Iva Novakov - HDR - Iva Novakova, Professeur en Syntaxe générale

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S cien ces d u L an g ag e
L ID IL E M
Syntaxe et sémantique des prédicats
(approche contrastive et fonctionnelle)
Volume 1 : Synthèse des travaux de recherche
Dossier présenté en vue de l’Habilitation à Diriger
des Recherches
Iva Novakova
Maître de conférences
Jury :
Zlatka Guentchéva, Directeur de recherches, LACITO, CNRS (Rapporteur)
Jacques François, PR, Université de Caen (Rapporteur)
Peter Blumenthal, PR, Université de Cologne, Allemagne (Rapporteur)
Henning Noelke, PR, Université d’Arhus, Danemark
Jean-Pierre Chevrot, PR, Université Stendhal, Grenoble 3
Francis Grossmann, PR, Université Stendhal, Grenoble 3 (Directeur du mémoire)
Décembre 2010
A ma mère que j’ai perdue en pleine rédaction de ce
mémoire et qui me manque tellement!
A mon mari qui m’a toujours soutenue dans les moments
les plus difficiles et m’a constamment encouragée à mener
ce travail à terme!
A mon fils qui, même loin, a été toujours à côté de moi !
Sommaire
SOMMAIRE
Introduction
1. Parcours scientifique …………………………………………………………… 5
2. Un fil conducteur………………………………………………………………
8
3. Principales problématiques de recherche………………………………………… 8
4. Choix théoriques…………………………………………………………………...9
4.1. Un éclectisme réaliste et maîtrisé…………………..........................................9
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
1. La comparaison des langues: objectifs et enjeux…………………………………15
1.1. Linguistique contrastive vs typologie……………………………………… 16
1.2. Sur les notions d’universaux ou d’invariants linguistiques………………….17
1.3. Quelques jalons dans l’évolution de la typologie et
de la linguistique contrastive………………………………………………...20
1.3.1. Les typologies morphologiques……………………………………..20
1.3.2. Les typologies aréales……………………………………………….22
1.3.3. Les typologies syntaxiques………………………………………….23
1.3.4. Les typologies fonctionnelles……………………………………….25
1.3.5. La typologie et la grammaticalisation……………………………….26
1.3.6. La linguistique contrastive………………………………………… 26
1.4. Quelle(s) stratégie(s) pour l’analyse contrastive ?..........................................27
1.4.1. La démarche onomasiologique vs démarche sémasiologique………27
1.4.2. Les équivalents fonctionnels………………………………………...29
1.4.3. Le nombre de langues à comparer…………………………………..30
1.5. Tentatives d’innovation……………………………………………………...31
2. Quels corpus pour la comparaison des langues ?....................................................31
3. Les approches fonctionnelles……………………………………………………..38
3.1. Les différents sens du terme « fonctionnel »………………………………..38
3.2. Approches fonctionnelles vs approches formelles en syntaxe………………39
3.3. Une « galaxie de fonctionnalismes ». Classement général………………….42
3.4. Les fonctionnalismes structuralistes. Les rapports formes-sens…………….44
3.5. Les fonctionnalismes et les grammaires cognitives
(fonctionnalismes cognitifs)…………………………………………………47
3.6. Les grammaires de constructions (CxG)…………………………………….50
1
Sommaire
3.7. Les grammaires cognitives : tendances actuelles……………………………51
3.8. Linguistique cognitive et théories énonciatives……………………………..54
4. La notion de prédicat……………………………………………………………..56
5. Conclusion ……………………………………………………………………….63
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
1. Les catégories temps-aspect-mode (TAM)……………………………………….67
1.1. La Temporalité………………………………………………………………68
1.2. L’Aspectualité ………………………………………………………………70
1.3. La Modalité………………………………………………………………….72
2. Les choix théoriques et méthodologiques………………………………………...73
2.1. L’approche transcatégorielle………………………………………………...76
3. Les futurs dans les différentes distributions syntaxiques…………………………77
3.1. Procès futurs uniques (hors série) dans la phrase simple …………………...78
3.2. Procès futurs en série dans une phrase simple ou complexe
(structure de succession) ……………………………………………………80
3.3. La suite FP→ FS dans le cadre de la phrase complexe
(juxtaposée ou coordonnée) ou de deux phrases…………………………….82
3.4. Procès futurs dans la structure principale-subordonnée……………………..83
3.5. Les futurs dans les différents types de phrases……………………………...84
3.6. Conclusion …………………………………………………………………..85
4. Analyse textuelle des futurs ……………………………………………………...86
5. Préoccupations terminologiques………………………………………………… 91
6. La combinatoire syntaxique et lexicale et l’aspectualité…………………………97
7. Conclusion………………………………………………………………………..99
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Introduction………………………………………………………………………...105
1. Typologie des mécanismes causatifs……………………………………………106
1.1. Les causatifs lexicaux ……………………………………………………..109
1.2. Les causatifs morphologiques……………………………………………...110
1.3. Le prédicat complexe faire+Vinf…………………………………………..111
1.4. Les périphrases causatives ………………………………………………...112
1.5. La structure phrastique transformée………………………………………..113
2
Sommaire
1.6. Conclusion………………………………………………………………….114
2. Le changement linguistique et la grammaticalisation…………………………...115
2.1. L’alternance décausative (AD)…………………………………………….115
2.1.1. Les causatifs « de service »………………………………………..117
2.2. La transitivation causative (TC)……………………………………………118
2.3. La grammaticalisation de faire+Vinf………………………………………120
2.4. L’évolution historique des constructions causatives en bulgare…………...121
2.5. Grammaticalisation et acquisition………………………………………….123
2.6. Conclusion………………………………………………………………….128
3. L’analyse fonctionnelle des constructions causatives…………………………...130
3.1. Faire+ Vinf : analyse fonctionnelle………………………………………..131
3.1.1. Analyse syntaxique………………………………………………...131
3.1.2. Analyse sémantique………………………………………………..131
3.1.2.1. Les notions de manipulation directe/indirecte………………..131
3.1.2.2. Le degré d’agentivité du sujet et de l’objet…………………...133
3.1.2.3. La nature sémantique de l’item verbal………………………..135
L’Hypothèse inaccusative …………………………………..136
3.1.3. Analyse discursive…………………………………………………138
3.2. Conclusion………………………………………………………………….139
4. Se faire Vinf : analyse fonctionnelle………………………………………….....141
4.1. Se faire Vinf à sens passif………………………………………………….142
4.1.1. La nature sémantique du verbe……………………………………143
4.1.2. Les rôles sémantiques du S………………………………………...143
4.1.3. La nature sémantique du Sujet (animé vs non-animé)……………..145
4.2. Se faire Vinf à sens réfléchi………………………………………………..145
4.3. Se faire+Vinf en diachronie………………………………………………..147
4.4. L’analyse discursive de se faire+Vinf …………………………………….147
4.5. Conclusion…………………………………………………………………149
5. Le statut de faire +Vinf et se faire+Vinf dans le système de la voix en français 150
6. Le raisonnement causal………………………………………………………….153
7. Conclusion………………………………………………………………………158
3
Sommaire
Chapitre 4. La combinatoire syntaxique et lexicale des constructions verbonominales d’affects
Introduction………………………………………………………………………...163
1. Le lexique en construction………………………………………………………165
2. La combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des émotions……………….173
2.1. La combinatoire syntaxique et lexicale : définition…………………….174
2.2. Typologie des N_affect…………………………………………………174
2.3. Le rôle de la combinatoire pour l’identification
de l’aspect des noms d’affect…………………………………………...179
2.3.1. L’aspect lexical du verbe dans la construction
verbo-nominale de sentiment (CVN_sent)……………………………...180
2.3.2. Les temps verbaux en français et les aspects verbaux en russe……….182
2.3.3. L’expression des phases dans les CVN_sent en français et en russe…183
2.3.4. Les classifieurs………………………………………………………..184
2.3.5. Les modifieurs ………………………………………………………..184
2.3.6. La détermination………………………………………………………184
2.4. Bilan…………………………………………………………………….185
3. Le projet Emolex………………………………………………………………..186
3.1. Objectifs et assises théoriques…………………………………………..186
3.2. Méthodologie de l’étude linguistique…………………………………...189
3.3. L’étude-pilote…………………………………………………………...191
4. Conclusion………………………………………………………………………194
Conclusions et perspectives
1. Les avantages d’une approche inter-langues…………………………………..196
2. Les avantages d’une approche fonctionnelle structuraliste……………………197
2.1 Les avantages d’une analyse par la grammaticalisation et
le changement linguistique……………………………………..……….198
3. Les prédicats et la prédication………………………………………………….199
4. Perspectives de recherches…………………………………………………… 200
Annexe 1……………………………………………………………………………...202
Références bibliographiques ………………………………………………………..204
Curriculum Vitae…………………………………………………………………….224
Liste exhaustive des travaux ………………………………………………………..230
Liste des travaux ayant fait l’objet d’une synthèse dans le mémoire HDR……...236
4
Introduction
INTRODUCTION
1. Parcours scientifique
Chaque parcours scientifique est un mûrissement. Le chemin de ce mûrissement
suit rarement une ligne droite. Le mien a été particulièrement sinueux, pour le moins
atypique. Avec le recul, je considère cela comme étant une richesse sur le plan
intellectuel et scientifique. J’ai obtenu ma maîtrise de français en 1981 à l’Université de
Sofia, en Bulgarie. Les enseignements en morphosyntaxe et en lexicologie du français
que j’ai suivis, dispensés par mes professeurs bulgares K. Mantchev, R. Bechkova et R.
Kamenova, m’ont été très bénéfiques et m’ont donné le goût et l’envie de comparer le
fonctionnement du français et du bulgare dès mon cursus universitaire. Mon mémoire
de maîtrise portait sur les moyens d’expression de la perception visuelle (regarder, voir,
jeter un regard, un coup d’oeil sur) en français et en bulgare. J’ai pu par la suite
appliquer, pendant plus de 8 ans (entre 1981 et 1989), ces premières connaissances en
linguistique contrastive dans mon travail de traductrice à l’Agence Sofia-Presse. En
parallèle, pendant quatre ans, j’ai enseigné la morphosyntaxe du français et les aspects
syntaxico-sémantiques du lexique à l’Université de Sofia et plus tard (entre 1991 et
1993), le français langue étrangère au Lycée de Nabeul en Tunisie.
A l’automne 1993, j’ai eu la chance et le privilège de m’inscrire en DEA et
ensuite en thèse de doctorat en Sciences du langage sous la direction de M. Maillard à
l’Université Stendhal, Grenoble 3. J’ai pu tiré un excellent parti des enseignements de
mes maîtres grenoblois, M. Maillard et de D. Creissels en linguistique générale et en
syntaxe comparée. L’atmosphère stimulante au sein du centre Métagram (Centre de
Recherches sur les Métalangages grammaticaux), rattaché au LIDILEM, ont
profondément marqué ma réflexion linguistique. Créé en 1990 par M. Maillard,
Métagram travaillait autour de trois axes de recherches : la grammaire française, la
linguistique générale et comparée et la didactique des langues. Il avait pour objectif de
mettre à jour et harmoniser la nomenclature grammaticale du français et de différentes
5
Introduction
langues d’Europe, d’Asie, du Maghreb. La comparaison des systèmes de plusieurs
langues était au centre des discussions passionnantes, fondées sur de solides
justifications théoriques, mais qui refusaient l’enfermement dans le cadre étroit d’une
seule théorie. Mon mémoire de DEA sur les moyens d’expression de l’aspect
grammatical, suivi de mon travail de thèse sur la temporalité, l’aspectualité et la
modalité des temps du futur en français et en bulgare m’ont permis de mieux
appréhender le fonctionnement de ces catégories grammaticales complexes.
En 1998, les aléas de la vie m’ont amenée à Munich. Rapidement, j’ai pu nouer
des contacts avec des collègues allemands du Linguistisches Kolloquim de l’Institut de
langues romanes de l’Université de Munich, dirigé par Wulf Oesterreicher. J’ai
fréquenté ce séminaire pendant trois ans. J’y ai impulsé les Journées linguistiques
franco-allemandes réunissant annuellement des linguistes français et allemands dans
l’objectif d’établir des collaborations scientifiques. J’ai été membre du comité
d’organisation de ces Journées de 1999 à 2002. Pendant mon séjour en Allemagne, j’ai
pu me familiariser avec la langue allemande et aussi approfondir mes recherches sur les
temps-modes-aspects du verbe. J’y ai préparé la publication de mon livre Sémantique du
futur, paru en 2001 chez l’Harmattan (préface de J.-P. Desclés).
En 2000-2001, nouveau changement. Grâce à la bourse d’étude qui m’a été
attribuée sur concours par la Fondation Katzarovi à Genève, j’ai effectué un séjour de
recherches post-doctorales, à la Section des langues slaves de l’Université de Lausanne
sous la direction de Patrick Sériot. Ce séjour a été prolongé grâce à une nouvelle bourse
de 6 mois, attribuée conjointement par la Société académique vaudoise et la Fondation
du 450ème anniversaire de l’Université de Lausanne. Ce séjour post-doctoral m’a permis
d’élargir considérablement le champ de mes recherches. J’ai choisi comme thème de
recherche le fonctionnement sémantique et syntaxique de la construction faire+Vinf en
français et ses équivalents bulgares. Ce choix a été principalement dicté par le fait que le
bulgare ne dispose pas d’une construction équivalente à faire +Vinf pour exprimer la
causalité et que celle-ci constitue une source de difficulté pour les apprenants
bulgarophones du FLE, y compris d’un niveau avancé. A Lausanne, les discussions
passionnantes autour des relations forme-sens, menées avec P. Sériot, épistémologue et
structuraliste convaincu, ont donné une nouvelle dimension à ma réflexion linguistique.
La grammaire de dépendance, issue de la syntaxe structurale de Tesnière, a constitué le
principal cadre théorique à cette recherche. Envisagé au début comme une étude
6
Introduction
strictement contrastive français-bulgare, ce travail a rapidement pris de l’ampleur en
s’étendant à d’autres mécanismes causatifs et à d’autres langues comme le russe,
l’allemand, l’anglais. Cette évolution de mes recherches a nécessité un cadre théorique
adapté et celui des grammaires fonctionnelles m’a paru comme le plus apte à rendre
compte du fonctionnement des constructions causatives dans les langues étudiées.
A l’automne 2001, je suis revenue à Grenoble. Des opportunités se sont
présentées qui m’ont permis d’assurer des cours en linguistique générale, lexicologie et
syntaxe à l’UFR des Sciences du langage, en tant que vacataire d’abord et ensuite,
pendant deux ans, en tant qu’ATER. En 2004, j’ai été nommée MCF en Syntaxe
générale et française. J’ai également réintégré, pour mon plus grand plaisir, le
LIDILEM où j’ai poursuivi et développé mes recherches sur les constructions
causatives. Au sein de l’Axe 1 du Laboratoire, qui s’appelait à cette époque Analyses
descriptives : syntaxe, sémantique et pragmatique, j’ai également pu entreprendre, en
équipe, des travaux sur de nouvelles problématiques, portant sur la combinatoire
syntaxique et lexicale du lexique des affects. Les multiples collaborations avec mes
collègues au sein de l’équipe (F. Grossmann, A. Tutin, C. Cavalla, J.-P. Chevrot), mais
aussi avec les collèges de l’équipe de P. Blumenthal de l’Université de Cologne depuis
2005, ont été particulièrement formatrices et bénéfiques pour mon parcours scientifique.
Le Séminaire mensuel Syntaxe, sémantique et pragmatique qui réunit des enseignants chercheurs, des doctorants et des étudiants en Master, que je co-organise depuis 2005
avec A. Tutin, contribue aussi au dynamisme de notre équipe de l’Axe 1 du LIDILEM.
Les travaux collectifs que nous avons menés sur la typologie des noms d’affects
(avec A. Tutin, F. Grossmann et C. Cavalla) et sur leur détermination (avec A. Tutin), le
Colloque international sur le lexique des émotions et sa combinatoire syntaxique et
lexicale que j’ai co-organisé avec A. Tutin en avril 2007 et l’ouvrage qui en est issu, ont
constitué une base solide ayant permis la soumission, en 2009, d’un projet ANR francoallemand en SHS sur Le lexique des émotions dans cinq langues européennes :
sémantique, syntaxe et dimension discursive. Ce projet (ANR-09-FASHS-017) dont je
suis le responsable scientifique, avec P. Blumenthal pour l’équipe allemande, a été
sélectionné parmi 67 autres projets et a obtenu un important financement sur 36 mois
(2009-2012).
Cette mobilité géographique (Bulgarie, Tunisie, France, Allemagne, Suisse), les
contacts extrêmement stimulants avec des linguistes de tous bords ont été sans doute
7
Introduction
pour beaucoup dans mes choix thématiques et théoriques. Mon itinéraire a contribué à
développer une capacité d’adaptation à différents publics et thématiques. Il m’a fait
connaître des modalités de travail différentes au sein d’équipes de recherches en France
et dans d’autres pays.
2. Un fil conducteur
La réflexion constante autour des relations complexes entre le sens et les formes des
unités de langue et ce, dans une perspective contrastive et inter-langues, constitue le fil
conducteur de mes travaux de recherches. Ceci explique le fait que pratiquement tous
mes travaux se situent à l’interface entre la syntaxe et la sémantique. L’approche
contrastive fournit un filtre d’éclairage efficace des faits de langue étudiés. Elle donne le
recul nécessaire (Creissels, 1995) pour appréhender correctement le fonctionnement du
système des langues comparées. Croft (2002 : 8) indique à juste titre que « [o] ne
language at a time » n’est pas capable de prédire les schémas grammaticaux des
langues. Muller (2002), quant à lui, considère que pour mieux décrire certains principes
généraux de la syntaxe du français, il est important de le comparer avec d’autres
langues1.
Les cinq thèses que je co-dirige actuellement, ainsi que les mémoires de Master
réalisés sous ma direction, portent tous sur des sujets traités dans une perspective
contrastive (français-bulgare, français-russe, français-polonais). Si je dois définir la
quintessence de mes travaux, je dirai que c’est une recherche inter-langues d’inspiration
fonctionnaliste, à l’interface entre la syntaxe et la sémantique.
3. Principales problématiques de recherche
Mes recherches s’organisent autour de trois principales problématiques :
- le
fonctionnement
syntaxique
et
sémantique
des
catégories
grammaticales du temps-aspect-mode en français et en bulgare ;
- la syntaxe et la sémantique des constructions causatives dans une
perspective inter-langues (français, bulgare, russe, anglais et allemand) ;
1
Dans son ouvrage Les bases de la syntaxe, Muller (2002) compare la syntaxe du français avec celle
d’autres langues voisines comme l’allemand, l’anglais, l’espagnol, mais aussi avec l’occitan, le breton ou
le basque.
