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ÉDUCATION
Quand les parents sont
maltraités par leurs enfants
Le psychiatre français Boris Cyrulnik était récemment à Lausanne pour une conférence
sur le thème «Enfant tyran, ado violent». Il a déploré la maltraitance des enfants
envers leurs parents. Pour le chercheur, seul le retour aux structures traditionnelles
peut améliorer une situation pervertie par le développement technologique.
D
Negamiyimana
Pour Boris
Cyrulnik, la
plupart des parents éduquent
leurs enfants
correctement.
e plus en plus de parents
se font maltraiter par leurs
«bambins»: tel est le constat
dressé par le psychiatre Boris
Cyrulnik, invité pour les cinquante ans du Service vaudois
de protection de la jeunesse.
Pourtant ce phénomène très actuel reste presque tabou. Les victimes souffrent dans un silence
quasi-total et consultent rarement les psychologues.
D’après le spécialiste français,
elles se comptent paradoxalement parmi les cadres supérieurs, en particulier les psychologues, les avocats ou encore
les médecins. Les statistiques du
chercheur ne font état que d’un
seul cas d’ouvrier maltraité par
son fils, un adolescent de 16
ans.
Des parents maltraités, cela n’apparaît souvent que lorsque l’enfant est élevé dans une ambiance de «capture affective». Il
en découle une impossibilité à
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11 octobre 2007
échapper au modèle imposé par
la mère pour laquelle il représente le seul horizon. «Très souvent, observe le professeur, l’enfant développe un comportement violent quand le père est
très peu présent. Certains n’assument pas leur rôle paternel.
D’autres se font dominer par
leurs épouses. Sans oublier que
les obligations professionnelles,
loisirs autocentrés tels les jeux
vidéo, la télévision ou l’Internet».
Boris Cyrulnik ne noircit-il pas
le tableau? «Non!, dit-il. La
preuve, c’est que le phénomène
ne touche actuellement que 10
à 12% des familles. Voire moins
selon les régions du monde
concernées». «La moitié des
jeunes franchissent le stade de
LA TECHNOLOGIE AUGMENTE LA PRESSION
INDIVIDUELLE : ON A AFFAIRE À DES «IMBÉCILES
RELATIONNELS».
les contraintes sociales ou des
aventures extraconjugales peuvent également éloigner les parents de l’enfant. Ce dernier
peut ensuite développer une
certaine agressivité au détriment
de l’un ou l’autre parent».
PARENTS TROP GENTILS
D’après le professeur Cyrulnik,
la culture moderne provoque
des tensions familiales. Elle privilégie la course aux plaisirs
immédiats. En mettant l’individu en avant, elle casse les structures conviviales et solidaires.
Il s’en suit une désintégration
des structures de la famille: villages et quartiers où l’on profitait du moindre espace pour
jouer ensemble, cercles de copains partageant des activités
communes, mouvements de jeunesse, troupes de théâtre, etc.
«Dans le même temps, regrettet-il, la technologie développe
chez les jeunes des modes de
l’adolescence sans en souffrir.
40% en souffrent, mais ils restent encore supportables», tempère celui qui dit apprécier
l’éducation, correcte, donnée
par la plupart des parents. De
fait, pour ce spécialiste de la
résilience (le terme désigne la
manière dont les enfants des
rues «rebondissent», en dépit de
leurs souffrances), la majorité
des enfants ne rencontre aucun
problème.
Le coupable de cette rupture au
cœur des familles? La technologie, notamment parce qu’«elle
augmente la pression individuelle». «Dans les pays développés, on a affaire à des «imbéciles relationnels», des enfants
qui méprisent les parents trop
gentils, qui leur offrent pourtant
tout le confort matériel. Tandis
que là où la technologie se manifeste encore peu, c’est le village
et les valeurs de la collectivité
qui entourent les enfants.
permet de coexister. C’est donc
l’interdit que Boris Cyrulnik
aimerait voir réhabilité, non
dans les écoles, mais au sein des
familles. Car le monde scolaire
instaure déjà des règles provoquant des empêchements tels
que «tu ne peux pas sortir, tu ne
peux pas entrer», etc. L’interdit
quant à lui met en place une certaine force morale.
Il n’y a pas urgence, estiment
certains, car seule une minorité
de familles est concernée par la
situation. «Ce serait dangereux
pour l’avenir de l’humanité»,
indique le chercheur, en précisant qu’une minorité en détresse
peut détruire toute une culture.
Pour lui, la tâche est cependant
plus simple qu’il n’y paraît. «En
créant des structures péri-familiales, par exemple des clubs de
sport sans compétition, où celui
qui perd va fêter la victoire avec
le gagnant. Dans ce cas, le perdant n’a pas de rancune». Sage
parole d’un observateur avisé de
nos comportements sociaux...
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Déo Negamiyimana
Bibliographie
Livres récents de Boris Cyrulnik
● Les Nourritures affectives, Odile Jacob, 2000
● De chair et d’âme, Odile Jacob,
2006
● Parler d’amour au bord du
gouffre, Poches Odile Jacob, 2007
● Les enfants d’aujourd’hui: quoi
de neuf chez les 0-7 ans?, Bayard
Centurion, 2007
Joudiou/Ciric
MODIFIER LE SYSTÈME
D’où peut venir le salut pour
les familles? Cyrulnik avoue ne
pas avoir encore trouvé la solution miracle. «Il faudrait une
modification du système. Actuellement, il suffirait de changer un seul point et on verrait
une diminution sensible de la
violence chez les enfants. Chaque fois que l’on empêche la tradition et la transmission des valeurs, il en résulte de la bagarre», s’indigne le Français.
Certains pays tentent de redresser la situation. Les Italiens par
exemple réintroduisent la culture de quartier. A Toulouse en
France, on prend des initiatives
comme la construction de stades
dans les quartiers. Les populations s’invitent entre voisins, ce
Les parents
victimes de
maltraitance
souffrent dans
un silence
quasi-total.
qui permet de se parler et de se
connaître. De là peuvent surgir
des énergies pour lutter contre
la tyrannie de la consommation
qui, selon Boris Cyrulnik, reste à l’origiPUBLICITÉ
ne de l’effondrement
du système de nos
valeurs.
REVALORISER
L’INTERDIT
Pour l’éthologue, il
faudrait aussi revaloriser les interdits. Très
souvent, il y a confusion entre empêchement et interdit. Si
le premier signifie la
privation de liberté,
le second indique une
structure affective qui
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