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CONFÉRENCE
BOUDDHISME ET PSYCHOTHÉRAPIE : DEUX CHEMINS, UN BUT ?
PAR LAMA TILMANN BORGHARDT LHUNDRUP
LE 14 OCTOBRE 2015 À STRASBOURG
Bonsoir à tous !
Vous êtes venus en si grand nombre que cela a pris un peu de temps pour que tout le
monde s’installe. Je suis très content d'être là.
Je m'appelle Tilmann maintenant. Avant, je m'appelais lama Lhundroup, j’ai été moine
bouddhiste pendant une trentaine d'années. Et c'est la première fois que je viens à
Strasbourg pour une conférence. J’en suis très heureux !
Je suis surpris que vous soyez venus aussi nombreux. Ce doit être pour le sujet, pas pour
ma personne ! Je voudrais d'abord commencer par quelques remerciements :
 D'abord je voudrais remercier les propriétaires de ce château qui nous ont mis la
salle à disposition gratuitement ce soir et qui m'ont invité pour cette conférence.
Ils sont engagés dans le social, dans le partage, dans l'échange entre cultures ; et
la rencontre du bouddhisme et de la psychothérapie fait partie de cet échange
entre différentes cultures.
 Et j'aimerais remercier Gabriela Frey, présidente de Sakyadhita France,
association qui lutte pour les droits des femmes dans le bouddhisme en général,
mais aussi pour l'équilibre entre homme et femme dans la vie monastique, ce qui
n'est pas encore tout à fait acquis dans la tradition bouddhiste. Et donc une partie
des revenus de ce soir ira à Sakyaditha France.
Gabriela : Bienvenue à tous ! Je suis très contente que vous soyez venus. L'association
Sakyaditha France s'occupe aussi de beaucoup de projets sociaux parce que c'est bien de
souhaiter l’équilibre, mais ce n’est pas assez. Alors que le simple fait de favoriser un
accès suffisant à l'éducation pour beaucoup de femmes et de filles est déjà très
important. Donc nous soutenons beaucoup de projets dans différents pays. Vous pouvez
avoir plus d’information sur nos projets sociaux sur notre site internet
(www.bouddhisme-france.org). Vous pouvez acheter et allumer une petite bougie
d'espoir pour les gens au Népal et en Birmanie puisque c'est particulièrement eux qui
connaissent des catastrophes assez dures en ce moment, ils ont besoin de beaucoup de
soutien.
Tilmann : J'aimerais remercier aussi le docteur Yasmine Liénard, qui est là depuis Paris.
C’est elle qui m'a fait venir à Paris pour des formations, des partages sur le sujet de la
rencontre entre psychothérapie et bouddhisme.
Quant à moi, je suis médecin de formation, avec une spécialité en homéopathie. Après
avoir exercé quelques années, je suis parti avec ma première femme faire une retraite
dans la forêt en Dordogne avec un maitre tibétain qui nous suivait. C'était Gendune
Rinpoché ; il a vécu en France près de vingt-cinq ans. Ensuite, j'ai fait une deuxième
retraire de trois ans et trois mois, puis Gendune Rinpoché m'a demandé de guider les
retraites de trois ans, six ans ou plus. Ce que j’ai fait pendant dix-sept ans. Il s’agit
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toujours de vie de groupe, de douze à quinze personnes normalement. Et dans un
groupe de ce genre, on voit s’élever les émotions. J'ai aussi vu beaucoup d'émotions au
monastère – il y a toujours un monastère là-bas en Auvergne, dans la région du Puy-deDôme, près de Saint-Gervais – et j’ai vu beaucoup d'émotions en dehors du monastère,
parmi les nombreux visiteurs ; parce que les monastères bouddhistes attirent des gens
qui cherchent un bienfait, pour être mieux dans leur peau.
En tant que médecin, j'étais souvent un peu dépassé par ce qui se présentait en termes
de besoins psychologiques, et même parfois de besoins psychiatriques. De là est venue la
collaboration avec des psychothérapeutes et psychiatres de la région de ClermontFerrand, de Riom, etc. Les thérapeutes de la région ont commencé à travailler ensemble.
Parallèlement à cela, un ami allemand (qui n'avait pas fait la retraite de trois ans) a
décidé de faire des études de psychologie puis de psychothérapie. Il m'avait demandé à
l'époque si on pouvait commencer un échange entre, d’un côté, les enseignants du
Dharma (c’est-à-dire le bouddhisme des différentes traditions et notamment de la
tradition tibétaine, dont je fais partie) et les psychothérapeute,s de l'autre. Il pensait
qu’on pouvait tellement apprendre l'un de l'autre.
Sur l'affiche de cette conférence, j'ai mis le titre : Deux chemins. Est-il possible de
cheminer ensemble ? Est-ce que ce sont vraiment deux chemins séparés ? C'était la
question que l'on se posait à l'époque. Aujourd'hui, pour moi, la question est résolue, ce
n'est même plus une question. La réponse est claire : oui, les deux chemins non
seulement peuvent se rejoindre, mais on peut travailler en unité des deux côtés. C'est
sur cette base-là que je vous parle aujourd'hui.
Je rappelle simplement qu’il y a quinze ans, on se posait encore la question depuis la
perspective du pratiquant bouddhiste : peut-il tirer profit de la thérapie ? Est-ce qu'il en
a besoin ? Ou bien est-ce que le bouddhisme est suffisant pour lui avec la méditation, la
pleine conscience (ou mindfulness), les pratiques superbes de visualisation et tout ce
que l'on peut apprendre dans le bouddhisme ? Est-ce qu'on a besoin de
psychothérapeutes ? C'était vraiment une question à l'époque, aujourd'hui elle est
résolue aussi. Parce que oui, on en a besoin et cela fait accélérer les choses. Non
seulement c'est une chose avec laquelle on doit vivre, mais cela accélère les
changements du pratiquant sur la voie d'éveil, qu’on appelle aussi la voie bouddhiste.
C'est une voie qui vise à s'éveiller, à se libérer.
Pour commencer, j'aimerais vous donner la définition de l'éveil, parce que c'est très
précis dans le bouddhisme : c'est la purification de deux voiles (on parle de voile comme
des rideaux, quelque chose qui voile ici l'esprit, la vue claire). Ce sont les voiles
émotionnels et les voiles cognitifs.
 Voiles émotionnels, c'est tout ce qui rend l'esprit et le cœur étroits. Pas
seulement les grandes émotions comme la haine, le grand désir, la jalousie, mais aussi
les toutes petites fixations, les toutes petites saisies de soi. « Moi », le plus important du
monde. Cela rend l'esprit et le cœur un peu étroits. Cela s'appelle les voiles émotionnels.
Chaque fois que nous sommes empêchés par ce voile émotionnel, nous ne sommes pas
en pleine possession de notre potentiel, des qualités inhérentes à notre esprit.
 Les voiles cognitifs, c'est un peu différent, c'est lié à notre façon de percevoir
la réalité. Là, on parle surtout du voile dualiste, c'est-à-dire du fait que l’on crée toujours
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une séparation entre un sujet, un moi et l’autre chose qu’il regarde, par exemple. Par
exemple dans le simple fait de marcher, ce serait de ne pas vivre pleinement le fait de
marcher (en tant qu’expérience sensorielle), mais de ressentir un moi qui marche.
Comme si marcher avait besoin d'un moi. Non, il n’y a pas besoin. Vous n'avez pas non
plus besoin d'un moi pour écouter, ça écoute tout simplement. Ça écoute, ça voit, ça
marche. Beaucoup de choses n'ont pas besoin d'un moi. C'est une très grande surprise à
quel point on peut faire des choses, vivre des choses sans avoir besoin d'un moi. Ça
s'appelle un voile cognitif. C'est une façon de voir, de connaitre la réalité.
C'est tout ce travail sur les voiles émotionnels que nous avons en commun avec la
psychothérapie. C'est un travail énorme, sur les différentes émotions de base, en
commençant par la peur, l'angoisse. Vous avez peut-être entendu parler de l’ignorance.
Je crois qu'il y a de nombreuses personnes ici ce soir qui connaissent déjà bien le
bouddhisme. Souvent on n'entend pas parler de la peur, on entend parler de l'ignorance.
Mais l'expression émotionnelle de ne pas savoir, de ne pas être dans la pleine
conscience, c'est être inquiet, ne pas être à l'aise, jusqu'à être dans la vie avec une peur
existentielle. C'est là le domaine de ce qu'on appelle l'émotion racine, l’ignorance ou
peur. Et toutes les autres émotions (orgueil, désir, jalousie, etc.) s'élèvent de là. Toujours
avec une peur, un manque de conscience à la base et des besoins qui ne sont pas
comblés, qui ne sont pas vus, ne sont pas ressentis, qui sont refoulés.
Donc tout ce travail-là, depuis environ cent cinquante ans maintenant, est accompli par
la psychothérapie. Quand je parle de psychothérapie, j'inclus Freud, Lacan, etc., depuis la
psychanalyse jusqu'aux derniers mouvements des dernières décennies. Il y a beaucoup
de thérapies nouvelles qui se basent sur le savoir des anciens et qui ont vu le jour dans
les trente dernière années. Au cours de ces cent cinquante ans, la psychothérapie a fait
un énorme travail de recherche sur l'esprit humain, elle a développé beaucoup de
méthodes et de savoir-faire sur la façon d’aider quelqu'un à être mieux, à aller mieux, à
voir plus clair, à sortir des identifications, à se désidentifier, à ouvrir son cœur, à ouvrir
son esprit, à avoir une autre approche de la vie. Ce qui manque à la psychothérapie, c'est
qu’en général, il n'y a pas cette dimension spirituelle qui va au-delà du travail
thérapeutique.
