S cien ces d u L an g ag e L ID IL E M Syntaxe et sémantique des prédicats (approche contrastive et fonctionnelle) Volume 1 : Synthèse des travaux de recherche Dossier présenté en vue de l’Habilitation à Diriger des Recherches Iva Novakova Maître de conférences Jury : Zlatka Guentchéva, Directeur de recherches, LACITO, CNRS (Rapporteur) Jacques François, PR, Université de Caen (Rapporteur) Peter Blumenthal, PR, Université de Cologne, Allemagne (Rapporteur) Henning Noelke, PR, Université d’Arhus, Danemark Jean-Pierre Chevrot, PR, Université Stendhal, Grenoble 3 Francis Grossmann, PR, Université Stendhal, Grenoble 3 (Directeur du mémoire) Décembre 2010 A ma mère que j’ai perdue en pleine rédaction de ce mémoire et qui me manque tellement! A mon mari qui m’a toujours soutenue dans les moments les plus difficiles et m’a constamment encouragée à mener ce travail à terme! A mon fils qui, même loin, a été toujours à côté de moi ! Sommaire SOMMAIRE Introduction 1. Parcours scientifique …………………………………………………………… 5 2. Un fil conducteur……………………………………………………………… 8 3. Principales problématiques de recherche………………………………………… 8 4. Choix théoriques…………………………………………………………………...9 4.1. Un éclectisme réaliste et maîtrisé…………………..........................................9 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 1. La comparaison des langues: objectifs et enjeux…………………………………15 1.1. Linguistique contrastive vs typologie……………………………………… 16 1.2. Sur les notions d’universaux ou d’invariants linguistiques………………….17 1.3. Quelques jalons dans l’évolution de la typologie et de la linguistique contrastive………………………………………………...20 1.3.1. Les typologies morphologiques……………………………………..20 1.3.2. Les typologies aréales……………………………………………….22 1.3.3. Les typologies syntaxiques………………………………………….23 1.3.4. Les typologies fonctionnelles……………………………………….25 1.3.5. La typologie et la grammaticalisation……………………………….26 1.3.6. La linguistique contrastive………………………………………… 26 1.4. Quelle(s) stratégie(s) pour l’analyse contrastive ?..........................................27 1.4.1. La démarche onomasiologique vs démarche sémasiologique………27 1.4.2. Les équivalents fonctionnels………………………………………...29 1.4.3. Le nombre de langues à comparer…………………………………..30 1.5. Tentatives d’innovation……………………………………………………...31 2. Quels corpus pour la comparaison des langues ?....................................................31 3. Les approches fonctionnelles……………………………………………………..38 3.1. Les différents sens du terme « fonctionnel »………………………………..38 3.2. Approches fonctionnelles vs approches formelles en syntaxe………………39 3.3. Une « galaxie de fonctionnalismes ». Classement général………………….42 3.4. Les fonctionnalismes structuralistes. Les rapports formes-sens…………….44 3.5. Les fonctionnalismes et les grammaires cognitives (fonctionnalismes cognitifs)…………………………………………………47 3.6. Les grammaires de constructions (CxG)…………………………………….50 1 Sommaire 3.7. Les grammaires cognitives : tendances actuelles……………………………51 3.8. Linguistique cognitive et théories énonciatives……………………………..54 4. La notion de prédicat……………………………………………………………..56 5. Conclusion ……………………………………………………………………….63 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 1. Les catégories temps-aspect-mode (TAM)……………………………………….67 1.1. La Temporalité………………………………………………………………68 1.2. L’Aspectualité ………………………………………………………………70 1.3. La Modalité………………………………………………………………….72 2. Les choix théoriques et méthodologiques………………………………………...73 2.1. L’approche transcatégorielle………………………………………………...76 3. Les futurs dans les différentes distributions syntaxiques…………………………77 3.1. Procès futurs uniques (hors série) dans la phrase simple …………………...78 3.2. Procès futurs en série dans une phrase simple ou complexe (structure de succession) ……………………………………………………80 3.3. La suite FP→ FS dans le cadre de la phrase complexe (juxtaposée ou coordonnée) ou de deux phrases…………………………….82 3.4. Procès futurs dans la structure principale-subordonnée……………………..83 3.5. Les futurs dans les différents types de phrases……………………………...84 3.6. Conclusion …………………………………………………………………..85 4. Analyse textuelle des futurs ……………………………………………………...86 5. Préoccupations terminologiques………………………………………………… 91 6. La combinatoire syntaxique et lexicale et l’aspectualité…………………………97 7. Conclusion………………………………………………………………………..99 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Introduction………………………………………………………………………...105 1. Typologie des mécanismes causatifs……………………………………………106 1.1. Les causatifs lexicaux ……………………………………………………..109 1.2. Les causatifs morphologiques……………………………………………...110 1.3. Le prédicat complexe faire+Vinf…………………………………………..111 1.4. Les périphrases causatives ………………………………………………...112 1.5. La structure phrastique transformée………………………………………..113 2 Sommaire 1.6. Conclusion………………………………………………………………….114 2. Le changement linguistique et la grammaticalisation…………………………...115 2.1. L’alternance décausative (AD)…………………………………………….115 2.1.1. Les causatifs « de service »………………………………………..117 2.2. La transitivation causative (TC)……………………………………………118 2.3. La grammaticalisation de faire+Vinf………………………………………120 2.4. L’évolution historique des constructions causatives en bulgare…………...121 2.5. Grammaticalisation et acquisition………………………………………….123 2.6. Conclusion………………………………………………………………….128 3. L’analyse fonctionnelle des constructions causatives…………………………...130 3.1. Faire+ Vinf : analyse fonctionnelle………………………………………..131 3.1.1. Analyse syntaxique………………………………………………...131 3.1.2. Analyse sémantique………………………………………………..131 3.1.2.1. Les notions de manipulation directe/indirecte………………..131 3.1.2.2. Le degré d’agentivité du sujet et de l’objet…………………...133 3.1.2.3. La nature sémantique de l’item verbal………………………..135 L’Hypothèse inaccusative …………………………………..136 3.1.3. Analyse discursive…………………………………………………138 3.2. Conclusion………………………………………………………………….139 4. Se faire Vinf : analyse fonctionnelle………………………………………….....141 4.1. Se faire Vinf à sens passif………………………………………………….142 4.1.1. La nature sémantique du verbe……………………………………143 4.1.2. Les rôles sémantiques du S………………………………………...143 4.1.3. La nature sémantique du Sujet (animé vs non-animé)……………..145 4.2. Se faire Vinf à sens réfléchi………………………………………………..145 4.3. Se faire+Vinf en diachronie………………………………………………..147 4.4. L’analyse discursive de se faire+Vinf …………………………………….147 4.5. Conclusion…………………………………………………………………149 5. Le statut de faire +Vinf et se faire+Vinf dans le système de la voix en français 150 6. Le raisonnement causal………………………………………………………….153 7. Conclusion………………………………………………………………………158 3 Sommaire Chapitre 4. La combinatoire syntaxique et lexicale des constructions verbonominales d’affects Introduction………………………………………………………………………...163 1. Le lexique en construction………………………………………………………165 2. La combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des émotions……………….173 2.1. La combinatoire syntaxique et lexicale : définition…………………….174 2.2. Typologie des N_affect…………………………………………………174 2.3. Le rôle de la combinatoire pour l’identification de l’aspect des noms d’affect…………………………………………...179 2.3.1. L’aspect lexical du verbe dans la construction verbo-nominale de sentiment (CVN_sent)……………………………...180 2.3.2. Les temps verbaux en français et les aspects verbaux en russe……….182 2.3.3. L’expression des phases dans les CVN_sent en français et en russe…183 2.3.4. Les classifieurs………………………………………………………..184 2.3.5. Les modifieurs ………………………………………………………..184 2.3.6. La détermination………………………………………………………184 2.4. Bilan…………………………………………………………………….185 3. Le projet Emolex………………………………………………………………..186 3.1. Objectifs et assises théoriques…………………………………………..186 3.2. Méthodologie de l’étude linguistique…………………………………...189 3.3. L’étude-pilote…………………………………………………………...191 4. Conclusion………………………………………………………………………194 Conclusions et perspectives 1. Les avantages d’une approche inter-langues…………………………………..196 2. Les avantages d’une approche fonctionnelle structuraliste……………………197 2.1 Les avantages d’une analyse par la grammaticalisation et le changement linguistique……………………………………..……….198 3. Les prédicats et la prédication………………………………………………….199 4. Perspectives de recherches…………………………………………………… 200 Annexe 1……………………………………………………………………………...202 Références bibliographiques ………………………………………………………..204 Curriculum Vitae…………………………………………………………………….224 Liste exhaustive des travaux ………………………………………………………..230 Liste des travaux ayant fait l’objet d’une synthèse dans le mémoire HDR……...236 4 Introduction INTRODUCTION 1. Parcours scientifique Chaque parcours scientifique est un mûrissement. Le chemin de ce mûrissement suit rarement une ligne droite. Le mien a été particulièrement sinueux, pour le moins atypique. Avec le recul, je considère cela comme étant une richesse sur le plan intellectuel et scientifique. J’ai obtenu ma maîtrise de français en 1981 à l’Université de Sofia, en Bulgarie. Les enseignements en morphosyntaxe et en lexicologie du français que j’ai suivis, dispensés par mes professeurs bulgares K. Mantchev, R. Bechkova et R. Kamenova, m’ont été très bénéfiques et m’ont donné le goût et l’envie de comparer le fonctionnement du français et du bulgare dès mon cursus universitaire. Mon mémoire de maîtrise portait sur les moyens d’expression de la perception visuelle (regarder, voir, jeter un regard, un coup d’oeil sur) en français et en bulgare. J’ai pu par la suite appliquer, pendant plus de 8 ans (entre 1981 et 1989), ces premières connaissances en linguistique contrastive dans mon travail de traductrice à l’Agence Sofia-Presse. En parallèle, pendant quatre ans, j’ai enseigné la morphosyntaxe du français et les aspects syntaxico-sémantiques du lexique à l’Université de Sofia et plus tard (entre 1991 et 1993), le français langue étrangère au Lycée de Nabeul en Tunisie. A l’automne 1993, j’ai eu la chance et le privilège de m’inscrire en DEA et ensuite en thèse de doctorat en Sciences du langage sous la direction de M. Maillard à l’Université Stendhal, Grenoble 3. J’ai pu tiré un excellent parti des enseignements de mes maîtres grenoblois, M. Maillard et de D. Creissels en linguistique générale et en syntaxe comparée. L’atmosphère stimulante au sein du centre Métagram (Centre de Recherches sur les Métalangages grammaticaux), rattaché au LIDILEM, ont profondément marqué ma réflexion linguistique. Créé en 1990 par M. Maillard, Métagram travaillait autour de trois axes de recherches : la grammaire française, la linguistique générale et comparée et la didactique des langues. Il avait pour objectif de mettre à jour et harmoniser la nomenclature grammaticale du français et de différentes 5 Introduction langues d’Europe, d’Asie, du Maghreb. La comparaison des systèmes de plusieurs langues était au centre des discussions passionnantes, fondées sur de solides justifications théoriques, mais qui refusaient l’enfermement dans le cadre étroit d’une seule théorie. Mon mémoire de DEA sur les moyens d’expression de l’aspect grammatical, suivi de mon travail de thèse sur la temporalité, l’aspectualité et la modalité des temps du futur en français et en bulgare m’ont permis de mieux appréhender le fonctionnement de ces catégories grammaticales complexes. En 1998, les aléas de la vie m’ont amenée à Munich. Rapidement, j’ai pu nouer des contacts avec des collègues allemands du Linguistisches Kolloquim de l’Institut de langues romanes de l’Université de Munich, dirigé par Wulf Oesterreicher. J’ai fréquenté ce séminaire pendant trois ans. J’y ai impulsé les Journées linguistiques franco-allemandes réunissant annuellement des linguistes français et allemands dans l’objectif d’établir des collaborations scientifiques. J’ai été membre du comité d’organisation de ces Journées de 1999 à 2002. Pendant mon séjour en Allemagne, j’ai pu me familiariser avec la langue allemande et aussi approfondir mes recherches sur les temps-modes-aspects du verbe. J’y ai préparé la publication de mon livre Sémantique du futur, paru en 2001 chez l’Harmattan (préface de J.-P. Desclés). En 2000-2001, nouveau changement. Grâce à la bourse d’étude qui m’a été attribuée sur concours par la Fondation Katzarovi à Genève, j’ai effectué un séjour de recherches post-doctorales, à la Section des langues slaves de l’Université de Lausanne sous la direction de Patrick Sériot. Ce séjour a été prolongé grâce à une nouvelle bourse de 6 mois, attribuée conjointement par la Société académique vaudoise et la Fondation du 450ème anniversaire de l’Université de Lausanne. Ce séjour post-doctoral m’a permis d’élargir considérablement le champ de mes recherches. J’ai choisi comme thème de recherche le fonctionnement sémantique et syntaxique de la construction faire+Vinf en français et ses équivalents bulgares. Ce choix a été principalement dicté par le fait que le bulgare ne dispose pas d’une construction équivalente à faire +Vinf pour exprimer la causalité et que celle-ci constitue une source de difficulté pour les apprenants bulgarophones du FLE, y compris d’un niveau avancé. A Lausanne, les discussions passionnantes autour des relations forme-sens, menées avec P. Sériot, épistémologue et structuraliste convaincu, ont donné une nouvelle dimension à ma réflexion linguistique. La grammaire de dépendance, issue de la syntaxe structurale de Tesnière, a constitué le principal cadre théorique à cette recherche. Envisagé au début comme une étude 6 Introduction strictement contrastive français-bulgare, ce travail a rapidement pris de l’ampleur en s’étendant à d’autres mécanismes causatifs et à d’autres langues comme le russe, l’allemand, l’anglais. Cette évolution de mes recherches a nécessité un cadre théorique adapté et celui des grammaires fonctionnelles m’a paru comme le plus apte à rendre compte du fonctionnement des constructions causatives dans les langues étudiées. A l’automne 2001, je suis revenue à Grenoble. Des opportunités se sont présentées qui m’ont permis d’assurer des cours en linguistique générale, lexicologie et syntaxe à l’UFR des Sciences du langage, en tant que vacataire d’abord et ensuite, pendant deux ans, en tant qu’ATER. En 2004, j’ai été nommée MCF en Syntaxe générale et française. J’ai également réintégré, pour mon plus grand plaisir, le LIDILEM où j’ai poursuivi et développé mes recherches sur les constructions causatives. Au sein de l’Axe 1 du Laboratoire, qui s’appelait à cette époque Analyses descriptives : syntaxe, sémantique et pragmatique, j’ai également pu entreprendre, en équipe, des travaux sur de nouvelles problématiques, portant sur la combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des affects. Les multiples collaborations avec mes collègues au sein de l’équipe (F. Grossmann, A. Tutin, C. Cavalla, J.-P. Chevrot), mais aussi avec les collèges de l’équipe de P. Blumenthal de l’Université de Cologne depuis 2005, ont été particulièrement formatrices et bénéfiques pour mon parcours scientifique. Le Séminaire mensuel Syntaxe, sémantique et pragmatique qui réunit des enseignants chercheurs, des doctorants et des étudiants en Master, que je co-organise depuis 2005 avec A. Tutin, contribue aussi au dynamisme de notre équipe de l’Axe 1 du LIDILEM. Les travaux collectifs que nous avons menés sur la typologie des noms d’affects (avec A. Tutin, F. Grossmann et C. Cavalla) et sur leur détermination (avec A. Tutin), le Colloque international sur le lexique des émotions et sa combinatoire syntaxique et lexicale que j’ai co-organisé avec A. Tutin en avril 2007 et l’ouvrage qui en est issu, ont constitué une base solide ayant permis la soumission, en 2009, d’un projet ANR francoallemand en SHS sur Le lexique des émotions dans cinq langues européennes : sémantique, syntaxe et dimension discursive. Ce projet (ANR-09-FASHS-017) dont je suis le responsable scientifique, avec P. Blumenthal pour l’équipe allemande, a été sélectionné parmi 67 autres projets et a obtenu un important financement sur 36 mois (2009-2012). Cette mobilité géographique (Bulgarie, Tunisie, France, Allemagne, Suisse), les contacts extrêmement stimulants avec des linguistes de tous bords ont été sans doute 7 Introduction pour beaucoup dans mes choix thématiques et théoriques. Mon itinéraire a contribué à développer une capacité d’adaptation à différents publics et thématiques. Il m’a fait connaître des modalités de travail différentes au sein d’équipes de recherches en France et dans d’autres pays. 2. Un fil conducteur La réflexion constante autour des relations complexes entre le sens et les formes des unités de langue et ce, dans une perspective contrastive et inter-langues, constitue le fil conducteur de mes travaux de recherches. Ceci explique le fait que pratiquement tous mes travaux se situent à l’interface entre la syntaxe et la sémantique. L’approche contrastive fournit un filtre d’éclairage efficace des faits de langue étudiés. Elle donne le recul nécessaire (Creissels, 1995) pour appréhender correctement le fonctionnement du système des langues comparées. Croft (2002 : 8) indique à juste titre que « [o] ne language at a time » n’est pas capable de prédire les schémas grammaticaux des langues. Muller (2002), quant à lui, considère que pour mieux décrire certains principes généraux de la syntaxe du français, il est important de le comparer avec d’autres langues1. Les cinq thèses que je co-dirige actuellement, ainsi que les mémoires de Master réalisés sous ma direction, portent tous sur des sujets traités dans une perspective contrastive (français-bulgare, français-russe, français-polonais). Si je dois définir la quintessence de mes travaux, je dirai que c’est une recherche inter-langues d’inspiration fonctionnaliste, à l’interface entre la syntaxe et la sémantique. 3. Principales problématiques de recherche Mes recherches s’organisent autour de trois principales problématiques : - le fonctionnement syntaxique et sémantique des catégories grammaticales du temps-aspect-mode en français et en bulgare ; - la syntaxe et la sémantique des constructions causatives dans une perspective inter-langues (français, bulgare, russe, anglais et allemand) ; 1 Dans son ouvrage Les bases de la syntaxe, Muller (2002) compare la syntaxe du français avec celle d’autres langues voisines comme l’allemand, l’anglais, l’espagnol, mais aussi avec l’occitan, le breton ou le basque. 8 Introduction - la syntaxe et la sémantique des constructions verbo-nominales de sentiments (français, russe, anglais, allemand, espagnol). Ces problématiques sont loin d’être cloisonnées par périodes. J’effectue des va-etvient constants entre ces trois pôles, comme en témoignent mes publications, ainsi que le co-encadrement des thèses de E. Melnikova (sur l’Aspectualité des constructions verbo-nominales de sentiments en français et en russe), celle de Y. Bezinska (sur l’Acquisition des constructions causatives faire+Vinf par les enfants bulgares et français) et celle d’E. Bouchoueva (sur la Combinatoire syntaxique et lexicale des prédicats de la peur en français et en russe). 4. Choix théoriques 4.1. Un éclectisme réaliste et maîtrisé La rigueur de la recherche scientifique exige de solides fondements théoriques. Dans le même temps, la langue est un phénomène si complexe qu’elle se prête mal à l’enfermement dans un seul et unique cadre théorique. Comme je l’ai déjà dit précédemment, les recherches au sein de Métagram étaient menées dans un grand esprit d’ouverture. Comme l’indique M. Maillard (2002 : 9)2, « [h]ors de toute église constituée, notre recherche terminologique n’allait pas sans une vaste rénovation théorique, appuyée sur une approche contrastive des langues et alimentée par un patient travail sur corpus ». C’est de cette époque que j’ai héritée le goût d’une linguistique « œcuménique », ouverte, non-endoctrinée, tenant compte de la complémentarité des théories mais sans tomber dans un éclectisme facile. Mes choix théoriques concrets apparaîtront au fur et à mesure de la synthèse de mes travaux. Une autre raison à ce non-endoctrinement théorique est sans doute la perspective contrastive de mes travaux. Ce que dit H. Noelke (2002 : 182) à propos de ses recherches semble un écho fidèle de mes propres expériences : « Personnellement et sans doute à cause de mon origine danoise, j’ai horreur des « cultes » théoriques, où on forme sa propre société linguistique close et où, souvent, tout le travail consiste à suivre la pensée du grand maître ». Son approche « modulaire » vise à mettre en place un modèle « total », censé relier la forme linguistique au sens. (Noelke, 1999 : 37). La 2 La préface de M. Maillard au livre de H. Lessan Pezechki (2002) . 9 Introduction notion de modularité cache un certain éclectisme. Mais comme l’indique Noelke (1999 : 27), la bonne approche modulaire transforme l’éclectisme « aveugle » en « éclectisme maîtrisé ». Même si la position de Lazard (2006 : 93), à savoir que « le descripteur doit se garder de tout modèle » peut paraître extrême, elle correspond à la spécificité du travail qui consiste à décrire et à comparer des langues. On retrouve ce même constat dans les récents Mélanges offerts à D. Creissels. Voici ce qu’écrit F. Floricic (2010 : 16) qui en est l’éditeur : « […] ceux qui ont suivi l’enseignement de Denis Creissels peuvent témoigner de ce que rien ne lui est aussi étranger qu’une quelconque forme d’orthodoxie théorique et de prosélytisme de chapelle. En d’autres termes, les positions qui sont celles de Denis Creissels sur telle ou telle problématique de linguistique générale s’appuient certes sur une articulation rigoureuse des concepts et des notions fondamentales définis à partir des données qu’offrent les langues les plus diverses, mais on n’y trouvera pas ce que l’on pourrait définir comme un « corps de doctrine » ou un « système de pensée ». Eclectique dans ses sources d’inspiration et ses intérêts linguistiques, poursuit F. Floricic (2010 : 16-17), D. Creissels a souvent pointé l’importance de la dimension transversale de l’analyse des faits de langues. Transversale au sens où les phénomènes ne se laissent pas compartimenter dans des domaines cloisonnés et circonscrits une fois pour toute (i.e. la « phonologie » ou la « syntaxe ») 3. Cette vision de la recherche en linguistique correspond aussi à ce que j’ai toujours recherché dans l’analyse des faits de langue, à savoir l’explication la plus complète possible, en prenant parallèlement en compte les aspects syntaxiques, sémantiques et pragmatiques de leur fonctionnement. Ne pas procéder ainsi aboutit, à mon avis, à des résultats partiels, forcément réducteurs, qui ne correspondent pas aux 3 Comme l’indique Creissels lui-même au début de son ouvrage Syntaxe générale : une introduction typologique (2006, T.1 : 2) : « […] je ne cherche ici, ni à appliquer de manière plus ou moins orthodoxe l’une des théories syntaxiques actuellement sur le marché, ni à proposer une théorie nouvelle. Mais il ne faut pas voir là le résultat d’une attitude négative envers les théories et la théorisation en général. Simplement, il y a plusieurs façon de contribuer à la théorisation, et celle que j’ai choisi d’explorer consiste à examiner à la fois, d’une part les descriptions de langues aussi variées que possible, d’autre part les propositions de théoriciens d’orientation diverses, pour essayer de dégager les notions qui dans l’état actuel des choses semblent permettre de rendre compte de façon optimale des connaissances déjà acquises sur la diversité des structures syntaxiques des langues […]. 10 Introduction réalités complexes du langage. Cette approche « holiste » de la linguistique sous-tend de nombreux modèles actuels comme par exemple les modèles fonctionnalistes de Halliday, Dik, Givòn, Van Valin et LaPolla qui accordent une importance fondamentale à l’interaction entre les composantes morphosyntaxiques, sémantiques et discursives, ainsi qu’à la fonction communicative de la langue. Les approches fonctionnelles conçoivent la syntaxe comme un outil de transmission du sens des expressions linguistiques (J. François, 2004b : 272). Elles sont particulièrement aptes à rendre compte du fonctionnement de différentes catégories comme le temps-aspect-mode (TAM) ou la causalité et ce, dans une perspective inter-langues. Mes travaux sur les constructions causatives conjuguent l’approche fonctionnelle à celle de la syntaxe structurale, inspirée par Lucien Tesnière. Ceux qui étudient la syntaxe et la sémantique des temps-aspects-modes s’appuient, dans leur partie textuelle, sur le modèle topologique du temps et de l’aspect de J.-P. Desclés (1994, 1995) et de J.-P. Desclés & Z. Guentchéva (2006), représentant un module de la Grammaire Applicative et Cognitive. Dans le chapitre 1 (section 3), j’explicite les liens entre approches fonctionnelles structuralistes et théories cognitives constructivistes. Enfin, mes recherches sur le lexique en construction s’appuient sur le modèle structurologique du linguistique bulgare K. Mantchev (1976, 1980, 1998). La structurologie de Mantchev ou sa syntaxe sémantique4 propose une approche du lexique conforme à celle de la grammaire. Par ailleurs, les liens entre formes syntaxiques et sens sont aussi constamment exploités dans des théories plus récentes comme le Lexique-grammaire de M. Gross ou la théorie des classes d’objets de G. Gross, qui ont également servi de sources d’inspiration sur des points précis des recherches collectives, menées sur la combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des affects au sein de notre équipe. En fonction des problématiques abordées dans les trois principaux volets de mes recherches, j’ai choisi des cadres théoriques différents qui m’ont aidée à avancer dans la réflexion linguistique. Ces théories ont comme point commun la réflexion sur le lien entre la forme et le sens, sur la construction du sens. Le chapitre 1 de cette synthèse est consacré à la mise en rapport des différentes approches fonctionnelles et contrastives qui sont à la base de mes positionnements théoriques. Il aborde aussi la notion de prédicat. Le chapitre 2 traite de la syntaxe et de 4 Le terme est de Tollis (1991) qui a étudié dans le détail les travaux de Mantchev. 11 Introduction la sémantique des catégories des temps - aspects - modes. Le chapitre 3 résume les grandes lignes de mes recherches sur la syntaxe et la sémantique des prédicats causatifs. Le chapitre 4 correspond à la problématique de la combinatoire syntaxique et lexicale des constructions verbo-nominales exprimant des affects5. 5 La distinction terminologique (cf. chapitre 4, section 2) entre affects en tant que terme générique d’une part et sentiments, émotions, états affectifs d’autre part que nous faisons dans le doc. 23 (Tutin, Novakova, Grossmann, Cavalla, 2006) dans un objectif classificatoire n’est pas toujours appliquée dans ce travail de synthèse et ce, non pas par inadvertance, mais à cause du fait qu’il s’agit d’étiquettes conventionnelles qui ne correspondent pas toujours à de sous-catégorisations. Dans d’autres travaux, comme par exemple la thèse d’E. Melnikova qui étudie les constructions verbo-nominales de sentiments, l’ouvrage Le Lexique des émotions (doc 22), le projet Emolex (lexique des émotions), ainsi que dans les travaux de différents linguistes sur le sujet, ces termes sont souvent utilisés comme synonymes. : Les verbes de sentiment de Y.Y. Mathieu (2000), « Verbes psychologiques et interprétation sémantique » (Y.Y. Mathieu, 2005), les verbes psychologiques (M. Gross, 1995), les prédicats d’affect (Buvet et al. 1995). Ce « flottement » terminologique est donc à imputer à ces raisons. 12 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles CHAPITRE 1 Approches contrastives et fonctionnelles 13 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 14 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 1. La comparaison des langues: objectifs et enjeux La comparaison des langues étant le fil conducteur de mes recherches, j’ai souhaité mener une réflexion théorique plus générale sur les enjeux actuels de la linguistique contrastive, sur la méthodologie et les corpus à utiliser lorsqu’on a pour objectif de faire ressortir les similitudes et les différences dans le fonctionnement de différentes langues. Ceci s’impose d’autant plus que tous les travaux que je dirige ou co-dirige (mémoires de Master, thèses) portent sur différents sujets en linguistique contrastive. Dans le cours de Descriptions syntaxiques que j’assure en Master 1, inspiré de mes recherches sur la typologie des mécanismes causatifs, je propose également une synthèse du contexte historique, des approches théoriques et des démarches méthodologiques dans le domaine de la comparaison des langues. Toute cette réflexion a abouti à la publication d’un ouvrage franco-russe en linguistique contrastive, intitulé Grammaire et lexique : regards croisés, en collaboration avec l’Université d’Etat d’Astrakhan6 auquel participent des auteurs de différents pays (France, Russie, Pologne, Suisse), dont je suis le co-éditeur avec E. Dontchenko (doc. 30 et 31). A travers une série d’études, issues de différents horizons théoriques (fonctionnels, cognitifs, structuralistes) et portant sur la syntaxe et la sémantique des constructions causatives, sur la problématique du temps et de l’aspect, sur la phraséologie ou l’analyse textuelle, cet ouvrage aborde des questions théoriques, méthodologiques et épistémologiques importantes, ainsi que des aspects plus appliqués en linguistique de corpus et en didactique des langues. Elles illustrent parfaitement l’idée contenue dans le titre de l’ouvrage, à savoir l’intérêt que l’on peut tirer de ces regards croisés de spécialistes étrangers sur des phénomènes linguistiques du français et inversement. Dans ce qui suit, je proposerai une brève synthèse des évolutions de la linguistique contrastive, ainsi que des liens que celle-ci entretient avec la typologie et la linguistique générale. Sans prétendre à l’exhaustivité, ce point de synthèse vise à retracer le contexte historique et théorique des travaux en linguistique contrastive et à apporter quelques précisions terminologiques, car les termes de grammaire comparée, linguistique contrastive, approche inter-langues prêtent souvent à confusion. 6 Coédition des Ellug et de la Maison d’Edition de l’Université d’Astrakhan (2010). Cet ouvrage paraît aussi dans le cadre de l’Année France / Russie 2010 dont il a obtenu la labellisation. 15 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 1.1. Linguistique contrastive vs typologie Le terme de linguistique comparée renvoie le plus souvent à la grammaire historique et comparée7 du XIXe s., qui s’est développée en Allemagne avec les travaux de Schleicher, les frères Schlegel, les frères Grimm, Franz Bopp, Humboldt. Elle étudie l'histoire et l'évolution des langues, prises individuellement ou regroupées dans des familles de langues. Elle a donné naissance à la méthode comparative, qui établit les liens de parenté entre les langues européennes anciennes et modernes et le sanscrit, qui s’expliquent par leur origine commune : une langue qui n’a pas réellement existé, une langue reconstruite, à partir de la comparaison des langues attestées, conventionnellement appelée le proto-indo-européen (PIE). La grammaire historique et comparée établit, entre autres, des liens entre le lexique dans plusieurs langues comme par exemple matar (sanscrit), meter (grec), mater (latin), matka (polonais), mat’ (russe), majka (bulgare), Mutter (allemand), mother (anglais), madre (espagnol/italien)8. La linguistique contrastive, quant à elle, s’occupe de la comparaison systématique entre deux ou plusieurs langues dans le but de décrire leurs similarités et leurs différences. Cette dernière est plutôt synchronique. Le terme de contrastif est d’origine anglo-saxonne, où l’on utilise contrastive linguistics mais aussi le terme de cross-linguistic studies. On rencontre également dans la littérature le terme de crosslinguistic typology qui me semble redondant, la typologie ayant par définition pour vocation de comparer plusieurs langues. Le terme de cross-linguistic comparison correspond en français au terme de comparaison interlangues qui s’oppose aux analyses intralangues (Lazard, 2006). On trouve aussi le terme de comparaisons translinguistiques (cross-lingustic comparison) (Sörés, 2008). La typologie, quant à elle, a pour objet d’établir les traits généraux communs à un grand échantillon de langues, de préférence peu connues. Elle est pratiquement contemporaine à la grammaire historique et comparée (XIXe s). Il existe plusieurs acceptions du terme typologie ; le terme est polysémique, comme celui de grammaire. Selon W. Croft (2003 :1-2) : 7 Le terme de vergleichende Grammatik a été introduit en 1808 par F. von Schlegel. 8 D’après Adamczewski (1991). 16 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles • la typologie signifie l’observation des phénomènes empiriques et, ensuite, la classification9 morphologique des langues ; • la typologie c’est aussi une généralisation : l’étude des universaux du langage (language universals : morphological and syntax universals) pour établir les types de langues ; • la typologie signifie également une approche d’analyse linguistique. On parle souvent de functional typological approach, opposée à la GGT (Chomsky). Ce flottement terminologique existe aussi en linguistique contrastive, appréhendée comme un domaine de la linguistique mais aussi comme une approche permettant d’étudier le fonctionnement des langues. Selon Croft (1998 : 300), les adversaires de la typologie la décrivent comme une discipline « simplement » taxinomique. On retrouve ce reproche chez d’autres auteurs comme, par exemple, chez Sörés (2008 : VII) qui considère qu’ « [u]ne étude typologique à grande échelle est nécessairement superficielle puisqu’il n’est pas possible de se référer à tous les détails ». Cette critique vis-à-vis de la typologie n’est pas sans fondement. Toujours est-il que cette discipline part de l’observation des données pour aboutir à des généralisations et à des explications, ce qui veut dire qu’elle est essentiellement descriptive mais peut être aussi explicative. Par ailleurs, une comparaison des langues à une moindre échelle (contrastive) permet d’affiner ou de préciser certains principes typologiques (Doc. 31). 1.2. Sur les notions d’universaux ou d’invariants linguistiques La recherche sur les universaux du langage commence dans les années 1960 avec les travaux de Hockett et Greenberg10. Le terme de language universals en typologie est différent de language universals chez les générativistes (Chomsky) qui les identifient à l’innate universal linguistic competence. Selon l’approche générativiste, les différentes langues ne sont que des variantes d’une « grammaire universelle », inscrite génétiquement dans le cerveau humain. J’y reviendrai dans la section 3.2. 9 La typologie a été influencée sur le plan méthodologique par les taxinomies élaborées en biologie au XIXe s. et, en particulier, par L’origine des espèces de Darwin (1859). 10 Cf. aussi à ce sujet Sörés (2008 : 3). 17 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles D’un point de vue terminologique toujours, Hagège (1982 : 9-11) préfère le terme de tendances dominantes plutôt que d’universaux. Pour lui, « la notion d’universaux […] est (encore) objet de controverses. Les uns les placent au centre de la théorie du langage, les autres les jugent illusoires. Un fait en tout cas sollicite réflexion : il est universellement possible de traduire. […] la traduction est la seule garantie que nous ayons d’une substance sémantique au moins en partie commune à toutes les langues. Il faut, pour échapper aux mirages de la quête résolue d’universaux, prendre conscience des fortes restrictions qui la limitent. ». Lazard (2006 : 111), quant à lui, utilise le terme d’invariants interlangues11. Il propose le terme d’« universau » qu’il forge sur le modèle de matériel et matériau (idem : 116). Mais universau est rarement utilisé dans la littérature typologique. On y trouve aussi le terme d’universal ou de généralisations translinguistiques (Sörés, 2008). Pour ma part, je préfère le terme d’invariants ou celui de tendances. La typologie des invariants (ou universaux) n’est pas facile à établir. Toutefois, on rencontre le plus souvent dans la littérature (R. Martin, 2002, Sörés, 2008, Croft, 1998) trois types d’universaux : conceptuels, fonctionnels et implicationnels. Lazard (2001) distingue des universaux de forme, de sens et de corrélation. Plus généralement, certains auteurs (R. Martin, 2002 : 98) incluent aussi des universaux appelés empiriques : le temps qu’il fait, qui passe, la position et les mouvements du corps dans l’espace, les sensations physiologiques (faim, froid), les émotions, les couleurs, les relations de parenté. Lorsqu’on parle d’invariants (ou d’universaux) langagiers, on a en vue aussi le fait qu’il existe des domaines, appartenant à l’espace sémantico-cognitif universel, qui fournissent des catégories grammaticales. Dans ces universaux conceptuels (ou notionnels), on range des concepts abstraits susceptibles d’être présents dans toutes les langues (les « primitives sémantiques » de Wierzbicka, 1996), mais aussi des catégories grammaticalisées qui appartiennent aux espaces notionnels des temps/aspects/modes (TAM), du nombre (singulier et pluriel), du genre (des animés). Les universaux fonctionnels renvoient aux procédures référentielles que sont censées avoir les langues pour désigner la personne (le système d’indices pronominaux ternaires je/tu/il). Les typologues considèrent que toutes les langues disposent d’embrayeurs (déictiques) de forme et de nature différentes qui assurent l’ancrage de l’énoncé (moi- 11 Son ouvrage dont le titre est La quête des invariants interlangues avec le sous-titre provocateur La linguistique est-elle une science ? est considéré par l’auteur comme son testament de linguiste (p. 150). 18 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles ici-maintenant). La majorité des langues ont aussi de moyens pour exprimer les actes du langage sous forme d’assertion, d’interrogation, d’injonction, d’exclamation. Une langue sans négation est impensable (Benveniste). Par ailleurs, Greenberg (1966 : 63), formule le principe des universaux dits implicationnels12 : « given x in a particular language, we always find y ». Par exemple, si dans une langue le verbe a les catégories de la personne-nombre ou s’il a la catégorie du genre, il a toujours les catégories du temps-mode (universal 30). Un autre exemple : si une langue dispose de la catégorie du genre pour les noms, elle dispose aussi de la catégorie du genre sur les pronoms (universal 43), etc. Enfin, les langues ont aussi des universaux grammaticaux (syntaxiques ou formels). L’ordre des mots dégagé par Greenberg en fait partie. L’organisation de la proposition autour d’un noyau prédicatif, le plus souvent le verbe, organisateur des relations actancielles, semble être commune à toutes les langues. La distinction des catégories du nom et du verbe, quoique très inégalement marquée par des procédés différents, est aussi probablement universelle (Lazard, 2006 : 92). Certaines notions « primitives » en syntaxe sont aussi considérées comme identifiables dans la majorité des langues. Ainsi, selon Creissels (Cours de Maîtrise, FLE-400 : 43), l’organisation grammaticale des langues repose sur la possibilité d’identifier certains fragments des énoncés comme étant des constituants nominaux et d’autres comme des expressions prédicatives. En terme de syntaxe générale, le sujet peut être défini comme le terme initial de la relation prédicative. On se heurte pourtant à la difficulté des prédications asubjectales (Formidable, ce gâteau !)13 ou aux langues, où cette notion est inopérante (par ex. en japonais). En ce qui concerne la fonction objet, elle peut être définie de façon générale, selon Creissels, à partir de la notion de solidarité des constituants nominaux avec le prédicat verbal. Enfin, on peut supposer que toutes les langues disposent de moyens (syntaxiques le plus souvent) pour exprimer l’opposition thème/ rhème ou l’articulation du discursif sur le syntaxique (on pourrait les rattacher aux universaux fonctionnels). Dans mes recherches contrastives et inter-langues, j’ai étudié le fonctionnement syntaxico-sémantique des catégories des temps-aspects-modes (par ex. le doc. 9) de la 12 Cf. aussi à ce sujet Croft (1998), Lazard (2006), Sörés (2008). 13 Cf. à ce sujet Maillard (2008a et b). 19 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles causalité (doc. 24), du genre grammatical (doc. 6), qui font partie des universaux notionnels ou celui du lexique relatif aux émotions, ces dernières étant considérées comme des universaux empiriques. Toutes ces catégories impliquent une analyse des relations de prédication, des relations actancielles, de la transitivité, de la détermination, de leur environnement syntaxique et lexical. 1.3. Quelques jalons dans l’évolution de la typologie et de la linguistique contrastive 1.3.1. Les typologies morphologiques Comme évoqué supra, au XIXe s., la grammaire historique et comparée (Bopp, Grimm, Schleicher, Schlegel, Humboldt) contribue aux premières typologies morphologiques des langues qui distinguent quatre types de langues: isolant (par ex. le chinois), agglutinant (le turc, le hongrois), flexionnel (le latin), polysynthétique (l’eskimo). Cette typologie repose sur la structure des mots. Dans les langues de type isolant, en principe, on ne peut pas distinguer le radical des éléments grammaticaux. Chaque mot a une seule forme et ne peut être transformé ni par flexion, ni par dérivation. Les relations grammaticales sont exprimées par l’ordre des mots ou par l’adjonction de mots autonomes. C’est le cas du chinois, du vietnamien ou du thaï (Feuillet, 2006 : 19). Par exemple, le présent est exprimé par l’ajout du mot maintenant, le pluriel par le mot beaucoup (en chinois classique). Les langues agglutinantes ajoutent à une forme de mot une série de morphèmes, chacun étant analysable séparément. En turc, kus qui signifie oiseau peut se voir adjoindre des suffixes distincts pour chaque rapport grammatical, -lar pour le pluriel et des suffixes différents pour chaque cas : Nom. Dat. Loc. Abl. Sg Pl Kus Kus-a Kus-da Kus-dan kus-lar kus-lar-a kus-lar-da kus-lar-dan En hongrois, des suffixes isolables marquent le pluriel (-ak) et le cas (∅ : nominatif, -at : accusatif, - nak : datif) comme pour haz-ak (maison/maisons) : 20 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Nom. Acc. Dat. Haz Hazat Haznak haz-ak haz-ak-at haz-ak-nak Dans le type flexionnel, la limite entre le radical et le suffixe n’est pas claire. Chaque suffixe exprime souvent plusieurs relations grammaticales (amalgames du cas, du singulier, de la personne, du genre). Parmi les exemples-types de langues flexionnelles , on peut citer les langues indo-européennes anciennes (latin, gothique, vieux slave) Par exemple, dans bon-us en latin, le suffixe -us marque à la fois le nominatif, le singulier et le masculin ; dans la flexion -ons de nous chantons, le temps, la personne et le nombre ne sont jamais décumulés. Dans le type polysynthétique (groenlandais, l’eskimo, certaines langues amérindiennes), on ajoute au radical des éléments dont la place ne peut changer. Toutes les relations grammaticales peuvent s’exprimer ainsi. En groenlandais, par exemple je voudrais faire du café s’exprimerait en un seul mot Kavfiliorniarumagaluarpunga. Daunauschiffartsgesellschaftskapitän En allemand Donau-schiff-fahrts-gesellschafts-kapitän (Feuillet, 2006 : 23) signifie ‘capitaine de la compagnie de navigation du Danube’. De nombreuses objections ont été faites au sujet de la typologie morphologique traditionnelle. On lui reproche le plus souvent le fait qu’aucune langue ne possède les traits d’un seul type à l’état pur. La plupart des langues présentent des traits mixtes. Aucune langue ne peut donc être rangée de manière univoque sous un des quatre types. De plus, d’un point de vue historique, le principe même du changement linguistique , sous-jacent à l’apparition des familles linguistiques, implique qu’une langue peut changer de type au cours de son histoire. C’est pour cela qu’on préfère aujourd’hui parler de tendances, de caractère dominant. Par exemple, en français, suite à la disparition des déclinaisons, les rapports casuels s’expriment à l’aide de prépositions (invariables). Il est passé du synthétisme à l’analytisme, du type flexionnel au type isolant (liber Petri > le livre de Pierre, pater familiae > père de famille). Il présente également quelques traits du type agglutinant : maison + s, ami+e+s. Le français moderne est aussi cité comme langue qui s’engage sur le chemin du polysynthétisme : par exemple dans je ne le lui ai pas donné à l’oral tous les éléments fonctionnent comme un seul bloc. Les typologies morphologiques ne permettent pas de prédire la façon dont s’organise la construction de la phrase. Il n’est pas possible de faire correspondre à 21 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles chaque type morphologique un type précis de structuration syntaxique. Ainsi, par exemple, le turc et le japonais sont considérés comme proches du type agglutinant idéal. Or, la relation du verbe au sujet et à l’objet en turc le rapproche de la morphologie flexionnelle du latin et l’éloigne sensiblement du japonais qui organise de façon très différentes les relations entre sujet, verbe et objet14. Certains typologues contemporains préfère ranger les langues sur une échelle analytique-synthétique-polysynthétique (Haspelmath, 2002). 1.3.2. Les typologies aréales Dans les années 1930, suite aux travaux de Troubetzkoy, nait la notion de Sprachbund15, qui donne une impulsion à la typologie aréale. Celle-ci a pour objectif d’étudier les traits communs à des langues n’appartenant pas à la même famille linguistique, mais qui se trouvent en proximité géographique (langues en contact). L’exemple le plus souvent cité est celui de l’aire balkanique regroupant le bulgare, le serbo-croate, le macédonien, le roumain, le grec et l’albanais. Ces langues présentent plusieurs traits en commun, comme l’évolution vers l’analytisme (perte des déclinaisons, la disparition de l’infinitif synthétique), la détermination (article défini postposé au substantif en roumain, bulgare et albanais), le redoublement (ou le rappel) de l’objet par un pronom clitique (Nego(lui) go(le) uvolnixa (licencièrent), Lui, on l’a licencié), la formation analytique du futur à l’aide du verbe vouloir désémantisé, comme par exemple en bulgare xoteti qui a donné le morphème du futur šte. La structure grammaticale du bulgare contemporain est tellement différente du russe ou du polonais, par exemple, qu’on pourrait se demander si le bulgare peut-être encore considéré comme étant une langue slave à part entière. Un autre exemple de typologie aréale (Feuillet, 2006) est fourni par les 450 langues en Asie du Sud appartenant à quatre familles différentes (indo-européennes, dravidiennes, tibéto-birmanes, austro- asiatiques) mais qui ont des traits communs caractéristiques de cette aire linguistique comme, par exemple, les causatifs morphologiques oti-loti-kk (briser, intr)) vs oti-ppi- 14 D’après Creissels, cours Maitrise FLE-400. 15 Cette notion a été proposée par Troubetzkoy au Premier congrès international des linguistes à la Haye en 1928. 22 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles kk (faire briser) en malayalam (famille dravidienne) ; l’ordre OV, l’expérient au datif avec des verbes de sentiments (à lui (s’)énerve, (s’) attriste, (se) réjouit), etc. Il faudrait mentionner ici le projet sur les langues européennes Eurotyp qui a abouti à un ouvrage impressionnant Language typology and language universals (Haspelmath et al., 2001)16 et qui établit les 12 traits du Standard Average European (SAE) : articles définis & indéfinis, relatives avec pronom relatif, parfait (PC) avec avoir, ordre SVO, distinction nom & verbe, etc. Le français et l’allemand forment le cœur du SAE (européen moyen) avec 9 traits sur les 12 répertoriés ; on parle de Charlemagne Sprachbund, le bulgare (avec le roumain et le grec) en présente 7, le basque et le breton n’en ont que 2. 1.3.3. Les typologies syntaxiques A partir des années 1960, la typologie s’oriente vers la comparaison des structures syntaxiques des langues. De la morphologie du mot, on passe à la description de l’ordre des mots dans les langues. Les travaux du linguiste américain J. Greenberg (1915-2001), menés à l’Université de Stanford sur une trentaine de langues (européennes, amérindiennes, africaines, d’Asie ou d’Océanie), établissent 45 lois qui prédisent le genre, le nombre, l’ordre des mots (par ex. les langues européennes sont, généralement, des langues SVO, le celtique insulaire VSO, l’allemand SOV, etc). Certaines de ces « lois » ont fait l’objet de critiques, par exemple celles qui peuvent laisser penser qu’il existe une définition universelle du sujet grammatical, que toutes les langues possèdent la catégorie de l’adjectif. Or, la notion de sujet, comme il a été déjà dit supra, est inopérante en japonais, en vietnamien, ou en chinois (Lazard, 2006). La catégorie de l’adjectif n’est pas universelle (Cf. Hagège, 1982 : 11). Toutefois, le mérite de J. Greenberg, reconnu par ses pairs, est d’avoir ouvert un énorme chantier en typologie syntaxique. La typologie syntaxique est étroitement liée à la question des universaux en syntaxe et, en particulier, des classes et des fonctions syntaxiques (cf. supra, section 1.2.). Elle se heurte pourtant à de nombreuses difficultés. Creissels donne l’exemple du hongrois (Cours FLE-400 : 57), où les notions de sujet et d’objet n’ont aucune 16 Ouvrage en deux volumes (1856 pages) qui contient des articles en trois langues (anglais, allemand, français). 23 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles pertinence pour décrire la structure syntaxique des constituants, car les règles de rangement des constituants relèvent exclusivement de l’articulation communicative. Or, il semble qu’au moins pour une partie des langues, il est possible de déterminer un ordre de base au niveau phrastique non marqué du point de vue discursif (il s’agit des trois principaux ordre : VSO, SVO, SOV). Lazard (1994, 2006 : 132-133) considère, lui aussi, qu’il est extrêmement difficile de donner des définitions universelles des fonctions syntaxiques de sujet, de complément d’objet. Il étudie les relations actancielles des langues en partant d’un schéma prototypique qu’il appelle la construction biactancielle majeure (CBM), définie comme une action exercée par un agent sur un patient. Au lieu de parler de sujet, de complément d’objet direct ou indirect, il remplace ces termes par des symboles X, Y, Z, où X est l’agent de la CBM, il a des propriétés subjectales , Y en est le patient, Z est l’actant de la construction uniactancielle. Le terme nominal postposé au verbe de la construction impersonnelle Il arrive des voyageurs est appelé actant H (Lazard, 1998 : 67). Ces appellations purement conventionnelles peuvent être d’une grande utilité en syntaxe générale. Toujours dans cette perspective de typologie syntaxique et plus directement liée à mes recherches sur les constructions causatives, la case hierarchy, établie par Comrie (1981 : 170) qui stipule que dans toutes les langues le sujet destitué prend la première place disponible à droite du verbe dans l’ordre suivant : Sujet (S)>objet direct (OD)>objet indirect (OI) > objet oblique (OO), semble se confirmer pour un grand nombre de langues. En France, ce sont surtout les travaux d’Antoine Meillet (1926, 1931) sur le genre et le nombre dans les langues indo-européennes qui ont marqué la typologie au début du XXe s. Plus tard, les travaux en syntaxe générale d’Emile Benveniste (1966, 1974) sur la phrase nominale, sur les propositions relatives en eve (langue africaine), sur les constructions possessives sont une référence en la matière. Dans ses Eléments de syntaxe structurale (1959), Tesnière compare les structures syntaxiques de plusieurs langues (l’allemand, l’espagnol, l’italien, les langues slaves (tchèque, slovène, polonais), les langues sémitiques (l’hébreu, l’arabe) mais aussi des langues plus exotiques comme le soublya (langue bantoue) ou le chinook (langue amérindienne). Depuis une vingtaine d’années, d’importants travaux en typologie syntaxique ou en linguistique contrastive ont été réalisés en France : Hagège (1982), Lazard (1994), 24 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Adamczewski (1990), Feuillet (2006), Guentchéva (1990), Maillard (1998), Creissels, (2006) ; Celle (2006) ; Sörés (2008). Cette liste est loin d’être exhaustive. En Russie, il faudrait mentionner, entre autres, les travaux de Sčerba dans les années 1920 sur la linguistique comparée et son impact sur l’apprentissage des langues étrangères et la traduction17 , les travaux typologiques de grande envergure qui ont été menés dans le cadre de l’Ecole de Leningrad (Nedjalkov, Sil’nitskij, Xolodovič (19601990) sur les constructions causatives, passives et résultatives dans 150 langues), les travaux de Gak (1977, 1983) en lexicologie contrastive français-russe. 1.3.4. Les typologies fonctionnelles Les travaux typologiques contemporains (1960-2010) sont essentiellement fonctionnels. Ces approches, rappelons-le, étudient l’interaction entre les paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs du langage et leur interdépendance vis-à-vis de sa fonction de communication. Elles cherchent à comprendre la nature de l’interaction complexe entre langue et parole, entre discours et grammaire (François, 1998 : 240). Graffi (2001) parle d’une «galaxie de fonctionnalismes». J’y reviendrai dans le détail dans la section 3 de ce chapitre. La typologie linguistique s’affirme de plus en plus comme une discipline théorique visant à expliciter, dans la diversité des langues, les traits communs ou les invariants linguistiques s’appuyant sur un grand échantillon de langues. De ce fait, elle acquiert progressivement un caractère scientifique. Déjà en 1940, Hjelmslev (1940, [1969 :1-129]) souligne qu’ « [u]ne typologie linguistique exhaustive est la tâche la plus grande et la plus importante qui s’offre à la linguistique. […] C’est seulement par la typologie que la linguistique s’élève à des points de vue tout à fait généraux et devient une science »18. Pour Lazard (2006 : 26), la typologie « paraît offrir la voie la plus prometteuse pour approcher l’étude du langage ». 17 Pour un aperçu exhaustif de la linguistique contrastive en URSS pendant les années 1920, cf. Simonato (2010). 18 L’italique est de moi. 25 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 1.3.5. La typologie et la grammaticalisation Depuis une vingtaine d’années, une place centrale est aussi accordée en typologie aux phénomènes de grammaticalisation (Heine et al, 1991, Hopper & Traugott, 1993, Combette et al , 2003, Marchello-Nizia, 2006) et de changement linguistique (par ex. l’ordre SOV est passé dans les langues indo-europénnes modernes à SVO). Les causes du changement linguistique sont multiples et de différente nature : changements internes au système (par exemple les sons en contact ont tendances à s’influencer mutuellement), changements dus à des causes externes comme l’influence d’autres langues, les variations sociales, etc. J’ai consacré une étude intitulée De la langue de bois à la langue des médias (doc. 14) aux changements survenus dans le domaine du lexique et de la morphosyntaxe en bulgare après les changements politiques en 1989, certains d’entre eux étant vraiment impressionnants. En ce qui concerne la grammaticalisation, les langues portent la trace « de patterns qui d’un point de vue strictement synchronique peuvent s’avérer totalement opaques » (Floricic, 2010 :17). On observe aussi des régularités dans les processus de grammaticalisation (Sörés : 2008, 17). Par la grammaticalisation, la typologie rejoint le domaine de la cognition : « [o]n se pose des questions sur des processus cognitifs et morphologiques qui expliquent par exemple la transformation d’un élément lexical en élément grammatical » (idem). Je reviendrai sur l’évolution historique des constructions causatives en français et en bulgare dans le chapitre 3, section 2.2. 1.3.6. La linguistique contrastive La linguistique contrastive, quant à elle, se donne pour objectif de comparer de manière systématique, rigoureuse et précise des faits linguistiques le plus souvent dans deux langues, afin d’établir les similitudes et les différences de leur fonctionnement. Traditionnellement, à cause du lien avec la théorie de la traduction et de l’apprentissage des langues, la linguistique contrastive a été longtemps considérée comme une branche appliquée de la linguistique. Les premiers travaux parus dans les années 1950 aux EtatsUnis (Weinreich, 1953 sur le contact des langues, Lado, 1957 sur les besoins de l’enseignement des langues étrangères) ont pour objectif de comparer les langues pour faciliter leur enseignement-apprentissage, pour prédire les fautes des apprenants, pour 26 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles faciliter la traduction. L’école de Prague (Troubetzkoy, Mathesius, Trnka) a également fourni des travaux importants en linguistique contrastive. La linguistique contrastive a des objectifs plus ciblés – elle s’intéresse surtout à des points précis du fonctionnement des langues comparées – mais elle n’en est pas moins importante car, d’une part, elle apporte sa contribution à la typologie des langues et, d’autre part, elle permet d’affiner certains principes typologiques. Plus généralement, elle propose des micro-comparaisons importantes pour une meilleure compréhension du fonctionnement du langage. B. Pottier (1973) considère à juste titre que la linguistique contrastive a d’abord un intérêt théorique. Ainsi, la linguistique contrastive alimente de ses descriptions et analyses la typologie des langues. Cette dernière est plus descriptive (proposant souvent un inventaire de traits) et moins théorique que la linguistique générale. Comme l’indique J. Feuillet (2006 : 59) : «[…] la typologie, si elle fournit nombre de données à la linguistique générale, s’intéresse surtout à la comparaison entre les langues en cherchant à établir les inventaires (et éventuellement les pourcentages) des traits dominants et des traits récessifs. Elle limite les discussions théoriques au strict minimum, ce qui n’exclut pas, comme on l’a vu, que la typologie dispose d’un cadre de réflexion. Enfin, l’établissement d’universaux, qui est la conséquence logique de la démarche typologique, n’est normalement pas une priorité en linguistique générale : par conséquent, on peut estimer que la typologie fait partie de la linguistique générale au même titre que d’autres branches». On pourrait donc articuler les liens entre ces disciplines de la façon suivante : linguistique contrastive → typologie → linguistique générale → linguistique En m’appuyant sur l’exemple des constructions causatives, je montrerai dans le chapitre 2 que l’approche contrastive permet de préciser ou de nuancer certains principes typologiques (doc 31), comme le principe d’iconicité (Givón, 1991), l’Hypothèse inaccusative de Levin & Rappaport (1995), la théorie de la grammaticalisation, la corrélation entre langues analytiques et moyens analytiques d’expression de la causalité (Gawelko, 2006). 