PHI 4011-20: Aristote, Département de Philosophie, Université du Québec à Montréal
Hiver 2010
Jeudi: 18h-21h
Professeur: Sara Magrin
Rencontres avec les étudiants: Lundi 13h-, et sur rendez-vous.
Qu’est-ce qu’une enquête philosophique? Quel est son objet? Plusieurs philosophes
en diverses époques ont conçu la philosophie comme une entreprise scientifique, bien
qu’ayant des conceptions fort différentes de la « science » (métaphysique, physique?) et de la
méthode qu’il faut employer pour la poursuivre (recherche empirique, mathématique,
linguistique?). Mais y-a-t-il d’autres façons de concevoir la philosophie?
Ce débat à propos de l’essence de la philosophie commença, en Occident, dans
l’Athènes du IVème siècle. À cette époque, deux écoles visaient à former la classe dirigeante
d’Athènes et leurs membres affirmaient pouvoir faire ceci en éduquant les citoyens à la
« philosophie ». Elles étaient l’Académie de Platon et l’école d’Isocrate. Mais Platon et
Isocrate avaient deux idées très différentes de la « philosophie ». Pour Platon la
« philosophie » était la science des principes intelligibles et immuables de la réalité (les
formes), ainsi que la recherche d’un bien absolu, une forme au-dessus de toutes formes, alors
que pour Isocrate elle consistait en l’étude du « discours » (logos) et elle était la même chose
que la rhétorique.
C’est au milieu de ce débat que le jeune Aristote arrive à l’Académie (367 av. J.-C.).
Fidèle à l’institution où il demeurera durant 20 ans, Aristote prend partie à la discussion en
écrivant une exhortation à la philosophie (le Protreptique) dans laquelle il présente une
conception de la philosophie qu’on pourrait considérer « scientifique » (versus
« rhétorique ») contre les convictions d’Isocrate. Mais pouvons-nous dire que le Protreptique
est tout simplement une exhortation à la philosophie platonicienne alors? Cela n’est pas clair.
Dans le Protreptique, Aristote affirme que la raison principale pour laquelle il faut faire de la
philosophie est que la philosophie nous mène au bonheur. Il faut, par ailleurs, se demander
s’il croyait que la science platonicienne des formes pouvait accomplir cela. En effet, nous
verrons que bien que dans l’Éthique à Nicomaque Aristote démontre, tout comme Platon, une
confiance dans l’existence d’un bien absolu, il soutient qu’il est impossible de concevoir ce
Bien à la manière de Platon, c’est-à-dire comme une forme. Quel est donc ce Bien dont
Aristote parle, et comment la philosophie peut-elle nous amener au Bien?
En commençant par une brève analyse du Protreptique et de l'Éthique à Nicomaque,
nous essayerons de découvrir quels sont les points principaux au sujet desquels le jeune
Aristote prend ses distances de l’Académie afin d’élaborer sa propre conception de la
philosophie. Nous considérerons donc sa critique des formes platoniciennes, puis les
conséquences de cette critique sur sa conception de la science. Aristote pense, en effet, que la
philosophie est certainement une science, mais de quel type? Il reconnaît plusieurs types de
sciences, en effet, et il les partage en trois groupes: sciences poïétiques (les arts et les
techniques), sciences pratiques (l’éthique, la politique et l’économie) et sciences théorétiques
(la mathématique, la physique et la philosophie). La philosophie fait partie de ce dernier
groupe pour Aristote, mais pourquoi? Les sciences théorétiques sont appelées ainsi parce
qu’elles ont comme but la theôria, c’est-à-dire la contemplation, plutôt que la production
d’un quelconque artéfact (sciences poïétiques) ou l’action humaine (sciences pratiques). Mais
Aristote pense aussi que la philosophie diffère des autres sciences théorétiques, et ceci parce