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Parmi les notions qui ont été proposées durant les dernières décennies pour décrire le
monde social « en partant du bas », celle de réseau a connu un développement
particulièrement important. Ancrée dans une tradition interactionniste, notamment les travaux
de Georg Simmel et ses disciples
, dans la psychologie sociale de Jacob Moreno
et surtout
dans l’anthropologie britannique des années 1950
, la notion a été approfondie et formalisée
dans les années 1960 par des chercheurs en sciences sociales formés aux mathématiques, au
premier rang desquels figurent Harrison White
et ses collaborateurs
. Par la suite, s’est
constituée une communauté de chercheurs
en même temps que s’est stabilisé un corpus de
notions et de techniques de construction et d’analyse des données
. Sur cette base notionnelle
et méthodologique relativement consensuelle, des auteurs ont tenté de construire des corpus
théoriques variés, certains faisant des réseaux un nouveau structuralisme
, d’autres les
considérant comme un « capital social », autrement dit une ressource individuelle
ou
collective
.
L’intérêt de la notion de réseau social est d’attirer l’attention des chercheurs en sciences
humaines et sociales sur le niveau « dyadique » de structuration du monde social, autrement
dit sur les relations impliquant deux entités. Dans les travaux constituant ce courant, les
entités en relation peuvent être de natures très diverses. Le plus souvent il s’agit de familles,
d’organisations ou d’individus. La durée des relations peut aller de l’existence de simples
interactions ponctuelles jusqu’à des liens de longue durée. Ces relations peuvent être
informelles ou formalisées (contractuelles par exemple). Un réseau social désigne simplement
l’agrégation de ces relations sans impliquer l’existence d’une conscience collective, de
frontières ou de dénominations. La notion de réseau permet donc de conceptualiser et
d’analyser une forme sociale qui se différencie clairement des groupes, des organisations, ou
des classes sociales qui sont plus traditionnellement mises en scène par les sciences sociales
et qui se définissent plus par le partage de ressources ou la similarité de caractéristiques. Elle
constitue en cela un outil analytique générique susceptible d’être mis en œuvre dans des
contextes sociaux et historiques variés. C’est pourquoi, cette notion est de plus en plus utilisée
Notamment Leopold Von Wiese, voir Michel Forsé : « Les réseaux sociaux chez Simmel : les fondements d’un
modèle individualiste et structural », in Lilyane Deroche-Gurcel et P. Watier (dir.), La Sociologie de Georg
Simmel (1908). Eléments de modélisation sociale, PUF, Coll. Sociologies, 2002, pp. 93-94.
Jacob Levy Moreno, 1937, Who shall survive, trad.française, Fondements de la sociométrie, Paris, PUF, 1954.
John Barnes, 1954, « Class and Committees in a Norwegian Island Parish », Human Relations, (7), pp. 39-
58 ; Elizabeth Bott, 1957, Family and Social Network, London, Tavistock.
Harrison C. White, 1970, Chains of Opportunity: System Models of Mobility in Organizations, Cambridge,
Harvard University Press ; Lorrain F. et H.C. White, 1971, « Structural Equivalence of Individual in Social
Networks », Journal of Mathematical Sociology, vol.1, pp. 49-80.
Entre de nombreux autres, Mark S. Granovetter, 1973, « The Strength of Weak Ties », American Journal of
Sociology, Volume 78, Issue 6 (May, 1973), pp. 1360-1380 ; Barry Wellman, 1979, « The Community Question:
The Intimate Networks of East Yorkers », American Journal of Sociology 84 (5), pp. 1201–31 ; Nicholas
Mullins, 1972, « The Development of a Scientific Speciality: the Phage Group and the Origins of Molecular
Biology », Minerva, vol.19, pp. 52-82.
L’International network for Social network Analysis (INSNA).
Alain Degenne et Michel Forsé, 2004, Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin.
Barry Wellman et Stanley Berkowitz, Eds., 1997, Social Structures: A Network Approach, 2nd ed.
Greenwich, CT: JAI Press.
Nan Lin, 2001, Social Capital, Cambridge University Press. Dans un texte sur le capital social, Pierre
Bourdieu a présenté un point de vue assez proche dans un court texte : Pierre Bourdieu (1980), « Le capital
social. Notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 31, janvier, pp. 2-3.
Robert Putnam, 1995, « Bowling Alone: America’s Declining Social Capital », Journal of Democracy, Vol. 6,
n°1, pp. 65-78.