1.4. Quelle(s) stratégie(s) pour l’analyse contrastive ? 1.4.1. La démarche onomasiologique vs démarche sémasiologique La question qui se pose essentiellement en linguistique contrastive est de savoir ce qui est comparable dans les langues (doc. 30 et 31). Elle touche de près aux relations complexes entre forme et sens. Du principe saussurien de l’arbitraire du signe, conçu 27 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles comme une union du sens (le signifié) et de la forme (le signifié), il en résulte que toutes les langues sont différentes l’une de l’autre, ce qui rend la comparaison délicate. Ainsi, Givón (2001 : I, 23) rejette le principe saussurien de l’arbitraire du signe comme incompatible avec la typologie grammaticale. A l’autre bout du raisonnement, selon certains linguistes (Croft, 2003), le fait de pouvoir exprimer un sens par différents moyens est un fait arbitraire en soi ; de plus si tout dans la langue était motivé, toutes les langues se ressembleraient19. Or, comme l’indique H. Adamczewski (1990 :7) : « On sait aujourd’hui qu’il est impossible de comprendre la grammaire d’une langue si on ne l’analyse pas dans la perspective du fonctionnement du langage, c’est à dire si on fait abstraction des autres langues. Or les langues s’entre-éclairent les unes des autres et ce pour une raison aussi simple que fondamentale : c’est que les opérations profondes (les mécanismes abstraits) sont grosso modo les mêmes. Ce qui change c’est les traces en surface de ces opérations. Ce sont elles qui sont particulières à telle ou telle langue et c’est ce qui est à l’origine de la diversité apparente des langues ». Ce point de vue est partagé par de nombreux linguistes (Greenberg, 1966, Creissels, 1976, Keenan & Comrie, 1977, Croft 2003) qui s’accordent pour dire que le point de départ de l’analyse contrastive est le choix d’un certain contenu sémantique (critères notionnels) qui assure l’ancrage indispensable à la comparaison des langues (tertium comparationis). Puis vient l’identification des formes qui sont les seules données observables (Lazard, 2006). Mais leur variété est telle qu’elle rend impossible « d’utiliser uniquement des critères formels pour identifier les catégories à travers les langues» (Lazard, 2006 : 137). La démarche sémasiologique est surtout appliquée lorsqu’on étudie une langue dans toute sa spécificité, par exemple quand on confectionne des grammaires ou des dictionnaires. Si le départ est forcément onomasiologique (du sens vers les formes), il est «parfaitement utopique d’envisager une démarche onomasiologique pure, indépendante de l’interrogation sémasiologique. Les deux perspectives sont interdépendantes» (Confais, 1995). Cette double démarche est présente dans l’ensemble des mes recherches consacrées aux moyens d’expression du futur, de la cause, des émotions dans différentes langues. 19 Croft (2003 : 282) et aussi Vykypel (2009 : 18) dans un récent ouvrage où il compare le fonctionnalisme empirique aux postulats de l’Ecole de Prague. 28 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 1.4.2. Les équivalents fonctionnels Selon la grammaire sémantique fonctionnelle de Bondarko (1995), les catégories fonctionnelles sémantiques, différentes des catégories notionnelles, appartiennent à différents niveaux, avant tout morphologique et syntaxique, de la langue. La structure fonctionnelle-sémantique de la langue correspond à un champ ayant un noyau et une périphérie. Ces champs, correspondant à des catégories comme la temporalité, la modalité, l’aspectualité, la voix. Le noyau du champ sémantico-fonctionnel regroupe les moyens d’expression les plus grammaticalisés, les plus formels (moyens mophosyntaxiques), les autres moyens occupent sa périphérie. Par exemple, le centre du champ de la temporalité est formé par la catégorie grammaticale du temps (les différents tiroirs verbaux dont dispose chaque langue). La périphérie proche (immediate periphery, Bondarko , 1995 : 3-4) est constituée de participes passés, passifs ou présents (par exemple byl rasmotren – rasmotren- budet rasmotren, was examined - is examined, will be examined ), de constructions syntaxiques averbales (Noč. It is night.). La périphérie éloignée (remote periphery) est constituée d’adverbes temporels (sejčas, now, zavtra, tomorrow, včera, yesterday), d’indications de dates, d’époques (togdašnij, in those days), appelés aussi modifieurs. D’autres éléments comme les liens inter-phrastiques, contextuels et intonatifs font également partie de ces champs. On y distingue donc des éléments nucléaires, périphériques et contextuels (au sens large). Une fois les catégories notionnelles (par exemple temps, mode, aspect, espace, personne, cause, etc.) établies et les moyens morphosyntaxiques (les formes) de leur expression comparés, il convient d’établir les équivalents fonctionnels entre ces moyens linguistiques dans les langues mises en contraste (Dantchev, 1990). Dans le même temps, le linguiste adoptant une telle démarche se doit d’éviter de nombreux écueils, comme les généralisations hâtives, la transposition directe de catégories grammaticales sur des langues où elles n’existent pas. Par exemple, l’aspect des langues slaves a été longtemps considéré comme un modèle pour les autres langues, qui n’ont pas morphologisé cette catégorie ; la catégorie de la détermination ne peut être décrite de la même façon en français, en anglais ou en russe ; le médiatif ou l’évidentiel20, catégorie morphologique en bulgare, persan ou albanais, n’a pas de formes correspondantes en 20 Terme créé par Jakobson en 1957 pour nommer la catégorie verbale morphologique en bulgare qui sert à exprimer le fait que le locuteur n’a pas assisté à l’événement qu’il rapporte et qu’il détient par ouï-dire ou par inférence. Pour plus de détails, cf. Guentchéva (1996). 29 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles français ou dans d’autres langues, etc. Une prudence s’impose donc lorsqu’il s’agit de les comparer. Les étapes de la comparaison peuvent être résumées de la façon suivante : a) choisir les catégories notionnelles (ex. temps, mode, aspect, espace, cause, possession, négation) à étudier. b) comparer et analyser les moyens morphosyntaxiques dont disposent les langues pour les exprimer. c) établir les équivalents fonctionnels entre ces moyens linguistiques dans les langues comparées. 1.4.3. Le nombre de langues à comparer Une autre question d’ordre méthodologique concerne le nombre de langues à comparer. S’il n’y a pas de règles dans ce domaine, « il semble […] difficile d’étendre l’analyse (contrastive) au-delà de trois langues envisagées simultanément, non pour des raisons techniques – puisque à l’heure des corpus traduits informatisés cela entre désormais dans le domaine du possible – mais parce que l’analyse devient très lourde si l’on souhaite examiner plusieurs combinaisons» (A. Celle, 2006 : 3). De ce fait, la linguistique contrastive dispose d’une base empirique plus sûre que la typologie. En même temps, se pose la question de savoir quelles langues comparer. Le choix peut se faire en fonction de critères géographiques, génétiques ou typologiques. Là aussi, les pratiques divergent considérablement. Ainsi par exemple, pour notre projet ANR Emolex, le choix des langues à comparer a été motivé par leur appartenance à des familles différentes parmi les langues indoeuropénnes (deux langues romanes : le français et l’espagnol ; deux langues germaniques, l’allemand et l’anglais et une langue slave, le russe). Il a été également dicté par les compétences des membres des deux équipes. Le français est la langue commune de tous les participants, il est en quelque sorte la langue « source », la langue « pivot » des comparaisons, ce qui n’exclut pas des comparaisons entre les autres langues sur des points précis du fonctionnement du lexique émotionnel. L’objectif final sera plus typologique que contrastif, à savoir extraire les traits généraux du fonctionnement du champ des émotions dans les langues choisies afin de mieux le structurer. 30 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 1.5. Tentatives d’innovation Les travaux en linguistique contrastive ont été longtemps axés sur au moins l’une des méthodes suivantes21 : 1) analyse et comparaison de traductions avec leurs originaux («multilateraler Übersetzungsvergleich», cf. Wandruszka, 1969) ; 2) confrontation d’études linguistiques déjà existantes ou juxtaposition de descriptions grammaticales comparables de deux langues (cf. Zemb, 1984 ; Cartagena & Gauger, 1989) ; 3) interprétation des fautes commises dans une langue étrangère en tant qu’attestations d’interférences avec la langue maternelle ; 4) mise en perspective de structures identiques ou opposées de plusieurs langues à partir d’un tertium comparationis d’ordre théorique ou conceptuel (cf. Heger, 1990-1991). Ces approches semblent avoir atteint leurs limites depuis une vingtaine d’années. Cet état de la recherche invite donc à des tentatives d’innovation sur les plans théorique et méthodologique. Un des principaux objectifs du projet Emolex consiste notamment à proposer une méthodologie innovante pour la comparaison des valeurs sémantiques, du comportement combinatoire (lexématique et syntaxique) et des rôles discursifs des lexies des émotions dans cinq langues européennes. Cette méthodologie innovante de comparaison conjuguera deux approches, à savoir les approches « représentationnistes » et les approches « instrumentalistes » du sens lexical (cette question sera traitée dans le détail dans le chapitre 4). 2. Quels corpus pour la comparaison des langues ? La méthodologie de l’analyse contrastive et, plus généralement de l’approche inter-langues, est étroitement liée à la question des corpus à utiliser. Aujourd’hui, les recherches en linguistique se doivent de relever les défis posés par les progrès en linguistique de corpus. Les corpus peuvent servir à formuler des hypothèses (corpus- 21 Cf. sur ce point le projet Emolex (2009 : 26). 31 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles driven) ou à les vérifier (corpus-based)22. Les corpus-based approaches et la linguistique de corpus, en général, ont été reconnues comme étant la principale raison du renouveau (‘revival’) de la linguistique contrastive à partir des années 1990 (Xiao, 2010). Toutes mes recherches, depuis mon mémoire de maîtrise, ont été menées sur des corpus variés d’exemples attestés et je ne vois pas comment peut-on faire autrement, surtout lorsqu’on compare des langues. En typologie, le problème semble plus complexe : souvent les exemples ne sont pas originaux, ils sont issus de différents ouvrages, bien que dans ce domaine aussi des corpus authentiques recueillis sur le terrain, existent. Or, ces dernières dix ou quinze années, les progrès dans le domaine de la linguistique de corpus ont été vraiment spectaculaires. Je me rappelle le temps où, il y a une quinzaine d’année, je préparais ma thèse et l’énorme travail que constituait la collecte d’exemples de formes futures en français et en bulgare. Des milliers de fiches empilées dans des boîtes en carton, comportant plus de 2500 exemples, issus de 3 romans français traduits en bulgare, de 3 romans bulgares traduits en français, de deux pièces de théâtre, de la presse, des journaux télévisés. Aujourd’hui, cela relève de la préhistoire. Déjà lors de mes recherches post-doctorales en 2000-2001 à l’Université de Lausanne, j’ai pu extraire en quelques minutes (je n’en revenais pas !), à l’aide d’un patron syntaxique approprié, plus de 1500 occurrences de la construction faire+Vinf dans la base de données Frantext. J’avais choisi parmi les romans de Frantext, ceux pour lesquels je disposais de la traduction en bulgare. Même si, pour les traductions, l’extraction se faisait manuellement, le temps gagné grâce aux données de Frantext était inestimable. Plus tard, j’ai utilisé d’autres types de corpus, par exemple le corpus KIAPLIDILEM d’écrits scientifiques ou celui d’articles de presse (Le Figaro, Le Monde) pour une étude menée sur la construction se faire+Vinf (doc. 20). Une autre étude en cours sur les verbes causatifs et, plus généralement, sur le raisonnement de l’auteur dans les écrits scientifiques, menée dans le cadre du mémoire de Master 2 de Monika Bak est entièrement basée sur le corpus Scientext (4 millions de mots). Ce corpus a été élaboré et mis à la disposition de la communauté scientifique par les membres de notre équipe dans le cadre d’un projet ANR sur les écrits scientifiques (2006-2009), dirigé par F. Grossmann et A. Tutin. Une autre source d’exemples authentiques ce sont les blogs sur 22 Pour cette distinction devenue classique en linguistique de corpus, cf. Tognini-Bonelli (2001). 32 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Internet qui ont été utilisés par E. Yurovskih (2007) dans son mémoire de Master 2, ayant pour thème l’expression de la cause en français et en russe, réalisé sous ma direction. Enfin, dans le cadre de leurs thèses, E. Melnikova et E. Bouchoueva travaillent sur des corpus alignés bilingues et aussi sur des corpus comparables, issus de Frantext et de Ruscoprora. Plus loin, il sera aussi question des corpus importants que nous sommes en train de récolter dans le cadre du projet ANR Emolex. Quelle richesse, quelle variété de sources ! Il conviendrait de mentionner brièvement ici les débats actuels sur la méthodologie d’utilisation des corpus en linguistique contrastive, à savoir les corpus comparables et les corpus parallèles (cf. Williams (éd.) 2005, Celle 2006). Les corpus comparables, composés de textes originaux dans deux ou plusieurs langues qui respectent les mêmes critères de genre, de registre, de public visé, d’époque (par ex. les discours politiques), ne permettent pas à eux seuls d’établir des équivalences. Qui plus est, les critères de comparabilité ne sont pas toujours très précis. Dans le même temps, ils sont faciles à récolter et comportent des données originales concernant les langues comparées. Quant aux corpus de traductions (corpus parallèles), ils sont plus difficiles à collecter (à cause, entre autres, du problème des droits d’auteur pour les textes récents), demandent des outils informatiques sophistiqués pour leur alignement (cf. Kraif, 2006); ils restent moins représentatifs en terme de fréquence et de distribution des unités linguistiques. On leur reproche souvent de garder des traces de la langue source (les «belles infidèles») et, de ce fait, ne sont pas considérés comme totalement fiables. Pour éviter ces désagréments, la solution idéale consisterait à comparer plusieurs traductions d’une même œuvre. Mais comme ceci est difficilement réalisable, il est également important de diversifier les corpus (théâtre, presse, essais, romans, blogs, etc), ainsi que d’établir des corpus de contrôle (par exemple, des corpus parallèles français-russe et aussi, dans le sens inverse, russe-français). Les corpus alignés fournissent un outil précieux pour les études contrastives. Aussi, A. Celle (2006) réaffirme-t-elle la légitimité du texte traduit comme objet d’étude pour le linguiste. Les deux types de corpus (comparables et parallèles) restent donc complémentaires (Cf. aussi à ce sujet Degand, 2005). En schéma : 33 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Corpus multilingues Corpus comparables Corpus de traduction unidirectionnels bidirectionnels Figure 1 : Typologie des corpus multilingues (Altenberg et Granger, 2002 : 8) Les avantages et les inconvénients des différents types de corpus sont résumés dans le tableau ci-dessous : Types de corpus Avantages (+) Inconvénients (-) Corpus comparables (CC) • des données originales (textes • critères de comparabilité parfois pas très précis originaux) dans les 2 langues (rarement équilibrés) • faciles à récolter • ne permettent pas d’établir • étude fine des différences les équivalents fonctionnels du syntaxiques et sémantiques entre mot ou de la construction structures données étudiée (dans la langue cible) • calcul des fréquences et de la • ne permettent pas de déceler distribution des unités de langue des sous- ou des suremplois (mots, constructions) dans la langue cible • étude fine de la combinatoire syntaxique et lexicale Corpus parallèles • permet d’établir des • la langue des textes traduits contient des traces de la équivalents fonctionnels (EF) langue source (les « belles • de calculer leur fréquence infidèles ») (de traduction) (CP) • difficiles à récolter • variations importantes selon les époques et les genres, modes de traduction (style, lexique) • moins représentatifs en termes de fréquence et de distribution des unités Tableau 1 : Avantages et inconvénients des corpus comparables et des corpus parallèles 34 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Les deux méthodes le plus souvent préconisées en linguistique contrastive sont les suivantes : un texte pris dans son ensemble face à sa traduction et un corpus bilingue comparable sur des points précis. De plus, l’existence de grands corpus informatisés de textes diversifiés (théâtre, essais, presse, romans) permet de comparer les langues de manière fiable. La linguistique de corpus ne doit toutefois pas se limiter à des statistiques quantitatives (Degand, 2005 : 166). L’informatisation d’un corpus ne prend tout son sens que si le dépouillement de données quantitatives conduit à une analyse dans un cadre théorique donné (idem). La disponibilité croissante des ressources multilingues en ligne permet également d’aligner des textes grâce à des logiciels divers et variés. Le logiciel Alinéa, conçu par notre collègue O. Kraif (2006) http://w3.u-grenoble3.fr/kraif/ par exemple, permet de constituer des corpus alignés bilingues, d’extraire des occurrences du lexique, des patrons syntaxiques. En même temps, une question légitime qui se pose est de savoir comment éviter les inconvénients liés à l’utilisation des différents types de corpus ? Quelques pistes peuvent être évoquées: • comparer (si possible) plusieurs traductions • recourir à des informateurs natifs • diversifier les corpus (théâtres, essais, presse, romans,) • établir un corpus de contrôle (examiner la traduction dans le sens inverse) Dans le cadre de la thèse d’E. Melnikova sur l’aspectualité des constructions verbo-nominales de sentiments en français et en russe, nous avons mené une réflexion sur la méthodologie de l’utilisation des corpus comparables et parallèles. Les premiers résultats de cette recherche ont été exposés dans le document 28 (Melnikova, Novakova, Kraif, 2009, http://web.univ-ubs.fr/corpus/jlc6.html ). Les corpus comparables constitués à partir des bases de données Frantext et Ruscopora, réunissant au total 60 millions de mots, ont permis d’extraire 22 942 occurrences de constructions verbo-nominales de sentiments (CVN_sent) comportant les noms admiration/vosxisčenie, amour/ljubov, angoisse/trevoga, bonheur/sčast’ie, colère/gnev , radost’/joie et peur/strax) à l’aide du patron syntaxique V+N_sent. Les fréquences de 35 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles ces CVN par rapport aux verbes correspondants dans les deux langues (admirer, aimer, se réjouir, s’apeurer, vosxisčatsja, lubit’, serdit’sja, radovatsja, bojatsja) ont été également calculées. Les résultats ont confirmé, dans l’ensemble, l’hypothèse que le russe utilise plus de verbes (perfectifs et imperfectifs) que de CVN_sent, par rapport au français. Les corpus parallèles alignés à l’aide du logiciel Alinéa qui totalisent 10 millions de mots (84 textes) ont permis d’extraire 1500 occurrences pertinentes de CVN (environ 750 dans chaque langue) et d’établir les équivalents fonctionnels des CVN_sent françaises en russe, à savoir : les verbes distributionnels (admirer, vosxisčatsja), les CVN_sent (ispitovat radost’, ‘éprouver de la joie’) et les constructions impersonnelles (mne radostno, litt. ‘à moi joyeux’). Les fréquences des verbes et celles des CVN_sent dans les corpus parallèles ont été également calculées. Voici à titre d’exemple les résultats en pourcentages des équivalents des constructions verbonominales françaises en russe pour peur, colère et amour : En français CVN_se nt En russe CVN_sent Verbes Constructions impersonnelles 16% stalo strašno (c’est devenu effrayant), stalo žutko (c’est devenu horrible), bylo užasno (c’était terrible) 0% 60% 11% bojat’sja (craindre), Peur počuvstvovat’ strax (éprouver de la peur), pugat’sja (s’effrayer (avoir de), trusit’ (trembler oščutit’ strax (sentir peur) devant qn) de la peur), trepetat’ ot užasa (trembler d’effroi) 45% 36% rasserdit’sia (se vskipet’ gnevom Colère fâcher), raz’jarit’sja (bouillir de colère), (être en (se mettre en fureur), zapylat’ gnevom colère) vzbesit’sja (enrager) (s’enflammer de colère), ispytat’ bešenstvo (éprouver de la rage) 3% 46% 27% U menja ljubov’ ljubit’ (aimer), pitat’ ljubov’ (nourrir Amour (« chez moi amour ») vljubit’sja l’amour), ispytyvat’ (avoir de (s’éprendre de qn), ljubov’ (éprouver de l’amour) pristrastit’ja (se l’amour), čuvstvovat’ passionner pour ljubov’ (sentir de qch) l’amour) Tableau 2 : Le taux des équivalents fonctionnels des CVN françaises en russe23 23 Le tableau 2 et la Figure 2 sont issus de Melnikova (2010). Les pourcentages restant jusqu’à 100% correspondent à d’autres équivalents, ce qui est probablement dû à une certaine liberté de la traduction. 36 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles L’observation des données concernant les noms amour, colère, peur confirme notre hypothèse selon laquelle le russe aurait tendance à utiliser plus de verbes (perfectifs et imperfectifs) de sentiments que de CVN_sent (Figure 2) : 70 60 50 40 30 20 10 0 "amour" "colère" "peur" Verbe % 46,66 45,45 60,27 CVN % 26,66 36,36 10,95 0 0 16,43 Constr impers % Figure 2 : Les équivalents fonctionnels des CVN françaises en russe (corpus parallèle) Les résultats contrastés obtenus par rapport aux corpus comparables (Ruscorpora) peuvent être expliqués par la taille du corpus (moins importante pour les corpus parallèles), les époques différentes des textes dans les deux corpus (forcément plus anciens dans les corpus parallèles, car libres de droit), les artefacts de la traduction, la forte influence de la langue source (français vers le russe), les spécificités du genre littéraire, etc. Les différences établies ont été analysées de deux façons : comme des épiphénomènes liés à l’idiosyncrasie (posture « sourcières), mais aussi comme des spécificités dues aux systèmes différents du français et du russe. Afin d’affiner les résultats et de confirmer le bien-fondé de la méthodologie, plusieurs pistes ont été dégagées qui sont en voie d’exploration : la constitution d’un corpus de contrôle parallèle du russe vers le français, l’observation des fréquences d’emploi des différents équivalents fonctionnels dans les corpus parallèles par des va-et-vient permanents entre les deux types de corpus. Le corpus comparable a également servi pour calculer la fréquence des paramètres aspectuels retenus (l’aspect lexical et grammatical des verbes, les classifieurs, les modifieurs et les déterminants des N_sent), ces paramètres faisant partie de la combinatoire syntaxique et lexicale des CVN_sent dans les deux langues. 37 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Cette recherche sera poursuivie sur des corpus encore plus importants constitués dans le cadre du projet Emolex et sur un nombre beaucoup plus élevé de lexies. Dans le cadre du projet Emolex, nous sommes en train de tester et de perfectionner des outils et modèles mathématiques (Connexor, ConQuest, analyseur stochastique) appropriés pour l’extraction des associations lexicales, à l’aide de nouvelles applications logicielles fondées sur ces modèles. Le projet prévoit de mieux paramétrer le logiciel Alinéa d’alignement de textes et de leurs traductions, élaboré par O. Kraif, afin d’optimiser les résultats de nos études multilingues. 3. Les approches fonctionnelles L’approche fonctionnelle sous-tend la plupart de mes recherches. Dans cette section je ferai une brève synthèse des différents « fonctionnalismes » en linguistique. 3.1. Les différents sens du terme « fonctionnel » Le terme de « fonctionnel » a plusieurs acceptions, détaillées par J. François (1998 : 233-234), qui donnent lieu à différents modèles qualifiés de « fonctionnels » : - la langue est conçue comme un système de relations entre la forme et le contenu (combinaisons de morphèmes grammaticaux et lexicaux) (Troubetzkoy, 1939, Martinet (1962). Ici, le terme de « fonctionnel » est utilisé plutôt dans un sens sémiotique. Les préoccupations essentielles de ce fonctionnalisme, dit de « 1ère génération », ce sont les oppositions phonologiques et l’identification des fonctions du langage (Jakobson). On pourrait qualifier ce dernier de fonctionnalisme structuraliste (l’Ecole de Prague24) qui procède à la comparaison des systèmes de fonctionnement de plusieurs langues. - l’accent est mis sur le rôle du contexte discursif (ou co-texte) ou le contexte énonciatif. Ici le terme de ‘fonctionnel’ est pris dans une acception plutôt discursive (Halliday & Hasan (1976), Givón (1995b). On parle aussi de fonctionnalisme « interpersonnel », centré sur les interactions langagières, et plus précisément sur le postulat que la structure des énoncés est adaptée aux buts 24 Sur le fonctionnalisme structuraliste de l’Ecole de Prague, cf. B. Vykypěl (2009). 38 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles communicatifs, développé dans le modèle néerlandais de la Functional Grammar de Dik (1997a et b) qui a aussi une orientation typologique. - l’accent est mis sur le principe d’iconicité et surtout sur la grammaire cognitive (Langacker, 1987, 1995). Il s’agit du fonctionnalisme cognitif. J’y reviendrai dans la section 3.5. - l’accent est mis sur l’articulation entre la perspective communicative (discursive) et la perspective cognitive que l’on retrouve dans le fonctionnalisme grammatical, développé par Givón (1995a). Il est basé sur une typologie fonctionnelle des langues qui tient compte des connexions interphrastiques et d’une conception des universaux articulée sur la théorie de l’évolution neurologique des espèces. 3.2. Approches fonctionnelles vs approches formelles en syntaxe Comme il a été déjà mentionné plus haut, les approches typologiques en syntaxe sont essentiellement fonctionnelles. Souvent, ces approches sont opposées aux approches dites « formelles » de la GGT chomskyenne. Cette approche propose des formalisations de la grammaire universelle grâce à des calculs rigoureux aboutissant à engendrer, générer tous les énoncés corrects d’une langue donnée. L’argument fort aux yeux des générativistes est que l’enfant acquiert en un temps relativement bref la maîtrise d’un système très complexe. Le recours aux jugements des locuteurs natifs est fondé sur le principe de grammaire interne (intériorisée). L’usage (la performance) et la fréquence sont sous-estimés à cause du principe génératif du langage humain. Les approches fonctionnelles, au contraire, ne considèrent pas que les structures des langues relèvent d’une grammaire universelle inscrite génétiquement dans le cerveau mais sont fondamentalement conditionnées par leur fonction d’instrument de communication. Les approches fonctionnelles intègrent les trois domaines de l’analyse linguistique : syntaxique, sémantique, pragmatique. Elles étudient le lien qui existe entre ces trois domaines, en se focalisant sur la fonction communicative du langage (d’où le terme de fonctionnel). Il s’agit d’approches intégratives, holistes, à la différence des approches formelles qui sont modulaires ou atomistes. En schéma : Syntaxe → sémantique → pragmatique Forme → sens → usage 39 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Les caractéristiques majeures des typologies fonctionnelles, résumées ici d’après d’après C. Butler (2003 :29) et J. François (2005, 14-15) sont les suivantes : 1) Mise en avant de la fonction cruciale du langage, à savoir d’être un moyen de communication dans des contextes sociaux et psychologiques ; 2) Rejet du principe selon lequel le système linguistique (la grammaire) est autonome et arbitraire en faveur d’une explication fonctionnelle faisant intervenir des facteurs cognitifs, socio-culturels, psychologiques et diachroniques ; 3) Rejet du principe selon lequel la syntaxe est un système autonome, en faveur d’une approche où la structuration sémantique et pragmatique est considérée comme centrale. La syntaxe est vue comme un moyen pour exprimer des significations25 ; 4) Intérêt pour les propriétés non discrètes, de l’ordre du continu dans les classements linguistiques et, plus généralement l’importance de la dimension cognitive ; 5) Intérêt pour l’analyse des textes (et non pas des phrases seules) et leurs contextes d’usage ; 6) Intérêt marqué pour les questions relevant de la typologie des langues ; 7) Les fonctionnalistes qui prennent en compte le processus d’acquisition du langage adoptent une conception mettant en évidence la construction par l’enfant (approche constructionniste) d’un outil destiné à résoudre ses besoins en matière de communication et pas seulement d’un système grammatical vu comme un algorithme de génération d’énoncés (comme en GGT). Le Tableau 3 résume quelques principaux traits qui opposent les deux approches : 25 Selon Lazard (2006) aussi, il y sens, lorsqu’il y a forme. 40 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Traits GGT Approches fonctionnelles Compétence vs performance La GGT les distingue. Les composants (« modules ») linguistiques : Approche modulaire : la langue est composée de 3 modules (tiroirs) indépendants : phonologie, syntaxe, sémantique. Son objet d’étude : la compétence grammaticale d’un locuteur natif idéal Autonomie de la syntaxe. Elles s’intéressent essentiellement à la relation entre la structuration linguistique et les contextes d’usage, ce qui exclut la distinction entre compétence et performance (Butler, 2003) Approches unificatrices (relationnistes) L’autonomie de la syntaxe est rejetée; la signification (d’un point de vue sémantique et pragmatique) occupe une place centrale. Les oppositions modulaires (discrètes) sont rejetées au profit des liens entre les composants. Prise en compte la dimension cognitive du langage Approches hypothético-déductive inductive L’unité syntaxique de base La phrase Les structures et le sens dans des fragments allant au-delà de la phrase (fragments plus larges de discours, textes), interactions Structure profonde vs de surface Oui Non (surfacistes) Formalismes Oui Non Langues Sur l’anglais (surtout au début). Ce qui est valable pour l’anglais est aussi valable pour les autres langues Sur plusieurs langues Synchronie vs diachronie Surtout synchronique. Intérêt pour la diachronie comme système dynamique, la grammaire émergente, la grammaticalisation Acquisition du langage Grâce à la compétence innée, l'enfant arrive à générer les énoncés de sa langue L'enfant "construit" sa grammaire, apprend progressivement les constructions grammaticales en fonction de ses besoins communicatifs et sous l'influence de ce qu'il entend Tableau 3 Principaux traits opposant la GGT et les approches fonctionnelles 41 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Une des différences fondamentales entre ces deux types d’approches est que les fonctionnalismes, opposée à la grammaire formelle chomskyenne, deconnectée de l’usage, sont des grammaires fondées sur l’usage, fonctionnalistes et constructionnistes, prioritairement orientés vers la communication langagière ou vers celle d’expression de l’activité de cognition. (François, 2004b : 277) Une autre différence est que la plupart des travaux en grammaire générative portent sur l’anglais, surtout dans ses premières étapes. Ultérieurement, la recherche générative s’est ouverte à la diversité des langues, en établissant une distinction entre des principes universels et des paramètres variables (Lazard, 2006 : 46). En GGT, la grammaire est progressivement considérée comme un ensemble de principes universels, communs à toutes les langues, c’est-à-dire comme « une théorie des propriétés universelles des langues naturelles dont les diverses langues seraient les manifestations particulières » (A. Sörès, 2008 : 5), sans que cela implique forcément un travail systématique sur la diversité des langues. Il s’agit plutôt de confronter une théorie préétablie et de choisir « la meilleure grammaire » pour chaque langue, celle qui est la plus compatible avec les généralisations de la grammaire universelle (idem). 3.3. Une « galaxie de fonctionnalismes »26. Classement général Après avoir esquissé les principaux traits des approches fonctionnelles, opposées aux approches formelles, je propose ici une classification générale des différentes théories fonctionnalistes, inspirée de François (2005)27. L’espace des théories fonctionnelles contemporaines peut être divisé en trois « secteurs »: 1. Le fonctionnamisme génératif de Jackendoff avec son modèle « trigénératif » (« architecture parallèle » ), constitué de règles de génération phonologiques, syntaxiques et sémantiques. Chacun de ces trois domaines de régulation générative du langage restent indépendants, autonomes comme en GGT, mais c’est Jackendoff qui qui introduit la notion d’interface (règles d’interface entre phonologie et syntaxe, entre syntaxe et sémantique). La composante syntaxique 26 27 Le terme est de Graffi (2000). Ce classement de François (2005, 15-20) est fondé sur l’ouvrage de Butler (2003). 42 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles perd son autonomie et sa primauté. Les structures sémantiques et syntaxiques doivent s’articuler l’une sur l’autre. Dans ce modèle, la fonction de communication de la langue n’est pas prise en considération, ni la perspective typologique. 2. Les théories structurales-fonctionnelles (la Functional Grammar de Dik, la Systemic Functional Grammar de Halliday, Role and Reference Grammar de Van-Valin & LaPolla). Ici, les niveaux syntaxique, sémantique et discursifs sont liés et, à la différence du modèle précédent, la fonction communicative du langage est prise en compte (ces modèles seront détaillés dans la section 3.4.) Le point commun entre ces trois théories est qu’elles opposent les rôles sémantiques (agent, bénéficiaire) aux fonctions grammaticales (sujet, objet indirect, direct, etc) (Graffi, 2000 : 395). Une priorité est donnée à la structurations sémantique sur la structuration syntaxique (François, 2005 : 34). 3. Les fonctionnalismes « côte ouest » (Givón, Langacker, Hopper &Thompson). Ce type de fonctionnalisme « intégratif », non structural, aborde la langue comme un système de communication et analyse les stratégies d’expression de ses « domaines fonctionnels » (notionnels) dans différentes langues du monde (par exemple, le domaine fonctionnel de l’espace et ses moyens d’expression, celui des temps-modes-aspects, etc (C. Grinevald, 2005 : 34). Il combine les motivations cognitives aux motivations communicatives du langage et accorde une importance aux recherches typologiques et développementales. 43 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Mise en rapport de quelques théories fonctionnelles d’après J. François (2005) Théories marginalement fonctionnelles R. Jackendoff Fonctionnalisme « trigénératif » Théories structurales fonctionnelles FG Functional Grammar (S.Dik) SFG Systemic Functional Grammar (Halliday) RRG Role and Reference Grammar (Van Valin & La Polla) Théories fonctionnelles intégratives (non structurales) “côte ouest” Givon’s approach (réalité des structures formelles) Hopper&Thompson Emergent Grammar Langacker Cognitive Grammar (CG) Les différentes théories fonctionnelles et cognitives sont décrites et mises en rapport de manière détaillée et approfondie par Butler (2003), François (2004a, 2005), Fuchs (2004). Dans les sections suivantes, je proposerai plutôt un aperçu des principaux traits spécifiques aux différents courants fonctionnalistes et surtout de leur façon d’appréhender les liens complexes entre sens, formes et usage. 3.4. Les fonctionnalismes structuralistes. Les rapports formes-sens. L’école de Prague a donné naissance à divers courants fonctionnalistes (entre 1950 et 1970). Depuis les travaux de Troubetzkoy et de Jakobson, les fonctionnalismes sont des modèles « intégratifs », fondés sur l’étude de l’interaction entre forme-sens. En France, la linguistique structuraliste fonctionnelle de Martinet (1962) articule les unités porteuses de sens de l’énoncé (unités significatives ; la première articulation) et les unités dépourvues de sens (unités distinctives de la deuxième articulation). La fonction de communication du langage est liée à la notion d’économie linguistique. La double articulation permet une économie d’efforts à l’émission et à la perception des messages (Dubois et al, 2001). 44 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles En ce qui concerne les modèles anglo-américains et néerlandais, J. François (2005 :16), en s’appuyant sur l’ouvrage de Butler (2003), compare trois modèles ‘structuraux-fonctionnels’. La Functional Grammar (FG) de S. Dik analyse les formes en termes de fonctions assignées aux arguments (rôles sémantiques, fonctions syntaxiques : nucléaires vs satellites), sans avoir recours à un niveau de description syntaxique autonome pour décrire les corrélations entre forme et fonction et ce, dans une perspective typologique. A la différence de la FG, la Systemic Functional Grammar (SFG) de Halliday est peu concernée par la typologie des langues. Son principal objectif est d’analyser des unités de dimension textuelle (thème/rhème), ainsi que de montrer les relations entre le langage et les environnements socioculturels dans lesquels il est employé. Enfin, la Role and Reference Grammar RRG de Van Valin & LaPolla (1997) présente un ensemble de relations sémantiques, syntaxiques et pragmatiques, valable pour toutes les langues qui comprend quatre dimensions (d’après François, 2003a : 77-89) et Lazard, 2006 : 93 ; 264): Dimension 1 : la structure syntaxique (hiérarchisée) de la phrase, Dimension 2 : les opérateurs (temporels, modaux, aspectuels) qui jouent aux différents niveaux (par exemple, l’aspect s’applique au verbe), Dimension 3 : la structure informationnelle (thème/thème) ; les visées communicatives ; Dimension 4 : le contenu sémantique (par exemple les types de procès : states, achievements, accomplishments, activities ); les deux macro-rôles sémantiques des participants « acteur » (actor) et « affecté » (undergoer). Cet ensemble inclut, d’une part, une hiérarchie de niveaux syntaxiques qui comprend, du plus haut au plus bas : la phrase, la proposition, le centre – incluant le prédicat et les actants centraux et opposé à la périphérie. Des « opérateurs » modaux, temporels, aspectuels s’appliquent à ces différents niveaux syntaxiques. D’autre part, la structure de la visée communicative affecte la structure syntaxique de la phrase. Enfin, une certaine structure sémantique faite de deux rôles prototypiques, « acteur » et « affecté », structure présumée universelle, mais se diversifiant selon les situations représentées, se combine avec la structure syntaxique (Lazard, 2006 : 93). Il s’agit d’un modèle ample et clair, fondé sur les langues australiennes, papoues, amérindiennes. Son objectif est de « construire un cadre universel permettant d’analyser fructueusement ces 45 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles langues très différentes entre elles » (Van Valin &Foley, 1980 : 329)28. La RRG est un structuralisme fonctionnaliste (a structural-functionnalist theory). Lazard (2006 : 266) la qualifie de théorie « élégante », mais qui ne doit pas être utilisée comme un cadre rigide pour la description des langues (idem : 269). En revanche, elle peut fournir un riche support méthodologique. Ce bref aperçu de quelques courants fonctionnalistes structuralistes est lié à la réflexion sur les rapports formes-sens. De manière générale, le locuteur a le choix entre plusieurs formes linguistiques dans chaque situation communicative. Il choisira telle ou telle construction en fonction de ses intentions communicatives. « On peut exprimer de diverses manières à peu près la même chose et répondre ainsi sous des formes différentes aux mêmes exigences communicatives du moment » (Lazard, 2006 : 83). Mais seulement à peu près. C’est notamment dans l’à peu près que se cache les nuances subtiles de sens. Plus on les maîtrise, mieux on parle une langue étrangère, voire sa propre langue. Les différentes formes dont se dotent les langues, même si elles paraissent très proches sur le plan sémantique, véhiculent des nuances de sens subtiles (je m’en vais vs je pars semblent synonymes ou presque mais pas dans tous les contextes : on dit aussi il part de telle prémisse mais on ne dit pas il s’en va de cette prémisse29). Un travail de description et d’analyse rigoureux et fin doit forcément en tenir compte, car comme l’indique à juste titre Tognini Bonelli (2002 : 76) : “We are assuming that a variation in the formal profile of a word or an expression will always lead us to a change in meaning”. Avec le recul que seul permet un travail de synthèse comme celui-ci, j’ai le sentiment de me retrouver le plus, à travers mes travaux et réflexions scientifiques, dans ce structuralisme fonctionnel et structuraliste qui me paraît le plus apte, par son approche holiste, intégrative de la linguistique, de rendre compte du fonctionnement des faits de langues et ce, dans une perspective inter-langues. Ceci concerne aussi bien mes recherches sur les constructions causatives (chapitre 3) que celles sur la combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des affects (chapitre 4). Les travaux sur les tempsaspects –modes du futur y intègrent en plus une « couche » d’inspiration cognitive. J’y reviendrai dans le chapitre 2. 28 29 La traduction est de Lazard (2006 : 264). L’exemple est emprunté à Lazard (2006 : 83). 46 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 3.5. Les fonctionnalismes et (fonctionnalismes cognitifs) les grammaires cognitives Il faut dire que malgré les rapprochements, deux visions extrêmes continuent à coexister en linguistique: soit tout ou presque tout relève de la cognition, soit la linguistique cognitive n’existe pas comme l’affirme G. Lazard (2006, 2007a), dans sa crainte de voir la linguistique se diluer dans la cognition. Si, surtout au début, dans les années 1980, la linguistique cognitive accorde peu de place aux considérations discursives ou typologiques, on observe depuis une évolution de la cognition vers les fonctionnalismes et inversement, ainsi que de multiples tentatives de rapprochements entre fonctionnalisme et cognition. L’évolution de Givón (1998 entre autres) du fonctionnalisme grammatical au développement neurobiologique et cognitif en est un exemple. L’auteur s’intéresse aux bases neurobiologiques de l’émergence du langage articulé. Il propose une approche fonctionnelle du langage humain, fondée sur l’approche évolutionniste de la biologie. Le code lexical humain dériverait d’un système iconique visuel et gestuel. Par ailleurs, dans les grammaires cognitives, les structures syntaxiques sont motivées par des schémas conceptuels, en revanche, dans les grammaires néofonctionnelles elles le sont par des contraintes pragmatiques (François, 2008 : 4). Voici comment Givón (1998 : 269). explique le lien entre grammaire-sémantiquepragmatique : « […] la grammaire est un instrument de codage commun aux informations relevant de la sémantique propositionnelle (phrases simples) et de la cohérence pragmatique discursive (discours) ». La sémantique propositionnelle, selon lui, est plutôt réduite aux rôles sémantiques des participants et à la transitivité sémantique (état vs événement vs action). Le codage grammatical se déploie dans le domaine de la pragmatique discursive, ce qui assure la cohérence de l’information véhiculée dans son contexte situationnel, inter-phrastique et culturel. Cette vision unificatrice entre les fonctions cognitives de communication et les signaux codés dans le langage grammaticalisé est illustrée dans la figure suivante (reproduite selon Givón, 1998 : 269) : 47 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles fonction code sens lexical sensoriel et moteur sémantique propositionnelle grammaire pragmatique discursive Figure 3. Lien entre les fonctions cognitives de communication et les signaux codés dans la grammaire d’après Givón (1998) Autre différence entre modèles fonctionnels et modèles cognitifs. Les théories de Dik, Givón, Van Valin & LaPolla sont des théories non constructionnelles, qui s’intéressent principalement, comme on vient de le voir, aux opérations énonciatives et pragmatiques (François , 2005 : 35). Il s’agit essentiellement de typologies fonctionnelles des langues. En revanche, les travaux de Croft, Jackendoff, Fillmore & Kay, Goldberg sont des modèles constructionnistes. Leur préoccupation majeure demeure les opérations cognitives. Mais les frontières entre ces deux modèles sont loin d’être étanches. Les constructionnistes intègrent représentations cognitives et approche fonctionnelle. On peut donc parler aujourd’hui de fonctionnalismes « cognitifs ». Les deux grands courants en linguistique moderne se rejoignent sur de nombreux points. Les théories dites « néo-fonctionnelles » (Fuchs, 2004, François, 2005).) abordent la problématique des universaux (linguistiques et cognitifs) et du changement linguistique dans une perspective typologique. Elles s’interrogent aussi « sur la nature des liens entre schèmes cognitifs et variété des moyens d’expression, la notion de « grammaticalisation » y occupe une place centrale » (Fuchs, 2004 :12), car la typologie accorde une importance aux aspects dynamiques ou diachroniques du langage. La grammaticalisation, au sens de la grammaire émergente est aussi une problématique centrale en psycholinguistique. On évoque des parallélismes entre les grammaticalisations émergentes et diachroniques, par exemple les figements d’expressions lexicales au cours de la transition de la pré-grammaire à la grammaire (François, 1998 : 254, Peyraube, 2002 ). Cette question sera abordée dans le détail dans le chapitre 3, section 2.2.5. 48 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles Comme l’a très bien montré J. François au Séminaire annuel du LIDILEM sur la Linguistique et la Cognition, que j’ai co-organisé avec J. Puckika en juin 2009, dans une acception large de la linguistique néo-fonctionnelle, la linguistique cognitive peut être considérée comme une sous-classe de cette dernière ; dans une acception étroite, les deux ont une intersection. Voici le schéma proposé par J. François (2009): Figure 4. Rapports entre linguistique néo-fonctionnelle et linguistique cognitive, J. François (2009) La grammaire cognitive fait un sérieux effort pour traiter le langage comme un aspect intégral de la cognition humaine. Ce qui unit actuellement les théories fonctionnelles et la grammaire cognitive, c’est le fait qu’elles sont basées sur l’usage (usage-based theory of language). Mes travaux sur les catégories des TAM, mais aussi ceux sur les constructions causatives m’ont amenée à chercher à établir des ponts entre analyse fonctionnelle et analyse cognitive, qui présentent, comme on l’a vu, de nombreux points d’intersection et des complémentarités fort utiles à l’analyse linguistique. Certains modèles topologiques de l’aspect (Culioli, Desclés & Guentchéva), les approches cognitives des référentiels aspecto-temporels (Desclés & Guentchéva) ou de l’acquisition du langage (usage-based approaches, Tomasello), combinées aux analyses fonctionnelles permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’aspect grammatical ou celui des constructions causatives et leur acquisition par les enfants entre 3 et 6 ans. 49 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 3.6. Les grammaires de constructions (CxG) Les grammaires de constructions (CxG) constituent un courant puissant au sein de la linguistique cognitive actuellement. On y rattache la Cognitive Construction Grammar (Goldberg), Radical Construction Grammar (Croft), la Grammaire de construction par unification (Fillmore et Kay). Le « noyau dur » de ces théories réside moins dans les règles de grammaire que dans les opérations de construction de la signification (la construction du sens) (Fuchs, 2004 :7). Ces théories donnent un nouvel éclairage du rapport sens-forme, très différent de la bifacialité du signe saussurien. Ce qui les caractérise, c’est une acception très large de la notion de construction. Déjà, dans Cognitive Grammar (1er volume, 1987), Langacker définit les paires (forme-sens) comme étant des constructions à quelque niveau que ce soit30. Pour Lakoff (1987) 31 , chaque construction sera une paire forme-sens (F, S), où F est un ensemble de conditions sur la forme syntaxique et phonologique et S - un ensemble de conditions sur la signification et l’usage. Enfin, pour Goldberg (2003 : 219-220) : “Constructions are stored pairings of form and function, including morphemes, words, idioms, partially lexically filled and fully general linguistic patterns”. Les exemples de constructions que donne Goldberg (p. 220) vont des morphèmes (anti-, pré-, -ing), en passant par les mots (avocado, anaconda, and), les mot complexes (daredevil), les idiomes (going great guns), jusqu’aux constructions bitransitives à double objet (He baked her a muffin) et le passif (The armadillo was hit by a car), etc. L’unité fondamentale du langage devient la construction en tant qu’appariement entre forme-sens, indépendamment des éléments qui la composent. Il en découle que les constructions elles-mêmes sont motivées, car porteuses de sens ; elles existent indépendamment les unes des autres et se combinent par des mécanismes d’unification et d’héritage de propriétés (François, 2008 : 12). Les réserves qu’on puisse émettre vis-à-vis d’une telle liste c’est qu’en fin de compte tout dans la langue ou presque semble être considéré comme étant une construction32. Ceci n’enlève pas bien sûr le mérite qu’ont les théories constructionnistes d’apporter de nouveaux éclairages sur les rapports complexes entre formes et sens, entre signifiants et 30 Pour plus de détails, cf. J. François (2008 : 2). 31 Cité d’après J. François (2008 : 7). La traduction est de lui. 32 Dans ces conditions, la position de Jackendoff consistant à limiter le domaine d’application des constructions en fonction de l’idiosyncrasie de la fonction forme-sens paraît mieux défendable (François, 2008 : 17) 50 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles signifiés, ou encore d’être entièrement « surfacistes ». Le tableau ci-dessous, reproduit d’après François (2009)33, représente une synthèse des principaux traits des courants fonctionnels et cognitifs, de leurs différences et points d’intersection. Tableau 4. Les différences et les principaux points d’intersection entre les théories fonctionnelles et cognitives, J. François (2009) Ce tableau permet de voir plus clair dans ce « puzzle » compliqué de théories néofonctionnelles, constructivistes et cognitives. 3.7. Les grammaires cognitives : tendances actuelles J’essaierai d’esquisser ici très rapidement quelques tendances générales qui se dégagent actuellement en linguistique cognitive, en m’appuyant sur les débats menés lors du 3ème Colloque international de l’AFLICO sur les Grammaires en constructions, organisé en mai 2009 à Nanterre, ainsi qu’au Séminaire du Lidilem Linguistique et cognition en juin 2009 à Grenoble: a) Partant du postulat, formulé par Langacker, que les structures linguistiques, motivées par des processus cognitifs généraux, émergent de l’usage, la linguistique cognitive aujourd’hui est une linguistique essentiellement fondée sur l’usage. C’est une linguistique des données attestées et non pas des exemples forgés. 33 Présentation au séminaire annuel du LIDILEM sur la Linguistique et la Cognition, juin 2009. 51 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles b) De ce premier constat découle un deuxième : l’usage fait que la dichotomie traditionnelle entre compétence et performance, telle que formulée par Chomsky, se trouve ébranlée. On pourrait illustrer ce constat par le phénomène des collocations, qui « sensibles aux types de discours et à la notion de fréquence (la linguistique cognitive utilise le terme d’ « entrenchment » ou d’ « enracinement » en français (Langacker, 1987, Croft & Cruise, 2004)) seraient plutôt un produit de la performance et de l’usage. Mais mémorisées par les sujets, préconstruites dans la mémoire sémantique des locuteurs, elles apparaissent cependant essentielles dans la compétence des sujets parlants » (Tutin, 2010a : 25). Autrement dit, l’usage oblige à considérer que s’il y a compétence, celle-ci ne peut être qu’« une compétence de la performance » (J. François & D. Legallois, 200934.) c) La linguistique cognitive met l’accent sur l’influence de l’utilisation des structures linguistiques sur l’acquisition et l’évolution de la langue : l’usage en quelque sorte « façonne », modèle la grammaire, les structures émergent de l’usage (Langacker, 1987, Tomasello, 2003, Bybee, 2006). Elle se pose aussi des questions qui touchent à la construction dynamique du sens. c) Une autre tendance qui se dégage c’est que la linguistique cognitive est une linguistique fonctionnelle, non modulaire (au sens chomskyen du terme) qui insiste sur l’interaction entre syntaxe, sémantique et visées discursives du langage avec une ouverture sur la typologie des langues, les universaux et les invariants interlangues. L’interrogation porte essentiellement sur la nature des liens entre les schèmes cognitifs universels et les moyens variés dont disposent les langues pour les exprimer. d) Comme il est apparu également au cours des débats, il existe une nécessité de recontextualiser la linguistique cognitive. Depuis une trentaine d’années, la linguistique cognitive avec la sémantique au centre comme dans les modèles de Langacker, Talmy ou Fillmore (sémantique des cadres), est en train d’évoluer vers la socio-pragmatique ou la sociolinguistique. e) Cette recontextualisation (ou reconstruction) de la discipline est liée à l’essor des grammaires de constructions (avec les travaux de Fillmore, Croft, Goldberg, Langacker), qui proposent comme unité fondamentale du langage la construction, 34 Présentation au Colloque de l’AFLICO Grammaires en construction(s), mai 2009, Nanterre. 52 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles définie comme association ou appariement entre forme et sens : CONSTRUCTION is a form-meaning pair (Goldberg), comme on l’a vu dans la section précédente. f) Le développement des neurosciences a également un impact important sur la réflexion portant sur le lien entre le langage et la pensée. Le processus du langage relève de la capacité cognitive générale. Les expériences en électrophysiologie et en imagerie cérébrale (la conférence de S. Robert au Colloque de l’AFLICO) montrent que sémantique et syntaxe interagissent. Comme l’a révélé une expérimentation sur la sémantique des constructions transitives en français, on observe dans le cerveau des changements qui interviennent lors de l’intégration d’un mot inattendu (en l’occurrence un complément à un verbe de construction intransitive). La conclusion en est que la composante sémantique influence le fonctionnement syntaxique. Suite à ces évolutions, quelques questions légitimes, de nature différente, peuvent être posées : a) L’opposition entre formalisme et fonctionnalisme est-elle en train d’être dépassée, autrement dit la grammaire émergente de l’usage va-t-elle évincer la GGT ? b) Qu’apporte le cadre des grammaires de constructions à la linguistique de corpus, à la linguistique cognitive et à la linguistique en général ? c) Quel est le statut fonctionnel de la notion de fréquence en discours ? La fréquence d’emploi d’une unité linguistique a une conséquence sur la façon dont elle est mémorisée35. d) Les mécanismes les plus fréquents sont-ils les mécanismes les moins complexes du point de vue linguistique ? e) Comment trouver le juste milieu entre les études quantitatives, très en vogue, et leurs analyses qualitatives, parfois totalement absentes ? Il est clair que ces questions essentielles ne pourront trouver de réponse que dans les évolutions futures de la linguistique. 