Posture soignante face à une crise de possession des Djinns à

Pratique
La revue de l’infi rmière Août-Septembre 2013 n° 193
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS
http://dx.doi.org/10.1016/j.revinf.2013.06.006
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Posture soignante face
à une crise de possession
des Djinns à Mayotte
Mots clés
Culture
Djinns
Esprit
Mayotte
Soins
Keywords
Care
Culture
Jinn
Mayotte
Spirit
Les soignants et les étudiants infi rmiers exerçant à Mayotte peuvent se retrouver
en diffi culface à des patients présentant une crise de possession par des esprits
appelés Djinns. Une table ronde multidisciplinaire a permis de croiser les regards et
les pratiques diff érentes pour aboutir à une prise en charge du patient plus éclairée et
respectueuse des croyances, alliant médecine traditionnelle et allopathique.
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS
Nursing stance in the face of Jinn possession in Mayotte. Caregivers and nursing students
practising in Mayotte can nd themselves in a diffi cult position when faced with patients
believing themselves to be possessed by spirits called Jinn.  rough a multidisciplinary
roundtable, di erent perspectives and practices can be shared leading to a more
enlightened treatment of patients which respects their beliefs, blending traditional and
allopathic medicine.
© 2013 Published by Elsevier Masson SAS
Ces t un e c ri s e de
Djinns, « A Heya
D j i n i  !  » ! C e tt e
observation faite sur un patient
hospitalisé au Centre hospita-
lier de lîle de Mayotte n’est ni
rare, ni anodine. Pourtant les
soignants se sentent désarmés
pour y faire face: ceux qui sont
d’origine mahoraise ne savent pas
toujours concilier les croyances
traditionnelles avec ce qu’ils ont
appris en institut de formation en
soins infirmiers (Ifsi), quant aux
muzungu1, ils restent trop sou-
vent à la lisière de ces mondes
qu’ils ne connaissent et ne com-
prennent pas.
Une table ronde
multidisciplinaire
La promotion 2010/2013 des
étudiants de lIfsi de Mayotte
et leur formatrice ont orga-
nisé, dans le cadre de lunité
d’enseignement optionnelle du
semestre5, une table ronde sur
la posture soignante devant une
crise de possession de Djinns.
Lobjectif est de comprendre pour
mieux prendre soin des patients
“possédés”.
La promotion d’étudiants en soins
infirmiers est multiculturelle, à
l’image de l’île. Une table ronde
réunissant muzungu et mahorais,
étudiants et cadres infirmiers,
psychologues, médiateurs cultu-
rels et pharmacien a été organisée
pour essayer de désenclaver ces
espaces entre le rationnel et l’irra-
tionnel. Les échanges ont permis
de libérer la parole, pénétrer des
mondes différents, donner un
autre regard et in ne une autre
posture soignante devant la crise
de possession des Djinns.
Qui sont les Djinns ?
« Le terme de djini (traduction
en mahorais de Djinn et singu-
lier de madjini) regroupe de fait
plus de neuf catégories desprits.
Ces multiples entités représentent
plusieurs réalités dans les repré-
sentations mahoraises: a iction
du corps, de l’esprit, de la commu-
nauté ou du territoire»2.
Chaque esprit a son origine. Et à
Mayotte, comme la population
est multiculturelle, les Djinns
peuvent venir de diff érents hori-
zons: ils sont parfois des ancêtres,
des nobles ou des esprits jamais
incarnés. Une cérémonie est orga-
nisée pour accueillir le Djinn chez
la personne possédée pour qu’elle
soit en paix avec elle-même. Au
cours de cette cérémonie, diff é-
rents objets sont utilisés comme
le co a3, lencens, le kaolin, leau
de rose, l’eau de Cologne, l’alcool
et parfois des cigarettes.
Les Djinns sont importants dans
chaque événement de la culture
mahoraise ; le fundi4 doit alors
être consulté pour que la per-
sonne puisse vivre en paix.
Manifestations
d’une crise de Djinn
La crise de possession peut se
présenter sous plusieurs aspects:
transe avec propos blaspma-
toires, prostration, comporte-
ments hébétés, yeux révulsés ou
transgression de tabous comme
Claire Gillard-Berthod
soins d’ici et d’ailleurs
Pratique
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La revue de l’infi rmière Août-Septembre 2013 n° 193
Notes
1 Terme désignant l’homme blanc.
2 Texte de Sophie Bou art-Klein
paru dans la revue Études Océan
Indien en 2002, p. 33-34.