8
Introduction
- la syntaxe et la sémantique des constructions verbo-nominales de
sentiments (français, russe, anglais, allemand, espagnol).
Ces problématiques sont loin d’être cloisonnées par périodes. J’effectue des va-etvient constants entre ces trois pôles, comme en témoignent mes publications, ainsi que
le co-encadrement des thèses de E. Melnikova (sur l’Aspectualité des constructions
verbo-nominales de sentiments en français et en russe), celle de Y. Bezinska (sur
l’Acquisition des constructions causatives faire+Vinf par les enfants bulgares et
français) et celle d’E. Bouchoueva (sur la Combinatoire syntaxique et lexicale des
prédicats de la peur en français et en russe).
4. Choix théoriques
4.1. Un éclectisme réaliste et maîtrisé
La rigueur de la recherche scientifique exige de solides fondements théoriques.
Dans le même temps, la langue est un phénomène si complexe qu’elle se prête mal à
l’enfermement dans un seul et unique cadre théorique. Comme je l’ai déjà dit
précédemment, les recherches au sein de Métagram étaient menées dans un grand esprit
d’ouverture. Comme l’indique M. Maillard (2002 : 9)2, « [h]ors de toute église
constituée, notre recherche terminologique n’allait pas sans une vaste rénovation
théorique, appuyée sur une approche contrastive des langues et alimentée par un patient
travail sur corpus ». C’est de cette époque que j’ai héritée le goût d’une linguistique
« œcuménique », ouverte, non-endoctrinée, tenant compte de la complémentarité des
théories mais sans tomber dans un éclectisme facile. Mes choix théoriques concrets
apparaîtront au fur et à mesure de la synthèse de mes travaux.
Une autre raison à ce non-endoctrinement théorique est sans doute la
perspective contrastive de mes travaux. Ce que dit H. Noelke (2002 : 182) à propos de
ses recherches semble un écho fidèle de mes propres expériences : « Personnellement et
sans doute à cause de mon origine danoise, j’ai horreur des « cultes » théoriques, où on
forme sa propre société linguistique close et où, souvent, tout le travail consiste à suivre
la pensée du grand maître ». Son approche « modulaire » vise à mettre en place un
modèle « total », censé relier la forme linguistique au sens. (Noelke, 1999 : 37). La
2
La préface de M. Maillard au livre de H. Lessan Pezechki (2002) .
9
Introduction
notion de modularité cache un certain éclectisme. Mais comme l’indique Noelke (1999 :
27), la bonne approche modulaire transforme l’éclectisme « aveugle » en « éclectisme
maîtrisé ».
Même si la position de Lazard (2006 : 93), à savoir que « le descripteur doit se
garder de tout modèle » peut paraître extrême, elle correspond à la spécificité du travail
qui consiste à décrire et à comparer des langues. On retrouve ce même constat dans les
récents Mélanges offerts à D. Creissels. Voici ce qu’écrit F. Floricic (2010 : 16) qui en
est l’éditeur :
« […] ceux qui ont suivi l’enseignement de Denis Creissels peuvent témoigner de ce
que rien ne lui est aussi étranger qu’une quelconque forme d’orthodoxie théorique et
de prosélytisme de chapelle. En d’autres termes, les positions qui sont celles de
Denis Creissels sur telle ou telle problématique de linguistique générale s’appuient
certes sur une articulation rigoureuse des concepts et des notions fondamentales
définis à partir des données qu’offrent les langues les plus diverses, mais on n’y
trouvera pas ce que l’on pourrait définir comme un « corps de doctrine » ou un
« système de pensée ».
Eclectique dans ses sources d’inspiration et ses intérêts linguistiques, poursuit F.
Floricic (2010 : 16-17), D. Creissels a souvent pointé l’importance de la dimension
transversale de l’analyse des faits de langues. Transversale au sens où les phénomènes
ne se laissent pas compartimenter dans des domaines cloisonnés et circonscrits une fois
pour toute (i.e. la « phonologie » ou la « syntaxe ») 3.
Cette vision de la recherche en linguistique correspond aussi à ce que j’ai
toujours recherché dans l’analyse des faits de langue, à savoir l’explication la plus
complète possible, en prenant parallèlement en compte les aspects syntaxiques,
sémantiques et pragmatiques de leur fonctionnement. Ne pas procéder ainsi aboutit, à
mon avis, à des résultats partiels, forcément réducteurs, qui ne correspondent pas aux
3
Comme l’indique Creissels lui-même au début de son ouvrage Syntaxe générale : une introduction
typologique (2006, T.1 : 2) : « […] je ne cherche ici, ni à appliquer de manière plus ou moins orthodoxe
l’une des théories syntaxiques actuellement sur le marché, ni à proposer une théorie nouvelle. Mais il ne
faut pas voir là le résultat d’une attitude négative envers les théories et la théorisation en général.
Simplement, il y a plusieurs façon de contribuer à la théorisation, et celle que j’ai choisi d’explorer
consiste à examiner à la fois, d’une part les descriptions de langues aussi variées que possible, d’autre part
les propositions de théoriciens d’orientation diverses, pour essayer de dégager les notions qui dans l’état
actuel des choses semblent permettre de rendre compte de façon optimale des connaissances déjà acquises
sur la diversité des structures syntaxiques des langues […].
10
Introduction
réalités complexes du langage. Cette approche « holiste » de la linguistique sous-tend de
nombreux modèles actuels comme par exemple les modèles fonctionnalistes de
Halliday, Dik, Givòn, Van Valin et LaPolla qui accordent une importance fondamentale
à l’interaction entre les composantes morphosyntaxiques, sémantiques et discursives,
ainsi qu’à la fonction communicative de la langue. Les approches fonctionnelles
conçoivent la syntaxe comme un outil de transmission du sens des expressions
linguistiques (J. François, 2004b : 272). Elles sont particulièrement aptes à rendre
compte du fonctionnement de différentes catégories comme le temps-aspect-mode
(TAM) ou la causalité et ce, dans une perspective inter-langues. Mes travaux sur les
constructions causatives conjuguent l’approche fonctionnelle à celle de la syntaxe
structurale, inspirée par Lucien Tesnière. Ceux qui étudient la syntaxe et la sémantique
des temps-aspects-modes s’appuient, dans leur partie textuelle, sur le modèle
topologique du temps et de l’aspect de J.-P. Desclés (1994, 1995) et de J.-P. Desclés &
Z. Guentchéva (2006), représentant un module de la Grammaire Applicative et
Cognitive. Dans le chapitre 1 (section 3), j’explicite les liens entre approches
fonctionnelles structuralistes et théories cognitives constructivistes. Enfin, mes
recherches sur le lexique en construction s’appuient sur le modèle structurologique du
linguistique bulgare K. Mantchev (1976, 1980, 1998). La structurologie de Mantchev ou
sa syntaxe sémantique4 propose une approche du lexique conforme à celle de la
grammaire. Par ailleurs, les liens entre formes syntaxiques et sens sont aussi
constamment exploités dans des théories plus récentes comme le Lexique-grammaire de
M. Gross ou la théorie des classes d’objets de G. Gross, qui ont également servi de
sources d’inspiration sur des points précis des recherches collectives, menées sur la
combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des affects au sein de notre équipe. En
fonction des problématiques abordées dans les trois principaux volets de mes
recherches, j’ai choisi des cadres théoriques différents qui m’ont aidée à avancer dans la
réflexion linguistique. Ces théories ont comme point commun la réflexion sur le lien
entre la forme et le sens, sur la construction du sens.
Le chapitre 1 de cette synthèse est consacré à la mise en rapport des différentes
approches fonctionnelles et contrastives qui sont à la base de mes positionnements
théoriques. Il aborde aussi la notion de prédicat. Le chapitre 2 traite de la syntaxe et de
4
Le terme est de Tollis (1991) qui a étudié dans le détail les travaux de Mantchev.
11
Introduction
la sémantique des catégories des temps - aspects - modes. Le chapitre 3 résume les
grandes lignes de mes recherches sur la syntaxe et la sémantique des prédicats causatifs.
Le chapitre 4 correspond à la problématique de la combinatoire syntaxique et lexicale
des constructions verbo-nominales exprimant des affects5.
5
La distinction terminologique (cf. chapitre 4, section 2) entre affects en tant que terme générique d’une
part et sentiments, émotions, états affectifs d’autre part que nous faisons dans le doc. 23 (Tutin,
Novakova, Grossmann, Cavalla, 2006) dans un objectif classificatoire n’est pas toujours appliquée dans
ce travail de synthèse et ce, non pas par inadvertance, mais à cause du fait qu’il s’agit d’étiquettes
conventionnelles qui ne correspondent pas toujours à de sous-catégorisations. Dans d’autres travaux,
comme par exemple la thèse d’E. Melnikova qui étudie les constructions verbo-nominales de sentiments,
l’ouvrage Le Lexique des émotions (doc 22), le projet Emolex (lexique des émotions), ainsi que dans les
travaux de différents linguistes sur le sujet, ces termes sont souvent utilisés comme synonymes. : Les
verbes de sentiment de Y.Y. Mathieu (2000), « Verbes psychologiques et interprétation sémantique »
(Y.Y. Mathieu, 2005), les verbes psychologiques (M. Gross, 1995), les prédicats d’affect (Buvet et al.
1995). Ce « flottement » terminologique est donc à imputer à ces raisons.
12
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
CHAPITRE 1
Approches contrastives
et fonctionnelles
13
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
14
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
1. La comparaison des langues: objectifs et enjeux
La comparaison des langues étant le fil conducteur de mes recherches, j’ai
souhaité mener une réflexion théorique plus générale sur les enjeux actuels de la
linguistique contrastive, sur la méthodologie et les corpus à utiliser lorsqu’on a pour
objectif de faire ressortir les similitudes et les différences dans le fonctionnement de
différentes langues. Ceci s’impose d’autant plus que tous les travaux que je dirige ou
co-dirige (mémoires de Master, thèses) portent sur différents sujets en linguistique
contrastive. Dans le cours de Descriptions syntaxiques que j’assure en Master 1, inspiré
de mes recherches sur la typologie des mécanismes causatifs, je propose également une
synthèse du contexte historique, des approches théoriques et des démarches
méthodologiques dans le domaine de la comparaison des langues. Toute cette réflexion
a abouti à la publication d’un ouvrage franco-russe en linguistique contrastive, intitulé
Grammaire et lexique : regards croisés, en collaboration avec l’Université d’Etat
d’Astrakhan6 auquel participent des auteurs de différents pays (France, Russie, Pologne,
Suisse), dont je suis le co-éditeur avec E. Dontchenko (doc. 30 et 31). A travers une
série d’études, issues de différents horizons théoriques (fonctionnels, cognitifs,
structuralistes) et portant sur la syntaxe et la sémantique des constructions causatives,
sur la problématique du temps et de l’aspect, sur la phraséologie ou l’analyse textuelle,
cet ouvrage aborde des questions théoriques, méthodologiques et épistémologiques
importantes, ainsi que des aspects plus appliqués en linguistique de corpus et en
didactique des langues. Elles illustrent parfaitement l’idée contenue dans le titre de
l’ouvrage, à savoir l’intérêt que l’on peut tirer de ces regards croisés de spécialistes
étrangers sur des phénomènes linguistiques du français et inversement.
Dans ce qui suit, je proposerai une brève synthèse des évolutions de la
linguistique contrastive, ainsi que des liens que celle-ci entretient avec la typologie et la
linguistique générale. Sans prétendre à l’exhaustivité, ce point de synthèse vise à
retracer le contexte historique et théorique des travaux en linguistique contrastive et à
apporter quelques précisions terminologiques, car les termes de grammaire comparée,
linguistique contrastive, approche inter-langues prêtent souvent à confusion.
6
Coédition des Ellug et de la Maison d’Edition de l’Université d’Astrakhan (2010). Cet ouvrage paraît
aussi dans le cadre de l’Année France / Russie 2010 dont il a obtenu la labellisation.
15
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
1.1. Linguistique contrastive vs typologie
Le terme de linguistique comparée renvoie le plus souvent à la grammaire
historique et comparée7 du XIXe s., qui s’est développée en Allemagne avec les travaux
de Schleicher, les frères Schlegel, les frères Grimm, Franz Bopp, Humboldt. Elle étudie
l'histoire et l'évolution des langues, prises individuellement ou regroupées dans des
familles de langues. Elle a donné naissance à la méthode comparative, qui établit les
liens de parenté entre les langues européennes anciennes et modernes et le sanscrit, qui
s’expliquent par leur origine commune : une langue qui n’a pas réellement existé, une
langue
reconstruite,
à
partir
de
la
comparaison
des
langues
attestées,
conventionnellement appelée le proto-indo-européen (PIE). La grammaire historique et
comparée établit, entre autres, des liens entre le lexique dans plusieurs langues comme
par exemple matar (sanscrit), meter (grec), mater (latin), matka (polonais), mat’ (russe),
majka (bulgare), Mutter (allemand), mother (anglais), madre (espagnol/italien)8.
La linguistique contrastive, quant à elle, s’occupe de la comparaison
systématique entre deux ou plusieurs langues dans le but de décrire leurs similarités et
leurs différences. Cette dernière est plutôt synchronique. Le terme de contrastif est
d’origine anglo-saxonne, où l’on utilise contrastive linguistics mais aussi le terme de
cross-linguistic studies. On rencontre également dans la littérature le terme de crosslinguistic typology qui me semble redondant, la typologie ayant par définition pour
vocation de comparer plusieurs langues. Le terme de cross-linguistic comparison
correspond en français au terme de comparaison interlangues qui s’oppose aux analyses
intralangues (Lazard, 2006). On trouve aussi le terme de comparaisons
translinguistiques (cross-lingustic comparison) (Sörés, 2008).
La typologie, quant à elle, a pour objet d’établir les traits généraux communs à un
grand échantillon de langues, de préférence peu connues. Elle est pratiquement
contemporaine à la grammaire historique et comparée (XIXe s). Il existe plusieurs
acceptions du terme typologie ; le terme est polysémique, comme celui de grammaire.
Selon W. Croft (2003 :1-2) :
7
Le terme de vergleichende Grammatik a été introduit en 1808 par F. von Schlegel.
8
D’après Adamczewski (1991).
16
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
• la typologie signifie l’observation des phénomènes empiriques et, ensuite, la
classification9 morphologique des langues ;
• la typologie c’est aussi une généralisation : l’étude des universaux du langage
(language universals : morphological and syntax universals) pour établir les types de
langues ;
• la typologie signifie également une approche d’analyse linguistique. On parle
souvent de functional typological approach, opposée à la GGT (Chomsky).
Ce flottement terminologique existe aussi en linguistique contrastive,
appréhendée comme un domaine de la linguistique mais aussi comme une approche
permettant d’étudier le fonctionnement des langues. Selon Croft (1998 : 300), les
adversaires de la typologie la décrivent comme une discipline « simplement »
taxinomique. On retrouve ce reproche chez d’autres auteurs comme, par exemple, chez
Sörés (2008 : VII) qui considère qu’ « [u]ne étude typologique à grande échelle est
nécessairement superficielle puisqu’il n’est pas possible de se référer à tous les détails ».
Cette critique vis-à-vis de la typologie n’est pas sans fondement. Toujours est-il
que cette discipline part de l’observation des données pour aboutir à des généralisations
et à des explications, ce qui veut dire qu’elle est essentiellement descriptive mais peut
être aussi explicative. Par ailleurs, une comparaison des langues à une moindre échelle
(contrastive) permet d’affiner ou de préciser certains principes typologiques (Doc. 31).
1.2. Sur les notions d’universaux ou d’invariants linguistiques
La recherche sur les universaux du langage commence dans les années 1960
avec les travaux de Hockett et Greenberg10. Le terme de language universals en
typologie est différent de language universals chez les générativistes (Chomsky) qui
les identifient à l’innate universal linguistic competence. Selon l’approche générativiste,
les différentes langues ne sont que des variantes d’une « grammaire universelle »,
inscrite génétiquement dans le cerveau humain. J’y reviendrai dans la section 3.2.
9
La typologie a été influencée sur le plan méthodologique par les taxinomies élaborées en biologie au
XIXe s. et, en particulier, par L’origine des espèces de Darwin (1859).
10
Cf. aussi à ce sujet Sörés (2008 : 3).
17
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
D’un point de vue terminologique toujours, Hagège (1982 : 9-11) préfère le
terme de tendances dominantes plutôt que d’universaux. Pour lui, « la notion
d’universaux […] est (encore) objet de controverses. Les uns les placent au centre de la
théorie du langage, les autres les jugent illusoires. Un fait en tout cas sollicite réflexion :
il est universellement possible de traduire. […] la traduction est la seule garantie que
nous ayons d’une substance sémantique au moins en partie commune à toutes les
langues. Il faut, pour échapper aux mirages de la quête résolue d’universaux, prendre
conscience des fortes restrictions qui la limitent. ». Lazard (2006 : 111), quant à lui,
utilise le terme d’invariants interlangues11. Il propose le terme d’« universau » qu’il
forge sur le modèle de matériel et matériau (idem : 116). Mais universau est rarement
utilisé dans la littérature typologique. On y trouve aussi le terme d’universal ou de
généralisations translinguistiques (Sörés, 2008). Pour ma part, je préfère le terme
d’invariants ou celui de tendances.
La typologie des invariants (ou universaux) n’est pas facile à établir. Toutefois,
on rencontre le plus souvent dans la littérature (R. Martin, 2002, Sörés, 2008, Croft,
1998) trois types d’universaux : conceptuels, fonctionnels et implicationnels. Lazard
(2001) distingue des universaux de forme, de sens et de corrélation. Plus généralement,
certains auteurs (R. Martin, 2002 : 98) incluent aussi des universaux appelés
empiriques : le temps qu’il fait, qui passe, la position et les mouvements du corps dans
l’espace, les sensations physiologiques (faim, froid), les émotions, les couleurs, les
relations de parenté. Lorsqu’on parle d’invariants (ou d’universaux) langagiers, on a en
vue aussi le fait qu’il existe des domaines, appartenant à l’espace sémantico-cognitif
universel, qui fournissent des catégories grammaticales. Dans ces universaux
conceptuels (ou notionnels), on range des concepts abstraits susceptibles d’être présents
dans toutes les langues (les « primitives sémantiques » de Wierzbicka, 1996), mais aussi
des catégories grammaticalisées qui appartiennent aux espaces notionnels des
temps/aspects/modes (TAM), du nombre (singulier et pluriel), du genre (des animés).