35 Cette fréquence, selon les cognitivistes, entraîne le phénomène d’« entrentchment » (enracinement) dans notre compétence cognitive des unités linguistiques à travers nos expositions et participations aux multiples discours (Legallois, 2009). 53 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 3.8. Linguistique cognitive et théories énonciatives Dans l’excellent panorama de la linguistique cognitive que fait C. Fuchs (2008), elle rappelle d’abord le lien entre la linguistique cognitive et la psychomécanique de G. Guillaume, fondée sur les mécanismes mentaux sous-jacents aux formes de la langue. La théorie guillaumienne est considérée comme une problématique cognitiviste en germe ou un « cognitivisme avant l’heure » de type constructiviste (Fuchs, 2008 : 66)36. Dans le chapitre 4, j’expose l’approche constructive du lexique de Mantchev, inspirée de la théorie guillaumienne, mais qui va bien au-delà de cette dernière. Par ailleurs, C. Fuchs (2008) établit un lien entre cognition et énonciation. Même si la psychomécanique de Guillaume et les théories de l’énonciation divergent sur de nombreux points, elles s’accordent à considérer la langue comme un système de représentations, ayant une logique propre, sans chercher à plaquer des formalismes extérieurs, et aussi sur le fait que l’étude des principes qui sous-tendent la dynamique de la construction du sens constitue l’objectif du linguiste (Fuchs, 2008 : 64). C. Fuchs explicite également les liens entre la théorie des opérations énonciatives de Culioli (1978, 1980) et la cognition constructiviste. Même si, comme le dit J. François (2005 : 35), le raccordement théorique et épistémologique entre opérations énonciatives et discursives, d’une part, et opérations cognitives, d’autre part, est loin d’être achevé, il existe des passerelles entre cognition et énonciation. Ainsi par exemple, la théorie culiolienne récuse la distinction saussurienne entre langue et parole, les deux fonctionnant ensemble et pouvant être saisies dans l’énonciation (Lazard, 2006 : 287290). Les modèles topologiques de Culioli ont pour objectif de décrire et de formaliser les opérations constructrices de la signification des énoncés, des systèmes de repérage énonciatifs. C’est aussi l’objectif du modèle topologique de J.-P. Desclés et Z. Guentcheva qui constitue un module de la Grammaire Applicative et Cognitive sur lequel je me suis basée dans l’étude textuelle des futurs en français et en bulgare. J’y reviendrai dans le chapitre 2. J’aimerais clore cette synopsis par une belle phrase de G. Lazard (2006 : 275) : « La façon dont l’homme perçoit et conceptualise le monde s’appuie en partie sur des 36 C. Fuchs rappelle que Rastier (1993) tient Guillaume pour « l’aïeul tutélaire de la linguistique cognitive à la française ». 54 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles données offertes par l’observation des langues ». La linguistique a donc de beaux jours devant soi ! 55 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 4. La notion de prédicat Il me reste à traiter de la notion de « prédicat », contenue dans le titre de ce mémoire de synthèse. La notion de prédication et, corollairement, de prédicat, est sujette aux flottements terminologiques et notionnels. Plusieurs conceptions de la prédication coexistent37. Selon la conception structurale (modèles verbocentés), le verbe est le prédicat de la phrase. Le terme de prédicat est pris ici dans un sens uniquement syntaxique et considéré comme le noyau de la prédication (par exemple chez les Stoïciens, Dmitrievskij (1877), Potebnja (1888)38, Tesnière (1959), Hagège , 1982 : 32). Selon la conception logique (depuis Aristote qui distingue hypokeímenon / katēgórēma, la Grammaire de Port Royal qui oppose subjectum et praedicatum, suivie par la GGT de Chomsky), la prédication est conçue comme une relation entre un prédicat (ce qui est dit) et un sujet (ce dont on parle) ; toute proposition assertive, par exemple Socrate court est analysée comme l’attribution d’un prédicat court à un sujet Socrate et validée en terme de vrai/ faux. L’articulation sujet/prédicat correspond ici à l’articulation thème/rhème. La conception logique binaire, centrée sur la prééminence du nom (de la substance) sur le verbe (le prédicat) a dominé l’analyse syntaxique de la phrase depuis la Grammaire de Port-Royal (1660) et jusqu’au XIXe s.. Les travaux de Frege (1879) en logique moderne renversent cette vision nomino-centrée de la prédication. La prédication est analysée comme une relation associant un prédicat à un nombre d’arguments [P(x), P(x,y), P(x,y,z)] (Doc 19). On trouve chez C. Muller (2002 : 34) une définition de la prédication qui articule la visée communicative du locuteur et les propriétés syntaxiques du prédicat. Il s’agit de « l’ensemble des opérations qui conduisent le locuteur à sélectionner un prédicat en fonction de son vouloir-dire (états de choses, contexte, nécessité communicative) et à lui associer des arguments qui saturent les positions d’argument prédéterminées par le prédicat ». Enfin, certains linguistes vont jusqu’à renoncer à l’acception grammaticale du terme de prédicat et plaident en faveur d’un emploi uniquement discursif de celui-ci. La prédication est assimilée à la structure thématique de l’énoncé en termes de thème/rhème. C’est le cas de Gaatone (2008 : 50), qui propose d’utiliser le terme de 37 38 Pour un aperçu historique détaillé de la notion de prédicat, je renvoie à Maillard (2008a et b, 2010). Pour ces deux auteurs, voir Sériot (2002, 2004). 56 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles prédicat « uniquement pour référer à la visée de l’énoncé et de s’en passer tout à fait au plan syntaxique ou le remplacer carrément par rhème (ou « propos »), l’essence même du langage étant de transmettre un message ». Feuillet (2008 : 143), lui aussi, ne retient qu’une acception logique de la notion de prédicat qui « pourrait sans dommage être abandonnée en linguistique et laissée à la logique ». Comme on peut le constater, la solution de ce problème si complexe n’est pas pour demain. Ce qui ne facilite guère les choses c’est que le prédicat a une histoire en peau de chagrin (Maillard, 2008b : 23, 2010 : 580). D’abord, la notion se rétrécit peu à peu « du discours à l’unité verbale, d’abord munie de ses compléments, puis de certains seulement, et en fin de parcours, allégée de tous». C’est tout particulièrement vrai, aujourd’hui, des descriptions grammaticales de certaines langues, comme l’allemand par exemple, où « conformément aux modèles verbo-centriques des grammairiens humboldtiens du XIXe s., le prédicat tend à se réduire au seul verbe. Le terme de Verbum signifie la forme grammaticale étudiée en morphologie, celui de Prädikat renvoie au centre organisateur de la phrase, porteur de la fonction prédicative (Maillard, 2010 : 580). Si historiquement, l’histoire du prédicat peut paraître comme une histoire en peau de chagrin, en synchronie, la notion de prédicat peut avoir des acceptions larges et variées. Il s’agit de mouvement cyclique « au terme duquel les questions jugées pertinentes changent de nature » (Ibrahim, 2010 : 4) et ce, dans des délais plus ou moins longs. Ainsi, par exemple, Noelke (1994 : 96) utilise le terme de structure prédicationnelle » qui hiérarchise de manière assez fine une prédication primaire renvoyant au verbe et à ses actants fondamentaux d’une part, et une prédication secondaire (à distinguer de la prédication seconde) qui s’établit entre le prédicat (verbe+actant fondamental) et un adjet (adverbes scéniques de temps et de lieu, adverbes de cause, adverbes périphériques, toutes ces catégories renvoyant grosso modo aux adverbes de phrase). Cette notion de structure prédicationnelle permet de rendre compte de la différence entre Paul a envoyé une lettre à Marie et Paul a envoyé une lettre à Paris et surtout de ne pas exclure de la prédication les compléments phrastiques. Un autre aspect important de la prédication concerne la notion de prédicat nominal qui fait débat en linguistique. Si le terme de prédicat nominal est actuellement plus ou moins largement admis (cf. les multiples travaux sur les constructions à verbe support), il ne fait pas toujours unanimité. Riegel et al. (1994 : 124) reconnaissent que 57 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles les aptitudes combinatoires des adjectifs et de certains noms surtout déverbaux ou sémantiquement apparentés (admiration, décision, départ) se décrivent au moyens des schémas valenciels, le verbe étant un simple « support » de l’élément prédicatif. D’autres linguistes comme Creissels (1995) ou Maillard (2008 a et b, 2010) considèrent que la notion de prédicat nominal n’est pas justifiée. L’analyse de M. Maillard (2008b : 24) rejette la notion de prédicat nominal: « on ne voit pas en effet comment un substantif, en tant que tel, aurait le pouvoir de prédiquer. Il ne peut acquérir cette propriété que s’il est porté par un mouvement prédicatif, manifesté à travers une copule, verbale ou non, une coupe forte, un réarrangement de l’ordre des mots, une intonation spécifique… ou tout autre moyen extérieur à l’unité nominale ». Pour Creissels (1995 : 48), « […] si on développe de façon tout à fait cohérente la notion de prédicat comme élément qui structure en unité phrastique un ensemble de constituants nominaux, on doit rejeter comme contradictoire […] la notion de « prédicat nominal ». Selon l’auteur, les notions de constituant nominal et de prédicat sont complémentaires. La reconnaissance de « prédicats nominaux » oblige à abandonner le contraste entre prédicat et arguments qui semble être une caractérisation universelle (idem : 49). Autrement dit, c’est le verbe, le centre organisateur de la phrase, qui est le noyau de la prédication et qui a pour fonction de structurer les éléments nominaux. En même temps, dans son ouvrage de 2006 (p. 282), Creissels ne rejette pas la notion de verbe support, mais dans ce cas, l’élément nominal qui le suit est analysé non pas d’un point de vue syntaxique en tant que prédicat, mais sur le plan des rôles sémantiques, comme un terme qui est essentiel pour la conceptualisation d’un événement. Ainsi, dans faire peur ou faire envie, « le verbe support constitue avec un nom une combinaison lexicalisée dans laquelle c’est le nom qui signifie une situation ou un événement dont les autres termes de la construction représentent les participants » (idem, T1 : 39). Le nom qui constitue une locution avec un verbe support a un comportement qui le distingue plus ou moins nettement d’un terme nominal représentant un participant dans la construction d’un verbe prototypique. Autrement dit, sans reconnaître en peur le statut de prédicat nominal, Creissels note qu’il existe une différence syntaxique entre un complément d’un verbe typique et un nom faisant partie d’une locution. Cette question du statut syntaxique du nom dit prédicatif semble d’une importance capitale. Dans le cadre du Lexique-Grammaire de M. Gross, Ibrahim (2010 : 4) reconnaît que les notions de prédicat nominal puis, plus généralement, de prédicat 58 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles non verbal ont eu des difficultés à s’imposer ; elles font partie de ces « catégories nouvelles » qui ont rencontré au sein de la discipline de « fortes résistances ». Aujourd’hui, la grande majorité de linguistes admet l’existence de prédicats non verbaux, qui ont un statut particulier. Néanmoins, les différents usages des termes de prédicats non verbaux ou de verbes supports ne correspondent souvent pas aux propriétés auxquelles M. Gross, leur créateur, les avait associés (Ibrahim, 2010 : 5). Ce qui, selon Ibrahim, complique davantage les choses c’est que la prédication non verbale remet en question aussi bien la classification des verbes que celle des autres parties du discours. Elle amène également à envisager autrement la nature et le rôle des fonctions grammaticales : « par exemple peut-on parler ou non parler, à propos d’un prédicat nominal, d’objet direct du verbe support qui l’actualise ? » (idem : 6), comparé à un verbe distributionnel et son complément. Cette vision a pour corollaire le déplacement de l’angle des analyses : « si le verbe support a pour caractéristique principale de ne pas régir son complément/argument nominal mais d’être régi et choisi par ce dernier, ce n’est pas le verbe support qu’il faut étudier en priorité mais le prédicat nominal qui l’a sélectionné » (idem : 7). Un autre point délicat que soulève le statut syntaxique du prédicat nominal et des verbes supports est lié à l’extension démesurée de la liste des verbes supports. Si au début, une liste de 14 verbes supports a été proposée dans le cadre du LexiqueGrammaire (Giry-Schneider, 1978 :23, A. Daladier, 1978), à savoir faire, donner, mettre, passer, pousser, prendre, tirer, tenir, poser, prêter, avoir, être et lancer, il existe, aujourd’hui, un risque réel d’étaler la notion de verbe support à des verbes qui ne le sont pas vraiment (faire un discours vs prononcer un discours, caresser, nourrir un projet vs avoir un projet, formuler un souhait), ce qui a été aussi signalé au Colloque international sur les Supports et prédicats non verbaux dans les langues du monde, organisé en mars 2009 à Paris par A.H. Ibrahim et C. Martinot. On dénombre actuellement, dans les différents travaux, plus d’une centaine de verbes supports, on parle de verbes stylistiquement enrichis. Ceci risque de faire éclater la notion de verbe support. Un classement rigoureux des verbes supports, soumis à des tests appropriés, s’impose donc. Dans nos recherches sur les expressions verbo-nominales de sentiments (Melnikova & Novakova, 2010), nous considérons que le verbe et le nom de sentiment (exploser de colère) forment un tout qui a le statut de noyau prédicatif de la phrase, sans 59 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles accorder le statut syntaxique de compléments aux noms de sentiments sélectionnant le verbe (collocatif dans la terminologie de Mel’čuk (2003), support dans le Lexiquegrammaire) au sein de la construction verbo-nominale. Même si structurellement le nom de sentiment occupe la place d’un complément, il n’a pas les mêmes propriétés syntaxiques que celui d’un verbe distributionnel. Le nom de sentiment dit « prédicatif » dans ces constructions a un statut syntaxique particulier, un peu comme celui de l’attribut qui ne peut être assimilé à un vrai complément du verbe. Cette analyse pourrait être étayée par la solution proposée par Muller (2006 : 57), selon laquelle le nom dit prédicatif au sens sémantique du terme (idem : 56) est considéré comme une expansion du verbe support , qui peut être l’objet de choix variés (éprouver de l’admiration, tomber en admiration, éprouver de la colère, exploser de colère, etc). Ainsi, une construction du type éprouver de l’admiration envers qn serait considérée comme une micro-structure où l’on distinguerait deux niveaux (ou deux ordres)39: le prédicat lexical ou ordre sémantique des choix prédicatifs du locuteur (admiration (éprouver(par X (envers Y) et le prédicat fonctionnel, c.à.d. celui des termes construits qui constitue le noyau local de la micro-structure et détermine l’ordre structural de la construction prédicative : éprouver (X de l’admiration envers Y). En bref, notre analyse du statut du nom dans les constructions verbo-nominales de sentiments peut être résumée comme suit : il s’agit d’une expansion d’un verbe, que le nom choisit et avec lequel il forme un tout, qui constitue le noyau prédicatif de la phrase. Il est prédicatif au sens sémantique du terme ; du point de vue syntaxique il a un statut particulier, ce n’est pas un vrai complément du verbe, mais il n’est pas non plus le seul à « supporter » syntaxiquement la prédication. Notre position a des points communs avec la position nuancée de P. Blumenthal (2009 : 56-57) sur le statut prédicatif des noms d’affect. L’auteur se pose la question sur le statut prédicatif de noms comme peur et plaisir : « auraient-ils vocation pour assumer le rôle de prédicats et donc pour dénoter des procès ? » Et à P. Blumenthal de conclure (idem, 57): « S’il devait s’avérer qu’il existe des affinités entre des noms d’affect et des fonctions dans la phrase (prédicat, actant, qualification adjectivale ou adverbiale, circonstant), ces liens ne seraient certainement jamais exclusifs, mais ne correspondraient qu’à des emplois 39 Muller (2002 : 37 ; 57). 60 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles typiques de tel nom - à l’intérieur d’un système marqué par une grande souplesse et la polyfonctionnalité fondamentale de chacun des noms ». Il faudrait donc prendre la précaution de bien délimiter les classes grammaticales qui peuvent avoir des fonctions prédicatives. Dans la grammaire des opérateurs de Harris (1976, 1978), le prédicat correspond à tout élément lexical régissant les éventuels arguments d’une phrase. Dans l’optique harrissienne peuvent être prédicats « non seulement de manières classique les classes de verbes (on auxiliaires), mas aussi les classes d’adjectifs (No est Adj) et de manière moins attendue les classes de substantifs associés à une classe d’auxiliaires verbaux particuliers, les verbes supports : tous ces éléments jouant le même rôle de noyau de la phrase simple» (Piot, 2008 : 116). Harris analyse aussi les conjonctions de subordination comme une classe de super-prédicats opérant sur les prédicats simples, noyau des phrases simples (cf. à ce sujet M. Piot, 2008). Dans le numéro 37/2008 de la revue Lidil sur la Syntaxe et la sémantique des prédicats40 (doc. 19), que j’ai co-dirigé avec Z. Guentchéva, nous avons essayé d’apporter, à travers une diversité de points de vue et d’approches théoriques, de nouveaux éclairages conceptuels et terminologiques de la notion de prédicat, de mieux la circonscrire. Même si une acception large de la notion se dégage des différentes contributions, les auteurs insistent sur la nécessité d’une distinction stricte entre prédicat (psycho)logique et prédicat linguistique, et aussi sur une attitude prudente qui consiste à ne pas étaler la notion de « prédicat » à presque tous les opérateurs linguistiques (J.-P. Desclés, 2008 : 93), au risque de ne pas faire apparaître nettement les opérations linguistiques mises en œuvre dans les structures linguistiques spécifiques des diverses langues. Personnellement, j’adhère à cette vision des choses. Une grande prudence s’impose lorsqu’on manipule la notion de prédicat! Dans la plupart de mes travaux, je me suis intéressée au verbe, en tant que centre organisateur de la phrase, c.à.d. le prédicat au sens du verbe et de ses arguments, la fonction prédicative par excellence étant exercée par les verbes, associés à des marques de conjugaisons (ou opérateurs), comme l’aspect, les modes, le temps etc. (Muller, 40 Plusieurs ouvrages ont été consacrés ces derniers temps à la prédication; je n’en citerai que quelquesuns : l’ouvrage de J. François (2003) La prédication verbale et les cadres prédicatifs, le numéro 31/32 de Faits de langues La prédication paru en 2008, sous la direction de J.-M. Merle ; La structure de la proposition : histoire d’un métalangage, édité par P. Sériot et D. Samain en 2008, qui a fait l’objet d’un compte-rendu de ma part dans Lidil 38/2008, les Supports et prédicats non verbaux dans les langues du monde, dirigé par Amr Helmy Ibrahim en 2010. 61 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 2006 : 50). La première série de mes travaux, consacrés aux temps-aspects-modes des prédicats verbaux en français et en bulgare, analyse ces catégories aussi bien dans le cadre de la phrase simple, que de la phrase complexe (phénomènes de concordance des temps en français et en bulgare) et enfin celui du texte. Les valeurs aspecto-temporelles et modales des verbes au futur sont étudiées dans leur interaction avec les éléments contextuels et l’environnement syntaxique en général (doc. 4, 5,8, 9). La deuxième série de recherches sur les prédicats causatifs étudie les verbes et les constructions causatives en lien avec les phénomènes de transitivité (doc. 13, 16) et de grammaticalisation du prédicat complexe faire+Vinf (doc. 24, 27, 29, 31) qui, elle aussi, concerne de près la problématique de la prédication (Lamiroy, 1998 : 289). Enfin, les travaux sur le lexique sont non moins liés à la prédication, car le lexique y est étudié en construction, suite aux travaux de K. Mancthev (doc. 12) d’abord, et ensuite, plus récemment au sein de sa combinatoire syntaxique et lexicale qui constitue un observatoire privilégié des phénomènes prédicatifs, du lien entre la syntaxe et le lexique (doc. 17, 22, 25, 26 et aussi les recherches dans le cadre du projet Emolex). La problématique des prédicats adjectivaux (la construction attributive) a également fait l’objet d’une étude (doc. 10) dans une perspective contrastive françaisbulgare. Ce travail compare la fonction d’attribut en français et en bulgare en y ajoutant une réflexion terminologique sur la notion d’attribut dans les deux langues. Dans la tradition grammaticale bulgare, le prédicat (skazuemo) tout en étant classé, avec le sujet, parmi les fonctions syntaxiques de la phrase, est considéré comme hiérarchiquement « subordonné » par rapport à celui-ci. Le prédicat est donc un déterminant subjectal. En bulgare, comme en russe, sous l’influence de la tradition grecque et latine, le substantif et l’adjectif font partie de la classe des noms săštestvitelno vs prilagatatelno ime (prilagam = ajouter, compléter, prilagatelno (adjectif) = supplément, complément). Du point de vue syntaxique, l’adjectif a la fonction de déterminant prédicatif dans Ivan e bolen (Ivan est malade) qui correspond à la fonction attribut en français et de déterminant attributif (opredelenie) qui « attribue » une qualité ou une propriété au substantif, ce qui correspond à la fonction épithète en français comme dans Il est un homme malade. Dans le premier cas, il détermine le substantif en fonction de sujet ou d’objet non pas attributivement, mais prédicativement (Pachov, 1994 : 329). Ce travail poursuit la réflexion que j’ai menée sur l’harmonisation terminologique des catégories grammaticales (cf. chapitre 2, section 5). Il remet en question la pertinence du terme 62 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles attribut en français. La plupart des langues européennes ne font pas la distinction entre attribut et complément. Ce que l’on nomme attribut en français correspond à l’épithète en anglais, en portugais ou en bulgare. Cela crée des difficultés pour l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères et donne des arguments en faveur d’une réanalyse du terme d’attribut français en terme de prédicatif (cf. aussi Maillard et Almeida, 2001), qui semble pertinent pour remplacer à la fois l’étiquette déterminant prédicatif en bulgare et attribut en français. 5. Conclusion Ce premier chapitre consacré aux enjeux et à la méthodologie des approches contrastives et typologiques, à la mise en rapport des différentes théories fonctionnalistes et cognitives, enfin, à la notion polémique et problématique de prédicat m’a paru nécessaire pour la suite de cette synthèse. Il permet d’expliciter mes choix théoriques, de mieux cadrer les principales problématiques de mes travaux de recherches, de mettre au jour leurs points communs, leur principaux fils conducteurs. Plus concrètement, en ce qui concerne les principaux apports, nouveautés et pistes qui peuvent être dégagés, suite à ce 1er chapitre et qui sous-tendent mes recherches, je mentionnerai : a) La mise en place progressive d’une méthodologie rigoureuse de l’analyse contrastive fondée sur l’utilisation de grands corpus bilingues, comparables et parallèles (doc. 28, 30, 31). b) Le choix d’une approche fonctionnelle structuraliste et cognitive appliquée aux trois principaux domaines de mes recherches : tempsaspects-modes ; constructions causatives, combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des affects (doc. 9, 20, 22, 26, 29, entre autres). c) La réflexion conceptuelle et terminologique sur de la notion de prédicat dans une perspective interlangues (doc. 10, 19). Plus concrètement, les recherches sur la prédicativité des noms de sentiments dans une perspective contrastive français-russe (en collaboration avec E. Melnikova) peuvent être considérées comme une nouveauté, car à notre connaissance, il n’existe pas de travaux traitant de cette problématique. 63 Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles 64 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes CHAPITRE 2 Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 65 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 66 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 1. Les catégories TEMPS-ASPECT-MODE (TAM) Ce chapitre résume les travaux réalisés dans la continuité de ma thèse de Doctorat, consacrés à la problématique de la Temporalité, de la Modalité et de l’Aspectualité des temps futurs en français et en bulgare. Après une brève présentation des trois catégories grammaticales, je traiterai, dans les sections de 1 à 4, du fonctionnement syntaxico-sémantique des temps futurs dans ces deux langues, exposé dans les documents 2, 3, 4, 5, 8, 9, 21. J’aborderai aussi (section 5) la question de la terminologie grammaticale concernant les étiquettes des tiroirs verbaux, développée dans les documents 1 et 7. Ce chapitre comportera également une brève synthèse (section 6) des recherches sur l’aspectualité des constructions verbo-nominales de sentiments en français et en russe (doc. 26), menées dans le cadre de la thèse d’E. Melnikova que je co-dirige actuellement avec F. Grossmann et qui seront détaillées dans le chapitre 4. Dans la perspective onomasiologique des recherches contrastives, l’univers des significations est un espace multidimensionnel pour lequel les langues construisent des moyens grammaticaux correspondant à des portions de cet espace (Lazard, 2006 : 111). Ce sont des « domaines de grammaticalisation » et celui des temps/aspects/modes en fait partie. Les marques de temps, mode, aspect, généralement associées dans les langues à des marques de conjugaisons sont appelés opérateurs par Harris (1976) du fait de leur grammaticalisation qui en interdit tout emploi autonome (Muller, 2002 : 50). Dans une perspective fonctionnelle (cf. la RRG de Van Valin et La Polla par exemple), les marques de TAM sont considérées comme des opérateurs qui s’appliquent au verbe en tant que noyau prédicatif relevant du niveau syntaxique. Dans le cadre de la théorie des classes d’objet de G. Gross, les TAM font partie des actualisateurs des unités prédicatives et sont aussi liés à leurs propriétés syntaxiques41. Mais ces catégories grammaticales ont une portée plus large qui dépasse les niveaux syntagmatique et phrastique. Afin de mieux appréhender leur fonctionnement, il est nécessaire de prendre en compte le niveau discursif et textuel. Givón (1998 : 270) critique la méthodologie structuraliste traditionnelle qui consiste à analyser des propositions isolées, ce qui a 41 Buvet et al. (1995), Sfar (2009 : 57), entre autres. 67 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes pour effet d’obscurcir les faits grammaticaux. La portée de la grammaire fonctionnelle concerne surtout « les RELATIONS DE COHERENCE entre les informations contenues dans la proposition et l’environnement discursif de celle-ci ». Les systèmes grammaticaux des temps-aspects-modalités font partie, selon l’auteur, de ceux qui sont les plus orientés vers la pragmatique discursive (avec l’anaphore, la définitude, la référence, les pronoms, la topicalisation, etc). En France, la théorie benvenistienne et ses multiples développements, les travaux de Weinrich ont fourni de puissants outils théoriques permettant de dépasser le cadre étroit de la phrase et d’accéder au niveau du texte, où les « temps » sont considérés comme facteur de progression, de mise en relief et de structuration discursives. A date plus récente, Muller (2002 :52) estime que « [l]es opérateurs énonciatifs dominent et déterminent […] les opérateurs temporels et aspectuels ». Enfin, dans le modèle de la Grammaire Applicative et Cognitive (G&C) de J.-.P Desclés (1995, 1996) et de J.-.P Desclés & Z. Guentchéva (2006), les catégories grammaticales d’une langue se caractérisent par un système (paradigme) de formes grammaticales, un système de signification, un système d’exploration contextuelle. Une occurrence d’une forme (grammaticale ou lexicale) acquiert une valeur sémantique déterminée lorsqu’on tient compte des indices linguistiques qui sont présents dans le contexte de cette occurrence (exploration contextuelle). J’y reviendrai dans la section 4, consacrée à l’analyse textuelle des tiroirs futurs en français et en bulgare. 1.1. La Temporalité Sur le plan extralinguistique (vécu vs non vécu), le statut du futur est plus complexe que celui du présent ou du passé. Il existe une asymétrie entre la temporalité rétrospective et prospective. La temporalité rétrospective est plus facile à coder, la temporalité prospective ne se temporalise qu’en tant que prévision d’expérience (Benveniste). Sur le plan linguistique, cette asymétrie se traduit par la formation et la grammaticalisation plutôt tardive du futur dans les langues qui disposent de formes grammaticales spécifiques pour exprimer l’avenir. Le futur se constitue souvent à date récente par la spécialisation de certains auxiliaires, notamment « vouloir » (Benveniste, 68 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 1974 :75-76). Une façon très répandue d’exprimer l’époque future dans les langues indo-européennes est le schéma V (aux ou mod)+ V42 : avoir (grammaticalisé) + V (en français, italien, espagnol.) : cantare habeo → cantare ayo→cantarayo→cantarai→chanterai ; être+V (en russe budu čitat’) ; vouloir+V (langues balkaniques, anglais). : bulgare : xotěti biti → šte da băda → šte băda =je serai (litt. *veut que je sois ) En bulgare (šte ceta > litt. je veux lire, je lirai), le morphème šte grammaticalisé est issu du verbe vouloir, en anglais I will /shall go, la gramaticalisation se fait aussi à partir des verbes modaux vouloir/devoir, will étant allé plus loin dans la grammaticalisation que shall. En allemand, le modal werden (devenir) se combine avec le Vinf (Er wird sprechen), avec une forte nuance modale associée à la temporalité future. Dans la plupart des langues, le futur serait donc une forme grammaticalisée de l’expression du désir ou de l’intention (Morgenstern et al., 2009 :164) Une autre preuve de la complexité du futur est son acquisition plus tardive par les enfants (Fleischman, 1983, Morgenstern et al., 2009). Selon Fleischman (1983 : 22) « [i]n all languages children acquire the future significantly later than present or past ». L’auteur explique ce phénomène comme étant une conséquence naturelle de la nature cognitive plus abstraite du futur, par la nature inégale de l’expérience au futur, comparé au présent ou au passé qui dénotent des procès plus concrets, plus tangibles. A cela s’ajoute la difficulté morphologique de certaines formes de futur en français, source d’hésitations et d’erreurs parmi les jeunes enfants comme je courirai, je venirai, je mourirai, ils se joigneront, ils se plaigneront. Le futur périphrastique semble être préféré par les enfants à cause de sa relative simplicité morphologique. Dans une récente étude psycholinguistique, A. Morgenstern et al. (2009 :164) soulignent le fait que le « non-présent » peut paraître plus complexe à maîtriser puisqu’il s’agit d’exprimer des événements et des états sans en avoir eu l’expérience. Dans le même temps, les résultats de l’expérimentation montrent que le futur périphrastique 42 Cf. aussi J. Feuillet (2006). 69 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes (désormais FP) apparaît assez tôt, vers deux ans dans le langage enfantin, presque simultanément avec des adverbes ou des prépositions de temps (tout à l’heure, après). Cette forme de futur est quinze fois plus utilisée que le futur simple (désormais FS). La fréquence des emplois des FP chez les adultes (les mamans des enfants enregistrés), quatre à cinq fois supérieure aux formes du FS, pourrait aussi expliquer la distribution des usages enfantins. En même temps, cette étude confirme les propriétés aspectuelles des deux temps : le FP situe le procès dans la visée prospective à partir du présent du locuteur, ce qui rend le procès plus réel comparé à celui au FS. Celui-ci renvoie à un procès dans l’avenir en discontinuité avec le moment d’énonciation, ce qui le rend virtuel et explique le fait qu’il est presque toujours accompagné de compléments de temps (Jeanjean, 1988, Novakova, 2001). Les résultats de mes recherches sur le futur confirment pleinement ces constats. 1.2. L’Aspectualité S’il existe de nombreuses études consacrées à la structuration de l’aspect des procès situés dans le passé (PS, PC, Imparfait, PQPF)43, c’est loin d’être le cas pour les futurs. Deux raisons pourraient être évoquées qui ne s’excluent pas mutuellement: - soit il s’agit d’un aspect sous-estimé dans les descriptions qui, trop portées sur la problématique du temps et du mode, négligent en partie ou totalement la problématique aspectuelle. - soit la nature linguistique du temps futur fait que plus on avance vers l’avenir, plus il est difficile de statuer sur l’aspect de procès qui n’ont pas encore eu lieu. De là , corollairement, le profil aspectuel des procès situés à droite de To serait plus pauvre (moins développé) de ceux situés au passé. Maingueneau (1994) parle d’absence d’ « étagements complexes » au futur, Vikner (1985) considère le futur comme aspectuellement neutre. Mes recherches ont mis au jour une architecture aspectuelle complexe des différentes formes de futurs en français et en bulgare que je détaillerai dans la section 3. 43 Par exemple, les recherches de Z. Guentchéva (1990, 1994, 1995) sur les temps du passé en français et en bulgare. 70 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes Je me limiterai ici d’introduire le problème. De manière générale, comme le montrent les données des deux corpus (plus de 2500 occurrences de futurs dans les deux langues), le futur simple véhicule le plus fréquemment (70% des cas) l’aspect global. La vision sur le déroulement du procès est globale, synoptique, doublement bornée (intervalle fermé), impliquant toujours un début et une fin (Il travaillera de 5h à 7h). Il renvoie à un événement qui s’insère facilement dans une structure de succession44. En bulgare, les verbes perfectifs au futur (bădešte vreme) sont largement prédominants (šte napisa, šte pročeta, šte izrabotja obeštanoto, j’écrirai, je lirai, je réaliserai ce qui a été promis). Plus rarement, dans 30% des cas, le FS peut véhiculer l’aspect inaccompli dans des conditions syntaxiques spécifiques (Il vivra en Afrique pendant des années). La vision sur la façon dont se déroule le procès, associée au repère de référence R45 est, cette foisci partielle : elle tombe sur un procès en plein déroulement. L’aspect inaccompli exclut toute prise en compte d’un premier et d’un dernier instant (sur l’intervalle temporel de réalisation, la borne droite est toujours ouverte)46. En bulgare, les futurs imperfectifs (šte četem, šte pišem, šte rabotim, on lira, écrira, travaillera), moins nombreux dans le corpus, expriment des procès itératifs, inaccomplis qui n’entrent pas dans une structure de succession. Le futur antérieur (FA) véhicule l’aspect accompli (A cette heure-ci, il aura déjà mangé) et ce, aussi bien en français qu’en bulgare. La vision sur le procès à partir du R (à cette heure-ci) est rétrospective, et renvoie à un état résultant. Le profil aspectuel du futur périphrastique est différent : il est affecté des traits relatifs à l’aspect prospectif (cf. aussi Gosselin, 1996, Wilmet, 1997 qui parle d’aspect sécant prospectif), en continuité avec To. Par exemple dans Luc va fumer une cigarette vs Luc fumera une cigarette dans une heure, la différence entre les deux formes peut être expliquée par le fait que le FS renvoie à une événement, en rupture avec To, le FP à un processus orienté vers l’événement, situé au-delà de To (Desclés, 1995 :18), mais en continuité avec lui. Le bulgare ne dispose pas de futur périphrastique. A la différence 44 Cf. aussi à ce sujet Desclés (1994 :73-74). 45 Ce repère de référence R est introduit par Reichenbach (1947). Il vient compléter les deux autres paramètres du repérage aspecto-temporel de l’énoncé, à savoir To (le moment de l’énonciation) et T’ (le moment du procès). 46 Desclés (1994 : 71-72) ; Desclés & Guentchéva (2010 : 1691). 71 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes du russe, le présent perfectif bulgare n’est pas un temps futur à part entière. Il n’entre que dans des procès en série, le plus souvent itératifs (Nastane (prés. perf) večer, mesec izgree (prés. perf), zvezdi obsipjat (prés. perf) svoda nebesen (prés. perf) qui signifie quelque chose comme A chaque fois que la nuit tombe, la lune se lève, les étoiles couvrent la voûte céleste…). En revanche, le bulgare dispose d’un système très développé de temps verbaux, y compris de temps futurs : bădešte vreme (futur), bădešte predvaritelno vreme (futur antérieur), bădešte vreme v minaloto (futur dans le passé), bădešte predvaritelno vreme v minaloto (futur antérieur dans le passé). (Cf. section 5). 1.3. La Modalité En analysant le rapport entre le sujet de l’énonciation et le procès énoncé au futur, certains auteurs (cf. Quintin, Confais, Rotgé) parlent de "l'hypothèse paradoxale", qui insiste à la fois sur « l'incapacité » du locuteur « de statuer sur la vérité ou non de ce qu’il énonce tout en inscrivant les faits énoncés dans un univers qui, au moins de son point de vue (et sans doute aussi pour son partenaire), est celui de la réalité [...] »47.. Ainsi Quintin place le "paradoxe" au coeur même du signifié du FUT, surtout lorsque celui-ci n'est pas daté. W. Rotgé48 évoque aussi le paradoxe du futur qui « associe l'assertion et la non-validation » du contenu propositionnel. Le concept du « futur paradoxal » peut être également illustré à travers certains emplois du FS et du FP, dont le sens pourrait être perçu comme opposé, voire contradictoire. Ainsi, la certitude totale alterne avec l'incertitude (Elle va finir sa thèse l'été prochain / Elle finira sa thèse l'été prochain), l'injonction – avec la requête polie (Vous allez fermer les fenêtres avant de partir/ Vous fermerez les fenêtres avant de partir), l'engagement catégorique avec la promesse évasive (On va vous téléphoner / On vous téléphonera). De plus, les débats sur le statut du futur « temps » et / ou « mode » ne datent pas d’hier. Or, l’analyse des données aussi bien en français qu’en bulgare a montré que cette séparation est difficilement tenable. Les emplois temporels et modaux, associés aux propriétés aspectuelles des futurs forment un tout (cf. section 2.1.). 47 Quintin (1986 : 393). 48 Rotgé (1993 : 167). 72 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 2. Les choix théoriques et méthodologiques Sur le plan des choix théoriques, les travaux que j’ai réalisés sur les futurs se démarquent des modèles « référentiels » dont les origines remontent à Aristote et qui préconisent que les temps verbaux réfèrent de manière directe et linéaire au temps chronologique, divisé en trois époques : passé, présent, futur. Cette approche a du mal à expliquer des emplois tels que On a bientôt fini ou A cette heure-ci, il aura bien mangé, qui loin d’être marginaux en français (on entend quotidiennement des énoncés de ce type), sont traités de « métaphoriques », « stylistiques » ou « à la place de ». Mes travaux se démarquent aussi des modèles « psycho-logiques » (Guillaume, Imbs, R. Martin) qui représentent aussi, pour la plupart, le futur de manière linéaire. Voici comment P. Imbs (1960 : 189-190) décrit de façon fort imagée la structuration temporelle de l’indicatif en français. Il y voit un mouvement allant du passé vers l’avenir, représenté comme « un fleuve au cours inversé : au départ, le delta très ramifié du passé ; au milieu le large déploiement du présent ; à la fin, le mince filet du futur, à peine grossi d’un affluent de dernière heure (le futur antérieur), après quoi c’est la ténèbre, où le temps va se perdre dans l’inconnu des possibles et des impossibles. Le deuxième « cinétisme », d’après P. Imbs, « suppose un centre stable et permanent, le présent, qui semble être la vraie source du temps humain: à sa gauche et à sa droite jaillissent, comme en gerbe, le passé et l’avenir, dans un mouvement permanent de relations avec lui » (idem, p.190). Cette approche accorde au présent le statut privilégié de « centre organisateur » des opérations de repérage temporel. Ici aussi l’inconvénient majeur c’est le calque du temps extralinguistique sur le temps linguistique. Enfin, l’approche anaphorique et déictique des temps de Kleiber et Berthonneau (1993) reste elle aussi essentiellement « temporaliste » et ne tient pas compte des propriétés aspectuelles des temps. Devant ces difficultés, certains linguistes adoptent une division binaire entre un « passé », et un « non passé » qui regroupe le présent et le futur (J. Feuillet, 1973 : 8283), entre le « révolu » et le « non-révolu » (J.-P. Confais, 1995 : 180), entre le «passé » et le « présent-futur » (Co Vet, 1981). A la différence du modèle de R. Martin (1981), qui distingue au sein du futur une « zone linéaire », correspondant aux 73 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes emplois « temporels » et une « zone ramifiée », correspondant aux emplois « modaux », l’analyse que propose J.-P. Desclés (1995) franchit ce clivage traditionnel, en opposant des événements linéairement ordonnés avant To et des événements structurés sous forme d’arbre, situés après To, localisables dans un nouveau référentiel, celui des possibles. Il s’ensuit que le référentiel énonciatif oppose deux domaines qui relèvent du domaine de la modalité: (i) le réalisé certain et (ii) le non-réalisé ouvert vers les possibles de l’àvenir. Ces approches binaires semblent beaucoup plus fidèles au fonctionnement des temps dans la langue. En bref, sur le plan théorique, mes travaux sur les futurs établissent des filiations entre les différents courants énonciatifs (Benveniste, Culioli), la sémantique cognitive (le modèle topologique de J.-P. Desclés et de Z. Guentchéva) et la syntaxe fonctionnelle de D. Creissels et de M. Maillard, ce qui permet de mieux appréhender le fonctionnement des catégories des TAM dans les tiroirs futurs. Sur le plan méthodologique, j’énumérerai quelques-uns des principes qui soustendent mes travaux et qui aujourd’hui, au moment de ce bilan, me paraissent comme étant des avancées méthodologiques, par rapport au peu de travaux qui existaient, il y a une dizaine d’années sur les futurs, surtout dans une perspective contrastive: 1) l’analyse des formes de futur en français et en bulgare, intégrant les niveaux syntagmatique, phrastique et textuel, afin de mieux dégager leurs principales valeurs sémantiques ; 2) le recours aux méthodes de comparaison directe (original-traduction) du bulgare vers le français, la vérification des données dans le sens inverse (du français vers le bulgare) sur des corpus de romans, de pièces de théâtre et de discours politiques ; 3) la méthode statistique pour calculer les fréquences des équivalents fonctionnels des futurs français en bulgare et inversement, à une époque où les méthodes quantitatives d’analyse des données, recueillies manuellement, étaient relativement peu utilisées (par ex., les données ont montré qu’en bulgare 70% des verbes utilisés au futur étaient des verbes d’aspect perfectif contre 30% de verbes imperfectifs ; en français 70% des verbes au futur simple sont accompagnés d’un repère temporel dans le corpus contre 30% des verbes au futur périphrastique). Ces données 74 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes quantitatives ont servi à des conclusions, relatives au fonctionnement des formes futures dans les deux langues. 4) la distinction nette entre les catégories morphologiques du temps/aspect/mode représentées au niveau morphématique et les catégories de la temporalité, l’aspectualité, et la modalité relevant du niveau supérieur, celui de l’énoncé et de l’ensemble du texte. Ainsi, à la différence du « temps » grammatical concernant le paradigme des flexions verbales, la temporalité englobe les tiroirs verbaux, les déictiques temporels (adverbes ou compléments nominaux satellites). L’aspect grammatical, catégorie morphologique du verbe en bulgare et qui fonctionne en français à travers l’opposition entre temps simples et temps composés, est différent de l’aspectualité qui englobe des éléments de nature assez variée, comme le type de procès (aspect lexical), les marqueurs syntaxicolexicaux comme la complémentation, la détermination, la nature sémantique du sujet et de l’objet, les phases du procès49, etc. Enfin, à la différence du mode, conçu comme un paradigme de tiroirs (catégorie formelle), la modalité recouvre de multiples phénomènes comme les modalités énonciatives (assertive, interrogative, exclamative, injonctive), les modalités d’énoncé (le certain, l’éventuel, le possible, le souhaitable), issues des modalités logiques (épistémiques, aléthiques, déontiques), les verbes modaux, les adverbes, les adjectifs appréciatifs, etc. 5) le souci et la nécessité d’utiliser une terminologie grammaticale adéquate pour les phénomènes étudiés qui distingue temps chronologique et temps linguistique (time/tense, Zeit/ Tempus, temps/tiroir), d’éviter la transposition directe des étiquettes comme perfectifs/imperfectifs propres à la morphologie aspectuelle des langues slaves sur des phénomènes aspectuels du français qui n’a pas d’aspect morphologique et où les termes comme télique/atélique semblent plus appropriés; 6) la prise en compte simultanée des trois paramètres (temporel-aspectuelmodal) qui coexistent et se manifestent à différents degrés dans les énoncés au futur. Les analyses des différents corpus ont montré qu’il est impossible de les étudier séparément, c.à.d. de distinguer les emplois temporels et les emplois modaux comme le fait la grammaire traditionnelle, ce qui déforme les réalités linguistiques. Qui plus est, 49 Dans mes travaux plus récents sur l’aspectualité (doc 26), il est question de combinatoire syntaxique et lexicale). Cf. section 6. 75 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes les grammaires traditionnelles50 passent sous silence l’aspect des formes futures en français. Dans une perspective contrastive et typologique, il est nécessaire de traiter globalement les TAM plutôt que d’y voir des catégories différentes (Creissels, 2006 : 181). Cette démarche a abouti à ce que j’ai appelée une approche transcatégorielle de l’étude des futurs dans les deux langues. 2.1. L’approche transcatégorielle Les travaux sur les futurs mettent au jour de façon systématique le lien entre la temporalité et la modalité. Toute forme de futur est modale par définition. Cette « cohabitation forcée » entre temps et modalité (Rotgé, 1995) peut être illustrée par des exemples du type Ca sera le facteur, Il aura perdu ses clefs (futur de conjecture), où la validation de l’assertion du procès localisé dans le passé est attendue dans l’avenir. Le rapport entre temporalité et aspectualité, beaucoup moins traité dans la littérature, apparaît nettement dans la concurrence possible entre Elle se marie/ va se marier/se mariera l’année prochaine, où, dans les trois cas, le procès est localisé dans le futur ; ce qui change c’est le point de vue de l’énonciateur sur son déroulement. Le présent et le futur périphrastique (FP) indiquent un procès en continuité avec To (les préparatifs ont déjà commencé), tandis qu’avec le futur simple (FS), le procès est envisagé en rupture avec To. On pourrait interpréter l’énoncé de la façon suivante : le futur est conçu comme une entité disctincte du présent, le mariage est encore en stade de projet (Imbs, 1960). Enfin ces mêmes exemples peuvent être utilisés pour expliciter le lien entre aspectualité et modalité, lien moins évident que les deux précédents et, de ce fait, souvent occulté dans les descriptions. Avec le présent, le procès est conçu comme une affirmation (degré de certitude élevé), le FP (en continuité avec To) donne une vision intermédiaire entre affirmation et prédiction tandis que et le FS véhicule le sens de prédiction à cause de sa rupture avec To. Dans l’énoncé Je vous répondrai si vous me laissez une seconde (J. Chirac sur TF1, 12.1996), les trois dimensions coexistent et ne peuvent être négligées dans l’analyse du FS : le procès est situé après To (probablement dans l’instant qui suit, ce qui fait s’écrouler le mythe proche/lointain), dans le domaine 50 Par exemple, la Grammaire vivante du français (1989) de M. Callamand, La Grammaire du français. Cours de civilisation de la Sorbonne (1991), entre autres. 76 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes modal de l’hypothèse et en rupture de To, car le si est un indice linguistique de « décrochage » ou de rupture par rapport à To (Desclés, 1994 : 65). Comme l’indique Fleischman (1983 : 84) « Futures are universally temporal/aspectual or temporal/modal or all three ». L’analyse des futurs français et bulgares confirme ce constat. Le choix entre les différentes formes du futur conditionné par leurs propriétés aspectuelles, modales et temporelles dépend essentiellement des visées (intentions) énonciatives et discursives du locuteur : atténuation du propos, politesse, rappel, structuration de la narration (le présent et le futurs dits « historiques), préférence pour la simplicité morphologique et l’économie (au sens de Martinet) ; par exemple, le présent est fréquemment utilisé à la place du futur et ce, dans de nombreuses langues. On retrouve ici les principes de base des approches fonctionnelles. En bref, temporalité, aspectualité et modalité sont profondément imbriquées dans le fonctionnement des futurs. Le futur se trouve au croisement du temps, de l’aspect et de la modalité (cf. aussi Lyons, 1977, Comrie, 1985). Il implique un positionnement énonciatif pour exprimer le degré d’éventualité du procès (modalité), ainsi que les liens de continuité ou de rupture par rapport à To (aspect)51. 3. Les futurs dans les différentes distributions syntaxiques L’étude des futurs dans différentes distributions syntaxiques permet de mieux dégager leurs principales valeurs aspecto-temporelles et modales. L’étude de ces distributions syntaxiques fait ressortir les contextes dans lesquels ces formes sont substituables ou non-substituables. Plus généralement, l’étude de la concurrence entre le présent, le FS et le FP en français, entre le futur et le conditionnel en bulgare relève de la réflexion constante qui sous-tend mes recherches sur le lien entre les formes et le sens. Dans ce qui suit, seront brièvement passées en revue les principales constructions syntaxiques dans lesquelles apparaissent les futurs français et bulgare. 51 Cf. aussi Morgenstern et al. (2009 : 164). 77 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 3.1. Procès futurs uniques (hors série) dans la phrase simple Ce sont surtout les formes de FS, plus rarement celles de FP et de FA, qui apparaissent dans cette distribution syntaxique. Dans la majorité des cas, ces futurs simples sont accompagnées d’un marqueur temporel de type nominal ou adverbial (maintenant, demain, dans quelques jours, dimanche prochain, l’année prochaine). S’y ajoute aussi la concurrence du FS avec le présent qui, dans ces conditions syntaxiques, peut aussi exprimer l’avenir (Je passe mon examen le 20 juin, Il part demain). Cette concurrence de formes a pour conséquence des différences de sens subtiles, parfois difficiles à analyser. Le futur périphrastique (FP), lui, est plus rarement daté. La proportion est de 91% de FS contre 9% de FP datés. Etant ancré dans la situation d’énonciation, le FP n’a pas besoin d’indications temporelles précises, comme le montre les données du corpus. Le FS se combine facilement avec des adverbes et des compléments nominaux ponctuels ou itératifs qui expriment la rupture par rapport à To (ensuite, après, un jour, souvent, tous les soirs), tandis que le FP, dans les rares cas où il est daté, se combine avec des adverbes indiquant la continuité (aspect prospectif) par rapport à To (immédiatement, maintenant, aujourd’hui, tout de suite, d’un instant à l’autre). De plus, dans la phrase simple, le FP, à cause de son profil aspectuel, apparaît fréquemment avec des verbes d’état, de changement d’état ou de phases (commencer, débuter, poursuivre, durer, continuer, changer, modifier, s’achever) : Ca va continuer longtemps comme ça. Qu’est-ce que cela va changer pour les particuliers ? Il existe des énoncés où seuls les FS sont admis, comme par exemple : En 1999, trois nouveaux pays rejoindront ( ?? vont rejoindre/*rejoignent) l’Union européenne (Journal TV, 09.2007). La Sécurité sociale dégagera (*dégage, ??va dégager) un excédant d’environ 2 milliards de francs en 2000 (Le Monde, 20.09.1999). Le satellite européen Corot partira (*part, ??va partir) en 2012. Comme on le voit dans ces exemples, tous les FS sont datés. Etant coupé de To, le FS a besoin d’une spécification temporelle. Le FP serait moins naturel, à cause de son aspect prospectif en continuité avec To, le présent est, lui, exclu de ces contextes. Ceci prouve une fois de plus que ce n’est pas le tiroir verbal qui est porteur de la temporalité de l’énoncé, mais le contexte large et les nominaux (Maillard, 1989, Creissels, 1995). Dans ce type d’énoncés, le locuteur n’a pas toujours le libre choix de l’une ou de l’autre forme, ce qui est dû aux propriétés aspectuelles des formes respectives qui sont ici non substituables. 78 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes Bien que plus rarement, le FS permet aussi « une saisie en cours d’accomplissement » (Leeman, 1994 :161) du procès situé après To. Ce trait apparaît dans des contextes syntaxiques bien spécifiques : en phrase simple, accompagné d’un complément de phrase, d’un adverbe de type déjà ou d’un SN de type pendant des années : A huit heure, il dînera déjà ; A cette heure-ci, nous volerons vers Hawaï (paraphrasables par Nous serons en train de voler vers Hawaï), ce qui peut être comparé à A cette heure-ci, nous volions déjà vs *Nous volâmes déjà vers Hawaï. En bulgare, c’est le verbe imperfectif qui s’impose : Utre po tova vreme šte letim (imperf) za Xavaj. Le FS et le FP non datés peuvent être en concurrence dans des phrases comme par exemple Il y a des problèmes, on va s’en occuper/ on s’en occupera ! T’inquiète pas ! Je vais faire / je ferai la vaisselle. Je t’appellerai (*vais t’appeler) un jour, peutêtre. Dans ce dernier exemple, issu du film Fleurs brisées (diffusé sur Arte le 13.05.2010), le protagoniste féminin en quittant son compagnon, utilise le futur simple je t’appellerai tout en rajoutant un peut-être, à la fin. Dans ce cas, ce sont des considérations modales qui entrent en jeu : l’engagement fort (tout de suite) avec le FP (je vais faire la vaisselle), comparé à l’engagement moins fort avec le FS (je t’appellerai demain, plus tard, peut-être, voir jamais). Dans un énoncé On vous appellera au délocutif, que l’on peut souvent entendre dans les échanges administratifs, la promesse est encore moins rassurante. Le différent degré d’engagement du locuteur (trait modal) est lié aux traits aspectuels des deux tiroirs (connexion vs déconnexion par rapport à To). Un des principaux objectifs théoriques de mes travaux sur les futurs consiste donc à expliquer dans quels contextes et pourquoi le FS est préféré au FP et inversement. Pourquoi le français dispose-t-il de deux formes, là où le bulgare n’en a qu’une ? L’étude systématique des cas de concurrences entre le FS et le FP français est important du point de vue théorique, mais aussi appliqué, pour l’enseignement du FLE aux bulgarophones qui ont souvent du mal à comprendre dans quelles distributions les deux formes sont interchangeables et dans quelles autres, elles ne le sont pas. Cette question de concurrence est aussi étroitement liée aux interrogations concernant le sens que véhiculent les différentes unités linguistiques. 79 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes Enfin, le futur antérieur peut aussi apparaître dans une phrase simple avec ou sans repère temporel : Lundi, je serai parti. Demain matin, les nuages auront envahi tout le pays. Ils m’auront bientôt oublié. On aura tout essayé. Paul aura perdu ses clés (conjecture), On aura tout vu ! (indignation) L’expression corporelle l’aura accompagné toute la vie (bilan). Dans ces cas, contrairement aux descriptions traditionnelles du FA, celui-ci n’exprime en aucun cas l’antériorité (on constate donc l’inadéquation de son étiquette). Il s’agit d’un procès présenté comme accompli au futur, ce qui s’apparente aussi à ses différentes valeurs modales. Comme l’indique Wilmet de manière imagée : « La vérité d’aujourd’hui n’apparaîtra en plein lumière demain ». Le déplacement du FA dans des « zones » antérieures (Il aura raté son train) ou concomitantes de l’acte de l’énonciation (avec le FS Ca sera le facteur) est à l’origine de la lecture modale de ce types d’énoncés. Une interaction complexe s’opère entre l’aspect accompli, la localisation temporelle d’un tiroir censé parler du futur dans le passé et les effets modaux qui en découlent. Le procès déjà accompli est projeté dans l’avenir, ce qui enlève à l’affirmation la certitude ou la brutalité d’une constatation au PC (On aura tout essayé vs On a tout essayé). Comme je l’ai montré dans le document 5, tous les emplois du FA aussi bien temporels (d’antériorité) que modaux (conjecture, bilan, indignation) peuvent être déduits de sa valeur aspectuelle invariante d’accompli. Les catégories de la temporalité-aspectualité-modalité sont donc indissociables dans l’analyse de ces cas de concurrence. C’est une de mes principales contributions par rapport aux descriptions traditionnelles de ce tiroir. 