A LA RENCONTRE DE LA TRANSMISSION
DE NOS VALEURS
Préambule
En rencontrant Michel MIAILLE, professeur honoraire des universités et président de la ligue
de l’enseignement de l’Hérault, j’ai eu le privilège d’échanger sur la notion de
« transmettre », de « transmission » à l’intérieur d’un groupe ou d’une institution.
La profonde humanité qui se dégageait du personnage m’a aidé à comprendre pourquoi toute
institution produit des « gardiens » afin de s’assurer que la transmission soit effectuée
correctement.
Dans mon approche, je tiens à mettre en exergue un postulat qui pourrait servir d’assise à
notre culture judo « l’enseignement des valeurs fait la valeur de l’enseignement », ce qui
m’amène à poser la question : qu’en est il aujourd’hui ?
S’il est acquis que dans notre société le thème de la détérioration des valeurs est socialement
récurrent, celui de savoir si l’éducation aux valeurs judo doit être directe ou intégrée, mérite
débat.
Ce questionnement donne une résonance particulière à l’évaluation du « shin » que j’avais
adressée à la commission nationale « culture judo » dans le courant du premier trimestre
2010.
Jacques SIGNAT
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INTRODUCTION
A une certaine époque, nous sommes nombreux à pouvoir en témoigner, les valeurs étaient
sous jacentes dans les contenus car, pour l’avoir vécu, il y avait chez les ceintures noires une
imprégnation de « l’esprit judo » parfois implicite mais réelle. Cela ne signifiait pas que nous
avions tout compris mais le chantier était bel et bien ouvert. En ce qui me concerne, ma
construction intérieure est toujours en marche.
Lors des rassemblements « culture judo » ou des hauts grades, au cours des échanges, il est
indéniable que le constat d’une perte d’identité culturelle est un des éléments réitératifs qui
ressort des débats.
Cela ne veut pas dire que rien ne va plus, mais il est certain que lorsque l’on voit des ceintures
noires négliger le salut, on est en droit légitimement de s’interroger sur l’intérêt porté à la
transmission de notre tradition culturelle.
C’est donc maintenant plutôt dans la manière de présenter les choses que l’éducation des
individus, la conscience de notre environnement, l’importance sociale des vertus et de nos
valeurs réclament d’être abordées.
L’enseignement dispensé de la tradition, des symboles et l’apprentissage du rituel doivent
permettre de ressentir de la joie et le plaisir de la découverte, pour reprendre une expression
des jeunes « çà doit être fun » et non barbant voire rebutant. Doit on faire évoluer la forme ?
La réponse est oui sans aucun doute.
Cet apprentissage doit être le socle de notre identité permettant d’induire que l’attention aux
autres est aussi une valeur, que notre institution est porteuse de ces férents et qu’elle a
conscience que la transmission se doit d’être inventive, avec des mécanismes d’adaptation.
Si les plantes transmettent uniquement ce qu’elles sont, l’homme communique et peut
transformer ce qu’il transmet.
Notre rôle est donc de transmettre, mais doutons nous assez de nos capacités, de notre
manière d’enseigner nos valeurs ? Ce qui m’amène à dire qu’il ne faut pas recommencer mais
bien poursuivre l’œuvre.
Très souvent il nous est agréable de parler de notre « famille » judo et pour certains judokas
jeunes ou moins jeunes, elle est parfois leur seconde famille et pour quelques uns, leur seule
véritable famille.
Ce qui me conduit à faire un parallèle avec la transmission familiale.
TRANSMISSION DANS LA FAMILLE JUDO
Quelques considérations préparatoires
L’écologie judo correspond à l’empreinte de la famille judo à laquelle nous appartenons (le
club).
Celui ou celle qui arrive dans une « famille » peut recevoir une empreinte positive en fonction
de l’attente et de l’accueil favorable du groupe.
Mais la « famille » peut avoir une influence néfaste par ce qui a été transmis ou non transmis.
Une famille est un groupe porteur d’une identité commune qui a un nom, en l’occurrence le
judo, (FFJDA).