Les universaux fonctionnels renvoient aux procédures référentielles que sont censées
avoir les langues pour désigner la personne (le système d’indices pronominaux ternaires
je/tu/il). Les typologues considèrent que toutes les langues disposent d’embrayeurs
(déictiques) de forme et de nature différentes qui assurent l’ancrage de l’énoncé (moi-
11
Son ouvrage dont le titre est La quête des invariants interlangues avec le sous-titre provocateur La
linguistique est-elle une science ? est considéré par l’auteur comme son testament de linguiste (p. 150).
18
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
ici-maintenant). La majorité des langues ont aussi de moyens pour exprimer les actes du
langage sous forme d’assertion, d’interrogation, d’injonction, d’exclamation. Une
langue sans négation est impensable (Benveniste).
Par ailleurs, Greenberg (1966 : 63), formule le principe des universaux dits
implicationnels12 : « given x in a particular language, we always find y ». Par exemple,
si dans une langue le verbe a les catégories de la personne-nombre ou s’il a la catégorie
du genre, il a toujours les catégories du temps-mode (universal 30). Un autre exemple :
si une langue dispose de la catégorie du genre pour les noms, elle dispose aussi de la
catégorie du genre sur les pronoms (universal 43), etc.
Enfin, les langues ont aussi des universaux grammaticaux (syntaxiques ou
formels). L’ordre des mots dégagé par Greenberg en fait partie. L’organisation de la
proposition autour d’un noyau prédicatif, le plus souvent le verbe, organisateur des
relations actancielles, semble être commune à toutes les langues. La distinction des
catégories du nom et du verbe, quoique très inégalement marquée par des procédés
différents, est aussi probablement universelle (Lazard, 2006 : 92). Certaines notions
« primitives » en syntaxe sont aussi considérées comme identifiables dans la majorité
des langues. Ainsi, selon Creissels (Cours de Maîtrise, FLE-400 : 43), l’organisation
grammaticale des langues repose sur la possibilité d’identifier certains fragments des
énoncés comme étant des constituants nominaux et d’autres comme des expressions
prédicatives. En terme de syntaxe générale, le sujet peut être défini comme le terme
initial de la relation prédicative. On se heurte pourtant à la difficulté des prédications
asubjectales (Formidable, ce gâteau !)13 ou aux langues, où cette notion est inopérante
(par ex. en japonais). En ce qui concerne la fonction objet, elle peut être définie de
façon générale, selon Creissels, à partir de la notion de solidarité des constituants
nominaux avec le prédicat verbal. Enfin, on peut supposer que toutes les langues
disposent de moyens (syntaxiques le plus souvent) pour exprimer l’opposition thème/
rhème ou l’articulation du discursif sur le syntaxique (on pourrait les rattacher aux
universaux fonctionnels).
Dans mes recherches contrastives et inter-langues, j’ai étudié le fonctionnement
syntaxico-sémantique des catégories des temps-aspects-modes (par ex. le doc. 9) de la
12
Cf. aussi à ce sujet Croft (1998), Lazard (2006), Sörés (2008).
13
Cf. à ce sujet Maillard (2008a et b).
19
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
causalité (doc. 24), du genre grammatical (doc. 6), qui font partie des universaux
notionnels ou celui du lexique relatif aux émotions, ces dernières étant considérées
comme des universaux empiriques. Toutes ces catégories impliquent une analyse des
relations de prédication, des relations actancielles, de la transitivité, de la détermination,
de leur environnement syntaxique et lexical.
1.3. Quelques jalons dans l’évolution de la typologie et de la
linguistique contrastive
1.3.1. Les typologies morphologiques
Comme évoqué supra, au XIXe s., la grammaire historique et comparée (Bopp,
Grimm, Schleicher, Schlegel, Humboldt) contribue aux premières typologies
morphologiques des langues qui distinguent quatre types de langues: isolant (par ex. le
chinois), agglutinant (le turc, le hongrois), flexionnel (le latin), polysynthétique
(l’eskimo). Cette typologie repose sur la structure des mots. Dans les langues de type
isolant, en principe, on ne peut pas distinguer le radical des éléments grammaticaux.
Chaque mot a une seule forme et ne peut être transformé ni par flexion, ni par
dérivation. Les relations grammaticales sont exprimées par l’ordre des mots ou par
l’adjonction de mots autonomes. C’est le cas du chinois, du vietnamien ou du thaï
(Feuillet, 2006 : 19). Par exemple, le présent est exprimé par l’ajout du mot maintenant,
le pluriel par le mot beaucoup (en chinois classique). Les langues agglutinantes ajoutent
à une forme de mot une série de morphèmes, chacun étant analysable séparément. En
turc, kus qui signifie oiseau peut se voir adjoindre des suffixes distincts pour chaque
rapport grammatical, -lar pour le pluriel et des suffixes différents pour chaque cas :
Nom.
Dat.
Loc.
Abl.
Sg
Pl
Kus
Kus-a
Kus-da
Kus-dan
kus-lar
kus-lar-a
kus-lar-da
kus-lar-dan
En hongrois, des suffixes isolables marquent le pluriel (-ak) et le cas (∅ :
nominatif, -at : accusatif, - nak : datif) comme pour haz-ak (maison/maisons) :
20
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Nom.
Acc.
Dat.
Haz
Hazat
Haznak
haz-ak
haz-ak-at
haz-ak-nak
Dans le type flexionnel, la limite entre le radical et le suffixe n’est pas claire.
Chaque suffixe exprime souvent plusieurs relations grammaticales (amalgames du cas,
du singulier, de la personne, du genre). Parmi les exemples-types de langues
flexionnelles , on peut citer les langues indo-européennes anciennes (latin, gothique,
vieux slave) Par exemple, dans bon-us en latin, le suffixe -us marque à la fois le
nominatif, le singulier et le masculin ; dans la flexion -ons de nous chantons, le temps,
la personne et le nombre ne sont jamais décumulés. Dans le type polysynthétique
(groenlandais, l’eskimo, certaines langues amérindiennes), on ajoute au radical des
éléments dont la place ne peut changer. Toutes les relations grammaticales peuvent
s’exprimer ainsi. En groenlandais, par exemple je voudrais faire du café s’exprimerait
en
un
seul
mot
Kavfiliorniarumagaluarpunga.
Daunauschiffartsgesellschaftskapitän
En
allemand
Donau-schiff-fahrts-gesellschafts-kapitän
(Feuillet, 2006 : 23) signifie ‘capitaine de la compagnie de navigation du Danube’.
De nombreuses objections ont été faites au sujet de la typologie morphologique
traditionnelle. On lui reproche le plus souvent le fait qu’aucune langue ne possède les
traits d’un seul type à l’état pur. La plupart des langues présentent des traits mixtes.
Aucune langue ne peut donc être rangée de manière univoque sous un des quatre types.
De plus, d’un point de vue historique, le principe même du changement linguistique ,
sous-jacent à l’apparition des familles linguistiques, implique qu’une langue peut
changer de type au cours de son histoire. C’est pour cela qu’on préfère aujourd’hui
parler de tendances, de caractère dominant. Par exemple, en français, suite à la
disparition des déclinaisons, les rapports casuels s’expriment à l’aide de prépositions
(invariables). Il est passé du synthétisme à l’analytisme, du type flexionnel au type
isolant (liber Petri > le livre de Pierre, pater familiae > père de famille). Il présente
également quelques traits du type agglutinant : maison + s, ami+e+s. Le français
moderne est aussi cité comme langue qui s’engage sur le chemin du polysynthétisme :
par exemple dans je ne le lui ai pas donné à l’oral tous les éléments fonctionnent
comme un seul bloc.
Les typologies morphologiques ne permettent pas de prédire la façon dont
s’organise la construction de la phrase. Il n’est pas possible de faire correspondre à
21
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
chaque type morphologique un type précis de structuration syntaxique. Ainsi, par
exemple, le turc et le japonais sont considérés comme proches du type agglutinant idéal.
Or, la relation du verbe au sujet et à l’objet en turc le rapproche de la morphologie
flexionnelle du latin et l’éloigne sensiblement du japonais qui organise de façon très
différentes les relations entre sujet, verbe et objet14. Certains typologues contemporains
préfère ranger les langues sur une échelle analytique-synthétique-polysynthétique
(Haspelmath, 2002).
1.3.2. Les typologies aréales
Dans les années 1930, suite aux travaux de Troubetzkoy, nait la notion de
Sprachbund15, qui donne une impulsion à la typologie aréale. Celle-ci a pour objectif
d’étudier les traits communs à des langues n’appartenant pas à la même famille
linguistique, mais qui se trouvent en proximité géographique (langues en contact).
L’exemple le plus souvent cité est celui de l’aire balkanique regroupant le bulgare, le
serbo-croate, le macédonien, le roumain, le grec et l’albanais. Ces langues présentent
plusieurs traits en commun, comme l’évolution vers l’analytisme (perte des
déclinaisons, la disparition de l’infinitif synthétique), la détermination (article défini
postposé au substantif en roumain, bulgare et albanais), le redoublement (ou le rappel)
de l’objet par un pronom clitique (Nego(lui) go(le) uvolnixa (licencièrent), Lui, on l’a
licencié), la formation analytique du futur à l’aide du verbe vouloir désémantisé, comme
par exemple en bulgare xoteti qui a donné le morphème du futur šte. La structure
grammaticale du bulgare contemporain est tellement différente du russe ou du polonais,
par exemple, qu’on pourrait se demander si le bulgare peut-être encore considéré
comme étant une langue slave à part entière. Un autre exemple de typologie aréale
(Feuillet, 2006) est fourni par les 450 langues en Asie du Sud appartenant à quatre
familles
différentes
(indo-européennes,
dravidiennes,
tibéto-birmanes,
austro-
asiatiques) mais qui ont des traits communs caractéristiques de cette aire linguistique
comme, par exemple, les causatifs morphologiques oti-loti-kk (briser, intr)) vs oti-ppi-
14
D’après Creissels, cours Maitrise FLE-400.
15
Cette notion a été proposée par Troubetzkoy au Premier congrès international des linguistes à la Haye
en 1928.
22
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
kk (faire briser) en malayalam (famille dravidienne) ; l’ordre OV, l’expérient au datif
avec des verbes de sentiments (à lui (s’)énerve, (s’) attriste, (se) réjouit), etc.
Il faudrait mentionner ici le projet sur les langues européennes Eurotyp qui a
abouti à un ouvrage impressionnant Language typology and language universals
(Haspelmath et al., 2001)16 et qui établit les 12 traits du Standard Average European
(SAE) : articles définis & indéfinis, relatives avec pronom relatif, parfait (PC) avec
avoir, ordre SVO, distinction nom & verbe, etc. Le français et l’allemand forment le
cœur du SAE (européen moyen) avec 9 traits sur les 12 répertoriés ; on parle de
Charlemagne Sprachbund, le bulgare (avec le roumain et le grec) en présente 7, le
basque et le breton n’en ont que 2.
1.3.3. Les typologies syntaxiques
A partir des années 1960, la typologie s’oriente vers la comparaison des
structures syntaxiques des langues. De la morphologie du mot, on passe à la description
de l’ordre des mots dans les langues. Les travaux du linguiste américain J. Greenberg
(1915-2001), menés à l’Université de Stanford sur une trentaine de langues
(européennes, amérindiennes, africaines, d’Asie ou d’Océanie), établissent 45 lois qui
prédisent le genre, le nombre, l’ordre des mots (par ex. les langues européennes sont,
généralement, des langues SVO, le celtique insulaire VSO, l’allemand SOV, etc).
Certaines de ces « lois » ont fait l’objet de critiques, par exemple celles qui peuvent
laisser penser qu’il existe une définition universelle du sujet grammatical, que toutes les
langues possèdent la catégorie de l’adjectif. Or, la notion de sujet, comme il a été déjà
dit supra, est inopérante en japonais, en vietnamien, ou en chinois (Lazard, 2006). La
catégorie de l’adjectif n’est pas universelle (Cf. Hagège, 1982 : 11). Toutefois, le mérite
de J. Greenberg, reconnu par ses pairs, est d’avoir ouvert un énorme chantier en
typologie syntaxique.
La typologie syntaxique est étroitement liée à la question des universaux en
syntaxe et, en particulier, des classes et des fonctions syntaxiques (cf. supra, section
1.2.). Elle se heurte pourtant à de nombreuses difficultés. Creissels donne l’exemple du
hongrois (Cours FLE-400 : 57), où les notions de sujet et d’objet n’ont aucune
16
Ouvrage en deux volumes (1856 pages) qui contient des articles en trois langues (anglais, allemand,
français).
23
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
pertinence pour décrire la structure syntaxique des constituants, car les règles de
rangement des constituants relèvent exclusivement de l’articulation communicative. Or,
il semble qu’au moins pour une partie des langues, il est possible de déterminer un ordre
de base au niveau phrastique non marqué du point de vue discursif (il s’agit des trois
principaux ordre : VSO, SVO, SOV). Lazard (1994, 2006 : 132-133) considère, lui
aussi, qu’il est extrêmement difficile de donner des définitions universelles des
fonctions syntaxiques de sujet, de complément d’objet. Il étudie les relations
actancielles des langues en partant d’un schéma prototypique qu’il appelle la
construction biactancielle majeure (CBM), définie comme une action exercée par un
agent sur un patient. Au lieu de parler de sujet, de complément d’objet direct ou
indirect, il remplace ces termes par des symboles X, Y, Z, où X est l’agent de la CBM, il
a des propriétés subjectales , Y en est le patient, Z est l’actant de la construction
uniactancielle. Le terme nominal postposé au verbe de la construction impersonnelle Il
arrive des voyageurs est appelé actant H (Lazard, 1998 : 67). Ces appellations
purement conventionnelles peuvent être d’une grande utilité en syntaxe générale.
Toujours dans cette perspective de typologie syntaxique et plus directement liée
à mes recherches sur les constructions causatives, la case hierarchy, établie par Comrie
(1981 : 170) qui stipule que dans toutes les langues le sujet destitué prend la première
place disponible à droite du verbe dans l’ordre suivant : Sujet (S)>objet direct
(OD)>objet indirect (OI) > objet oblique (OO), semble se confirmer pour un grand
nombre de langues.
En France, ce sont surtout les travaux d’Antoine Meillet (1926, 1931) sur le genre
et le nombre dans les langues indo-européennes qui ont marqué la typologie au début du
XXe s. Plus tard, les travaux en syntaxe générale d’Emile Benveniste (1966, 1974) sur la
phrase nominale, sur les propositions relatives en eve (langue africaine), sur les
constructions possessives sont une référence en la matière. Dans ses Eléments de
syntaxe structurale (1959), Tesnière compare les structures syntaxiques de plusieurs
langues (l’allemand, l’espagnol, l’italien, les langues slaves (tchèque, slovène,
polonais), les langues sémitiques (l’hébreu, l’arabe) mais aussi des langues plus
exotiques comme le soublya (langue bantoue) ou le chinook (langue amérindienne).
Depuis une vingtaine d’années, d’importants travaux en typologie syntaxique ou en
linguistique contrastive ont été réalisés en France : Hagège (1982), Lazard (1994),
24
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Adamczewski (1990), Feuillet (2006), Guentchéva (1990), Maillard (1998), Creissels,
(2006) ; Celle (2006) ; Sörés (2008). Cette liste est loin d’être exhaustive.
En Russie, il faudrait mentionner, entre autres, les travaux de Sčerba dans les
années 1920 sur la linguistique comparée et son impact sur l’apprentissage des langues
étrangères et la traduction17 , les travaux typologiques de grande envergure qui ont été
menés dans le cadre de l’Ecole de Leningrad (Nedjalkov, Sil’nitskij, Xolodovič (19601990) sur les constructions causatives, passives et résultatives dans 150 langues), les
travaux de Gak (1977, 1983) en lexicologie contrastive français-russe.
1.3.4. Les typologies fonctionnelles
Les travaux typologiques contemporains (1960-2010) sont essentiellement
fonctionnels. Ces approches, rappelons-le, étudient l’interaction entre les paramètres
syntaxiques, sémantiques et discursifs du langage et leur interdépendance vis-à-vis de sa
fonction de communication. Elles cherchent à comprendre la nature de l’interaction
complexe entre langue et parole, entre discours et grammaire (François, 1998 : 240).
Graffi (2001) parle d’une «galaxie de fonctionnalismes». J’y reviendrai dans le détail
dans la section 3 de ce chapitre.
La typologie linguistique s’affirme de plus en plus comme une discipline
théorique visant à expliciter, dans la diversité des langues, les traits communs ou les
invariants linguistiques s’appuyant sur un grand échantillon de langues. De ce fait, elle
acquiert progressivement un caractère scientifique. Déjà en 1940, Hjelmslev (1940,
[1969 :1-129]) souligne qu’ « [u]ne typologie linguistique exhaustive est la tâche la plus
grande et la plus importante qui s’offre à la linguistique. […] C’est seulement par la
typologie que la linguistique s’élève à des points de vue tout à fait généraux et devient
une science »18. Pour Lazard (2006 : 26), la typologie « paraît offrir la voie la plus
prometteuse pour approcher l’étude du langage ».
17
Pour un aperçu exhaustif de la linguistique contrastive en URSS pendant les années 1920, cf. Simonato
(2010).
18
L’italique est de moi.
25
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
1.3.5. La typologie et la grammaticalisation
Depuis une vingtaine d’années, une place centrale est aussi accordée en
typologie aux phénomènes de grammaticalisation (Heine et al, 1991, Hopper &
Traugott, 1993, Combette et al , 2003, Marchello-Nizia, 2006) et de changement
linguistique (par ex. l’ordre SOV est passé dans les langues indo-europénnes modernes
à SVO). Les causes du changement linguistique sont multiples et de différente nature :
changements internes au système (par exemple les sons en contact ont tendances à
s’influencer mutuellement), changements dus à des causes externes comme l’influence
d’autres langues, les variations sociales, etc. J’ai consacré une étude intitulée De la
langue de bois à la langue des médias (doc. 14) aux changements survenus dans le
domaine du lexique et de la morphosyntaxe en bulgare après les changements politiques
en 1989, certains d’entre eux étant vraiment impressionnants. En ce qui concerne la
grammaticalisation, les langues portent la trace « de patterns qui d’un point de vue
strictement synchronique peuvent s’avérer totalement opaques » (Floricic, 2010 :17).
On observe aussi des régularités dans les processus de grammaticalisation (Sörés : 2008,
17). Par la grammaticalisation, la typologie rejoint le domaine de la cognition : « [o]n se
pose des questions sur des processus cognitifs et morphologiques qui expliquent par
exemple la transformation d’un élément lexical en élément grammatical » (idem). Je
reviendrai sur l’évolution historique des constructions causatives en français et en
bulgare dans le chapitre 3, section 2.2.
1.3.6. La linguistique contrastive
La linguistique contrastive, quant à elle, se donne pour objectif de comparer de
manière systématique, rigoureuse et précise des faits linguistiques le plus souvent dans
deux langues, afin d’établir les similitudes et les différences de leur fonctionnement.