3.2. Procès futurs en série dans une phrase simple ou complexe (structure de succession) A cause de leur aspect global, les procès au FS s’inscrivent facilement dans une structure de succession (dans le cadre d’une phrase ou de deux phrases qui se suivent), ce qui se traduit syntaxiquement par la juxtaposition (en chaîne) des événements futurs qui « se suivent sans se chevaucher » (Deslés & Guentchéva, 2006). Plusieurs exemples de ce type existent dans la Modification de Butor : Vous vous lèverez, vous sortirez, vous irez jusqu’au bout du couloir. Souvent, les futurs simples se combinent avec des adverbes comme après, bientôt, alors, à ce moment-là qui impliquent une rupture par 80 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes rapport à To et qui permettent de mieux structurer les événements futurs dans une série ordonnée: Nous irons d’abord dans un centre d’accueil dans la Grande Ville. Ensuite nous ferons des recherches pour retrouver vos parents. (AK, p. 150) -Naj-napred šte gi zakaram (perf) v priematelnija centăr na Golemija Grad. Posle šte izdirim (perf) roditelite im. (p. 132) En bulgare, les verbes perfectifs au futur qui renvoie à la globalité du procès sont prédominants dans cette distribution : Njakoj den šte stana (perf) majstor. Togava.... togava šte sedna (perf) i šte napiša (perf) edna posledna kniga. (VP., Ball, p. 175) Un jour, je serai maître. A ce moment-là, je m’assiérai et j’écrirai un dernier livre. (p.175) Par ailleurs, les futurs simples en série n’entrent pas toujours dans une structure de succession : Pendant dix jours, nous prendrons de bon temps, nous mangerons, nous boirons, nous fumerons, nous danserons, nous ferons du sport. Ici les procès ne sont pas succesifs, ils peuvent être énoncés dans un ordre différent, sans que cela n’entame le sens de l’énoncé. En bulgare ces verbes sont rendus par des futurs imperfectifs (šte piem, šte jadem, šte pušim, šte tancuvame, šte sportuvame). La comparaison avec le bulgare, à cause de l’aspect morphologique codé sur le verbe, peut aider à mieux cerner les propriétés aspectuelles du FS : pour les FS qui renvoient à des événements (aspect global), le bulgare a le plus souvent pour équivalents des verbes perfectifs, pour l’aspect inaccompli du FS - des verbes imperfectifs. A la différence du FS, les FP en série n’entrent pas dans une véritable structure de succession , susceptible de faire avancer la narration. Une suite de FP n’est pas exclue mais elle est moins naturelle (Franckel, 1984 : 68). Les rares exemples du corpus avec des FP dans ces conditions correspondent plutôt à une visée simultanée que successive : Je vais rester ici, je vais vous frotter le dos, vous lavez les cheveux. Vous n’allez pas vous gêner devant moi (A. Kristoff). Je vais faire de grandes réformes, je vais interdire le cumul (L. Jospin). Le plus souvent, après une suite de FP, un FS vient clore la série de procès futurs. 81 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 3.3. La suite FP→ FS dans le cadre de la phrase complexe (juxtaposée ou coordonnée) ou de deux phrases L’ordre FP→FS est très fréquent, car il est le reflet du rapport entre procès en liaison ou en rupture avec To. Le corpus a fourni de nombreux exemples de structuration phrastique et textuelle fondée sur l’opposition aspectuelle FP/FS (cf. document 9, p. 269-282) En voici quelques exemples : Comment savoir ? On va m’emmener et on me tuera (Kristoff). Dans un premier temps, nous allons établir les règles du jeu très simples. A la fin du débat, il y aura deux conclusions de 3 minutes (Le Débat Jospin-Chirac). Je vais laver leurs habits sales, je les apporterai demain avec l’argent (Kristoff). Le bulgare ne structure pas l’espace futur de la même façon. Il utilise des futurs (perfectifs ou imperfectifs), là où le français fait une différence entre FP et FS, ce que les traducteurs respectent en général : Ne znaes li ? Ste ni sădjat (imperf), posle šte izlezem (perf) zaedno. Tu n’es pas au courant ? Ils vont nous juger (sous-entendu maintenant), après nous sortirons ensemble. De manière générale, l’aspect lexical du verbe bulgare n’a cependant pas d’incidence directe sur le choix du tiroir français (FP ou FS), comme le montre l’exemple suivant : Viž kakvo moeto momče -kaza toj. Stava duma za tova: ti šte otključiš (perf) sega, šte vlezeš (perf) v koridora i šte vikaš (imperf) visoko djado si Georgi. (...) Šte go izvikaš (perf) visoko. (VP, Ball., p. 112) -Ecoute, mon garçon , dit-il.Voilà de quoi il s’agit: tu vas ouvrir tout de suite la porte, tu entreras dans l’entrée et tu appelleras bien fort grand-père Guéorgui. (...). Tu l’appelleras bien fort. (p. 111) La première occurrence de futur šte otključiš (perf) est rendue par un FP (tu vas ouvrir), les deux autres occurrences de futur šte vikaš (imperf) /šte izvikaš (perf) sont traduites dans les deux cas par un futur simple (tu appelleras) en français, conformément à l’ordre chronologique FP →FS. 82 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 3.4. Procès futurs dans la structure principale-subordonnée La subordonnée circonstancielle de temps (SCT) est la structure prototypique où apparaît le FA dans sa valeur dite d’antériorité. Comme je l’ai déjà dit supra, la valeur d’antériorité du FA procède de sa valeur aspectuelle d’accompli : Quand il aura terminé sa thèse, il viendra nous voir. Toutefois, la fréquence du FA dans cette distribution est à la baisse, car en français moderne, le FA après quand n’est pas obligatoire Quand il terminera sa thèse, il viendra nous voir. En bulgare, le FA est plutôt rare, il est fortement concurrencé dans ces conditions par le présent perfectif (ou le parfait) : Quand + présent perfectif : Kato oblečeš (prés. perf) sakoto, njama da liči (Quand tu auras mis ta veste, cela ne se verra pas). Toujours dans le cadre de la SCT, on peut avoir aussi deux FS, dont l’un est d’aspect accompli, l’autre – d’aspect inaccompli : Lorsque nous arriverons, l’enfant dormira déjà (= sera en train de dormir). Pendant qu’il regardera (inaccompli) la télévision, elle lui volera (global) ses clés. Le FS cumule ici les traits spécifiques du profil aspectuel du passé simple (volera vs vola, aspect global) et de l’imparfait (aspect inaccompli regardera vs regardait), le contexte, la construction syntaxique, la nature lexicale du procès, les emplois en série sélectionnant tantôt l’un, tantôt l’autre. En bulgare, l’aspect est plus facilement identifiable, grâce à la morphologie verbale : Dokato toj gleda (présent imperf) televizia, tja šte mu otkradne (fut. perf) ključovete. Par ailleurs, la subordination est la construction syntaxique prototypique d’expression de la modalité épistémique. C’est le cas des subordonnées complétives du type Vdicendi (il pense, sait, espère, dit, croit, prétend) que + FUT et ce, dans les deux langues (Kălna se, če šte go napravja, Je jure que je le ferai). Mais cette structure complexe n’est pas la seule à véhiculer la probabilité épistémique. (Cf. les emplois conjecturaux du FS et du FA Ca sera le facteur. Il aura manqué son train, analysées de la façon suivante : seul l’avenir confirmera, épistémiquement, ce qui au présent n’est qu’une hypothèse vraisemblable (R. Martin, 1981). Bien que les grammaires bulgares signalent ce type d’emplois pour le futur antérieur bulgare, ces derniers sont rares et peu naturels, comme l’ont aussi montré les résultats du corpus. Le bulgare leur préfère le parfait, accompagné de peut-être : Sigurno e izpusnal vlaka Peut-être il a raté son train. 83 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes Enfin, en bulgare, il existe une plus grande souplesse en ce qui concerne les structures syntaxiques dans lesquelles apparaissent les futurs. Le futur, le futur dans le passé, le conditionnel ne s’encastrent pas comme en français dans des structures syntaxiques spécifiques (Mantchev, 1986 :154) ; on peut même employé le futur après si : Ako šte xodim na kino, šte ti se obadim. Litt. Si nous irons au cinéma, on t’appellera. Ceci s’explique par l’absence de concordance des temps en bulgare, mais aussi par le fait que la forme verbale est moins contrainte par le contexte syntaxique, du fait de son aspect morphologique grammaticalisé. Dans le cadre de la phrase complexe, après une principale au passé (aoriste, imparfait ou plus-que-parfait), le présent et le futur bulgares sont très fréquents en subordonnée. Dans l’énoncé bulgare : Toj maxna (Aor) răka i trăgna (Aor) da izliza. Na praga sprija (Aor) i kaza (Aor), če utre šte namine (Fut) pak. Izpsuva (Aor) ošte vednăž i izleze (Aor). (VP., Ball.,) Il fit un geste de la main et s’apprêta à sortir. Il s’arrêta sur le seuil et dit qu’il repasserait [litt.*repassera demain] le lendemain. Il poussa un juron et sortit. la proposition principale contient un aoriste, tandis que la subordonnée est au futur (bădešte vreme), rendu par un conditionnel présent en français ; le déictique demain devient le lendemain dans la langue cible. En schéma : BG Aor-Aor-Aor-Aor que demain FUT - Aor-Aor FR PS-PS-PS-PS(dit) que COND PR le lendemain - PS-PS La comparaison des deux langues permet de dire que la concordance des temps dépasse le domaine de la syntaxe pour rejoindre celui, beaucoup plus complexe, du fonctionnement des « temps » dans le système narratif et de structuration du récit (cf. section 4). 3.5. Les futurs dans les différents types de phrases L’analyse des formes futures dans les différents types de phrases : négative, exclamative, interrogative s’avère aussi instructive non seulement en ce qui concerne leurs propriétés modales mais aussi aspecto-temporelles. Le FP est largement prédominant sinon presque exclusif dans des phrases exclamatives et interrogatives : Tu 84 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes ne vas pas me faire de manière ! Et maintenant, que vais-je faire ? Un jeu subtil entre la personne grammaticale (l’énonciateur), la négation et l’exclamation d’une part, et la forme verbale au FP, d’autre part, produit des effets de sens modaux de protestation, de dissuasion, que Damourette et Pichon (1936 :107) nomment de façon originale l’« allure extraordinaire » (Ah non, tu ne vas pas me faire une grippe, maintenant ! Tu ne vas pas dire que tu pars maintenant !). Ces séquences illustrent la profonde imbrication entre les modalités d’énonciation (exclamation + négation), les modalités intersubjectives (Charaudeau, 1992) (l’allocutif + FP) et les modalités d’énoncé - l’injonction ou l’interdiction qui relèvent du domaine du déontique. Cette imbrication complexe entre les différents types de modalités peut être schématisée selon la formule M[M(p)] où M désigne la modalité d’énonciation, M la modalité d’énoncé et (p) le contenu propositionnel52. De manière plus générale, ces exemples montrent l’impossibilité de dissocier la construction syntaxique de l’interprétation sémantique et des conditions discursives (contexte, intonation spécifiques) dans lesquelles ces énoncés sont produits conformément à l’approche fonctionnelle. 3.6. Conclusion Les résultats de mes travaux montrent que toutes les formes verbales du futur sont affectées d’un aspect spécifique. Sur le plan syntagmatique, les verbes lexicalement téliques ou atéliques en français sont compatible avec le futur, le futur bulgare accepte aussi bien des verbes perfectifs qu’imperfectifs, avec toutefois une prédominance des verbes perfectifs (70% contre 30% d’imperfectifs), ce qui correspond en français au fait que le FS est essentiellement global et accessoirement inaccompli en fonction des indices contextuels. Sur le plan phrastique, l’étude des distributions syntaxiques fait émerger une architecture aspectuelle complexe des futurs qui diffère d’une langue à une autre. En français, le FA est accompli. Le FS est global et plus rarement inaccompli, le FP est prospectif. En bulgare, le futur peut être perfectif ou imperfectif, le FA est utilisé aussi 52 G. Chevalier (1993 :122). 85 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes avec des verbes perfectifs ou imperfectif53 mais celui-ci a moins de valeurs modales qu’en français. Le bulgare ne dispose pas de FP. Il a moins de contraintes dans l’emploi des futurs dans la phrase complexe (principale-subordonnée) et dans la si-construction. 4. Analyse textuelle des futurs Comme il a été déjà dit, la majorité des descriptions analysent les TAM au niveau syntagmatique et phrastique. Or, la prise en compte du niveau discursif et, plus généralement, textuel est essentiel afin de mieux cerner leur fonctionnement. Les travaux qui font l’objet d’une synthèse dans ce chapitre donnent des arguments forts en faveur d’une analyse syntaxico-sémantique et discursive des tiroirs verbaux. Une fois de plus, la pertinence de l’approche fonctionnelle est démontrée. Depuis les travaux d’E. Benveniste (1966) et de H. Weinrich (1973), les tiroirs verbaux sont considérés comme facteur essentiel de la cohésion textuelle et de la structuration du récit. Les temps verbaux en discours et en récit deviennent de vrais « signaux » de changement de l’attitude de l’énonciateur et, par conséquent, entraînent une lecture tendue, respectivement relâchée, des textes narratifs. Or, l’analyse textuelle des futurs bulgares et français ont montré que : - les structurations discursives dépassent de loin la simple opposition entre discours / histoire (Benveniste) ou encore discours / récit avec premier plan/arrière plan (Weinrich 1973), autrement dit les deux plans d’énonciation ne sont pas étanches, mais « poreux » (A. Jaubert,1990 : 38) - la répartition des tiroirs verbaux dans les registres énonciatifs, valable pour le français, n’est pas « exportable » dans d’autres langues54. 53 La notion d’aspect accompli ne suffit pas pour rendre compte de la possibilité d’utiliser des verbes perfectifs et imperfectifs au FA en bulgare. La distinction subtile entre accompli et achevé (Guentchéva, 1990 : 34-35) est fort utile pour expliquer ces cas. Elle est grammaticalisée en bulgare Šte săm čel (accompli, sans indication d’achèvement) / Šte săm pročel (accompli et achevé) knigata, mais pas en français, où l’on a recours à des moyens contextuels pour préciser que l’action est à la fois accomplie et achevée ou seulement accomplie J’aurai lu le livre (sans le finir ou jusqu’au bout) ou J’ai lu le livre (accompli sans indication de l’achèvement) vs J’ai lu le livre jusqu’au bout, accompli + achevé). 54 C’est d’ailleurs le reproche qu’adresse J. Feuillet (1985 : 4-5) à la classification benvenistienne: « Benveniste, dans son article, ne s’intéresse qu’au système français. [...].Si, déjà la théorie de Benveniste 86 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes Ces constats ont soulevé trois interrogations auxquelles j’ai essayé d’apporter des éléments de réponses : - les présents et les futurs qui interviennent de manière systématique dans la narration en bulgare sont-ils, oui ou non, un signal de passage du registre récit en discours ou d’intrusion du discours en récit? - leur présence perturbe-t-elle la cohésion narrative? - peut-on expliquer ces emplois par d’autres concepts, plus souples, comme par exemple l’ouverture sur un référentiel des possibles, proposé par J.-P. Desclés et Z. Guentchéva (1994, 1995, 2006) dans le cadre de leur modèle topologique du temps et de l’aspect ? Selon ce modèle, l’avenir ne peut être considéré comme une ligne droite se poursuivant après le moment de l’énonciation mais comme « une diagramme en fourche dans lequel chaque embranchement représenterait l’un des multiples possibles » (Z. Guenctheva, 2001), ce qui est étroitement lié à la nature modale du futur. Des référentiels supplémentaires (rapportés, médiatifs, des possibles) s’ouvrent à partir de To, susceptibles de se projeter ou se superposer sur les référentiels énonciatifs ou narratifs (J.-P. Desclés & Z. Guentchéva, 200655). Pour répondre à ces interrogations, j’ai étudié les présents-futurs dans quatre distributions différentes : a) au niveau phrastique (dans la structure principalesubordonnée) b) dans le cadre du discours indirect libre (DIL) c) au sein d’un paragraphe au passé d) dans plusieurs paragraphes entièrement composés au présentfutur, insérés dans une narration au passé (en dehors du DIL) (doc. 21). Pour illustrer mon propos ici, je donnerai deux exemples. Le premier concerne l’emploi des présentsfuturs dans le DIL en bulgare : soulève de gros problèmes pour le français, elle est pour le moins inadéquate quand il s’agit de langues liées génétiquement». 55 Sur la question des référentiels aspecto-temporels, cf. aussi Desclés &Guentchéva (2010). 87 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes Zatvoren krăg. Skitaxme (AOR) ot komisija na komisija, visjaxme (AOR) po gišeta i kantori - otvsjakăde vdigaxa (IMPARFAIT) ramene: da ide (IMPERATIF) v starčeski dom. Zašto da ne ide (PRES ; PERF) v starčeski dom? Tam šte mu e (FUT du Vêtre) ujutno na starija čovek! Nakraja ot « Socialni griži » se săglasixa (AOR) da go ostavjat na mira (VP, Ball, p. 122). C’était un cercle vicieux. Nous courûmes de commission en commission, nous attendîmes devant des guichets et dans des bureaux: partout on haussait les épaules. Il devait aller [litt. qu’il aille] à l’hospice des vieillards. Pourquoi n’irait-il pas [litt. Pourquoi ne pas y aller]? Il s’y sentirait [litt. il y sera] tellement bien! Pour finir, le bureau d’aide sociale accepta de le laisser en paix. En schéma : narration→ BG AOR-AOR-IMP FR PS-PS- IMP narration→ DIL (pensées, propos)→ IMPERATIF –Prés. Perf--FUT IMP-COND-COND DIL (pensées, propos)→ narration AOR PS narration L’occurrence bulgare da ide (impératif)56 v starčeski dom (litt. qu’il aille à l’hospice des vieillards) est rendu en français par il devait aller. C’est une transposition du tour direct « Vous devez aller ». En bulgare cette occurrence à l’impératif est précédée de deux points. L’interrogation Pourquoi n’irait-il pas? (litt. Pourquoi ne pas y aller) et l’exclamation Il s’y sentirait (litt. Il y sera) tellement bien ! sont aussi des signaux de passage au discours indirect libre. Le bulgare opère une transposition de personnes (le tu/vous devient il) mais non pas des tiroirs. Le futur il y sera, comme d’ailleurs l’impératif ou le présent (perfectif) à valeur future qui y fonctionnent librement, ne sont cependant pas un indice de changement du registre énonciatif. Le DIL ne constitue pas un plan énonciatif à part; c’est un type de discours spécifique qui s’intègre dans le registre du récit sans opérer de véritable rupture avec lui. Ce mode d’énonciation original « s’appuie crucialement sur la polyphonie » (D. Maingueneau, 1993 : 105). Le DIL engendre de nouveaux référentiels locaux (Z. Guentchéva, 1994 : 174) qui relèvent du domaine des possibles, mais comme ces référentiels dépendent directement du registre narratif, les processus et les événements y sont projetés. Ce nouveau référentiel introduit souvent une séquence de souvenirs ou de pensées qui 56 C’est une forme composée de l’impératif, formée à l’aide de la conjonction da, qui se conjugue à toutes les personnes. 88 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes alternent avec les séquences narratives (D. Maire-Reppert, 1994 : 186)57. Le deuxième exemple concerne le cas où des occurrences de futur et de présent sont employées dans une séquence entièrement « composée » au passé: V GDR započvaše erata na Koni. [...] Ako Haiman poželaeše (IMPARFAIT) Koni da premesti pustinjata Sahara văv Frajberg s pomošta na edno sito, Koni njamaše i da se zamisli (FUT DU PASSE). Šteše da ja premesti (FUT DU PASSE). [...] Tărseše (IMPARFAIT) izkuplenie na grexovete si. (...) Be (IMPMPARFAIT) gotov da se sbie s vseki imperialist pootdelno i săs Zapadna Germanija kato cjalo. Togava Hajman šte go povika (FUT PERF) na vtorija etaž, šte go počeše (FUT PERF) zad ušite i šte mu kaže (FUT PERF): « Ti si (PRES) slaven kolega, Koni. » « Danke, her Hajman! » No tova e (PRES) druga istorija... (VP, All, p. 166) En RDA commençait l’ère de Koni. [...] Si Heimann demandait à Konny d’apporter le désert du Sahara à Freiberg à l’aide d’un tamis percé, Konny n’hésiterait pas une seule seconde. Il le ferait. Il cherchait à racheter ses péchés. (...) Il était prêt à se battre avec chaque impérialiste pris individuellement et avec l’Allemagne de l’Ouest tout entière. Alors, Heimann le ferait [litt. le fera] venir au deuxième étage et le gratterait [litt. le grattera] entre les oreilles [litt. et lui dira]: « Tu es un excellent collègue, Konny ». « Danke, Herr Heimann ». Mais c’est une autre histoire... (p. 203) BG IMPARF- IMPARF-FUT DU PSE- FUT DU PSE -IMPARF-IMPARF-FUT-FUT-FUT: « PRES ». PRES FR IMPARF-IMPARF-COND PRES-COND PRES- IMPARF.-IMPARF.- COND- COND: « PRES» PRES La série de futurs dans le récit en bulgare le fera venir, le grattera entre les oreilles, lui dira, qui débouchent sur un discours direct, constitue une ouverture sur le référentiel des possibles, car les procès renvoient à des événements, produits de l’imagination du personnage et insérés dans la trame narrative au passé. La dernière phrase, qui clôt le paragraphe : Mais c’est une autre histoire peut être paraphrasée ainsi: je me suis laissé aller dans mon imagination en m’écartant du fil principal de l’histoire, maintenant revenons à ce qui a été dit précédemment. Il serait difficile d’admettre que dans ce passage les futurs en bulgare constituent un « signal » de changement du registre du récit vers le discours. Ceci irait à l’encontre de la cohésion narrative. Les occurrences de futurs qui s’« immiscent » dans le registre narratif (des événements déjà réalisés) peuvent être interprétées comme engendrant un nouveau référentiel, celui des 57 Cf. aussi à ce sujet D. Maingueneau (1994 : 140) qui indique que grâce au DIL, l’auteur peut « glisser sans aucune rupture de la narration des événements à celle des propos ou pensées pour revenir ensuite à la narration des événements ». 89 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes possibles, tout comme les conditionnels présents en français, sans pour autant quitter le registre narratif sur lesquels ces événements se projettent. Si, en français, les temps de l’époque future ne s’accordent pas (ou peu) avec un récit qui demande « tendanciellement des faits passés » (cf. J. Bres, 2009), le bulgare ne confirme pas cette tendance. Il est intéressant de signaler l’exemple du roman bulgare Hôtel Paradise de K. Nikolov (1982), où les événements racontés au futur ont déjà eu lieu dans le passé. On obtient ainsi des « images de tension » successives (cf. aussi la Modification de M. Butor), ainsi qu’une neutralisation de l’opposition entre sphère du discours et sphère du récit (J. Feuillet, 1985). On pourrait expliquer ces cas par le fait que le futur ajoute au lexème verbal le morphème de projeté par rapport au moment de l’énonciation, mais aussi par rapport à un moment, qui ne relève plus de l’avenir et qui est postérieur au point de référence choisi (Ch. Touratier, 1996, F. Revaz, 2009). En bulgare le présent, le futur, ainsi que le triplet déictique hier-aujourd’huidemain, fonctionnent librement, sans aucune contrainte grammaticale, en indépendante et en subordonnée dans un récit au passé. Ceci s’explique par le fait que, comme il a été déjà signalé supra, il n’y a pas de concordance des temps en bulgare et il n’est pas normal qu’il y en ait, du moment que le temps bulgare est actuel » (Mantchev, 1986 :154). Ici « actuel » devrait être interprété dans le sens de branché sur l’actualité de l’énonciation. Ainsi, l’aoriste bulgare (mais aussi grec et albanais), à la différence du passé simple français, est fréquemment utilisé dans le registre du discours, car il n’est pas coupé du moment présent. Cela va de soi pour le parfait. Dans certains cas, le plusque-parfait peut aussi renvoyer à des procès qui auront lieu dans le futur Ne bjaxme li kaneni na gosti tazi večer ? N’étions nous pas invités ce soir ? (valeur de rappel). Autrement dit, la répartition des tiroirs dans le discours et dans l’histoire (Benveniste) s’avère inopérante pour le bulgare. Par ailleurs, l’analyse des futurs bulgares dans le DIL confirme le constat que celui-ci n’est pas un phénomène relevant de la syntaxe de la phrase mais porte sur un ensemble textuel de dimensions variables (Maingueneau, 1993 :106-107). Les travaux résumés dans cette section apportent des arguments en faveur du fait que le DIL fonctionne différemment en français et en bulgare (doc 21). Du fait de la plus grande liberté d’emploi des tiroirs dans les registres de l’énonciation en bulgare (l’aoriste dans 90 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes le discours, le futur dans le récit), ces « intrusions » n’altèrent en rien la cohérence textuelle et sont ressenties comme tout à fait normales par le lecteur natif. Elles imposent « une lecture » plus attentive et augmentent la vivacité de la narration. Les présents et les futurs qui interviennent de manière systématique dans la narration en bulgare ne sont pas un véritable signal de passage du registre récit en discours. Au lieu de chercher à délimiter des plans énonciatifs, il serait donc plus juste d’y voir des réalisations mixtes, très fréquentes dans la littérature moderne. Le découpage classique en discours / récit se voit « dépassé» par la souplesse du fonctionnement des tiroirs qu’exploitent largement et avec aisance les romanciers. Enfin, le concept d’ouverture sur un référentiel des possibles (conditionnée par la présence de futurs, de conditionnels, de subjonctifs présents), qui se projette sur les référentiels énonciatif ou narratif (J.-P. Desclés et Z. Guentchéva), s’est avéré un outil conceptuel particulièrement pertinent pour expliquer les nombreux cas de futurs, insérés dans la trame narrative en bulgare. 5. Préoccupations terminologiques Les travaux sur les systèmes temporels, aspectuels et modaux du français et du bulgare ont impulsé une réflexion systématique sur la pertinence de la terminologie grammaticale les concernant. Cette section résumera les documents 1 et 7 (le doc. 10 sur la notion d’attribut a été mentionné dans le chapitre 1). Pour ces travaux, les discussions sur le métalangage menées au sein du groupe Metagram et aussi au Colloque international sur le Métalangage et la terminologie, organisé en 1998 à Grenoble, ont été particulièrement bénéfiques. L’effort de créer un métalangage adéquat n’est pas une fin en soi. Il part du constat que les étiquettes des temps verbaux sont imparfaites et ce, pour trois raisons essentielles : a) issues d’une tradition grammaticale greco-latine tenace, elles sont le reflet d’une tendance fâcheuse à calquer le temps linguistique sur le temps extra-linguistique. Selon la théorie aristotélicienne des trois époques, les « temps » du verbe sont une reproduction fidèle (un décalque exact, Maingueneau, 1994) de l’axe chronologique : passé, présent, futur. Chacun des paradigmes de la conjugaison serait affecté à une 91 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes époque déterminée du temps (Maillard, 1998 : 157), ce que les faits de langue réfutent catégoriquement. Ainsi, les grammaires scolaires continuent à enseigner que le passé composé est une forme du passé et que « le nom donné à ce temps verbal est justifié car il permet de situer une information, un événement dans le passé, achevé au moment où l’on parle (Bérard & Lavenne, 1989 : 273). Je ne puis m’empêcher de raconter ici une petite anecdote. Moi-même victime de cet enseignement traditionnel de la grammaire, tout juste arrivée en France, j’étais très étonnée d’entendre dans un bus un enfant prononcer l’énoncé suivant : Maman, on est bientôt arrivés ? Je ne comprenais pas pourquoi un temps destiné à situer le procès dans le passé était utilisé pour un événement futur. Cet emploi du PC pour le futur m’échappait complètement, ce qui est significatif des dégâts que peut causer une terminologie inadéquate. De nombreux enseignants étrangers du FLE auraient corrigé cette « erreur » : Maman, serons-nous bientôt arrivés qu’un francophone natif n’utiliserait sans doute jamais. Des énoncés du type On aura bien avancé aujourd’hui ou Dès que j’ai fini, je t’appelle, tout à fait banals pour un francophone natif, sont sources de difficultés pour les apprenants du FLE. Dans la conception métagramienne du temps verbal (Maillard, 1998) les temps se déplacent ou « glissent » comme un curseur, selon une expression favorite de Maillard, sur l’axe chronologique. En l’absence d’indices contextuels, le verbe peut se voir confier, mais seulement par défaut, une valeur temporelle58 L’exclusivité des informations temporelles dans la terminologie verbale occulte les indications aspectuelles et modales dont le verbe est également porteur. Les travaux résumés ici donnent des arguments en faveur du fait que le « temps » grammatical se construit dans le contexte et dans la situation énonciative. Le locuteur peut choisir en pleine connaissance de cause et non pas accessoirement, comme essaient de le faire croire les grammaires, un temps traditionnellement réservé au passé pour parler d’un procès présent ou futur (par ex. C’est dommage que vous partiez si tôt, ce soir il y avait un spectacle qui vous aurait intéressé (Creissels), Je voulais vous demander un service, Si demain à cinq heures je ne suis pas venu, ne m’attendez pas ! Sans cette panne, j’avais fini à coup sûr demain. L’aoriste bulgare peut référer aux trois 58 Cf. les propositions pour une nouvelle nomenclature grammaticale de Métagram (1993). 92 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes époques : Sega razbrax ! Maintenant, je compris/j’ai compris ! Bjagaj, stignax te! Cours, je t’ai rattrapé (pour je te rattraperai !). L’inverse est aussi tout à fait possible : un futur à la place d’un tiroir censé exprimer le passé comme dans Saint Romain va bientôt connaître la « drôle de guerre ». Pendant quatre années, ses rues retentiront de bruit de bottes allemandes (M. Auvrey), b) L’exclusivité des informations temporelles dans la terminologie verbale occulte les indications aspectuelles et modales dont le verbe est également porteur, or, comme l’indique Creissels (1995 :174) « l’aspect est une donnée constante et universelle, susceptible de remplacer le temps comme principe fondamental de structuration de systèmes verbaux ». Dans Il a déjà/maintenant/bientôt terminé, c’est la valeur aspectuelle et non pas la temporalité qui est l’invariant de la forme verbale a terminé, l’ancrage temporel étant fait par l’adverbe. Dans l’énoncé Le mercredi 20 janvier 1987, Terry Waite, émissaire de l’église anglicane diasparut/a disparu/disparaissait au Liban, alors qu’il essayait de prendre contact avec les ravisseurs chiites des deux otages américains (Le Monde, 20 janvier 1988, cité par Maillard), le choix de la forme temporelle ne se fait pas en fonction du temps, car le procès est situé dans les trois cas dans le passé, c’est l’aspect qui change (vision globale, accompli, inaccompli sur le procès). Pour de nombreux linguistes (par exemple, Fleischman, 1983), l’aspect est ontogénétiquement plus ancien que le temps. Leeman (1994) souligne aussi que dans la terminologie verbale, il faudrait privilégier, dans la mesure du possible, ce qui relève de l’aspect : par exemple accompli du présent ou présent accompli à la place du passé composé. Dans la terminologie de Métagram (1993), le terme de parfait, qui existe aussi en allemand (Perfekt) , espagnol (preterito perfecto), portugais (preterito perfeito), italien (perfetto) a été proposé. c) le métalangage concernant les « temps » verbaux est assez hétérogène, car il s’appuie souvent sur des critères de nature différente : sémantique (futur proche), temporel (futur antérieur), morphologique (passé composé), aspectuel (plus-queparfait). Or, le futur dit proche (suite à la vision référentielle du temps) est très mal nommé : il peut être utilisé dans des énoncés, devenus désormais célèbres, mais loin d’être isolés en français, comme Ca va durer dix-sept ans comme ça (Labiche) ou Cela va être commode pendant ces cinquante ans qui nous restent à vivre (Anouilh). Il est 93 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes d’ailleurs très richement étiqueté dans la littérature linguistique selon des critères variés (futur proche ou immédiat, intentionnel, efférent, périphrastique). Un autre exemple de tiroir mal nommé est le futur antérieur, car la valeur d’antériorité résulte de sa valeur aspectuelle d’accompli. Dans la Grammaire de Port Royal, il est appelé futur parfait. A la différente de l’anglais qui distingue time et tense, de l’allemand qui distingue Zeit et Tempus, le français ne dispose que du terme « temps » pour désigner le temps extralinguistique et les paradigmes formels de la conjugaison des verbes (Touratier (1996 :223). Ceci a amené Damourette et Pichon à forger le terme de « tiroirs ». Cette synonymie gênante existe aussi en bulgare qui utilise un seul terme vreme pour le temps grammatical et extralinguistique. En bulgare, la nomenclature des grammaires et des manuels cumule des notions temporelles et aspectuelles (minalo svăršeno vs minalo nesvăršeno vreme (temps passé accompli vs inaccompli). En revanche, les ouvrages linguistiques ont plus souvent recours à des termes de nature aspectuelle (parfait, plus-que-parfait, imparfait). Le terme d’aoriste à la place de passé perfectif59 correspond beaucoup mieux à la nature de cette forme qui, à l’instar de l’aoriste grec, peut indiquer des procès localisés aussi bien dans le passé, le présent ou l’avenir. Ces imperfections appellent à des tentatives d’amélioration qui sont nécessaires d’un point de vue descriptif afin de repenser la conception du temps linguistique, d’un point de vue contrastif, mais aussi pour l’enseignement des langues étrangères afin d’en faciliter l’acquisition. La réflexion métalinguistique sur la langue maternelle aide les apprenants à comprendre et à maîtriser l’organisation du système linguistique de la langue étrangère. Les propositions d’innovation vont dans le sens d’une terminologie « plus aspectuelle » que temporelle. Sans entrer dans le détail de l’argumentation de chaque étiquette proposée (cf. doc 1 et 7), je reproduis ici les deux tableaux contenant des propositions d’étiquettes privilégiant le critère aspectuel en français et en bulgare. Ils montrent qu’une harmonisation terminologique est possible au moins à l’échelle des langues européennes. 59 Je rejoins la critique de Z. Guentchéva (1990 : 89) vis-à-vis du trait ‘moment déterminé du passé’, retenu comme fondamental dans les définitions traditionnelles de ce temps, trait qui selon elle « n’a aucun sens ». 94 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes INDICATIF Formes simples Présent Futur simple il mange il mangera Formes composées Présent Futur antérieur il a mangé il aura mangé Imparfait Plus-que-parfait Conditionnel passé il avait mangé il aurait mangé Conditionnel présent il mangerait il mangeait Passé simple il mangea Passé antérieur il eut mangé Tableau 5. Terminologie traditionnelle des tiroirs de l’indicatif français INDICATIF Présent il mange Futur il mangera Parfait il a mangé Imparfait Futur imparfait il mangeait il mangerait Plus-que-parfait Futur plus-que-parfait il avait mangé il aurait mangé Prétérite il mangea Futur parfait il aura mangé Prétérite parfait il eut mangé Tableau 6. Terminologie des tiroirs de l’indicatif français : propositions d’innovation 95 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes FORMES SIMPLES FORMES COMPOSEES Segašno vreme TEMPS PRESENT Bădešte vreme TEMPS FUTUR Bădešte predvaritelno FUTUR ANTERIEUR PRESENT Minalo neopredeleno PASSE INDEFINI PARFAIT FUTUR FUTUR ANTERIEUR četa (je lis) săm čel (j'ai lu) šte četa (je lirai) šte săm čel (j'aurai lu) Minalo nesvăršeno PASSE IMPERFECTIF IMPARFAIT Minalo predvaritelno PASSE ANTERIEUR PLUS-QUEPARFAIT Bădešte v minaloto Bădešte predvaritelno v minaloto FUTUR DANS LE PASSE FUTUR ANTERIEUR DANS LE PASSE četjax (je lisais) bjax čel (j'avais lu) štjax da četa (je lirais/j'aurais lu) štjax da săm čel (j'aurais lu) Minalo svăršeno PASSE PERFECTIF AORISTE četox (j'ai lu; je lus) Tableau 7. Terminologie traditionnelle des tiroirs de l’indicatif bulgare 96 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes PRESENT PARFAIT FUTUR četa săm čel *je suis lu (j'ai lu) šte četa šte săm čel *je veux (je) lis /lire *je veux (je) suis lu (je lirai) (j'aurai lu) (je lis) FUTUR PARFAIT IMPARFAIT PLUS-QUEPARFAIT FUTUR IMPARFAIT četjax štjax da četa štjax da săm čel *je voulais suis lu/avoir lu *je voulais (je) (j'aurais lu) lis/lire (je lirais; j'aurais lu) (je lisais) bjax čel (*j'étais lu) (j'avais lu) FUTUR PLUS-QUE-PARFAIT AORISTE četox (j'ai lu; je lus) Tableau 8. Terminologie des tiroirs de l’indicatif bulgare : propositions d’innovation Même si on peut déplorer avec D. Leeman (1994) que « les nouvelles propositions restent souvent lettre morte, car les grammaires continuent à se servir de la terminologie traditionnelle », ces efforts ne sont pas vains ou inutiles car ils permettent de repenser les concepts grammaticaux, de donner un meilleur éclairage du fonctionnement des systèmes verbaux des langues, une plus grande cohérence en matière de description grammaticale. 6. La combinatoire syntaxique et lexicale et l’aspectualité A la différence du bulgare où l’aspect est une catégorie grammaticale morphologique, en français, l’absence de marqueurs morphologiques aspectuels sur le prédicat verbal complique le calcul des valeurs aspectuelles et rend la dépendance vis-àvis du contexte plus forte. Le calcul des valeurs aspectuelles est fortement dépendant de différents paramètres de nature syntaxique ou lexicale qui peuvent changer radicalement l’aspect du prédicat verbal comme par exemple : 97 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes a) le sujet au singulier ou au pluriel : Max a traversé la rivière (en une heure) vs Les soldats (la troupe) ont/ a traversé la rivière (pendant des heures)60. En bulgare on aura comme correspondants deux verbes : un verbe perfectif prekosi pour le premier cas : Max prekosi rekata et un verbe imperfectif prekosjava pour le deuxième cas : Voiskata/vojnicite prekosjava(xa) cjal den rekata. b) la nature sémantique du sujet : L’enfant est tombé (en un éclair de seconde) vs La plue est tombée (pendant des heures). En bulgare : Deteto padna (perf) vs Cjal den valja (imperf) dăžd (Toute la journée il a plu); c) les compléments : absence ou présence de compléments (essentiels ou satellites) : Hier, l’enfant a dessiné (Včera deteto risuva (imperf)) vs L’enfant a dessiné un cercle (Deteto narisuva (perf) okrăžnost) ; d) la détermination : Il a bu du vin (Pi (imperf) vino) vs Il a bu une bouteille de vin (Izpi (perf) edna butilka vino) ; e) les SNprép (pendant X heures/en X heures) Jean a repeint sa chambre en deux heures/ pendant deux heures (Toj bojadisa (perf) za dva časa/ bojadisva (imperf) stajata) v prodalzenie na dva časa). L’étude de l’aspect doit donc être élargie du morphème au lexème et au syntagme verbal et surtout au niveau phrastique et textuel. Ceci est particulièrement valable pour le français qui n’a pas grammaticalisé l’aspect dans la morphologie verbale, mais aussi pour le bulgare où l’aspect est une catégorie complexe qui relève à la fois de la morphologie, de la syntaxe et du lexique (Cf. aussi pour le russe GuiraudWeber, 2004 : 9). A date plus récente, les recherches que j’ai menées avec E. Melnikova dans le cadre de son projet de thèse portant sur l’aspectualité des constructions verbo-nominales des sentiments en français et en russe, qui se situent dans la prolongation de mes travaux sur l’aspectualité décrites dans ce chapitre, proposent des développements et des approfondissements concernant la prise en compte de différents paramètres contextuels, susceptibles d’avoir une incidence sur le calcul des valeurs aspectuelles (ponctualité, durativité, phases) de ces structures. Comme il a été déjà montré tout au long de ce 60 Exemples de M. Gross (1980 : 73-76). 98 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes chapitre, l’aspectualité relève aussi bien du lexique, que des relations syntagmatique, de la syntaxe de la phrase et de l’organisation textuelle. Par ailleurs, l’aspect n’est pas uniquement une catégorie verbale, elle affecte aussi la catégorie nominale. L’ensemble verbo-nominal véhicule des informations aspectuelles. Contrairement à l’idée largement répandue selon laquelle l’aspect est une catégorie essentiellement verbale (Cohen 1989), celui-ci peut aussi affecter la classe nominale (Anscombre 2005 ; Flaux &Van de Velde 2000 ; G. Gross 1996 ; Kossakovskaïa 2002 ; Pazelskaïa 2003) et, en particulier, les noms de sentiments (N_sent). Ainsi, « il est de plus en plus reconnu que ce trait [l’aspectualité] n’affecte pas moins les N que les V » (Simone & Pompei 2007 : 50). Les propriétés aspectuelles et référentielles des noms restent à ce jour peu étudiées, quoiqu’elles semblent susciter depuis peu un intérêt croissant (Huyghe et Marin , 2007 : 265). Cette nouvelle série de travaux (doc. 15, 25, 26, 23) est centrée sur ce qui est aujourd’hui appelé, suite à la théorie Sens-Texte d’I. Mel’čuk, la combinatoire syntaxique et lexicale, définie comme un élément essentiel qui relève du « syntactique » du signe, à côté du signifié et du signifiant. La combinatoire syntaxique (ou grammaticale) renvoie à la structure actancielle des mots, alors que la combinatoire lexicale intègre les coocurrences lexicales privilégiées, ainsi que les relations lexicales paradigmatiques. La problématique de la combinatoire sera traitée dans le détail dans le chapitre 4. 7. Conclusion Les principales avancées théoriques et descriptives61 de ces travaux pourraient être résumées comme suit : 1) Ces travaux proposent une approche cohérente multidimensionnelle (transcatégorielle) du futur. On trouve cette démarche globale dans la théorie culiolienne qui considère que les opérations énonciatives permettent de calculer des 61 valeurs référentielles dans des domaines comme Cf. aussi J.-P. Desclès dans la Préface de mon ouvrage Sémantique du futur (2001). 99 ceux de la Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes quantifiation/qualification, de la modalité, de la temporalité-aspectualité, qui loin d’être autonomes sont en étroite interdépendance. La pertinence de l’approche transcatégorielle (TAM) pour l’analyse des futurs, mise en place dans la thèse (1998), développée et approfondie dans les différents travaux qui l’ont suivie, prend en compte les trois paramètres (temps, aspect, mode) pour calculer les valeurs des futurs bulgares et français. Il s’agit d’une approche globale pour analyser les catégories grammaticales. 2) La temporalité, l’aspectualité, la modalité sont des catégories globales qui dépassent le niveau syntagmatique. Les travaux proposent des arguments solides en faveur d’une analyse des interactions complexes entre tous les paramètres syntaxico-sémantiques au niveau phrastique et textuel. L’analyse des valeurs sémantiques et discursives des futurs dans leur environnement syntaxique est caractéristique de l’approche fonctionnelle. 3) L’approche contrastive a permis de mieux cerner les propriétés aspectuelles des futurs et de mettre en place la structuration aspectuelle complexe des futurs dans les deux langues. 4) Ces travaux donnent des arguments en faveur d’une vision de la temporalité linguistique, où le futur conceptualisé et grammaticalisé par les langues, n’est pas considéré comme étant symétrique du passé linguistique. 5) L’analyse textuelle contrastive des futurs français et bulgares est faite avec les mêmes outils conceptuels, issus des modèles énonciatifs (Benveniste, Weinrich, Maingueneau) et du modèle topologique de J.-P. Desclés et de Z. Guentchéva. 6) La réflexion théorique sur la temporalité et l’aspectualité des futurs a donné lieu à des propositions pertinentes concernant la terminologie grammaticale des temps verbaux en français et en bulgare. 100 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 7) L’évolution de ce volet de mes recherches vers l’étude de la combinatoire syntaxique et lexicale permet de mieux appréhender l’aspectualité des constructions verbo-nominales de sentiments en français et en russe (problématique très peu explorée dans les deux langues), ainsi que l’aspectualité, en général. 101 Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes 102 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs CHAPITRE 3 Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 103 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 104 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Introduction Ce chapitre correspond aux travaux que j’ai menés à partir de mon séjour postdoctoral à l’Université de Lausanne (2000-2001) et que je poursuis actuellement, en parallèle avec d’autres problématiques de recherche (notamment autour de la combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des affects qui feront l’objet du chapitre 4). Les travaux sur les constructions causatives ont été présentés à de nombreux Colloques internationaux, publiés dans différents ouvrages et revues (documents (11), (13), (16), (18), (19), (20), (24), (27), (29), (32). Quatre mémoires M1-M2 (Y. Bezinska, E. Yurovskikh, N. Srilerdfa et M. Bak) ont été consacrés à l’étude de différents aspects des prédicats causatifs. Le mémoire de M. Bak correspond à un nouveau volet qui est venu s’ajouter à l’étude de la syntaxe et la sémantique des prédicats causatifs, à savoir le raisonnement causal dans un grand corpus d’écrits scientifiques dans le cadre du projet ANR Scientext. A cela s’ajoute le co-encadrement, avec J.-P. Chevrot, de la thèse de Y. Bezinska sur l’acquisition des constructions causatives par des enfants français et bulgare, âgés de 3 à 6 ans. Afin de mieux rendre compte de cet axe central de mes recherches, je passerai en revue les différents moyens d’expression de la causalité dans les langues (section 1) et je discuterai de l’importance de la prise en compte des phénomènes de changement linguistique et de grammaticalisation dans l’analyse du fonctionnement des mécanismes causatifs en français et en bulgare (section 2). Je montrerai aussi l’intérêt indéniable qu’a, à mes yeux, l’approche fonctionnelle pour l’analyse des structures faire+Vinf et se faire+Vinf (Sections 3 et 4). Je traiterai du statut de (se) faire+Vinf dans le système de la voix grammaticale (section 5). Enfin, je présenterai le nouveau volet des recherches sur les prédicats causatifs correspondant au raisonnement causal dans les textes scientifiques (section 6). Avant d’entre dans le vif du sujet, quelques précisions terminologiques s’imposent. Les termes de causalité, causativitité, causation peuvent prêter à confusion, du fait de l’emploi différent qu’en font les linguistes. Dans mes travaux, je distingue le niveau conceptuel de la causalité qui renvoie à la relation causale qui met en relation deux situations (A cause B) de la causativité qui correspond aux moyens dont disposent les langues pour exprimer cette relation causale (ou la causalité). Cet usage très général 105 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs du terme de causalité rejoint celui qu’en font J.P. Desclés & Z Guentchéva (1998), A. Jackiewicz (1998), G. Gross (2009). Elle correspond aussi grosso modo au terme de causation (kauzacija) utilisé par Nedjalkov et Sil’nickij (1969 : 6), définie comme une relation entre deux micro-situations et qui en plus exprime le processus par lequel la cause produit l’effet. Par exemple dans A provoque B, le terme de causation met l’accent sur l’élément prédicatif provoque qui unit A et B. L’usage du terme de causativité dans mes travaux qui correspond aux différents mécanismes causatifs dans les langues (morphologiques, lexicaux, factitifs, constructions périphrastiques, restructurations phrastiques (métataxe)) ne recouvre qu’en partie l’usage qu’en font J.P. Desclés & Z Guentchéva (1998). Dans leur article Causalité, Causativité, Transitivité (1998), la causativité renvoie aussi bien à des marqueurs causatifs spécifiques (comme par exemple, le morphème de cause dür en turc öl-dür-dü (Mehmet Hasan öl-dür-ü. Mehmet a tué Hasan vs Hasan öl-dü Hassan est mort) qu’à des notions comme la transitivité et la factitivité (idem : 25). Du moment où les termes sont bien définis, l’usage différent qu’en font les linguistes devient beaucoup moins gênant. 1. Typologie des mécanismes causatifs En 2000, au tout début de mes recherches post-doctorales consacrées au factitif faire+Vinf , menées dans le cadre de la syntaxe structurale de Tesnière, mon principal objectif était de mieux appréhender le fonctionnement de cette structure, inexistante en bulgare. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le classement des mécanismes causatifs du typologue australien R.M. W. Dixon (2000) dans son article A typology of causatives : form, syntax and meaning qui venait de paraître. Cet article a servi par la suite de fondement à mes recherches. Mon projet initial s’est alors considérablement élargi, d’abord en me servant de l’échelle de compacité de Dixon pour comparer les structures causatives du français et du bulgare et en élargissant progressivement, sur des points précis, la comparaison avec d’autres langues, notamment le russe, l’anglais ou l’allemand. Dixon (2000) range les mécanismes causatifs à travers les langues selon des critères morphosyntaxiques, à savoir du plus compact au moins compact62 : 62 Dixon (2000) se base sur le continuum des causatifs établi par Comrie (1981) : analytic [periphrastic] morphological – lexical. 106 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Scale of compactness (R.M.W. Dixon, 2000) Type of mechanism : Scale of compactness (R.M.W. Dixon, 2000) More compact Less compact L Lexical (e.g. walk, melt, explode, trip, dissolve) M Morphological – internal or tone change, reduplication, affixation like lie / lay CP Two verbs in one predicate (Complex Predicate), faire in French P Periphrastic constructions with two verbs (a causative verb and a lexical verb) in separate clauses like make cry Cette échelle permet de classer et de comparer les mécanismes causatifs aussi bien dans le cadre d’une étude unilingue que multilingue. Le classement graduel des mécanismes causatifs qu’elle propose constitue une charpente solide, mais non figée dont je me suis servie pour répertorier les données que j’ai recueilles dans Frantext, dans des œuvres françaises traduites en bulgare et inversement (plus de 1500 occurrences de faire+Vinf). Je suis partie de l’analyse du prédicat complexe faire+Vinf français (3ème palier de l’échelle de Dixon) afin de classer les mécanismes bulgares, correspondant à cette structure. Le choix du factitif français comme point de départ de cette recherche s’explique par le fait, que comme je l’ai déjà dit supra, cette construction complexe n’existe pas en bulgare et pose des problèmes aux apprenants bulgarophones du FLE. Elle me posait certains problèmes à moi aussi. Je voulais donc mieux comprendre les particularités de faire+Vinf en français et surtout comment une langue (en l’occurrence le bulgare) pouvait-elle fonctionner sans une telle construction. J’ai appliqué la typologie de Dixon avec souplesse, en l’adaptant à mes objectifs et résultats et en affinant, à l’intérieur des paliers, les sous-ensembles de mécanismes causatifs recensés. Après avoir confronté les données du bulgare, mais aussi des exemples du russe et de l’allemand avec ceux du français, il s’est avéré pertinent d’ajouter un palier supplémentaire à cette échelle, à savoir la structure phrastique transformée (doc. 11 et 24). Voici la version remaniée de l’échelle de Dixon : 107 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 1. Lexical: (bulgare, russe, anglais) vzrivjavam (faire exploser) / vzrivjavam se (exploser) les causatifs « de service » (bulgare, russe) podstrigvam se→litt. se couper les cheveux→ se faire couper les cheveux les intransitifs transitivés (bulgare, russe, anglais, français) faliram bankata → « failliter » la banque ; démissionner le ministre FAIRE + INF (Prédicat complexe) 2. Morphologique (bulgare, allemand, anglais, turc, etc) plača (pleurer) → razplakvam (faire pleurer) ; springen (sauter) / sprengen (faire sauter); pija (boire)/ poja (faire boire) 3. Périphrastique (bulgare, russe, roumain, anglais, allemand) Karam + da (conj. de subord.)+V au présent Inciter qn à ce qu’il fasse qch 4. Une structure phrastique transformée (bulgare, russe, allemand) Ce mot fit soupirer M. de Rênal → A ces mots, M. de Renal soupira Dans la construction factitive faire+Vinf, l’ajout de faire augmente d’un nouvel actant63 la valence du verbe à l’infinitif (X pleure vs Y fait pleurer X ; X tond la pelouse vs Y faire tondre la pelouse à X). Du point de vue syntaxique, suite à l’ajout du nouvel actant, le sujet se trouve destituer et prend la première place libre après le verbe à l’infinitif selon la case hierarchy de Comrie (section 1.3.3.). Du point de vue 63 Il existe une certaine confusion dans la littérature en ce qui concerne l’emploi des termes d’actant et d’argument. Certains auteurs, sous l’influence de l’anglais, utilisent ce dernier comme synonyme d’actant. Lazard (2007a : 129) critique cet emploi chez Creissels (2006) : « Pourquoi parler « d’arguments » de la proposition plutôt que d’actants, cette heureuse création de Tesnière ? » D’autres auteurs (Muller, 2002 : 25) font une différence entre l’actant en tant que fonction syntaxique et l’argument en tant que rôle (fonction) sémantique. La notion d’argument comme synonyme d’actant est à éviter, car elle renvoie à la notion logique de prédicat et de ses arguments. Lazard (idem) propose la distinction actant (plan morphosyntaxique) / participant (plan sémantique). Dans mes travaux, j’utilise systématiquement la notion d’actant. Il est clair que les fonctions syntaxiques des actants : sujet, cod, coi sont à distinguer des rôles sémantiques des actants comme agent, patient, bénéficiaire, etc. 108 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs sémantique, la construction factitive véhicule un enchâssement sous faire d’une relation sémantique, où le nouvel actant assume le rôle d’agent principal ou causateur (en anglais causer), tandis que l’actant destitué est analysé comme deuxième agent, patient, victime, bénéficiaire. Ces différents rôles sémantiques peuvent être tous regroupés sous le terme de causataire (causee). On obtient le binôme causateur/causataire (doc. 11). L’ajout de faire est analysé comme un procédé « analytique » de marquage de la nouvelle valence (Tesnière, 1965 : 266-267) qui correspond au 3e degré de compacité de l’échelle de Dixon. D’autres langues marquent la nouvelle valence de manière « synthétique » en faisant appel à une opposition préexistante entre un verbe non causatif et un verbe causatif (Tesnière, idem), à des mécanismes morphologiques (comme en turc ou en bulgare), à des constructions périphrastiques moins grammaticalisées (en anglais, bulgare, russe etc). Je détaillerai dans ce qui suit les mécanismes causatifs correspondant aux cinq paliers de l’échelle de Dixon adaptée. 1.1. Les causatifs lexicaux L’observation des données montre que les langues comparées disposent de deux principaux sous-types de mécanismes causatifs lexicaux qui correspondent au 1er palier lexical, à savoir : (a) l’alternance décausative : l’opposition entre un verbe transitif de sens causatif et un verbe réfléchi non causatif comme en bulgare: strjaskam (faire sursauter) → strjaskam se (sursauter), xranja (faire manger) → xranja se (manger, se nourrir), vzrivjavam (faire exploser) → vzrivjavam se (litt. s’exploser). Par exemple : Vojnicite vzrivjavat bombata (litt. Les soldats explosent la bombe) vs Bombata se vzrivjava (litt. La bombe s’explose). (b) la transitivation causative : l’emploi transitif (causatif) d’un verbe intransitif, phénomène syntaxique, observable dans plusieurs langues comme par exemple en anglais avec des verbes comme explode, walk, trip, dissolve, march (An owner runs his horse to win the race. Ils bougent la banlieue, Le président a démissionné le ministre). Je reviendrai sur les phénomènes d’alternance décausative et de transitivation causative dans la section 2 de ce chapitre. 109 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 1.2. Les causatifs morphologiques Le français ignore ce mécanisme. En revanche, en bulgare, il existe plus d’une cinquantaine de verbes64 (Doc 31) préfixé de raz- qui véhiculent un sens causatif. Le préfixe raz- fonctionne donc comme un préfixe causatif en bulgare (cf. aussi Slabakova, 1997), car il permet d’ajouter un agent (causateur, causer) à l’instar de morphèmes causatifs dans d’autres langues (par ex. dür en turc), ce qui correspond au 2ème palier de l’échelle de Dixon. La valeur causative de raz- dans razplakvam, razsmivam, razkărvavjavam65 semble dérivée d'une des valeurs du préfixe, à savoir l'idée d'une action menée jusqu'à son terme pour obtenir le résultat contenu dans le verbe simple: amener à pleurer, à rire66. L’analyse des causatifs morphologiques du bulgare, qui se situent au 2e palier de l’échelle de Dixon, peut amener à remettre en question ou à affiner le principe typologique, à savoir la corrélation entre langues analytiques et moyens causatifs analytiques et, respectivement, entre langues synthétiques et moyens synthétiques (recours à des affixes) pour l’expression de la cause (Shibatani, 1976 : 2-3, Gawelko, 2006 : 130). Le polonais (langue slave synthétique à déclinaisons), par exemple, disposerait, selon Gawelko (2006), d’environ 500 verbes causatifs, tandis que la construction analytique du type Je fais le chien aboyer est très peu fréquente. Le polonais confirme donc cette corrélation. En revanche, le bulgare, devenu progressivement langue analytique67, dispose lui aussi de verbes lexicaux (dans une alternance décausative) et morphologiques assez fréquemment utilisés pour exprimer des situations causatives. Ces deux procédés, figurant parmi les plus compacts sur 64 Ces verbes ont été répertoriés dans le Dictionnaire bulgare-français (1973). 