Il est indéniable que la transmission est fonction de la qualité de la famille. Il y a donc
disparité.
Ces assertions me permettent de faire une comparaison avec les nombreux types de familles
classiques qui peuvent nous être proposés.
Pour avoir participé à ses conférences, j’ai retenu la déclinaison de Jeanne DEFONTAINE,
agrégée de philosophie et psychanalyste, qui a synthétisé cette problématique en trois
prototypes pour lesquels nous retrouvons beaucoup de points communs avec l’autorité
multiforme de nos clubs.
Dans notre milieu associatif nous pouvons distinguer trois cas de figure (il peut bien sûr y en
avoir d’autres) :
A- Le premier, idéal, serait symbolisé par un enseignant (chef) fort, sa « loi », son autorité
sapientiale est très importante. Dans cette disposition on a accès à du symbolisme, à une
présence prégnante des valeurs et d’un code de bonne conduite.
B- Le deuxième, par l’absence d’autorité, conduit à un état indifférencié, à la confusion des
rôles, l’enseignant n’est pas reconnu comme tel, il ne représente plus totalement le pouvoir, la
connaissance, le référent.
C- Le troisième est de type sectaire, sous l’égide d’un gourou. L’élève n’a pas d’espace
personnel, il y a transgression de sa bulle par un phénomène d’engrainement. Le refus de
l’imaginaire est très présent. Il n’y a plus d’indépendance d’esprit, le libre arbitre est aux
abonnés absents, la dépendance est totale.
On voit bien qu’avec des émetteurs multiples, il ne peut y avoir d’unicité du message « shin »
puisque même si chacun peut décider de sa forme de transmission, le contenu commun fait
défaut.
La diversité est au demeurant une bonne chose, mais dans ces cas on s’aperçoit que seul le
premier type de famille permet de véhiculer valablement notre « culture judo » qui doit être
une de nos vitrines, une image emblématique de notre institution.
1- La transmission de nos valeurs aujourd’hui
Transmettre, c’est faire passer des valeurs reçues comme « bonnes » d’une personne (d’une
génération) à une autre. Cela suppose que la réalité transmise soit identifiable par le
destinataire.
Auparavant, on transmettait la sagesse héritée, de parent à enfant, d’artisan à apprenti, et les
institutions (état, école) aidaient à ce rayonnement.
La modernité nous a fait sortir de ce modèle de société, au nom de la liberté de penser. En
cherchant à s’émanciper de ces cadres, on est passé de l’hétéronomie (je reçois la loi
extérieure) à l’autonomie (je reçois la loi de ma propre conscience).
Il existe un pluralisme des idées, des références dans le temps (entre générations). Il suffit de
constater par exemple le débat actuel (conflit) : les élèves doivent ils ou non se lever en classe
à l’arrivée de leur professeur ?
La question de la transmission se pose donc particulièrement aujourd’hui, car le manque
d’uniformité dans les émetteurs fait que le message n’est pas conforme à son contenu
originel. C’est donc bien à la source de la transmission (enseignants, ceintures noires) qu’il
faut conjuguer tous nos efforts pour que nous ayons un langage commun les mots ont le
même sens.
2 - S’agit t’il de transmettre, de proposer ou d’initier ?
Notre code moral peut être défini comme un exemple à suivre. On peut envisager que la
contrainte de ce cadre puisse entraîner une passivité de l’individu qui fait ce qu’on lui dit de
faire. Le sens de l’engagement du judoka est reçu mais peut être non intégré.
Mais dans la vie de tous les jours les réponse ne sont plus fournies de façon si évidente : on
n’apprend plus la morale. En outre la morale varie : la morale institutionnelle (le plus grand
bien pour le plus grand nombre) diffère de la morale familiale, politique, des moeurs. D’où
des incertitudes, des hésitations.
