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reconnaissance intersubjective 1. À partir d’une lecture du jeune Hegel 2, Honneth
élabore la structure générale de sa conception de l’individuation :
« La formation du “je” pratique présuppose la reconnaissance réciproque entre sujets :
c’est seulement quand chacun des deux individus se trouve confirmé dans son activité
propre par son vis-à-vis qu’il parvient corrélativement à se comprendre lui-même
comme un “je” individualisé 3. »
Puis il entreprend de reformuler cette idée dans « un langage théorique
postmétaphysique » en la rapprochant de la théorie du sociologue et philosophe
G. H. Mead. Le modèle hégélien de la reconnaissance se trouve ainsi traduit en
termes de psychologie sociale : l’interaction humaine, parce qu’elle exige des
individus qu’ils opèrent un retour réflexif sur leur propre comportement, les
contraint également à prendre conscience de leur subjectivité. La signification de
mon acte pour mon partenaire ne m’apparaît que lorsque je produis en moi-même
l’attitude par laquelle il y répond. Du point de vue moral, il s’ensuit qu’un individu
doit apprendre à se comprendre à partir de la « perspective normative » de son
partenaire d’interaction pour pouvoir établir une « relation pratique » à soi :
Honneth considère, après Mead, qu’on ne peut devenir un sujet accompli sans
commencer par assimiler les valeurs morales de nos interlocuteurs privilégiés. Cela
signifie en outre que les interactions communicationnelles recèlent un élément
normatif, dans la mesure où le processus de formation personnelle présuppose
l’existence d’obligations intersubjectives. Le fait que les communicants soient
conduits par la socialisation à accepter leur partenaire comme une personne du
même genre implique en effet une « contrainte de réciprocité », une autolimitation
réciproque, un « consensus normatif toujours garanti d’avance » 4.
1. A. Honneth, La Lutte pour la reconnaissance (1992), trad. P. Rusch, Paris, Le Cerf, 2000,
p. 208 ; « Reconnaissance » (trad. O. Mannoni), in M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique
et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996, p. 1274.
2. Essentiellement les écrits hégéliens d’Iéna et plus particulièrement le Système de la vie
éthique (1802-1803), prés. et trad. J. Taminiaux, Paris, Payot, 1976.
3. La Lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 83.
4. G. H. Mead, L’Esprit, le soi et la société (1934), trad. J. Cazeneuve, E. Kaelin et G. Thibau,
Paris, PUF, 1963. A. Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 50, 57, 93 et 113.
Honneth traduit ici le concept habermassien (et apélien) de contrainte pragmatico-transcendantale
dans les termes d’une théorie de la reconnaissance.