65 Nedjalkov & Sil’nitsky (1973) indiquent que « causative affixes are more productive in combination with intransitive verbs than with transitive verbs », ce qui se confirme en bulgare (cf razplakvam (faire pleurer), razsmivam (faire rire), razkărvavjavam (faire saigner)). 66 Vaillant (1966 : 470, 478) mentionne deux sens pour le préfixe raz- : le sens primitif de séparer (razdeljam = séparer, diviser) et le sens de distribuer, éparpiller qui pourrait en découler : razdavam (distribuer), en russe razbrosjat’ (éparpiller), mais ne mentionne pas le sens de raz- causatif. Slabakova (1997 : 683) analyse le sémantisme causatif de raz- de la façon suivante « the agent engages in the eventuality intensely or is involved a great deal ». 67 La perte des déclinaisons en bulgare s’est produite progressivement entre le XIIe et le XIVe s. (IvanovaMirčeva & Haralampiev, 1999 : 49). 110 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs l’échelle de Dixon, sont assez productifs en bulgare, malgré le caractère analytique de cette langue. 1.3. Le prédicat complexe faire+Vinf Dans le cadre de l’analyse transformationnelle (Kayne, 1977), la construction faire + V inf est analysée comme l’enchâssement sous faire d’une structure infinitive déjà engendrée, correspondant à un noyau à une place comme en (1) et en (2): (1) Le poulet cuit. (2) Adèle fait [le poulet cuire] En schéma : P matrice [P infinitive enchâssée]. On déduit ensuite la construction en (3) et (4), par une règle transformationnelle de montée du prédicat (predicate lifting ; faire-attraction68 (Kayne, 1977): (3) Adèle fait le poulet cuire (4) Adèle fait cuire le poulet. Selon cette analyse, faire + Vinf n’est pas un prédicat complexe, ses deux éléments (faire + Vinf) ne sont pas réunis sous le même nœud verbal. Cette analyse est loin de faire unanimité parmi les linguistes. Pour Ruwet (1972 : 134-135) cette analyse est inadéquate. Une solution lexicale en terme de « redondance lexicale » lui est préférable. Egli & Roulet (1971 : 6) vont dans le même sens en indiquant que « ce n’est pas l’enchâssement de la structure intransitive déjà engendrée qui pose le plus de problème, c’est le fait que ce procédé ne permet pas d’exprimer les restrictions de sélection qui régissent les relations entre le sujet causatif et les phrases qui peuvent en être le prédicat ». Il est nécessaire donc selon eux d’ajouter des règles lexicales. Enfin Lyons (1970 : 293) évacue le problème avec élégance en disant que « [c]ette solution qui consiste à enchâsser le noyau à une place comme prédicat du noyau à deux places pose des problèmes techniques assez délicats, mais vraisemblablement surmontables que nous n’étudierons pas ici ». 68 Dans les analyses transformationnelles de faire+Vinf, on parle de biclausal configuration ; le causataire est analysé comme « sujet sous-jacent » du verbe à l’infinitif, ce qui est rejeté dans les analyses structurales du tour factitif en français. 111 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs En revanche, selon l’analyse structurale, suite aux travaux de Tesnière, faire augmente d’un nouvel actant la valence du verbe à l’infinitif. Le schéma Vmonov+ 1 actant suffit donc pour rendre compte des particularités de ces constructions sans avoir recours à des règles transformationnelles compliquées69.. Il existe actuellement un consensus parmi les linguistes70 qui considèrent que faire est devenu un vrai mot-outil, porteur des marques de personne, nombre, temps. Ainsi, faire + V inf, mais aussi les constructions analogues dans les autres langues romanes, excepté le roumain, ne peuvent s’analyser comme un V principal + complétive infinitive, mais comme constituant un noyau prédicatif unique dont la valence « résulte d’une réorganisation déclenchée par l’intégration d’un sujet-causateur à la valence du verbe à l’infinitif » (Creissels, 2000 / 2001 : 70). Les deux arguments les plus souvent évoqués sont l’impossibilité d’insérer un SN entre faire +Vinf (*Il fait les enfants manger différent de Il laisse les enfants manger et la montée des clitiques (Je le lui ai fait envoyer, vs *J’ai fait la lui envoyer) 71. Faire+Vinf fonctionne actuellement comme prédicat complexe en français (le 3e palier de Dixon). Le français, l’italien, l’espagnol sont appelés strongly causativeoriented languages (Simone & Cerbasi, 2001), à cause de la fréquence élevée de la construction spécialisée du type faire faire qch à qn parmi les mécanismes causatifs. 1.4. Les périphrases causatives Elles sont composées de deux verbes (un verbe de sens causatif et un verbe de sens non causatif John make Mary cry), qui ne forment pas de prédicat complexe. L’anglais dispose d’un large éventail de constructions, analysables en verbes causatifs + complétive infinitive : I forced him to go, I made him go , I have him go , I allowed her to go, He let her go. On retrouve ce type de constructions en roumain, en bulgare et en russe qui peuvent être considérées comme étant des poor causative-oriented languages 69 Cette démarche théorique rappelle celle de la Construction grammar (Fillmore, Goldberg, Lakoff, Kay) qui n’opère pas de dérivation de surface à partir de structures profondes. Elle est entièrement surfaciste. Ainsi par exemple, les versions passive et active d’une même proposition ne sont pas dérivées de la structure profonde, elles ne sont pas « synonymes », mais représentent des instanciations de deux constructions différentes qui ont un sens et un contenu pragmatique différents. 70 M. Gross (1968 : 41), Gaatone (1976 : 164-182), Creissels (1995), Abéillé & Godard (2003). 71 Pour plus de détails sur les arguments linguistiques en faveur de l’analyse de faire+Vinf en tant que prédicat complexe, cf. doc. 11, 24, 31) et aussi Gaatone (1976), Creissels (2006). 112 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs (Simone & Cerbasi, 2001), car parallèlement à la valeur causative, le premier verbe de la construction (V1) véhicule différentes valeurs modales (contraindre, inciter, persuader qn à faire qch). Par exemple en bulgare, les constructions causatives karam Ivan da raboti litt. j’incite Ivan à ce qu’il travaille (je fais travailler Ivan) comportent une complétive au subjonctif et ne donnent pas lieu à des prédicats complexes comme dans les autres langues romanes (excepté le roumain : Profesoruli făcut pe elevi să scrie un test litt. Le professeur a fait aux élèves à ce qu’ils écrivent un test). Le russe possède également des périphrases moins grammaticalisées du type verbe causatifs + Vinf, comme zastavit’ (obliger)+ SN-acc + Vinf pit’ (boire) = faire boire. Chacun des deux verbes réunis dans la périphrase peut être suivi de ses propres compléments, preuve du moindre degré de grammaticalisation de ce type de constructions causatives et de leur statut de mécanisme causatif le moins compact (4e palier de l’échelle de Dixon). 1.5. La structure phrastique transformée Ce palier est venu s’ajouter aux quatre paliers de l’échelle de Dixon (2000). Il correspond aux transformations structurelles complexes qui s’opèrent dans la phrase bulgare pour rendre le factitif français. Les actants centraux du verbe français deviennent des compléments circonstanciels (non obligatoires) de cause en bulgare : Ce mot fit soupirer M. de Rênal. (Stendhal) Pri tezi dumi, M. de Rênal văzdăxna. A ces mots, M. de Renal soupira. Son instinct de femme lui faisait comprendre que cet embarras n’était nullement tendre (Stendhal, 40) Săs svoja ženski instinkt razbiraše, če tova smuštenie ne proiztiča ni naj-malko ot nežni čuvstva. Grâce à (litt. avec) son instinct de femme, elle comprenait que cet embarras n’était nullement tendre. C’est ce que Tesnière appelle la métataxe. Des exemples analogues existent aussi en russe et en allemand72 : 72 Exemples empruntés à Tesnière (1965). 113 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Čerez nix ona zabyla svoju čjornuju bedu. (Dostoïevski, l’Idiot) A cause d’eux, elle oublia sa misère noire. Ils lui firent oublier sa misère noire. Dadurch kann ich Zeit gewinnen. Grâce à cela, je gagne du temps. Cela me fait gagner du temps. On obtient des structures phrastiques sensiblement restructurées et moins compactes, d’où le niveau ajouté dans l’échelle de Dixon. 1.6. Conclusion Si le français privilégie la construction avec faire, formant un prédicat complexe (PC), le bulgare, comme le russe font appel aux trois autres mécanismes : le mécanisme lexical (L) (vzrivjavam bombata « exploser la bombe » pour « faire exploser la bombe) ; le mécanisme morphologique (M), (affixation : razplakvam → faire pleurer), ainsi que des périphrases (P) du type karam njakogo + da + verbe au présent = inciter qu à faire qch, faire en sorte qu’il fasse qch), composées de deux verbes distincts ne formant pas de prédicat complexe. Enfin, des changements structuraux complexes peuvent s’opérer dans la phrase en bulgare (métataxe), afin de rendre le sens du prédicat complexe français faire+Vinf. Les principaux apports de ce volet de mes recherches consistent en : a) la mise en évidence d’un sous-ensemble de causatifs lexicaux concernant les langues slaves affinant le palier lexical de Dixon (l’alternance décausative, cf. section 2.1.); b) la mise en évidence de la productivité du préfixe causatif –raz en bulgare; c) l’ajout d’un nouveau palier correspondant à des structures phrastiques moins compactes en bulgare, comme équivalent de faire+Vinf en français. 114 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 2. Le changement linguistique et la grammaticalisation L’objectif de cette section est de montrer l’importance de la prise en compte du changement linguistique et de la grammaticalisation pour l’éclairage du fonctionnement des mécanismes causatifs en synchronie. De nombreux phénomènes complexes, à savoir l’alternance décausative, la transitivation causative, le fonctionnement de faire+Vinf comme prédicat complexe et celui des structures causatives moins grammaticalisées en bulgare, peuvent être expliqués grâce à la diachronie, au changement linguistique et la grammaticalisation. Cette dernière est aussi un paramètre important dans l’acquisition du prédicat complexe faire+Vinf. C’est donc sous cet angle-là que je résumerai ici une série de travaux faisant partie de cet axe de mes recherches (doc. 13, 16, 18, 27, 31). 2.1. L’alternance décausative (AD) Dans le cas de l’AD, le verbe transitif (détériorer vs se détériorer) est considéré comme primaire, tandis que le réfléchi en est le dérivé. Le morphème se est analysé comme opérateur de fermeture de la valence73 (la diathèse récessive chez Tesnière, 1965 : 272) ou morphème décausatif. Dans la littérature typologique, le phénomène est connu sous le terme d’alternance décausative (Nedjalkov & Sil’nitskij, 1969 ; Haspelmath, 199374 ; Shibatani, 2002), assez répandue dans les langues slaves ; par ex. en bulgare vzrivjavam (litt. exploser, faire exploser) vs vzrivjavam se (litt. s’exploser). Ces verbes, assez nombreux en bulgare, appartiennent à des classes sémantiques différentes75 : des verbes de déplacement : razxoždam (promener qn) vs razxoždam se (se promener) vs, kačvam (faire monter) vs kačvam se (monter) ; de mouvement : spiram (arrêter) vs spiram se (arrêter), izpravjam (faire se lever)vs izpravjam se (se 73 Le réfléchi –se, -sja est analysé comme «opérateur de fermeture de la valence» (Tesnière), «réducteur de la valence verbale» (Lazard), morphème décausatif (Nedjalkov & Sil’nitskij, 1969 ). Le terme d’alternance décausative (dekauzativacija) a été forgé par Nedjalkov et Sil’nitskiy (1969 : 40). Selon Babby (1993 : 356) “sja- is no more anticausative morpheme than it is a reflexive, passive or middle morpheme : it simply records a reduction in the verbs initial valence». 74 Haspelmath (1993) appelle cette alternance inchoative/causative. Par ailleurs, le terme de décausatif (Nedjalkov & Sil’nitsky) semble préférable, car celui d’inchoatif a une acception aspectuelle qui pourrait ici induire en erreur. 75 Pour une analyse détaillée des constructions réflexives en bulgare, cf. Guentchéva (1997). 115 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs dresser, se lever) 76, des verbes de changement d’état topja (rasplavit’ en russe) (fondre) vs topja se (rasplavitsja en russe) faire fondre77, des verbes de sentiments /émotions : strjaskam (faire sursauter) vs strjaskam se (sursauter), jadosvam (mettre en colère) vs jadosvam se (être en colère), skarvam (faire se fâcher) vs skarvam se (se fâcher). Par exemple Toj skara dvama stari prijateli (en russe posoril) Il a fait se fâcher deux amis de longue date vs Toj se skara s dvama stari prijateli (en russe posorilsja). Il s’est fâché avec deux amis de longue date. Ces se-verbes véhiculent des valeurs moyennes ou médio-passives78. La principale interrogation que je me suis posée vis-à-vis de cette dérivation a été la suivante : pourquoi le verbe réfléchi est-il considéré comme dérivé du verbe transitif ? C’est la diachronie qui s’est révélée particulièrement éclairante pour le sens de cette dérivation. En vieux slave, la grammaticalisation du réfléchi s’est opérée relativement tardivement (Nichols, 1993 : 71-84). On pourrait situer cette grammaticalisation à partir du VIe s. En latin, la voix pronominale apparaît tardivement aussi, vers le VIIe s.79. On observe donc un parallélisme fort intéressant entre le processus de dérivation du réfléchi à partir de verbes transitifs dans les langues slaves et romanes. Les comparaisons contrastives ou interlangues permettent, comme je l’ai déjà évoqué dans le chapitre 1, d’affiner ou de nuancer certains principes typologiques, comme par exemple le principe de l’iconicité (Givón, 1991 : 106) selon lequel plus l’unité linguistique est sémantiquement complexe, plus sa forme est complexe80. Ainsi, dans l’alternance décausative (cf. les binômes russes lomat’(casser) → lomat’sja (se casser), ou bulgares kačvam (monter = faire monter) → kačvam se (*se monter)), c’est le 76 Une anecdote au sujet de se lever vs lever qch vs faire se lever. Lors de mon post-doc en Suisse en 2001, je participais à une fête de Noël chez des gens, réunis autour d’une table assez longue. Etant assise au milieu, mon voisin à gauche qui voulait partir, me demande poliment : Madame, je devrais vous lever. Veuillez m’en excuser ! 77 En français, la dérivation s’opère dans le sens inverse de non causatif intransitif fondre vers le causatif transitif faire fondre. 78 Cf. aussi Babby (1993 : 355), Guencthéva (1997 : 364-372). 79 On observe «une tendance à insérer, surtout pour les verbes intransitifs, une référence au sujet, sous la forme de pronom réfléchi au sein du prédicat verbal. La voix en -tur disparaît progressivement vers le VIIe-VIIIe s. et c’est le tour pronominal qui en assume alors une partie de ses emplois. (Serbat, 1986 : 133-134). C’est surtout en latin tardif (vers le VIIe s.) que «le phénomène s’accentue et l’on voit apparaître des variantes pronominales de verbes intransitifs» (Mellet, Joffre, Serbat, 1994 : 441). 80 “Categories that are cognitively marked […] tend also to be structurally marked” (Givón, 1991a: 106 ; 1991 b: 362). 116 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs verbe non-causatif (lomat’sja, kačvam se) qui correspond à la forme réfléchie dérivée du verbe transitif qui est morphologiquement plus complexe (à cause du morphème réfléchi se), tandis que la situation qu’il décrit est plus simple : elle comporte un argument en moins (X casse Y, Y se casse). Comme l’indique à juste titre Kazenin (2001 : 917) « […] reflexives [are] morphologically more complex than their non-reflexive counterparts ». Mel’čuk (2002 : 107) traite ce cas de « relations sémantiques et formelles inverses » (reverse word-formation), selon lesquelles le verbe qui est sémantiquement plus complexe (le causatif décomposer) est formellement plus simple que le réfléchi (se décomposer). L’alternance décausative est une spécificité des langues slaves, un « valence decreasing device ». 2.1.1. Les causatifs « de service » Il existe aussi en bulgare une sous-classe de verbes réfléchis qui peuvent être ambigus : ils peuvent véhiculer ou pas un sens causatif. Certains linguistes appellent ces verbes des causatifs « de services » ou « à bénéficiaires » (benefactive causative)81 (Babby (1993 : 343). L’agent provoque le procès et en est le bénéficiaire: podstrigvam se → se couper les cheveux (soi-même) // se faire couper les cheveux (par le coiffeur), vadija si zăb (litt. s’arracher une dent) →se faire arracher une dent (par le dentiste), prekarvam si telefon→ → se faire installer le téléphone; en espagnol : Me opéro mañana (litt. Je m’opère demain). Il est clair que l’énonciateur ne peut s’arracher une dent, ni s’installer le téléphone ou s’opérer soi-même. Il s’agit de procès effectués le plus souvent par un agent (causee, causataire) non instancié au profit de l’agent causateur, ce qui rend peu probable une lecture réellement réfléchie (soi-même, pour soi-même), qui dans certains cas n’est pas pour autant exclue82. Ces cas assez répandus en bulgare, qui existent aussi en russe ou en espagnol, ne gênent pas pour autant la communication. Dans des cas, l’agent peut apparaître sous forme de complément circonstanciel (chez le 81 Comme me l’avait fait judicieusement remarqué P. Sériot, dans un énoncé comme En Sibérie, les bagnards se font couper les cheveux, ces derniers n’en sont pas vraiment des bénéficiaires, mais plutôt des victimes. Dans le cas d’une intervention médicale Il s’opère demain, il s’agit plutôt de patients. Ceci montre l’extrême prudence qui s’impose lorsqu’on choisit de étiquettes de nature sémantique. 82 Cf. aussi à ce sujet Guentchéva (1997 : 367) qui distingue pour ces cas une lecture réfléchie et une interprétation « réflexive causative » Dans ce deuxième cas, l’agent a le contrôle intentionnel sur le procès et c’est un autre agent qui est chargé de l’effectuer. 117 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs dentiste, chez ma coiffeuse préférée, à la clinique, par les techniciens) mais c’est loin d’être obligatoire. La description et l’analyse de ces cas (2.1. et 2.1.1.) au premier palier lexical de l’échelle de Dixon constitue une affinement de sa typologie, car il ne les mentionne pas. Ceci pourrait être considéré comme un des apports de cette série de travaux. 2.2. La transitivation causative (TC) Il s’agit de la possibilité qu’ont certains verbes intransitifs (comme par exemple en anglais melt, explode, walk, trip, dissolve, march) d’être utilisés avec un complément d’objet et de véhiculer, de ce fait, un sens causatif. Dans cette alternance, appelée transitivation causative (TC), c’est le verbe intransitif qui est considéré comme primaire, tandis que le verbe transitif correspondant a un sens causatif. Contrairement à au cas traité dans la section précédente (2.1.), il s’agit d’un procédé d’augmentation de la valence verbale. La transitivation causative (Le président a démissionné le ministre. Ces reportages ont explosé l’audimat) est un phénomène purement syntaxique qui n’a pas besoin d’un morphème spécifique (faire) pour dégager une valeur factitive (Touratier, 2001). Dans le cas de la TC, analysée comme un changement de diathèse sans marque morphologique (Lyons, 1970 : 276), l’augmentation d’un actant de la valence du verbe intransitif produit un verbe de sens causatif (La banlieue par ceux qui la bougent (Nouvel Obs), Ces jeunes qui délirent la banlieue (idem), Ils refusent de paniquer les voyageurs (Journal TV). Ces cas sont très répandus en anglais. Comme l’indique Halliday (1985 : 146), le processus fort de transitivation est un des changements les plus remarquables du système verbal anglais qui a commencé il y a 500 ans. L’ergativisation massive en anglais (ex. X starves originellement intransitif devient causatif Y starves X83) a eu lieu au cours du XVe-XVIe s. et continue encore partiellement. Le système transitif anglais est fort instable et la langue doit s’adapter constamment à ce changement rapide. L’anglais fait donc preuve d’une grande souplesse dans ce domaine, ce qui peut être en rapport avec l’inexistence, dans cette langue, de verbes moyens ou pronominaux (Lazard, 1994 : 155). 83 Cf. à ce sujet Lemmens (2005 : 134). 118 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Ce procédé, bien que plus rare, existe aussi en français, en bulgare (Samoubixa go, On l’a suicidé) et en russe (Eltsina ušli na pensiju (presse) litt. *On a parti Eltsine à la retraite, On a fait partir Eltsine à la retraite)). Il est en progression en français mais reste relativement peu étudié84. Certains verbes comme entrer ou sortir transitifs sont entrés dans l’usage dès le XVIe s. Il existe sur ce point un parallélisme intéressant avec l’anglais en diachronie. Vaugelas (1647 : 38-39) en condamne fermement l’usage. Selon lui sortir le cheval pour faire sortir le cheval est très mal dit ! D’autres verbes comme descendre, lever, monter, pencher, tomber les ont rejoints. En revanche, l’emploi transitif de verbes comme suicider, démissionner, exploser (J’explose les têtes. J’extermine grave, Isard cité par Larjavaara, 2002) est beaucoup plus récent. L’instabilité de la valence verbale engendre des emplois « hors norme » qui intègrent progressivement l’usage (doc 13), chaque verbe évoluant à son propre rythme. Il est difficile d’établir le nombre exact de verbes labiles en français. Actuellement ils représenteraient entre 10% et 15% de la totalité des verbes français85. C’est un phénomène qui relève du changement linguistique86. Toujours est-il que le changement linguistique n’est pas le seul paramètre permettant d’expliquer le fonctionnement de cette alternance complexe. La question qui se pose légitimement ici est de savoir pourquoi certains verbes se prêtent facilement à la transitivation causative, tandis que d’autres ne le permettent pas (*Le clown rit le public). C’est l’Hypothèse inaccusative (Levin & Rappaport, 1995) qui permet d’apporter des éléments de réponse à cette question. (cf. section 3.1.2.3.) 84 Gougenheim (1929), Blikenberg (1960), Ruwet (1972)) et, à date plus récente, Larjavaara (2000) ou Krötsch & Oesterreicher (2002). 85 Selon des données avancées par Larjavaara (2000 : 166). Sur les 121 exemples que j’ai recueillis dans le TLFI selon l’instruction emploi transitif de verbes intransitifs, 15% environ ont des emplois transitifs causatifs. Selon les grammaires, le nombre des verbes neutres varie entre 200 et 400 en français (cf. aussi Muller, 2002 : 42). 86 La transgression du schéma actanciel du verbe monovalent qui entraîne une modification du sens du verbe a été expliquée de différentes manières : influence de l’anglais ou variations dialectales (Tesnière), évolution historique (Vaugelas, Gougenheim), visées pragmatico-énonciatives (Ruwet, Babby). Touratier (2001 : 131) parle de « violence syntaxique ». 119 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 2.3. La grammaticalisation de faire+Vinf La grammaticalisation est au centre des préoccupations des études typologiques. Le terme de grammaticalisation a été défini pour la première fois par Meillet (1912/1982 : 131) comme « le passage de la composante lexicale à la composante grammaticale. ». Kurylowicz (1965 [1975]: 52) élargit cette notion en parlant d’« un processus, qui soit change des lexèmes pleins en mots grammaticaux, soit rend des éléments grammaticaux encore plus grammaticaux. ». Traugott (1988) et Traugott & König (1991) ajoutent la composante pragmatique à la grammaticalisation qu’ils entendent comme le passage de la composante grammaticale à la composante pragmatique ou discursive du langage. Dans la littérature, on retrouve également le terme de grammaire émergente (emergent grammar) désignant « un mouvement vers une structure » (movement toward a pattern) (Hopper, 1987 : 148) et rendant compte du caractère dynamique de la grammaticalisation. Combette et al. (2003 :237) constatent qu’empiriquement le changement linguistique se fait en trois étapes : une première phase A, antérieure au changement, une phase de variation B, où forme ancienne et forme nouvelle coexistent, et une phase postérieure C, où la nouvelle forme exclut l’ancienne. C’est exactement ce qui se passe dans la grammaticalisation de faire+Vinf (cf. docs 27, 31). On y distingue trois étapes (Chamberlain, 1986 ; Simone & Cerbasi, 2001): Etape 1 : l’emploi généralisé en latin (IIIes. av J.-C. – Iers. après J.-C.) des constructions à deux prédicats : V1 (de commande, de persuasion) + complémenteur ut + V2 subjonctif (inducere aliquem ut mentiatur). Etape 2 : les formes ancienne (deux prédicats) et nouvelle (prédicat complexe) coexistent (XIe - XVe siècles) en ancien et en moyen français. Ex. Hostages, faites les ben guarder vs De nos ostages ferat trencher les testes (Chanson de Roland). Etape 3: la nouvelle forme exclut l’ancienne à la fin du XVe s. (et que ainsi l’avoit faict publier partout par ung chevalier de Bourgongne (Commynes, Mémoires I). L’évolution de faire + Vinf illustre deux paramètres révélateurs de la grammaticalisation : la désémantisation et la décatégorisation syntaxique de faire (Lamiroy, 1999 : 35 – 37). Le premier processus concerne l’entrée lexicale qui « se vide progressivement de son sens plein pour acquérir en revanche un sens fonctionnel, 120 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs grammatical » (idem : 35). La décatégorisation syntaxique consiste dans le fait que « le verbe tend de moins en moins à sélectionner les syntagmes nominaux pour s’associer de plus en plus à des types de verbes non finis ou non tensés, tel l’infinitif. » (idem). Ceci a pour conséquence la montée des clitiques qui aboutit à une réanalyse des deux verbes comme un seul syntagme verbal. La grammaticalisation de la construction factitive faire+Vinf en français est un processus unidirectionnel allant des structures analytiques (à deux prédicats en latin) aux formes plus synthétiques (prédicat complexe en français contemporain). La construction factitive fait preuve d’une grande cohésion non seulement sur le plan syntaxique, mais aussi sur le plan sémantique. La fusion des prédicats entraîne logiquement un renforcement de sa cohésion sur le plan sémantique, ce qui fait que ces constructions sont perçues comme une entité lexicale unique. Les linguistes (Rogiest, 1983, Creissels 2000/2001, Wilmet, 1997) signalent la forte tendance à la lexicalisation des constructions causatives (ex. : faire voir = montrer, faire mourir = tuer, faire comprendre = explique, faire savoir = annoncer, faire voir = montrer, faire apprendre = enseigner). 2.4. L’évolution historique des constructions causatives en bulgare L’évolution des construction causatives en bulgare a suivi une direction diamétralement opposée mais elle s’est également faite en trois étapes (Vaillant, 1977 : 183, Haralampiev, 2001) : Etape 1 : causatif morphologique en (-o/ě/u/a-…) + -iti (en vieux slave entre le Ve et le IXe s.)87 Etape 2 : fluctuation entre V1 causatif + (SN) + Vinf et V1 causatif + da (conj) + V2 prés. (en vieux et en moyen bulgare entre le IXe et le XVe s.) Etape 3: construction à deux prédicats V1 causatif + da (conj) + V2 prés (à partir du XVIe s.) 87 Les données sur la périodisation des changements historiques en bulgare sont issues de IvanovaMirtcheva & Haralampiev (1999) et de Haralampiev (2001). 121 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs L’infinitif a progressivement disparu en bulgare entre le XIIe et le XVe s. pour laisser la place à la forme périphrastique V1+ la conjonction da + V présent. Le phénomène s’est amplifié à l’époque du «creuset balkanique» Feuillet (1999 : 252)88. A partir du XVe s., la construction causative analytique V1 causatif + da (conj) + V2 prés s’impose définitivement. Le tableau ci-dessous illustre les étapes opposées dans l’évolution de la construction causative faire+Vinf en français et karam njakogo da raboti (inciter qn à ce qu’il travaille) en bulgare : FRANÇAIS Latin constructions à 2 prédicats V1 + ut + V subj. V1 caus. + SN + Vinf Ancien et Moyen français (XIe s. - XVe s.) fluctuation entre : faire + SN + Vinf faire + Vinf Français moderne (à partir du XVIe s.) prédicat complexe : faire + Vinf BULGARE Vieux slave causatif morphologique (alternance vocalique en o/ě/u/a- + -iti) Vieux) et Moyen bulgare (IXe s. – XVe s.) fluctuation entre : V1 caus. + (SN) + Vinf V1 caus. + da (conj.) + Vprés Bulgare moderne (à partir du XVIe s.) construction à 2 prédicats : V1 caus. + da (conj.) + Vprés Tableau 9. Evolution des constructions causatives en français et en bulgare89 La comparaison des constructions causatives en français et en bulgare sur le plan diachronique permet de mieux expliciter les différents degrés de grammaticalisation de ces constructions. Le prédicat complexe du français occupe le 3e palier de l’échelle de Dixon (2000), tandis que la construction bulgare du type inciter qn à ce qu’il travaille occupe le 4e palier, celui des mécanismes les moins compacts. Cette comparaison permet aussi de mieux appréhender leur fonctionnement en synchronie. Ceci confirme l’idée (Peyraube, 2002 :46) que la syntaxe diachronique peut être au service de la description synchronique en fournissant des procédures d’explication. Par exemple, en français, les verbes exprimant une modalité (comme pouvoir, devoir) excluent la complétive et sélectionnent l’infinitif. L’absence de complétive apparaît ainsi comme 88 Selon Feuillet (idem : 15) « le processus de balkanisation commence aux XIVe-XVe s. et conduit à un changement typologique très important du bulgare.» 89 Ce tableau est issu du doc. 27. 122 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs une propriété définitoire de l’auxiliarité en français (Lamiroy, 2007 : 32). En bulgare, inversement, les verbes modaux, et plus généralement, causatifs introduisent la complétive en da en synchronie, à cause de la disparition de l’infinitif. 2.5. Grammaticalisation et acquisition Cette problématique de recherche est liée à la thèse de Y. Bezinska sur L’acquisition des constructions causatives chez des enfants français et bulgares de 3 à 6 ans que je co-encadre avec J.-P. Chevrot. Cette collaboration fructueuse a donné lieu à plusieurs publications communes (doc. 18, 27, 32) et travaux individuels de la doctorante. Cette nouvelle orientation dans l’étude des prédicats causatifs m’a amenée à me pencher sur la question des parallélismes éventuels entre la grammaticalisation des constructions causatives et les processus de leur acquisition. De prime abord, cette hypothèse pourrait paraître assez osée. Pourtant, en examinant de près l’évolution historique de faire+Vinf et de la construction causative bulgare et son émergence progressive dans le langage enfantin, plusieurs faits intéressants peuvent être mis en parallèle. Selon Peyraube (2002, 47-49), il existe deux approches pour traiter le changement syntaxique : une approche formelle (générativiste) et une approche fonctionnelle. La première considère que c’est l’acquisition par l’enfant de sa langue qui est à la base du changement grammatical, celui étant progressif et autonome de toute considération fonctionnelle90. La seconde approche relie le changement syntaxique à des facteurs discursifs, historiques, développementaux. Peyraube (2002) mentionne aussi trois mécanismes sous-jacents au changement syntaxique (l’analogie, la grammaticalisation et l’emprunt). La grammaticalisation est celui qui explique le processus de formation du prédicat complexe faire+Vinf. Pour Combette et al (2003 : 234), le changement linguistique est un phénomène universel dû à un ensemble de facteurs d’ordre cognitif (l’apprentissage de la langue maternelle par l’enfant), social et pragmatique, ainsi que de facteurs internes au système de la langue. Enfin, selon 90 Selon Lightfoot (1979) la seule cause possible de changement du système grammatical (syntaxique) est l’apprentissage par l’enfant de sa langue maternelle. Ce principe est remis en question, car d’une part, il existe des exemples de changement morpho-sytaxiques initiés par des adultes (Peyraube, 2002) et d’autre part ce paramètre est trop réducteur : il ne peut expliquer à lui seul le changement linguistique qui dépend de nombreux autres facteurs (cf. l’approche fonctionnelle). 123 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Tomasello (2003) et son usage based approach, les facteurs complexité et fréquence jouent un rôle crucial dans le processus d’acquisition des faits de langue. Les résultats des expérimentations de Y. Bezinska qui concernent des enfants entre 3 et 6 ans, effectuées dans le cadre de sa thèse, se superposent de façon très intéressante à ceux de l’étude de Sarkar (2002) sur l’acquisition de faire+Vinf chez des enfants entre 1 ;9 et 3 ;10 ans. Nous disposons donc d’un échantillon complet qui s’étale de 1 ;9 à 6 ans : 1ère étape: les enfants omettent souvent l‘auxiliaire causatif faire, c’est le verbe lexical qui véhicule le sens causatif (*Il tombe le robot, *Il saute le cheval, *Je danse le petit chat). 2ème étape : on observe une fluctuation entre les emplois justes de faire+Vinf en tant que prédicat complexe et les emplois avec l’insertion d’un SN entre faire et l’infinitif ( faire+SN + Vinf), ce qui pourrait signifier que le factitif n’est pas encore intégré en tant que PC (*Je fais les sauter, *Le papa fait la fille manger) à cette étape du développement langagier de l’enfant. Les deux formes coexistent chez le même enfant à un moment donné de son développement langagier. Toutefois, les emplois justes sont loin d’être exclus. 3ème étape : la construction faire+Vinf est stabilisée : Puis, je vais le faire sauter sur le bébé. Les expérimentations montrent que les enfants n’arrivent pas toujours à conceptualiser de façon compacte la situation causative dans son intégralité (Bezinska, 2010 : 158). En production, ils sont capables d’exprimer séparément les actions des participants à la situation causative : par exemple Le clown fait des grimaces et le bébé rit, mais ont encore du mal à enchaîner la cause (le clown qui est le causateur), l’action effectuée par celui-ci (fait des grimaces) et la conséquence (les enfants (le causataire)) rient). Ils expriment cette situation complexe par l’enchaînement coordonné des relations, sans enchâssement sous faire de la conséquence (Le clown faire rire le bébé). Lorsqu’ils produisent faire+Vinf, les enfants entre 3 et 6 ans font des erreurs au niveau des actants : omission du causateur, du causataire, mauvais positionnement des clitiques, insertion d’actants entre faire+Vinf, hésitations au niveau du genre et des 124 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs fonctions syntaxiques des actants (La maman le/la/lui fait manger la soupe). A ce stade du développement langagier de l’enfant, la production de faire+Vinf est en voie de stabilisation. Les résultats de Y. Bezinska montrent que la maîtrise de faire+Vinf ne se fait pas entre1 ;9 et 3 ;10 ans, comme l’indique Sarkar (2002), mais plus tard, entre 4 et 6 ans. Un autre procédé utilisé par les sujets interviewés ce sont les constructions moins grammaticalisées du type donner à manger/à boire à la place de faire manger/faire boire. Ceci pourrait s’expliquer aisément par le moindre degré de grammaticalisation de ces structures à deux prédicats, où chaque prédicat est suivi de son propre argument. La fusion des prédicats implique une restructuration, une réanalyse des actants ce qui retarderait le processus de leur acquisition. C’est donc la production de faire+Vinf qui reste la plus difficile à cause de la complexité morphosyntaxique de la structure. L’enchaînement conceptuel de la situation causative pose moins de problèmes, mais n’entraîne pas l’emploi spontané du factitif. L’émergence de factitifs justes en production dépend de la nature du verbe (ses propriétés syntaxiques et sémantiques : verbes de mouvement, de déplacement cf. l’Hypothèse inaccusative de Levin & Rappaport), sa fréquence à l’oral, les indices que l’enquêtrice fournit pour orienter les locuteurs. Les performances des enfants s’améliorent sensiblement lorsque ceux-ci produisent les constructions causatives après avoir entendu le modèle adulte (tâche d’imitation). Enfin, en compréhension, le factitif ne pose pas de problèmes particuliers. Il est cognitivement présent et facile à reconnaître dans l’input. Le tableau suivant emprunté au doc (27) illustre les pourcentages de réussite de ces trois tâches expérimentales dans les deux corpus (français et bulgare) : 125 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Production Compréhension Imitation FR BG FR BG FR BG 3-4 ans 25 35 63 70 54 57 4-5 ans 33 40 70 83 63 68 5-6 ans 40 48 85 96 72 80 Tableau 10. Pourcentages de réussite des trois tâches expérimentales dans les deux corpus Ces données ont été collectées par Y. Bezinska auprès de 71 enfants francophones et 60 enfants bulgarophones entre 3 et 6 ans, répartis en trois groupes expérimentaux91 : a) 25 enfants francophones et 20 enfants bulgarophones entre 3 et 4 ans ; b) 21 enfants francophones et 20 enfants bulgarophones entre 4 et 5 ans ; c) 25 enfants francophones et 20 enfants bulgarophones entre 5 et 6 ans. Pour ce qui est du français, l’expérimentation explore la capacité des enfants à produire, à comprendre et à imiter la construction factitive faire + Vinf. Pour le bulgare, elle teste les habiletés des enfants bulgarophones en les soumettant aux mêmes tâches (production, compréhension, imitation) pour l’ensemble des mécanismes causatifs dont dispose cette langue : lexical (xranja – nourrir); morphologique (razsmivam – faire rire); périphrastique (karam da tancuva – faire danser). On peut donc conclure sur ce point en disant que c’est la complexité morphosyntaxique du mécanisme causatif (+1 actant) qui poserait problème plutôt que la complexité intrinsèque du sémantisme causatif92 : les enfants comprennent ces structures mais ne les produisent pas spontanément. Le statut de prédicat complexe de de faire+Vinf rend son acquisition plus difficile et retarde sa stabilisation (vers 6 ans). 91 Les participants ont été enregistrés et filmés individuellement et ce, une seule fois ; chaque session expérimentale s’est déroulée à la maternelle et a duré approximativement 20 minutes. 92 On retrouve ici le principe d’iconicité de Givón (1991) selon lequel plus la situation est cognitivement complexe, plus les structures qui l’expriment sont complexes. 126 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs En bulgare, les constructions du type karam + da (conj.) + V prés. (inciter qn à ce qu’il travaille) sont moins grammaticalisées et les enfants bulgares ont moins de difficultés à les produire au même âge (entre 4 et 6 ans). La tâche de production est mieux réussie chez les participants bulgarophones. Le statut syntaxique de la construction causative, où chaque verbe est suivi de son propre actant, facilite, apparemment, son acquisition et sa maîtrise à un âge plus précoce. Même si des parallélismes entre l’évolution de la construction causative et son acquisition ne sont pas observés en bulgare, le passage du synthétisme vers l’analytisme facilite sans doute, comme le montrent les résultats de cette étude acquisitionnelle contrastive, son appropriation par les enfants bulgares. Pour revenir à notre hypothèse, le processus graduel de grammaticalisation de faire+Vinf dans ses étapes 2 (fluctuation entre faire+Vinf et faire+SN+Vinf) et 3 (le prédicat complexe s’impose) correspondent aux étapes 2 (fluctuation entre faire+Vinf et faire+SN+Vinf) et 3 (stabilisation du prédicat complexe faire+Vinf) de son acquisition chez les enfants français entre 3 et 6 ans. Le tableau 11 (doc. 27) illustre ces parallélismes : Étape 3 Étape 2 Étape 1 V1 + ut + Faire +SN + Vinf Faire + Vinf Vsubj (prédicat complexe) Faire + Vinf (prédicat complexe) Grammaticalisation V1 caus + SN + Vinf fluctuation stabilisation Étape 2 Étape 3 Faire +SN + Vinf Faire + Vinf ___ Faire + Vinf (prédicat complexe) Acquisition (prédicat complexe) fluctuation stabilisation Tableau 11. Correspondances entre les étapes de grammaticalisation et d’acquisition de faire + Vinf On pourrait donc conclure à l’existence de certaines correspondances entre l’évolution historique de faire + Vinf en français et son émergence progressive dans le langage enfantin. S’il existe des similarités évidentes entre le changement historique et 127 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs l’acquisition93, il paraît difficile de considérer cette dernière comme étant un facteur impulsant le changement historique. 2.6. Conclusion Les grandes lignes qui se dégagent de cette série de travaux qui font l’objet d’une synthèse dans cette section peuvent être formulées comme suit : a) la diachronie explique le sens de la dérivation du verbe transitif vers le réfléchi dans l’alternance dite décausative. Les travaux ont établi un parallélisme dans l’apparition du réfléchi dans les langues slaves et romanes (vers le VIIe s.); b) le changement historique est un paramètre linguistique important permettant d’appréhender le phénomène de la transitivation causative. Cette série de recherche ont mis en avant le parallélisme dans les processus de transitivation des verbes de mouvement et de changement d’état en anglais et en français (autour du XVIe s). Toutefois le phénomène est moins présent en français ; c) l’évolution des constructions causatives en français et en bulgare s’est opérée dans deux sens opposés : grammaticalisation (prédicat complexe) en français, perte de l’infinitif et formation de structure périphrastiques moins grammaticalisées en bulgare. Il n’existe pas à ma connaissance de travaux comparatifs dans ce domaine ; d) La grande cohésion de faire+Vinf sur le plan syntaxique explique les cas de lexicalisation de la construction ; e) Il existe des correspondances entre l’évolution historique de faire + Vinf en français et son émergence progressive dans le langage enfantin. Il semblerait que lorsque le changement linguistique va d’une structure analytique vers une structure plus compacte qui nécessite un réarrangement des actants, cela pose plus de problème aux enfants, ce qui a été montré empiriquement dans l’étude de Y. Bezinska. On constate des correspondances entre les étapes de fluctuation et de stabilisation aussi bien dans la grammaticalisation que dans l’acquisition du prédicat complexe faire+Vinf. f) La comparaison avec l’évolution de la construction causative en bulgare et son acquisition est également éclairante à ce sujet. Là, des parallélismes entre diachronie et 93 Romaine (1989), citée par Peyraube (2002 : 48). 128 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs acquisition ne sont pas constatées, ce qui pourrait être expliqué par le fait que dans le sens inverse - le passage du synthétisme vers la construction analytique à deux prédicats (inciter qn à ce qu’il fasse qch) - celle-ci ne pose pas de problème et est naturellement acquise par les enfants du même âge. Ces deux résultats, résumés dans les points (e) et (f) peuvent être considérés comme une contribution nouvelle à l’étude du changement linguistique et de l’acquisition des structures complexes dans les deux langues. Autrement dit, l’approche contrastive permet de mieux appréhender les processus et les étapes de grammaticalisation des constructions causatives en français et en bulgare. 129 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 3. L’analyse fonctionnelle des constructions causatives Le factitif faire+Vinf a fait l’objet de nombreux travaux se situant à l’interface entre la syntaxe et la sémantique. Ces derniers privilégient souvent certains aspects du fonctionnement de la construction au détriment d’autres. Ainsi par exemple, je ne trouvais pas d’explications satisfaisantes dans la littérature à propos d’énoncés en concurrence du type Delphine fait sortir la voiture du garage vs Delphine sort la voiture du garage (Ruwet, 1972) et les nuances de sens qu’ils véhiculent. Ces interrogations relèvent une fois de plus de la réflexion qui sous-tend mes travaux, à savoir la réflexion sur le lien entre forme et sens. Elles ont impulsé une série de travaux (doc. 11, 16, 20, 29), dont le principal objectif a été de proposer une analyse fonctionnelle aussi complète que possible du fonctionnement de faire+Vinf dans les cas de concurrence avec des causatifs lexicaux. Cette analyse prend en compte de manière systématique l’interaction entre les paramètres morphosyntaxiques, sémantiques et discursifs dans le fonctionnement des structures faire+Vinf et se faire+Vinf. Elle s’inspire des modèles fonctionnels, largement débattus dans le chapitre 1, qui accordent une importance fondamentale à ces paramètres, ainsi qu’à la fonction communicative de la langue. On pourrait y rajouter l’approche « modulaire » H. Noelke (1999 : 37) qui vise à mettre en place un modèle « total », censé relier la forme linguistique au sens. Ce n’est pas une approche dérivationnelle (syntaxe → sémantique → pragmatique), ni un modèle universel, mais un modèle développé dans le but d’une recherche particulière. Elle diffère de l’approche modulaire de Chomsky (des années 70) qui postule l’indépendance des modules et, en particulier, celui de la syntaxe. Par ailleurs, dans le modèle de Noelke (1994 : 168), la structure de surface est de première importance pour des raisons empiriques. C’est la structure à laquelle nous avons directement accès : c’est notre observable. Je me suis inspirée de certains aspects de ce modèle dans le doc. 16. Dans la section (3.1.), je rends compte de l’interaction entre les paramètres syntaxiques, sémantique et discursifs dans le fonctionnement de faire+Vinf. Dans la section (4), je propose une analyse multidimensionnelle de se faire+Vinf. Dans la section (5), je traite du statut de faire+Vinf et se faire+Vinf dans le système de la voix en français. 130 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 3.1. Faire+ Vinf : analyse fonctionnelle 3.1.1. Analyse syntaxique L’analyse syntaxique des deux structures (Delphine fait sortir la voiture du garage vs Delphine sort la voiture du garage) montre qu’elles ont des configurations actancielles identiques. Dans les deux cas, il y a augmentation de la valence, l’ajout d’un nouvel actant. Se pose alors la question de savoir en quoi consiste la différence entre ces deux cas. Comme l’indiquent Desclés & Guentchéva (1998 : 12), sur le plan syntaxique, la factitivité et la transitivité ont des rapports homologues mais, du point de vue sémantique, la factitivité diffère de la transitivité par certains aspects. S’agit-t-il d’une redondance lexicale ? Quelles sont les nuances de sens que les deux constructions véhiculent? Face à ces questions, l’analyse purement syntaxique montre ses limites. J’ai donc essayé d’apporter des réponses à ces questions en proposant une analyse qui prend en considération trois principaux paramètres d’ordre sémantique. 3.1.2. Analyse sémantique Les trois paramètres sémantiques qui se sont avérés essentiels pour expliquer la différence entre les deux structures sont les suivants : la causation (manipulation) directe/indirecte, le degré d’agentivité du sujet et de l’objet et la nature sémantique du verbe à l’infinitif. 3.1.2.1. Les notions de manipulation directe/indirecte La différence entre ces structures est le plus souvent expliquée par les notions de manipulation directe / indirecte sur lesquelles il existe une abondante littérature94 : la construction transitive (sortir la voiture) implique le trait de manipulation directe : c’est le référent du sujet qui est plus directement impliqué dans le procès. En revanche, la construction factitive (faire sortir la voiture) est non marquée pour ce trait : elle peut l’impliquer ou ne pas l’impliquer (manipulation ± directe) : par le chauffeur (un actant 94 Cf. Babby (1993), Dixon (2000), Givón (1984), Ruwet (1972), Shibatani (1976), Creissels (2006). 131 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs non instancié95) ou par elle-même (Delphine fait en sorte que la voiture sorte du garage). Ici, l’interprétation sémantique reste tributaire de la construction syntaxique. Or, les faits de langue sont plus compliqués. Le sémantisme de ces formes « n’est pas entièrement prévisible à partir de leur structure » (Morgenstern, 2005 : 3). Les interprétations ne se distribuent de manière aussi optimale (F. Martin, 2003). Un causatif lexical peut dénoter une causation indirecte : Paul a tué Georges en lui injectant un poison très lent (F. Martin, 2003)96.. Inversement, la construction factitive peut impliquer la manipulation directe : Paul a fait fondre le beurre en le triturant avec les doigts. L’ambiguïté est le plus souvent levée contextuellement comme, par exemple, dans Pauline, approbatrice, lui fit cuire le steak dans la cuisine et alla s’allonger sur son lit. (Sagan, TLFI). Ici, c’est Pauline elle-même qui cuit le steak. Dans le cas de Je les ferai épousseter souvent vos habits (Stendhal, Frantext), on imagine mal que la servante (=je) fasse épousseter les habits par quelqu’un d’autre. Il y a donc dans faire épousseter manipulation directe et le contexte large confirme cette interprétation. Les constructions faire cuire, faire épousseter sont interchangeables avec les verbe transitifs correspondants (cuire, épousseter), sans que cela implique un changement du nombre des actants. Selon Desclés & Guentchéva (1998 : 18), dans des énoncés de ce type (Pierre fait craquer une allumette ou fait marcher un tourne-disque), la construction faire+Vinf n’est pas un vrai factitif, puisqu’un seul agent est impliqué et que cet agent contrôle ou agit sur un patient qui, lui, n’a aucune activité agentive. Selon les auteurs, ces cas relèvent de la transitivité et non pas de la factitivité (cf. la section suivante, point b). On sort en quelque sorte du sens causatif canonique du factitif faire faire qch à qn pour se rapprocher du domaine de la transitivité. L’analyse des données a montré que même si dans certains cas (rares !) on peut parler de redondance lexicale ou de quasi-synonymie (Ruwet, 1972) pour cuire vs faire cuire) ou de synonymes « exacts » comme Mel’čuk et al. (1984-1992, T.4.) pour les cooking verbs comme cuire vs faire cuire, frire vs faire frire(Pierre frit le poulet dans 95 Tesnière (1965) appelle cet actant non instancié actant « à marquant zéro ». 96 Ce cas est traité par Desclés & Guentchéva (1998 : 13) comme un cas de transitivité syntaxique et sémantique qui implique toujours deux participants (un agent et un patient). L’agent a une capacité de déclencher ou d’interrompre le processus qui affecte le patient et possède la capacité d’effectuer directement ou par l’intermédiaire d’un instrument ce processus. 132 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs l’huile), bouillir vs faire bouillir (Pierre bout le lait sur la cuisinière97), flamber vs faire flamber (une crêpe), c’est loin d’être le cas pour la majorité des autres verbes. L’existence de deux formes n’est pas fortuite, ni arbitraire ; elle suppose une différence de sens, ne serait-ce que minime. L’explication par la manipulation directe/indirecte ne suffit pas, il est nécessaire d’inclure, dans l’analyse de ces cas de concurrence, un 2ème paramètre d’ordre sémantique, à savoir le degré d’agentivité du sujet et de l’objet. 3.1.2.2. Le degré d’agentivité du sujet et de l’objet Le sémantisme complexe des causatifs nécessite aussi la prise en compte des notions d’agentivité et de contrôle. L’ajout du nouvel actant dans la structure syntaxique causative correspond au rôle sémantique de l’agent « qui contrôle plus ou moins l’intervention des autres protagonistes » (Creissels , 1995 : 286). La définition de Dixon (2000 : 30) va dans le même sens : « a causative construction involves the specification of an additionnal argument, a causer, onto a basic clause. A causer refers to someone or something […] that initiates or controls the activity ». La difficulté qui apparaît ici est liée au trait animé vs non animé de l’agent/cause et, respectivement, du patient (causataire). Lorsque celui-ci (le causataire) est un animé, il a, le plus souvent, une faible capacité agentive, il ne peut s’opposer, pour une raison ou une autre, à ce que le sujet agentif lui impose. Pour des exemples du type sortir l’ivrogne du bar, descendre un homme menotté d’une voiture ou démissionner le ministre, la construction transitive à objet humain introduit une nuance sémantique de forte coercition, d’implication plus directe, voire brutale, de la part de l’agent-causateur dans le procès, ce qui est logique, vu l’interprétation univoque par la manipulation directe. Mais la réalité linguistique est encore une fois plus compliquée. Il existe des cas, où le référent de l’objet n’est pas dénué d’agentivité, de capacité ou de volonté d’agir : Ça manquait pas, les filles qui auraient bien aimé qu’il les rentre du bal. Attendez monsieur, je peux vous traverser si vous voulez98. Ici, le procès dépend de la volonté du patient (les filles, le vieux monsieur). Le tableau se complique encore 97 Comme indiqué dans le DEC (1991, T . IV : 139), cet usage est rejeté par plusieurs locuteurs, ce qui n’empêchent pas les auteurs de le traiter dans la rubrique des fonctions lexicales comme synonyme exact de faire bouillir. 98 Exemples de Larjavaara, (2000 : 175). 133 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs davantage, car il y existe des référents du sujet inanimés qui se comportent comme des agents (la metaphoric extension of the agentivity de Givón, 1980): Le vent a renversé la barrière, La Lotus a sorti la Ferrari de la route.99.. Ces exemples montrent que les restrictions de sélection en termes d’animé / non animé sur le sujet ou l’objet sont insuffisantes pour expliquer l’ensemble des cas et que « sans doute il manque encore une théorie appropriée de l’interprétation de ces phrases déviantes » (Ruwet, 1972 : 156). En ce qui concerne la structure faire+Vinf, une solution serait de voir, comme le proposent J.-P. Desclés & Z. Guentchéva (1998 : 19), trois schèmes distincts, à savoir: a) la causalité (lorsque le terme sujet n’a pas de véritable capacité de contrôle mais renvoie à une classe d’événements ou de processus) : La tempête fait découvrir aux enfants la force de la nature; Le soleil fait sécher les tuiles. b) la transitivité100 (le terme de sujet a une capacité agentive, le second actant est analysé comme patient) : Jean fait craquer une allumette. c) la factitivité qui implique trois participants101 : un agent causateur qui impulse et contrôle le procès; un agent causataire qui peut avoir un certain pouvoir agentif ou non et un patient affecté par le processus Paul fait découvrir la mer à ses enfants, Marie fait repasser le linge par sa femme de ménage. Cette distinction fine est parfois difficile à appliquer, car comme le reconnaissent les auteurs, il existe des cas où on peut hésiter entre ces trois schèmes (1998 : 19). Elle dépend aussi beaucoup de la nature sémantique du verbe, comme on va le voir dans la section 3.1.2.3. Pour revenir aux cas de concurrences traités dans cette section, si on 99 Exemple de Ruwet (1972 : 149). 100 Givón (1989 : 59) analyse la construction transitive simple en termes de prototype : l’affectation contrôlée d’un patent par un agent. Ceci correspond à la notion de transitivité sémantique (Desclés, 1998). Cf. aussi J. François (2008 : 16). 101 Dans mes travaux, le factitif faire+Vinf renvoie aussi bien à des structures à deux qu’à trois participants (Jean fait pleurer Marie, Jean fait signer le document au directeur). Les constructions à 4 participants sont plutôt exceptionnels en français : Ribbentrop écrivit une lettre comminatoire à Pétain. Mais Hitler, agacé par ce remue-ménage fit écrire à Pétain, par Ribbentrop, une lettre comminatoire. Pour une analyse récente et très bien argumentée de l’alternance à / par dans la reprises du causataire dans les constructions factitives (Jean a faite lire la lettre à Paul/par Paul), cf. Le Bellec, 2009 : 164175). 134 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs suit, de façon générale, Givón (1980 : 336) et sa binding hierarchy, plus la construction est compacte, plus l’agentivité et le contrôle sont forts. On peut retenir cette règle à titre de tendance. 3.1.2.3. La nature sémantique de l’item verbal Un autre résultat important de cette analyse fonctionnelle est que le sémantisme du verbe influence l’instabilité de la valence verbale. L’observation des données fait ressortir la nette prédominance des verbes de mouvement ou de déplacement (entrer, rentrer, sortir, monter, descendre, courir) et de changement d’état (démissionner, échouer, suicider, durcir) dans les cas de transitivation causative (TC)102. Suite à des extensions occasionnelles de leurs spectres fonctionnels (Blinkenberg, 1960 : 117), ils peuvent véhiculer un sens causatif. En voici quelques exemples : Bouge ta ville ! Bouge l’Europe ! (Publicité, 2003) Messier a le droit de démissionner les membres du CA de VU. (TV, 2002) Il s’apprête à faire ses cartons, en attendant qu’un nouveau patron de France Télécom débarque … et le débarque (N. Obs 2002). Par cette température, on ne voyage pas un enfant de cet âge. (Dam. & Pichon) Le premier qui ose dire cela, je le sors de la salle (cours universitaire). Ces bêtes, je ne suis pas prêt à les partir (Journal TV, 2001)103 Comment Chirac a suicidé la droite (N. Obs)104 Ces jeunes qui délirent la banlieue. (TV, 2005) Ils refusent de paniquer les voyageurs (Journal TV, 2005) Cette émission a explosé l’audimat (Journal TV, 2009). 