3 Couvre-chef traditionnel.
4 Spécialiste des Djinns.
5 Victor Harmant, psychologue
clinicien, centre de santé mentale,
Centre hospitalier de Mayotte
Mamoudzou.
l’ingestion d’alcool ou la prise de
tabac.
En fait, c’est le Djinn qui parle et
agit à la place du patient.
Des phénomènes apparais-
sent inexpliqués aux yeux du
profane comme lingestion
massive d’alcool sans signes
cliniques dalcoolisation, ou
bien quand le patient se met
à parler une langue étrangère
qu’il n’a jamais utilisée aupara-
vant (xénolalie).
On peut alors parler d’ensorcel-
lement, dhystérie ou de crise
de Djinns. Ces termes pouvant
recouvrir la même signifi cation, à
condition d’avoir auparavant éli-
miné une pathologie sous-jacente
comme une crise dépilepsie par
exemple. Simulée ou non, la crise
exprime un maltre personnel ou
social à travers le corps.
Adapter sa posture
soignante
Les s oignants y sont donc
confrontés au cours de leur exer-
cice professionnel et «qu’ils y
croient ou non, doivent admettre
que cela existe et est une ali
pour l’Autre »5.
Le Djinn peut aussi se mani-
fester par un refus de soins,
mais comment l’interpréter et
comment y faire face? De plus,
certaines pathologies sont
taboues, comme le cancer, et
considées comme une puni-
tion ou un sort jeté le Djinn
est concerné.
Les soignants devront alors s’in-
téresser aux représentations
sociales de la maladie et la prendre
en compte pour trouver un terrain
de compréhension mutuelle. Ils
tenteront ensuite d’accompagner
le patient pour accepter la maladie
et les soins proposés.
La médecine
traditionnelle, un levier
thérapeutique
Pour cela, il sera parfois impor-
tant de concilier, au sein de
lhôpital, médecine moderne
et traditionnelle, d’utiliser cette
dernière comme levier thérapeu-
tique, ce qui permettra ensuite
au patient d'accepter des soins
allopathiques. Par exemple, une
permission peut être accore
au patient pour sortir et se faire
soigner par le fundi. Des pra-
tiques rituelles peuvent être
acceptées au sein de l’hôpital
(ablution à l’eau de rose ou de
Cologne par exemple). Ce qui
est du ressort de l’invisible doit
pouvoir être soigné rituellement,
avec les limites liées à l’organisa-
tion des soins et à notre code de
déontologie.
Dénouer la crise
Quant à la crise elle-même,
chaque soignant doit être capable
d’y faire face. Il sagit alors d’être
à l’écoute, d’isoler le patient, de
le mettre en sécurité, le toucher,
lui mettre de leau sur le front,
dénouer les nattes, lui permettre
d’être au calme, l’aider à verbaliser
ses maux avec des mots car, s’il
y a possession, il y a également
besoin d’expression5.
Conclusion
L’amélioration de l’accompa-
gnement dune crise de Djinn
passe par une discussion et un
consensus multidisciplinaire au
sein de léquipe soignante5. En
partageant sens et pratiques
diff érentes mais dans une vision
commune de prise en charge du
patient plus éclaie et respec-
tueuse des croyances, chacun
sen trouvera enrichi de l’Autre.
N’est-ce pas cela qui donne sens
à notre profession?
Mayotte, située dans
l’Océan indien, est le 101e
département français
depuis mars 2011. L’île
compte 212000 habitants,
les Mahorais, qui se
répartissent sur un petit
territoire autour de la
capitale Mamoudzou.
Terre d’Islam, entre le
Mozambique et
Madagascar, à la croisée
des migrations, elle réunit
cultures africaines,
malgaches et comoriennes.
La population a su
concilier dans la vie
quotidienne ses diff érentes
racines, mélangeant
croyances religieuses et
profanes.
Mais l’entrée dans la
civilisation européenne
bouscule les
représentations et les
coutumes de cette société
dont l’hôpital est le refl et.
Médecines traditionnelles
et biomédicales s’y
côtoient, s’ignorent ou
parfois se confrontent,
rendant la prise en soins de
ces patients particulière.
L’île de Mayotte
Déclaration d’intérêts
L'auteur déclare ne pas avoir
de confl its d’intérêts en
relation avec cet article.
L'auteur
Claire Gillard-Berthod,
cadre formatrice référente
3e année, Ifsi, Centre
hospitalier de Mayotte, Rue
de l’hôpital, BP 04, 97600
Mamoudzou, Mayotte
La
tradition peut
être utilisée comme
levier thérapeutique
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