Pratique
37
La revue de l’infi rmière ● Août-Septembre 2013 ● n° 193
Notes
1 Terme désignant l’homme blanc.
2 Texte de Sophie Bouff art-Klein
paru dans la revue Études Océan
Indien en 2002, p. 33-34.
3 Couvre-chef traditionnel.
4 Spécialiste des Djinns.
5 Victor Harmant, psychologue
clinicien, centre de santé mentale,
Centre hospitalier de Mayotte
Mamoudzou.
l’ingestion d’alcool ou la prise de
tabac.
En fait, c’est le Djinn qui parle et
agit à la place du patient.
Des phénomènes apparais-
sent inexpliqués aux yeux du
profane comme l’ingestion
massive d’alcool sans signes
cliniques d’alcoolisation, ou
bien quand le patient se met
à parler une langue étrangère
qu’il n’a jamais utilisée aupara-
vant (xénolalie).
On peut alors parler d’ensorcel-
lement, d’hystérie ou de crise
de Djinns. Ces termes pouvant
recouvrir la même signifi cation, à
condition d’avoir auparavant éli-
miné une pathologie sous-jacente
comme une crise d’épilepsie par
exemple. Simulée ou non, la crise
exprime un mal-être personnel ou
social à travers le corps.
Adapter sa posture
soignante
Les s oignants y sont donc
confrontés au cours de leur exer-
cice professionnel et «qu’ils y
croient ou non, doivent admettre
que cela existe et est une réalité
pour l’Autre »5.
Le Djinn peut aussi se mani-
fester par un refus de soins,
mais comment l’interpréter et
comment y faire face? De plus,
certaines pathologies sont
taboues, comme le cancer, et
considérées comme une puni-
tion ou un sort jeté où le Djinn
est concerné.
Les soignants devront alors s’in-
téresser aux représentations
sociales de la maladie et la prendre
en compte pour trouver un terrain
de compréhension mutuelle. Ils
tenteront ensuite d’accompagner
le patient pour accepter la maladie
et les soins proposés.
La médecine
traditionnelle, un levier
thérapeutique
Pour cela, il sera parfois impor-
tant de concilier, au sein de
l’hôpital, médecine moderne
et traditionnelle, d’utiliser cette
dernière comme levier thérapeu-
tique, ce qui permettra ensuite
au patient d'accepter des soins
allopathiques. Par exemple, une
permission peut être accordée
au patient pour sortir et se faire
soigner par le fundi. Des pra-
tiques rituelles peuvent être
acceptées au sein de l’hôpital
(ablution à l’eau de rose ou de
Cologne par exemple). Ce qui
est du ressort de l’invisible doit
pouvoir être soigné rituellement,
avec les limites liées à l’organisa-
tion des soins et à notre code de
déontologie.
Dénouer la crise
Quant à la crise elle-même,
chaque soignant doit être capable
d’y faire face. Il s’agit alors d’être
à l’écoute, d’isoler le patient, de
le mettre en sécurité, le toucher,
lui mettre de l’eau sur le front,
dénouer les nattes, lui permettre
d’être au calme, l’aider à verbaliser
ses maux avec des mots car, s’il
y a possession, il y a également
besoin d’expression5.
Conclusion
L’amélioration de l’accompa-
gnement d’une crise de Djinn
passe par une discussion et un
consensus multidisciplinaire au
sein de l’équipe soignante5. En
partageant sens et pratiques
diff érentes mais dans une vision
commune de prise en charge du
patient plus éclairée et respec-
tueuse des croyances, chacun
s’en trouvera enrichi de l’Autre.
N’est-ce pas cela qui donne sens
à notre profession? •
Mayotte, située dans
l’Océan indien, est le 101e
département français
depuis mars 2011. L’île
compte 212000 habitants,
les Mahorais, qui se
répartissent sur un petit
territoire autour de la
capitale Mamoudzou.
Terre d’Islam, entre le
Mozambique et
Madagascar, à la croisée
des migrations, elle réunit
cultures africaines,
malgaches et comoriennes.
La population a su
concilier dans la vie
quotidienne ses diff érentes
racines, mélangeant
croyances religieuses et
profanes.
Mais l’entrée dans la
civilisation européenne
bouscule les
représentations et les
coutumes de cette société
dont l’hôpital est le refl et.
Médecines traditionnelles
et biomédicales s’y
côtoient, s’ignorent ou
parfois se confrontent,
rendant la prise en soins de
ces patients particulière.
L’île de Mayotte
Déclaration d’intérêts
L'auteur déclare ne pas avoir
de confl its d’intérêts en
relation avec cet article.
L'auteur
Claire Gillard-Berthod,
cadre formatrice référente
3e année, Ifsi, Centre
hospitalier de Mayotte, Rue
de l’hôpital, BP 04, 97600
Mamoudzou, Mayotte