102 Jespersen (1927 : 319) indique la possibilité des verbes de «change» ou de «move» d’être transitivés. Selon K. Mantchev (1976 : 24-45), les verbes de mouvement et de changement d’état peuvent, à l’occasion, intégrer un objet et, de ce fait, se situent à mi-chemin sur l’axe allant de l’intransitivité (les verbes d’existence) à la transitivité (les verbes d’action). Pour les degrés de transitivité, cf aussi Givón (1984 : 98) et Hopper & Thompson (1980). On se souvient aussi que dans le processus inverse, l’alternance décausative, on retrouve les même classes sémantiques de verbes : de mouvement, de déplacement et de changement d’état (section 2.1.). Comme le remarque Haspelmath (1993 : 95), l’alternance décausative est limitée, du point de vue typologique, à quelques classes sémantiques de verbes comme ceux de déplacement ou de changement d’état. 103 En pleine crise de la vache folle, l’agriculteur ne veut pas faire partir ses bêtes (les écouler sur le marché). 104 Emprunté à Kötsch & Oesterreicher (2002). 135 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs La question légitime que je me suis alors posée a été de savoir pourquoi ce sont ces classes sémantiques de verbes qui ont ces propriétés et pas d’autres. J’ai trouvé des éléments de réponse à cette question essentielle dans l’Hypothèse inaccusative de Perlmutter (1978), développée par Levin & Rappaport (1995) dans le cadre de la Grammaire relationnelle. L’Hypothèse inaccusative (Perlmutter, 1978, Levin & Rappaport, 1995) Selon cette hypothèse, les verbes intransitifs ne forment pas un ensemble sémantiquement homogène (split intransitivity). On distingue les verbes inaccusatifs (break, dry, open) et les verbes inergatifs (laugh, play, speak). Du point de vue syntaxique, les premiers ont un sujet en surface et un objet profond. Les seconds n’ont qu’un sujet à tous les niveaux. Du point de vue sémantique, les inaccusatifs (casser, bouger, tomber) impliquent un changement d’état, l’action vise ou atteint le sujet, les inergatifs renvoient à une activité, l’action part du sujet105. Ce sont les inaccusatifs qui, du fait de leur valence instable, se prêtent aisément à la transitivation causative. Les inergatifs nécessitent le recours à la périphrase: The window broke. She broke the window vs Children played. *The teacher played the children. The teacher made the children play. Le tableau suivant résume les propriétés syntaxiques et sémantiques des deux sous-ensembles de verbes intransitifs : 105 Sur certaines faiblesses syntaxiques de l’Hypothèse inaccusative (inaccusative mismatches), cf. Legendre & Sorace (1993 : 186). Cependant les auteurs soulignent que ces dissonances ne remettent pas en question l’Hypothèse qu’ils considèrent comme « simple et élégante ». 136 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Propriétés inaccusatifs inergatifs sur le plan syntaxique Sujet en surface = Objet profond Sujet à tous les niveaux ( monovalents. Stable valency) (unstable valency) auxiliaire avoir être impersonnel Il arrive des hommes impersonnel passif Es würde getanzt (Il a été subordonnée participiale dansé) *Il téléphone des gens *Es würde geblücht (Il a été fleuri) Tombé de sa chaise, le bébé a pleuré *Travaillé pendant des années, sur le plan sémantique l’action vise ou atteint le Sujet l’action part du Sujet (=agent) v. de mouvement +alternance causative v. de changement (état, position ) move, break, melt, start, grow, march, jump, danse, run bouger, entrer, tomber, sortir, courir, marcher , danser, voyager v. d’existence, d’apparition v. agentifs exist, live, appear, emerge laugh, play, speak, cry exister, vivre, apparaître, émerger agir, parler, rire, crier, pleurer -alternance causative Jean a pris sa retraite. Tableau 12. Propriétés syntaxiques et sémantiques des verbes inaccusatifs et inergatifs Il s’agit, selon les auteurs, d’une distinction sémantiquement motivée et syntaxiquement représentée. Le sens du verbe peut constituer un facteur déterminant pour la structure syntaxique de l’énoncé. Levin & Rappaport (1995) insistent sur la similarité impressionnante entre ces sous-classes de verbes à travers les langues (par ex. en russe, italien ou hébreu). Or, en comparant les données de l’anglais avec celles du français (doc 31), j’ai montré que la distinction entre ces verbes est, semble-t-il, largement répandue, mais elle n’est pas universelle. Par exemple, en anglais, certains 137 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs verbes de mouvement (inergatifs et normalement non transitivables) comme march, jump, dance, run peuvent être transitivés dans certaines distributions syntaxiques ou sous certaines restrictions lexicales comme la présence obligatoire d’une suite circonstancielle (to the end of love), le faible degré d’agentivité du causataire (les soldats), ou la présence d’un causateur agentif (le jockey), qui n’est jamais instrument ou force de la nature : Dance me to the end of love. The general marched the soldiers to the tents. The rider ran and jumped the horse over the fence. En français, ces mêmes verbes ne sont pas transitivables, même dans les distributions syntaxico-sémantiques décrites supra : *Danse-moi jusqu’à la fin de notre amour. *Le général marcha les soldats jusqu’aux tentes. *Le jockey courut et sauta le cheval à travers la haie. La comparaison inter-langues permet d’affiner ou de nuancer l’Hypothèse inaccusative (doc. 31). 3.1.3. Analyse discursive Le dernier paramètre à prendre en compte dans l’analyse fonctionnelle des constructions causatives c’est le paramètre discursif qui complète leur analyse syntaxique et sémantique. Noelke (1999 : 67) souligne l’intérêt pour son approche modulaire (fonctionnelle) d’exemples où « des considérations stratégiques de nature pragmatico-sémantique l’emportent sur les considérations syntaxiques pour rendre accessible une position non prévue par la syntaxe.». Le causatif lexical est considérée comme étant un moyen de diathétisation causative plus économique, plus compact par rapport à la construction périphrastique factitive. Souvent, le choix du causatif lexical est tout à fait intentionnel et s’opère dans un objectif pragmatique précis. Il s’agit là d’un raccourci syntagmatique (Krötsch & Osterreicher, 2002), qui pourrait s’expliquer par des objectifs pragmatico-énonciatifs spécifiques, comme la rapidité, l’expressivité ou le principe de l’économie dans la communication. Du fait qu’il y ait transgression du schéma actanciel habituel du verbe, ces emplois sont perçus comme déviants, donc plus accrocheurs, ce qui explique l’usage fréquent qu’en font les médias ou la publicité, comme c’est le cas de ce slogan 138 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs publicitaire à l’intention des jeunes: Bouge ta ville ! ou le titre Ce Français que sa carrière « a émigré » en Belgique a été un des piliers de Tintin (Frémion)106. Pour résumer, le choix discursif de telle ou telle structure syntaxique est dicté par des contraintes lexicales, à savoir la nature sémantique du verbe : on ne peut pas transitiver n’importe quel verbe, comme on vient de le montrer supra, mais aussi par des motivations d’ordre sémantique comme le degré d’agentivité des référents du sujet et de l’objet ou par le processus de causation directe ou indirecte. 3.2. Conclusion L’étude séparée des paramètres morphosyntaxique et sémantique ne permet pas d’expliquer la complexité des faits de langue étudiés. Seule l’approche fonctionnelle qui prend en compte l’interaction entre les paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs est à même de proposer une analyse globale du fonctionnement de faire+Vinf et d’interpréter correctement les énoncés, où les deux formes sont possibles. Elle permet de tisser des liens entre les différents paramètres afin de mieux appréhender le fonctionnement de faire+Vinf. Voici en résumé les principaux résultats de ces recherches : - la syntaxe ne permet pas de rendre compte de la concurrence entre les causatifs lexicaux et faire+Vinf - chacun des trois paramètres sémantiques, à savoir la manipulation directe / indirecte, le degré d’agentivité du sujet et de l’objet et la nature sémantique de l’item verbal apporte des éléments d’explication à ce phénomène complexe de concurrence. - La comparaison du français et de l’anglais a montré que l’Hypothèse inaccusative (1995) devrait être nuancée et affinée. - Ce cas de concurrence illustre également l’articulation entre la pragmatique et la syntaxe. Autrement dit, le choix de l’une des deux formes dépend des visées communicatives de l’énonciateur. 106 Exemple emprunté à Krötsch & Oesterreicher (2002 : 124). 139 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs De manière plus générale, le phénomène de concurrence étudié confirme que la mise en discours de l’unité verbale mobilise des mécanismes syntaxiques, sémantiques et énonciatifs dont l’interdépendance détermine les interprétations des énoncés107. 107 Cf. l’Appel à communication du Colloque de Besançon sur les constructions verbales et la production de sens (2006)) 140 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 4. Se faire Vinf : analyse fonctionnelle La construction se faire+Vinf a été analysée de différentes façons. Pour certains auteurs (Spang-Hanssen 1967, Riegel et all. 1993) ) il s’agit d’une forme de passif. D’autres (Tasmowski & Van Oevelen 1987) proposent un traitement unitaire : malgré des valeurs très similaires à la construction passive, le tour reste causatif (le passif est un sous-cas du causatif pronominal). D’autres encore (Kupferman 1995) renoncent au traitement unitaire au profit d’une analyse binaire : construction causative pronominale et passive. La plupart de ces travaux mettent en avant un argument sémantique commun, à savoir que le sujet de se faire +Inf aurait une part de responsabilité dans le procès dénoté par l’infinitif, qui cependant reste difficilement démontrable dans les procès « désagréables ». L’analyse syntaxique de la construction est souvent reléguée au second plan. Rares sont enfin les études (Gaatone 1983) qui induisent la valeur passive de se faire+Vinf à partir de facteurs pragmatiques. Bref, toutes ces études privilégient souvent certains aspects du fonctionnement de la construction au détriment d’autres. La construction se faire+Vinf véhicule des valeurs qui correspondent soit à un causatif passif, soit à un causatif pronominal. Lorsque le Vinf est un transitif, se faire+Vinf est le plus souvent substituable avec le passif (êtreVé). Pourtant les deux formes véhiculent des nuances de sens différentes : (1) Les jeunes chiraquiens plébiscitent Jacques Chirac. (2) Jacques Chirac est plébiscité par les jeunes chiraquiens. (3) Jacques Chirac se fait plébisciter par les jeunes chiraquiens. A partir de l’étude de ce cas de concurrence, mon objectif (comme dans celui de la section précédente) a été de montrer que seule une analyse multidimensionnelle est capable de rendre compte du sémantisme complexe de ces formes. La corrélation des différents paramètres (syntaxiques, sémantiques et discursif) permet d’analyser en finesse et en profondeur les faits de langue étudiés. Cette étude (doc. 20) a été basée sur un corpus d’environ 2 millions de mots, issus de trois genres textuels : des textes littéraires (Frantext), journalistiques (Le Monde 141 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs et Le Figaro 2002), scientifiques (corpus KIAP-LIDILEM), ainsi que des messages de forums sur Internet (2006 ) sur le thème de la vie quotidienne108. Comme dans les exemples traités précédemment (sortir vs faire sortir la voiture), la syntaxe ne permet pas de différencier (2) et (3). Dans les deux cas, suite à la transformation de la phrase de départ (1), il y a destitution du sujet sans ajout d’un nouvel actant et diminution de la valence (n-1) (diathèse récessive) par rapport à la structure de départ (1). Du point de vue discursif, le c.o.d. de la phrase de départ devient thème, après transformation, dans les deux cas. Comme l’indique Bat Zeev Shyldkrot (1999 : 73) au sujet des formes en se faire, se voir, se laisser+Vinf, le recours à la forme en se faire+Vinf dans son interprétation passive « répond à un désir du locuteur et donc de la langue, d’exprimer des nuances distinctes » par rapport aux formes du passif en êtreVé. C’est sur le plan sémantique que les deux énoncés diffèrent surtout. Pour mieux en rendre compte, j’ai analysé conjointement trois paramètres sémantiques : la nature sémantique du verbe enchâssé sous se faire, les rôles sémantiques et la nature (animé vs non-animé) du sujet (S). 4.1. Se faire+Vinf à sens passif Lorsque le Vinf est un transitif (se faire+Vinf trans ), la construction causative réfléchie est le plus souvent substituable avec le passif (êtreVé) (Cf. (2) et (3)). Pourtant les deux formes véhiculent des nuances de sens différentes. Pour mieux en rendre compte, il s’est avéré pertinent d’analyser la nature sémantique du verbe enchâssé sous se faire, les rôles sémantiques et la nature (animé vs non-animé) du S. 108 Le corpus scientifique KIAP/LIDILEM est composé de trois parties : médecine (656 488 mots), linguistique (659 724 mots) et économie (660 312 mots). Le corpus journalistique est issu de Le Monde (2002) (dorénavant M) et Le Figaro (2002) (F). Le corpus littéraire provient de Frantext (1960-2007) (FT). Le corpus de blogs est composé de 2000 messages (novembre 2006-avril 2007). Les adresses des forums sont http://forums.france3.fr/france3/listecategorie.htm, http://ununtu-fr:org/, http://www.forumfr.com/forums.html. Je remercie K. Fløttum de l’Université de Bergen et S. Diwersy de l’Université de Cologne pour la mise à disposition des corpus scientifique et journalistique, ainsi que E. Yurovskih pour le corpus des blogs. 142 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 4.1.1. La nature sémantique du verbe La plupart des travaux (Spang-Hanssen ,1967, Gaatone, 1983) attirent l’attention sur le fait que la substitution est possible lorsque l’infinitif renvoie à des actes désagréables ou violents (violences physiques ou verbales (injures, insultes)), par exemple se faire expulser, écraser, injurier, agresser, attaquer. Ces verbes constituent 30% des verbes de l’ensemble du corpus. Les deux formes (se faire+Vinf et être +Vé) sont donc interchangeables. Par exemple Bertrand Delanoë s'est fait agresser la nuit où il a ouvert ses appartements. (Le Figaro(F)). Elle s'est fait attaquer trois fois. Il y avait trop d'insécurité (F). Or, comme le montrent les données, la construction réfléchie à valeur passive s’attache, bien que plus rarement, à des prédicats dénotant des actes agréables: se faire acclamer, embaucher, élire, plébisciter (Il peine encore à se faire aimer par tous les siens. (F). On survit, de la pire manière, pour se faire admirer des autres. (FT)). Ces verbes constituent 5% des corpus analysés ; ils sont six fois moins nombreux que les verbes « désagréables », ce qui dément l’affirmation de Kupferman (1995 : 67), à savoir que « les verbe statifs et de changement d’état sont prohibés de ces constructions » (*se faire toujours aimer par ses enfants, *se faire admirer par ses étudiants109). Les verbes le plus souvent enchâssés sous cette construction syntaxique sont essentiellement des verbes d’action (agréable ou désagréable) et, plus rarement, des verbes d’état. 4.1.2. Les rôles sémantiques du sujet Le tour se faire+Vinf implique le plus souvent un « double » rôle sémantique pour le référent de son sujet structural: celui-ci est à la fois patient et responsable (instigateur) de ce procès. Cette analyse se heurte pourtant à des cas comme Les derniers de la liste se font écraser par amour vs Les derniers de la liste sont écrasés par amour), où le sujet ne peut, comme le montre le contexte plus large, être considéré comme étant l’instigateur ou le « responsable » du procès et où la substitution avec le passif est possible. Gaatone (1983 : 170) indique qu’ « [i]l est anormal d’admettre qu’un être humain soit l’instigateur volontaire de procès dont il serait lui-même la 109 Les exemples et les astérisques sont de Kupferman (1995 : 75). 143 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs victime ». Là, l’explication par le rôle sémantique du S ne suffit donc plus. L’auteur (idem :173) induit le sens de se faire+Vinf de la notion pragmatique de désagréable qui, selon lui, permettrait de mieux en rendre compte. J’ai proposé de compléter cette explication d’ordre pragmatique par la dimension aspectuelle, assez peu analysée110 de manière systématique dans les travaux existants: le locuteur a le choix entre les deux formes en fonction de la manière dont il envisage le déroulement du procès (passif processif : Les derniers de la liste se font écraser par amour vs passif statif : Les derniers de la liste sont écrasés par amour)111. C’est aussi le cas de Elle s’est fait violer où il est difficile d’affirmer un certain degré d’agentivité ou de responsabilité du référent du sujet. Sinner & Van Raemdonck (2005 : 163) indiquent que ce type d’exemples est impossible en espagnol avec la construction hacerse +Vinf . Par ailleurs, selon ces auteurs, la différence entre Elle s’est fait violer et Elle a été violée « semble tenir plus de la représentation qu’une langue donne de la réalité que de la réalité elle-même ». Or, une explication par le degré de grammaticalisation plus avancé de se faire+Vinf (cf. section 4.4.) en français qui a pour conséquence « une diminution de la perception du rôle agentif plus importante en français qu’en espagnol » (idem : 173) me paraît, de loin, plus plausible que celle qui explique le fonctionnement de se faire+Vinf dans les deux langues par les différentes représentations qu’elles donnent de la réalité. 110 Selon Spang-Hanssen (1967 : 141) lorsqu’il s’agit d’actes désagréables ou violents, se faire+Vinf marque l’idée de processus. Dubois & Lagane (1973 : 169) expliquent aussi la différence entre se faire+Vinf et le passif par leurs propriétés aspectuelles: la première forme renvoie à des procès vus dans leur déroulement, la seconde - à des procès vus comme des accomplies. Le paramètre aspectuel a été aussi inclus dans l’analyse de la distinction entre se faire+Vinf à sens passif et un passif canonique par Le Bellec (2009, 181-183). 111 Le passif canonique n’exclut pas une valeur processive mais celle-ci est assez contrainte distributionnellement. Comme le montre Muller (2002 : 237), cette valeur n’apparaît qu’avec des verbes d’action au présent essentiellement, par ex. Le mât est dressé sur la place par les ouvriers qui pourrait véhiculer une valeur résultative mais aussi processive : en ce moment , il est en train d’être dressé. En revanche, l’aspect processif est exclu au passé : Le mât a été dressé par les ouvriers véhicule un aspect accompli statif. Cf. aussi à ce sujet Desclés & Guentcheva (1993). Avec se faire+Vinf , d’aspect processif, ces contraintes n’existent pas. Dans l’exemple cité, Les derniers de la liste sont écrasés par amour une lecture processive (en ce moment) du passif est difficilement envisageable. 144 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 4.1.3. La nature sémantique du Sujet (animé vs non-animé) La difficulté d’analyser le S comme instigateur (ou responsable) du procès apparaît aussi dans les exemples où le S est non animé. Bien que très peu fréquents (moins de 3% des résultats), ces cas existent dans les corpus : La neige se fait désirer dans certains coins de l'Europe. (M) ; Les classiques cassettes vidéo VHS sont ainsi sur le point de se faire dépasser par les DVD. (F) Ici, une fois de plus, ce n’est pas par le rôle sémantique du S (instigateur volontaire ou involontaire du procès) qu’on peut rendre compte des différentes nuances de sens entre les deux formes, substituables dans ces contextes. Ce sont des paramètres aspectuels au service des visées discursives qui, une fois de plus, entrent en jeu. En choisissant la forme se faire+Vinf, le locuteur présente le procès comme inaccompli (se faire désirer) ou en déroulement (être sur le point de se faire dépasser), ce qui est en harmonie avec le profil aspectuel de cette forme, Pour récapituler, dans les cas où se faire+Vinf et êtreVé sont interchangeables, le locuteur choisira être+Vé ou se faire+Vinf en fonction du rôle sémantique qu’il souhaite « faire endosser » au Sujet: avec être Vé celui-ci est beaucoup moins agentif que celui de se faire+Vinf qui est à la fois patient et instigateur du procès dont les effets reviennent, d’une façon ou d’une autre, sur lui-même. Par ailleurs, lorsque le sujet de se faire+Vinf « est impliqué indépendamment de sa volonté dans un enchaînement causal » (François 2000 :163), c.à.d. que son double rôle n’est pas avéré, des facteurs aspectuels entrent en jeu pour le calcul de la signification de se faire+Vinf. 4.2. Se faire+Vinf à sens réfléchi Se faire+Vinf fonctionne aussi comme un causatif réfléchi. Dans ce cas, la construction n’est pas substituable avec un passif. Il s’agit ici de la combinaison de la diathèse causative et réfléchie. Lorsque le verbe à l’infinitif est intransitif (se faire+ Vinf intrans), les conditions structurales pour la transformation passive ne sont pas réunies. Pour ce qui est de la nature sémantique des intransitifs qui s’enchâssent sous se faire, il s’agit d’un petit nombre de verbes (une dizaine environ), notamment des inaccusatifs de changement d’état : avorter, bronzer, exploser, maigrir, saigner, suer, vomir. Ces verbes expriment une action qui vise ou atteint le S, ce qui est en harmonie 145 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs avec son rôle sémantique : les effets du procès lui reviennent, autrement dit il subit un changement d’état. Il est à la fois déclencheur et patient (siège du procès) : Surtout qu'ensuite ils vont régulièrement se faire maigrir chez des médecins, dans des cures ou en thalassothérapie. (F) Il y en a qui font ce qu'ils veulent, et d'autres qui se font suer à se soumettre avant même qu'on ne leur demande. D'autres se font vomir, deviennent anorexiques, pour rester à l'école (M) La fréquence des verbes intransitifs enchâssés dans la construction se faire+Vinf reste cependant très peu élevée (moins de 2% de la totalité des verbes du corpus). Lorsque le verbe à l’infinitif est un transitif (se faire+ Vinf trans) , il apparaît dans des contextes syntaxiques bien précis, avec des verbes qui expriment des actes liés au corps humain : le S est instigateur et provoque un changement d’état sur son corps, ses cheveux, ses vêtements : se faire confectionner une robe, couper les cheveux, caresser, épiler etc). Se faire+Vinf à sens réfléchi est également très fréquent après des verbes de perception (Nous regardions sur CNN des villes se faire bombarder), modaux (Les candidats doivent/peuvent se faire connaître), de sentiments (Galiano aime se faire désirer (F), Jospin déteste se faire dicter son calendrier (M)) ou bien après des périphrases aspectuelles : Il est sorti à l'étranger et a commencé à se faire battre. (M). Il était en train de se faire griller tranquillement une mouette sur un barbecue de fortune. (FT). Ils ont fini par se faire piquer le travail (F). Pour ce dernier cas, à savoir la combinaison de se faire+Vinf avec des périphrases aspectuelles indiquant le début, le déroulement et la fin du procès, les données du corpus ont révélé une fréquence très élevés de se faire+Vinf. Ici aussi l’explication aspectuelle est valable : le passif qui renvoie essentiellement à des procès accomplis (Il est assassiné) est difficilement compatible avec l’expression des phases du procès (commencer à, être en train de, finir de), tandis que se faire+Vinf qui renvoie à des procès en cours est compatible avec les phases. L’étude de toutes ces distributions dans lesquelles apparaît se faire+Vinf à valeur réfléchie, ainsi que les contraintes syntaxico-sémantiques qu’elles imposent n’ont pas fait l’objet d’une description et d’une analyse systématiques sur corpus. C’est un des principaux apports de cette étude (doc. 20). 146 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 4.3. Se faire+Vinf en diachronie Ce travail a montré que pour se faire+Vinf la diachronie peut s’avérer aussi très éclairante. Elle révèle que « [à] partir d’une valeur causative, l’interprétation passive se serait développée par l’intermédiaire d’une réflexivisation de la construction causative sans marque morphologique. Une construction causative dans laquelle la position objet était laissée vide , comme N1 a fait voir ∅ à N2, aurait eu la possibilité de s’interpréter comme N1 s’est fait voir à N2 ; on serait ensuite passé à l’interprétation N1 a été vu par N2 par réduction du rôle sémantique assigné à N1 au rôle sémantique du deuxième argument du verbe voir » (Creissels , 2006 T2 : 69-70). L’auteur fait un rapprochement avec Il s’est fait tuer dont l’interprétation n’exclut pas la possibilité d’attribuer une part de responsabilité au référent du sujet, ce qui correspond à la signification originelle de cette construction, mais qui peut fonctionner aussi comme équivalent pur et simple du passif. Cela contredit l’analyse de Kupferman (1995 :76) qui postule l’existence de deux constructions homonymes en se faire+Vinf (passive et causative réfléchie) : « [l]a ressemblance morphologique entre deux formes syntaxiques ne signifie pas nécessairement qu’elles soient typologiquement apparentées ». Or, les données diachroniques vont à l’encontre de cette thèse. En français, se faire+Vinf semble avoir atteint un degré avancé de grammaticalisation. Cette évolution en trois étapes pourrait être schématisée de la façon suivante : causatif (X a fait assassiner Y) → réflexivisation (Y s’est fait assassiner) → passif (Y a été assassiné). On peut considérer avec Kurylowicz (1965), selon lequel la grammaticalisation peut rendre des éléments grammaticaux encore plus grammaticaux, que l’évolution de se faire en tant qu’auxiliaire du causatif réfléchi dans se faire+Vinf a abouti, entre autres, à un auxiliaire de valeur passive. 4.4. L’analyse discursive de se faire+Vinf L’analyse des différentes corpus a montré une fréquence inégale de l’emploi de cette construction dans les différents types de corpus (Frantext, journalistiques, blogs, écrits scientifiques). Voici le tableau récapitulatif des données des différents corpus (issu du doc. 20): 147 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Corpus Nombre d’occurrences de se faire+Vinf Nombre de mots % Frantext 21 991 573 2079 0,0095% Le Monde 25 949 000 1932 0,0074% Le Figaro 26 995 000 1751 0,0065% 255 900 12 0,0047% 1 978 633 14 0,0007% Blogs Scientifique Tableau 13. Répartition de se faire+Vinf dans les différents types de corpus Comme le montre le tableau récapitulatif, se faire+Vinf est le plus fréquent dans les textes littéraires, très fréquent dans les corpus journalistiques, peu fréquent dans les blogs et quasi-inexistant dans les corpus scientifiques. Comment expliquer ces faits ? D’abord les choix discursifs de se faire+Vinf dans les textes littéraires et journalistiques pourraient s’expliquer par les restrictions syntaxico-sémantiques qui pèsent sur le passif (la construction verbale, les blocages aspectuels, les verbes modaux). La plus grande fréquence de se faire+Vinf dans les corpus littéraires et journalistiques par rapport aux autres corpus pourrait également être due au fait que le passif (et donc se faire+vinf à sens passif) est propre à l’écrit et moins fréquent à l’oral (Dubois 1967 :102). Ce fait pourrait inversement expliquer la très faible fréquence de la construction dans les blogs qui se rapprochent de la langue parlée (on y rencontre surtout des expressions lexicalisées se faire taxer de, se faire passer pour, se faire sentir). Une autre raison du grand nombre d’occurrences de la construction se faire+Vinf dans les textes littéraires ou journalistiques pourrait être le fait qu’à l’instar du passif elle permet de « maintenir l’isotopie référentielle des sujets de phrases consécutives pour substituer une progression à thème constant [... ] à la rupture thématique» (Riegel et al. 1993 : 441), comme le montre l’exemple suivant, issu des corpus journalistiques : L’attaquant bastiais Florian Maurice, qui a réussi l'exploit de se faire exclure du terrain alors qu'il s'était déjà fait expulser (Le Monde). Avant d'être nommés ambassadeurs, ou de se faire assassiner les écrivains connaissent le plus souvent l'exil. (Figaro) 148 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Par ailleurs, le fait de considérer que les registres et, en particulier, le registre soutenu, sont un paramètre important du choix de se faire+Vinf à sens passif (Kupferman 1995 : 60) à l’écrit n’est pas confirmé par les données du corpus. Elles révèlent un nombre important d’infinitifs enchâssés sous se faire appartenant aux registres familiers, populaires, voir argotiques : se faire canarder, carotter, couillonner, alpaguer, baiser, coffrer, cueillir, choper, sauter, engueuler, incompatibles avec un registre soutenu. Enfin, si le passif est assez fréquent dans les textes scientifiques, se faire+Vinf y est quasiment absent, comme d’ailleurs la construction faire+Vinf (cf. section 6). Une des raisons pourrait en être que dans les textes scientifiques, tendant à un maximum d’objectivité, le passif est une stratégie d’évitement du « je » et, plus généralement, d’un énonciateur agentif qui est propre à la construction se faire+Vinf. Ce type de textes offrent très peu de situations où le sujet énonciateur a le double rôle de patient et d’instigateur du procès, ce qui provoque un changement d’état ou bien où il est question d’actes « agréables » ou « désagréables ». 4.5 Conclusion Les tendances qui se dégagent à l’issue de cette étude multidimensionnelle révèlent que l’emploi de se faire+Vinf à valeur passive et réfléchie est conditionné par la construction verbale (verbes intransitifs, transitifs, bitransitifs), les traits aspectuels (processif vs résultatif ou accompli) et le rôle sémantique du S. Le choix discursif entre se faire+Vinf et êtreVé se fait en fonction du rôle du S (instigateur et patient vs patient) dans le procès et la façon dont celui-ci se déroule. La construction se faire+Vinf est considérée comme une forme à plusieurs valeurs, solution qui me paraît préférable à celle qui y voit deux constructions homonymes. La diachronie est aussi un argument en faveur de cette analyse. L’étude fonctionnelle sur de vastes corpus permet de mieux rendre compte des spécificités du fonctionnement de se faire+Vinf. L’analyse des paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs permet de conclure à l’existence d’un continuum entre les valeurs d’une même forme. Lorsque le locuteur a le choix entre deux ou plusieurs structures, il le fait en fonction des nuances de sens qu’elles véhiculent. L’étude de la grammaticalisation de se faire+Vinf permet de mieux appréhender son fonctionnement en synchronie. 149 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 5. Le statut de faire +VInf et se faire+Vinf dans le système de la voix en français L’analyse fonctionnelle de faire+Vinf permet également d’établir son statut dans le système des voix en français. Les grammaires de référence, la Nomenclature grammaticale (1975), certains linguistes (Kordy, 1988) lui refusent le statut de voix. Traditionnellement, on distingue la voix active /passive, les tournures (ou constructions) pronominales, impersonnelles et on y ajoute, dans le meilleur des cas, les constructions avec les auxiliaires faire, laisser, voir. Un bref éclairage terminologique des termes de voix et diathèses s’impose ici. Creissels (2006 : 6) utilise le terme de voix défini comme « tout type de changement dans les formes verbales qui présente une relation (relativement) régulière avec un changement de valence ». Les changements de valence non corrélés à des changements morphologiques du verbe ne relèvent donc pas de la voix grammaticale. Creissels distingue quatre voix en français: l’actif, le passif, le causatif, le moyen. Le causatif est défini comme une opération sur la valence verbale, lié à un changement de la forme verbale (l’ajout de faire suivi du verbe à l’infinitif), consistant à introduire dans le rôle du sujet un causateur, tandis que le causataire reçoit souvent « la même mise en forme que le sujet destitué des constructions passives » ( idem, 59-69). D’autres auteurs, comme par exemple Muller (2002 et 2005) ou Wilmet (2007) font une distinction entre les notions de voix et de diathèse. Pour Wilmet (2007), aux voix active, passive et moyenne s’ajoutent les constructions impersonnelle et factitive pour former les cinq voies en français, le terme de diathèse lui renvoyant au réarrangement du sujet (ou à la topicalisation). Muller (2005 : 14), quant à lui, propose une distinction entre le terme de voix (ou constructions) qui désigne « les facteurs syntaxiques de construction du verbe qui ordonnent […] les relations d’un actant au verbe selon une hiérarchie de type communicatif. Les voix (active, passive) considérées comme des « outils grammaticaux polyvalents » sont constitutives, suite à différents croisements, de la diathèse : active/personnelle, active /impersonnelle, passive/personnelle, passive/impersonnelle. Les diathèses sont liées aux choix communicatifs faits par le locuteur dans les limites offertes par la grammaire des constructions verbales ». 150 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Enfin, si on admet la définition de Lazard (1994 : 179) sur la voix / diathèse à savoir que la variation sur les actants (diathèse) amène une modification corrélative de la forme (morphologie) verbale (voix), et de là, des rôles sémantiques attribués au sujet et à l’objet, on pourrait accorder le statut de voix au factitif françai. Celui-ci remplit ces trois critères : + 1 actant sur le plan syntaxique, ajout de faire suivi d’un infinitif (modification de la forme verbale), modification des rôles sémantiques (ajout d’un causateur, l’agent destitué devient causataire). En ce qui concerne la construction se faire°Vinf, quatre cas de figure sont à distinguer qui relèvent de la diathèse: a) se faire +Vinf fonctionne comme un passif (les deux formes sont substituables) : Chirac se fait plébisciter / est plébiscité par les jeunes. b) se faire +Vinf peut fonctionner comme un passif pronominal. En emploi générique Les pianos se font toujours abîmer lors des déménagements, il se rapproche du se moyen d’emploi passif (Ce livre se lit bien, Les pianos s’abîment lors des déménagements). c) se faire +Vinf fonctionne aussi comme un causatif réfléchi. Dans ce cas, la construction n’est pas substituable avec un passif. Il s’agit ici de la combinaison de la diathèse causative et réfléchie (se faire couper les cheveux, se faire avorter, se faire maigrir) d) se faire +Vinf fonctionne comme un passif oblique. Lorsque le verbe de la phrase active est un verbe bitransitif, la construction se faire+Vinf permet de former un passif sur le troisième actant. Il s’agit là d’un procédé qui pallie l’absence de passif oblique en français (He was offered a book). (François, 2000, Muller, 2005, Novakova, 2009) : Kim Yong-nam venait d’attribuer une parcelle du pays à M. Yang. A1 A2 A3 M. Yang venait de se faire attribuer une parcelle du pays par Kim Yong-nam A1=A3 A2 A3=A1 Ce phénomène relève pleinement de la diathèse qui permet d’en donner une explication fonctionnelle: le S de la phrase active est destitué. Il s’ensuit un 151 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs réarrangement des actants : le c.o.i. accède à la fonction S, ce qui permet au locuteur de le thématiser. Du point de vue des rôles sémantiques, le S est bénéficiaire ou victime du procès. Avec les verbes bitransitifs, se faire+Vinf n’est plus une variante contextuelle du passif mais une forme de sens passif, appelé passif complémentaire (Bat-Zeev Shyldkrot 1999 :67), du destinataire (J. François 2000), ou oblique (Creissels 2006). Le verbe réfléchi se faire est ici un auxiliaire de diathèse passive (J. François 2000 : 160). Les questions de voix et de diathèse ont fait l’objet de nombreux travaux112. Plusieurs acceptions et analyses de ces notions y sont proposées. Dans mes travaux, elles n’ont été abordées qu’accessoirement. La comparaison systématique du fonctionnement des voix/diathèses en français et en bulgare pourrait constituer une piste fructueuse pour de futures recherches. 112 Pour ne citer qu’un exemple récent, je renvoie à la thèse de Ch. Le Bellec (2009) qui examine de manière exhaustive et approfondie la diathèse verbale : passive, réflexive, impersonnelle, causative dans trois langues romanes (français, espagnol, italien) dans le cadre de la Grammaire Fonctionnelle Discursive. 152 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 6. Le raisonnement causal Dans cette dernière partie de ce chapitre, j’aimerais faire le point sur une évolution récente du travail sur les prédicats causatifs, à travers le mémoire de M2 de M. Bak sur le raisonnement causal dans les écrits scientifiques. Le raisonnement causal joue un rôle important pour l’interprétation des écrits scientifiques. Il est le fondement de toute activité de rédaction scientifique et se manifeste à travers des moyens lexicaux ou grammaticaux, mais aussi par le fait que « les interlocuteurs partagent la connaissance d'une relation causale » qui leur permet de comprendre ce raisonnement (cf. Gross & Nazarenko, 2004). Nous avons étudié le lien entre les moyens d’expression de la cause (la causativité, dans notre terminologie) et le raisonnement de l’auteur dans différents types de textes scientifiques (mémoires, articles, thèses), issu du corpus Scientext (4 millions de mots environ). Les premiers résultats de ce travail ont été exposés dans une communication conjointe présentée à la Journée d’étude Scientext le 24 juin 2010 à Grenoble. Le raisonnement causal, avec la problématique du positionnement de l’auteur dans les écrits scientifiques, fait partie du projet ANR Scientext, piloté par F. Grossmann et A. Tutin (2006-2009) et aussi de l’opération « Discours scientifique » du Cluster 14 de la Région Rhone-Alpes. Les relations causales sont constitutives du texte scientifique. L’information causale implique les différentes étapes de la construction des connaissances. Si les relations causales sont habituellement considérées comme indépendantes de toute observation et jugement, les études récentes sur la causalité en linguistique (Jackiewicz, 1998, Nazarenko, 2000) en accord avec les études en philosophie (Hume, 1739, Kant, 1781) insistent sur le caractère subjectif de la relation causale, sur le fait qu’elle dépend du point de vue du locuteur et, par conséquent, se trouve souvent modalisée. Autrement dit, la causalité porte en elle les traces du raisonnement de l’énonciateur. Ainsi, Desclés & Jackiewicz (2006 : 40) défendent l’hypothèse que la causalité encodée dans la langue peut être vue comme une relation efficiente complexe entre situations mais aussi comme une relation subjective entre cette relation efficiente et le locuteur qui la prend en charge. 153 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Pour étudier le raisonnement causal dans les écrits scientifique, notre objectif a été de faire un classement des verbes et constructions causatives dans ce type de corpus. Notre corpus est réparti comme suit : Tableau 14. Répartition des mots dans le corpus d’écrits scientifiques Nous avons recensé quatre types de lexique verbal causatif et les avons classés selon l’échelle de Dixon (2000) : a) verbes causatifs amener, provoquer, causer ; b) causatifs morphologiques modifier, favoriser, amplifier, intensifier ; c) faire+Vinf faire varier, faire intervenir, faire correspondre ; d) constructions périphrastiques amener qn+Vinf, conduire qn + Vinf, contraindre qn + Vinf. Les résultats de cette étude sur corpus montrent : 1) une nette prédominance des verbes causatifs (2700 occurrences au total) par rapport à la construction factitive (320 occurrences) et des périphrases (370 occurrences) sur un total de 1 360 000 mots environ : 3000 2500 2000 1500 1000 500 0 Verbes causatifs Constructions périphrastiques Faire+Vinf Figure 5. Répartition du lexique verbale causatif dans le corpus 2) Nous avons formulé l’hypothèse qu’à la différence du lexique du positionnement, très présent dans l’introduction et la conclusion du texte scientifique (Tutin, 2010b : 344), le lexique verbal causatif relatif 154 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs au raisonnement (toutes catégories confondues) est largement représenté dans le développement, le corps de texte. Or, nous avons obtenu un résultat moins contrasté que notre hypothèse, à savoir que le lexique causatif est pratiquement proportionnellement réparti dans les trois parties du texte : introduction, développement, conclusion. L’explication que nous pouvons en donner à ce stade de notre recherche est la suivante : s’il apparaît que le lexique du positionnement est particulièrement marqué dans les parties textuelles peu techniques comme les introductions et les conclusions, le raisonnement causal est constitutif de l’ensemble de l’activité de rédaction scientifique. Il est donc normal de le voir réparti de façon presque égale dans les trois parties textuelles. La construction du savoir apparaît progressivement, du début à la fin du texte. En schéma : Figure 6. Répartition du lexique verbal causatif dans les trois parties des textes scientifiques (IDC) 3) Les disciplines qui se détachent en tête pour la fréquence du lexique causatif sont la psychologie et la biologie. La psychologie, science humaine, se rapproche de ce fait des sciences expérimentales comme la biologie et la médecine et s’éloigne de la linguistique. La relation cause – effet est dans ce cas fondée sur une base empirique : relations entre des événements du monde, des phénomènes naturels (disciplines phénoménologiques), confirmés par des calculs statistiques : 155 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs Figure 7. Répartition du lexique causatif par disciplines 4) La combinatoire syntaxique et lexicale des verbes causatifs, ou la sélection des différentes classes d’arguments par les verbes causatifs (Gross, 2009), ainsi que leur fréquence sont significatives de leur fonctionnement linguistique et contribue à leur classement. Par exemple, dans notre corpus, des verbes comme entraîner ou conduire à, qui sont les plus fréquents, ont un spectre argumental très riche (respectivement 357 arguments pour entraîner et 341 arguments pour conduire à, de polarité positive et négative). En revanche, les verbes prototypiques comme causer, provoquer sont moins fréquents que entraîner et conduire à, impliquer et ont respectivement un spectre argumental moins riche. L’explication en est que ces verbes sélectionnent le plus souvent des arguments ou de réactions psychologiques négatifs (provoquer, causer des dégâts, catastrophes, ralentissement, stérilité, cirrhose, asthme), peu présents dans les écrits scientifiques. 5) Ce qui ressort de cette étude est aussi le faible taux de fréquence de faire+Vinf (on trouve le même constat pour les corpus journalistiques dans Jackiewicz, 1998). Les constructions les plus fréquentes comme faire varier, faire intervenir, faire agir ou faire progresser ne relèvent 156 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs pas du raisonnement causal. On pourrait les analyser comme des effets d’une nouvelle relation de chaîne causale (Jackiewicz, 1998). En revanche des tours plus lexicalisés comme faire supposer, faire remarquer relèvent du raisonnement, mais sont très rares. De plus, le patient (causataire) dans les textes scientifiques est pratiquement toujours non-humain, ce qui restreint la variété des combinaisons entre faire et le Vinf. Comme l’indique Gross (2009 : 33), faire+Vinf représente le prototype de causatifs opérant sur une action humaine, ce qui n’est pas le cas dans les écrits scientifiques ; 6) Derrière l’apparente « neutralité » et l’objectivité du texte scientifique, il en ressort que les indices ou les traces de la prise en charge énonciative de la cause sont multiples et se trouvent dans la combinatoire syntaxique et lexicale (comme par exemple les adverbes Ceci a pour effet de causer inéluctablement des erreurs de transmission ; provoquerait théoriquement, probablement ; les adjectifs : Ceci implique un traitement profond, Une façon élégante d’accroître l’effet de..) ; les verbes modaux (peut induire/causer, permet d’accroître, devrait favoriser) etc. Plus généralement, ils apparaissent au niveau phrastique (les impersonnels modaux Il est donc théoriquement possible de faire intervenir cette information. Il semblerait que certains puissent exercer un certain effet neuroprotecteur ou tout au moins n’induisent pas les complications produite.), inter-phrastique, textuel et non pas au niveau du lexique verbal. La présence du locuteur est également palpable dans les marques de la 1ère personne comme par exemple Ceci nous a conduit à postuler ; Nous avons démontré qu’elles provoqueraient une diminution de l’activité du signal. Selon notre hypothèse, la délétion d’une base entraînerait un déficit de reconnaissance de ce sous-site, etc. Les écrits scientifiques ne sont pas donc pas neutres. Les prédicats de cause opèrent sur 6000 substantifs différents. Dans leur grande majorité, ces substantifs désignent des faits négatifs (Gross, 2009 : 340). (causer des dégâts, des malheurs, des catastrophes, susciter des rancunes, 157 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs dresser des obstacles). Ce constat, fondé sur l’observation d’un très vaste corpus, amène G. Gross à la conclusion suivante : « si les relateurs de cause ont essentiellement des compléments négatifs, c’est que les hommes ne se posent des questions que lorsqu’ils sont dans le malheur. Quand tout va bien, ils se contentent de vivre. ». Nous allons donc cesser ici de nous interroger davantage sur le lexique verbal causatif dans les textes scientifiques pour passer à la conclusion générale de ce chapitre, résumant l’ensemble des travaux consacrés à la syntaxe et à la sémantique des prédicats causatifs. 7. Conclusion Voici en conclusion les grandes lignes, les principaux résultats et apports qui peuvent être dégagés de ce volet de mes recherches : 1) Elles ont établi une typologie détaillée et raisonnée des mécanismes causatifs du bulgare comparés à ceux du français et de quelques autres langues, d’après l’échelle de compacité du typologue australien R.M.W. Dixon (2000) ; 2) Les phénomènes d’alternance décausative (AD) et de transitivation causative (TC) ont été expliqués dans la perspective du changement linguistique et de la grammaticalisation, ce qui a permis de donner un meilleur éclairage à la direction de ces dérivations : du verbe transitif causatif vers le verbe intransitif réfléchi pour l’AD et du verbe intransitif vers le verbe transitif causatif pour la TC. 3) Un parallélisme a été établi entre la grammaticalisation du réfléchi en latin et en vieux slave (autour du VIe-VIIe s.), ainsi qu’entre le processus de transitivation causative de certains verbes intransitifs en français et en anglais (autour du XVIe s.). 4) La comparaison entre la grammaticalisation de faire+Vinf et l’évolution diachronique des constructions causatives en bulgare a montré que ces processus se sont opérés dans des directions opposées, mais en trois étapes – dans les deux cas. Cette comparaison n’a pas fait l’objet d’autres travaux, à ma connaissance. 158 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs 5) L’hypothèse de l’existence d’un certain parallélisme entre acquisition et grammaticalisation de faire+Vinf, fondée sur les expérimentations menées dans le cadre de la thèse de Y. Bezinska et confirmée dans ses grandes lignes par les résultats de ces expérimentations, peut aussi être considéré comme une nouveauté. Des rapprochements entre ces processus ont été faits par des linguistes appartenants à différents courants formels ou fonctionnalistes, mais aucune étude n’a été faite, à notre connaissance, sur la construction faire+Vinf. Cet aspect de notre étude allie les approches fonctionnelles et cognitives. 6) Les résultats de ces mêmes travaux ont montré que l’évolution vers l’analytisme de la construction causative en bulgare (de l’infinitif synthétique ayant une morphologie causative vers la construction périphrastique à deux verbes ne formant pas de prédicat complexe) faciliterait leur acquisition par les enfants bulgares. 7) L’analyse fonctionnelle, c’est-à-dire la prise en compte des paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs, s’est avérée particulièrement pertinente pour appréhender de façon globale le fonctionnement des constructions faire+Vinf et se faire+Vinf. 8) L’approche contrastive a permis de nuancer ou d’affiner certains principes typologiques comme le principe d’iconicité de Givón, l’Hypothèse inaccusative de Levin & Rappaport ou la corrélation entre langues synthétiques et moyens synthétiques d’expression de la causalité et inversement, établie par Gawelko (2006). 9) Le lexique verbal causatif a été analysé dans la perspective du raisonnement causal sur un vaste corpus d’écrits scientifiques, issu de Scientext. Ces recherches ont été menées sur de vastes corpus variés, dans une perspective fonctionnelle et contrastive. A cause de leur complexité syntaxique et sémantique, ainsi qu’à leur variété, les constructions causatives constituent un objet d’étude fascinant dans un cadre inter- et intralangue. Je terminerai ce chapitre sur une citation de Comrie (1981 :158) que je partage entièrement : 159 Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs « Caustative constructions have played an important role in the recent history of linguistics not only from typological viewepoint113, and also represent an important area of convergence between linguistics and such adjacent disciplines as philosophy (the nature of causation) and cognitive anthropology (human perception and categorization of causation). Internally to linguistics, causative constructions are important because their study, even within a single language, but perhaps more cross-linguistically, involves the interaction of various components […] including semantics, syntax and morphology. Outside typology , the study of causative constructions has been crucial in, for instance, the development of generative semantics. 113 Les soulignements sont de moi. 160 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale CHAPITRE 4 Combinatoire syntaxique et lexicale des constructions verbo-nominales d’affects 161 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale 162 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale Introduction Ce chapitre a pour objectif de récapituler les grandes lignes d’une thématique récente de ma trajectoire scientifique, centrée sur l’étude de la combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des émotions. Comment en suis-je arrivée à cette problématique ? Depuis mon intégration en tant que membre permanent du LIDILEM en 2004, j’ai rejoint l’équipe Syntaxe & Sémantique de l’Axe 1 Descriptions linguistiques et TAL, dont je suis devenue co-responsable avec A. Tutin depuis 2005. Mes collègues F. Grossmann, A. Tutin, Cristelle Cavalla avaient déjà réalisé plusieurs travaux sur les expressions semi-figées d’affect (collocations dans la terminologie de la théorie SensTexte d’I. Melc’uk.) (Grossmann & Tutin, 2002, 2003, 2005). J’ai été très bien accueillie et j’ai découvert un aspect de la recherche que je ne connaissais pas avant, du fait de mon parcours un peu atypique : le travail en équipe ! Je dois dire que ce travail m’a procuré et ne cesse de me procurer beaucoup de plaisir et de satisfaction sur le plan scientifique et humain. Le lexique des émotions a donc pris une place importante dans mes travaux de recherche, en parallèle avec mes travaux sur les prédicats causatifs, démarrés au cours de mon post-doc à Lausanne. Je dois dire aussi que l’étude du lexique est loin d’être un sujet « imposé » par les circonstances, au contraire, depuis mes études à l’Université de Sofia dans les années 80, j’ai porté un intérêt particulier au lexique en construction pour avoir suivi les enseignements du regretté Krassimir Mantchev qui était mon professeur de morphosyntaxe pendant mes études universitaires en Bulgarie. Mon mémoire de maîtrise était consacré au lexique verbal (voir, regarder et leur synonymes) et aux constructions verbo-nominales exprimant la perception visuelle (porter un regard, jeter un regard, un coup d’oeil sur), étude menée sur un corpus de textes littéraires (français-bulgare). Le Colloque international sur l’enseignement et l’apprentissage le lexique en mars 2003 à Grenoble, organisé par F. Grossmann et S. Plane, a été une opportunité qui m’a permis de revenir à cette problématique. J’y ai présenté les aspects linguistiques et didactiques d’une méthode originale d’enseignement du lexique élaborée sous la direction de K. Mantchev, un travail qui a ensuite constitué un chapitre d’ouvrage (Novakova, 2004, doc 12). Je ferai d’abord la synthèse de la méthode structurologique de Mantchev (section 1.). Dans cette même section, je présenterai les résultats d’une recherche sur les 163 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale collocations du type avoir et être +nom de sentiment en français et en russe, menée dans le cadre du projet de thèse d’E. Bouchoueva que je co-encadre avec F. Grossman. Je récapitulerai ensuite les principaux apports des recherches collectives menées sur la combinatoire syntaxique et lexicale des noms d’affect (section 2.) et je présenterai enfin le projet ANR franco-allemand EMOLEX sur le lexique des émotions dans cinq langues européennes (section 3.). La série de travaux, présentés dans ce chapitre, dont le fil conducteur reste la réflexion sur le lien entre forme et sens, entre la syntaxe et la sémantique, sont fédérés par le postulat théorique et méthodologique que le fonctionnement linguistique des lexies ne peut être appréhendé qu’à travers leur environnement syntaxique et leurs associations avec d’autres éléments lexicaux, autrement dit en contexte. De nombreux linguistes (Harris, Firth) défendent l’hypothèse que le sens d’un mot peut être mis en évidence par les environnements récurrents dans lesquels il apparaît (cf. Tutin, 2010a :118). Sur le plan didactique, cette même approche, s’opposant aux fameuses « listes » de mots enseignées pendant longtemps dans les années 70 aux apprenants de langues étrangères, a fait ses preuves dans les méthodes de FLE (par ex. Cavalla & Crozier, 2005) et occupe aujourd’hui une place centrale dans l’enseignementapprentissage du lexique. Par ailleurs, les constructions verbo-nominales d’émotion qui sont au centre de ce chapitre constituent des associations entre un verbe et un nom qui sont liés à différents degrés sur le plan syntaxique et sémantique. Elles constituent le noyau prédicatif de la phrase. Mel’čuk (2003) distingue les constructions libres (donner un livre), semi-figées (collocations) (donner un cours) et figées (donner du fil à retordre). Le constituant verbal des associations semi-figées est nommé collocatif, terme qui désigne un membre dépendant « choisi en fonction du premier élément et du sens à exprimer » (Mel’čuk, 2003). Bien qu’il s’agisse le plus souvent de collocations, le terme de construction verbo-nominale est pris dans nos travaux (Melnikova & Novakova, 2010 a et b) au sens large, en tant qu’ensemble constituant le noyau prédicatif de la phrase, sans considération du degré de figement exact de la construction. 164 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale 1. Le lexique en construction Le linguiste bulgare K. Mantchev propose une approche du lexique conforme à celui de la grammaire : le sens est un procès qui se construit entre deux termes, le Sujet (S) et l’Objet (O). Le rapport S ↔O serait donc l’opérateur constructif fondamental du langage. Ses travaux, allant au-delà de la psycho-systématique de G. Guillaume et de la sémantique structurale de B. Pottier, créent une théorie sémantique solide, qui aboutit à une « structurologie », autrement dit, à une « syntaxe sémantique » du français (F. Tollis, 1991). Le procès sémantique est un rapport orienté (une visée), allant de la première à la seconde limite (du S vers l’O). Comme, parmi les mots, la classe qui véhicule principalement la notion de procès est le verbe, il faut naturellement partir de lui, pour rendre compte du procès général d’élaboration du sens. On voit bien que dans ce modèle, le verbe constitue le noyau prédicatif de l’énoncé. De ce point de vue, il se rapproche de la syntaxe structurale de Tesnière. Selon Mantchev, ce sont les verbes fondamentaux être, avoir, faire qui permettraient d’atteindre les premières articulations sémantiques du langage. Ainsi par exemple, être préexiste à pouvoir qui préexiste à faire. Cette idée que l’on trouve en germe chez Guillaume (1964 : 72), lorsqu’il étudie l’auxiliarité, mais aussi chez Tesnière (1965 : 72-73), à savoir que les verbes d’état être et avoir s’opposent à faire, trouve sa forme la plus élaborée dans les travaux de Mantchev. Ces verbes, qui véhiculent les notions sémantiques d’existence, de possession et d’action, sont considérés comme des paliers successifs dans l’élaboration du sens, c’est-à-dire de la sémantogénèse (la genèse du sens). Bien que le verbe constitue l’élément central dans les deux théories (de Mantchev et de Tesnière), il n’a pas le même statut. Une différence essentielle avec le modèle de Tesnière consiste dans le fait que le S et l’O chez Mantchev ne sont pas directement dépendants du verbe (noyau de la phrase)114 ; ils contribuent, à travers le verbe, à l’élaboration progressive du sens. Le lien est linéaire, il n’y a pas de dépendance comme chez Tesnière. Or, dans le cadre de la syntaxe de dépendance de Tesnière, le verbe a un rôle central dans la distribution des fonctions syntaxiques dans la phrase. Comme l’indique S. Meleuc (2000 : 75), « les verbes occupent une place plus centrale que les noms dans ce 114 Tesnière a été souvent critiqué pour avoir mis sur le même niveau de dépendance le sujet et les autres actants du verbe. 