Conclusion
Malgré la continuité des explications, polémiques et autres controverses sur ce que sont, pourraient
ou devraient être les SIC, force est de constater que la communauté des chercheurs que nous
sommes n’a pas véritablement réussi à désenchevêtrer l’opaque Inforcom. Une inflation d’objets
(de recherche) travaillés par des perspectives scientifiques, professionnelles ou spéculatives fort
variées continue à faire des sciences de l’information et de la communication un champ théorique «
dysmélique ». Les SIC se trouvent de facto dans l’inconfortable position d’avoir
institutionnellement à assumer une position académique de type disciplinaire, tout en défendant par
ailleurs un statut cognitif qui les place du côté des « ensembles pluriels (…) et flous (CNÉ 17, 1993,
12) et leur assigne une place du côté des frontières définies comme zones de contact, intersections,
interfaces et lieux d’échange (avec qui et à propos de quoi, cela reste bien entendu à préciser) » 18.
In fine, cette autonomisation académique (existence de diplômes, d’une société savante, de
départements universitaires, de laboratoires, de revues, etc.) n’apporte cependant qu’une timide
réponse aux problèmes d’autonomisation scientifique : « si la discipline contribue à l’émergence
d’une science, elle ne suffit pas à la constituer » 19. Comme a pu l’être la sociologie française dans
les années soixante, les SIC apparaissent donc, encore aujourd’hui, comme une discipline paria «
fortement dispersée qui, dans sa définition sociale autant que dans la population qu’elle attire,
professeurs, chercheurs ou étudiants, offre une image ambiguë, voire déchirée » 20. Autrement dit,
les sciences de l’information et de la communication peinent à produire « un capital collectif de
méthodes et de concepts spécialisés dont la maîtrise constitue le droit d’entrée tacite ou implicite
dans le champ » 21.
Orphelines de quelques paradigmes qui auraient pu leur conférer une pleine autonomie scientifique,
les SIC n’ont donc pas réellement su construire de matrices conceptuelles originales susceptibles
d’étayer leur projet interdisciplinaire. En conséquence, les sciences de l’information et de la
communication se présentent avant tout comme « un carrefour de disciplines,(mais) ne sauraient
selon nous viser à former une nouvelle discipline… » 22.
Parce qu’il est forcément vain de croire que l’on peut être à compétence égale sociologue,
psychologue ou historien, considérons donc avec bienveillance « l’effort pour réintroduire de
l’unité » 23 et osons « rediscipliner » les SIC. Sans abandonner le projet propédeutique d’avoir
idéalement à nous positionner par rapport à des travaux ayant des identités disciplinaires variées
(afin d’en connaître le plus parfaitement possible certains des apports spécifiques), sans doute
serait-il plus aisé d’appliquer cette prétention à l’ingérence depuis des socles épistémologiques plus
clairement identifiés, condition de possibilité d’une appropriation contrôlée d’apports théoriques
variés. Loin de constituer un recul d’ordre épistémologique, nous pensons que le recentrage
disciplinaire permettrait notamment aux sciences de l’information et de la communication de
s’assurer de saines conditions sociales de reproduction et d’éviter tant les écueils de l’empirisme
sans concepts que ceux du théoricisme sans données.
1 Bourdieu, Pierre, 2001 : 103. Science de la science et réflexivité. Paris : Raisons d’agir.
2 Baudouin, Jurdant, 2000 : 11. « Avec n’importe qui, mais pas avec n’importe quoi ! ». La Lettre d’Inforcom. Nº 58 (hiver). Paris :
SFSIC.
3 Neveu, Érik, Rieffel, Rémy, 1991 : 25. « Les effets de réalité des sciences de la communication ». Réseaux. Nº 50
(novembre-décembre). Issy-les-Moulineaux : CNÉT.
4 Miège, Bernard (entretien), 1996 : 30. MEI. Nº 4. Université de Paris VIII.
5 Voir Corcuff, Philippe, 1995. Les nouvelles sociologies. Paris : Nathan.
6 On peut toutefois lire sous la plume de certains auteurs des allégations allant directement à l’encontre de ce principe «
médiationniste » :
« D’une part, les SIC seraient des sciences de l’objet et non des phénomènes. De ce point de vue, elles se rapprocheraient de
sciences comme la gestion (par opposition à l’économie), mais aussi de l’ethnologie (par opposition à la sociologie). En revanche,
elles se distingueraient des sciences de l’éducation qui traitent plutôt de processus. » Davallon, Jean, Le Marec Joëlle, Brochu,
Danièle, 2000 : 12. « Le sens commun des SI C : multiculturalisme ou intégration ». La Lettre d’Inforcom. Nº 0 (hiver), nouvelle
formule. Paris : SFSIC.
7 Ghiglione, Rodolphe (entretien), 1996 : 12. MEI. Nº 5. Université de Paris VIII. Par « points de vue fondateurs », il faut ici
entendre les points de vue des fondateurs (Robert Escarpit, Roland Barthes, Jean Meyriat, etc.), mais surtout les approches relevant
plus généralement des sciences sociales et humaines qui étaient peu présentes à l’origine des SIC. Sur ce point, voir Miège, Bernard,