LETTRE A L'EDITEUR COMPLICATIONS CARDIAQUES DE LA THERAPIE CANCEREUSE A propos d’un cas de cardiomyopathie dilatée post-radio et chimiothérapie à l’Hôpital Général de Yaoundé S. KINGUE*, J. MINLO**, A. MBAKOP***, J. YOMI**, M. OUANKOU*, W.F.T. MUNA RESUME Les auteurs rapportent un cas de cardiomyopathie dilatée, secondaire à une irradiation médiastinale et à une chimiothérapie à la doxorubicine, pour lymphome de la clavicule gauche, chez une femme camerounaise de 42 ans. Mots-clés : Cancer, cardiomyopathie dilatée. SUMMARY The authors report a case of dilated cardiomyopathy secondary to mediastinal irradiation and chemotherapy with doxorubicin for a lymphoma of the left claviculae, in a 42 years old cameroonian woman. Key-words : Cancer, dilated cardiomyopathy. INTRODUCTION La pathologie cancéreuse, jadis méconnue an Afrique Noire est à l’heure actuelle un véritable problème de santé publique dans cette zone. Au Cameroun, près de 10.000 cas nouveaux sont observés chaque année. Deux centre spécialisés dans le traitement du cancer sont actuellement fonctionnels dans les deux plus grandes métropoles du pays, où sont couramment utilisées la chimio et la radiothérapie. Ces moyens thérapeutiques, quoique dotés d’une grande efficacité, ne sont pas pour autant dénués d’effets néfastes iatrogènes, parmi lesquels les complications cardiaques occupent une place qu’il importe de ne pas méconnaître. Le présent travail a pour but de présenter une telle complication. médiastinale de 40 grays et une anthracycline, la doxorubicine (Adriamycine*). La dose totale administrée en 8 cures est de 750 mg. L’évolution est favorable sur le plan oncologique. Aucun élément clinique ou radiologique évoquant une reprise évolutive n’est retrouvé. En septembre 90, soit deux ans environ après la cure de son lymphome, alors qu’il n’existe pas d’antécédents de rhumatisme articulaire aigü ou de symptomatologie cardiaque connue, apparaissent une dyspnée d’effort au stade III de la New York Heart Association (NYHA) une dyspnée nocturne paroxystique. L’examen physique retrouve une patiente en bon état général, avec un poids de 79 kg pour 1,67 m, une tension artérielle de 90/60 mmHg, un pouls à 94 battements par minute, régulier, mais de faible volume. En particulier on note un souffle systolique d’insuffisance mitrale 2/6, un très discret souffle diastolique sur le bord sternal gauche, un souffle systolique d’insuffisance tricuspidienne 2/6 et un galop avec un B3. Aucun signe périphérique d’insuffisance cardiaque n’est présent. Le bilan biologique pratiqué montre une fonction rénale et hépatique normale, une absence d’anémie ou de déséquilibre hydro-électrolytique. Sur la radiographie du thorax, une discrète cardiomégalie avec un index cardiothoracique à 0.56 et une discrète surcharge vasculaire pulmonaire sont observées. L’électrocardiogramme de repos décèle un rythme sinusal à 100/mn, et un microvoltage des complexes QRS. Il n’y a ni trouble de la conduction, ni troubles de la repolarisation. Le Holter ECG pratiqué sur 24 heures indique un rythme sinusal permanent, une morphologie identique des complexes QRS, une absence de troubles de la conduction et une repolarisation stable. Mme BAY., camerounaise de 42 ans, présente en 1988, un lymphome de la clavicule gauche, traité par une irradiation L’écho-doppler cardiaque retrouve les critères d’une cardiomyopathie dilatée. En effet, le ventricule gauche n’est pas hypertrophié, mais dilaté et globalement très hypokinétique, avec des signes indirects de bas débit car- * Service de Médecine ** Service de Radiothérapie Oncologique *** Service d’anatomie-pathologique Hôpital Général de Yaoundé - BP 5408 - Yaoundé - Cameroun OBSERVATION CLINIQUE Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (1) S. KINGUE, J. MINLO, A. MBAKOP, J. YOMI, M. OUANKOU, W.F.T. MUNA 64 diaque. Les valves mitrales et aortiques présentant des épaississements non spécifiques. Une insuffisance aortique grade II, une insuffisance mitrale grade II avec une dilatation de l’oreillette gauche modérée, une insuffisance tricuspidienne, dont le gradient permet d’estimer la pression artérielle pulmonaire systolique à 30 mmHg, une insuffisance pulmonaire dont le gradient télédiastolique permet d’estimer la pression artérielle pulmonaire diastolique à 10 mmHg, sont observées. Les cavités droites ne sont dilatées. Il existe un petit décollement péricardique systolo-diastolique, sans aspect de constriction. Le diagnostic de cardiomyopathie à forme dilatée, secondaire à une association irradiation médiastinale et chimiothérapie à l’Adriamycine* est