Régulation neurologique centrale de la pression artérielle, modifications pathologiques Pr. Nicolas Bruder DAR, CHU Timone, Marseille e-mail : [email protected] Les centres vasomoteurs sont situés dans le tronc cérébral. Ce sont ces centres qui sont responsables de la régulation à court terme de la pression artérielle (PA). L’activité de ces centres est sous la dépendance de réflexes dont le principal est le baroréflexe, et agissent en modulant l’activité sympathique et parasympathique. L’activité des centres vasomoteurs bulbaires est modifiée par des afférences encéphaliques dont l’importance n’a été reconnue qu’assez récemment. L’objectif de cette présentation est de revoir les interactions entre les pathologies affectant le système nerveux central et le système cardiovasculaire. Centres vasomoteurs du tronc cérébral et baroréflexe Centres vasomoteurs La principale formation centrale est le centre intermediolateralis situé dans le bulbe et comprenant les neurones sympathiques préganglionnaires. Cette structure, composée de plusieurs noyaux, est sous la dépendance d’influx excitateurs et inhibiteurs. Une des structures modulant l’activité sympathique est située dans la partie latérale du bulbe (rostral ventrolateral medulla : RVLM). Les neurones préganglionnaires parasympathiques sont situés dans 2 noyaux situés dans la partie dorsale du bulbe : le noyau ambigu (NA) et le noyau dorsal du vague (NDV). Les afférences provenant des barorécepteurs, des chémorécepteurs et des récepteurs cardiaques et pulmonaires convergent vers un autre centre bulbaire : le noyau du tractus solitaire (NTS). Les neurones situés dans le NTS transmettent des messages excitateurs ou inhibiteurs aux neurones présympathiques de la RVLM et aux NA et NDV. Le NTS reçoit également des afférences supraspinales provenant de l’hypothalamus, lui-même largement relié aux neurones corticaux. Bien que les mécanismes précis chez l’homme de l’influence des hémisphères cérébraux sur la régulation de la pression artérielle soient imparfaitement connus, nous verrons plus loin que ceux-ci jouent un rôle important en pathologie pour expliquer les désordres cardio-vasculaires des atteintes neurologiques centrales. Baroréflexe Le baroréflexe est le principal mécanisme de régulation à court terme de la PA. On distingue un système à haute pression dont les récepteurs sont situés au niveau de la crosse aortique ou du sinus carotidien et un système à basse pression dont les récepteurs sont situés au niveau de l’oreillette droite et des vaisseaux pulmonaires. Ces barorécepteurs sont sensibles à l’étirement et envoient des influx inhibiteurs au NTS par l’intermédiaires des nerfs crâniens IX et X. En dessous de 60 mm Hg de PA, aucun influx ne peut être détecté. La stimulation des barorécepteurs augmente progressivement au-dessus de ce niveau pour devenir maximale autour de 180 mm Hg. L’arrivée de ces influx au niveau du NTS entraîne une inhibition des neurones situés dans la RVLM et donc une diminution du tonus sympathique, et une stimulation des centres parasympathiques. Ce système permet donc une adaptation permanente et rapide du tonus sympathique et parasympathique lors des modifications de la PA. Le ganglion stellaire est un relais important de l’arc baroréflexe. Son blocage par un anesthésique local (qui peut survenir lors d’un bloc cervical) provoque une tachycardie qui est liée à une augmentation de l’activité sympathique (puisque le baroréflexe est un système inhibiteur)[1]. En physiologie, il existe une puissante activité inhibitrice permanente du baroréflexe. Ceci explique que le blocage cervical du nerf glosso-pharyngien (IX) et du vague (X) chez le volontaire sain provoque une poussée hypertensive et une tachycardie liées à une augmentation importante de l’activité sympathique[2]. Ceci pourrait également expliquer en partie les troubles dysautonomiques survenant dans les syndromes de Guillain-Barré graves. L’activité du système nerveux autonome peut être évaluée de plusieurs manières : - par des tests cliniques simples mais peu spécifiques comme la variabilité de la fréquence cardiaque lors d’une manœuvre de Valsalva - la mesure des catécholamines plasmatiques ou urinaires (adrénaline, noradrénaline, dérivés méthoxylés) qui est une méthode assez grossière. Des mesures beaucoup plus sensibles de turn-over de la noradrénaline qui nécessitent