En revanche l’individu (judoka) doit s’engager et se prendre en charge. Après la morale du
code vient une éthique de la construction de soi. On ne peut plus se contenter de la question
de Kant « que dois je faire », on doit également se demander « qui dois je être ? »
Même si l’enfant a besoin qu’on lui impose un code, nécessaire au « vivre ensemble », le but
poursuivi est bien d’initier une conscience d’homme en relation avec l’autre, plutôt que faire
reproduire à l‘enfant un modèle tout constitué.
Il faut donc bien donner des repères (le terme « valeur » récent en morale, prête à confusion
avec l’économie), ce qui implique des lieux d’apprentissage. La construction de l’éthique se
joue dans la communauté judo : club, compétitions, stages, sorties etc…
Nos valeurs sont nos convictions intérieures, liées à notre héritage judo, mais assumées par
une volonté libre, par un choix personnel. Il n’y a pas de démarche éthique sans mémoire.
Mais il ne faut pas confondre tradition et traditionalisme. Les jeunes subissent donc une
tension entre héritage et liberté.
3 -Comment initier aux valeurs judo ?
Notre spécificité doit éviter deux écueils :
1. Gommer l’originalité de notre tradition
2. Faire de l’éthique judo une éthique sectaire.
Pour le judoka, l’exercice de la liberté est restructuré par nos convictions.
Les critères de cet agir éthique selon « l’esprit » pourraient être « entraide et prospérité
mutuelle », ensemble, exemple, solidarité, aider, se souvenir. Ces références sont plus à
proposer comme source de sens qu’à transmettre de façon autoritaire. Elles peuvent servir à
éclairer notre conscience sans donner de réponse immédiate : elles demandent une
interprétation.
4 – Que transmettre ?
Dans notre société de violence, ce que le judo doit transmettre en priorité c’est d’abord
« l’autre », humain comme moi, reconnu par le dialogue, mais aussi par ces petites règles,
« lois symboliques » qui ont été quelque peu émoussées.
Ces règles symboliques que nous avons peut être pratiquées de façon conditionnée ont un sens
extrêmement profond. Par exemple dans le salut c’est reconnaître l’autre comme son égal. Les
enfants et les adolescents sont très sensibles à cette image si on leur en explique avec
conviction la portée et la signification.
La « loi » est importante à transmettre, de façon vivante et désirante et non de façon imposée.
Il faut distinguer la règle symbolique (l’esprit de la loi) et la règle stricte qui s’impose. La
règle symbolique parle au cœur et se désire.
On voit que dans le troisième type de famille l’enfant ou l’adolescent privé de la liberté de
choisir risque d’être aliéné. D’où une vigilance accrue et une formation novatrice aux valeurs,
urgente à penser.
Le coté « ringard » que pourrait nous opposer les jeunes ne doit pas nous déstabiliser.
L’adolescent qui observe beaucoup essaie de provoquer. A nous, par l’intermédiaire du
groupe, de lui apporter une identité qui le valorise et de lui permettre la construction d’une
« bonne image de soi ».
Notre club est un lieu de gratification autre que l’école, nous devons bonifier le
portefeuille de compétences du leader (enseignant) parce que l’on ne peut se construire une
bonne image de soi à long terme qu’en conformité avec la société dans laquelle on vit. Avec
la technique, on peut impressionner les gens, mais avec l’émotion on peut toucher leur cœur.
C’est donc sur le contenu et la forme de transmission que nous devons engager nos efforts.
LA TRANSMISSION DANS L’INSTITUTION
1 – Différence entre la transmission individuelle et institutionnelle
Les règles de fonctionnement sont différentes et ce qui se transmet évolue avec
l’environnement.
La transmission est aussi une des attributions des institutions.
La transmission dépend du statut de responsabilité, il n’y a pas d’intervention personnelle : ce
qui se transmet n’est pas laissé à l’appréciation des membres (exemples : les statuts, les
pratiques, les formes ritualisées).
Dans certaine institutions, la transmission peut être le problème central et peut même amener
à remettre en question sa pérennisation.
Pour changer ou améliorer leur transmission, il faut s’attaquer à leurs « règles » de mise en
mouvement
qui sont un élément de leur conduite coutumière souvent avec un discours moralisateur.
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