165 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale processus de construction du discours dans la mesure où ils sont les opérateurs d’ensembles argumentaux importants ». Dans le modèle mantchévien, la genèse du sens s’opère sur trois niveaux. Au premier, se constituent les rapports généraux entre le S et l’O, ce qui donne lieu aux idées d’existence, de possession et d’action. L’idée d’existence (Dieux existe. Cela est (existe)) suppose un rapport indivisible entre SO : (SO)→ →. Celle de possession implique l’idée d’avoir présentée comme une inversion de l’idée de être115: Ce livre est le mien ; J’ai ce livre. En schéma : (O→ →S) / S→ →O). Enfin, le sujet (agent) atteint sans entrave l’objet (aboutissement), pour donner lieu à l’idée d’action (faire) : S→ →O (Les ouvriers ont goudronné la rue). Au deuxième niveau sont constituées les propriétés objectives du S (avec les trois sous-catégories de être) : l’ idée d’existence pure (être1 ), l’idée d’attribution (être2, copule), où s’opère une séparation minimale du S et de l’O, mais l’O, au lieu de se détacher, retourne au S pour le définir : Cela est tel, et enfin l’idée de localisation (être3) où l’O devient une substance autonome qui se détache du S, mais à la différence de l’idée d’action, le S se trouve localisé dans l’O: Cela est quelque part. Au troisième niveau s’ajoute une nouvelle variable, à savoir le dynamisme du S constitutive de ses propriétés subjectives : modalité (pouvoir, vouloir, devoir), perception (sentir, entendre et voir), intellection (penser, comprendre, savoir). Transposé sur l’axe horizontal, cela donne le schéma suivant, adapté selon Mantchev (1998 :121) : EXISTENCE ETRE être1 POSSESSION être2 être3 verbes modaux AVOIR ACTION perception intellection FAIRE Aux deux extrémités sont représentées les idées de ETRE (simple affirmation de l’existence du S et qui précède ses modalités) et de FAIRE (qui fait de l’O le résultat de l’activité du S) qui sont les deux limites indépassables entre lesquelles se situe l’idée de 115 On trouve aussi cette idée chez Tesnière. 166 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale possession (AVOIR). L’idée de modalité, d’une part, et celles de perception et d’intellection, d’autre part, assurent la transition de l’existence à la possession et de la possession à l’action. Autrement dit, pour agir, il faut d’abord être, ensuite il faut pouvoir, avoir, percevoir et comprendre. Un autre aspect intéressant de la structurologie de Mantchev est que la construction (la genèse) du sens est transposable sur l’axe allant de l’intransitivité à la transitivité. Les verbes d’existence (être1, exister, naître, vivre, demeurer dormir, vieillir, mourir) sont par définition intransitifs. Les verbes attributifs (être2, devenir, sembler, paraître) reçoivent obligatoirement un complément terminant leur sens, mais de caractère spécial. Ce n’est pas un vrai complément d’objet (cf. aussi Novakova, 2003, doc. 10): il est le point d’aboutissement du verbe, le terme auquel celui-ci tend, mais au lieu de se maintenir en dehors du verbe, il retourne au sujet pour le qualifier. (Cf. Il est ingénieur. Il semble fatigué)). Les verbes locatifs qui regroupent les verbes statiques comme demeurer, rester (= être3 ), mais aussi les verbes de mouvement aller, rentrer, marcher peuvent intégrer un complément « circonstanciel » qui est essentiel au verbe, car non-effaçable (aller, se rendre à Paris), sans être un vrai complément d’objet, au sens traditionnel du terme (l’action passe, transite sur l’O, car le procès ne l’affecte pas. On peut, par ailleurs, obtenir des verbes locatifs transitifs qui sont, pour la plupart dérivés à l’aide d’une préposition locative : (Cf. monter sur → surmonter, passer devant→ dépasser ; aller à → atteindre). Ces verbes tendent naturellement à un complément extérieur. De circonstance, le complément devient un complément d’objet. C’est à partir des verbes locatifs que commence à se dessiner de façon plus nette la notion de transitivité116. Le verbe avoir et assimilés (prendre, obtenir, recevoir, trouver) pose l’existence absolue de l’objet. Ce sont des verbes transitifs irréversibles au passif (Cf. Il a un père. / *Un père est eu par lui; Il a obtenu son diplôme / *Son diplôme a été obtenu par lui ; Il a pris son billet / * Son billet a été pris par lui). Le verbe avoir conserve un caractère purement relationnel, le « substantiel » (le sens) étant assumé par le terme du procès (c'est-à-dire l’objet). Les verbes de perception (sentir, voir, entendre) et d’intellection (penser, comprendre, savoir) séparent l’objet extérieur, 116 Mantchev (1998 : 118) considère que la transitivité est un terme sémantique mais dont l’application est purement morpho-syntaxique. Sur les notions de transitivité sémantique et syntaxique, cf. aussi Desclés (1998). 167 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale du sujet. Ils se situent dans la zone de la transitivité. Enfin, se positionnent les verbes d’action (acclimater, aérer, affûter, ancrer, annexer, asphalter). Avec eux, le problème de la transitivité se trouve complètement résolu : le S (le plus souvent animé), doté d’une puissance actancielle, produit un objet (inanimé), qui est spécifié et séparé de lui. Dans la structure directement transitive, les deux limites du procès sont complètement élaborées et ne dépendant plus l’une de l’autre. Dans une recherche récente, j’ai appliqué ce modèle de transitivité scalaire (le terme n’est pas utilisé ici au sens de Hopper et Thompson, 1980117) à l’analyse de la fluctuation de la valence verbale des verbes causatifs (communication acceptée au Colloque international ComplémentationS, Saint-Jacques de Compostelle, 20-23 octobre 2010). Cette analyse s’avère pertinente pour rendre compte des phénomènes de transitivité causative et d’alternance décausative. Les verbes de mouvement et de changement d’état qui peuvent, à l’occasion, intégrer un objet et, de ce fait, acquièrent un sens causatif (TC), se situent à mi-chemin sur l’axe allant de l’intransitivité à la transitivité. Inversement, ces mêmes types de verbes, de construction transitive, perdent leur sens causatif, suite à la réflexivisation (AD) -/+ intransitif v. existence v. agentifs +/- transitif transitif v. mouvement v. changement v. mouvemt v. changement exister rire bouger casser promener (se) décomposer (se) naître pleurer sortir exploser lever (se) détériorer (se) - causativité -/+ causativité +/- causativité Selon la théorie de Mantchev, le sens a sa propre syntaxe, c’est-à-dire que le sens fondamental du verbe est de nature syntaxique. La langue se présente comme une ordination de positions, comme une syntaxe sémantique. A la différence de la théorie guillaumienne, cantonnée à l’étude de la langue et, en elle, « à la seule analyse de la forme grammaticale du mot », Mantchev propose une approche du lexique hiérarchisée, 117 Hopper et Thompson (1980) distinguent la high vs low transitivity selon 9 paramètres parmi lesquels le nombre de participants, l’aspect, le mode, le degré d’agentivité, le degré d’affectation de l’objet, etc. 168 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale qui va au-delà du mot pour se hisser au niveau syntagmatique, ensuite à celui de la phrase et, de ce qu’il appelle la transphrase ou le texte118. Les travaux de Mantchev ne sont pas méconnus en France. Ayant paru surtout en Bulgarie, ils n’ont cependant pas reçu l’écho qu’ils méritaient, à cause du fait qu’ils sont difficiles à consulter. Toutefois, F. Tollis (1991) consacre à Mantchev un chapitre de son ouvrage. Dans l’article panoramique de J.-Ph. Saint-Gérand (1999, p. 38) qui dresse le bilan de la sémantique du XXe s en France, les travaux de Mantchev sont également mentionnés comme un exemple de sémiologie clairement hiérarchisée. L’originalité du modèle de K. Mantchev consiste dans le fait qu’il a été mis en application dans un outil pédagogique, le Cours systématique de langue française (Partie constructive), réalisé par les membres de son équipe119 et qui constitue le cœur de l’enseignement universitaire du lexique du FLE en Bulgarie Ce Cours est dispensé aux étudiants en philologie française à la Faculté des Lettres de l’Université de Sofia. Il s’agit d’un public d’étudiants d’un niveau avancé et ce, dès la première année universitaire. Ils sont, pour la plupart, issus de lycées où le français fait objet d’un enseignement intensif. Le Cours propose une systématisation onomasiologique de la matière lexicale autour de sept grandes notions (ou idées) : lieu, mouvement, qualité, quantité, possession, intellection, perception. Il est, en fait, rare de voir une théorie mise en pratique de façon aussi détaillée et élaborée. C’est un de ses avantages incontestables. Ainsi l’enseignement du lexique prend plus de consistance. Son originalité consiste dans le classement du lexique, d’abord en fonction du sémantisme des verbes fondamentaux (être, avoir, faire) et, ensuite, en fonction du cheminement constructif des verbe sur l’axe intransitivité → transitivité. Le Cours assure une véritable progression lexicale qui se fait selon des critères syntaxiques et sémantiques précis. Un deuxième point fort c’est la richesse de l’illustration, grâce aux multiples unités lexicales proposées (verbes, pour l’idée de mouvement, par exemple, marcher, circuler, évoluer ; expressions verbo-nominales : se mettre en marche, faire un pas vers), noms (mouvement, marche, démarrage), 118 On trouve une conception semblable à date plus récente dans Riegel (2002, p. 24) : « Le fait proprement syntaxique qu’un verbe régisse tel nombre de compléments ou tel type de complémentation est fondamental, déterminé par son sémantisme. […] A tous les niveaux de l’architecture de la phrase, les configuration syntaxiques sont les vecteurs de relations sémantiques très générales (prédication, détermination, quantification) spécifiées par l’investissement lexical de leurs positions argumentales». 119 R. Kaménova, A. Mantchéva, E. Bechkova. 169 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale constructions adverbiales : à reculons, au pas, au galop. On ne peut être indifférent face à l’énorme travail de recensement du corpus d’exemples et ce, à une époque où les bases de données informatisées n’existaient pas et tout était fiché manuellement. Un autre avantage c’est la qualité des exercices qui permettent de mettre en valeur les particularités constructives des notions étudiées et qui aboutissent à des modèles de traductions. Ces modèles facilitent le travail individuel de traduction des étudiants. La méthode créée il y a 30 ans environ a également ses points faibles. Dans certains chapitres, les principes constructifs cèdent la place à des listes trop exhaustives de mots, classés selon des critères sémantiques qui manquent parfois d’homogénéité (par exemple, dans la phase terminale de idée de mouvement (2002 : 110-111), à côté de quitter les lieux, prendre la porte sont rangées des expressions comme prendre le chemin (la route), se frayer chemin, continuer sa marche, suivre son chemin, tenir la route qui devraient être classées, respectivement dans les phases initiale et médiane). L’abondance de la matière lexicale peut décourager les étudiants qui parfois s’y sentent un peu perdus. Les apprenants trouvent le manuel et les concepts difficiles. Le plus grand inconvénient, à mon avis, c’est que les inventaires d’unités lexicales sont illustrés par des textes et des exemples presque exclusivement littéraires , certes d’auteurs du XXème s., mais cette grosse entreprise gagnerait beaucoup si elle arrivait à diversifier les exemples : langue orale, presse, médias. Le fait que la dernière édition n’ait pas évolué dans ce sens me paraît fort regrettable. Il y a bien sûr des raisons objectives à cela (manque de moyens pour remanier le tout, disparition de certains des auteurs, le départ à la retraite d’autres). Pour remédier à cette relative lourdeur du manuel, les enseignants qui sont actuellement chargés de ce cours procèdent de manière sélective, en choisissant certains tableaux et exercices du manuel et en les faisant alterner avec des exemples de textes de différents genres, plus proche de l’oralité : presse, publicité, etc. Malgré ces inconvénients, cette méthode n’a pas cessé de faire ses preuves. En témoigne le niveau assez élevé de formation des étudiants bulgares dans le domaine du lexique. J’ai pu encore le constater lors de mon séjour dans le cadre de l’échange d’enseignants (volet Teaching Staff) du programme Erasmus en mai 2010. La méthode repose sur une approche linguistique solide du lexique, associant le vocabulaire et la syntaxe. Une approche que l’on retrouve sous des formes différentes dans d’autres modèles, comme celui de M. Gross et son concept de lexique-grammaire, ou dans la 170 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale théorie Sens-Texte d’I. Mel’čuk. Les collocations, qui regroupent aussi des expressions verbo-nominales, fournissent un accès indispensable à la langue étrangère, d’autant plus qu’elles diffèrent d’une langue à l’autre, ce qui pose inévitablement des problèmes aux apprenants. Ou comme l’indiquent J-P Cuq et d’I. Gruca (2002 : 364) il est nécessaire de « faire du lexique le pivot d’acquisition autour duquel s’organise la syntaxe et plus tard la morpho-syntaxe ». Dans la prolongation de cette réflexion sur le fonctionnement et l’enseignement systématique du lexique se situe un travail collectif (Novakova & Bouchoueva, 2008, doc 17) sur les aspects linguistiques et didactiques des collocations du type avoir ou être+Nom de sentiment (N_sent) en français et en russe. Ce travail constitue une modeste contribution à l’application des descriptions linguistiques en didactique. On déplore souvent, à juste titre, le manque de lien entre la recherche universitaire et sa mise en application didactique120. Comme le remarque très justement D. Leeman (2000 : 48) « [p]ar la différence formelle qu’elle institue, la langue témoigne d’une différence sémantique dont elle ne donne hélas pas la clé immédiate : c’est au linguiste d’opérer ce travail de construction du signifié à partir d’un raisonnement sur les formes, et tant que cette tâche n’est pas menée du côté scientifique, il n’y a évidemment rien à transposer sur le plan didactique. ». L’étude linguistique comparée montre que les N_sent en russe sélectionnent souvent des verbes comme éprouver et ressentir (ispitovat’ strax, žalost (éprouver de la peur, de la pitié), là où le français préfère le verbe avoir (peur, pitié). L’étude quantitative que nous avons effectuée sur Frantext (1950-2000, 980 textes) montrent que avoir peur est beaucoup plus fréquent (4033 cas, 99,46%) qu’éprouver de la peur (22 cas ou 0,54%)121. En russe, ces collocations (au sens de Mel’čuk, 2003) font plutôt figure d’exception : imet’ nadeždu (avoir de l’espoir), imet’ strax, žalost (avoir peur, pitié) . Parmi les équivalents les plus fréquents des associations semi-figées du type avoir+N sent en russe, il y a aussi les constructions impersonnelles (mne strašno = à moi peureux) et aussi les verbes de sentiment (On ispugalsja (passe perf). Il a eu peur 120 Cf. à ce sujet LIDIL No 21/ 2000. 121 Les pourcentages sont pratiquement identiques pour avoir pitié et éprouver de la pitié. 171 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale vs On bojalsja (passé imperf). Il avait peur). Ce résultat a une incidence directe sur le plan didactique. Les constructions semi-figées constituent un domaine du lexique difficile à maîtriser par les apprenants non-natifs. Comme l’indiquent F. Grossmann et A. Tutin (2003 : 9/10) : « Dans l’enseignement des langues (maternelles et secondes) les collocations doivent encore trouver leur place […]. S’il s’avère qu’une sensibilisation aux problèmes posés par les collocations peut être utile, on peut se demander comment l’intégrer à l’enseignement d’une langue ». Dans notre travail (doc. 17), nous avons soutenu l’idée que même si la conceptualisation contrastive122 des collocations, qui implique une réflexion métalinguistique sur les différences et les correspondances entre les moyens d’expression de la langue étrangère et ceux de la langue maternelle, concerne surtout les apprenants d’un niveau avancé, certaines d’entre elles doivent trouver leur place dès le niveau débutant dans le cadre d’une sensibilisation langagière (« language awareness »). Ceci est particulièrement valable pour le cas des combinaisons avec avoir et être (avoir faim, avoir soif, être en colère) qui font partie de vocabulaire de base, contrairement aux collocations de type peur bleue, fort comme un turc, qui peuvent faire l’objet d’un enseignement plus avancé. S. Verlinde et T. Selva (2001 : 47) considèrent à juste titre qu’ « [i]l serait faux de croire qu’il faut commencer par présenter des mots isolés pour passer ensuite aux combinaisons des mots. Certaines collocations et expressions très courantes méritent au contraire d’être introduites dès le début ». C’est dans ce domaine que l’analyse linguistique contrastive peut trouver toute sa place. 122 Cf. à ce sujet R. Porquier & R. Vivès (1993). 172 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale 2. La combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des émotions L’étude du lexique doit se faire donc en tenant compte de ses associations avec d’autres éléments du contexte linguistique. Dans cette section, je ferai le point sur les travaux concernant la combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des émotions (pour la définition du terme, cf. 2.1.), réalisés en équipe avec mes collègues F. Grossmann, A. Tutin et C. Cavalla. Nous avons proposé une typologie des noms d’affect à partir de leurs propriétés combinatoires (Tutin, Novakova, Grossman, Cavalla, 2006, doc. 15). Toujours dans cette même lignée, un Colloque international que j’ai co-organisé avec A. Tutin a eu lieu à Grenoble les 26 et 27 avril 2007. Un ouvrage, intitulé Le lexique des émotions, est paru en 2009 aux Ellug (I. Novakova &A. Tutin (éd.), doc. 22), regroupant les meilleures contributions de ce Colloque, ainsi qu’une série d’autres articles, abordant tous de manière originale et novatrice des aspects théoriques essentiels comme la construction du sens par la combinatoire ou des aspects appliqués à savoir l’enseignement structuré de la phraséologie en FLE, la classification des unités lexicales en Traitement Automatique du Langage (TAL) ou la lexicographie. Les approches théoriques qui sous-tendent cet ouvrage, d’inspiration structurale ou cognitive, accordent une place essentielle à la combinatoire linguistique, et ce, dans une perspective de comparaison des langues (français, espagnol, russe, polonais, grec). Enfin, la détermination des noms d’émotions que nous avons étudiée de manière systématique (Novakova & Tutin, 2009, doc. 23) s’est avérée aussi un paramètre important, à prendre en compte dans leur classification. Une précision terminologique s’impose ici au sujet des termes d’affect, de sentiment et d’émotion. D’un point de vue linguistique, la distinction entre ces termes est importante et nécessaire dans un travail classificatoire du lexique concerné. Dans nos travaux, le terme d’affect est utilisé comme classifieur générique123. Les termes de sentiment et d’émotion, quant à eux, correspondent à des classes de noms d’affect qui ont des propriétés syntaxiques et sémantiques différentes. (cf. 2.2.) 123 Idem chez Flaux et van de Velde (2000). Anscombre (1995), quant à lui, préfère le terme de noms psychologiques. 173 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale 2.1. La combinatoire syntaxique et lexicale : définition Notre définition de la combinatoire est plus large que celle donnée par d’autres auteurs comme par exemple Mel’čuk, Clas & Polguère (1995). Pour eux, la combinatoire syntaxique (ou grammaticale) renvoie à la structure actancielle des mots, alors que la combinatoire lexicale intègre les cooccurrences lexicales privilégiées (ou collocations), ainsi que les relations lexicales paradigmatiques. La notion de combinatoire intervient aussi dans la notion de « profil combinatoire » du mot ou le « schéma des cooccurrences spécifiques » (Blumenthal, 2007a et b), défini comme « l’ensemble de ses accompagnateurs stéréotypés, porteurs d’associations typiques. ». Dans ce modèle, les mots pleins qui apparaissent fréquemment en cooccurrence avec le terme clé sont pris en compte, sans qu’ils entretiennent spécifiquement une relation syntaxique. Dans notre définition (Novakova & Tutin 2009 : 8), la combinatoire lexicale intègre les associations lexicales qui entretiennent une relation syntaxique et sémantique avec le terme clé (p.ex. une panique générale, semer la panique, aimer passionnément, par amour, de peur). La combinatoire syntaxique, quant à elle, renvoie aux structures actantielles des N_sent, mais aussi à leur association avec les déterminants qui sont révélateurs du sémantisme de ces noms. L’étude de la combinatoire permet de construire l’identité sémantique des unités linguistiques à partir de l’observation de leurs propriétés formelles ; dans une optique typologique, elle exploite les faisceaux de propriétés combinatoires pour structurer les champs sémantiques. 2.2. Typologie des N_affect La principale thèse soutenue dans notre travail classificatoire des noms d’affect (Tutin, Novakova, Cavalla, Grossmann, 2006, Novakova & Tutin, 2009) est la suivante : leurs collocatifs verbaux, nominaux, adjectivaux, ainsi que leur détermination fournissent une base empirique solide pour décrire leurs propriétés syntaxicosémantiques. L’étude de la combinatoire des mots est avant tout une méthode qui permet « de mettre au jour le sens des mots en fondant l’analyse sur des observables » 174 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale (Tutin, 2010a : 121) et de proposer une structuration fine des N_affect. Notre démarche est essentiellement corpus-based (basée sur corpus) (Tognini-Bonelli, 2001), plutôt que corpus-driven (induite par le corpus). Je décrirai brièvement ici notre méthodologie de travail. Nous avons d’abord établi une liste des 2000 mots les plus fréquents à partir du corpus Frantext (30 millions de mots), puis sélectionné à l’aide des critères définitoires (combinaison avec des verbes comme avoir, éprouver, ressentir, la présence d’un actant expérienceur (la joie de Marie), d’un actant de type ‘objet’ (le mépris pour les faibles) ou ‘cause (la peur du noir), les N_affect les plus fréquents et en avons retenu 40 noms124. Dans un deuxième temps, à l’aide du TLFi, nous les avons désambiguïsés en ne retenant que les acceptions pertinentes (par ex. pour horreur, nous avons distingué deux N_affect différents : horreur-peur, et horreur-dégoût). Nous les avons ensuite soumis à une analyse linguistique minutieuse, fondée sur un faisceau de traits syntaxiques et sémantiques dont les plus pertinents se sont avérés les suivants : - les structures actancielles : l’amour de X pour Y ; l’admiration de X envers Y pour son courage (Z) , prototypiques des noms de sentiments interpersonnels ou intrepersonnels causés ; la crainte de X devant Y (le directeur), la crainte +Vinf (de le réveiller) ; la crainte+que P (qu’il parte), prototypiques des émotions ou la solitude de X, prototypique des états affectifs ; - l’aspect : les phases aspectuelles: inchoative, cursive, terminative : se mettre en colère, rester en admiration devant, surmonter sa peur) ; les traits ponctuel (exploser de colère) vs duratif (vivre dans le bonheur) ; - la causativité (provoquer la surprise, inspirer la haine, provoquer la peur) , - les manifestations de l’affect (expression du visage : rougir de colère, physiques : trembler de peu, sauter de joie, s’évanouir de terreur) ; - le contrôle de l’affect (cacher, contenir sa joie, surmonter son chagrin) ; - la verbalisation (dire sa peine, hurler sa joie, rugissement de colère). 124 Admiration, affection, amitié, amour, angoisse, bonheur, colère, crainte, dégoût, désespoir, douleur, ennui, enthousiasme, estime, étonnement, excitation, fierté, gêne, haine, honte, horreur (peur), horreur (dégoût), inquiétude, joie, méfiance, mépris, orgueil, panique, passion, peine, peur, pitié, plaisir, respect, satisfaction, solitude, souffrance, surprise, tendresse, terreur, tristesse. 175 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale Suite à l’examen de ces traits, nous avons abouti à un classement des N_affect, composé de six sous-classes : C1 ‘noms d’affect interpersonnels’ {amitié, affection, amour, tendresse, haine} regroupe les noms comportant deux actants ; le second actant est un objet sémantique toujours sous-jacent (mais parfois non réalisé syntaxiquement) qui est préférentiellement humain125. Les noms sont durables et ne se « contrôlent » pas. C2 ‘noms d’affect interpersonnels causés’ {respect, mépris, estime, méfiance, admiration, pitié} se distingue de C1 par le fait qu’elle regroupe des noms qui ont en plus de la structure précédente un actant supplémentaire (au moins sous-jacent), qui a un rôle sémantique de cause. Ces N_affect ont généralement une dimension sociale, normative. Ils sont durables et ne sont pas accompagnés de verbes indiquant le contrôle. Les collocatifs verbaux ne marquent pas les manifestations physiques subies ni l’expressivité (comme hurler). On les rencontre, en revanche, avec des verbes de communication comme exprimer, communiquer son N_affect. C3 ‘noms d’affect ponctuels réactifs’ {surprise, peur, angoisse, joie, excitation, horreur (peur), désespoir, enthousiasme, souffrance, panique, et terreur} regroupe des noms possédant un deuxième actant, qui a un rôle sémantique de cause. Ils sont plutôt ponctuels, comportent des verbes de manifestations subies et s’associent à des verbes expressifs. C4 ‘noms d’affect interpersonnels réactifs’ {colère, honte, dégoût, horreur (dégoût), gêne, inquiétude} intègre des noms qui ont un actant au rôle sémantique de cause, mais aussi, souvent de façon sous-jacente, un objet humain. Ce ne sont pas de purs affects : ils ont également une dimension évaluative et morale. Ils peuvent être ponctuels et comportent des verbes de contrôle, de manifestations physiques subies et de verbalisation expressive. C5 ‘noms d’affect duratifs non contrôlés’ {ennui, bonheur, solitude, plaisir, orgueil, satisfaction, tristesse}. Leur deuxième actant, la cause, est facultatif. Ils sont durables et n’ont pas de contrôle. 125 Les emplois avec 2ème actant [- humain] sont statistiquement moins fréquents pour être pris en considération dans cette classe. 176 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale C6 ‘noms d’affect duratifs contrôlés’ {peine, crainte, angoisse, désespoir, douleur, fierté, horreur (peur), joie, peur} comporte des noms ayant la même structure actancielle qu’en C3, mais pouvant être duratifs, et souvent accompagnés de verbes de contrôle. Ces N_affect sont par ailleurs souvent intenses. Cette typologie en six sous-classes a permis de mieux structurer le lexique des émotions. Elle est plus exhaustive que celle d’Anscombres (1995, 1996) qui distingue les noms exogènes et les noms endogènes ou celle proposée par Flaux et Van de Velde (2000) qui distinguent sentiments et émotions, mais excluent les noms affectifs d’état de la classes des affects, ou celle encore de Buvet et al. (2005) qui distinguent trois hyperclasses : <émotion> (colère, enthousiasme), <sentiments> (amour, jalousie)., <humeur> (morosité). Dans un travail ultérieur (Novakova & Tutin, 2009, doc. 23), consacré à la détermination des N_affect, nous avons observé la façon dont ce paramètre syntaxique permet d’en affiner la typologie. Notre hypothèse selon laquelle les propriétés aspectuelles et la structure actancielle permettent de prédire la détermination s’est trouvée en grande partie validée par nos observations. Nous sommes arrivées à la conclusion que la classe des noms d’affect n’est pas homogène concernant la détermination : contrairement à ce qui est souvent affirmé dans la littérature, les noms d’affect ne sont pas uniquement précédés de la détermination massive (par le déterminant partitif comme dans éprouver de la joie, de la peine). De nombreux noms d’affect apparaissent aussi dans des distributions de noms comptables (Un N, Det_plur N): il éprouvait une crainte, une appréhension ; susciter des affections ; attiser/nourrir des haines. A partir des propriétés distributionnelles des déterminants étudiés, trois classes de N_affect se sont dégagées: Classe 1 : Les N_affect massifs Cette classe englobe deux sous-classes de N_affect qu’on peut considérer comme essentiellement massifs : A. Des noms comme admiration, affection, amitié, amour, haine, estime, fierté, 177 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale mépris, méfiance, respect, pitié qui acceptent le partitif et se combinent difficilement avec les indéfinis singuliers (sans modifieurs) et les pluriels126. Ces noms se « multiplient » très peu. Ils sont bi-actanciels (amour, amitié, affection) ou tri-actanciels (admiration, respect méfiance, estime). Le deuxième actant est l’objet du sentiment (l’amour de X pour Y). Le troisième actant est interprété comme la cause du sentiment (le respect de X envers Y pour son courage). B. Des noms comme ennui et solitude qui sont duratifs. Ils n’ont pas de 2e actant. Dans notre corpus, ils n’acceptent la détermination comptable (un/des) que lorsqu’ils sont accompagnés d’un modifieur (un ennui mortel). En limitant l’extension du nom, le modifieur (une tristesse vague, une inquiétude grandissante)) rend le nom « dosable ». Selon Wilmet (1989 : 101) : « [s]ans doute l’adjectif contribue-t-il à quantifier le substantif, à fixer l’extension rendant du coup inutile et même disconvenant l’article partitif. Le nom abstrait apparaît comme fondamentalement dosable ». Classe 2 : Les N_affect comptables Appartiennent à cette classe des N_affect comme angoisse, colère, crainte, désespoir, étonnement, peur, terreur, panique, surprise qui acceptent difficilement le partitif. Ils sont généralement accompagnés de l’indéfini singulier et du pluriel (Même ses colères deviennent abstraites. Sa santé m’inspire des craintes assez graves). Ils sont extensifs, ont un 2ème actant cause (rarement instancié) et renvoient à des événements. Classe 3 : Les N_affect comptables et massifs Cette importante classe regroupe des N_affect qui acceptent à la fois une détermination comptable et une détermination massive (bonheur, dégoût, douleur, enthousiasme, gêne, honte, inquiétude, joie, passion, peine, plaisir, satisfaction, souffrance, tendresse, tristesse). Ces noms apparaissent dans les deux distributions sans contrainte particulières. La plupart des N_affect de cette classe (inquiétude, plaisir, joie) peuvent être ponctuels, lorsqu’ils apparaissent avec l’indéfini ou le pluriel ou duratifs, lorsqu’ils sont précédés du partitif, comme le montre le contraste dans Une inquiétude lui traversa pourtant l' esprit (ponctuel) vs Il y avait de l'inquiétude dans son regard (duratif), d'habitude si confiant. Cette classe montre la grande souplesse et variabilité de 126 Nous avons exclu les contextes où des noms comme amitié, amour au singulier ou au pluriel ne renvoient pas à un affect mais à une relation (par ex. Mon premier amour était brun). 178 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale ces noms par rapport à la détermination. Pour résumer, trois grandes tendances se dégagent. Les N_affect interpersonnels (sentiments), comme amitié, respect (duratifs), sont en grande partie non-comptables. Les N_affect qui renvoient à des émotions ponctuelles comme colère ou panique sont fondamentalement comptables. Enfin, il existe des N_affect comme plaisir ou joie, qui peuvent être ponctuels ou duratifs. On les trouve dans des distributions massives (avec le partitif) ou comptables (avec un ou un déterminant au pluriel). Le lien entre des phénomènes morphosyntaxiques (comme la sélection du déterminant) et la typologique sémantique des noms est également souligné par Blumenthal (2010)127. 2.3. Le rôle de la combinatoire pour l’identification de l’aspect des noms d’affect Dans deux autres publications collectives (doc 25, 26), réalisées dans le cadre du travail de thèse d’E. Melnikova, que je co-dirige avec F. Grossmann, la problématique de la combinatoire est abordée sous un angle différent : nous étudions son rôle pour l’identification des traits aspectuels des noms d’affect et ce, en comparant le français et le russe. La combinatoire syntaxique et lexicale des N_sent est révélatrice de leurs traits aspectuels. Nous y montrons que, l’aspect étudié traditionnellement comme une catégorie essentiellement verbale, peut aussi affecter la classe nominale (cf. le chapitre 2, section 6) et, en particulier, les noms de sentiments. Nous travaillons sur les traits aspectuels ponctuel et duratif, ce qui correspond bien à ce que dit J. Daniel dans un dossier spécial consacré au bonheur (Nouvel Obs, No 2303-2304, 2009): Le bonheur, c’est la durée. La joie c’est l’instant. Notre principale hypothèse est que les noms de sentiments se combinent avec les verbes et les autres éléments contextuels en fonction de leurs propriétés aspectuelles. 127 L’auteur souligne que certains noms qui renvoient à des propriétés inaliénables sélectionnent souvent le déterminant possessif (son amour-propre) ; d’autres noms qui réfèrent à des affects plus « vagues » sélectionnent l’indéfini (une mélancolie), d’autres encore impliquent le principe de la détermination (des données connues et bien définies) comme dans l’euphorie de la Libération. Notre étude sur la détermination des N_affect, menée dans une perspective différente bien que toujours typologique, relie les propriétés aspectuelles et les structures actancielles des N_affect à leur détermination. 179 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale L’aspectualité est une des propriétés de la prédicativité des noms, parmi d’autres comme la temporalité, la modalité, les structures argumentales. Les noms d'action, de processus, d'état ou de sentiment, étant généralement issus de verbes, sont capables de produire des effets aspectuels comparables à ceux des verbes (Vivès, 1993). L’aspectualité dans les constructions verbo-nominales (CVN) en russe a été surtout étudiée à partir des noms déverbaux qui « héritent » des valeurs aspectuelles des verbes desquels ils sont dérivés (Kossakovskaja, 2002). Il s’agit surtout de travaux sur les noms d’action d’aspect perfectif comme padenie (chute), pryžok (saut), opozdanie (retard) ou d’aspect imperfectif comme padanie (procès de tomber), pryganie (procès de sauter), opazdyvanie – le procès de venir en retard). Si des N_sent comme amour, admiration, crainte, panique peuvent “hériter” des traits aspectuels des verbes dont ils sont dérivés (le sens du verbe est intégré dans le noyau prédicatif, Ibrahim 2004 : 53), d’autres comme colère, joie, bonheur ne sont pas déverbaux et ont des traits aspectuels qui sont révélés à travers leurs associations avec d’autres éléments de leur environnement, et ce dans les deux langues. L’étude de leur combinatoire est d’autant plus justifiée (Cf. Melnikova, 2010, Novakova & Melnikova, 2010). Pour identifier l’aspect des noms de sentiments à l’intérieur des constructions verbo-nominales, nous avons retenu six paramètres que nous avons appliqués aux deux langues étudiées. Pour les verbes, il s’agit de l’aspect lexical, des temps verbaux et des phases aspectuelles du procès, et pour le N_sent – les classifieurs aspectuels (N1 de N2 accès de joie, de colère), les modifieurs adjectivaux (peur momentanée) et les déterminants. 2.3.1. L’aspect lexical du verbe dans la construction verbo-nominale de sentiment (CVN_sent) Dans les CVN de sentiment, le verbe est généralement considéré comme support, celui qui sert à « conjuguer » les éléments nominaux, ce sont des actualisateurs qui inscrivent ces derniers dans le temps : présent, passé, futur. Ils véhiculent aussi d’autres informations sur la nature interne de l’événement (G. Gross , 1996 : 61). Je 180 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale n’aborderai pas ici les multiples aspects théoriques, liés à la notion de verbe support128 (Vsup), que l’on doit à Harris et en France, aux travaux de M. Gross qui ont permis de dégager et de décrire des structures comme Paul admire Léan, Paul a (éprouve) de l’admiration pour Léa ; Paul est admiratif envers Léa. Je ne mentionnerai que quelques points qui me paraissent importants dans le cadre de nos recherches contrastives (français-russe) sur l’aspectualité des noms de sentiments. Les Vsup comme avoir de l’admiration pour qn, être en colère, faire peur (de même que donner, mettre, perdre, prendre) sont considérés comme des verbes supports « purs , sémantiquement « vides » (M.Gross, 1981 : 37) qui se rapprochent des verbes non-prédicatifs (copules, auxiliaires, semi-auxiliaires). M. Gross (1981, 1998 ) y ajoute les verbes supports stylistiquement enrichis, comme par exemple exploser de colère. Ainsi, le Vsup peut exprimer les phases aspectuelles (G. Gross 1996) : tomber en colère, entrer en fureur ou des aspects plus spécifiques de l’expression des sentiments : vivre dans le désespoir ou nager dans le bonheur. Certains linguistes129 proposent d’y inclure aussi les verbes événementiels. Du fait que les Vsup ont des variantes aspectuelles, « le lexème verbal peut lui aussi jouer un rôle sémantique » (Gaatone, 2004 : 240-242), notamment dans l’expression de l’aspect, du déroulement de l’action (ponctuel, duratif) . Par exemple : Il est arrivé un malheur / (Vsup événementiel, ponctuel, Npréd processif) *Il est arrivé un bonheur / (Vsup événementiel, ponctuel, Npréd statif). Or, le danger dans cette acception assez large de la notion de support qui fait que leur liste ne cesse de croître (cf. chapitre 1, section 4) est qu’en définitive on risque de ne pas trop savoir très bien identifier ce qu’est un verbe support et ce qui ne l’est pas. Le danger est que soient étiquetés verbes supports des verbes qui ne répondent pas aux tests syntaxiques établis par M. Gross pour leur identification. Face à ce phénomène qui prend de l’ampleur, nous préférons ne pas utiliser le terme de verbe support, qui est assujetti à un certains nombre de propriétés syntaxiques et sémantique restreintes, et nous centrer sur les affinités entre les traits aspectuels des N_sent et les propriétés aspectuelles des verbes avec lesquels ils se combinent dans le cadre de la construction verbo-nominale de sentiment (CVN_sent): vivre dans le bonheur (duratif) – exploser de colère (ponctuel)), par exemple Je contemplais (atélique) ce bonheur, cette beauté avec 128 Cette question a été abordée sous l’angle de la notion de prédicat nominal dans le chapitre 1, section 4. 129 Cf. Gaatone (2004 : 245). 181 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale amertume (Hugo) vs Sa peur s’ajoutant à son extrême fatigue, une colère soudaine envahit (télique) Robinson (Tournier). 2.3.2. Les temps verbaux en français et les aspects verbaux en russe L’aspectualité dans les CVN s’exprime aussi à travers les temps verbaux. L’imparfait correspond souvent au passé imperfectif en russe : Et puis, en vérité, il avait peur !... (G.Leroux) Da, on i v samom dele bojalsja (passé imperf). Le passé composé a fréquemment comme équivalent le passé perfectif en russe : Madame a eu peur, naturellement, et elle a crié… (G.Leroux) Gospoža, ponjatnoje delo, ispugalas’ (passé perf) i zakričala (passé perf). En russe, les temps verbaux ne jouent pas de rôle distinctif dans la détermination des aspects, mais c’est la morphologie verbale qui indique l’aspect perfectif ou imperfectif du verbe. L’aspect est codé morphologiquement sur le verbe, ce qui permet de mieux appréhender l’aspectualité dans les CVN_sent en français : Neožidanno bystroje ispolnenije moix tajnyx želanij menja i obradovalo (perf) i ispugalo (perf) (Tourgueneff) La réalisation soudaine de mon désir voilé me remplit de joie et d’appréhension. Les verbes perfectifs obradovat’ (préfixe ob-) i ispugalo (préfixe is-) sont rendus en français par remplir de joie et d’appréhension; remplir est télique et apparaît ici au passé simple ; il véhicule donc des traits aspectuels ponctuels. En revanche, l’imperfectif au passé radovalis’ dans l’exemple suivant est rendu en français par ils se réjouissaient, verbe atélique employé à l’imparfait qui exprime l’aspect duratif : Na drugoj den’, na tretij opjat’ točno takže vse radovalis’ pri vstreče s nim. (Tolstoï) On ne se réjouissait pas moins de le revoir encore le lendemain et le surlendemain. 182 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale Si l’on compare les CVN dans les énoncés : Une colère sèche m'envahissait peu à peu (B. Vian) et Une colère soudaine envahit Robinson (M. Tournier), le verbe envahir est télique mais possède une valeur d’inaccompli dans le premier cas (la colère envahit le personnage progressivement, peu à peu,) et une valeur globale d’événement (envahit au passé simple) dans le second, renforcée par l’adjectif ponctuel soudaine. Le rôle de l’environnement sémantique et syntaxique du verbe est également très important pour spécifier l’aspect (Novakova, 2001 : 221). 2.3.3. L’expression des phases dans les CVN_sent en français et en russe Les N_sent ponctuels entrent facilement en combinaisons avec des verbes exprimant le début et de la fin du procès (respectivement ses phases inchoative et terminative) : se mettre en colère (prixodit’ v jarost’), la colère tombe (gnev spadajet) ; tandis que les N_sent duratifs ont une affinité pour la phase cursive (être en admiration, byt’ v vosxiščenii): • Aspect ponctuel+ phase initiale La belle Normande entra dans une colère terrible (E. Zola), Pjotr Stepanovič vošel v črezmernyj gnev (F. Dostoïevski) Pierre Stépanovitch entra dans une grande colère (explosa en colère). • Aspect ponctuel + phase terminale Il cessa d’avoir peur de l’orage Elle surmonta sa peur. Ona poborola (passé perf) svoj strax. Les N_sent duratifs, quant à eux, expriment préférentiellement la phase cursive du sentiment, et ce dans les deux langues: Aspect duratif + phase cursive Tu répands en nous un bonheur infiniment simple. (Saint-Exupéry), On prodolžal (passé imperf) byt’ v vosxiščenii […] (Dostojevskij) Mitia continuait à être en admiration […]. De côté des noms de sentiments, nous avons exploré trois combinaisons : N1 de N2, les modifieurs (une colère soudaine) et la détermination. 183 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale 2.3.4. Les classifieurs Dans les structures binominales N1deN2 (moment de joie, accès de colère , années de bonheur, le classifieur N1 peut aussi être révélateur des traits aspectuels du N_sent (N2) (Tutin et al., 2006), comme d’ailleurs en russe et N1N2(gén) (gody sčast’ja)). Ainsi, accès, bouffée(s), instant(s), éclat(s), flot(s), explosion, coup(s) sont des classifieurs d'aspect ponctuel (J’appris à ne jamais agir sous le coup de la colère . Il y avait eu de brefs éclairs de joie). En russe, on trouve des classifieurs du même type, tels que pristup (accès), poryv (élan), vsplesk (transport, mouvement), mig (moment), udar (coup), vzryv (explosion), priliv (flot). Pour l’aspect duratif, le français et le russe disposent de classifieurs comme années (gody), jours (dni), moments (momenty, minuty) de joie, de bonheur. Par exemple, céder sous le coup de colère, ustupat’ poryvu gneva (ponctuel) vs songer aux années de bonheur, mečtat’ o godax sčast’ja (duratif). 2.3.5. Les modifieurs Les adjectifs modifieurs peuvent aussi véhiculer des nuances aspectuelles (GirySchneider 1996). Ils ne sont pas seulement ponctuels (immédiat, instantané, soudain)) ou duratifs (continu, long, tenace) mais aussi inchoatifs (liminaire, inaugural, naissant), terminatifs (terminal, finissant) ou itératifs (quotidien, continuel, habituel) . Par exemple : En se jetant du haut du rocher, Zaza prétendait garder son bel amour intact et le bonheur éternel (Hanska). Glebov ispytal mgnovennyi gorjačij strax (Trifonov). Glebov éprouva une peur momentanée et chaude. Toute la combinatoire ici – le verbe ispytal (passé perf) éprouva, le nom peur associé à l’adjectif momentané - révèle l’aspect ponctuel de la CVN_sent. 2.3.6. La détermination La détermination massive et comptable reste une particularité du français qui, en combinaison avec les N_sent, contribue à exprimer des valeurs ponctuelles ou duratives (cf. section 2.1.). Le russe, qui ne dispose pas de déterminants (définis, indéfinis, partitifs), a recours à de multiples moyens, tels que les classifieurs, les déterminants démonstratifs ou indéfinis ou simplement à l’absence de déterminant. 184 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale Les N_sent d’aspect ponctuel, c’est-à-dire ceux qui se combinent avec les verbes téliques (saisir / sxvatit’, pojmat’, prendre / vzjat’, envahir / oxvatit’, soulever / podnjat’) et les classifieurs nominaux ponctuels (explosion / vzryv, bouffée, élan, accès, excès, transport / pristup, poryv, …) acceptent facilement la détermination comptable (doc 22, doc. 26). Le russe utilise dans ces cas des classifieurs comptables + nom au génitif (pristup + gneva (gén.) / (accès de colère) qui sont des équivalents de un N_sent en français; des déterminants démonstratifs (etot / celui-ci, tot / celui-là), indéfinis (kakoj-to / quelque, un, une) ou le numéral cardinal (odin / un) : Une colère l’envahit. (Saint-Exupéry) Ego oxvatil pristup gneva. Lui (gen.) envahir (passé, perf., sg) accès (nom.) colère (gén.) Un accès de colère l’envahit. La détermination massive concerne plutôt les N_sent duratifs comme bonheur (sčast’je), joie (radost’), peur (strax, bojazn’). En français ils se combinent facilement avec le déterminant partitif qui n’existe pas en russe. Leur amour était devenu de la peur. (E. Zola) Eta strast’ prevratilas’ v ø bojazn’. Cette passion se transforma (passé, perf.) en peur. Le nom peur précédé du partitif est rendu en russe à l’aide du nom bojazn’ (crainte), dérivé du verbe bojat’sia (imperf.) avoir peur sans déterminant. L’absence de déterminant est un procédé fréquent en russe pour rendre le partitif français : Il naissait en lui de la joie ou de la tristesse. (R. Sabatier). V nem rozdalas ø radost ili ø ø grust En lui naître (passé, imperf.) ø joie (acc., sg) ou ø tristesse (acc., sg) En lui naissait de la joie ou de la tristesse] En bref, les classifieurs, les modifieurs et la détermination ont une incidence sur le calcul de l’aspectualité des CVN_sent. 185 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale 2.4. Bilan L’approche contrastive a permis de mieux mettre en évidence les traits aspectuels des N_sent. Le tableau qui suit (issu du doc. 25) est une synthèse des six paramètres que nous avons étudiés afin de déterminer l’aspectualité des CVN_de sentiment dans les deux langues : Les paramètres aspectuels révélés 1. A partir du Vsup 1) l’aspect lexical 2) l’aspect grammatical 3) les phases aspectuelles 2. A partir du Npréd 1) les classifieurs 2) les modifieurs 3) la détermination En français En russe CVN télique (tomber en admiration) 1 CVN perf. (Prijti v vosxiščenie) 2 CVN imperf. (prixodit’ v vosxiščenie ) Temps verbaux (formes Aspects morphologiques lexico-grammaticaux (hors simples (inaccompli) il contexte) imperfectif prixodit’ v entrait souvent en rage / formes composées (accompli) jarost’ / perfectif prijti v jarost’ hier il est entré en rage Les phases (inchoative, Vpat’ v (se mettre en)/ byt’ v cursive et terminative) sont (être dans)/ poborot’ exprimées par le sens lexical (battre,surmonter) N_sent des Vsup (se mettre en, être dans, sortir de) Classifieurs ponctuels (pristup Classifieurs ponctuels (accès, bouffée(s), instant(s), (accès), poryv (élan), vsplesk (transport, mouvement) / éclat(s)) / classifieurs classifieurs duratifs (gody, dni, duratifs (années, jours, momenty, minuty) moments) Modifieurs ponctuels Modifieurs ponctuels (soudain, immédiat, (vnezapny, skory, sijuminutny) / instantané) / modifieurs modifieurs duratifs (prodolžitelny, dlinny, stojky) duratifs (continu, long, tenace) Comptable (indéfini) un Comptable (classifieurs N_sent / Massive (partitif) comptables, déterminants (du N_sent) démonstratifs et indéfinis, les numéraux cardinaux) / Massive (N_sent au sg, absence de partitif) Tableau 15. Les six paramètres d’étude de l’aspectualité des CVN_sent Si les traits aspectuels véhiculés par les N_sent français et russes sont similaires, les deux langues se distinguent surtout au niveau de l’aspect du verbe (morphologique en russe, temps verbaux en français) et de la détermination (absence de déterminant 186 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale défini ou partitif en russe, compensée par la présence de classifieurs comptables ou non comptables). Ces travaux constituent un apport à l’étude de l’aspectualité en français et en russe. Ils s’inspirent, de façon large, de la théorie du Lexique – Grammaire de M. Grosse, du Sens-Texte d’I. Mel’čuk, mais aussi d’autres théorie aspectuelles comme celle de Bondarko, de Z. Guentchéva et de J.-P. Desclés, de L. Gosselin. 3. Le projet Emolex L’expertise de l’équipe de l’Axe 1 du Lidilem dans le domaine du lexique des émotions a été reconnue par l’ANR et la DFG (Deutsche Forschungsgemeinschaft). Notre projet Emolex sur Le lexique des émotions dans cinq langues européennes : syntaxe, sémantique et dimension discursive se situe dans la prolongation des travaux réalisés et résumés précédemment. L’équipe française, dont je suis le responsable est composée de 10 membres, l’équipe allemande (Cologne-Osnabrück - l’équipe de D. Siepmann), sous la responsabilité de P. Blumenthal - de 7 membres (cf site web du projet provisoirement hébergé dans Mozilla à l’adresse : http://aiakide.net/emolex/spip.php?article1). Ce travail, très prenant et passionnant à la fois, me permet d’acquérir une expérience précieuse dans l’animation d’un grand projet de recherche. 3.1. Objectifs et assises théoriques Le projet a trois principaux volets : linguistique, didactique et TAL. Le principal enjeu linguistique consiste à proposer, à partir d’un cadre théorique articulant les approches “représentationnistes” et “instrumentalistes” (sens-concept vs sens-usage), une analyse exhaustive multidimensionnelle du comportement combinatoire (syntaxique et lexématique), des valeurs sémantiques et des rôles discursifs des lexies des émotions dans cinq langues européennes (allemand, français, anglais, russe et espagnol). Le choix de ces cinq langues n’est pas arbitraire. Il a été motivé par les compétences des deux équipes : français et russe pour l’équipe grenobloise, allemand, anglais et espagnol (pour les équipes de Cologne-Osnabrück). Cette analyse exhaustive débouchera sur une “cartographie” des N_émotion dans les cinq langues choisies. Ceci 187 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale permettra de mieux structurer le champ lexical des émotions par rapport à ce que proposent les études existantes. Cette « cartographie » contribuera au développement d’applications nouvelles en didactiques des langues étrangères, en lexicographie et en TAL. Notre objectif sera de proposer de nouveaux matériaux didactiques pour l’enseignement / apprentissage des associations lexicales privilégiées dans telle ou telle langue (par ex. rouge de colère, red with rage, rot vor Wut) dans le but d’une meilleure acquisition des collocations, d’un réemploi systématique dans une activité de production de texte ou de communication orale. Grâce à une modélisation des phénomènes combinatoires du lexique des émotions, il contribuera à améliorer les microstructures du dictionnaire où il est difficile d’intégrer des contextes larges. Il permettra enfin d’améliorer les applications logicielles existantes pour la recherche d’occurrences et de structures syntaxiques dans de grands corpus multilingues et de créer de nouveaux outils encore plus performants. Emolex réunit les compétences de linguistes, de didacticiens et de spécialistes en TAL. Il se situe au carrefour de la recherche fondamentale et appliquée. Ces objectifs aussi bien théoriques qu’appliqués reposent sur la complémentarité des deux approches, qui s’alimentent mutuellement dans un cercle herméneutique (cf. le projet Emolex (p. 24-26)130. Les approches représentationnistes partent d’une certaine conceptualisation de la réalité qu’elles tentent de retrouver dans l’usage. Ces approches fondées sur l’empirie relativisent l’autonomie du sens lexical et font entrer en ligne de compte les relations entre les mots et leur contexte syntagmatique (on pourrait y rattacher le Lexique-Grammaire de M. Gross ou la théorie Sens-Texte de Mel'čuk, Clas & Polguère 1995). Il s’agit d’identifier des dimensions sémantiques pertinentes et les relier aux structures syntaxiques. Les combinaisons lexicales sont au centre de la réflexion comme, par exemple, dans la théorie Sens-Texte qui a été appliquée à la lexicographie du russe (I. Mel'čuk et A. Žolkovskij, 1986), du français (I. Mel'čuk et al, 1984-1999), de l’espagnol (M. Alonso Ramos, http://www.dicesp.com/). L’enjeu pour les théories représentationnistes consiste à imbriquer plus étroitement la notion paradigmatique de « sens » et la notion syntagmatique de « combinatoire », ce qui permettrait, d’une part, de fournir une description des champs lexicaux qui soit valide 130 Cette synthèse des approches est due à une collaboration fructueuse lors de la rédaction du projet entre S. Diwersy, V. Bellosta et I. Novakova. 188 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale d’un point de vue onomasiologique et, d’autre part, de mettre au point des procédés d’analyse de textes entiers utilisables dans une optique sémasiologique (cf aussi à ce sujet Mel'čuk, 2001). Les théories instrumentalistes prennent comme point de départ un certain usage des mots pour en dériver des schémas sémantico-cognitifs qui, à leur tour, suggèrent une conceptualisation spécifique du monde. En s’inspirant des positions théoriques sur le langage de Wittgenstein tardif (2006: §§ 23, 43), les approches instrumentalistes identifient le sens d’un mot à son usage. Parmi ces approches, l’une des théories les plus solidement établies est le contextualisme britannique, qui se situe dans le sillage de J. R. Firth131. Selon cet auteur, le sens vient aux mots grâce à leur usage avec d’autres mots dans un environnement syntagmatique commun. Le contextualisme prend pour principale source de connaissances l’usage et pour principal objet d’analyse le(s) texte(s). Cette analyse lexicale à dominante inductive (corpus-driven) a été théorisée par J. Sinclair (1991). Il y ébauche un lexical grammar qui confère aux séquences polylexicales (semi-)figées (lexical items) le statut d’unité sémantique de base. Ces approches ont également pour objectif de déterminer les dimensions sémantiques du lexique en étudiant les différents types de préactivations (primings, cf. la Lexical Priming Theory de Hoey, 2005), générées par l’occurrence de ce lexique non seulement dans les collocations et associations sémantiques mais aussi discursives : interaction du mot avec les relations de cohérence dans le discours (associations sémanticodiscrusives) ou son interaction avec des positions spécifiques d’un texte (colligations discursives, Hoey, 2005 : 13) Ces théories constituent des assises théoriques solides pour les aspects syntaxiques et sémantiques du fonctionnement du lexique des émotions, ainsi qu’à ses aspects discursifs. La combinaison de ces deux approches sera testée sur de grands corpus multilingues, comparables et alignés. Ceci est rendu possible grâce à la complémentarité des deux approches. Le représentationnisme part d’une certaine conceptualisation de la réalité qu’il tente de retrouver dans l’usage dans l’objectif d’établir des classements subtils des unités linguistiques; l’instrumentalisme prend comme point de départ un certain usage des mots pour en dériver des schémas 131 Pour une présentation générale du contextualisme, cf. Firth (1957, 1968), Halliday (1961), Léon (2007). 189 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale sémantico-cognitifs qui, à leur tour, suggèrent une conceptualisation spécifique du monde. Quant à savoir si le sens doit être identifié au concept ou à l’usage, c’est une question de point de vue : le premier se focalise sur la fonction de représentation du langage, le second sur sa fonction de communication . 