Comment est-ce que je continue mon chemin quand je n'ai plus besoin de mon
thérapeute ? C'est là que commence ce qui est au-delà de la thérapie. Ce n'est pas encore
nécessairement spirituel, mais c'est un travail de tous les jours. Et parmi vous, il y a
certainement beaucoup de thérapeutes, donc vous continuez dans le quotidien, avec
votre conjoint, avec vos enfants, avec vos proches, à faire un travail sur vous-même, un
travail dont vous devez admettre que c’est un travail de pleine conscience. Vous prenez
conscience des mouvements émotionnels, des petites réactions, vous vous freinez, vous
regardez. Vous avez appris à échanger là-dessus, à ne pas refouler, à exprimer, à
exprimer sans attaques, sans défenses. À simplement partager tout votre savoir-faire
thérapeutique quand vous êtes dans le quotidien. Et même si vous ne faites plus de
thérapie personnelle, vous continuez un chemin. Et sur ce chemin, puisque vous êtes
thérapeute, vous vous posez de plus en plus de questions existentielles. Quel est
vraiment le sens de la vie ? Vers quoi est-ce que je dirige mes patients, mes clients ?
Qu'est-ce qui est vraiment important dans la vie ? Et c'est là, très naturellement, qu'on se
tourne vers des voies qui contiennent un peu plus de cet élément contemplatif. On
découvre d'abord le « moins faire », puis le « rien faire ». On voit que les qualités de la
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vie commencent à sortir beaucoup plus encore quand on n’est pas toujours en train de
faire quelque chose.
C’est là que commence une découverte dans laquelle, je dois le dire, le bouddhisme est
quand même très expérimenté. Depuis deux mille cinq cents ans, le bouddhisme, les
maîtres bouddhistes, les disciples d'une génération à l'autre, explorent l'esprit et la
possibilité de la liberté, d’être ouvert dans le cœur en toute connaissance de la façon
dont l'esprit fonctionne. Ne rien contrôler, tout libérer par un travail personnel. Ce qui
manque au bouddhisme, c'est un travail à deux. Il n'y a pas de thérapeute, il y a des
enseignants, c'est autre chose. On enseigne et puis on rentre à la maison et on applique,
ou on fait des sessions de méditations, des retraites etc. Mais on applique ce qu'on a
entendu et on revient avec ses expériences pour recevoir à nouveau un conseil sur la
prochaine étape. Ce n'est pas une relation thérapeutique dans le sens que nous avons
donné à la psychothérapie où il s'agit d'un travail à deux, dans la même pièce,
accompagné, avec un échange.
Et c'est exactement ça qui manque aux pratiquants du bouddhisme aujourd'hui. Ils nous
demandent souvent, à nous lamas et enseignants, de remplacer le thérapeute, ils nous
demandent d'être thérapeutes. Mais nous ne le sommes pas. Nous n'avons aucune
formation pour ça. Car pour dépasser les passages difficiles dans la vie, souvent il faut ce
travail à deux. Il faut être accompagné d'une manière régulière, chaque semaine, avec
une rencontre qui est destinée à ce travail personnel. Parce que tout seul, on n'arrive pas
à le faire. Pourquoi ? Parce qu’on n’arrive pas à diriger sa conscience et à la maintenir
sur les points délicats. Là où ça fait un peu mal, là où on retombe toujours dans les
mêmes façons de voir et de juger les situations. Là, on a besoin de quelqu'un qui dit :
« Regarde, ne te juge pas et regarde, il y a des méthodes pour que tu puisses t'occuper de
l'enfant intérieur, de tes schémas émotionnels, etc. ». On a des méthodes, il y a quelqu'un
qui nous accompagne.
Normalement, ce n'est pas du tout ce que font les enseignants bouddhistes. Ils sont là
pour donner le dharma, pour donner des instructions sur la façon de méditer, de vivre sa
vie et sur la façon d’aller toujours plus loin jusqu'à découvrir la nature non-duelle, nondualiste de l'esprit, ce qu'on appelle la nature de l'esprit. Ce qu'on appelle aussi parfois
le non-soi, la vacuité, etc. Il y a différents mots pour cela. Pour quelqu'un qui suit ce
chemin, s’il voit son enseignant une, deux ou trois fois par an, cela suffit pour faire ce
travail, si on arrive à maintenir sa conscience, son attention sur le sujet. Si on n'y arrive
pas, on stagne, on n'avance pas. Et j'ai vu beaucoup de pratiquants bouddhistes stagner
sur leur chemin parce qu'ils n'ont pas pu aller voir, regarder les taches noires, les zones
d'ombre.
C'est difficile, nous sommes extrêmement habiles pour éviter toujours ce qui nous
embête, inconsciemment. On ne le fait pas exprès, on est très motivé, tout le monde veut
se libérer, tout le monde veut s'éveiller. Et bien sûr, on veut purifier son karma. Mais
quand il s'agit de s'asseoir et de regarder, on regarde plutôt dans le ciel, on regarde dans
les belles visualisations, on regarde son souffle mais on ne regarde pas vraiment là où ça
fait mal, où il y a ce côté pas sûr en soi, là où c'est inquiétant. Et c'est exactement là où le
thérapeute nous aide à stabiliser notre attention.
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Vous commencez à voir comme ça travaille bien ensemble ? C'est là où, en tant que
pratiquant de la méditation, je fuis, je m'échappe. C'est là où le thérapeute stabilise mon
attention d'une manière bienveillante, sans jugement. Et c'est exactement l'attitude que
l'on devrait développer comme pratiquant de la méditation : une attention bienveillante,
sans jugement. C'est exactement la posture thérapeutique. La posture du thérapeute,
c'est la posture que l'on devrait apprendre à l'intérieur avec soi-même. Cette même
bienveillance, cette même circonspection, cette même vision un peu panoramique des
choses, cette fluidité, le fait de ne pas se fixer. Dans le bouddhisme tibétain, on appelle
cela « réveiller le lama intérieur ». Le lama extérieur, le maître extérieur réveille le
bouddha, le lama en soi. Parfois, en thérapie, on appelle cela « le pilote ». Le pilote
externe, le thérapeute externe a pour but et comme tâche de réveiller le pilote, de
renforcer le pilote personnel de la personne avec laquelle il travaille. C’est la même
chose, exactement la même chose à faire.
Voilà donc quelques réflexions sur les résultats de notre travail. Avec le temps, il est
devenu très clair pour moi que par rapport à ce travail sur les voiles émotionnels, ces
deux approches vont très bien ensemble. Quant au travail sur les voiles cognitifs, de
toute façon, c'est un travail que l'on fait tout seul dans la méditation. Il faut développer
un calme mental profond pour mieux voir la nature de notre expérience et pour voir
qu'il existe des moments sans observateur où le moi n'est pas présent, où il n'y a pas de
cogitations, pas de pensées. Il faut découvrir toute cette dimension-là pour voir au-delà
de ce qu'on appelle normalement la psychothérapie. On peut formuler les deux chemins
de manière plus large. L’un pourrait être le chemin d'éveil. L'autre, on pourrait l'appeler
le chemin de guérison. Et l'éveil devrait être guérison. La guérison complète, ce n'est pas
guérir de toutes nos maladies physiques, c'est la guérison du cœur, de l'esprit. Et cette
guérison devrait être complète aussi. Quand on prend les deux chemins dans leur aspect
le plus profond et le plus vaste, cet éveil est la guérison qui devrait faire unité.
Pour terminer cette introduction, je vous rappelle que le bouddha s'appelait toujours
« médecin » et qu’on disait que l'enseignement était la médecine. Celui qui la reçoit, c'est
le patient. Ensuite, prendre le chemin, c'est avaler le remède, encore et encore, appliquer
la thérapie. Il y a deux mille cinq cents ans, le Bouddha parlait d'une voie. Ce n'est ni une
religion, ni une philosophie. On peut dire du bouddhisme que c'est une science de
l'esprit, une science de guérison, d'éveil. C'est pour cela que cela rejoint si bien les
sciences humaines aujourd'hui, parce que c'est basé sur l'expérience. On n'a pas besoin
de croire, on peut examiner. Et l'outil principal est la pleine conscience. On a du mal à
traduire ça en français, c'est un peu difficile dans toutes les langues latines. Vous avez
peut-être déjà entendu le mot sati, en pali. On le traduit souvent par « mindfulness »,
mais ce serait mieux traduit en anglais par « awareness ». Le terme « awareness » est
plus large, il n'a pas cette connotation d'une attention qu’il y aurait à avoir sur quelque
chose. On devient conscient de manière toujours plus large. Et tous mes amis
enseignants bouddhistes qui enseignent en anglais utilisent maintenant « awareness ».
