovectomie est de faire une excellente rééducation postopératoire. Ceci peut nécessiter une
hospitalisation de quelques jours ou un séjour en Centre de Rééducation. Enfin, il est habituel de
faire trois semaines de rééducation après une infiltration d'HEXATRIONE.
(2ème partie : chirurgie des séquelles)
La première partie de cette série concernait les interventions réalisées à la phase aig de la
maladie dans un but de diagnostic ou dans le but de contrôler localement la maladie
inflammatoire (Bulletin d'information n°9, juillet 1996, pages 3-4).
Cette deuxième partie explique les diverses interventions réalisées sur les membres pour traiter les
conséquences de l'inflammation locale ou les séquelles articulaires. Il faut savoir auparavant que
les rhumatismes inflammatoires ont une double action néfaste chez l'enfant : ils ont une action
directe qui altère le cartilage articulaire, les ligaments, les tendons, et ils ont une action indirecte
qui déforme les os en perturbant la croissance. Cette perturbation se fait de manière générale en
ralentissant la croissance globale (certains médicaments peuvent aussi concourir à ce
ralentissement), et de manière locale en déformant les extrémités des os (épiphyse et métaphyse),
où siègent les zones de croissance.
Plusieurs types d'opérations permettent de pallier aux conséquences de la maladie.
TENOTOMIE
Elle consiste à allonger les tendons situés autour des articulations qui se sont progressivement
rétractées (raccourcies), ce qui limite l'amplitude des mouvements. La capsulotomie qui lui est
parfois associée consiste à couper la capsule articulaire, c'est-à-dire l'enveloppe de l'articulation.
Ces opérations doivent être précédées et suivies d'une très bonne physiothérapie par traction,
appareillage ou postures. Parfois, une immobilisation plâtrée est appliquée après la téno-
capsulotomie. Ces opérations ne sont plus guère utilisées isolément comme autrefois, mais
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intégrées dans des séquences thérapeutiques utilisant toutes les méthodes disponibles :
synoviorthèses, rééducation, chirurgie. Par exemple, une luxation de hanche avec une rétraction
des adducteurs (muscle de l'intérieur des cuisses), se traitera par synoviorthèse, puis traction, puis
ténotomie, puis traction à nouveau ou plâtre 3 semaines.
OSTEOTOMIES
Elles sont utilisées dans diverses circonstances :
1. Pour corriger une déformation. Si l'atteinte inflammatoire a déformé un os long (fémur ou
tibia par exemple) entraînant un genu-valgum (jambe en X) ou un genu-varum (jambe en
O), la désaxation du membre inférieur peut devenir gênante. On peut la corriger en retirant
un petit coin osseux métaphysaire. Le resserrement des tranches osseuses redresse l'axe de
la jambe et on maintient habituellement par une agrafe ou une vis la correction.
2. Pour déplacer un secteur de mobilité. Si l'arthrite a entraîné un enraidissement partiel
d'une articulation dans une position peu utile, par exemple la hanche en forte rotation
externe, cette position gêne la marche, car le pied se dirige en dehors. On peut la corriger
en agissant dans l'articulation, mais ceci risque d'aggraver les dégâts. On préférera parfois
ne pas toucher à l'articulation et faire pivoter le fémur en rotation interne sous la hanche,
ce qui amène le pied dans l'axe de la marche.
3. Pour recentrer une hanche. Lorsqu'une atteinte de la hanche a entraîné une déformation
diminuant l'emboîtement de la tête du fémur dans la cavité du bassin (cotyle), on dit qu'elle
est excentrée. Cette excentration va provoquer mécaniquement un défaut de croissance de
l'articulation, même si la maladie inflammatoire est guérie. On peut corriger cela en
"recentrant" la te du fémur, en faisant une ostéotomie qui va diriger le col du fémur vers
le fond du cotyle.
ARTHRODESE
Lorsqu'une articulation a été très altérée par la maladie et qu'il n'y a plus d'espoir d'observer une
cicatrisation du cartilage, notamment en raison de l'âge de l'adolescent, cette articulation devient
soit douloureuse, soit instable, parfois les deux à la fois. L'arthrodèse permet de stabiliser et de
supprimer la douleur en "collant" les surfaces articulaires après avoir enlevé le cartilage généré.
Selon les cas, on peut également redresser une déformation. Ces opérations ont comme
inconvénient de supprimer la mobilité. Elle ne peuvent donc pas être utilisées dans toutes les
articulations, surtout si l'atteinte est bilatérale : ainsi les coudes, les articulations des doigts, les
hanches et les genoux ne peuvent être arthrodésés sauf cas particuliers. On peut arthrodéser les
poignets, les chevilles et les pieds, dans certains cas les épaules, et les articulations vertébrales.
Une immobilisation plâtrée de 2 à 3 mois est habituellement nécessaire après l'arthrodèse.
ARTHROPLASTIE
Les arthroplasties ont les mêmes indications que l'arthrodèse dans les articulations qui ne peuvent
être immobilisées. On distingue les arthroplasties simples et les arthroplasties prothétiques. Les
arthroplasties simples peuvent se faire par résection (opération dite "résection-arthroplastique"),
épiphysaire (au niveau de la tête radiale, de la tête cubitale, des orteils...) ou par interposition de
tissus. Cette dernière intervention se pratique de manière exceptionnelle, à la hanche uniquement
(opération de Colonna) mais ses résultats sur la mobilité sont habituellement décevants.