Traditionnellement, à cause du lien avec la théorie de la traduction et de l’apprentissage
des langues, la linguistique contrastive a été longtemps considérée comme une branche
appliquée de la linguistique. Les premiers travaux parus dans les années 1950 aux EtatsUnis (Weinreich, 1953 sur le contact des langues, Lado, 1957 sur les besoins de
l’enseignement des langues étrangères) ont pour objectif de comparer les langues pour
faciliter leur enseignement-apprentissage, pour prédire les fautes des apprenants, pour
26
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
faciliter la traduction. L’école de Prague (Troubetzkoy, Mathesius, Trnka) a également
fourni des travaux importants en linguistique contrastive.
La linguistique contrastive a des objectifs plus ciblés – elle s’intéresse surtout à
des points précis du fonctionnement des langues comparées – mais elle n’en est pas
moins importante car, d’une part, elle apporte sa contribution à la typologie des langues
et, d’autre part, elle permet d’affiner certains principes typologiques. Plus généralement,
elle propose des micro-comparaisons importantes pour une meilleure compréhension du
fonctionnement du langage. B. Pottier (1973) considère à juste titre que la linguistique
contrastive a d’abord un intérêt théorique. Ainsi, la linguistique contrastive alimente de
ses descriptions et analyses la typologie des langues. Cette dernière est plus descriptive
(proposant souvent un inventaire de traits) et moins théorique que la linguistique
générale. Comme l’indique J. Feuillet (2006 : 59) :
«[…] la typologie, si elle fournit nombre de données à la linguistique générale, s’intéresse
surtout à la comparaison entre les langues en cherchant à établir les inventaires (et
éventuellement les pourcentages) des traits dominants et des traits récessifs. Elle limite les
discussions théoriques au strict minimum, ce qui n’exclut pas, comme on l’a vu, que la
typologie dispose d’un cadre de réflexion. Enfin, l’établissement d’universaux, qui est la
conséquence logique de la démarche typologique, n’est normalement pas une priorité en
linguistique générale : par conséquent, on peut estimer que la typologie fait partie de la
linguistique générale au même titre que d’autres branches».
On pourrait donc articuler les liens entre ces disciplines de la façon suivante :
linguistique contrastive → typologie → linguistique générale → linguistique
En m’appuyant sur l’exemple des constructions causatives, je montrerai dans le
chapitre 2 que l’approche contrastive permet de préciser ou de nuancer certains
principes typologiques (doc 31), comme le principe d’iconicité (Givón, 1991),
l’Hypothèse inaccusative de Levin & Rappaport (1995), la théorie de la
grammaticalisation, la corrélation entre langues analytiques et moyens analytiques
d’expression de la causalité (Gawelko, 2006).
1.4. Quelle(s) stratégie(s) pour l’analyse contrastive ?
1.4.1. La démarche onomasiologique vs démarche sémasiologique
La question qui se pose essentiellement en linguistique contrastive est de savoir
ce qui est comparable dans les langues (doc. 30 et 31). Elle touche de près aux relations
complexes entre forme et sens. Du principe saussurien de l’arbitraire du signe, conçu
27
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
comme une union du sens (le signifié) et de la forme (le signifié), il en résulte que
toutes les langues sont différentes l’une de l’autre, ce qui rend la comparaison délicate.
Ainsi, Givón (2001 : I, 23) rejette le principe saussurien de l’arbitraire du signe comme
incompatible avec la typologie grammaticale. A l’autre bout du raisonnement, selon
certains linguistes (Croft, 2003), le fait de pouvoir exprimer un sens par différents
moyens est un fait arbitraire en soi ; de plus si tout dans la langue était motivé, toutes les
langues se ressembleraient19. Or, comme l’indique H. Adamczewski (1990 :7) :
« On sait aujourd’hui qu’il est impossible de comprendre la grammaire d’une langue si on ne
l’analyse pas dans la perspective du fonctionnement du langage, c’est à dire si on fait
abstraction des autres langues. Or les langues s’entre-éclairent les unes des autres et ce pour
une raison aussi simple que fondamentale : c’est que les opérations profondes (les
mécanismes abstraits) sont grosso modo les mêmes. Ce qui change c’est les traces en surface
de ces opérations. Ce sont elles qui sont particulières à telle ou telle langue et c’est ce qui est
à l’origine de la diversité apparente des langues ».
Ce point de vue est partagé par de nombreux linguistes (Greenberg, 1966,
Creissels, 1976, Keenan & Comrie, 1977, Croft 2003) qui s’accordent pour dire que le
point de départ de l’analyse contrastive est le choix d’un certain contenu sémantique
(critères notionnels) qui assure l’ancrage indispensable à la comparaison des langues
(tertium comparationis). Puis vient l’identification des formes qui sont les seules
données observables (Lazard, 2006). Mais leur variété est telle qu’elle rend impossible
« d’utiliser uniquement des critères formels pour identifier les catégories à travers les
langues» (Lazard, 2006 : 137). La démarche sémasiologique est surtout appliquée
lorsqu’on étudie une langue dans toute sa spécificité, par exemple quand on
confectionne des grammaires ou des dictionnaires. Si le départ est forcément
onomasiologique (du sens vers les formes), il est «parfaitement utopique d’envisager
une démarche onomasiologique pure, indépendante de l’interrogation sémasiologique.
Les deux perspectives sont interdépendantes» (Confais, 1995).
Cette double démarche est présente dans l’ensemble des mes recherches
consacrées aux moyens d’expression du futur, de la cause, des émotions dans différentes
langues.
19
Croft (2003 : 282) et aussi Vykypel (2009 : 18) dans un récent ouvrage où il compare le
fonctionnalisme empirique aux postulats de l’Ecole de Prague.
28
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
1.4.2. Les équivalents fonctionnels
Selon la grammaire sémantique fonctionnelle de Bondarko (1995), les catégories
fonctionnelles sémantiques, différentes des catégories notionnelles, appartiennent à
différents niveaux, avant tout morphologique et syntaxique, de la langue. La structure
fonctionnelle-sémantique de la langue correspond à un champ ayant un noyau et une
périphérie. Ces champs, correspondant à des catégories comme la temporalité, la
modalité, l’aspectualité, la voix. Le noyau du champ sémantico-fonctionnel regroupe les
moyens d’expression les plus grammaticalisés, les plus formels (moyens mophosyntaxiques), les autres moyens occupent sa périphérie. Par exemple, le centre du
champ de la temporalité est formé par la catégorie grammaticale du temps (les différents
tiroirs verbaux dont dispose chaque langue). La périphérie proche (immediate periphery,
Bondarko , 1995 : 3-4) est constituée de participes passés, passifs ou présents (par
exemple byl rasmotren – rasmotren- budet rasmotren, was examined - is examined, will
be examined ), de constructions syntaxiques averbales (Noč. It is night.). La périphérie
éloignée (remote periphery) est constituée d’adverbes temporels (sejčas, now, zavtra,
tomorrow, včera, yesterday), d’indications de dates, d’époques (togdašnij, in those
days), appelés aussi modifieurs. D’autres éléments comme les liens inter-phrastiques,
contextuels et intonatifs font également partie de ces champs. On y distingue donc des
éléments nucléaires, périphériques et contextuels (au sens large).
Une fois les catégories notionnelles (par exemple temps, mode, aspect, espace,
personne, cause, etc.) établies et les moyens morphosyntaxiques (les formes) de leur
expression comparés, il convient d’établir les équivalents fonctionnels entre ces moyens
linguistiques dans les langues mises en contraste (Dantchev, 1990). Dans le même
temps, le linguiste adoptant une telle démarche se doit d’éviter de nombreux écueils,
comme les généralisations hâtives, la transposition directe de catégories grammaticales
sur des langues où elles n’existent pas. Par exemple, l’aspect des langues slaves a été
longtemps considéré comme un modèle pour les autres langues, qui n’ont pas
morphologisé cette catégorie ; la catégorie de la détermination ne peut être décrite de la
même façon en français, en anglais ou en russe ; le médiatif ou l’évidentiel20, catégorie
morphologique en bulgare, persan ou albanais, n’a pas de formes correspondantes en
20
Terme créé par Jakobson en 1957 pour nommer la catégorie verbale morphologique en bulgare qui sert
à exprimer le fait que le locuteur n’a pas assisté à l’événement qu’il rapporte et qu’il détient par ouï-dire
ou par inférence. Pour plus de détails, cf. Guentchéva (1996).
29
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
français ou dans d’autres langues, etc. Une prudence s’impose donc lorsqu’il s’agit de
les comparer. Les étapes de la comparaison peuvent être résumées de la façon suivante :
a) choisir les catégories notionnelles (ex. temps, mode, aspect, espace, cause,
possession, négation) à étudier.
b) comparer et analyser les moyens morphosyntaxiques dont disposent les
langues pour les exprimer.
c) établir les équivalents fonctionnels entre ces moyens linguistiques dans les
langues comparées.
1.4.3. Le nombre de langues à comparer
Une autre question d’ordre méthodologique concerne le nombre de langues à
comparer. S’il n’y a pas de règles dans ce domaine, « il semble […] difficile d’étendre
l’analyse (contrastive) au-delà de trois langues envisagées simultanément, non pour des
raisons techniques – puisque à l’heure des corpus traduits informatisés cela entre
désormais dans le domaine du possible – mais parce que l’analyse devient très lourde si
l’on souhaite examiner plusieurs combinaisons» (A. Celle, 2006 : 3). De ce fait, la
linguistique contrastive dispose d’une base empirique plus sûre que la typologie. En
même temps, se pose la question de savoir quelles langues comparer. Le choix peut se
faire en fonction de critères géographiques, génétiques ou typologiques. Là aussi, les
pratiques divergent considérablement.
Ainsi par exemple, pour notre projet ANR Emolex, le choix des langues à comparer
a été motivé par leur appartenance à des familles différentes parmi les langues indoeuropénnes (deux langues romanes : le français et l’espagnol ; deux langues
germaniques, l’allemand et l’anglais et une langue slave, le russe). Il a été également
dicté par les compétences des membres des deux équipes. Le français est la langue
commune de tous les participants, il est en quelque sorte la langue « source », la langue
« pivot » des comparaisons, ce qui n’exclut pas des comparaisons entre les autres
langues sur des points précis du fonctionnement du lexique émotionnel. L’objectif final
sera plus typologique que contrastif, à savoir extraire les traits généraux du
fonctionnement du champ des émotions dans les langues choisies afin de mieux le
structurer.
30
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
1.5. Tentatives d’innovation
Les travaux en linguistique contrastive ont été longtemps axés sur au moins
l’une des méthodes suivantes21 :
1) analyse et comparaison de traductions avec leurs originaux («multilateraler
Übersetzungsvergleich», cf. Wandruszka, 1969) ;
2) confrontation d’études linguistiques déjà existantes ou juxtaposition de
descriptions grammaticales comparables de deux langues (cf. Zemb, 1984 ;
Cartagena & Gauger, 1989) ;
3) interprétation des fautes commises dans une langue étrangère en tant
qu’attestations d’interférences avec la langue maternelle ;
4) mise en perspective de structures identiques ou opposées de plusieurs langues à
partir d’un tertium comparationis d’ordre théorique ou conceptuel (cf. Heger,
1990-1991).
Ces approches semblent avoir atteint leurs limites depuis une vingtaine d’années.
Cet état de la recherche invite donc à des tentatives d’innovation sur les plans théorique
et méthodologique. Un des principaux objectifs du projet Emolex consiste notamment à
proposer une méthodologie innovante pour la comparaison des valeurs sémantiques, du
comportement combinatoire (lexématique et syntaxique) et des rôles discursifs des
lexies des émotions dans cinq langues européennes. Cette méthodologie innovante de
comparaison conjuguera deux approches, à savoir les approches « représentationnistes »
et les approches « instrumentalistes » du sens lexical (cette question sera traitée dans le
détail dans le chapitre 4).
2. Quels corpus pour la comparaison des langues ?
La méthodologie de l’analyse contrastive et, plus généralement de l’approche
inter-langues, est étroitement liée à la question des corpus à utiliser. Aujourd’hui, les
recherches en linguistique se doivent de relever les défis posés par les progrès en
linguistique de corpus. Les corpus peuvent servir à formuler des hypothèses (corpus-
21
Cf. sur ce point le projet Emolex (2009 : 26).
31
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
driven) ou à les vérifier (corpus-based)22. Les corpus-based approaches et la
linguistique de corpus, en général, ont été reconnues comme étant la principale raison
du renouveau (‘revival’) de la linguistique contrastive à partir des années 1990 (Xiao,
2010).
Toutes mes recherches, depuis mon mémoire de maîtrise, ont été menées sur des
corpus variés d’exemples attestés et je ne vois pas comment peut-on faire autrement,
surtout lorsqu’on compare des langues. En typologie, le problème semble plus
complexe : souvent les exemples ne sont pas originaux, ils sont issus de différents
ouvrages, bien que dans ce domaine aussi des corpus authentiques recueillis sur le
terrain, existent. Or, ces dernières dix ou quinze années, les progrès dans le domaine de
la linguistique de corpus ont été vraiment spectaculaires. Je me rappelle le temps où, il y
a une quinzaine d’année, je préparais ma thèse et l’énorme travail que constituait la
collecte d’exemples de formes futures en français et en bulgare. Des milliers de fiches
empilées dans des boîtes en carton, comportant plus de 2500 exemples, issus de 3
romans français traduits en bulgare, de 3 romans bulgares traduits en français, de deux
pièces de théâtre, de la presse, des journaux télévisés. Aujourd’hui, cela relève de la
préhistoire. Déjà lors de mes recherches post-doctorales en 2000-2001 à l’Université de
Lausanne, j’ai pu extraire en quelques minutes (je n’en revenais pas !), à l’aide d’un
patron syntaxique approprié, plus de 1500 occurrences de la construction faire+Vinf
dans la base de données Frantext. J’avais choisi parmi les romans de Frantext, ceux
pour lesquels je disposais de la traduction en bulgare. Même si, pour les traductions,
l’extraction se faisait manuellement, le temps gagné grâce aux données de Frantext était
inestimable. Plus tard, j’ai utilisé d’autres types de corpus, par exemple le corpus KIAPLIDILEM d’écrits scientifiques ou celui d’articles de presse (Le Figaro, Le Monde)
pour une étude menée sur la construction se faire+Vinf (doc. 20). Une autre étude en
cours sur les verbes causatifs et, plus généralement, sur le raisonnement de l’auteur dans
les écrits scientifiques, menée dans le cadre du mémoire de Master 2 de Monika Bak est
entièrement basée sur le corpus Scientext (4 millions de mots). Ce corpus a été élaboré
et mis à la disposition de la communauté scientifique par les membres de notre équipe
dans le cadre d’un projet ANR sur les écrits scientifiques (2006-2009), dirigé par F.
Grossmann et A. Tutin. Une autre source d’exemples authentiques ce sont les blogs sur
22
Pour cette distinction devenue classique en linguistique de corpus, cf. Tognini-Bonelli (2001).
32
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Internet qui ont été utilisés par E. Yurovskih (2007) dans son mémoire de Master 2,
ayant pour thème l’expression de la cause en français et en russe, réalisé sous ma
direction. Enfin, dans le cadre de leurs thèses, E. Melnikova et E. Bouchoueva
travaillent sur des corpus alignés bilingues et aussi sur des corpus comparables, issus de
Frantext et de Ruscoprora. Plus loin, il sera aussi question des corpus importants que
nous sommes en train de récolter dans le cadre du projet ANR Emolex. Quelle richesse,
quelle variété de sources !
Il conviendrait de mentionner brièvement ici les débats actuels sur la
méthodologie d’utilisation des corpus en linguistique contrastive, à savoir les corpus
comparables et les corpus parallèles (cf. Williams (éd.) 2005, Celle 2006). Les corpus
comparables, composés de textes originaux dans deux ou plusieurs langues qui
respectent les mêmes critères de genre, de registre, de public visé, d’époque (par ex. les
discours politiques), ne permettent pas à eux seuls d’établir des équivalences. Qui plus
est, les critères de comparabilité ne sont pas toujours très précis. Dans le même temps,
ils sont faciles à récolter et comportent des données originales concernant les langues
comparées. Quant aux corpus de traductions (corpus parallèles), ils sont plus difficiles à
collecter (à cause, entre autres, du problème des droits d’auteur pour les textes récents),
demandent des outils informatiques sophistiqués pour leur alignement (cf. Kraif, 2006);
ils restent moins représentatifs en terme de fréquence et de distribution des unités
linguistiques. On leur reproche souvent de garder des traces de la langue source (les
«belles infidèles») et, de ce fait, ne sont pas considérés comme totalement fiables. Pour
éviter ces désagréments, la solution idéale consisterait à comparer plusieurs traductions
d’une même œuvre. Mais comme ceci est difficilement réalisable, il est également
important de diversifier les corpus (théâtre, presse, essais, romans, blogs, etc), ainsi que
d’établir des corpus de contrôle (par exemple, des corpus parallèles français-russe et
aussi, dans le sens inverse, russe-français). Les corpus alignés fournissent un outil
précieux pour les études contrastives. Aussi, A. Celle (2006) réaffirme-t-elle la
légitimité du texte traduit comme objet d’étude pour le linguiste. Les deux types de
corpus (comparables et parallèles) restent donc complémentaires (Cf. aussi à ce sujet
Degand, 2005). En schéma :
33
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Corpus multilingues
Corpus comparables
Corpus de traduction
unidirectionnels
bidirectionnels
Figure 1 : Typologie des corpus multilingues (Altenberg et Granger, 2002 : 8)
Les avantages et les inconvénients des différents types de corpus sont résumés
dans le tableau ci-dessous :
Types de corpus
Avantages (+)
Inconvénients (-)
Corpus comparables
(CC)
• des données originales (textes • critères de comparabilité
parfois pas très précis
originaux) dans les 2 langues
(rarement équilibrés)
• faciles à récolter
• ne permettent pas d’établir
• étude fine des différences
les équivalents fonctionnels du
syntaxiques et sémantiques entre
mot ou de la construction
structures données
étudiée (dans la langue cible)
• calcul des fréquences et de la
• ne permettent pas de déceler
distribution des unités de langue
des sous- ou des suremplois
(mots, constructions)
dans la langue cible
• étude fine de la combinatoire
syntaxique et lexicale
Corpus parallèles
•
permet
d’établir
des • la langue des textes traduits
contient des traces de la
équivalents fonctionnels (EF)
langue source (les « belles
• de calculer leur fréquence
infidèles »)
(de traduction) (CP)
• difficiles à récolter
• variations importantes selon
les époques et les genres,
modes de traduction (style,
lexique)
• moins représentatifs en
termes de fréquence et de
distribution des unités
Tableau 1 : Avantages et inconvénients des corpus comparables et des corpus parallèles
34
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Les deux méthodes le plus souvent préconisées en linguistique contrastive sont
les suivantes : un texte pris dans son ensemble face à sa traduction et un corpus bilingue
comparable sur des points précis. De plus, l’existence de grands corpus informatisés de
textes diversifiés (théâtre, essais, presse, romans) permet de comparer les langues de
manière fiable. La linguistique de corpus ne doit toutefois pas se limiter à des
statistiques quantitatives (Degand, 2005 : 166). L’informatisation d’un corpus ne prend
tout son sens que si le dépouillement de données quantitatives conduit à une analyse
dans un cadre théorique donné (idem).