« Mindfulness » c'est extrêmement limité. Le sens fondamental de ce qui est aujourd'hui
traduit avec ces termes-là, c'est « se rappeler de l'essentiel ». Nous, parce que nous
avons reçu peu d’instructions, nous pensons : « Je vais méditer sur le souffle, sur la
respiration. J’inspire, j’expire, j’en suis pleinement conscient. » Et on pense que le fait
d'avoir cette attention-là, ce sera la méditation. Mais ce n’est pas du tout le cas, ça c'est
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« l’attention ». Quand le Bouddha enseignait la méditation sur le va-et-vient du souffle, il
voulait qu'on soit conscient en même temps de tout le corps, de toutes les émotions qui
se passent, de tous les mouvements mentaux et de leur nature. Donc de se rappeler de
l'essentiel. L'attention n'était pas du tout focalisée sur le souffle, mais sur la qualité de
l'expérience vécue dans ce moment-là. C'est la qualité de l'être qui était importante pour
lui. On appelle cela « le quatrième », c’est-à-dire le quatrième pilier de l'attention, c'est
l'attention sur les dharmas, les lois et, entre autres, les Quatre Nobles Vérités.
 Ce que le Bouddha donne comme exemple premier c'est de se demander dans la
méditation : où est-ce qu'il y a tension, où est-ce qu'il y a stress ? Il appelait ça
dukha, souffrance. Où est-ce qu'il y a stress ? Où est-ce que ça ne va pas ?
 Deuxième vérité : quelle est la cause, la raison de ce stress ?
 Troisième question : est-ce qu'il y a une sortie ? Est-ce qu'il y a possibilité d'être
libre de cette tension, de ce qui ferme le cœur, l'esprit ? Et si oui,
 Quatrième vérité (ou question) : quel est le chemin à prendre, que faire?
Ça c'est la méditation. Vous y voyez le principe médical ? Vous y voyez ce que fait chaque
docteur ? Anamnèse avec diagnostic de symptômes, diagnostic des causes. Est-ce que la
thérapie est possible ou pas ? Si oui, appliquer la thérapie. C’est le chemin de guérison.
Ces Quatre Nobles Vérités du Bouddha, ce sont en fait les principes de la thérapie, de
tout chemin de guérison.
C'est ça que le Bouddha disait être l’essentiel de la méditation. Ce n'est pas du tout de
devenir calme ou tout de suite heureux. Non, on a besoin d'un esprit calme pour
regarder les causes de la tension, pour voir en quoi est-ce qu’elle consiste et quelle sera
l'attitude juste pour ouvrir, pour détendre cette tension. C'est là le pourquoi de tout ce
chemin bouddhiste. S’il y a des gens dans la salle qui s'y connaissent un peu, vous
regardez dans le Satipatthana sutra et le Mahasatipatthana sutra, c'est là où vous en
trouvez exactement la description. Tout le Mahasatipatthana sutra est basé sur cette
exploration des Quatre Nobles Vérités comme l'essentiel de cette qualité de Sati, de
« awareness », pleine conscience. Donc pleine conscience des causes de la souffrance et
de tout ce qui emmène à la Libération et à l’Éveil.
C'est la base de notre travail commun, à nous psychothérapeutes et enseignants
bouddhistes, enseignants de la méditation. C’est sur cette base que nous avons construit
notre échange. Dans les échanges il y a quinze ans et plus, nous étions enseignants de
trois grands courants de la tradition bouddhiste : notamment ce qu'on appelle le
theravada, la tradition vipassana, puis la tradition zen et la tradition du bouddhisme
tibétain. Et du côté des thérapeutes, on a commencé avec des praticiens de
psychanalyse, de gestalt, de focusing, de PNL, il y avait aussi bien sûr les thérapies
humanistes, donc basées sur Carl Rogers, la psychosynthèse de Assagioli, etc. ; il n'y
avait pas de limites. Tous les thérapeutes de toutes les traditions étaient dans la même
salle avec les enseignants du dharma de toutes les traditions. Et à l'issue de sept ans de
travail commun, nous avons dit : « Maintenant que nous avons beaucoup appris, nous
allons fonder un institut pour partager ce savoir ». C'est de là qu'est venu l'institut de la
Psychothérapie Essentielle, pour éviter le terme « bouddhiste ». Nous avons choisi
« Psychothérapie Essentielle » pour qu'il n'y ait pas cette idée du bouddhisme comme
religion. Pour éviter cela, on va à l'essentiel. Car même si j'ai utilisé des termes
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bouddhistes, on parle bien de l'essentiel. On parle de ce qui est vraiment le fondement
de l'être, c'est-à-dire être présent, regarder où on va mal, trouver des solutions,
appliquer les solutions. On parle aussi de la relation humaine, qui fait miroir dans la
relation thérapeute / client (ou patient), de développer un bon thérapeute intérieur,
développer une attitude vis-à-vis de soi-même qui sera comme un bon parent, un bon
pilote. Ce sont des choses absolument essentielles.
Depuis la fondation de cet institut, nous avons déjà terminé deux cycles de formation de
trois ans (d’abord avec onze personnes, puis treize), le troisième cycle démarre en
novembre 2015. Nous avons aussi commencé un cycle de formation d'un an et demi
pour des professionnels, c'est-à-dire des gens qui ont déjà beaucoup d'expérience dans
le travail psychothérapeutique, soit des psychiatres, des psychothérapeutes avec au
moins cinq ans d'expérience et un travail personnel de fait. C’est de cette formation
continue dont j'aimerais vous parler un peu plus ce soir concrètement.
J’approche déjà de la fin de mon intervention, la deuxième partie de la soirée sera
entièrement dédiée à vos questions. Normalement je parle environ trois quarts d'heure
à une heure puis il y a questions-réponses pendant la même durée. Parce que c'est
beaucoup plus intéressant pour moi quand j'entends vos questions. C'est toujours la
partie de la soirée où j’apprends aussi.
J’aimerais partager un ou deux exercices avec vous, un peu de pratique. Ce sont les
exercices de base dans l'approche unifiée de la thérapie, de la voie de guérison de l'éveil.
Les méditations
Le premier exercice s’appelle en allemand « innehalten », cela veut dire s’arrêter,
regarder. C’est très simple. Faisons ça tout de suite.
Imaginons que nous avons une émotion, peut-être vous ressentez de l’ennui, donc pratiquez
avec ça. Ou vous avez envie de quelque chose, pratiquez avec ça. Prenons le temps de
regarder.
Arrêtons la préoccupation extérieure. Comment est-ce que je me sens là tout de suite ? Estce que tout va bien ? Comment est-ce que je me sens ?
C’est comment de s’arrêter? Est-ce que ma façon d’être en silence m’apaise ? Est-ce que cela
m’irrite ? Quel est l’effet ? Qu’est ce que je ressens ?
Si j’avais de la colère, je regarderais : qu’est-ce que je ressens ? Non pas à propos de quoi je
suis en colère ou ce qui m’irrite mais : c’est comment exactement ?
Et la deuxième partie sera : de quoi ai-je besoin là, tout de suite?
Et me le donner par le souffle, par exemple, de respirer là maintenant d’une manière à me
faire du bien.
Détendre, ouvrir peut-être l’esprit, de manière à pouvoir ressentir une ouverture qui
s’installe.
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Être, respirer, de façon à aller mieux.
Merci beaucoup.
Extrêmement simple n’est-ce pas ? C’est très simple mais c’est la base. Dès qu’on touche
à quelque chose qui coince, avoir le réflexe de ne pas se laisser entraîner. On n’a pas
toujours la possibilité de se retirer comme dans un moment de méditation mais on a la
possibilité de sentir. Normalement on est happé par l’émotion, n’est-ce pas ? On est pris.
On veut tout de suite faire, répondre ou fuir, détruire, tout de suite on est pris. Là, au lieu
d’être pris, j’explore : c’est comment ? C’est comment d’être ? Là, maintenant. Pas dans
l’abstrait. Là, maintenant, être dans l’émotion, c’est comment ? Déjà ça, ça nous sort un
peu du trouble. Dès qu’on se concentre sur ce qui nous énerve, on retourne tout de suite
dedans, c’est clair, mais il y a un petit contact parce que dans l’émotion, on oublie le
corps. Il y a bien d’autres choses qui se passent que l’émotionnel. On se sent comme un
être humain, un peu plus pleinement ; on n’a pas seulement le problème émotionnel, on
respire aussi, on est là, on est présent.
Deuxième partie : de quoi ai-je besoin, là, tout de suite ? De se prendre en charge, parce
que derrière toute émotion, il y a toujours un besoin. Et on peut commencer à le trouver
juste en ressentant le corps et en lui offrant ce dont il a besoin. Donc la deuxième étape
est très simple. Quand on s’occupe du corps, en prenant l’exemple du souffle, on s’occupe
tout de suite, en même temps, de l’esprit. Les deux sont complètement liés.
Cet exemple de base peut s’appliquer tout le temps, il n’y a pas besoin de grand-chose.
Vous pouvez même le faire au bureau ou aux toilettes. On peut sortir, on peut trouver
une excuse. C’est la base sur laquelle je peux ensuite appliquer ce que me dit mon pilote
intérieur : comment être bien, quelle méthode, quelle attitude d’esprit, me rappeler
l’essentiel, sati, restimuler ma motivation de base, etc., tout ce que j’avais oublié dans la
situation même. J’ai besoin de m’arrêter et de me rappeler l’essentiel. Et l’appliquer sera
la phase d’après.