l’utilisation d’isotopes radioactifs - la mesure de l’activité nerveuse sympathique musculaire périphérique par microélectroneurographie qui est la technique de référence - La mesure de la variabilité de la fréquence cardiaque ou de la pression artérielle qui s’est particulièrement développée en anesthésie pour évaluer la profondeur de l’anesthésie. L’idée est que plus l’anesthésie est profonde plus le système nerveux autonome est inhibé moins la variabilité est importante. Contrôle encéphalique de la pression artérielle Le fait que des atteintes situées au dessus du tronc cérébral puissent provoquer des troubles cardiovasculaires sévères est connu de longue date. Dès 1929, Penfield décrivait un syndrome de « convulsions diencéphaliques » (diencephalic seizures). Ce syndrome associe différentes manifestations de troubles neuro-végétatifs sévères, dont une tachycardie et une hypertension sévères, dont la survenue brutale et la durée brève ont fait penser dans un premier temps à une origine épileptique. En réalité, des manifestations d’épilepsie n’ont jamais pu être démontrées dans la genèse de ce syndrome régulièrement observé dans les hémorragies profondes diencéphaliques ou au cours des traumatismes crâniens graves[3]. Plus simplement, les relations entre les émotions (peur, douleur, angoisse …) et le système cardio-vasculaire sont connues depuis des siècles. Les questions qui se posent toujours sont la localisation anatomique précise de ces centres encéphaliques du contrôle cardiovasculaire et les implications cliniques en pathologie. Structures encéphaliques de contrôle cardio-vasculaire Les principales structures encéphaliques identifiées pour le contrôle du système nerveux autonome sont le système limbique et en particulier l’amygdale, et l’insula. La partie médiane et ventrale du lobe temporale, le cortex temporal et le cortex préfrontal sont également des zones qui pourraient jouer un rôle (figure 1). L’amygdale joue un rôle important dans l’expression des comportements émotionnels et intègre les réponses végétatives des stimuli émotionnels comme la peur et l’anxiété. Elle est composée de plusieurs noyaux (médian, central, latérobasal). Ces noyaux ont des connexions réciproques avec les zones gérant les émotions : lobe frontal et temporal, gyrus cingulaire. L’amygdale reçoit également des afférences du thalamus et de l’hypothalamus et des zones du tronc cérébral impliquées dans la régulation cardio-vasculaire. L’amygdale, principalement le noyau central, envoie des efférences vers l’hypothalamus et le tronc cérébral (noyau du tractus solitaire, noyau moteur dorsal du vague), alors que les deux autres noyaux ont pour rôle principal l’intégration des réponses végétatives aux stimuli émotionnels[4]. Figure 1 : L’injection de virus rabique au niveau des terminaisons sympathiques chez le rat permet de retrouver des lésions au niveau du complexe amygdalien, du cortex insulaire, de la partie médiane et ventrale du lobe temporale, du cortex temporal, du cortex préfrontal médian, qui sont aussi des zones impliquées dans la genèse des émotions chez l’homme. Il existe donc clairement une relation anatomique entre le système sympathique et les hémisphères cérébraux (MJ Westerhaus, AD Loewy Brain Research, 2001, 117127) Le cortex insulaire est le deuxième site encéphalique le plus impliqué dans le contrôle cardiovasculaire[5]. Chez l’homme, la stimulation de l’insula du côté droit augmente la fréquence cardiaque et la PA, alors que la stimulation du côté gauche ne provoque qu’une bradycardie. De manière similaire, lors d’un test de Wada, l’injection de barbiturique du côté droit diminue la fréquence cardiaque alors que l’injection du côté gauche l’augmente. L’imagerie IRM fonctionnelle a également montré que la stimulation des barorécepteurs augmente l’activité fonctionnelle des neurones de l’insula, généralement du côté droit[6]. Il apparaît donc que le cortex insulaire postérieur gauche est impliqué principalement dans l’intégration de l’activité parasympathique cardiaque. Le cortex insulaire postérieur droit est impliqué dans la régulation sympathique à la fois vasculaire et cardiaque. Mais des connexions interhémisphériques entres les régions de l’insula impliquées dans le contrôle cardiovasculaire ont été trouvées chez le rat[7]. Des circuits à la fois excitateurs et inhibiteurs entre l’insula