La disponibilité croissante des ressources multilingues en ligne permet
également d’aligner des textes grâce à des logiciels divers et variés. Le logiciel Alinéa,
conçu par notre collègue O. Kraif (2006) http://w3.u-grenoble3.fr/kraif/ par exemple,
permet de constituer des corpus alignés bilingues, d’extraire des occurrences du lexique,
des patrons syntaxiques.
En même temps, une question légitime qui se pose est de savoir comment éviter
les inconvénients liés à l’utilisation des différents types de corpus ? Quelques pistes
peuvent être évoquées:
• comparer (si possible) plusieurs traductions
• recourir à des informateurs natifs
• diversifier les corpus (théâtres, essais, presse, romans,)
• établir un corpus de contrôle (examiner la traduction dans le sens inverse)
Dans le cadre de la thèse d’E. Melnikova sur l’aspectualité des constructions
verbo-nominales de sentiments en français et en russe, nous avons mené une réflexion
sur la méthodologie de l’utilisation des corpus comparables et parallèles. Les premiers
résultats de cette recherche ont été exposés dans le document 28 (Melnikova, Novakova,
Kraif,
2009,
http://web.univ-ubs.fr/corpus/jlc6.html ).
Les
corpus
comparables constitués à partir des bases de données Frantext et Ruscopora, réunissant
au total 60 millions de mots, ont permis d’extraire 22 942 occurrences de constructions
verbo-nominales
de
sentiments
(CVN_sent)
comportant
les
noms
admiration/vosxisčenie, amour/ljubov, angoisse/trevoga, bonheur/sčast’ie, colère/gnev ,
radost’/joie et peur/strax) à l’aide du patron syntaxique V+N_sent. Les fréquences de
35
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
ces CVN par rapport aux verbes correspondants dans les deux langues (admirer, aimer,
se réjouir, s’apeurer, vosxisčatsja, lubit’, serdit’sja, radovatsja, bojatsja) ont été
également calculées. Les résultats ont confirmé, dans l’ensemble, l’hypothèse que le
russe utilise plus de verbes (perfectifs et imperfectifs) que de CVN_sent, par rapport au
français. Les corpus parallèles alignés à l’aide du logiciel Alinéa qui totalisent 10
millions de mots (84 textes) ont permis d’extraire 1500 occurrences pertinentes de CVN
(environ 750 dans chaque langue) et d’établir les équivalents fonctionnels des
CVN_sent françaises en russe, à savoir : les verbes distributionnels (admirer,
vosxisčatsja), les CVN_sent (ispitovat radost’, ‘éprouver de la joie’) et les constructions
impersonnelles (mne radostno, litt. ‘à moi joyeux’). Les fréquences des verbes et celles
des CVN_sent dans les corpus parallèles ont été également calculées. Voici à titre
d’exemple les résultats en pourcentages des équivalents des constructions verbonominales françaises en russe pour peur, colère et amour :
En
français
CVN_se
nt
En russe
CVN_sent
Verbes
Constructions
impersonnelles
16%
stalo strašno (c’est
devenu effrayant),
stalo žutko (c’est
devenu horrible), bylo
užasno (c’était
terrible)
0%
60%
11%
bojat’sja (craindre),
Peur
počuvstvovat’ strax
(éprouver de la peur), pugat’sja (s’effrayer
(avoir
de), trusit’ (trembler
oščutit’ strax (sentir
peur)
devant qn)
de la peur), trepetat’
ot užasa (trembler
d’effroi)
45%
36%
rasserdit’sia (se
vskipet’ gnevom
Colère
fâcher), raz’jarit’sja
(bouillir de colère),
(être en
(se mettre en fureur),
zapylat’ gnevom
colère)
vzbesit’sja (enrager)
(s’enflammer de
colère), ispytat’
bešenstvo (éprouver
de la rage)
3%
46%
27%
U menja ljubov’
ljubit’ (aimer),
pitat’ ljubov’ (nourrir
Amour
(« chez moi amour »)
vljubit’sja
l’amour), ispytyvat’
(avoir de
(s’éprendre de qn),
ljubov’ (éprouver de
l’amour)
pristrastit’ja (se
l’amour), čuvstvovat’
passionner pour
ljubov’ (sentir de
qch)
l’amour)
Tableau 2 : Le taux des équivalents fonctionnels des CVN françaises en russe23
23
Le tableau 2 et la Figure 2 sont issus de Melnikova (2010). Les pourcentages restant jusqu’à 100%
correspondent à d’autres équivalents, ce qui est probablement dû à une certaine liberté de la traduction.
36
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
L’observation des données concernant les noms amour, colère, peur confirme notre
hypothèse selon laquelle le russe aurait tendance à utiliser plus de verbes (perfectifs et
imperfectifs) de sentiments que de CVN_sent (Figure 2) :
70
60
50
40
30
20
10
0
"amour"
"colère"
"peur"
Verbe %
46,66
45,45
60,27
CVN %
26,66
36,36
10,95
0
0
16,43
Constr impers %
Figure 2 : Les équivalents fonctionnels des CVN françaises en russe (corpus
parallèle)
Les résultats contrastés obtenus par rapport aux corpus comparables (Ruscorpora)
peuvent être expliqués par la taille du corpus (moins importante pour les corpus
parallèles), les époques différentes des textes dans les deux corpus (forcément plus
anciens dans les corpus parallèles, car libres de droit), les artefacts de la traduction, la
forte influence de la langue source (français vers le russe), les spécificités du genre
littéraire, etc. Les différences établies ont été analysées de deux façons : comme des
épiphénomènes liés à l’idiosyncrasie (posture « sourcières), mais aussi comme des
spécificités dues aux systèmes différents du français et du russe. Afin d’affiner les
résultats et de confirmer le bien-fondé de la méthodologie, plusieurs pistes ont été
dégagées qui sont en voie d’exploration : la constitution d’un corpus de contrôle
parallèle du russe vers le français, l’observation des fréquences d’emploi des différents
équivalents fonctionnels dans les corpus parallèles par des va-et-vient permanents entre
les deux types de corpus. Le corpus comparable a également servi pour calculer la
fréquence des paramètres aspectuels retenus (l’aspect lexical et grammatical des verbes,
les classifieurs, les modifieurs et les déterminants des N_sent), ces paramètres faisant
partie de la combinatoire syntaxique et lexicale des CVN_sent dans les deux langues.
37
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Cette recherche sera poursuivie sur des corpus encore plus importants constitués dans le
cadre du projet Emolex et sur un nombre beaucoup plus élevé de lexies.
Dans le cadre du projet Emolex, nous sommes en train de tester et de
perfectionner des outils et modèles mathématiques (Connexor, ConQuest, analyseur
stochastique) appropriés pour l’extraction des associations lexicales, à l’aide de
nouvelles applications logicielles fondées sur ces modèles. Le projet prévoit de mieux
paramétrer le logiciel Alinéa d’alignement de textes et de leurs traductions, élaboré par
O. Kraif, afin d’optimiser les résultats de nos études multilingues.
3. Les approches fonctionnelles
L’approche fonctionnelle sous-tend la plupart de mes recherches. Dans cette
section je ferai une brève synthèse des différents « fonctionnalismes » en linguistique.
3.1. Les différents sens du terme « fonctionnel »
Le terme de « fonctionnel » a plusieurs acceptions, détaillées par J. François
(1998 : 233-234), qui donnent lieu à différents modèles qualifiés de « fonctionnels » :
- la langue est conçue comme un système de relations entre la forme et le contenu
(combinaisons de morphèmes grammaticaux et lexicaux) (Troubetzkoy, 1939,
Martinet (1962). Ici, le terme de « fonctionnel » est utilisé plutôt dans un sens
sémiotique. Les préoccupations essentielles de ce fonctionnalisme, dit de « 1ère
génération », ce sont les oppositions phonologiques et l’identification des
fonctions du langage (Jakobson). On pourrait qualifier ce dernier de
fonctionnalisme structuraliste (l’Ecole de Prague24) qui procède à la
comparaison des systèmes de fonctionnement de plusieurs langues.
-
l’accent est mis sur le rôle du contexte discursif (ou co-texte) ou le contexte
énonciatif. Ici le terme de ‘fonctionnel’ est pris dans une acception plutôt
discursive (Halliday & Hasan (1976), Givón (1995b). On parle aussi de
fonctionnalisme « interpersonnel », centré sur les interactions langagières, et
plus précisément sur le postulat que la structure des énoncés est adaptée aux buts
24
Sur le fonctionnalisme structuraliste de l’Ecole de Prague, cf. B. Vykypěl (2009).
38
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
communicatifs, développé dans le modèle néerlandais de la Functional
Grammar de Dik (1997a et b) qui a aussi une orientation typologique.
-
l’accent est mis sur le principe d’iconicité et surtout sur la grammaire cognitive
(Langacker, 1987, 1995). Il s’agit du fonctionnalisme cognitif. J’y reviendrai
dans la section 3.5.
-
l’accent est mis sur l’articulation entre la perspective communicative
(discursive) et la perspective cognitive que l’on retrouve dans le fonctionnalisme
grammatical, développé par Givón (1995a). Il est basé sur une typologie
fonctionnelle des langues qui tient compte des connexions interphrastiques et
d’une conception des universaux articulée sur la théorie de l’évolution
neurologique des espèces.
3.2. Approches fonctionnelles vs approches formelles en syntaxe
Comme il a été déjà mentionné plus haut, les approches typologiques en syntaxe
sont essentiellement fonctionnelles. Souvent, ces approches sont opposées aux
approches dites « formelles » de la GGT chomskyenne. Cette approche propose des
formalisations de la grammaire universelle grâce à des calculs rigoureux aboutissant à
engendrer, générer tous les énoncés corrects d’une langue donnée. L’argument fort aux
yeux des générativistes est que l’enfant acquiert en un temps relativement bref la
maîtrise d’un système très complexe. Le recours aux jugements des locuteurs natifs est
fondé sur le principe de grammaire interne (intériorisée). L’usage (la performance) et la
fréquence sont sous-estimés à cause du principe génératif du langage humain.
Les approches fonctionnelles, au contraire, ne considèrent pas que les structures
des langues relèvent d’une grammaire universelle inscrite génétiquement dans le
cerveau mais sont fondamentalement conditionnées par leur fonction d’instrument de
communication. Les approches fonctionnelles intègrent les trois domaines de l’analyse
linguistique : syntaxique, sémantique, pragmatique. Elles étudient le lien qui existe
entre ces trois domaines, en se focalisant sur la fonction communicative du langage
(d’où le terme de fonctionnel). Il s’agit d’approches intégratives, holistes, à la différence
des approches formelles qui sont modulaires ou atomistes. En schéma :
Syntaxe → sémantique → pragmatique
Forme → sens
→ usage
39
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Les caractéristiques majeures des typologies fonctionnelles, résumées ici d’après
d’après C. Butler (2003 :29) et J. François (2005, 14-15) sont les suivantes :
1) Mise en avant de la fonction cruciale du langage, à savoir d’être un moyen de
communication dans des contextes sociaux et psychologiques ;
2) Rejet du principe selon lequel le système linguistique (la grammaire) est
autonome et arbitraire en faveur d’une explication fonctionnelle faisant intervenir des
facteurs cognitifs, socio-culturels, psychologiques et diachroniques ;
3) Rejet du principe selon lequel la syntaxe est un système autonome, en faveur
d’une approche où la structuration sémantique et pragmatique est considérée comme
centrale. La syntaxe est vue comme un moyen pour exprimer des significations25 ;
4) Intérêt pour les propriétés non discrètes, de l’ordre du continu dans les
classements linguistiques et, plus généralement l’importance de la dimension cognitive ;
5) Intérêt pour l’analyse des textes (et non pas des phrases seules) et leurs
contextes d’usage ;
6) Intérêt marqué pour les questions relevant de la typologie des langues ;
7) Les fonctionnalistes qui prennent en compte le processus d’acquisition du
langage adoptent une conception mettant en évidence la construction par l’enfant
(approche constructionniste) d’un outil destiné à résoudre ses besoins en matière de
communication et pas seulement d’un système grammatical vu comme un algorithme de
génération d’énoncés (comme en GGT).
Le Tableau 3 résume quelques principaux traits qui opposent les deux
approches :
25
Selon Lazard (2006) aussi, il y sens, lorsqu’il y a forme.
40
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Traits
GGT
Approches fonctionnelles
Compétence vs
performance
La GGT les distingue.
Les composants
(« modules »)
linguistiques :
Approche modulaire : la
langue est composée de 3
modules (tiroirs)
indépendants : phonologie,
syntaxe, sémantique.
Son objet d’étude : la
compétence grammaticale
d’un locuteur natif idéal
Autonomie de la syntaxe.
Elles s’intéressent essentiellement
à la relation entre la structuration
linguistique et les contextes
d’usage, ce qui exclut la
distinction entre compétence et
performance (Butler, 2003)
Approches unificatrices
(relationnistes)
L’autonomie de la syntaxe est
rejetée; la signification (d’un
point de vue sémantique et
pragmatique) occupe une place
centrale. Les oppositions
modulaires (discrètes) sont
rejetées au profit des liens entre
les composants. Prise en compte
la dimension cognitive du langage
Approches
hypothético-déductive
inductive
L’unité syntaxique
de base
La phrase
Les structures et le sens dans des
fragments allant au-delà de la
phrase (fragments plus larges de
discours, textes), interactions
Structure profonde
vs de surface
Oui
Non (surfacistes)
Formalismes
Oui
Non
Langues
Sur l’anglais (surtout au
début). Ce qui est valable
pour l’anglais est aussi
valable pour les autres
langues
Sur plusieurs langues
Synchronie vs
diachronie
Surtout synchronique.
Intérêt pour la diachronie comme
système dynamique, la grammaire
émergente, la grammaticalisation
Acquisition du
langage
Grâce à la compétence innée,
l'enfant arrive à générer les
énoncés de sa langue
L'enfant "construit" sa
grammaire, apprend
progressivement les constructions
grammaticales en fonction de ses
besoins communicatifs et sous
l'influence de ce qu'il entend
Tableau 3 Principaux traits opposant la GGT et les approches fonctionnelles
41
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Une des différences fondamentales entre ces deux types d’approches est que les
fonctionnalismes, opposée à la grammaire formelle chomskyenne, deconnectée de
l’usage,
sont
des
grammaires
fondées
sur
l’usage,
fonctionnalistes
et
constructionnistes, prioritairement orientés vers la communication langagière ou vers
celle d’expression de l’activité de cognition. (François, 2004b : 277)
Une autre différence est que la plupart des travaux en grammaire générative
portent sur l’anglais, surtout dans ses premières étapes. Ultérieurement, la recherche
générative s’est ouverte à la diversité des langues, en établissant une distinction entre
des principes universels et des paramètres variables (Lazard, 2006 : 46). En GGT, la
grammaire est progressivement considérée comme un ensemble de principes universels,
communs à toutes les langues, c’est-à-dire comme « une théorie des propriétés
universelles des langues naturelles dont les diverses langues seraient les manifestations
particulières » (A. Sörès, 2008 : 5), sans que cela implique forcément un travail
systématique sur la diversité des langues. Il s’agit plutôt de confronter une théorie préétablie et de choisir « la meilleure grammaire » pour chaque langue, celle qui est la plus
compatible avec les généralisations de la grammaire universelle (idem).
3.3. Une « galaxie de fonctionnalismes »26. Classement général
Après avoir esquissé les principaux traits des approches fonctionnelles, opposées
aux approches formelles, je propose ici une classification générale des différentes
théories fonctionnalistes, inspirée de François (2005)27. L’espace des théories
fonctionnelles contemporaines peut être divisé en trois « secteurs »:
1.
Le fonctionnamisme génératif de Jackendoff avec son modèle
« trigénératif » (« architecture parallèle » ), constitué de règles de
génération phonologiques, syntaxiques et sémantiques. Chacun de ces
trois domaines de régulation générative du langage restent
indépendants, autonomes comme en GGT, mais c’est Jackendoff qui
qui introduit la notion d’interface (règles d’interface entre phonologie
et syntaxe, entre syntaxe et sémantique). La composante syntaxique
26
27
Le terme est de Graffi (2000).
Ce classement de François (2005, 15-20) est fondé sur l’ouvrage de Butler (2003).
42
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
perd son autonomie et sa primauté. Les structures sémantiques et
syntaxiques doivent s’articuler l’une sur l’autre. Dans ce modèle, la
fonction de communication de la langue n’est pas prise en
considération, ni la perspective typologique.
2.
Les théories structurales-fonctionnelles (la Functional Grammar de
Dik, la Systemic Functional Grammar de Halliday, Role and
Reference Grammar de Van-Valin & LaPolla). Ici, les niveaux
syntaxique, sémantique et discursifs sont liés et, à la différence du
modèle précédent, la fonction communicative du langage est prise en
compte (ces modèles seront détaillés dans la section 3.4.) Le point
commun entre ces trois théories est qu’elles opposent les rôles
sémantiques (agent, bénéficiaire) aux fonctions grammaticales (sujet,
objet indirect, direct, etc) (Graffi, 2000 : 395). Une priorité est donnée
à la structurations sémantique sur la structuration syntaxique
(François, 2005 : 34).
3.
Les fonctionnalismes « côte ouest » (Givón, Langacker, Hopper
&Thompson). Ce type de fonctionnalisme « intégratif », non
structural, aborde la langue comme un système de communication et
analyse les stratégies d’expression de ses « domaines fonctionnels »
(notionnels) dans différentes langues du monde (par exemple, le
domaine fonctionnel de l’espace et ses moyens d’expression, celui
des temps-modes-aspects, etc (C. Grinevald, 2005 : 34). Il combine
les motivations cognitives aux motivations communicatives du
langage et accorde une importance aux recherches typologiques et
développementales.