C’est ce que l’on fait dans la méditation et dans la thérapie mais souvent nous n’avons
pas de problème, nous n’avons pas de souffrance, on va bien ! Comment est-ce qu’on
peut utiliser cette situation-là ? Comment faire quand tout va bien ? Est ce qu’on peut
avancer sur le chemin ou est-ce qu’il faut attendre le prochain problème ? C’est le
privilège de l’entrainement bouddhiste, se spécialiser dans le travail avec un esprit qui
est bien, qui est bien dans sa place : comment faire quand tout va déjà bien ?
Ce sera le deuxième exercice que j’aimerais partager avec vous, après ce sera les
questions.
Si vous êtes prêts à entrer avec moi dans ce petit exercice, ce sera plutôt une petite
méditation très simple. Cela s’appelle « ouvrir les six sens », les six facultés sensorielles,
l’ouïe, le toucher, l’odorat, etc., et le mental comme sixième sens.
Pour le moment vous commencez en fermant les yeux. Comme il fait assez chaud dans la
salle, il vous faut peut-être mettre le dos bien droit pour avoir plus de clarté.
Ressentir le corps, c’est-à-dire : c’est comment d’être là, en ressentant ce corps ?
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Depuis la plante des pieds, vous pouvez monter avec votre attention, en ressentant le corps
dans les jambes, jusqu’à venir au bassin, les hanches, le bas-ventre, en remontant dans le
torse jusqu’aux épaules, en incluant les deux bras, jusqu’au bout des doigts. Puis en
continuant avec la nuque, le visage, l’arrière de la tête jusqu’au sommet de la tête.
Et tout le corps entier.
Cela respire. C’est comment, respirer ? Si c’était la première fois que l’on respirait, ce serait
comment ? Cette expérience indescriptible, elle est comment ?
Et nous n’allons pas rester longtemps avec cela.
On inclut l’ouïe, c’est-à-dire les bruits, les sons : c’est comment d’entendre ?
Et c’est comment de voir ? Là je vous incite à ouvrir les yeux un peu, à voir ; pas pour voir
quelque chose mais c’est comment de voir ? D’être réceptif au niveau de la vision, de la
vue ?
Il y a même des odeurs ou peut-être un goût dans la bouche.
Donc repassons à nouveau les cinq sens extérieurs : ressentir, entendre, voir, sentir, goûter.
Tous les cinq sens bien réceptifs.
Et puis quelles pensées passent par l’esprit ? Est-ce qu’il y a des mouvements mentaux ?
Regardez, remarquez les mouvements mentaux qui passent.
S’il y a une émotion, regardez-la. S’il y a des états d’âme, remarquez-les.
Je me sens comment là tout de suite ?
C’est comment d’être avec les six sens complètement ouverts ?
Pas besoin d’une réponse intellectuelle ; juste répondre par la sensation, par le fait de
ressentir encore mieux comment c’est d’être.
Etre, être pleinement, c’est comment ?
Et voilà, merci beaucoup.
C’est encore très simple, ça s’appelle « ouvrir les six sens ». Ces deux exercices de deuxtrois minutes font partie de la façon d’ouvrir une session de psychothérapie en
psychothérapie essentielle.
Après cette ouverture des six sens, on a vraiment fait un état des lieux. C’est là qu’on
demande : « sur quoi souhaitez-vous travailler ? » Et les réponses sont tout à fait
différentes de ce que le client, le patient aurait pensé avant la session. Là, on va à
l’essentiel. Ce qui sera là, c’est vraiment l’essentiel ; c’est ce qui bouge vraiment à
l’intérieur.
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Donc voilà la fin de ma présentation. Je suis resté aujourd’hui avec les bases et je suis sûr
que je n’ai pas répondu aux centaines de questions que vous avez amenées avec vous ici.
Questions-réponses
Q : Est-ce vous êtes dans la lignée de Jack Kornfield ?
T : Est-ce que Jack Kornfield a une lignée ? Il a écrit la préface de mon dernier livre,
« Mahamoudra et Vipassana ». Il se situe plutôt du côté Vipassana. Même s’il a contacté
aussi les enseignements de Mahamoudra et Dzogchen, etc. Nous sommes frères de cœur,
donc c’est la même lignée du cœur, on continue le même travail. Mais au niveau de la
lignée bouddhiste, il a eu beaucoup plus d’influence venue de ce qu’on appelle la
tradition Theravada. Dans laquelle moi aussi j’ai étudié ; mes premiers maitres venaient
de cette tradition là. Mais j’ai eu plus d’influence du côté bouddhisme tibétain, de la
lignée Karma Kagyu, si ça vous dit quelque chose.
Q : Est-ce que vous ne pensez pas que certains maîtres peuvent être en eux-mêmes des
thérapeutes ? Par exemple je prendrais le Dalaï Lama, qui est quand même un exemple par
son comportement, ses paroles, son énergie. C’est aussi une forme de thérapie quand on est
à son écoute, quand on est près de lui. Parce qu’il n’y a pas seulement les paroles et le
mental, mais il y a aussi l’énergie qui est transmise entre le maître et son disciple, c’est
aussi une forme de thérapie, n’est-ce pas ?
T : Alors là tu prends le mot thérapeute au sens très large. Dans ce sens-là, le Dalaï Lama
est un très grand thérapeute. Mais il ne fait jamais des sessions une fois par semaine
avec qui que ce soit. Il ne fait pas l’accompagnement dans le détail, il ne fait pas
l’accompagnement de jour en jour ou d’une semaine à l’autre, donc il est une autre sorte
de thérapeute. Pour moi aussi, mon maître Gendün Rinpoché était le plus grand
thérapeute que j’aie jamais rencontré. Il faut admettre que le Dalaï Lama fait un bien fou
sur cette planète. On peut donc l’appeler thérapeute, mais il faut savoir que peut-être
d’autres thérapeutes vont résister à cette définition parce qu’ils se disent qu’il n’est pas
formé comme psychothérapeute, qu’il fait ne fait pas le même travail que nous, il fait un
autre travail.
Q : Dans la PNL, on a aussi toujours un modèle. Je ne sais pas si vous avez fait de la PNL,
mais on y travaille avec un modèle. Donc si on a un modèle on peut aussi, à travers une
réflexion, faire un travail personnel ; c’est aussi un effet miroir.
T : Oui, il y a un modèle, on ne sait pas si on l’appelle le thérapeute ou le Bouddha ou le
guérisseur, mais on a besoin de modèle. Et c’est vrai que la relation thérapeute-patient
est aussi une relation de modélisation où on apprend aussi grâce à l’exemple ; relation
exemple, personne exemple.
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Q : Quand je t’entends parler de l’éveil, c’est toujours quelque chose de très simple, très
humain et très accessible. J’ai l’impression que c’est un chemin possible pour tous. Ça a l’air
finalement assez ordinaire et simple. Mais quand j’entends d’autres bouddhistes en parler,
ou même quand je pense à l’image que j’avais moi-même des êtres éveillés, c’est comme s’ils
avaient des super pouvoirs. Ils peuvent lire dans les pensées, faire tout ce qu’ils veulent,
voler. L’Éveil c’est quelque chose d’extraordinaire, on peut avoir envie d’aller vers ça. Et
quand tu en parles, ça parait moins ambitieux, beaucoup plus simple. Est-ce que c’est la
même chose ? Quand je pense à ce contexte d’Éveil, à ces êtres incroyables et
extraordinaires, je me dis que le thérapeute ne peut pas y aller, moi-même je n’y suis pas.
T : Ce n’est pas notre tâche en tant que thérapeute d’emmener notre patient à l’Éveil,
mais on va faire nos interventions thérapeutiques dans le sens de soutenir le
cheminement vers l’Éveil. L’Éveil c’est la simplicité, c’est d’être naturel. Il n’y a pas plus
naturel que les êtres éveillés, sinon ils ne sont pas éveillés. Quand on connait, on sait que
c’est quelque chose de très simple. C’est tellement simple que ça devient difficile.
Q : Cette croyance erronée que ce n’est pas si simple peut mettre les gens dans de grandes
souffrances.
T : Oui, c’est terrible, ça remet le but loin, si loin… C’est comme une grosse carotte làhaut. Ça peut créer énormément de tensions.
Q : Est-ce que vous êtes éveillé ?
T : Non, je ne suis pas éveillé. C’est une drôle de question, car si on dit qu’on est éveillé,
c’est qu’on a rien compris.
(Beaucoup de rire dans l’assistance.)
Q : J’ai déjà participé à deux week-ends avec toi et notamment au week-end avec Wolfgang
Erhardt il y a une semaine. Il y a quelque chose qui m’a fait beaucoup de bien, c’est que
dans l’approche que vous proposez, on part avec l’idée que les êtres sont sains, dans leur
nature véritable, et que c’est une sorte d’égarement que nous rencontrons. Et on va essayer
tout au long du processus de se souvenir de ça, contrairement à certaines psychothérapies
où on enferme les gens dans une maladie avec un diagnostic. Pourrais-tu en dire davantage
là-dessus ?
T : Le chemin de l’éveil et de guérison est basé sur le fait de savoir qu’en nous tous, en
toute profondeur, nous ne sommes jamais malades. Nous sommes complètement sains
et déjà éveillés. On n’a pas à créer quoi que ce soit mais à découvrir. Enlever ce qui
couvre et découvrir et faire sortir ce qui est déjà là.