3.2. Méthodologie de l’étude linguistique132 Puisqu’il s’agit de comparer les lexies des émotions dans cinq langues, notre point de départ est forcément onomasiologique. Nous nous proposons dans un premier temps d’établir une quinzaine de classes sémantiques correspondant à des sousdomaines du champ des émotions tels que la ‘joie’, la ‘tristesse’, la ‘colère’, la ‘peur’, le ‘respect’, regroupant les lexies des émotions les plus fréquentes (par ex. pour le sousdomaine du ‘respect’ : estime, égard, pour celui de la ‘colère’ : fureur, rage, pour celui de la ‘joie’ : bonheur, bien-être), extraites des corpus électroniques des cinq langues retenues (pour tous les détails sur les types et la taille des corpus multilingues, cf. Annexe 1). Il s’agit pour l’instant d’étiquettes conventionnelles de travail permettant une première investigation empirique. Les sous-domaines seront ensuite affinés et une définition rigoureuse de chaque étiquette sera proposée. Un travail similaire a été effectué à Grenoble sur un corpus de 850 000 mots de textes littéraires français (Cf. Augustyn, Ben Hamou, Bloquet, Goossens, Loiseau, Rinck, 2008). A titre d’exemple, dans ce corpus, 270 noms d’émotion associés à ces classes (au nombre de 27) ont été recensés et classés selon le critère de fréquence mais aussi d’autres critères comme la polarité (positif/négatif), l’intensité133 (haute, moyenne, basse) de l’émotion ou les niveaux de langue (courant, littéraire, familier). Si le point de départ est donc onomasiologique qui consitue notre tertium notionnel, nous adopterons par la suite une démarche sémasiologique en étudiant les profils combinatoires et fonctionnels des noms qui en font partie. Se pose ici le problème de la désambiguïsation du sens, car ce type de lexique est fortement polysémique (Goossens, 2008) : par exemple horreur appartient à la fois au domaine de la peur et du dégoût ; la douleur peut être physique ou morale. Le 132 La mise en place de la méthodologie du projet (3.2.) et de l’étude-pilote (3.3.) est le résultat de plusieurs réunions pendant la rédaction et après l’acceptation du projet. J’insiste sur le fait que sa conception et, bien sûr, sa réalisation en cours sont le fuit d’un travail collectif qui a montré une véritable synergie entre les approches et les méthodes de travail entre les équipes française et allemande. 133 Sur l’intensité des adjectifs des émotions, cf Grossman&Tutin (2005). 190 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale projet permettra d’envisager un traitement interlinguistique des phénomènes polysémiques qui nous semble riche en perspectives. Bien que les noms occupent une place centrale à cause de leur combinatoire très riche, cette dernière fait également apparaître d’autres catégories grammaticales dans les listes de fréquences des lexies, comme par exemple les adjectifs134, les verbes, les adverbes qui soulèvent également des questions importantes et complètent la structuration inter- et intralangue du champ du lexique émotionnel. S'y ajoutera comme nouvelle orientation de recherche (fonctionnelle et macrolinguistique) l'analyse du « profil d'intégration textuelle » d'un mot donné, ce profil résultant de son amorçage colligationnel (par ex. dans quelles proportions peur apparaît en position de sujet syntaxique et dans quelles visées discursives ?) et de différents types de préactivation discursive : collocations textuelles (lexical chains, Hoey, 2005), associations sémantico-textuelles (le choix de telle ou telle lexie au service des procédés discursifs et argumentatifs dans le texte), colligations textuelles (tendances des lexies à apparaître au début, au milieu ou à la fin du paragraphe et du texte) (Hoey , 2005). Enfin, nous établirons les classements des lexies des émotions pour chaque langue, établies au moyen de méthodes variées telles que l’échelonnement multidimensionnel (multidimensional scaling, Blumenthal, 2009), l’analyse factorielle des correspondances ou le clustering. Nous comparerons ces « cartes » permettant d’établir les relations de proximité distributionnelle et sémantique entre les noms d’affect dans une langue, mais aussi une comparaison entre les structures de champs sémantiques appartenant à plusieurs langues (cf. Blumenthal 2007b et 2009). Notre étude sera donc transcatégorielle (noms-verbes-adjectifs), multidimensionnelle et multilingue. Elle sera effectuée sur de vastes corpus que nous sommes en train de récolter pour les cinq langues. Ces corpus seront équilibrés en taille et aussi en genre (littéraires et journalistiques). A l’issue de cette 1ère année du projet, on disposera de corpus comparables et de corpus alignés bilingues : fr-all, fr-angl, fr-esp, 134 Ainsi l’étude effectuée à Grenoble sur le lexique émotionnel révèle 250 adjectifs fréquents qui appartiennent à une des vingt-sept classes nominales d’émotions recensées comme par ex. chagriné, découragé, désespéré, mélancolique pour la classe de la ‘tristesse’, heureux, joyeux, plaisant pour la classe de la ‘joie’, etc. 191 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale fr-russe, grâce au logiciel Alinéa, de notre collègue O. Kraif (2006). Ce travail prévoit aussi l’annotation des relations de dépendances syntaxiques unifiée sur le plan interlinguistique. Une fois ce travail préliminaire fini, nous disposerons d’outils d’interrogation et d’extraction d’occurrences des corpus, développés par nos équipes (Diwersy 2007, le concordancier ConcQuest, Kraif, 2008) et adaptés à nos besoins. 3.3. L’étude-pilote Afin de réaliser ce vaste programme, les deux équipes se sont mises d’accord pour tester une grille de paramètres linguistiques sur trois champs notionnels, à savoir celui de la SURPRISE, du REGRET et de la DECEPTION. Notre étude est encore à son début. Pour l’étude des lexies allemandes/espagnoles/anglaises/russes, on partira de l’équivalent de l’élément « central » de chaque champ français (ex. : respect, déception, etc.), puis on élargira vers des synonymes nominaux, adjectivaux et verbaux. Ainsi par exemple, le champ notionnel de SURPRISE est composé des noms étonnement, stupeur, surprise, des verbes épater, étonner, frapper, stupéfier , surprendre, des adjectifs étonnant, étonné, surprenant, surpris), celui de DECEPTION de amertume, déception, dépit, du verbe décevoir, des adjectifs décevant, déçu, enfin celui de RESPECT est composé de estime, respect ; estimer, honorer, respecter, respectueux. Ces listes de candidats ont été établies en nous fondant sur les 270 noms , 250 adjectifs et 393 verbes recensés dans le cadre du projet PPF, réalisé en 2005 à Grenoble, et après avoir testé leur fréquence dans FRANTEXT (sur un corpus de 30 millions de mots). D’autres recherches plus précises seront effectuées une fois nos corpus littéraires et journalistiques mis en place. Chaque champ regroupera donc des noms, verbes et adjectifs135 qui sont morphologiquement dérivés ou des synonymes (dérivés morphologiques et sémantiques). Nous essayons de fixer, dans la mesure du possible, des paramètres communs aux trois catégories de lexies afin d’arriver à un traitement linguistique homogène. Nous retrouvons la même préoccupation dans Buvet et al. (1995 : 138-139) : « un traitement conjoint des différentes formes est nécessaire pour établir des classes de prédicats ». Dans cette étude, les classes de prédicats (<amour>, 135 Les travaux d’Anscombres (1995, 1996) portent exclusivement sur les noms, ceux de Mathieu (2000, 2008) sur les verbes. Buvet et al. 1995 proposent l’étude des lexies des émotions par racines prédicatives. 192 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale <colère>, <joie>, <gaité>), sont fondées sur la synonymie de leurs constituants respectifs. Mais comme l’indiquent les auteurs, la proximité sémantique n’est pas suffisante pour regrouper les différents prédicats dans une classe, ils doivent avoir des fonctionnements formels similaires, par ex. d’habitude gaité et joie sont donnés comme synonymes (pareil pour gai et joyeux), mais ces lexies n’ont pas le même comportement syntaxico-sémanique (Buvet et al, 2005). Une démarche similaire est appliquée pour le traitement des verbes par Y.Y. Mathieu (2000) : les verbes y sont regroupés d’emblée selon leur proximité de sens, puis les classes obtenues sont évaluées du point de vue de leur comportement syntaxique. Les propriétés syntaxiques viennent en quelque sorte confirmer le classement. Notre démarche consistera plutôt à regrouper les lexies dans des champs notionnels selon leur proximité sémantique, que nous soumettrons à une analyse fondée sur un faisceau de traits syntaxico-sémantiques, pour ensuite obtenir des classes forcément différentes de celles de départ, car les lexies regroupées selon la synonymie très souvent n’ont pas de comportement linguistique identique. L’étude sera basée sur les traits linguistiques retenus dans Tutin et al. (2006, doc. 15) et sera enrichie d’autres traits. Pour les noms, le faisceau de traits sera forcément plus riche, à cause de leur combinatoire plus riche. A l’étude des structures actancielles, de l’aspect, de la causativité, des manifestations (ces traits ont été déjà résumés dans 2.2.), d’autres comme la polarité négative (sentiments désagréables): peur, tristesse, irritation, positive (sentiments agréables) amour, intérêt, passion, ou neutres comme étonnement et indifférence et l’intensité amour→ passion→ fascination, ou inquiéter (neutre) → terrifier (beaucoup) → effaroucher (un peu) (cf. Mathieu, 2000) sont ajoutés. Dans notre démarche, notre attention est centrée sur les collocatifs relatifs à ces traits. Par exemple, la polarité négative s’exprime souvent par des combinaisons lexicales renvoyant à des mouvements vers le bas (plonger, sombrer dans le désespoir). En revanche, l’inverse ne paraît pas être systématique (sauter de joie). Ces traits sont en quelque sorte « transversaux », car ils concernent à la fois les verbes, les noms et les adjectifs. Ils sont aussi important du point de vue didactique : les apprenants classent facilement espoir et désespoir comme respectivement des sentiments positif et négatif. 193 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale Pour les verbes, les traits retenus sont : l’aspect (l’aspect lexical du verbe, ponctuel136 pour agacer, effrayer ou duratif obséder, aigrir), la combinaison avec les verbes de phases aspectuelles commencer à, rester en, finir de), les associations avec des adverbiaux comme éléments de la combinatoire lexicale (appelés prédicats appropriés dans la théorie des classes d’objets de G. Gross) qui, à travers certaines restrictions, permettent de définir entre-autres l’aspect des verbes de sentiments comme par exemple : A 5 heures du matin, Luc étonna (agaça+effraya ) Marie vs *A 5 heures du matin, Luc obséda (rongea, endurcit, aigrit) Marie137. A ces traits s’ajouteront les structures actancielles et les rôles sémantiques des actants (X cause V Y humain (Le bruit effraie Paul), X cause V+N à Y humain (Le bruit fait peur à Paul). Un autre trait essentiel aussi bien pour les noms que pour les verbes, la causativité permet de distinguer deux grandes classes au sein des verbes de sentiments (Mathieu, 2000) : la Classe I : (adorer, aimer) Marie adore le bruit , où le Sujet est l’expérienceur, tandis que le complément est l’objet ou la cause du sentiment et la Classe II : (irriter, déplaire) causatifs Le bruit irrite Marie, où le S est la cause et l’objet – l’expérienceur . Les nominalisations (Ceci étonne Léa, Léa éprouve de l’étonnement devant l’attitude de Marie), les constructions passives et, plus généralement, les diathèses constituent un autre poste d’observation important pour les verbes (en lien avec la dimension discursive) X tracasse Y, Y se tracasse, Y est tracassé par Y. Enfin pour les adjectifs, la combinatoire avec les adverbes pourrait être aussi intéressante, ainsi que les constructions attributives (être, demeurer stupéfait) et l’aspect résultatif (déçu, étonné), duratif (coléreux, amoureux), ponctuels (surpris, effrayé, agacé). Tous ces traits seront, bien sûr, affinés lors de l’étude linguistique qui débutera en 2011, une fois les corpus multilingues mis en place. Pour le volet discursif, d’autres critères tels la « saturation » et de « centrage » (respectivement sur le sujet ou sur l’objet) seront testés autour de la problématique de l’actualisation/progression thématique/progression à thème constant au niveau textuel (dans des textes littéraires et journalistiques). 136 Pour Y.Y. Mathieu (2000), la majorité des verbes de sentiment sont ponctuels. 137 Exemple emprunté à Y.Y. Mathieu (2000). 194 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale 4. Conclusion Les travaux résumés dans ce chapitre ont tous pour fil conducteur la construction du sens dans le cadre d’associations verbo-nominales exprimant des affects. La théorie structurologique de Mantchev m’a servi de point de départ dans cette réflexion sur le lexique en construction (doc. 12 ), complétée par la suite par d’autres modèles ayant le même objet, à savoir le Sens-Texte de Mel’cuk ou le Lexique-Grammaire de M. Gross (doc. 17). L’étude de la combinatoire syntaxique et lexicale s’est avérée primordiale pour la typologie des noms d’affects. La répartition des noms d’affects en six classes en fonction de leurs collocatifs, et plus généralement, de leurs propriétés syntaxiques et lexicales, constituent un des principaux apports des travaux collectifs auxquels j’ai participé et qui ont été résumés dans ce chapitre (doc. 15). A cela s’est ajoutée l’étude de la détermination des noms d’affects (doc. 23) qui a permis aussi d’en affiner le classement. Il s’est avéré que l’aspect des N d’affect comme leurs structures actancielles présentent des corrélations avec la détermination comptable et massive. Ce résultat important a été exploité dans le travail de thèse d’E. Melnikova et dans les publications collectives qui en sont issues (doc. 25 et 26) et qui étudient de façon globale et systématique l’aspectualité des constructions verbo-nominales de sentiments en français et en russe. La nouveauté de ce travail consiste dans le fait que la question de l’aspectualité des noms de sentiments n’a pas fait l’objet d’une étude systématique en français et en russe et encore moins dans une perspective contrastive. Enfin, notre expérience dans le domaine de l’étude du lexique des affects a découché sur le projet ANR-DFG Emolex qui me permet d’acquérir une précieuse expérience dans l’animation de projets scientifiques, ainsi que d’établir et d’affiner les classements des lexies des émotions en français en comparaison avec quatre langues européennes dans le but d’élaborer des cartographies, utiles à la théorie linguistique, mais aussi à l’enseignement/apprentissage de ce genre du lexique et du lexique en général. En résumé, les études sur la combinatoire syntaxique et lexicale des unités linguistiques, menées au niveau syntagmatique et phrastique, peuvent être étendues au niveau discursif et textuel ; elles sont également liées à la problématique de la prédication (Vcollocatif+N_affect) et, plus généralement, à la construction du sens de l’énoncé. 195 Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale 196 Conclusions et perspectives CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES Arrivée à la fin de ce travail de synthèse, j’aimerais d’abord dire que je l’ai trouvé bien stimulant et bénéfique. Bénéfique, car il m’a permis de prendre le recul nécessaire pour une meilleure prise de conscience des enjeux théoriques qui soustendent mes recherches. Stimulant aussi, car il a m’a permis d’expliciter davantage quelques positions que j’ai défendues à travers mes travaux et que je résumerai ici. 1. Les avantages d’une approche inter-langues La comparaison entre plusieurs langues, perspective dans laquelle s’inscrivent pratiquement l’ensemble de mes recherches, constitue un précieux filtre d’éclairage des faits de langue étudiés. Elle fait apparaître des particularités linguistiques qui ne ressortiraient pas nécessairement d’une analyse unilingue. Ceci est valable pour l’étude de la temporalité et de l’aspectualité en français en comparaison avec le bulgare et le russe. Ce qui en ressort, c’est que premièrement, l’aspect verbal dans les langues où il a été morphologisé, permet de mieux appréhender les valeurs aspecto-temporelles des verbes en français. Mais l’inverse est aussi vrai : l’observation fine de l’aspectualité en français qui nécessite la prise en compte de plusieurs paramètres au niveau syntagmatique, phrastique, textuel (ou contextuel au sens large) a montré que ces paramètres ne peuvent qu’enrichir et affiner l’analyse de l’aspect dans les langues slaves. L’analyse contrastive révèle aussi plusieurs incohérences dans la terminologie grammaticale qu’utilisent les différentes langues et les difficultés que cela pose aux apprenants des langues étrangères. Toutes ces questions ont fait l’objet de mon livre Sémantique du futur (2001), paru dans la prolongation de ma thèse de Doctorat. 197 Conclusions et perspectives Plus tard, ma réflexion s’est élargie à l’aspectualité de la catégorie nominale, considérée traditionnellement comme peu concernée par l’aspect. Les études sur des corpus français et russes ont montré des affinités aspectuelles entre les noms d’affects et les verbes avec lesquels ils s’associent (par exemple exploser de colère (ponctuel) vs vivre dans le bonheur (duratif)). D’autres paramètres comme les phases aspectuelles (se mettre en colère, être en colère, apaiser, calmer sa colère), les modifieurs (bonheur éternel, peur momentanée), la détermination (Une colère l’envahit vs Il naissait en lui de la joie et de la tristesse) permettent de dégager des valeurs aspectuelles spécifiques au noms d’affects, et ce dans les deux langues comparées. L’approche inter-langues est aussi au cœur du projet ANR Emolex en cours (2010-2012). Il s’agit de comparer le fonctionnement des lexies des émotions dans cinq langues européennes du point de vue syntaxique, sémantique et discursif. La comparaison de (se) faire+Vinf avec les verbes et les constructions causatives en bulgare m’a permis de mieux appréhender le fonctionnement du prédicat complexe en français, mais aussi de mettre en évidence certaines spécificités des structures causatives bulgares. Toutes ces réflexions ont impulsé la publication d’un ouvrage intitulé Lexique et grammaire : regard croisés (2010), en collaboration avec E. Dontchenko de l’Université d’Etat d’Astrakhan, qui fait le point sur les enjeux actuels de la linguistique contrastive, ainsi que sur le rôle des différents types de corpus disponibles actuellement qui constituent des outils précieux faisant avancer, indéniablement, ce domaine de la linguistique. 2. Les avantages d’une approche fonctionnelle structuraliste Ayant toujours essayé de mieux comprendre les nuances de sens que véhiculent des formes syntaxiques en concurrence, mais aussi la motivation qui détermine le choix du locuteur pour telle ou telle forme (par exemple Elle se marie/va se marier/se mariera l’an prochain ou Delphine sort/fait sortir la voiture du garage, ou encore Le président Chirac s’est fait plébisciter /a été plébiscité par les jeunes), je suis arrivée à la ferme conviction que seule une approche globale, holiste, transcatégorielle, alliant l’analyse des paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs permet de rendre compte, de la 198 Conclusions et perspectives manière la plus satisfaisante possible, de leur fonctionnement. Ici, c’est la perspective fonctionnelle qui s’est avérée particulièrement apte à rendre compte des spécificités des différentes structures. La typologie fonctionnelle permet de comparer des données observables dans les différentes langues, données rattachées aux mêmes domaines notionnels. Je défends un fonctionnalisme structuraliste au sens de Saussure, où tout est relié, tout se tient dans la langue, où les différentes valeurs des formes n’apparaissent qu’en opposition. Dans le même temps, les différents composants de l’organisation linguistique du langage sont reliés à sa fonction essentielle, celle de communication qu’il est également nécessaire de prendre en considération dans les analyses. Aborder ainsi la matière linguistique signifie mettre l‘accent sur la corrélation sens-forme-usage. 2.1. Les avantages d’une analyse par la grammaticalisation et le changement linguistique La grammaticalisation (on parle de théorie de la grammaticalisation, Combette et al., Lamiroy) est un des thèmes de prédilection de la typologie à l’heure actuelle (Croft, 1998). Ceci montre l’importance que celle-ci accorde à la diachronie et aux aspects dynamiques du langage. La problématique de la grammaticalisation est présente dans plusieurs de mes travaux. C’est le cas de ceux qui traitent des formes futures en français et en bulgare où je retrace leur évolution historique (à partir du verbe modal xoteti (vouloir) grammaticalisé dans le morphèmes šte du futur bulgare ou à partir de la structure cantare habeo qui a donné je chanterai en français). La grammaticalisation explique aussi le fonctionnement syntaxique actuel de faire+Vinf en tant que prédicat complexe en français, ainsi que l’usage fréquent de se faire+Vinf comme équivalent du passif (Il s’est fait agresser → Il a été agressé). Ici aussi, la comparaison de l’évolution historique de la construction causative périphrastique bulgare (karam Ivan da raboti, inciter Ivan à travailler) avec celle du prédicat complexe faire+Vinf en français s’est avérée fort instructive. En bulgare, on observe le passage d’une construction synthétique du type Verbe+Vinf à une construction analytique V1 + complétive, à cause de la disparition de l’infinitif et du passage de cette langue vers l’analytisme. Ceci permet aussi d’expliquer les moindres difficultés qu’ont les enfants bulgares à l’acquérir. 199 Conclusions et perspectives La grammaticalisation permet aussi d’expliquer le sens de l’alternance décausative : du verbe transitif vers le verbe réfléchi (vzrivjavam vs vzrivjavam se, par ex. Les soldat explosent la bombe vs La bombe s’explose.), phénomène assez rare du point de vue typologique mais très présent dans les langues slaves et qui constitue un des principaux moyens d’expression de la causalité au niveau lexical dans ces langues. Le sens de la dérivation ne peut être expliqué que par la grammaticalisation plus tardive du réfléchi en vieux slave. Inversement, le sens de la dérivation de l’intransitif vers le transitif causatif (la transitivation causative) en anglais (move, melt, walk) surtout, mais aussi en français (démissionner, bouger, sortir) et dans d’autres langues, est également expliqué grâce au changement historique qui s’est produit à peu près à la même époque en anglais et en français (autour du XVe s). Au cours de mes recherches, je me suis rendue compte de la puissante valeur explicative de la grammaticalisation. Ce détour vers la diachronie me paraît particulièrement éclairant en ce qui concerne le fonctionnement des formes en synchronie. 3. Les prédicats et la prédication Il me reste enfin à expliciter mon positionnement par rapport à la notion de prédicat sous l’angle des différentes problématiques de mes recherches. Les questionnements que je me suis posés ont impulsé la coordination, avec Z. Guentchéva, du No 37 de la revue LIDIL sur la Syntaxe et la Sémantique des prédicats . Personnellement, je définis le prédicat d’un point de vue syntaxique : il s’agit du verbe (noyau de la phrase), organisateur des relations actancielles dans la phrase et qui y remplit la fonction prédicative par excellence. Dans l’analyse des relations prédicatives dans la phrase, les fonctions grammaticales des actants sont associées à des rôles sémantiques (agent, bénéficiaire, patient, expérient, cause, etc). C’est une conception que l’on trouve chez Tesnière (on lui reproche une certaine confusion des plans syntaxique et sémantique dans l’analyse des actants) ou chez Lazard. Une telle définition exclut une acception logique de la notion de prédicat (en termes de thème/rhème, ce qui est dit de ce dont on parle), ainsi qu’une acception très large du prédicat (à la Harris). De plus, le verbe est associé à des marques (appelées opérateurs 200 Conclusions et perspectives ou actualisateurs selon les théories) d’aspects, de mode, de temps. L’aspectualité, la temporalité, la modalité (les travaux résumés dans le chapitre 2) sont, avec les structures actancielles du verbe, les éléments constitutifs de la prédicativité. Par ailleurs, les prédicats causatifs (structures monoclausales (complexes) ou biclausales), leur grammaticalisation ou évolution historique, sont un terrain d’investigation très fertile en ce qui concerne la notion de prédicat. Enfin, la problématique de la combinatoire syntaxique et lexicale des constructions verbonominales d’affects pose aussi des questions très intéressantes, liées aux notions de prédicat nominal et de verbe support. Notre analyse (Melnikova & Novakova, 2010) du statut du nom dans les constructions verbo-nominales de sentiments peut être résumée comme suit : il s’agit d’une expansion d’un verbe, que le nom choisit et avec lequel il forme un tout qui constitue le noyau prédicatif de la phrase (exploser de colère, éprouver de la peur). Du point de vue syntaxique, le nom de sentiment a un statut particulier, ce n’est pas un vrai complément du verbe, mais il n’est pas non plus le seul élément « prédicatif » dans la phrase. La combinatoire syntaxique et lexicale des noms d’affects permet aussi de révéler l’aspectualité des constructions verbo-nominales contenant un N_affect. La problématique de la combinatoire a donné lieu à un ouvrage collectif Le Lexique des émotions (2009, I. Novakova & A. Tutin dir.), où les questions des paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs qui la composent, de la prédicativité des N_affects sont traitées dans une perspective inter-langues. 4. Perspectives de recherches Un des principaux défis que j’aurai à relever dans les quelques années à venir consiste dans la réussite du projet Emolex. Ce projet collectif me permet d’acquérir une précieuse expérience dans l’animation scientifique, dans la coordination d’un important projet ANR d’envergure européenne. Sur le plan scientifique, il offre un vaste chantier de recherche : il permettra d’établir une structuration du lexique des émotions dans cinq langues, de mettre en évidence les propriétés syntaxiques, sémantiques et discursives des différentes lexies exprimant des émotions (noms, verbes, adjectifs). 201 Conclusions et perspectives Je souhaite aussi réaliser un autre sujet qui me tient à cœur, à savoir faire une étude comparative du fonctionnement des diathèses en français et en bulgare, une problématique qui, à ma connaissance, n’a pas été explorée jusqu’à présent pour l’ensemble des diathèses dans les deux langues. J’espère que les compétences que j’ai acquises dans les différents domaines de mes recherches me permettront de continuer à encadrer des étudiants désireux de travailler sur différents sujets à l’interface entre la syntaxe et la sémantique dans une perspective contrastive. L’expérience montre qu’il existe une demande non négligeable d’encadrement dans ce domaine. J’espère aussi pouvoir continuer mes recherches dans le même esprit d’équipe, enrichissant et stimulant, dont j’ai pu bénéficié jusqu’à présent au sein du LIDILEM. 202 Annexe PROJET EMOLEX CORPUS MULTILINGUES 1.1. Corpus français Corpus Période MotsType de corpus occurrences Langue Presse nationale (Le 1993-2004 Monde, Libération, Le Figaro, L'Humanité) 491.000.000 Textes journalistiques français Presse régionale (Est 2002 Républicain, Sud Ouest) 116.000.000 Textes journalistiques français Frantext - Romans 1950-2000 16.000.000 Textes littéraires français français Fiction 1950-2006 47.000.000 Textes littéraires français Période MotsType de corpus occurrences Langue 1995-2002 364.000.000 Textes journalistiques allemand TOTAL: 670.000.000 1.2. Corpus allemands Corpus Überregionale Presse (F.A.Z., Frankfurter Rundschau, Südallemande Zeitung, Tagesspiegel) TOTAL: 364.000.000 203 Annexe 1.3. Corpus anglais Corpus Période MotsType de corpus occurrences Langue English National Newspapers (The Times, The Guardian, Daily Mail) 1993-2006 310.000.000 Textes journalistiques anglais English Local Newspapers (Aberdeen Evening Express, Cheddar Valley Gazette, Brentwood Gazette) 2005-2006 60.000.000 anglais English Fiction 1950-2008 100.000.000 Textes littéraires TOTAL: Textes journalistiques anglais 370.000.000 1.4. Corpus espagnols Corpus Période MotsType de corpus occurrences Langue Prensa nacional (El Mundo, 1997-2002 El País) 142.000.000 Textes journalistiques espagnol (www.elaleph.com) 120.000.000 Textes littéraires espagnol 1960-2009 TOTAL: 262.000.000 1.5. Corpus russes Corpus Période MotsType de corpus occurrences Langue Obščenacional'nye gazety (Izvestija, Nezavisimaja Gazeta) 2002-2003 53.000.000 Textes journalistiques russe Russcorpora 1960-2008 32.000.000 Textes littéraires russe Lib.Ru – Novaja proza 1990-2000 13.000.000 Textes littéraires russe TOTAL: 98.000.000 204 Références bibliographiques REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES Abeillé A. & Godard D. (2003). Les prédicats complexes, in D. Godard (dir.), Les langues romanes. Problèmes de la phrase simple, Paris, Éditions du CNRS. Adamczewski H. (1990). Grammaire linguistique de l’anglais, Paris, Armand Colin. Alternberg B. & Granger S. (2002). Recent trends in cross-linguistic lexical studies, in B. Altenberg & S. Granger (eds), Lexis in contrast: corpus-based approaches, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins Publishing Company, 1-48. Anscombre J.-Cl. (1996). Noms de sentiment, noms d’attitude et noms d’abstraits, in N. Flaux, M. Glatigny & D. Samain (éds), Les noms abstraits. 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Formation et déroulement de carrière • Maîtrise de français ((1977-1981), Université de Sofia, Bulgarie • Traductrice à l’Agence Sofia-Presse (1981-1991) • Enseignante de français (lexicologie et syntaxe) à l’Université de Sofia (Bulgarie) (1982-1987) • Enseignante de français au Lycée de Nabeul (Tunisie) (1991-1993) • DEA (1993-1994), Université Grenoble3, Sciences du langage: Linguistique et didactique des langues, « Moyens d’expression de l’aspect en français et en bulgare », sous la direction de M. Maillard, Mention Très Bien. • Doctorat 3e cycle (1994-1998), Université Grenoble3, Sciences du langage « Temporalité, Modalité et Aspectualité au futur. L’exemple du français et du bulgare », sous la direction de Michel Maillard. Mention Très honorable avec félicitations. • Membre invitée du Séminaire de linguistique (Linguistisches Kolloquim) de l’Institut de philologie romane de l’Université Ludwig Maximilian de Munich, Allemagne (1998-2001) • Post-doc (2000-2002), Section des langues slaves, Faculté des Lettres, Université de Lausanne, Suisse. La construction factitive faire +Vinf et ses équivalents en bulgare, sous la direction de P. Sériot. • Vacataire (2001-2002) à l’UFR des Sciences du langage (Linguistique générale, sémantique) 225 Curriculum vitae • ATER (2002-2004) UFR Sciences du langage (Lexicologie, Syntaxe) • Maître de Conférences (depuis 2004), UFR Sciences du langage (Syntaxe générale et française) 2. Animation et responsabilités scientifiques et administratives • 1998 -2002 : Initiatrice et membre du Comité d’organisation des Journées linguistiques franco-allemandes (1998 -2002), Munich. Rencontre annuelle entre linguistes français et allemands dans l’objectif de la mise en place d’un échange scientifique et de thèses en cotutelle. • Depuis 2005 : Co-responsable avec A. Tutin du Séminaire Syntaxe& Sémantique (Séminaire mensuel réunissant des chercheurs, doctorants et étudiants en Master autour des problèmes d’interface syntaxe et sémantique) dans le cadre de l’Axe 1 du Lidilem Descriptions linguistiques : syntaxe, sémantique, pragmatique et TAL. • Depuis 2006 : Co-responsable du Programme 1 Interactions Syntaxe et Sémantique au sein de l’Axe 1 du LIDILEM Descriptions linguistiques : syntaxe, sémantique, pragmatique et TAL • 2006 : Membre du Comité scientifique du Colloque international Cedil (04-07.07. 2006), Grenoble. • 2007 : Co-organisatrice avec A. Tutin du Colloque international « Le lexique des émotions et sa combinatoire syntaxique et lexicale », 26-27 avril 2007, Grenoble. Coéditrice de l’ouvrage Le Lexique des Emotions (2009), Grenoble, ELLUG. • 2007 : Co-organisatrice avec Ch. Surcouf du Séminaire annuel du LIDILEM sur le Temps (aspects linguistiques, philosophiques, psychologiques et informatiques) réunissant des spécialistes confirmés du domaine, 29 juin 2007, Grenoble (cf. site du Lidilem, http://w3.u-grenoble3.fr/lidilem/labo/). • 2008 Coordination avec Zl. Guentchéva du No 37/2008 de la revue Lidil Syntaxe et sémantique des prédicats. • 2009 : Co-organisatrice avec J. Puckika du Séminaire annuel du LIDILEM Linguistique et Cognition, le 26 juin 2009, Grenoble ((cf. site du Lidilem, http://w3.ugrenoble3.fr/lidilem/labo/). • 2010 : Membre du Comité scientifique du Colloque international Cedil (29.06.-02. 07. 2010), Grenoble • depuis 2008 : Membre du Comité de lecture de la revue Lidil • depuis 2008 : Membre de la Commission consultative des spécialistes (CCS), 07ème section, Université Stendhal, Grenoble 3 • depuis 2008 : Membre élu du Conseil d’UFR des Sciences du langage, Université Stendhal, Grenoble 3 226 Curriculum vitae 3. Projets de recherche financés : participation et coordination • 2006-2010 : Participation au projet SCIENTEXT (ANR) sur le positionnement et le raisonnement de l’auteur dans un grand corpus d’écrits scientifiques, (resp. F. Grossmann et A. Tutin, http://scientext.msh-alpes.fr/scientext-site/spip.php?article1) • 2006-2010 : Participation au programme « Discours scientifique » de l’axe 4 du Cluster 14 de la Région Rhône-Alpes (Enjeux et représentations de la science, de la technologie et de leurs usages, resp. A. Tutin et F. Boch). • 2007-2011 : Participation au projet PPF FULS : Formes et usages des lexiques spécialisés en vue d’exploitations didactiques en FLE et FLM (resp. C. Cavalla). http://webtek-66.iut2.upmf-grenoble.fr/index.php?dossier_nav=648 • 2009-2012 : Responsable du projet EMOLEX (ANR-09-FASHS-017) Le lexique des émotions dans cinq langues européennes : études sémantique, syntaxe et dimension discursive. (Responsable du projet, côté allemand, financé par la DFG, P. Blumenthal). http://aiakide.net/emolex/spip.php?article1 4. Rayonnement (collaborations scientifiques internationales) • Depuis 2005 : collaboration scientifique avec les chercheurs de l’Université de Cologne et d’Osnabrück (Allemagne) qui a donné lieu à des publications, des colloques, et au Projet Emolex (2009-2012). • Depuis 2006 : collaboration avec les enseignants-chercheurs de l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie) : direction de stages de recherches d’enseignants-chercheurs de l’Université d’Astrakhan au LIDILEM • 2008 : Invitation dans le cadre de la Convention de collaboration entre l’Université de Grenoble et l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie) pour un cycle de cours et de conférences invités (20 heures au total) que j’ai assurés au Département de français de cette université (niveau licence et Master 1-2) du 7 au 14 septembre 2008. • 2010 Publication d’un ouvrage international en linguistique contrastive Grammaire et lexique : regards croisés, coédition des Ellug (Grenoble) et de l’Université d’Etat d’Astrakhan (I. Novakova & E. Dontchenko (éds)) 5. Encadrements de thèses, de mémoires de maîtrise, de stages 5.1. Co-encadrement de thèses : [1] Y. Bezinska (depuis 2005) « L’acquisition des constructions causatives chez des enfants bilingues (français-bulgare) » (coencadrement : Novakova 60%; Chevrot, 40%) 227 Curriculum vitae [2] E. Bouchoueva (depuis 2005) « La combinatoire syntaxique et lexicale des noms d’affect en français et en russe (étude contrastive) ». (coencadrement Novakova 60%; Grossmann 40%) [3] E. Melnikova (depuis 2006) « L’aspectualité des constructions verbo-nominales exprimant des sentiments en français et en russe » (coencadrement Novakova 60% ; Grossmann 40%; bourse de cotutelle avec l’Université d’Astrakhan, Russie) [4] B. Tzaneva (depuis 2006) « Etude syntaxico-pragmatique de la personne en français et en bulgare (coencadrement Novakova 60%, de Nuchèze 40%, bourse de cotutelle avec l’Université de Sofia) [5] O. Spiridonova (depuis 2008) « La conscientisation comme moyen d’intériorisation de l’article par les apprenants – russophones du FLE », encadrement à 100%, dérogation accordée par l’ED et le CS de l’Université Stendhal (bourse de cotutelle avec l’Université de Nijni Novgorod, Russie). 5.2. Encadrement de Mémoires Master [1] Y. Bezinska (2004-2005) Mémoire Master 2 « Etude exploratoire sur l’acquisition du factitif chez deux enfants bilingues (français-bulgare)» (coencadrement : Novakova 60%; Chevrot 40%), Mention Bien. [2] E. Bouchoueva (2003 -2004) Mémoire Master 1, « Les noms du champ sémantique de la tristesse en français et en russe (études contrastive) » (coencadrement : Novakova 60%; Grossmann 40%), Mention Bien. [3] E. Bouchoueva (2004-2005) ) Mémoire Master 2 « Les équivalents russes des collocations française du type avoir + nom de sentiment (étude contrastive) » (coencadrement : Novakova 60%; Grossmann 40%), Mention Bien. [4] E. Yurovskikh (2006-2007) Mémoire Master 2 « Expression de la cause en français et en russe », soutenu avec mention TB. [5] Nuttakarn Srilerdfa (2007-2008) Mémoire Master 1 faire+Vinf : étude fonctionnelle » « La construction se [6] Monika Bak (2007-2008) Mémoire Master1 « L’acquisition de l’article par des apprenants polonais du FLE ». Mention Bien. [7] Yanitsa Dimitrova (2009-2010) Mémoire Master 1 « Le genre grammatical en français et en bulgare ». Mention Bien [8] Marina Postnikova (2009-2010) Mémoire Master 2 « Les constructions figées portant sur les noms de métier en français et en russe ». [9] Monika Bak (2009-2010) Mémoire Master 2 « Le raisonnement causal dans les textes scientifiques », mention TB 5.3. Encadrement des stages de chercheurs étrangers au LIDILEM [1] E. Melnikova (2005) (Université d’Astrakhan, Russie), stage de trois mois sur le thème « Etude comparée de l’aspect et des modes d’action en français et en russe », 228 Curriculum vitae [2] A. Salkhenova (2007) enseignante à l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie) (3 mois) « L’expression du temps et de l’aspect grammatical en français, russe et kazakh » [3] E. Dontchenko, (2009) MCF, Directrice du Département de langue française à l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie)(3 mois), « La catégorie du temps en français et en russe ». 6. Enseignements Licence Sciences du langage Licence 1 Semestre 1. Initiation à la syntaxe (responsable) Semestre 2. Les unités syntaxiques et leurs relations. Le syntagme verbal. Licence 2 Semestre 3. Les unités syntaxiques et leurs relations. Le syntagme nominal et le syntagme adjectival (responsable) Semestre 4. Les unités syntaxiques et leurs relations. Adverbiaux et relationnels Licence 3 Semestre 6. Syntaxe générale et française Master Sciences du langage « Descriptions linguistiques » Master 1. Descriptions syntaxiques Master 1 (2010) Diversité des approches syntaxiques A partir de 2011 Master Sciences du langage. "Langage, Parole, Variations" Master 1 (semestre 1) Syntaxe générale Master 1 (semestre 2) Descriptions linguistiques (avec M. Piot). 229 Curriculum vitae 230 Liste exhaustive des travaux LISTE EXHAUSTIVE DES PUBLICATIONS, COMMUNICATIONS, COMPTES-RENDUS, CONFERENCES INVITEES IVA NOVAKOVA 1.1. Publication et direction d’ouvrages : [1] Novakova I. (2001) Sémantique du futur. Etude comparée français-bulgare, L’Harmattan, Paris, 396 p. [2] Novakova, I. & Guentcheva Z. (Ed.) (2008). Syntaxe et sémantique des prédicats, LIDIL 37. ELLUG. Présentation, 6-22. [3] Novakova, I. & Tutin A. (Ed .) (2009). Le Lexique des émotions. Grenoble, ELLUG, 350 pages. Introduction, 5-17. [4] Novakova, I. & Dontchenko E. (Ed) (2010) Grammaire et lexique: regards croisés . coédition entre l’Université d’Etat d’Astrakhan et les ELLUG, Grenoble, 250 pages. Introduction, 7-16. 1.2. Chapitres d’ouvrages : [5] Novakova I. (1999) « Une approche transcatégorielle pour l’analyse du futur simple et du futur périphrastique français » in Mélanges de linguistique, sémiotique et narratologie, dédiés à la mémoire du Professeur Krassimir Mantchev, à l’occasion de son 60e anniversaire, Université de Sofia - Editions Colibri, 1999, Bulgarie, 301-323. [6] Novakova I. (2004) « Approche lexicale des expressions verbo-nominales en français langue étrangère » in Didactique du lexique : contextes, démarches, supports, E. Calaque & J. David (éd.), De Boeck, Bruxelles, 89-103 (Chapitre 6). [7] Novakova, I. (2006) La transitivation causative : approche contrastive et typologique, in D. Lebaud, C. Paulin, K. Ploog (Ed.), Constructions verbales & production de sens. Presses universitaires de Franche-Comté, 115-126. [8] Novakova, I., Bouchoueva, E. (2008a) Les collocations du type avoir et être + N sentiments en français et en russe. Aspects linguistiques et didactiques, in F. Grossmann & S. Plane (Ed.), Les apprentissages lexicaux. Lexique et production verbale, 219-233. Septentrion. [9] Novakova, I & Tutin, A. (2009) Les émotions sont-elles comptables ? in Novakova I. & A. Tutin (Ed.), Le Lexique des émotions ELLUG, 65-79. [10] Novakova I. (2010) « Quels enjeux pour la linguistique contrastive ? Sur l’exemple des constructions causatives en français et en bulgare » in Novakova I. & E. Dontchenko (Ed.) Grammaire et lexique: regards croisés, Presses universitaires de l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie) et les ELLUG (Université de Grenoble), 3958. 231 Liste exhaustive des travaux 1.3. Articles dans des revues avec comité de lecture : [11] Novakova I. (1995) Sur les systèmes aspecto-temporels du français et du bulgare, in Contrastive Linguistics 6/1995, Sofia: Université de Sofia, 5-14. [12] Novakova I. (1995) Unifier la terminologie des tiroirs verbaux - une utopie? in LIDIL 14 / 1997, Grenoble: PUG, 91-112. [13] Novakova I. (1998a) L’expression de l’idée d’avenir en français et en bulgare, Le Langage et l’Homme, Vol. XXXIII N°1, mars 1998, Bruxelles -Louvain: Peeters, 5-20. [14] Novakova I. (1998b) De la mobilité des « temps » verbaux sur l’axe chronologique en bulgare et en français (approche contrastive), Le Langage et l’Homme, vol. XXXIII No 2-3, septembre 1998, Bruxelles-Louvain, Peeters, 203-214. [15] Novakova I. (2000) Le Futur antérieur français: temps, aspect, modalités in Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, Band 110; Heft 2, F. Steiner Verlag, Stuttgart, 112-135. [16] Novakova I. (2001) Fonctionnement comparé de l’aspect verbal en français et en bulgare in la Revue des Etudes Slaves, Paris, LXXIII/1, 2001, 7-23. [17] Novakova I. (2003a) Sur la notion d’attribut en français et en bulgare in SCOLIA, No 16 / 2003, Strasbourg, 207-222. [18] Novakova I. (2003b) Le factitif français : approche syntaxique, sémantique et contrastive (français-bulgare), in TRANEL No 37 / 2002, Suisse, 93-113 [19] Novakova I. (2005) Bouge ta ville ! De l’emploi transitif de verbes intransitifs avec un sens causatif, in Faits de langues No 25 / 2005. L’exception, 141-147. [20] Novakova I (2006a) De la langue de bois à la langue des médias, ou comment une « petite » langue comme le bulgare évolue au gré des changements politiques, in Bulletin suisse de linguistique appliquée, No 83/2, 187-199. [21] Tutin A., Novakova I., Grossmann F., Cavalla C. (2006b) Esquisse de typologie des noms d’affect à partir de leurs propriétés combinatoires, in Langue française 150, 32-49. [22] Novakova I. (2009b), La dimension textuelle des tiroirs futurs en bulgare et en français, Faits de langues, 33, 211-220. 1.4. Communications à des congrès internationaux ou nationaux avec publications dans des actes ou des ouvrages avec comité de lecture [23] Novakova I. (2000) Comment le féminin fonctionne-t-il en français et en bulgare ? Communication présentée au Colloque international sur Le genre dans les langues, cultures et littératures, Funchal, Madère, 24-27 novembre 1999, parue in E. Almeida & M. Maillard (éds) O Femino nas Linguas; Culturas e Literaturas; Funchal, Universidade de Madeira, 307-317. [24] Novakova I. (2001) Quelques réflexions sur la terminologie relative au système verbal français et bulgare, Communication affichée, présentée au Colloque international 232 Liste exhaustive des travaux Métalangage et terminologie linguistique, 14-16 mai 1998 à l’Université Stendhal, Grenoble III; parue en version intégrale in Métalangage et terminologie linguistique, Actes du Colloque international de Grenoble, Colombat, B. & M. Savelli éd. ; Orbis / Supplementa, Peeters, 2001) 943-959. [25] Novakova I. (2003) Il faut te sortir pour te divertir un peu » : du « mauvais » français ou évolution linguistique, observable dans d’autres langues aussi ? (De l’emploi transitif de certains verbes intransitifs avec un sens causatif en français, bulgare, russe et anglais) in Actes provisoires du Colloque sur L’Exception, T.2, organisé par Faits de langues, Paris 3 et 5, 10-11 juin 2003, Paris, 290-304. [26] Bezinska Y, Chevrot J.-P., Novakova I. (2008) La construction faire+Vinf : approche linguistique et acquisitionnelle in Durand , B. Habert, B. Laks (éds) Actes du 1er Congrès mondial de linguistique française (CD-Rom), Paris, 9-12 juillet 2008, 1695-1709. [27] Novakova I. (2008), Faire+Vinf : une analyse fonctionnelle, Communication présentée au Colloque international Morphologie, syntaxe, sémantique : même combat ? , Oviedo, Espagne, 25-27 septembre 2008, parue en version intégrale et révisée in Alvarez Castro, Bango de la Campa, Donaire (éds) (2010) Liens Linguistiques. Etude sur la combinatoire et la hiérarchie des composants , Peter Lang, Bern, 461-474. [28] Novakova, I. (2009a). La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle, parue en version intégrale in E. Havu, J. Härmä, M. Helkkula ; M. Larjavaara et U. Tupmarla (éd.), La langue en contexte, Actes du Colloque international Les Représentation du sens linguistique (RSL IV), Helsinki, 27-29 mai 2008, Mémoires de la Société Néophilologique de Helsinki, LXXVIII, 107-120. [29] Melnikova E., Novakova I., Kraif O. (2009b) Quels corpus pour l’analyse contrastive ? L’exemple des constructions verbo-nominales de sentiment en français et en russe, in Actes des 6e Journées de la Linguistique de Corpus, Lorient (10-12 septembre 2009), http://web.univ-ubs.fr/corpus/jlc6.html. [30] Bezinska Y, Novakova I. (2009c). Grammaticalisation et acquisition des constructions causatives en français et en bulgare. 3e Colloque International de l’AFLiCo « Grammaires en construction(s) », Université Paris Ouest, Nanterre, La Défense, 27 - 29 mai 2009, accepté pour publication dans la revue Cognitextes de l’Association française de linguistique cognitive, AFLiCo (à paraître en 2010). [31] Melnikova E., Novakova I. (2010a), Les constructions verbo-nominales de sentiment en russe et en français, Helmy Amr Ibrahim (éd.) Supports et prédicats non verbaux dans les langues du monde, Paris : Cellule de Recherche en Linguistique (CRL), 207-219. [32] Novakova I. (2010b), Syntaxe et sémantique des constructions causatives, Communication présentée au Colloque international d’Etudes romanes, parue in Les catégories verbales dans les langues romanes. Actes du colloque international, Sofia, 25-27 février 2005, Textes réunis par M. Vélinova, Sofia, CU Romanistika, 274-287. [33] Melnikova E., Novakova I. (2010c) Les paramètres aspectuels des constructions verbo-nominales de sentiments en russe et en français, De Gioia M. (dir), Actes du 27e Colloque international sur le lexique et le grammaire. L’Acquila, 10-13 septembre 2008, Rome, Lingue d’Europa e del Mediterraneo, 163-174. [34] Bezinska, Y., Chevrot, J.-P, Novakova I., Nardy A. (2010d), L’acquisition de faire+Vinf en français : production, compréhension, imitation, in F. Neveu, V. Muni 233 Liste exhaustive des travaux Toke, J. Durand, T. Klinger, L ; Mondada, S. Prévost (éds), Actes du 2ème Congrès mondial de linguistique française (CD-Rom), Nouvelle Orléans (USA), 12-15 juillet 2010, 1445-1456. 1.5. Communications orales dans un congrès international ou national ou dans des Journées d’études [35] Novakova I. (1995) Comment la catégorie de l’aspect fonctionne-t-elle en français et en bulgare, Communication présentée à la Première rencontre de jeunes linguistes, mars 1995, Dunkerque. [36] Novakova I. (1998) L’« architecture » aspectuelle des tiroirs futurs. L’exemple du français et du bulgare. Communication présentée au Colloque Chronos III, 29-30 octobre 1998, Valenciennes. [37] Novakova I. (2000) « Une approche transcatégorielle pour l’analyse du temps verbal. Communication présentée aux Journées linguistiques franco-allemandes (1ère édition), Munich, 6-8 avril 2000. [38] Novakova I. (2002) La construction « faire + inf » : approche syntaxique, sémantique et typologique, Communication présentée aux Journées linguistiques franco-allemandes (3e édition), Munich, 11-13 avril 2002. [39] Novakova I. (2004) Elément pour l’analyse contrastive et typologique des constructions causatives (Sur des exemples du français, bulgare, russe, allemand, anglais, espagnol), Colloque international Typo 4, CERLITYP, les 15 et 16 novembre 2004, Paris. [40] Tutin A, Novakova I. et Grossmann F. (2005) Esquisse de typologie des noms d’affect à partir de leurs propriétés combinatoires, Colloque international de Cologne sur les collocations, les 1er et 2 juillet 2005 en vue de la publication du numéro de Langue française (2005) « Collocations, corpus, dictionnaires », organisateurs P. Blumenthal, F.-J. Hausmann. [41] Novakova, I, Tutin, A. (2006). Les émotions sont-elles comptables? Colloque international sur la Quantification, Strasbourg, 19-21 octobre 2006. [42] Novakova I. (2006) Causative mechanisms in Bulgarian and French. Communication présentée à la 2nd Conférence on The Syntax of theWorld’s Languages (SWL2), Lancaster, Grande-Bretagne, 14-17 septembre 2006. [43] Novakova I. (2007), Etat de l’art sur l’étude de la causativité dans les textes scientifiques. Communication présentée à la Journée d’étude sur l’écrit scientifique organisée dans le cadre du Cluster 14, le 19 juin 2007 à Grenoble. [44] Novakova I. (2008) Les mécanismes causatifs en français et en bulgare : quels enjeux pour l'analyse contrastive ?", Fifth International Contrastive Linguistics Conference (ICLC5) ; Louvain, 7–9 juillet 2008. [45] Bak M., Novakova I. (2010) « Le raisonnement causal dans les textes scientifiques », Communication présenté à la Journée d’étude Scientext, le 24.06.2010 à Grenoble. 234 Liste exhaustive des travaux 1.6. Autres publications : Compte-rendus [46] Novakova I. (2003) Passé et parfait. Textes réunis par A. Carlier, V. Lagae et C. Benninger, Cahiers Chronos 6 / 2000, Amsterdam / Atlanta : Rodopi, 142 p. CR paru in Zeitschrift für französische Sprache und Literatur (ZFSL), CXIII, Heft 1 / 2003, F. Steiner Verlag, Stuttgart, 46-49. [47] Novakova I. (2005) Les temps du passé français et leur enseignement. Textes réunis par E. Labeau et P. Larrivée, Cahiers Chronos 9 / 2002, Amsterdam / Atlanta : Rodopi, 242 p.). CR paru in ZFSL, Band 115, Heft 2 / août 2005, F. Steiner Verlag, Stuttgart,179-184. [48] Novakova I. (2008). La structure de la proposition : histoire d'un métalangage. P. Sériot et D. Samain (Ed.) Cahiers de l'ILSL, Université de Lausanne. CR paru in LIDIL 38, 143-148. 1.7. Exposés, conférences invitées : [49] 1994-1996 : 3 exposés dans le cadre du Centre Métagram, Laboratoire LIDILEM, Université Stendhal, Grenoble III : « L’aspect grammatical en français et en bulgare». « Sur le système de la voix en français et en bulgare ». « La terminologie verbale en français et en bulgare ». [50] 1998 «L’aspectualité en français». Conférence présentée dans le cadre du Séminaire de linguistique (Oberseminar), Institut de philologie romane, Ludwig Maximilian Universität, Munich, Allemagne (décembre, 1998) [51] 1999 « Les modalités au futur ». Conférence présentée dans le cadre du Séminaire de linguistique (Oberseminar), Institut de philologie romane, Ludwig Maximilian Universität, Munich, Allemagne (décembre, 1999). [52] 2001a « Le factitif français révélé à travers l’analyse contrastive avec les moyens lexicaux véhiculant un sens causatif en bulgare ». Exposé présenté dans le cadre du Séminaire de 3e cycle, Faculté des Lettres, UNIL, Lausanne, mai 2001. [53] 2001b « Le factitif dans le système de la voix en français ». Conférence présentée dans le cadre de l’Ecole doctorale ECLIPS, Université Lyon 2, mai 2001. [54] 2002 « Les constructions causatives : approche syntaxique, sémantique et typologique», exposé présenté dans le cadre du Séminaire transversal du Laboratoire LIDILEM, le 12 décembre 2002. [55] 2003 « Conversif ou causatif ». L’analyse du causatif dans le cadre de la théorie Sens-Texte d’I. Mel’cuk, LIDILEM, exposé dans le cadre du Séminaire Syntaxe&Sémantique, le 09 avril 2003. [56] 2004 « La transitivation causative », exposé présenté dans le cadre du Séminaire transversal du Laboratoire LIDILEM, le 25 mars 2004. [57] 2007 « L’apport de l’analyse contrastive à la typologie des langues : l’exemple des constructions causatives en français et en bulgare », Conférence invitée à la Section de langues slaves, Université de Lausanne, le 04 décembre 2007. 235 Liste exhaustive des travaux [58] 2008 Cycle de cours et conférences invités en syntaxe générale et française (20 h) au Département de français de l’Université d’Etat d’Astrakhan en Russie du 7au 14.09.2008, dans le cadre de l’Accord de coopération pédagogique et scientifique entre l’Université Stendhal Grenoble 3 et l’Université d’Etat d’Astrakhan. [59] 2010 « Quels enjeux pour la linguistique contrastive ? Sur l’exemple des constructions causatives en français, bulgare, russe et anglais », Conférence invitée au CRISCO, Université de Caen, le 04 février 2010. [60] 2010 « Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs », Conférence invitée dans le cadre de l’échange Teaching staff avec l’Université de Sofia, Département de langues romanes, Bulgarie, mai 2010. 236 Liste des travaux relatifs à la synthèse HDR LISTE DES TRAVAUX AYANT FAIT L’OBJET D’UNE SYNTHESE DANS LE MEMOIRE HDR (2010) IVA NOVAKOVA Doc. 1. Novakova I. (1997), Unifier la terminologie des tiroirs verbaux - une utopie ? Lidil, 14, 91-112. Doc. 2. Novakova I. (1998a), L’expression de l’idée d’avenir en français et en bulgare, Le Langage et l’Homme, Vol. XXXIII N°1, mars 1998, Bruxelles -Louvain: Peeters, 520. Doc. 3. Novakova I. (1998b), De la mobilité des « temps » verbaux sur l’axe chronologique en bulgare et en français (approche contrastive), Le Langage et l’Homme, vol. XXXIII No 2-3, septembre 1998, Bruxelles-Louvain, Peeters, 203-214. Doc. 4. Novakova I. (1999), Une approche transcatégorielle pour l’analyse du futur simple et du futur périphrastique français, in Mélanges de linguistique, sémiotique et narratologie, dédiés à la mémoire du Professeur Krassimir Mantchev, à l’occasion de son 60e anniversaire, Sofia (Bulgarie), Editions Colibri, 301-323. Doc. 5. Novakova I. (2000a), Le Futur antérieur français: temps, aspect, modalités, Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, Band 110; Heft 2, Stuttgart, F. Steiner Verlag, 112-135. Doc. 6. Novakova I. (2000b), Comment le féminin fonctionne-t-il en français et en bulgare ? in E. Almeida & M. Maillard (éds) O Femino nas Linguas; Culturas e Literaturas; Funchal, Universidade de Madeira, 307-317. Doc. 7. Novakova I. (2001a), Quelques réflexions sur la terminologie relative au système verbal français et bulgare, in Colombat, B. & M. Savelli (éd.) Métalangage et terminologie linguistique, Actes du Colloque international de Grenoble, Université de Stendhal, Grenoble 3, 14-16 mai 1998, Orbis / Supplementa, Peeters, 943-959. Doc. 8. Novakova I. (2001b), Fonctionnement comparé de l’aspect verbal en français et en bulgare, Revue des Etudes Slaves, LXXIII/1, Paris, 7-23. Doc. 9. Novakova I. (2001b), Sémantique du futur. Etude comparée français-bulgare, L’Harmattan, Paris, ISBN 2-7475-0439-5, Collection Langue & Parole, 396 p. 237 Liste des travaux relatifs à la synthèse HDR Doc. 10. Novakova I. (2003a), Sur la notion d’attribut en français et en bulgare, SCOLIA, 16, Strasbourg (2), Université Marc Bloch, 207-222. Doc. 11. Novakova I. (2003b), Le factitif français : approche syntaxique, sémantique et contrastive (français-bulgare) », TRANEL, 37, Université de Neuchâtel, Institut de linguistique, 93-113. Doc. 12. Novakova I. (2004), Approche lexicale des expressions verbo-nominales en français langue étrangère, in E. Calaque & J. David (éd.), Didactique du lexique : contextes, démarches, supports, Bruxelles, De Boeck, 89-103 (Chapitre 6). Doc. 13. Novakova I. (2005), Bouge ta ville ! De l’emploi transitif de verbes intransitifs avec un sens causatif, Faits de langues, 25, L’exception, 141-147. Doc. 14. Novakova I. (2006a), De la langue de bois à la langue des médias, ou comment une « petite » langue comme le bulgare évolue au gré des changements politiques, Bulletin suisse de linguistique appliquée, 83/2, Université de Neuchâtel, Institut de linguistique, 187-199. Doc. 15. Tutin A., Novakova I., Grossmann F., Cavalla C. (2006b), Esquisse de typologie des noms d’affect à partir de leurs propriétés combinatoires , Langue français, 150, Collocations, corpus, dictionnaires, 32-49. Doc. 16. Novakova I. (2006c), La transitivation causative : approche contrastive et typologique, in Lebaud D., Paulin C., Ploog K. (éd.), Constructions verbales & production de sens, Besançon, Presses universitaire de Franche-Comté , 115-126. Doc. 17. Novakova I., Bouchoueva E., (2008a), Les collocations du type avoir et être + N sentiments en français et en russe. Aspects linguistiques et didactiques, in F. Grossmann & S. Plane (éd.), Les apprentissages lexicaux. Lexique et production verbale, Septentrion, 219-233. Doc. 18. Bezinska Y, Chevrot J.-P., Novakova I. (2008b), La construction faire+Vinf : approche linguistique et acquisitionnelle, in Durand , B. Habert, B. Laks (éds) Actes du 1er Congrès mondial de linguistique française (CD-Rom), Paris, 9-12 juillet 2008, 1695-1709. Doc. 19. Novakova I. & Z. Guentchéva (éd.) (2008c), Syntaxe et sémantique des prédicats, Lidil, 37, ELLUG, Présentation, 6-22. 238 Liste des travaux relatifs à la synthèse HDR Doc. 20. Novakova I. (2009a), La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle, in E. Havu, J. Härmä, M. Helkkula ; M. Larjavaara et U. 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