43
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Mise en rapport de quelques théories fonctionnelles
d’après J. François (2005)
Théories
marginalement
fonctionnelles
R. Jackendoff
Fonctionnalisme
« trigénératif »
Théories
structurales
fonctionnelles
FG Functional Grammar
(S.Dik)
SFG Systemic Functional
Grammar (Halliday)
RRG Role and Reference
Grammar
(Van Valin & La Polla)
Théories
fonctionnelles
intégratives (non
structurales)
“côte ouest”
Givon’s approach
(réalité des structures
formelles)
Hopper&Thompson
Emergent Grammar
Langacker Cognitive
Grammar (CG)
Les différentes théories fonctionnelles et cognitives sont décrites et mises en
rapport de manière détaillée et approfondie par Butler (2003), François (2004a, 2005),
Fuchs (2004). Dans les sections suivantes, je proposerai plutôt un aperçu des principaux
traits spécifiques aux différents courants fonctionnalistes et surtout de leur façon
d’appréhender les liens complexes entre sens, formes et usage.
3.4. Les fonctionnalismes structuralistes. Les rapports formes-sens.
L’école de Prague a donné naissance à divers courants fonctionnalistes (entre
1950 et 1970). Depuis les travaux de Troubetzkoy et de Jakobson, les fonctionnalismes
sont des modèles « intégratifs », fondés sur l’étude de l’interaction entre forme-sens. En
France, la linguistique structuraliste fonctionnelle de Martinet (1962) articule les unités
porteuses de sens de l’énoncé (unités significatives ; la première articulation) et les
unités dépourvues de sens (unités distinctives de la deuxième articulation). La fonction
de communication du langage est liée à la notion d’économie linguistique. La double
articulation permet une économie d’efforts à l’émission et à la perception des messages
(Dubois et al, 2001).
44
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
En ce qui concerne les modèles anglo-américains et néerlandais, J. François
(2005 :16), en s’appuyant sur l’ouvrage de Butler (2003), compare trois modèles
‘structuraux-fonctionnels’. La Functional Grammar (FG) de S. Dik analyse les formes
en termes de fonctions assignées aux arguments (rôles sémantiques, fonctions
syntaxiques : nucléaires vs satellites), sans avoir recours à un niveau de description
syntaxique autonome pour décrire les corrélations entre forme et fonction et ce, dans
une perspective typologique. A la différence de la FG, la Systemic Functional Grammar
(SFG) de Halliday est peu concernée par la typologie des langues. Son principal
objectif est d’analyser des unités de dimension textuelle (thème/rhème), ainsi que de
montrer les relations entre le langage et les environnements socioculturels dans lesquels
il est employé. Enfin, la Role and Reference Grammar RRG de Van Valin & LaPolla
(1997) présente un ensemble de relations sémantiques, syntaxiques et pragmatiques,
valable pour toutes les langues qui comprend quatre dimensions (d’après François,
2003a : 77-89) et Lazard, 2006 : 93 ; 264):
Dimension 1 : la structure syntaxique (hiérarchisée) de la phrase,
Dimension 2 : les opérateurs (temporels, modaux, aspectuels) qui jouent aux
différents niveaux (par exemple, l’aspect s’applique au verbe),
Dimension 3 : la structure informationnelle (thème/thème) ; les visées
communicatives ;
Dimension 4 : le contenu sémantique (par exemple les types de procès : states,
achievements, accomplishments, activities ); les deux macro-rôles sémantiques
des participants « acteur » (actor) et « affecté » (undergoer).
Cet ensemble inclut, d’une part, une hiérarchie de niveaux syntaxiques qui
comprend, du plus haut au plus bas : la phrase, la proposition, le centre – incluant le
prédicat et les actants centraux et opposé à la périphérie. Des « opérateurs » modaux,
temporels, aspectuels s’appliquent à ces différents niveaux syntaxiques. D’autre part, la
structure de la visée communicative affecte la structure syntaxique de la phrase. Enfin,
une certaine structure sémantique faite de deux rôles prototypiques, « acteur » et
« affecté », structure présumée universelle, mais se diversifiant selon les situations
représentées, se combine avec la structure syntaxique (Lazard, 2006 : 93). Il s’agit d’un
modèle ample et clair, fondé sur les langues australiennes, papoues, amérindiennes. Son
objectif est de « construire un cadre universel permettant d’analyser fructueusement ces
45
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
langues très différentes entre elles » (Van Valin &Foley, 1980 : 329)28. La RRG est un
structuralisme fonctionnaliste (a structural-functionnalist theory). Lazard (2006 : 266)
la qualifie de théorie « élégante », mais qui ne doit pas être utilisée comme un cadre
rigide pour la description des langues (idem : 269). En revanche, elle peut fournir un
riche support méthodologique.
Ce bref aperçu de quelques courants fonctionnalistes structuralistes est lié à la
réflexion sur les rapports formes-sens. De manière générale, le locuteur a le choix entre
plusieurs formes linguistiques dans chaque situation communicative. Il choisira telle ou
telle construction en fonction de ses intentions communicatives. « On peut exprimer de
diverses manières à peu près la même chose et répondre ainsi sous des formes
différentes aux mêmes exigences communicatives du moment » (Lazard, 2006 : 83).
Mais seulement à peu près. C’est notamment dans l’à peu près que se cache les nuances
subtiles de sens. Plus on les maîtrise, mieux on parle une langue étrangère, voire sa
propre langue. Les différentes formes dont se dotent les langues, même si elles
paraissent très proches sur le plan sémantique, véhiculent des nuances de sens subtiles
(je m’en vais vs je pars semblent synonymes ou presque mais pas dans tous les
contextes : on dit aussi il part de telle prémisse mais on ne dit pas il s’en va de cette
prémisse29). Un travail de description et d’analyse rigoureux et fin doit forcément en
tenir compte, car comme l’indique à juste titre Tognini Bonelli (2002 : 76) : “We are
assuming that a variation in the formal profile of a word or an expression will always
lead us to a change in meaning”.
Avec le recul que seul permet un travail de synthèse comme celui-ci, j’ai le
sentiment de me retrouver le plus, à travers mes travaux et réflexions scientifiques, dans
ce structuralisme fonctionnel et structuraliste qui me paraît le plus apte, par son
approche holiste, intégrative de la linguistique, de rendre compte du fonctionnement des
faits de langues et ce, dans une perspective inter-langues. Ceci concerne aussi bien mes
recherches sur les constructions causatives (chapitre 3) que celles sur la combinatoire
syntaxique et lexicale du lexique des affects (chapitre 4). Les travaux sur les tempsaspects –modes du futur y intègrent en plus une « couche » d’inspiration cognitive. J’y
reviendrai dans le chapitre 2.
28
29
La traduction est de Lazard (2006 : 264).
L’exemple est emprunté à Lazard (2006 : 83).
46
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
3.5.
Les fonctionnalismes et
(fonctionnalismes cognitifs)
les
grammaires
cognitives
Il faut dire que malgré les rapprochements, deux visions extrêmes continuent à
coexister en linguistique: soit tout ou presque tout relève de la cognition, soit la
linguistique cognitive n’existe pas comme l’affirme G. Lazard (2006, 2007a), dans sa
crainte de voir la linguistique se diluer dans la cognition.
Si, surtout au début, dans les années 1980, la linguistique cognitive accorde peu
de place aux considérations discursives ou typologiques, on observe depuis une
évolution de la cognition vers les fonctionnalismes et inversement, ainsi que de
multiples tentatives de rapprochements entre fonctionnalisme et cognition. L’évolution
de Givón (1998 entre autres) du fonctionnalisme grammatical au développement
neurobiologique et cognitif en est un exemple. L’auteur s’intéresse aux bases
neurobiologiques de l’émergence du langage articulé. Il propose une approche
fonctionnelle du langage humain, fondée sur l’approche évolutionniste de la biologie.
Le code lexical humain dériverait d’un système iconique visuel et gestuel.
Par ailleurs, dans les grammaires cognitives, les structures syntaxiques sont
motivées par des schémas conceptuels, en revanche, dans les grammaires néofonctionnelles elles le sont par des contraintes pragmatiques (François, 2008 : 4). Voici
comment Givón (1998 : 269). explique le lien entre grammaire-sémantiquepragmatique : « […] la grammaire est un instrument de codage commun aux
informations relevant de la sémantique propositionnelle (phrases simples) et de la
cohérence pragmatique discursive (discours) ». La sémantique propositionnelle, selon
lui, est plutôt réduite aux rôles sémantiques des participants et à la transitivité
sémantique (état vs événement vs action). Le codage grammatical se déploie dans le
domaine de la pragmatique discursive, ce qui assure la cohérence de l’information
véhiculée dans son contexte situationnel, inter-phrastique et culturel. Cette vision
unificatrice entre les fonctions cognitives de communication et les signaux codés dans
le langage grammaticalisé est illustrée dans la figure suivante (reproduite selon Givón,
1998 : 269) :
47
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
fonction
code
sens lexical
sensoriel et moteur
sémantique propositionnelle
grammaire
pragmatique discursive
Figure 3. Lien entre les fonctions cognitives de communication et les signaux codés dans la
grammaire d’après Givón (1998)
Autre différence entre modèles fonctionnels et modèles cognitifs. Les théories de
Dik, Givón, Van Valin & LaPolla sont des théories non constructionnelles, qui
s’intéressent principalement, comme on vient de le voir, aux opérations énonciatives et
pragmatiques (François , 2005 : 35). Il s’agit essentiellement de typologies
fonctionnelles des langues. En revanche, les travaux de Croft, Jackendoff, Fillmore &
Kay, Goldberg sont des modèles constructionnistes. Leur préoccupation majeure
demeure les opérations cognitives. Mais les frontières entre ces deux modèles sont loin
d’être étanches. Les constructionnistes intègrent représentations cognitives et approche
fonctionnelle. On peut donc parler aujourd’hui de fonctionnalismes « cognitifs ».
Les deux grands courants en linguistique moderne se rejoignent sur de nombreux
points. Les théories dites « néo-fonctionnelles » (Fuchs, 2004, François, 2005).)
abordent la problématique des universaux (linguistiques et cognitifs) et du changement
linguistique dans une perspective typologique. Elles s’interrogent aussi « sur la nature
des liens entre schèmes cognitifs et variété des moyens d’expression, la notion de
« grammaticalisation » y occupe une place centrale » (Fuchs, 2004 :12), car la typologie
accorde une importance aux aspects dynamiques ou diachroniques du langage. La
grammaticalisation, au sens de la grammaire émergente est aussi une problématique
centrale
en
psycholinguistique.
On
évoque
des
parallélismes
entre
les
grammaticalisations émergentes et diachroniques, par exemple les figements
d’expressions lexicales au cours de la transition de la pré-grammaire à la grammaire
(François, 1998 : 254, Peyraube, 2002 ). Cette question sera abordée dans le détail dans
le chapitre 3, section 2.2.5.
48
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
Comme l’a très bien montré J. François au Séminaire annuel du LIDILEM sur la
Linguistique et la Cognition, que j’ai co-organisé avec J. Puckika en juin 2009, dans une
acception large de la linguistique néo-fonctionnelle, la linguistique cognitive peut être
considérée comme une sous-classe de cette dernière ; dans une acception étroite, les
deux ont une intersection. Voici le schéma proposé par J. François (2009):
Figure 4. Rapports entre linguistique néo-fonctionnelle et linguistique cognitive,
J. François (2009)
La grammaire cognitive fait un sérieux effort pour traiter le langage comme un
aspect intégral de la cognition humaine. Ce qui unit actuellement les théories
fonctionnelles et la grammaire cognitive, c’est le fait qu’elles sont basées sur l’usage
(usage-based theory of language).
Mes travaux sur les catégories des TAM, mais aussi ceux sur les constructions
causatives m’ont amenée à chercher à établir des ponts entre analyse fonctionnelle et
analyse cognitive, qui présentent, comme on l’a vu, de nombreux points d’intersection
et des complémentarités fort utiles à l’analyse linguistique. Certains modèles
topologiques de l’aspect (Culioli, Desclés & Guentchéva), les approches cognitives des
référentiels aspecto-temporels (Desclés & Guentchéva) ou de l’acquisition du langage
(usage-based approaches, Tomasello), combinées aux analyses fonctionnelles
permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’aspect grammatical ou celui
des constructions causatives et leur acquisition par les enfants entre 3 et 6 ans.
49
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
3.6. Les grammaires de constructions (CxG)
Les grammaires de constructions (CxG) constituent un courant puissant au sein
de la linguistique cognitive actuellement. On y rattache la Cognitive Construction
Grammar (Goldberg), Radical Construction Grammar (Croft), la Grammaire de
construction par unification (Fillmore et Kay). Le « noyau dur » de ces théories réside
moins dans les règles de grammaire que dans les opérations de construction de la
signification (la construction du sens) (Fuchs, 2004 :7). Ces théories donnent un nouvel
éclairage du rapport sens-forme, très différent de la bifacialité du signe saussurien. Ce
qui les caractérise, c’est une acception très large de la notion de construction. Déjà,
dans Cognitive Grammar (1er volume, 1987), Langacker définit les paires (forme-sens)
comme étant des constructions à quelque niveau que ce soit30. Pour Lakoff (1987) 31 ,
chaque construction sera une paire forme-sens (F, S), où F est un ensemble de
conditions sur la forme syntaxique et phonologique et S - un ensemble de conditions sur
la signification et l’usage. Enfin, pour Goldberg (2003 : 219-220) : “Constructions are
stored pairings of form and function, including morphemes, words, idioms, partially
lexically filled and fully general linguistic patterns”. Les exemples de constructions que
donne Goldberg (p. 220) vont des morphèmes (anti-, pré-, -ing), en passant par les mots
(avocado, anaconda, and), les mot complexes (daredevil), les idiomes (going great
guns), jusqu’aux constructions bitransitives à double objet (He baked her a muffin) et le
passif (The armadillo was hit by a car), etc. L’unité fondamentale du langage devient la
construction en tant qu’appariement entre forme-sens, indépendamment des éléments
qui la composent. Il en découle que les constructions elles-mêmes sont motivées, car
porteuses de sens ; elles existent indépendamment les unes des autres et se combinent
par des mécanismes d’unification et d’héritage de propriétés (François, 2008 : 12). Les
réserves qu’on puisse émettre vis-à-vis d’une telle liste c’est qu’en fin de compte tout
dans la langue ou presque semble être considéré comme étant une construction32. Ceci
n’enlève pas bien sûr le mérite qu’ont les théories constructionnistes d’apporter de
nouveaux éclairages sur les rapports complexes entre formes et sens, entre signifiants et
30
Pour plus de détails, cf. J. François (2008 : 2).
31
Cité d’après J. François (2008 : 7). La traduction est de lui.
32
Dans ces conditions, la position de Jackendoff consistant à limiter le domaine d’application des
constructions en fonction de l’idiosyncrasie de la fonction forme-sens paraît mieux défendable (François,
2008 : 17)
50
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
signifiés, ou encore d’être entièrement « surfacistes ». Le tableau ci-dessous, reproduit
d’après François (2009)33, représente une synthèse des principaux traits des courants
fonctionnels et cognitifs, de leurs différences et points d’intersection.
Tableau 4. Les différences et les principaux points d’intersection entre les théories
fonctionnelles et cognitives, J. François (2009)
Ce tableau permet de voir plus clair dans ce « puzzle » compliqué de théories néofonctionnelles, constructivistes et cognitives.
3.7. Les grammaires cognitives : tendances actuelles
J’essaierai d’esquisser ici très rapidement quelques tendances générales qui se
dégagent actuellement en linguistique cognitive, en m’appuyant sur les débats menés
lors du 3ème Colloque international de l’AFLICO sur les Grammaires en constructions,
organisé en mai 2009 à Nanterre, ainsi qu’au Séminaire du Lidilem Linguistique et
cognition en juin 2009 à Grenoble:
a) Partant du postulat, formulé par Langacker, que les structures linguistiques,
motivées par des processus cognitifs généraux, émergent de l’usage, la linguistique
cognitive aujourd’hui est une linguistique essentiellement fondée sur l’usage. C’est
une linguistique des données attestées et non pas des exemples forgés.
33
Présentation au séminaire annuel du LIDILEM sur la Linguistique et la Cognition, juin 2009.
51
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
b) De ce premier constat découle un deuxième : l’usage fait que la dichotomie
traditionnelle entre compétence et performance, telle que formulée par Chomsky, se
trouve ébranlée. On pourrait illustrer ce constat par le phénomène des collocations, qui
« sensibles aux types de discours et à la notion de fréquence (la linguistique cognitive
utilise le terme d’ « entrenchment » ou d’ « enracinement » en français (Langacker,
1987, Croft & Cruise, 2004)) seraient plutôt un produit de la performance et de l’usage.
Mais mémorisées par les sujets, préconstruites dans la mémoire sémantique des
locuteurs, elles apparaissent cependant essentielles dans la compétence des sujets
parlants » (Tutin, 2010a : 25). Autrement dit, l’usage oblige à considérer que s’il y a
compétence, celle-ci ne peut être qu’« une compétence de la performance » (J. François
& D. Legallois, 200934.)
c) La linguistique cognitive met l’accent sur l’influence de l’utilisation des
structures linguistiques sur l’acquisition et l’évolution de la langue : l’usage en quelque
sorte « façonne », modèle la grammaire, les structures émergent de l’usage (Langacker,
1987, Tomasello, 2003, Bybee, 2006). Elle se pose aussi des questions qui touchent à la
construction dynamique du sens.
c) Une autre tendance qui se dégage c’est que la linguistique cognitive est une
linguistique fonctionnelle, non modulaire (au sens chomskyen du terme) qui insiste sur
l’interaction entre syntaxe, sémantique et visées discursives du langage avec une
ouverture sur la typologie des langues, les universaux et les invariants interlangues.
L’interrogation porte essentiellement sur la nature des liens entre les schèmes cognitifs
universels et les moyens variés dont disposent les langues pour les exprimer.
d) Comme il est apparu également au cours des débats, il existe une nécessité de
recontextualiser la linguistique cognitive. Depuis une trentaine d’années, la linguistique
cognitive avec la sémantique au centre comme dans les modèles de Langacker, Talmy
ou Fillmore (sémantique des cadres), est en train d’évoluer vers la socio-pragmatique ou
la sociolinguistique.
e) Cette recontextualisation (ou reconstruction) de la discipline est liée à l’essor
des grammaires de constructions (avec les travaux de Fillmore, Croft, Goldberg,
Langacker), qui proposent comme unité fondamentale du langage la construction,
34
Présentation au Colloque de l’AFLICO Grammaires en construction(s), mai 2009, Nanterre.
52
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
définie comme association ou appariement entre forme et sens :
CONSTRUCTION
is a
form-meaning pair (Goldberg), comme on l’a vu dans la section précédente.
f) Le développement des neurosciences a également un impact important sur la
réflexion portant sur le lien entre le langage et la pensée. Le processus du langage
relève de la capacité cognitive générale. Les expériences en électrophysiologie et en
imagerie cérébrale (la conférence de S. Robert au Colloque de l’AFLICO) montrent que
sémantique et syntaxe interagissent. Comme l’a révélé une expérimentation sur la
sémantique des constructions transitives en français, on observe dans le cerveau des
changements qui interviennent lors de l’intégration d’un mot inattendu (en l’occurrence
un complément à un verbe de construction intransitive). La conclusion en est que la
composante sémantique influence le fonctionnement syntaxique.