J’ai beaucoup travaillé avec des psychotiques et ce sont des gens en grande détresse, des
gens qui ont fait parfois dix ans d’hôpital pour grave dépression, en continu. Ils peuvent
tous contacter ce qui n’est pas du tout abimé en eux et le faire sortir. Derrière tout cela,
en dessous, il y a toujours ce côté complètement sain. Et ça se manifeste par moments, ça
fait comme des percées dans la conscience problématique. Ça se manifeste et on travaille
avec ça en psychologie essentielle. On travaille avec les moments où le côté
complètement sain ou éveillé se manifeste. Et même si on n’en voit qu’une petite lueur,
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c’est ça qu’on va prendre comme appui, lui donner de l’importance pour le faire sortir
davantage. C’est quelque chose que nous avons en commun entre l’approche bouddhiste
et toutes les thérapies nouvelles qui sont basées dans les ressources. On les appelle
« thérapies orientées vers les ressources du client » et on se base toujours là-dessus.
Nous faisons partie de ce groupe d’approches où on travaille la plupart du temps avec
les ressources. On stabilise la personne sur ses propres ressources et c’est là-dedans
qu’on fait venir le problème, le sujet, la question. Quand on mène une thérapie moderne
sur les traumas, c’est toujours ce principe-là. Avec les principes bouddhistes de travail,
nous n’avons donc rien besoin d’adapter. Merci d’avoir évoqué cette question car c’est
un point essentiel. Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas abordées ce soir, faites-les
sortir avec d’autres questions, si vous voulez bien.
Q : Si j’ai bien compris, c’est en quelque sorte l’interaction entre les deux, psychothérapie et
Dharma : l’un apportant son savoir, son expérience, son éclairage à l’autre pour lui
permettre d’avancer. C’est donc une avancée réciproque. Vous avez dit que le yogi ou le
bouddhiste qui fait sa méditation seul peut aller très loin, mais il commet toujours la même
erreur car il ne se rend pas compte de l’obstacle. Et le rôle du psychologue ou du
thérapeute va être de dire : « Attention, là tu as ton obstacle, c’est ça qu’il faut que tu
enlèves pour pouvoir continuer. » C’est bien ça ?
T : Oui, c’est ça. Je suis d’accord avec ça.
Q : Ça c’est très important parce que je connais des personnes qui méditent trois heures par
jour et on peut se poser quelques fois la question sur l’avancée du système. Ce que vous
venez de dire est important : c’est-à-dire qu’à partir d’un certain degré de connaissance et
de capacité de méditation, il faudrait peut-être se mettre en contact avec un thérapeute,
mais il faut trouver un bon. Il faut trouver quelqu’un qui a le niveau.
T : Oui, il faut trouver quelqu’un qui a le niveau pour travailler avec un yogi qui a fait
vingt ans de méditation intensive. J’en connais qui en ont vraiment besoin et qui
acceptent et là, on ressent des synergies énormes du fait de ce travail de la pleine
conscience, de la présence, de cette subtilité que le méditant a développée. Et quand la
personne s’ouvre à l’accompagnement thérapeutique, les thérapeutes sont étonnés et
agréablement surpris de voir à quel point ça avance vite. Parce qu’il y a toute cette
présence qui a déjà été développée, il faut juste la guider un peu et l’aider à travailler à
cette transformation. Pour vraiment souligner ce que vous dites, je peux dire que des
méditants de longue date, entre autre des enseignants du bouddhisme tibétain,
theravada ou zen, sont venus vers moi dans un état émotionnel lamentable parce que
leur pratique ne leur a pas apporté ce qu’ils ont cherché. Et on peut voir que le signe
d’un véritable progrès dans la pratique est que l’on devient vraiment fluide, que l’esprit
devient flexible, qu’on est ouvert de cœur, qu’on est vraiment disponible. Et parfois on
peut remarquer qu’une personne qui a médité toute une vie est complètement rigide,
complètement fixée sur elle-même et ce sont des signes de non-progrès.
Donc de l’autre côté, il faut être à la hauteur quand on veut enseigner ou guider un
psychothérapeute, parce que ce n’est pas dit que de son côté il ou elle ait vraiment fait
tout le travail. Là il y a aussi des points à regarder.
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C’est souvent la femme ou le mari qui connait l’histoire de la personne avec qui il ou elle
vit et qui dit : « Oui il est certainement un très bon psychothérapeute, mais à la maison, il
aurait encore des choses à apprendre. »
Je suis marié avec une psychothérapeute et on se chamaille un peu : « Toi, avec tes 30
ans de ci et ça et regarde où tu en es ! » On a tous besoin d’entraide. C’est un point
essentiel : un partage qui accepte l’aide mutuelle que nous pouvons nous apporter.
Q : Parce qu’a priori la méditation est une connaissance intuitive, alors que le
psychothérapeute a plutôt une connaissance théorique.
T : Non, je ne dirais pas ça, je crois que les deux sont intuitives et expérientielles, la
théorie n’aide pas beaucoup les thérapeutes. Dans les deux cas, la théorie ne va pas être
d’une grande aide.
Q : J’ai eu une conversation récemment avec une personne qui pratique le bouddhisme
tibétain de longue date et qui est aussi traductrice de textes sacrés. J’ai aussi eu cette
conversation avec d’autres personnes sur la question de la vraie nature et on parlait de la
psychothérapie et du Dharma. Elle disait : « Ça n’a rien à voir, il y a quelque chose qui me
dérange dans le fait qu’on amène la psychothérapie sur le chemin de l’Éveil. Il y a quelque
chose qui pose problème.»
Je crois comprendre que, derrière son questionnement, il y a l’idée que l’Éveil est quelque
chose de très, très complexe avec un travail très puissant sur les étapes, les transmissions et
les initiations et qu’on ne peut pas y aller à moitié. Et que d’une certaine façon, si le
psychothérapeute n’est pas lui-même un être accompli et réalisé, comment pourrait-il
amener des personnes sur ce chemin ? Donc il y a quelque chose de presque incompatible
entre la psychothérapie et le Dharma. Elle disait que la psychothérapie sert à faire du bien
aux gens pour qu’ils puissent fonctionner dans la vie ordinaire et que pour elle le Dharma
c’est vraiment un autre chemin. La psychothérapie serait finalement un truc « à moitié »,
qui ne peut pas emmener vers l’ Éveil.
Il y a quelque chose qui bute vraiment pour elle. Cela fait quelque temps que ça dure.
Pourtant on fait des stages ensemble. Et j’ai le sentiment, en tant que psychiatre qui essaie
de suivre ces cours, qu’il y a dans le chemin bouddhiste certaines personnes qui considèrent
que c’est un chemin réservé aux initiés, très secret et qu’il y a un engagement à vie et très
particulier. Je pense que c’est dommage et que c’est important de diffuser l’enseignement
du Dharma justement aux personnes qui n’y ont pas accès, qui ne sont pas sur ce chemin-là
et aux Occidentaux en particulier. Je voudrais savoir : qu’en penses-tu ?
T : Merci pour ce partage. Il y a plusieurs questions là-dedans. Oui, d’un point de vue
traditionnel, c’est comme tu le dis. Il y a la voie vers l’Éveil et la psychothérapie ; c’est
encore trop de dire qu’elle fera la moitié du chemin. C’est encore moins. Et il faut laisser
ces personnes, ne pas essayer de les convaincre. Il faut leur laisser le temps de voir. J’ai
formé beaucoup de lamas et j’étais souvent celui vers qui on venait avec des problèmes
plus émotionnels. Et je sais qu’il faut voir après vingt ou trente ans comment une
personne évolue, si cet Éveil sacré a vraiment eu lieu ou si c’est encore dans le futur,
peut-être dans une autre vie. C’est ce qui fait vraiment obstacle, c’est de là que viennent
les obstacles dans les communautés spirituelles (les difficultés entre les membres, etc.)
Et là ils peuvent voir : « Oups, peut-être que je n’ai pas besoin d’un psychothérapeute
éveillé, pour cela j’ai mes maîtres éveillés. J’ai juste besoin d’un psychothérapeute tout à
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fait normal pour me montrer comment être normal et pas un éveillé. Ce n’est pas juste
un jeu de mots, mais il y a beaucoup d’expérience derrière cela. Il faut le temps, leur
laisser apprendre leurs leçons et ils vont voir qu’ils sont partis avec toute leur énergie et
qu’ils font de leur mieux, mais qu’ils ont oublié un côté. Ce côté-là a besoin parfois du
soutien d’un psychothérapeute. Je ne dis pas que tout le monde a besoin de faire une
psychothérapie. Mais d’en apprendre sur comment faire ce travail avec soi et les autres,
avoir des échanges. On a beaucoup à apprendre, même si on ne fait pas la thérapie.
La deuxième partie de ta question, c’était que vous voulez que l’expérience de la science
de l'esprit qu'on appelle bouddhisme soit partagée avec tout le monde. Certes, mais il
faut le faire, ce partage, et d'une manière compétente ! Il ne sera certainement pas fait
par ceux qui pensent qu'ils font partie d'un groupe privilégié et qu’ils gardent un grand
secret. Ce n’est pas eux qui vont le partager, il faut qu'il y en ait d'autres.