retenu et la patiente traitée par de la Digoxine, du Furosémide, de l’Enalapril et de l’Isosorbide Dinitrate par voie orale. PP : Epaisseur de la paroi postérieure du ventricule gauche SIV : Epaisseur du septum interventriculaire ES : Distance E-Septum FR : Fraction de raccourcissement du ventricule gauche FE : Fraction d’éjection du ventricule gauche IM : Insuffisance mitrale IA : Insuffisance aortique La figure I illustre l’aspect échocardiographique de la patiente Figure 1 : Echocardiogramme bidimensionnel, coupe grand axe longitudinal, fenêtre parasternale gauche. Noter la dilatation du ventricule gauche et l’épaississement des valves mitrales et aortiques. VG : Ventricule Gauche OG : Oreillette gauche AO : AorteVD : Ventricule Droit Le tableau I récapitule l’évolution des paramètres échodoppler cardiaque pendant la période de suivi. Tableau I Dates Paramètres 21/12/90 05/02/91 12/06/91 07/02/92 AO (mm) 24 25 27 28 OG (mm) 45 46 44 36 VD (mm) 19 23 17 16 DTDVG (mm) 60 57 61 63 DTSVG (mm) 50 46 48 48 PP (mm) 7.6 8 8.7 7 SIV (mm) 8.7 7 9.3 7.6 ES (mm) 12 14 16 14 FR % 16 19 21 23 FE % 35 39 42 45 Grade IM II-III II II II Grade IA II II II II Péricarde Décollé Décollé - - AO : Diamètre de la racine aortique OG : Diamètre de l’oreillette gauche VD : Diamètre télédiastolique du ventricule droit DTGVG : Diamètre télédiastolique du ventricule gauche DTSVG : Diamètre télésystolique du ventricule gauche Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (1) Sur le plan cardiologique, l’évolution est actuellement favorable et la patiente asymptomatique au repos. Cependant, elle garde une dyspnée d’effort au stade II de la NYHA. L’échocardiographie indique une réduction de la taille de l’oreillette gauche, une augmentation modeste de la fraction de raccourcissement et de la fraction d’éjection du ventricule gauche. La dilatation persistance de ce ventricule est probablement entretenue par l’insuff i s a n c e valvulaire aortique et mitrale. DISCUSSION La radiothérapie par irradiation médiastinale peut entraîner des lésions au niveau des 3 tuniques du cœur (7). L’atteinte péricardique consiste soit en un épanchement péricardique, soit en une péricardite constrictive. L’atteinte myocardique se traduit par une altération de la contractilité, habituellement transitoire. Cette atteinte peut COMPLICATIONS CARDIAQUES DE LA THERAPIE CANCEREUSE 65 également revêtir l’aspect d’une myocardiopathie restrictive. L’atteinte endocardique se traduit par des épaississements valvulaires non spécifiques et des insuffisances valvulaires mitrale et/ou aortique (2, 9). Dans le cas de notre patiente, on pourrait imputer à la radiothérapie, les lésions valvulaires observées, ainsi que l’atteinte péricardique, bien que celle-ci soit minime au moment du premier examen. Les anthracyclines sont parmi les antimitotiques les plus puissants à l’heure actuelle. De nombreux cas de rémission complète avec la doxorubicine ont été rapportés dans les lymphomes (10), ce qui explique son choix dans le traitement de notre patiente. La cardiotoxicité des anthracyclines peut se subdiviser en une atteinte précoce et une atteinte tardive. L’atteinte précoce comporte des arythmies, des anomalies électrocardiographiques diverses, une dysfonc- tion ventriculaire, le syndrome péricardite-myocardite et, plus rarement, la mort subite et l’infarctus du myocarde (1, 3, 4, 5, 8). L’atteinte tardive est due au développement d’une cardiomyopathie dégénérative. L’incidence est liée à la dose, dès que la dose totale dépasse 500 mg/m2. Cependant, des cas de cardiomyopathie ont été rapportés avec des doses inférieures à 400 mg/m2 (3). Notre patiente a reçu une dose totale de 400 mg/m2, mais a cependant développé une cardiomyopathie, il est vrai sur un terrain probablement fragilisé par la radiothérapie (6). CONCLUSION L’utilisation de la radio-chimiothérapie justifiée dans les lymphomes, expose à des complications cardiaques telles que la cardiomyopathie dilatée, observée dans notre travail. BIBLIOGRAPHIE 1 - ALEXANDER J., DAINIAK T., BERGER H.J., GOLDMAN L., JOHNSTONE D., REDUTO L., DUFFY T., SCHWARTZ P., GOTTSCHULK A., ZARET B.L. Serial assessment of doxorubicin cardiotoxicity with quantitative radionuclide angiography. N. Engl. J Med, 1979, 300, 278. 2 - GOTTDEINER J.S., KATIN M.J., BORER J.S., BACHARACH S.L., GREE M.V. Late cardiac effects of therapeutic mediastinal irradiation. Assessment by echocardiography and radionuclide angiography. N. Engl. J. Med. 1983, 308, 569. 3 - GREENE H.L., REICH S.D., DALEN J.E. 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