Suite à ces évolutions, quelques questions légitimes, de nature différente,
peuvent être posées :
a) L’opposition entre formalisme et fonctionnalisme est-elle en train d’être
dépassée, autrement dit la grammaire émergente de l’usage va-t-elle évincer la GGT ?
b) Qu’apporte le cadre des grammaires de constructions à la linguistique de
corpus, à la linguistique cognitive et à la linguistique en général ?
c) Quel est le statut fonctionnel de la notion de fréquence en discours ? La
fréquence d’emploi d’une unité linguistique a une conséquence sur la façon dont elle est
mémorisée35.
d) Les mécanismes les plus fréquents sont-ils les mécanismes les moins
complexes du point de vue linguistique ?
e) Comment trouver le juste milieu entre les études quantitatives, très en vogue,
et leurs analyses qualitatives, parfois totalement absentes ?
Il est clair que ces questions essentielles ne pourront trouver de réponse que dans
les évolutions futures de la linguistique.
35
Cette fréquence, selon les cognitivistes, entraîne le phénomène d’« entrentchment » (enracinement)
dans notre compétence cognitive des unités linguistiques à travers nos expositions et participations aux
multiples discours (Legallois, 2009).
53
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
3.8. Linguistique cognitive et théories énonciatives
Dans l’excellent panorama de la linguistique cognitive que fait C. Fuchs (2008),
elle rappelle d’abord le lien entre la linguistique cognitive et la psychomécanique de G.
Guillaume, fondée sur les mécanismes mentaux sous-jacents aux formes de la langue.
La théorie guillaumienne est considérée comme une problématique cognitiviste en
germe ou un « cognitivisme avant l’heure » de type constructiviste (Fuchs, 2008 : 66)36.
Dans le chapitre 4, j’expose l’approche constructive du lexique de Mantchev, inspirée
de la théorie guillaumienne, mais qui va bien au-delà de cette dernière.
Par ailleurs, C. Fuchs (2008) établit un lien entre cognition et énonciation. Même
si la psychomécanique de Guillaume et les théories de l’énonciation divergent sur de
nombreux points, elles s’accordent à considérer la langue comme un système de
représentations, ayant une logique propre, sans chercher à plaquer des formalismes
extérieurs, et aussi sur le fait que l’étude des principes qui sous-tendent la dynamique de
la construction du sens constitue l’objectif du linguiste (Fuchs, 2008 : 64). C. Fuchs
explicite également les liens entre la théorie des opérations énonciatives de Culioli
(1978, 1980) et la cognition constructiviste. Même si, comme le dit J. François (2005 :
35), le raccordement théorique et épistémologique entre opérations énonciatives et
discursives, d’une part, et opérations cognitives, d’autre part, est loin d’être achevé, il
existe des passerelles entre cognition et énonciation. Ainsi par exemple, la théorie
culiolienne récuse la distinction saussurienne entre langue et parole, les deux
fonctionnant ensemble et pouvant être saisies dans l’énonciation (Lazard, 2006 : 287290). Les modèles topologiques de Culioli ont pour objectif de décrire et de formaliser
les opérations constructrices de la signification des énoncés, des systèmes de repérage
énonciatifs. C’est aussi l’objectif du modèle topologique de J.-P. Desclés et Z.
Guentcheva qui constitue un module de la Grammaire Applicative et Cognitive sur
lequel je me suis basée dans l’étude textuelle des futurs en français et en bulgare. J’y
reviendrai dans le chapitre 2.
J’aimerais clore cette synopsis par une belle phrase de G. Lazard (2006 : 275) :
« La façon dont l’homme perçoit et conceptualise le monde s’appuie en partie sur des
36
C. Fuchs rappelle que Rastier (1993) tient Guillaume pour « l’aïeul tutélaire de la linguistique cognitive
à la française ».
54
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
données offertes par l’observation des langues ». La linguistique a donc de beaux jours
devant soi !
55
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
4. La notion de prédicat
Il me reste à traiter de la notion de « prédicat », contenue dans le titre de ce
mémoire de synthèse. La notion de prédication et, corollairement, de prédicat, est sujette
aux flottements terminologiques et notionnels. Plusieurs conceptions de la prédication
coexistent37. Selon la conception structurale (modèles verbocentés), le verbe est le
prédicat de la phrase. Le terme de prédicat est pris ici dans un sens uniquement
syntaxique et considéré comme le noyau de la prédication (par exemple chez les
Stoïciens, Dmitrievskij (1877), Potebnja (1888)38, Tesnière (1959), Hagège , 1982 : 32).
Selon la conception logique (depuis Aristote qui distingue hypokeímenon / katēgórēma,
la Grammaire de Port Royal qui oppose subjectum et praedicatum, suivie par la GGT de
Chomsky), la prédication est conçue comme une relation entre un prédicat (ce qui est
dit) et un sujet (ce dont on parle) ; toute proposition assertive, par exemple Socrate
court est analysée comme l’attribution d’un prédicat court à un sujet Socrate et validée
en terme de vrai/ faux. L’articulation sujet/prédicat correspond ici à l’articulation
thème/rhème. La conception logique binaire, centrée sur la prééminence du nom (de la
substance) sur le verbe (le prédicat) a dominé l’analyse syntaxique de la phrase depuis
la Grammaire de Port-Royal (1660) et jusqu’au XIXe s.. Les travaux de Frege (1879) en
logique moderne renversent cette vision nomino-centrée de la prédication. La
prédication est analysée comme une relation associant un prédicat à un nombre
d’arguments [P(x), P(x,y), P(x,y,z)] (Doc 19).
On trouve chez C. Muller (2002 : 34) une définition de la prédication qui articule
la visée communicative du locuteur et les propriétés syntaxiques du prédicat. Il s’agit de
« l’ensemble des opérations qui conduisent le locuteur à sélectionner un prédicat en
fonction de son vouloir-dire (états de choses, contexte, nécessité communicative) et à lui
associer des arguments qui saturent les positions d’argument prédéterminées par le
prédicat ». Enfin, certains linguistes vont jusqu’à renoncer à l’acception grammaticale
du terme de prédicat et plaident en faveur d’un emploi uniquement discursif de celui-ci.
La prédication est assimilée à la structure thématique de l’énoncé en termes de
thème/rhème. C’est le cas de Gaatone (2008 : 50), qui propose d’utiliser le terme de
37
38
Pour un aperçu historique détaillé de la notion de prédicat, je renvoie à Maillard (2008a et b, 2010).
Pour ces deux auteurs, voir Sériot (2002, 2004).
56
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
prédicat « uniquement pour référer à la visée de l’énoncé et de s’en passer tout à fait au
plan syntaxique ou le remplacer carrément par rhème (ou « propos »), l’essence même
du langage étant de transmettre un message ». Feuillet (2008 : 143), lui aussi, ne retient
qu’une acception logique de la notion de prédicat qui « pourrait sans dommage être
abandonnée en linguistique et laissée à la logique ».
Comme on peut le constater, la solution de ce problème si complexe n’est pas
pour demain. Ce qui ne facilite guère les choses c’est que le prédicat a une histoire en
peau de chagrin (Maillard, 2008b : 23, 2010 : 580). D’abord, la notion se rétrécit peu à
peu « du discours à l’unité verbale, d’abord munie de ses compléments, puis de certains
seulement, et en fin de parcours, allégée de tous». C’est tout particulièrement vrai,
aujourd’hui, des descriptions grammaticales de certaines langues, comme l’allemand
par exemple, où « conformément aux modèles verbo-centriques des grammairiens
humboldtiens du XIXe s., le prédicat tend à se réduire au seul verbe. Le terme de
Verbum signifie la forme grammaticale étudiée en morphologie, celui de Prädikat
renvoie au centre organisateur de la phrase, porteur de la fonction prédicative (Maillard,
2010 : 580). Si historiquement, l’histoire du prédicat peut paraître comme une histoire
en peau de chagrin, en synchronie, la notion de prédicat peut avoir des acceptions larges
et variées. Il s’agit de mouvement cyclique « au terme duquel les questions jugées
pertinentes changent de nature » (Ibrahim, 2010 : 4) et ce, dans des délais plus ou moins
longs. Ainsi, par exemple, Noelke (1994 : 96) utilise le terme de structure
prédicationnelle » qui hiérarchise de manière assez fine une prédication primaire
renvoyant au verbe et à ses actants fondamentaux d’une part, et une prédication
secondaire (à distinguer de la prédication seconde) qui s’établit entre le prédicat
(verbe+actant fondamental) et un adjet (adverbes scéniques de temps et de lieu,
adverbes de cause, adverbes périphériques, toutes ces catégories renvoyant grosso
modo aux adverbes de phrase). Cette notion de structure prédicationnelle permet de
rendre compte de la différence entre Paul a envoyé une lettre à Marie et Paul a envoyé
une lettre à Paris et surtout de ne pas exclure de la prédication les compléments
phrastiques.
Un autre aspect important de la prédication concerne la notion de prédicat
nominal qui fait débat en linguistique. Si le terme de prédicat nominal est actuellement
plus ou moins largement admis (cf. les multiples travaux sur les constructions à verbe
support), il ne fait pas toujours unanimité. Riegel et al. (1994 : 124) reconnaissent que
57
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
les aptitudes combinatoires des adjectifs et de certains noms surtout déverbaux ou
sémantiquement apparentés (admiration, décision, départ) se décrivent au moyens des
schémas valenciels, le verbe étant un simple « support » de l’élément prédicatif.
D’autres linguistes comme Creissels (1995) ou Maillard (2008 a et b, 2010) considèrent
que la notion de prédicat nominal n’est pas justifiée. L’analyse de M. Maillard (2008b :
24) rejette la notion de prédicat nominal: « on ne voit pas en effet comment un
substantif, en tant que tel, aurait le pouvoir de prédiquer. Il ne peut acquérir cette
propriété que s’il est porté par un mouvement prédicatif, manifesté à travers une copule,
verbale ou non, une coupe forte, un réarrangement de l’ordre des mots, une intonation
spécifique… ou tout autre moyen extérieur à l’unité nominale ».
Pour Creissels (1995 : 48), « […] si on développe de façon tout à fait cohérente la
notion de prédicat comme élément qui structure en unité phrastique un ensemble de
constituants nominaux, on doit rejeter comme contradictoire […] la notion de « prédicat
nominal ». Selon l’auteur, les notions de constituant nominal et de prédicat sont
complémentaires. La reconnaissance de « prédicats nominaux » oblige à abandonner le
contraste entre prédicat et arguments qui semble être une caractérisation universelle
(idem : 49). Autrement dit, c’est le verbe, le centre organisateur de la phrase, qui est le
noyau de la prédication et qui a pour fonction de structurer les éléments nominaux. En
même temps, dans son ouvrage de 2006 (p. 282), Creissels ne rejette pas la notion de
verbe support, mais dans ce cas, l’élément nominal qui le suit est analysé non pas d’un
point de vue syntaxique en tant que prédicat, mais sur le plan des rôles sémantiques,
comme un terme qui est essentiel pour la conceptualisation d’un événement. Ainsi, dans
faire peur ou faire envie, « le verbe support constitue avec un nom une combinaison
lexicalisée dans laquelle c’est le nom qui signifie une situation ou un événement dont
les autres termes de la construction représentent les participants » (idem, T1 : 39). Le
nom qui constitue une locution avec un verbe support a un comportement qui le
distingue plus ou moins nettement d’un terme nominal représentant un participant dans
la construction d’un verbe prototypique. Autrement dit, sans reconnaître en peur le
statut de prédicat nominal, Creissels note qu’il existe une différence syntaxique entre un
complément d’un verbe typique et un nom faisant partie d’une locution.
Cette question du statut syntaxique du nom dit prédicatif semble d’une
importance capitale. Dans le cadre du Lexique-Grammaire de M. Gross, Ibrahim (2010 :
4) reconnaît que les notions de prédicat nominal puis, plus généralement, de prédicat
58
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
non verbal ont eu des difficultés à s’imposer ; elles font partie de ces « catégories
nouvelles » qui ont rencontré au sein de la discipline de « fortes résistances ».
Aujourd’hui, la grande majorité de linguistes admet l’existence de prédicats non
verbaux, qui ont un statut particulier. Néanmoins, les différents usages des termes de
prédicats non verbaux ou de verbes supports ne correspondent souvent pas aux
propriétés auxquelles M. Gross, leur créateur, les avait associés (Ibrahim, 2010 : 5). Ce
qui, selon Ibrahim, complique davantage les choses c’est que la prédication non verbale
remet en question aussi bien la classification des verbes que celle des autres parties du
discours. Elle amène également à envisager autrement la nature et le rôle des fonctions
grammaticales : « par exemple peut-on parler ou non parler, à propos d’un prédicat
nominal, d’objet direct du verbe support qui l’actualise ? » (idem : 6), comparé à un
verbe distributionnel et son complément. Cette vision a pour corollaire le déplacement
de l’angle des analyses : « si le verbe support a pour caractéristique principale de ne pas
régir son complément/argument nominal mais d’être régi et choisi par ce dernier, ce
n’est pas le verbe support qu’il faut étudier en priorité mais le prédicat nominal qui l’a
sélectionné » (idem : 7).
Un autre point délicat que soulève le statut syntaxique du prédicat nominal et des
verbes supports est lié à l’extension démesurée de la liste des verbes supports. Si au
début, une liste de 14 verbes supports a été proposée dans le cadre du LexiqueGrammaire (Giry-Schneider, 1978 :23, A. Daladier, 1978), à savoir faire, donner,
mettre, passer, pousser, prendre, tirer, tenir, poser, prêter, avoir, être et lancer, il
existe, aujourd’hui, un risque réel d’étaler la notion de verbe support à des verbes qui ne
le sont pas vraiment (faire un discours vs prononcer un discours, caresser, nourrir un
projet vs avoir un projet, formuler un souhait), ce qui a été aussi signalé au Colloque
international sur les Supports et prédicats non verbaux dans les langues du monde,
organisé en mars 2009 à Paris par A.H. Ibrahim et C. Martinot. On dénombre
actuellement, dans les différents travaux, plus d’une centaine de verbes supports, on
parle de verbes stylistiquement enrichis. Ceci risque de faire éclater la notion de verbe
support. Un classement rigoureux des verbes supports, soumis à des tests appropriés,
s’impose donc.
Dans nos recherches sur les expressions verbo-nominales de sentiments
(Melnikova & Novakova, 2010), nous considérons que le verbe et le nom de sentiment
(exploser de colère) forment un tout qui a le statut de noyau prédicatif de la phrase, sans
59
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
accorder le statut syntaxique de compléments aux noms de sentiments sélectionnant le
verbe (collocatif dans la terminologie de Mel’čuk (2003), support dans le Lexiquegrammaire) au sein de la construction verbo-nominale. Même si structurellement le nom
de sentiment occupe la place d’un complément, il n’a pas les mêmes propriétés
syntaxiques que celui d’un verbe distributionnel. Le nom de sentiment dit « prédicatif »
dans ces constructions a un statut syntaxique particulier, un peu comme celui de
l’attribut qui ne peut être assimilé à un vrai complément du verbe. Cette analyse pourrait
être étayée par la solution proposée par Muller (2006 : 57), selon laquelle le nom dit
prédicatif au sens sémantique du terme (idem : 56) est considéré comme une expansion
du verbe support , qui peut être l’objet de choix variés (éprouver de l’admiration,
tomber en admiration, éprouver de la colère, exploser de colère, etc). Ainsi, une
construction du type éprouver de l’admiration envers qn serait considérée comme une
micro-structure où l’on distinguerait deux niveaux (ou deux ordres)39: le prédicat lexical
ou ordre sémantique des choix prédicatifs du locuteur (admiration (éprouver(par X
(envers Y) et le prédicat fonctionnel, c.à.d. celui des termes construits qui constitue le
noyau local de la micro-structure et détermine l’ordre structural de la construction
prédicative : éprouver (X de l’admiration envers Y).
En bref, notre analyse du statut du nom dans les constructions verbo-nominales
de sentiments peut être résumée comme suit : il s’agit d’une expansion d’un verbe, que
le nom choisit et avec lequel il forme un tout, qui constitue le noyau prédicatif de la
phrase. Il est prédicatif au sens sémantique du terme ; du point de vue syntaxique il a un
statut particulier, ce n’est pas un vrai complément du verbe, mais il n’est pas non plus le
seul à « supporter » syntaxiquement la prédication. Notre position a des points
communs avec la position nuancée de P. Blumenthal (2009 : 56-57) sur le statut
prédicatif des noms d’affect. L’auteur se pose la question sur le statut prédicatif de
noms comme peur et plaisir : « auraient-ils vocation pour assumer le rôle de prédicats et
donc pour dénoter des procès ? » Et à P. Blumenthal de conclure (idem, 57): « S’il
devait s’avérer qu’il existe des affinités entre des noms d’affect et des fonctions dans la
phrase (prédicat, actant, qualification adjectivale ou adverbiale, circonstant), ces liens ne
seraient certainement jamais exclusifs, mais ne correspondraient qu’à des emplois
39
Muller (2002 : 37 ; 57).
60
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
typiques de tel nom - à l’intérieur d’un système marqué par une grande souplesse et la
polyfonctionnalité fondamentale de chacun des noms ».
Il faudrait donc prendre la précaution de bien délimiter les classes grammaticales
qui peuvent avoir des fonctions prédicatives. Dans la grammaire des opérateurs de
Harris (1976, 1978), le prédicat correspond à tout élément lexical régissant les éventuels
arguments d’une phrase. Dans l’optique harrissienne peuvent être prédicats « non
seulement de manières classique les classes de verbes (on auxiliaires), mas aussi les
classes d’adjectifs (No est Adj) et de manière moins attendue les classes de substantifs
associés à une classe d’auxiliaires verbaux particuliers, les verbes supports : tous ces
éléments jouant le même rôle de noyau de la phrase simple» (Piot, 2008 : 116). Harris
analyse aussi les conjonctions de subordination comme une classe de super-prédicats
opérant sur les prédicats simples, noyau des phrases simples (cf. à ce sujet M. Piot,
2008). Dans le numéro 37/2008 de la revue Lidil sur la Syntaxe et la sémantique des
prédicats40 (doc. 19), que j’ai co-dirigé avec Z. Guentchéva, nous avons essayé
d’apporter, à travers une diversité de points de vue et d’approches théoriques, de
nouveaux éclairages conceptuels et terminologiques de la notion de prédicat, de mieux
la circonscrire. Même si une acception large de la notion se dégage des différentes
contributions, les auteurs insistent sur la nécessité d’une distinction stricte entre prédicat
(psycho)logique et prédicat linguistique, et aussi sur une attitude prudente qui consiste à
ne pas étaler la notion de « prédicat » à presque tous les opérateurs linguistiques (J.-P.