Q : En fait là, on fait une séparation entre psychothérapie et bouddhisme ; mais est-ce que
justement, si on est sur le chemin, si on intègre tellement qu'on ne sépare plus la pratique
de la vie, alors la question ne se pose même plus, de savoir si on a la psychothérapie d’un
côté et le bouddhisme de l’autre, non ? C'est la même chose, c'est la façon de travailler avec
ce qui arrive. Est-ce que dans les traditions, finalement, le maitre n’avait pas ce rôle-là,
celui d’éviter qu'on parte dans des voies trop théoriques ou dans des voies qui sont telles
qu'on travaille (ou qu’on croit travailler) pendant cinquante ans sur un point, pour
finalement ne rien faire du tout ?
T : Là aussi il y a deux parties dans ta question. Évidement, au bout d'un certain temps,
cela ne se sépare plus. Pour moi, quand je suis dans un environnement thérapeutique où
je fais un travail thérapeutique, c'est la pratique du Dharma, c'est ma pratique, mon
cheminement vers l’Éveil bouddhiste.
Donc, de ce point de vue-là, oui, cela fait unité, c'est inséparable. Par contre, j'ai quand
même des nuances à apporter. Les méthodes sont un peu différentes et c'est bien de
savoir quand nous sommes plutôt du côté du travail à deux avec des méthodes
thérapeutiques, et quand nous pouvons aller plus loin, même sans méthode, et pratiquer
le vrai Dharma.
Ce qu'on appelle Dharma ici, dans le contexte de l'entrainement de l'esprit bouddhiste,
cela va toujours vers moins de méthode, jusqu’à juste être naturel. C’est un chemin qui
va bien plus loin, donc il n’y a plus besoin de quelqu'un, plus besoin de méthode. Être. Je
vous ai amenés un petit peu vers ça dans l'exercice – juste être. Et être sans préavis, être
sans sujet / objet, sans observateur, être dans un sens fondamental. Et ça, c'est une autre
forme de « vraie nature », « vrai soi », que ce dont parle normalement comme « être
authentique » en psychothérapie. On va bien plus en profondeur. Là, il y a une autre
profondeur, une autre dimension qui s'ouvre et qui n'est plus de l'ordre de ce qu'on
appelle normalement la psychothérapie. Mais nous pouvons dire : « Oui, ça aussi, c'est de
la psychothérapie, c'est la véritable psychothérapie qui va jusqu'à libérer complètement
l'esprit, la psyché. »
On n'a pas besoin de dire que là où s’arrêtent les méthodes aujourd’hui, c'est là où
s'arrête notre thérapie du psychisme. On peut dire qu'on va aller jusqu'à la fin avec cette
approche. Il ne faut juste pas tomber dans l'erreur de dire que c'est pareil, non : c'est
très différent. Il y a vraiment, comme monsieur disait, un dialogue entre deux traditions
assez différentes. Puis on commence à remarquer qu’on fait la même chose. Dans
l’expérience, c’est assez différent, le vocabulaire est très différent ; la psychothérapie
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parle de renforcer le soi. Une autre fois j'en parlerai, il y a tout un chapitre dans notre
livre sur ce sujet. Le bouddhisme parle du non-soi, d'arriver à la réalisation du non-soi.
On se dit : « mais comment est-ce possible ? » Puis quand on échange là-dessus, on voit
que c'est la même chose.
Q : La psychothérapie a plus comme finalité, du moins c'est ce qui se passe en pratique, de
renforcer l'attachement, et ces tendances-là.
T : La psychothérapie n'a pas pour but de renforcer les attachements, pas du tout. Les
thérapeutes ne sont pas dupes, ils essaient, là où ils peuvent, de réduire les
attachements, les saisies, les fixations. Mais normalement les thérapeutes et les
fondateurs des écoles thérapeutiques ont laissé ouvert ce qui vient après. Ils ont dit :
« On va jusque là, c'est à l'individu de continuer son chemin après ». La plupart des
thérapeutes ont cette attitude : « Certes, on fait un travail, on fait une centaine d'heures
ensemble et après vous continuez votre chemin et ce n'est pas à nous de dire, de prévoir
ce qui devrait se passer. » Ils ont laissé cette partie du développement humain ouvert,
sans en parler. Et c'est le domaine dont parlent beaucoup les différentes traditions
spirituelles.
Q : Au début, vous avez parlé de voiles, des voiles émotionnels, des voiles cognitifs. Je pense
que ça rapproche du « maya » dans l'hindouisme. Donc pour traverser ces voiles, ce n'est
pas comme pour la cataracte : on l'enlève et puis c'est bon. Dans un premier temps, vous
avez dit que c’était le voile émotionnel qui était à travailler. Et le voile cognitif, alors ? Estce qu'il faut avoir terminé l'un pour s'attaquer à l'autre ou pour avancer ? Est-ce qu'on
avance comme ça ?
T : On travaille toujours les deux ensemble. Mais au début, le travail émotionnel domine,
pour commencer à y voir plus clair. Ce que vous appelez « maya », l'illusion dans les
traditions hindouistes, est appelé « voile », « saisie réaliste » chez les bouddhistes. On
pense que notre vécu est plus réel qu'il ne l’est vraiment. Grâce au Dharma, on voit à
quel point tout ce que nous vivons est processus, qu'il n'y a rien de solide là-dedans, qu'il
n'y a pas de noyau qui reste, quelle que soit notre expérience. C'est ce qu'on
appelle « voir la nature illusoire ». Cela ne veut pas dire que notre vécu est une illusion,
cela veut dire : « Comme une illusion, cela peut tout de suite se changer en autre chose ».
On peut être en pleine colère et, la seconde d’après, ne plus y être. Quand on est dans la
colère, c'est tellement réel, c'est solide, c'est solide comme une pierre, comme un rocher.
Et quand je suis dans la détresse, je pense que la vie ne va jamais pouvoir être
autrement. C'est ce qu'on appelle la fixation réaliste. Voir le coté processus, la possibilité
du changement, c'est cela, « voir la nature illusoire ». Mais ce n’est pas dans un sens
dénigrant de la vérité. Quand on dit illusoire, c'est juste pour montrer que c'est comme
les idées, cela peut passer d'un moment à l'autre.
Au début, c'est un peu difficile de voir ce côté très fluctuant de notre expérience. Cela
nous fait un peu peur, aussi, de voir à quel point notre expérience humaine n'a rien de
solide. Puis, avec le temps, on s’habitue à regarder ainsi, à en prendre conscience. On
appelle cela « se familiariser avec l'insaisissable » ; c'est un travail subtil, devenir de plus
en plus à l'aise avec ce qui ne peut pas être saisi. C’est une préparation à la mort, parce
que dans la mort on ne peut plus rien saisir. Cela fait partie des tâches essentielles de
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l'être humain de se préparer à la mort. Et de devenir à l'aise, si on peut, avec la nature de
l'existence humaine qui est tellement insaisissable, tellement fluctuante, tellement
uniquement processus. Est-ce que ça répond un peu à vos questions?
Q : En anglais, on traduit souvent « maya » par « delusion » (illusion), si j’ai bien compris.
T : Dans ce sens-là, on peut dire que c'est exactement la même chose. Je sais que
l'enseignement sur le maya dans l'hindouisme peut prendre différentes formes et que je
devrais faire la différence avec l'enseignement bouddhiste. Mais là, on parle
d’expérience et « delusion » (illusion) convient tout à fait, c’est « Täuschung » en
allemand.
Q : Vous parliez de la colère, qui est un état immédiat, ici et maintenant. On ne le connait
pas avant, on ne le connait plus après. Problème : est-ce qu'il existe un moyen de devancer
l’événement de manière à devancer la colère et ne pas l'avoir?
T : Il y a un moyen, mais c'est trop simple : il ne faut pas se donner de l'importance. Quand
on ne se donne pas de l'importance, il n'y a plus de colère !
Q : J'ai une question plus précise sur vos cycles de formation. Vous disiez trois ans et ensuite
vous parliez d'un cycle d’un an demi. Vous pourriez préciser ?
T : Le cycle de 3 ans est régulièrement organisé en Allemagne, en allemand pour
l’instant. C'est une formation pour toute personne qui souhaite travailler de manière
thérapeutique avec d'autres personnes. On n'a pas besoin d'être diplômé comme
psychothérapeute au début de la formation.
Au cours de cette formatin, on offre deux tiers de formation thérapeutique et un tiers de
formation sur les bases du bouddhisme, qui sont en lien étroit avec le travail
thérapeutique.
La formation d’un an et demi concerne des personnes qui :
- sont déjà diplômées comme psychothérapeutes et qui ont fini leur formation
- qui ont fait un travail sur elles-mêmes
- qui ont déjà une expérience d'au moins mille heures de travail avec d'autres
personnes (avec une clientèle, une patientèle)
- qui ont déjà acquis une bonne expérience dans l’exercice de la thérapie.
Dans la formation on leur donne:
- 70-80 % d'enseignements de base de bouddhisme, pour alimenter leur pratique
de psychothérapeute
- et juste un peu de psychothérapie, 20-30 % environ, pour leur montrer comment
cela s'applique dans le concret, et comment faire.
Mais du fait qu'ils ont déjà fait normalement plusieurs formations psychothérapeutiques, on n'a pas besoin de tout refaire. On leur donne les clés, on fait quelques
exercices et ils comprennent tout de suite comment ça marche.