et l’aire hypothalamique latérale ont été identifiés. Ces zones hypothalamiques se projettent vers le tronc cérébral et la moelle. Il est donc clair que tout changement dans la balance de ces influx inhibiteurs et excitateurs (anesthésie, accident vasculaire, épilepsie, …) s’accompagne de modifications cardio-vasculaires. Il existe des relations directes et indirectes entre l’amygdale et l’insula. Il existe des afférences du noyau latéro-basal de l’amygdale vers l’insula et en retour des afférences de l’insula vers les noyaux latéro-basal et central de l’amygdale. Le noyau dorso-médian du thalamus reçoit des afférences du noyau central de l’amygdale et se projette vers le cortex insulaire, assurant une connexion indirecte entre les 2 structures. Atteintes neurologiques et système cardio-vasculaire Un bloc nerveux cervical par des anesthésiques locaux ou une neuropathie périphérique atteignant les paires crâniennes IX et X augmente l’activité sympathique en inhibant l’activité baroréflexe[2]. Au repos, une activité sympathique basse repose sur une forte inhibition par le baroréflexe. Il est également bien connu que les atteintes du tronc cérébral ou de l’hypothalamus ou la neurochirurgie dans ces régions, peuvent s’accompagner de troubles cardio-vasculaires majeurs. L’hémorragie sous-arachnoïdienne (HSA) par rupture d’anévrysme est la pathologie qui a donné lieu au plus grand nombre de travaux sur les interactions entre une pathologie encéphalique et les désordres cardio-vasculaires. Ces modifications peuvent être dans un premier temps liées à l’hypertension intracrânienne aiguë qui accompagne toujours la rupture anévrysmale (figure 2). Figure 2 : resaignement anévrysmal avant l’intervention chirurgical chez une patiente hospitalisée en réanimation. L’HIC très sévère contemporaine de cette hémorragie (maximum 60 mm Hg) provoque une asystolie suivie d’un rythme d’échappement jonctionnel. Les modifications de l’ECG sont très fréquentes après HSA. Ces troubles sont attribués à la stimulation sympathique intense qui accompagne la rupture anévrysmale et l’hypertension intracrânienne. Celle-ci favorise l’apparition de troubles du rythme, surtout à craindre lorsqu’il existe un allongement important de l’espace QT. Ces modifications concernent principalement la repolarisation (sus- ou sous décalage du segment ST, augmentation de l’espace QT, inversion de l’onde T)[8-10]. Elles sont d’autant plus fréquentes que l’hémorragie est abondante[11] mais les modifications de l’ECG ne sont pas un facteur indépendant du pronostic[12]. Il existe un problème clinique lorsque ces anomalies sont associées à des troubles de la fonction myocardique avec parfois augmentation des enzymes cardiaques[13-15]. Ces lésions myocardiques sont proches de celles parfois observées au décours de la mort cérébrale, pour lesquelles le rôle d’une stimulation sympathique intense d’origine centrale a été démontrée[16]. Mais l’hypertension intracrânienne n’est certainement pas la seule cause de ces troubles cardiovasculaire. Dans une étude chez 118 patients consécutifs, les modifications de l’ECG étaient étroitement corrélées à l’importance de l’hémorragie dans la scissure sylvienne droite, c’est à dire au contact de l’insula droite siège de la régulation sympathique[17]. Dans les études autopsiques, il existe une relation entre l’importance des lésions myocardiques et les lésions hypothalamiques[18]. Lors des accidents vasculaires cérébraux (AVC), une incidence anormale de troubles du rythme a été constatée, principalement lorsque ces AVC atteignent la région insulaire gauche[19]. On peut imaginer qu’un déséquilibre de la balance système sympathique/parasympathique favorise la survenue d’arythmies. Le syndrome de mort subite chez des patients épileptique a conduit à de nombreuses investigations sur le retentissement cardiovasculaire de l’épilepsie. Les troubles de la repolarisation sur l’ECG et les troubles du rythme sont fréquents lors des crises ainsi que l’on montré les enregistrements continus EEG et ECG chez ces patients[20,21]. Lors de la chirurgie de l’épilepsie, des cas de bradycardie sévère ont été constatés[22]. Ces épisodes survenaient lors de l’amygdalo-hippocampectomie, principalement (dans 5 cas sur 6) du côté gauche. Référence : 1.Ikeda T, Iwase S, Sugiyama Y, Matsukawa T. 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