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tous différents et incapables de communiquer entre eux, car “il n‟y a pas de gouvernance imposant ce
cadre ni en France, ni en Europe”.
Il est vrai que du côté numérique de la santé, la France traîne un boulet emblématique, relevé par la
Cour des Comptes, en forme d‟impuissance catastrophique. Il a pour nom DMP, pour dossier médical
personnel. Décidé par Philippe Douste-Blazy en 2004, ce projet devait équiper 5 millions de Français
à l‟horizon 2013, d‟un carnet documenté sur les différentes données ayant trait à l‟état de sa santé,
son historique consultable sur Internet où il peut découvrir son volet médical de synthèse rédigé par
son médecin traitant, ses résultats d‟analyse et les comptes rendus de soins hospitaliers. Bilan une
dizaine d‟années plus tard ? Seuls 418 011 patients en posséderaient un aujourd‟hui. Et pourtant, il
serait tellement plus rationnel, rapide et économique que la transmission d‟informations entre
généraliste et spécialiste, entre laboratoire et médecins se fasse “paperless”. Au lieu de cela, le
spécialiste dicte ses constatations qui seront tapées par une secrétaire, imprimées puis envoyées au
collègue.
“L’Assurance-maladie bénéficie aujourd’hui de la valeur créée par les acteurs de
l’écosystème santé, mais ne réinvestit pas pour permettre la création d’une boucle
économique”
D‟un côté, des avancées fulgurantes sur de multiples fronts médicaux provoquées par ces innovations
disruptives, et de l‟autre, des blocages devant ces menaces qui se précisent. Parmi les think tanks qui
réfléchissent aux solutions, le Cercle santé société, présidé par Francis Brunelle constate : “Le
pilotage du système de santé, son mode de financement, son projet sont restés identiques depuis 70
ans. Sa réforme doit prendre en compte ces trois éléments de blocage : la bureaucratisation
croissante du système, l‟incapacité de celui-ci à identifier le progrès, la résistance de l‟ensemble du
corps social”. Sans oublier cette difficulté à passer de l‟expérimentation à la généralisation, qui va
remettre en cause le rôle des médecins, des infirmiers et des pharmaciens, dont les métiers vont
évoluer vers de nouvelles missions.
Le syndrome de la plaque des taxis
La téléconsultation est riche de promesses, certes, mais quand il s‟installe, un professionnel de santé
achète une patientèle définie par les patients habitant à proximité. Or la télémédecine permettra de
consulter un médecin hors de la région. Dans nombre de villes moyennes, les hôpitaux sont les
employeurs les plus importants, mais les potentialités du maintien à domicile vont changer la donne.
Comme le remarque le docteur Guy Vallancien, auteur de „La Médecine sans médecin‟ : “Beaucoup
trop gros, trop lourd, trop centré, l‟hôpital va mal. Il est administré, pas managé. C‟est une machine
très figée”. Le foisonnement des expérimentations, pilotes et autres prototypes pourrait susciter de
l‟espoir, s‟il ne butait sur un plafond pour leur généralisation. Trop d‟obstacles ? Sans doute. Mais plus
certainement une carence de volonté politique.
Bref, cette vaste mutation ne pourra réussir sans l‟intervention d‟un intégrateur possédant un art de la
réforme habilement maîtrisé, un grand chef d‟orchestre qui harmonise les politiques. Or la façon dont
l‟État a mené celle du tiers payant et la situation actuelle des médecins libéraux peuvent laisser
sceptique. L‟Ordre des médecins est déjà monté au créneau pour fustiger le laxisme de sa tutelle.
“L‟État peut-il à la fois continuer de produire des textes réglementaires normatifs appliqués à l‟exercice
de la médecine utilisant des moyens numériques, et laisser prospérer des offres numériques non
régulées sur le marché de la e-santé ?” interroge le docteur Jacques Lucas.
“Cette vaste mutation ne pourra réussir sans l’intervention d’un grand chef
d’orchestre qui harmonise les politiques. Or la façon dont l’État a mené celle du tiers
payant et la situation actuelle des médecins libéraux peuvent laisser sceptique”