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C'est autre chose avec des personnes qui commencent tout fraichement et qui ne
connaissent pas encore le travail thérapeutique.
Q : Où est-ce que on peut se renseigner pour les dates?
T : Le Dr Yasmine Liénard coordonne ce qui se passe pour les francophones.
[Mise à jour, mai 2016 : cinq week-ends d’introduction à la psychothérapie essentielle ont
déjà été organisés : deux en 2014, deux en 2015 et le cinquième en mai 2016 à Strasbourg.]
Sur le blog de Yasmine (www.pleine-conscience.fr), vous trouverez les transcriptions
des trois premiers weekends déjà.
Il y a un groupe d’une vingtaine de thérapeutes francophones qui est prêt à faire cette
formation d'un an et demi. Et il y a une traductrice qui est prête à les accompagner, alors
on va les inclure dans un cursus qui commencera en 2017 en Allemagne. Wolfgang, mon
ami psychologue et moi, avons déjà un agenda complet, mais on va faire de la place pour
eux. On va faire un cursus en français pour les professionnels qui souhaitent se former
en psychothérapie essentielle. Parmi cette vingtaine de thérapeutes, il y en a quelques
uns qui ont le profil de pouvoir l’amener en France par la suite, et de pouvoir l’offrir à
d’autres, peut être avec notre aide, d’ici plus ou moins cinq ans.
Vous pouvez consulter notre site : www.essentielle-psychotherapie.de.
Si vous pouvez lire l’allemand, vous y avez toutes les informations pour ce qui est du
côté allemand. [Le site français devrait être en ligne vers l’automne 2016.]
Yasmine : L’adresse de mon blog, c'est : www.pleine-conscience.fr. Il comporte une
rubrique « Tilmann », avec les transcriptions des stages qu'on a faits à Paris, ainsi que la
transcription de séminaires que tu avais faits à Croizet. Vous pouvez me contacter par email par l’intermédiaire du blog.
T : Dr Lienard est celle, si je me rappelle bien, qui a amené la MBCT (Mindfulness Based
Cognitive Therapy ou Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience) en France il y a
10 ans. Elle est psychiatre à Paris, elle a exercé à l’hôpital Sainte Anne. Elle est très bien
formée, elle est la bonne adresse pour ceux qui parlent français et qui veulent en savoir
plus.
Yasmine : J'ai eu la chance de rencontrer Tilmann et de le faire connaître en France. Ça a
créé tout un réseau, comme une famille, à Paris et dans toute la France, qui a envie de
développer cette dynamique en France.
La formation pour l’instant est en Allemagne, mais on va aller se former là-bas pour
ensuite pouvoir proposer une formation en France dans les années prochaines.
Q : Donc c'est une formation pour des professionnesl, ce n'est pas une formation pour nous
autres « incultes », c’est bien cela ?
Yasmine : Oui, voilà.
T : Voilà ce qui pourrait être intéressant pour vous : nous faisons deux week-ends par
an, ouverts aux gens qui veulent vraiment travailler avec les autres. Ce n'est pas une
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formation, mais déjà quatre week-ends ont eu lieu et ça continue. Cela pourrait vous
intéresser si vous êtes dans un travail thérapeutique, ça pourrait être quelque chose
pour vous. C'est la continuation de l’introduction à la Psychothérapie Essentielle mais ce
n'est pas une formation, parce qu’avec deux week-ends par an, on ne peut pas faire une
formation, mais on avance toujours avec d'autres thèmes.
Les prochaines dates sont 28 et 29 mai et 10 et 11 septembre 2016 ici, au château de
Pourtalès.
Yasmine : Voilà les thèmes que nous avons déjà abordés :
 la vraie nature (mars 2014)
 l'attention, la pleine conscience (octobre 2014)
 les émotions (printemps 2015)
 l'application clinique de la psychologie bouddhiste (octobre 2015), comment
travailler de façon clinique avec des patients. Wolfgang Erhardt, qui est le
directeur de l'institut, était là pour nous donner des outils concrets sur cette
approche thérapeutique.
T : Les thèmes pour les prochains weekends ne sont pas encore définis, mais on a du
matériel.
Q : Vous avez écrit un livre?
T : [Mise à jour mai 2016 : le livre en allemand, « Buddhistische Psychologie », sera publié
chez Arkana Verlag en juillet 2016.]
Normalement la traductrice est déjà prête pour faire la traduction en français
rapidement [2017 ou 2018].
Juste une petite chose : en France, il nous faut faire un peu attention avec tout ce qui est
religion, il y a comme une peur. Je ne sais pas ce vous entendez quand vous entendez
parler de bouddhisme. Peut-être entendez-vous carrément religion. Vous devez savoir
que c'est absolument libre de religion. On ne parle pas de religion mais de science de
l'esprit, d'un chemin, d'une voie d'entrainement. Malheureusement pour nous (mais
c’est une bonne chose pour d’autres aspects), on a mis le bouddhisme avec les religions.
Parce que, dans les pays d'origine, le bouddhisme est devenu une religion, la croyance
des gens. Si vous allez en Birmanie, en Thaïlande, au Tibet, etc., c'est une croyance. Ce
n'est plus cette science de l'esprit. Pour rencontrer la science de l'esprit, il faut aller
dedans, il faut aller chercher les maîtres qui font ce travail avec les pratiquants. Les
autres sont bien devenus des croyants, ils ne réfléchissent pas. Ils disent : « c'est comme
ça parce que le Bouddha l'a dit », ce n'est pas le fruit d’une réflexion. Mais le Bouddha ne
voulait jamais que ce soit comme ça. Il y a plein de textes du Bouddha où il disait : « ne
croyez pas, vérifiez par vous-mêmes ». C'est ce sens du bouddhisme d'origine que nous
amenons par l'enseignement bouddhiste dans la Psychothérapie Essentielle, ce n’est pas
du tout pour faire du prosélytisme.
L’an dernier, avec Yasmine, nous avions une décision à prendre: est-ce qu'on va dire
ouvertement que c’est du bouddhisme ? Ou on fait comme en MBSR (Mindfulness Based
Stress Reduction) où on nie d'abord que ce soit bouddhiste et après on dit : « oui, bien
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sûr, c'est bouddhiste ! » ? Et moi, j'ai pris la décision de dire d'où ça vient, d’expliquer
vraiment la façon d’explorer l'esprit avec ces outils. Ainsi, on aura l'avantage de pouvoir
se baser sur des outils et des savoir-faire anciens et éprouvés qui fonctionnent vraiment,
car il y a beaucoup d'expériences là-dedans. Donc on voulait garder cette certitude d'une
tradition qu'il faut maintenant traduire dans notre monde. On ne s’est pas débarrassé du
terme « bouddhiste » et j'ose l'employer ouvertement, parce que je sais qu'on peut le
présenter d'une manière séculaire, laïque, sans le côté croyance et rituel.
Q : Vous avez dit que le psychothérapeute réveille le soi ou débloque le soi, renforce le soi,
donc renforce l’ego.
T : Pas l’égo, mais le soi.
Q : Alors quelle est la différence entre le soi et l’ego ?
T : Peut-être que si on prend le mot de Freud, on peut dire renforcer l’ego. Mais ce n’est
pas l’ego dans le sens utilisé dans le domaine spirituel.
Q : Parce qu’il y avait une contradiction : l’un développe le soi, alors que dans le
bouddhisme, on parle du non-soi.
T : Oui, j’ai parlé d’une contradiction, d’un paradoxe. On peut en parler toute une soirée,
mais je peux en parler rapidement. Renforcer le soi, le moi, l’ego, dans le sens
psychanalytique, c’est le but. C’est bien. Parce que « moi » signifie ici la capacité à
intégrer différents défis, de retrouver l’équilibre quand on commence à le perdre, dans
la fluidité. La capacité d’aimer, d’accepter le soutien, d’intégrer de nouvelles
informations, de changer d’approche pour s’adapter à la situation, etc. Toute cette
capacité du moi à intégrer les différentes influences de l’extérieur et de l’intérieur et de
maintenir un équilibre. Ce qui nous fait perdre l’équilibre, ce n’est pas le moi dans le
sens psychanalytique, c’est le surmoi (Über-ich), ou le « ça » (Es), les autres forces, qui
me jugent, me tiraillent, des pulsions, etc. Comment trouver l’équilibre avec ces forces,
avec les voix des parents qui me disent ci ou ça, et les forces de l’inconscient qui me font
travailler ? Ces forces-là sont aussi les forces qu’on appelle dans le bouddhisme « moi ».
Ego dans le sens « saisie d’un soi ». Ce sont des fixations. Quand le bouddhisme parle de
la saisie égoïste, il parle des fixations sur soi-même comme étant le centre du monde.
Comment se peut-il qu’il y ait sept milliard centres du monde ? Ce n’est pas possible. Il y
a une erreur quelque part. Vous voyez ? Il y a un conflit programmé.
