ÉDUCATION
14 11 octobre 2007
D
e plus en plus de parents
se font maltraiter par leurs
«bambins»: tel est le constat
dressé par le psychiatre Boris
Cyrulnik, invité pour les cin-
quante ans du Service vaudois
de protection de la jeunesse.
Pourtant ce phénomène très ac-
tuel reste presque tabou. Les vic-
times souffrent dans un silence
quasi-total et consultent rare-
ment les psychologues.
D’après le spécialiste français,
elles se comptent paradoxale-
ment parmi les cadres supé-
rieurs, en particulier les psy-
chologues, les avocats ou encore
les médecins. Les statistiques du
chercheur ne font état que d’un
seul cas d’ouvrier maltraité par
son fils, un adolescent de 16
ans.
Des parents maltraités, cela n’ap-
paraît souvent que lorsque l’en-
fant est élevé dans une am-
biance de «capture affective». Il
en découle une impossibilité à
échapper au modèle imposé par
la mère pour laquelle il repré-
sente le seul horizon. «Très sou-
vent, observe le professeur, l’en-
fant développe un comporte-
ment violent quand le père est
très peu présent. Certains n’as-
sument pas leur rôle paternel.
D’autres se font dominer par
leurs épouses. Sans oublier que
les obligations professionnelles,
les contraintes sociales ou des
aventures extraconjugales peu-
vent également éloigner les pa-
rents de l’enfant. Ce dernier
peut ensuite développer une
certaine agressivité au détriment
de l’un ou l’autre parent».
PARENTS TROP GENTILS
D’après le professeur Cyrulnik,
la culture moderne provoque
des tensions familiales. Elle pri-
vilégie la course aux plaisirs
immédiats. En mettant l’indivi-
du en avant, elle casse les struc-
tures conviviales et solidaires.
Il s’en suit une désintégration
des structures de la famille: vil-
lages et quartiers où l’on profi-
tait du moindre espace pour
jouer ensemble, cercles de co-
pains partageant des activités
communes, mouvements de jeu-
nesse, troupes de théâtre, etc.
«Dans le même temps, regrette-
t-il, la technologie développe
chez les jeunes des modes de
loisirs autocentrés tels les jeux
vidéo, la télévision ou l’Inter-
net».
Boris Cyrulnik ne noircit-il pas
le tableau? «Non!, dit-il. La
preuve, c’est que le phénomène
ne touche actuellement que 10
à 12% des familles. Voire moins
selon les régions du monde
concernées». «La moitié des
jeunes franchissent le stade de
l’adolescence sans en souffrir.
40% en souffrent, mais ils res-
tent encore supportables», tem-
père celui qui dit apprécier
l’éducation, correcte, donnée
par la plupart des parents. De
fait, pour ce spécialiste de la
résilience (le terme désigne la
manière dont les enfants des
rues «rebondissent», en dépit de
leurs souffrances), la majorité
des enfants ne rencontre aucun
problème.
Le coupable de cette rupture au
cœur des familles? La techno-
logie, notamment parce qu’«elle
augmente la pression indivi-
duelle». «Dans les pays déve-
loppés, on a affaire à des «imbé-
ciles relationnels», des enfants
qui méprisent les parents trop
gentils, qui leur offrent pourtant
tout le confort matériel. Tandis
que là où la technologie se mani-
feste encore peu, c’est le village
et les valeurs de la collectivité
qui entourent les enfants.
Quand les parents sont
maltraités par leurs enfants
Le psychiatre français Boris Cyrulnik était récemment à Lausanne pour une conférence
sur le thème «Enfant tyran, ado violent». Il a déploré la maltraitance des enfants
envers leurs parents. Pour le chercheur, seul le retour aux structures traditionnelles
peut améliorer une situation pervertie par le développement technologique.
LA TECHNOLOGIE AUGMENTE LA PRESSION
INDIVIDUELLE: ON A AFFAIRE À DES «IMBÉCILES
RELATIONNELS».
Pour Boris
Cyrulnik, la
plupart des pa-
rents éduquent
leurs enfants
correctement.
Negamiyimana
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11 octobre 2007
MODIFIER LE SYSTÈME
D’où peut venir le salut pour
les familles? Cyrulnik avoue ne
pas avoir encore trouvé la solu-
tion miracle. «Il faudrait une
modification du système. Ac-
tuellement, il suffirait de chan-
ger un seul point et on verrait
une diminution sensible de la
violence chez les enfants. Cha-
que fois que l’on empêche la tra-
dition et la transmission des va-
leurs, il en résulte de la bagar-
re», s’indigne le Français.
Certains pays tentent de redres-
ser la situation. Les Italiens par
exemple réintroduisent la cul-
ture de quartier. A Toulouse en
France, on prend des initiatives
comme la construction de stades
dans les quartiers. Les popula-
tions s’invitent entre voisins, ce
qui permet de se parler et de se
connaître. De là peuvent surgir
des énergies pour lutter contre
la tyrannie de la consommation
qui, selon Boris Cy-
rulnik, reste à l’origi-
ne de l’effondrement
du système de nos
valeurs.
REVALORISER
L’INTERDIT
Pour l’éthologue, il
faudrait aussi revalo-
riser les interdits. Très
souvent, il y a confu-
sion entre empêche-
ment et interdit. Si
le premier signifie la
privation de liberté,
le second indique une
structure affective qui
PUBLICITÉ
permet de coexister. C’est donc
l’interdit que Boris Cyrulnik
aimerait voir réhabilité, non
dans les écoles, mais au sein des
familles. Car le monde scolaire
instaure déjà des règles provo-
quant des empêchements tels
que «tu ne peux pas sortir, tu ne
peux pas entrer», etc. L’interdit
quant à lui met en place une cer-
taine force morale.
Il n’y a pas urgence, estiment
certains, car seule une minorité
de familles est concernée par la
situation. «Ce serait dangereux
pour l’avenir de l’humanité»,
indique le chercheur, en préci-
sant qu’une minorité en détresse
peut détruire toute une culture.
Pour lui, la tâche est cependant
plus simple qu’il n’y paraît. «En
créant des structures péri-fami-
liales, par exemple des clubs de
sport sans compétition, où celui
qui perd va fêter la victoire avec
le gagnant. Dans ce cas, le per-
dant n’a pas de rancune». Sage
parole d’un observateur avisé de
nos comportements sociaux...
///
Déo Negamiyimana
Bibliographie
Livres récents de Boris Cyrulnik
Les Nourritures affectives,
Odi-
le Jacob, 2000
De chair et d’âme,
Odile Jacob,
2006
Parler d’amour au bord du
gouffre,
Poches Odile Jacob, 2007
Les enfants d’aujourd’hui: quoi
de neuf chez les 0-7 ans?,
Bayard
Centurion, 2007
Les parents
victimes de
maltraitance
souffrent dans
un silence
quasi-total.
Joudiou/Ciric
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