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Les arthroplasties prothétiques consistent à interposer une articulation artificielle (prothèse
articulaire). Ce sont des interventions aux résultats brillants dans l'immédiat mais qui posent de
nombreux problèmes de réalisation et de longévité. Les prothèses doivent être particulièrement
étudiées pour la morphologie des adolescents ou des jeunes adultes atteints de rhumatisme
inflammatoire de l'enfance, ce qui nécessite parfois des retouches ou même exceptionnellement
maintenant des fabrications entièrement sur mesure. La fixation dans l'os se fait par du "ciment",
en fait du méthyl-métacrylate qui polymérise ou par ajustement mécanique (prothèse non
cimentée). L'importance des destructions articulaires nécessite parfois des greffes osseuses qui
obligent à retarder la reprise de la marche jusqu'à ce qu'elles soient consolidées.
En fait, le problème majeur actuel est celui de l'usure des pièces en frottement. Diverses solutions,
notamment à la hanche, permettent de résoudre ce problème, mais toutes ont leurs
inconvénients, et actuellement aucune n'est "idéale".
Les principales indications sont la hanche, le genou, l'épaule et le coude, enfin les doigts. Les
prothèses de poignets et de chevilles sont encore actuellement au stade de recherche.
A la hanche, qui est l'articulation le plus souvent intéressée, les résultats immédiats sont bons à
99%. A deux ans, ils restent bons à 97%. A cinq ans, les résultats sont bons à 50% pour les
prothèses cimentées et à 80% pour les prothèses non cimentées. Mais il faut savoir que les
matériels font des progrès constants et que les prothèses implantées actuellement sont bien
meilleures que celles implantées il y a 10 ans.
Les résultats sont d'autant meilleurs que l'opération est réalisée rapidement après la perte de la
fonction (c'est-à-dire de la marche ou de l'autonomie). En pratique, les plus jeunes enfants qui ont
nécessité des prothèses de hanches avaient 11 ans. Avant cet âge, il existe habituellement des
solutions pour restaurer une articulation fonctionnelle au moins pour quelques années (solutions
dites conservatrices).
Ces opérations nécessitent une bonne préparation et surtout une très bonne rééducation qui
habituellement se fait en Centre de Rééducation pour un séjour de 4 à 12 semaines.
CONCLUSION
Les opérations de restauration de la fonction que l'on peut proposer aux enfants et aux
adolescents atteints de rhumatisme inflammatoire chronique sont nombreuses, et le choix parfois
délicat, car aucune opération n'est "parfaite" et chacune a ses inconvénients. Dans la décision qui
doit se prendre en concertation avec l'ensemble de l'équipe médicale, le patient et ses parents, les
avantages et les inconvénients doivent être mis en balance pour aboutir "au bon choix", c'est-à-
dire à la restauration de la meilleure fonction possible compte tenu de la situation propre de
chaque articulation et de chaque enfant.
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Lexique
Arthrodèse
Opération consistant à faire fusionner 2 os voisins au niveau d'une articulation en mettant en
contact intime l'os débarrassé du cartilage articulaire (os avivé) et en l'immobilisant dans cette
position par un matériel mécanique (ostéosynthèse) et/ou un plâtre.
Arthroplastie
Restauration d'une articulation détruite en essayant de conserver la mobilité par interposition de
tissus biologiques (arthroplastie vraie), par résection d'une partie de l'articulation (résection-
arthroplastique) ou par mise en place d'une articulation artificielle (prothèse articulaire).
Arthroscopie
Exploration d'une articulation par une mini caméra introduite par une petite incision de moins de 1
cm de long. Par d'autres incisions, on peut introduire divers instruments qui permettent de réaliser
un certain nombre d'opérations (biopsie, ablation de fragments de cartilage, réparation de lésions
du ménisque...). La récupération d'une arthroscopie est rapide car la cicatrisation de toutes petites
incisions se fait plus facilement que lors d'une arthrotomie.
Arthrotomie
Ouverture d'une articulation pour faire diverses opérations : exploration simple, biopsie,
traitement des lésions intra-articulaires quelles qu'elles soient. L'arthrotomie a des suites plus
longues que l'arthroscopie, car l'ouverture de la capsule articulaire est plus importante et la
cicatrisation plus lente avec des risques de fibrose, c'est à dire de blocages partiels de l'articulation.
Une très bonne rééducation doit suivre l'arthrotomie.
Biopsie
Prélèvement de quelques fragments d'un tissu organique (peau, tendon, muscle, membrane
synoviale, cartilage, os...). Les fragments ainsi recueillis sont examinés au microscope après
diverses préparations et peuvent également être mis en culture afin de rechercher des microbes
qui pourraient être à l'origine de la maladie pour laquelle on a fait la biopsie. La biopsie peut être
faite par un trocart, par une arthroscopie, ou par une arthrotomie.
Capsulotomie
Section de la capsule articulaire (sac délimitant la cavité articulaire et enfermant la synoviale) pour
permettre de redonner du mouvement à l'articulation lorsque la capsule s'est tractée ou a perdu
de sa souplesse.
Epiphyse
Extrémité renflée de l'os qui supporte le cartilage articulaire. Elle est séparée de la métaphyse par
la physe ou cartilage de croissance qui assure l'allongement de l'os et disparaît à la fin de la
croissance.
Métaphyse
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