Le bouddhisme dit que c’est de cette fixation, moi comme étant le plus important, le
centre du monde, que viennent les problèmes. Donc il ne parle pas du « moi » qui intègre
la situation de cet être avec les besoins de toutes les situations, avec une famille, avec
des amitiés, etc. Il parle d’une fixation qui rend rigide. Quand on commence à dissoudre
cette rigidité, s’ouvre l’accès à des qualités inhérentes. Ces qualités inhérentes, on les
appelle les Pāramitās ou Pāramīs. Toutes ces qualités éveillées inhérentes ont leur base
dans l’amour, dans la compassion et font naître la générosité, la conduite bénéfique
envers les autres, la patience, la joie, la persévérance, la capacité à surmonter les
obstacles, une énorme stabilité mentale, qu’on appelle la stabilité méditative, une
sagesse naturelle, une meilleure compréhension des choses.
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Et, faisons un saut, c’est exactement ça la description du « moi » chez des psychanalystes.
Pouvoir aimer, pouvoir être dans la compassion, avoir une certaine générosité, une
fluidité, une persévérance dans les tâches, de ne pas se laisser chambouler tout de suite
par le premier obstacle, une sagesse qui intègre les nouvelles informations. Tout cela,
c’est la description d’un être éveillé. Quand on amène le moi de la psychanalyse, de
Freud, de Lacan aussi (ce n’est pas si différent sur ce sujet), à l’extrême, quand le moi
sera vraiment complètement soi, le véritable soi, là on décrit un être éveillé. Là, vous
avez les mêmes qualités qu’un être éveillé. La sagesse jusqu’au bout, jusqu’au bout de
l’analyse de la nature de l’existence. La compassion illimité, la joie complète parce qu’il
n’y a plus de fixation. C’est ça, la graine d’un être éveillé, c’est ça qui dort en nous, qui
reste en nous à découvrir.
J’ai fait maintes expériences avec des gens qui ne croyaient pas que ça soit en eux et qui
ont pu voir qu’il en faut peu pour accéder à au moins des étincelles de ça. Qu’ils ont
quelques aperçus de ça pour prendre confiance en eux-mêmes. Cela leur permet de ne
plus penser : « je suis nul, l’Éveil n’est pas pour moi, c’est pour autres personnes. » Non,
c’est pour chaque personne. Le Bouddha en était complètement convaincu, il parlait à
chaque personne devant lui. Dans maints sutras, il y a maintes descriptions de ses
rencontres avec des gens. Il s’adressait à n’importe qui comme une personne qui
pourrait s’éveiller dans cette vie-là, pas plus tard. C’est la conviction et la certitude qui
habite le bouddhisme. Et c’est cette certitude de guérison qui devrait habiter le
thérapeute. Quand le thérapeute ne voit plus le côté sain de la personnalité comme elle
pourrait être sans ses entraves, il perd le fil. Il ne sait plus où il va. Il doit voir la
personne guérie dans le patient qui est devant lui. À ce moment-là, il a le fil conducteur
pour sa thérapie, il doit avoir l’image de ce vers quoi il va. Comme le lama, il doit avoir la
vision du bouddha dans l’autre en face pour pouvoir amener la personne à se réaliser
elle-même.
Merci pour cette question-là.
Q : Quelle est la place du corps humain, de notre enveloppe corporelle dans le bouddhisme?
T : L’enveloppe corporelle, le corps humain, c'est le palais de l'éveil, c'est le palais de la
réalisation.
Il y a différentes possibilités. Il y a beaucoup d’images qui parlent de cela. Parfois, on
parle de ce corps comme d’un cheval, avec lequel on peut voyager. Parfois c’est un
serviteur, parfois c’est le palais de l’illumination. Il peut être très utile. Et parlant de
notre existence humaine maintenant, nous sommes ici grâce à notre corps. Il nous
stabilise. Il nous donne la possibilité de nous rencontrer et de nous re-rencontrer. Grâce
à la stabilité de notre corps, qui reste pour quelque temps dans cette vie, on a la
possibilité d’apprendre des choses. Mon maitre, Gendune Rinpoché, disait toujours :
« Vous voyez, ce corps en a pour quelques années, peut-être quatre-vingts ans. » Ça nous
donne un petit répit, une petite pause, on peut être là, apprendre des choses, sans être
tiraillé dans tous les sens par notre esprit. Si on n’avait pas de corps, notre esprit irait de
partout, sans stabilité. Ce serait un peu difficile. Donc prenons bien soin de ce corps,
pour vivre longtemps, et pour en apprendre davantage.
Q : Par rapport au corps, l’hindouisme parle de couches, de « kosha », c’est-à-dire le corps
qui mange, le corps qui respire, le corps qui a des émotions, le corps de la sagesse et le
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dernier corps, c’est le corps de félicité. Est-ce que, si le bouddhisme est un cheminement, au
bout de ce chemin, c’est pour arriver a une félicité, à une « ananda » ?
T : On arrive à ce qu’on appelle le mahāsukhakāya, le corps de grande félicité. Ce corps
ici veut dire une présence. Il y a beaucoup de similarités. Le Bouddha était hindou au
début, il a laissé de côté des passages, des choses qui, à l'époque, ne convenaient pas.
Mais il y a mille cinq cents ans à peu près, entre le IIe et le IVe siècle ap. J.C.-, il y avait
énormément d’échanges entre bouddhisme et hindouisme, et il y a des courants chez les
deux qui se ressemblent beaucoup. Parfois, on peut vraiment voir que les ponts sont très
évidents, et à d’autres moments, c’est vraiment une autre approche. L’hindouisme est
tellement vaste, il y a tellement de niveaux différents d'approches, on ne peut pas en
parler comme « l’hindouisme ». Le bouddhisme est un peu moins différencié, mais
quand même, je ne peux pas parler « du bouddhisme ». Toutes les traditions sont
tellement diverses, là aussi c’est un peu difficile. Mais il existe des corps, les trois corps
de l’Éveil, il y a certaines ressemblances. D’ailleurs, dans tous les sentiers de Bouddha,
les huit étapes du chemin d’éveil, il les avait pris sur Patanjali. Il avait changé les trois
dernières, mais il a pris le même système.
Q : On est en train de parler du corps et j'ai une question qui n'est pas très claire, parce que
très floue. C’est quoi l’esprit ?
T : C’est quoi l’esprit? Je suis d’accord avec vous, je ne l’ai jamais trouvé.
Q : Cela n’a jamais était très clair pour moi. C'est le mental ? C'est l'âme ? C'est le souffle de
vie ?
T : Allons à la base : la capacité de voir, d’entendre, de réfléchir, ce sont des capacités, on
appelle ça l’esprit. L’esprit est introuvable, ce n’est pas une chose, ce sont des capacités.
Ça ne résout pas complètement la question mais c'est quand même déjà mieux que de
penser qu'il s'agissait d'une chose. Non, c'est la capacité d'être conscient, de
comprendre. Commençons comme ca, et après on peut parler de manière plus subtile
encore.
Vous voulez poursuivre votre question ?
Q : Oui. En fait cette question me travaille profondément, parce qu’un jour j’ai vu quelqu’un
qui voulait être pur esprit.
T : Qu’est-ce qu’il voulait dire avec ça ?
Q : La personne n’a jamais réussi à me dire ce qu’elle entendait par être pur esprit. Moi, je
me suis imaginée une espèce de nuage nébuleux.. C'est ça, l'esprit? Très sérieusement, être
pur esprit, qu’est-ce que ça veut dire ?
T : Laissez-le sur son nuage…
Je vous réponds à cette question de pureté, parce que cette personne était un peu
fascinée par la pureté, donc parlons, nous, de ce qu’on souhaite comme pureté. Là, il faut
que je vous dise honnêtement que la pureté ne se trouve pas ailleurs que dans notre
expérience de maintenant. Elle est déjà là. C’est quand notre esprit, notre vécu est libre
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de fixation ; là on peut dire que c’est pur. La pureté n’est pas de faire quelque chose de
pur, mais de vivre, de voir, de réfléchir, de sentir des choses, sans en faire une affaire
personnelle, sans en faire un grand « moi-je ». Par exemple, là cet enseignement serait
pur si je sortais de cette salle sans avoir le sentiment d’avoir donné un enseignement.
Vous voyez ? Et c’est entaché, en quelque sorte, de fixations, si je disais : « j’ai été
génial ! » Ça, ce n’est pas pur. Dans le sens du travail sur soi, être pur, ça veut dire que
personne n'a donné un enseignement. Ce sont les qualités inhérentes de l’esprit qui ont
donné cet enseignement, cette conférence, ce n’est pas « le moi » qui va se gonfler avec
ça. Là, la pureté commence à être un peu plus tangible. Quand on complique des choses,
ce n’est pas génial, c’est cause de souffrance. Quand on ne complique pas, quand on
laisse les choses aussi naturelles, aussi simple qu’elles le sont de toute façon, on
s’approche d’une pureté. Le pur esprit, laissons tomber ça, pur corps, pur esprit… On dit
dans le bouddhisme tibétain : « Réalisation, ça veut dire : voir l’identité de samsara et
nirvana, leur inséparabilité ». C’est dans ce qui semble tellement impur, notre haine,
notre colère, tout ce qui nous peine, que la nature, la qualité de l’expérience essentielle,
est ce qu’on appelle nirvana. Et on peut se libérer là-dedans. Ça, c’est la véritable pureté.
Elle n’a besoin d’éviter la négativité. Elle doit connaître sa nature.
J'ai pris votre question comme appui pour donner cette explication qui est quand même
essentielle, parce que cela montre qu’on n’est pas en train de se créer un autre monde. Il
s’agit de voir la nature des choses.
Merci beaucoup.
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