Desclés, 2008 : 93), au risque de ne pas faire apparaître nettement les opérations
linguistiques mises en œuvre dans les structures linguistiques spécifiques des diverses
langues. Personnellement, j’adhère à cette vision des choses. Une grande
prudence s’impose lorsqu’on manipule la notion de prédicat!
Dans la plupart de mes travaux, je me suis intéressée au verbe, en tant que centre
organisateur de la phrase, c.à.d. le prédicat au sens du verbe et de ses arguments, la
fonction prédicative par excellence étant exercée par les verbes, associés à des marques
de conjugaisons (ou opérateurs), comme l’aspect, les modes, le temps etc. (Muller,
40
Plusieurs ouvrages ont été consacrés ces derniers temps à la prédication; je n’en citerai que quelquesuns : l’ouvrage de J. François (2003) La prédication verbale et les cadres prédicatifs, le numéro 31/32 de
Faits de langues La prédication paru en 2008, sous la direction de J.-M. Merle ; La structure de la
proposition : histoire d’un métalangage, édité par P. Sériot et D. Samain en 2008, qui a fait l’objet d’un
compte-rendu de ma part dans Lidil 38/2008, les Supports et prédicats non verbaux dans les langues du
monde, dirigé par Amr Helmy Ibrahim en 2010.
61
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
2006 : 50). La première série de mes travaux, consacrés aux temps-aspects-modes des
prédicats verbaux en français et en bulgare, analyse ces catégories aussi bien dans le
cadre de la phrase simple, que de la phrase complexe (phénomènes de concordance des
temps en français et en bulgare) et enfin celui du texte. Les valeurs aspecto-temporelles
et modales des verbes au futur sont étudiées dans leur interaction avec les éléments
contextuels et l’environnement syntaxique en général (doc. 4, 5,8, 9). La deuxième série
de recherches sur les prédicats causatifs étudie les verbes et les constructions causatives
en lien avec les phénomènes de transitivité (doc. 13, 16) et de grammaticalisation du
prédicat complexe faire+Vinf (doc. 24, 27, 29, 31) qui, elle aussi, concerne de près la
problématique de la prédication (Lamiroy, 1998 : 289). Enfin, les travaux sur le lexique
sont non moins liés à la prédication, car le lexique y est étudié en construction, suite aux
travaux de K. Mancthev (doc. 12) d’abord, et ensuite, plus récemment au sein de sa
combinatoire syntaxique et lexicale qui constitue un observatoire privilégié des
phénomènes prédicatifs, du lien entre la syntaxe et le lexique (doc. 17, 22, 25, 26 et
aussi les recherches dans le cadre du projet Emolex).
La problématique des prédicats adjectivaux (la construction attributive) a
également fait l’objet d’une étude (doc. 10) dans une perspective contrastive françaisbulgare. Ce travail compare la fonction d’attribut en français et en bulgare en y ajoutant
une réflexion terminologique sur la notion d’attribut dans les deux langues. Dans la
tradition grammaticale bulgare, le prédicat (skazuemo) tout en étant classé, avec le sujet,
parmi les fonctions syntaxiques de la phrase, est considéré comme hiérarchiquement
« subordonné » par rapport à celui-ci. Le prédicat est donc un déterminant subjectal. En
bulgare, comme en russe, sous l’influence de la tradition grecque et latine, le substantif
et l’adjectif font partie de la classe des noms săštestvitelno vs prilagatatelno ime
(prilagam = ajouter, compléter, prilagatelno (adjectif) = supplément, complément). Du
point de vue syntaxique, l’adjectif a la fonction de déterminant prédicatif dans Ivan e
bolen (Ivan est malade) qui correspond à la fonction attribut en français et de
déterminant attributif (opredelenie) qui « attribue » une qualité ou une propriété au
substantif, ce qui correspond à la fonction épithète en français comme dans Il est un
homme malade. Dans le premier cas, il détermine le substantif en fonction de sujet ou
d’objet non pas attributivement, mais prédicativement (Pachov, 1994 : 329). Ce travail
poursuit la réflexion que j’ai menée sur l’harmonisation terminologique des catégories
grammaticales (cf. chapitre 2, section 5). Il remet en question la pertinence du terme
62
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
attribut en français. La plupart des langues européennes ne font pas la distinction entre
attribut et complément. Ce que l’on nomme attribut en français correspond à l’épithète
en anglais, en portugais ou en bulgare. Cela crée des difficultés pour l’enseignement et
l’apprentissage des langues étrangères et donne des arguments en faveur d’une
réanalyse du terme d’attribut français en terme de prédicatif (cf. aussi Maillard et
Almeida, 2001), qui semble pertinent pour remplacer à la fois l’étiquette déterminant
prédicatif en bulgare et attribut en français.
5. Conclusion
Ce premier chapitre consacré aux enjeux et à la méthodologie des approches
contrastives et typologiques, à la mise en rapport des différentes théories
fonctionnalistes et cognitives, enfin, à la notion polémique et problématique de prédicat
m’a paru nécessaire pour la suite de cette synthèse. Il permet d’expliciter mes choix
théoriques, de mieux cadrer les principales problématiques de mes travaux de
recherches, de mettre au jour leurs points communs, leur principaux fils conducteurs.
Plus concrètement, en ce qui concerne les principaux apports, nouveautés et
pistes qui peuvent être dégagés, suite à ce 1er chapitre et qui sous-tendent mes
recherches, je mentionnerai :
a)
La mise en place progressive d’une méthodologie rigoureuse de
l’analyse contrastive fondée sur l’utilisation de grands corpus
bilingues, comparables et parallèles (doc. 28, 30, 31).
b)
Le choix d’une approche fonctionnelle structuraliste et cognitive
appliquée aux trois principaux domaines de mes recherches : tempsaspects-modes ; constructions causatives, combinatoire syntaxique et
lexicale du lexique des affects (doc. 9, 20, 22, 26, 29, entre autres).
c)
La réflexion conceptuelle et terminologique sur de la notion de
prédicat dans une perspective interlangues (doc. 10, 19). Plus
concrètement, les recherches sur la prédicativité des noms de
sentiments dans une perspective contrastive français-russe (en
collaboration avec E. Melnikova) peuvent être considérées comme
une nouveauté, car à notre connaissance, il n’existe pas de travaux
traitant de cette problématique.
63
Chapitre 1. Approches contrastives et fonctionnelles
64
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
CHAPITRE 2
Syntaxe et sémantique des
temps-aspects-modes
65
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
66
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
1. Les catégories TEMPS-ASPECT-MODE (TAM)
Ce chapitre résume les travaux réalisés dans la continuité de ma thèse de
Doctorat, consacrés à la problématique de la Temporalité, de la Modalité et de
l’Aspectualité des temps futurs en français et en bulgare. Après une brève présentation
des trois catégories grammaticales, je traiterai, dans les sections de 1 à 4, du
fonctionnement syntaxico-sémantique des temps futurs dans ces deux langues, exposé
dans les documents 2, 3, 4, 5, 8, 9, 21. J’aborderai aussi (section 5) la question de la
terminologie grammaticale concernant les étiquettes des tiroirs verbaux, développée
dans les documents 1 et 7. Ce chapitre comportera également une brève synthèse
(section 6) des recherches sur l’aspectualité des constructions verbo-nominales de
sentiments en français et en russe (doc. 26), menées dans le cadre de la thèse d’E.
Melnikova que je co-dirige actuellement avec F. Grossmann et qui seront détaillées
dans le chapitre 4.
Dans la perspective onomasiologique des recherches contrastives, l’univers des
significations est un espace multidimensionnel pour lequel les langues construisent des
moyens grammaticaux correspondant à des portions de cet espace (Lazard, 2006 : 111).
Ce sont des « domaines de grammaticalisation » et celui des temps/aspects/modes en
fait partie. Les marques de temps, mode, aspect, généralement associées dans les
langues à des marques de conjugaisons sont appelés opérateurs par Harris (1976) du fait
de leur grammaticalisation qui en interdit tout emploi autonome (Muller, 2002 : 50).
Dans une perspective fonctionnelle (cf. la RRG de Van Valin et La Polla par exemple),
les marques de TAM sont considérées comme des opérateurs qui s’appliquent au verbe
en tant que noyau prédicatif relevant du niveau syntaxique. Dans le cadre de la théorie
des classes d’objet de G. Gross, les TAM font partie des actualisateurs des unités
prédicatives et sont aussi liés à leurs propriétés syntaxiques41. Mais ces catégories
grammaticales ont une portée plus large qui dépasse les niveaux syntagmatique et
phrastique. Afin de mieux appréhender leur fonctionnement, il est nécessaire de prendre
en compte le niveau discursif et textuel. Givón (1998 : 270) critique la méthodologie
structuraliste traditionnelle qui consiste à analyser des propositions isolées, ce qui a
41
Buvet et al. (1995), Sfar (2009 : 57), entre autres.
67
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
pour effet d’obscurcir les faits grammaticaux. La portée de la grammaire fonctionnelle
concerne surtout « les RELATIONS DE COHERENCE entre les informations
contenues dans la proposition et l’environnement discursif de celle-ci ». Les systèmes
grammaticaux des temps-aspects-modalités font partie, selon l’auteur, de ceux qui sont
les plus orientés vers la pragmatique discursive (avec l’anaphore, la définitude, la
référence, les pronoms, la topicalisation, etc). En France, la théorie benvenistienne et
ses multiples développements, les travaux de Weinrich ont fourni de puissants outils
théoriques permettant de dépasser le cadre étroit de la phrase et d’accéder au niveau du
texte, où les « temps » sont considérés comme facteur de progression, de mise en relief
et de structuration discursives. A date plus récente, Muller (2002 :52) estime que « [l]es
opérateurs énonciatifs dominent et déterminent […] les opérateurs temporels et
aspectuels ». Enfin, dans le modèle de la Grammaire Applicative et Cognitive (G&C) de
J.-.P Desclés (1995, 1996) et de J.-.P Desclés & Z. Guentchéva (2006), les catégories
grammaticales d’une langue se caractérisent par un système (paradigme) de formes
grammaticales, un système de signification, un système d’exploration contextuelle. Une
occurrence d’une forme (grammaticale ou lexicale) acquiert une valeur sémantique
déterminée lorsqu’on tient compte des indices linguistiques qui sont présents dans le
contexte de cette occurrence (exploration contextuelle). J’y reviendrai dans la section 4,
consacrée à l’analyse textuelle des tiroirs futurs en français et en bulgare.
1.1.
La Temporalité
Sur le plan extralinguistique (vécu vs non vécu), le statut du futur est plus
complexe que celui du présent ou du passé. Il existe une asymétrie entre la temporalité
rétrospective et prospective. La temporalité rétrospective est plus facile à coder, la
temporalité prospective ne se temporalise qu’en tant que prévision d’expérience
(Benveniste). Sur le plan linguistique, cette asymétrie se traduit par la formation et la
grammaticalisation plutôt tardive du futur dans les langues qui disposent de formes
grammaticales spécifiques pour exprimer l’avenir. Le futur se constitue souvent à date
récente par la spécialisation de certains auxiliaires, notamment « vouloir » (Benveniste,
68
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
1974 :75-76). Une façon très répandue d’exprimer l’époque future dans les langues
indo-européennes est le schéma V (aux ou mod)+ V42 :
avoir (grammaticalisé) + V (en français, italien, espagnol.) : cantare habeo →
cantare ayo→cantarayo→cantarai→chanterai ;
être+V (en russe budu čitat’) ;
vouloir+V (langues balkaniques, anglais). : bulgare : xotěti biti → šte da băda →
šte băda =je serai (litt. *veut que je sois )
En bulgare (šte ceta > litt. je veux lire, je lirai), le morphème šte grammaticalisé
est issu du verbe vouloir, en anglais I will /shall go, la gramaticalisation se fait aussi à
partir des verbes modaux vouloir/devoir, will étant allé plus loin dans la
grammaticalisation que shall. En allemand, le modal werden (devenir) se combine avec
le Vinf (Er wird sprechen), avec une forte nuance modale associée à la temporalité
future. Dans la plupart des langues, le futur serait donc une forme grammaticalisée de
l’expression du désir ou de l’intention (Morgenstern et al., 2009 :164)
Une autre preuve de la complexité du futur est son acquisition plus tardive par
les enfants (Fleischman, 1983, Morgenstern et al., 2009). Selon Fleischman (1983 : 22)
« [i]n all languages children acquire the future significantly later than present or past ».
L’auteur explique ce phénomène comme étant une conséquence naturelle de la nature
cognitive plus abstraite du futur, par la nature inégale de l’expérience au futur, comparé
au présent ou au passé qui dénotent des procès plus concrets, plus tangibles. A cela
s’ajoute la difficulté morphologique de certaines formes de futur en français, source
d’hésitations et d’erreurs parmi les jeunes enfants comme je courirai, je venirai, je
mourirai, ils se joigneront, ils se plaigneront. Le futur périphrastique semble être
préféré par les enfants à cause de sa relative simplicité morphologique. Dans une
récente étude psycholinguistique, A. Morgenstern et al. (2009 :164) soulignent le fait
que le « non-présent » peut paraître plus complexe à maîtriser puisqu’il s’agit
d’exprimer des événements et des états sans en avoir eu l’expérience. Dans le même
temps, les résultats de l’expérimentation montrent que le futur périphrastique
42
Cf. aussi J. Feuillet (2006).
69
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
(désormais FP) apparaît assez tôt, vers deux ans dans le langage enfantin, presque
simultanément avec des adverbes ou des prépositions de temps (tout à l’heure, après).
Cette forme de futur est quinze fois plus utilisée que le futur simple (désormais FS). La
fréquence des emplois des FP chez les adultes (les mamans des enfants enregistrés),
quatre à cinq fois supérieure aux formes du FS, pourrait aussi expliquer la distribution
des usages enfantins. En même temps, cette étude confirme les propriétés aspectuelles
des deux temps : le FP situe le procès dans la visée prospective à partir du présent du
locuteur, ce qui rend le procès plus réel comparé à celui au FS. Celui-ci renvoie à un
procès dans l’avenir en discontinuité avec le moment d’énonciation, ce qui le rend
virtuel et explique le fait qu’il est presque toujours accompagné de compléments de
temps (Jeanjean, 1988, Novakova, 2001). Les résultats de mes recherches sur le futur
confirment pleinement ces constats.
1.2. L’Aspectualité
S’il existe de nombreuses études consacrées à la structuration de l’aspect des
procès situés dans le passé (PS, PC, Imparfait, PQPF)43, c’est loin d’être le cas pour les
futurs. Deux raisons pourraient être évoquées qui ne s’excluent pas mutuellement:
- soit il s’agit d’un aspect sous-estimé dans les descriptions qui, trop portées sur
la problématique du temps et du mode, négligent en partie ou totalement la
problématique aspectuelle.
- soit la nature linguistique du temps futur fait que plus on avance vers l’avenir,
plus il est difficile de statuer sur l’aspect de procès qui n’ont pas encore eu lieu. De là ,
corollairement, le profil aspectuel des procès situés à droite de To serait plus pauvre
(moins développé) de ceux situés au passé. Maingueneau (1994) parle d’absence d’
« étagements complexes » au futur, Vikner (1985) considère le futur comme
aspectuellement neutre.
Mes recherches ont mis au jour une architecture aspectuelle complexe des
différentes formes de futurs en français et en bulgare que je détaillerai dans la section 3.
43
Par exemple, les recherches de Z. Guentchéva (1990, 1994, 1995) sur les temps du passé en français et
en bulgare.
70
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
Je me limiterai ici d’introduire le problème. De manière générale, comme le montrent
les données des deux corpus (plus de 2500 occurrences de futurs dans les deux langues),
le futur simple véhicule le plus fréquemment (70% des cas) l’aspect global. La vision
sur le déroulement du procès est globale, synoptique, doublement bornée (intervalle
fermé), impliquant toujours un début et une fin (Il travaillera de 5h à 7h). Il renvoie à
un événement qui s’insère facilement dans une structure de succession44. En bulgare, les
verbes perfectifs au futur (bădešte vreme) sont largement prédominants (šte napisa, šte
pročeta, šte izrabotja obeštanoto, j’écrirai, je lirai, je réaliserai ce qui a été promis).
Plus rarement, dans 30% des cas, le FS peut véhiculer l’aspect inaccompli dans des
conditions syntaxiques spécifiques (Il vivra en Afrique pendant des années). La vision
sur la façon dont se déroule le procès, associée au repère de référence R45 est, cette foisci partielle : elle tombe sur un procès en plein déroulement. L’aspect inaccompli exclut
toute prise en compte d’un premier et d’un dernier instant (sur l’intervalle temporel de
réalisation, la borne droite est toujours ouverte)46. En bulgare, les futurs imperfectifs (šte
četem, šte pišem, šte rabotim, on lira, écrira, travaillera), moins nombreux dans le
corpus, expriment des procès itératifs, inaccomplis qui n’entrent pas dans une structure
de succession.
Le futur antérieur (FA) véhicule l’aspect accompli (A cette heure-ci, il aura déjà
mangé) et ce, aussi bien en français qu’en bulgare. La vision sur le procès à partir du R
(à cette heure-ci) est rétrospective, et renvoie à un état résultant.
Le profil aspectuel du futur périphrastique est différent : il est affecté des traits
relatifs à l’aspect prospectif (cf. aussi Gosselin, 1996, Wilmet, 1997 qui parle d’aspect
sécant prospectif), en continuité avec To. Par exemple dans Luc va fumer une cigarette
vs Luc fumera une cigarette dans une heure, la différence entre les deux formes peut
être expliquée par le fait que le FS renvoie à une événement, en rupture avec To, le FP à un processus orienté vers l’événement, situé au-delà de To (Desclés, 1995 :18), mais
en continuité avec lui. Le bulgare ne dispose pas de futur périphrastique. A la différence
44
Cf. aussi à ce sujet Desclés (1994 :73-74).
45
Ce repère de référence R est introduit par Reichenbach (1947). Il vient compléter les deux autres
paramètres du repérage aspecto-temporel de l’énoncé, à savoir To (le moment de l’énonciation) et T’ (le
moment du procès).
46
Desclés (1994 : 71-72) ; Desclés & Guentchéva (2010 : 1691).
71
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
du russe, le présent perfectif bulgare n’est pas un temps futur à part entière. Il n’entre
que dans des procès en série, le plus souvent itératifs (Nastane (prés. perf) večer, mesec
izgree (prés. perf), zvezdi obsipjat (prés. perf) svoda nebesen (prés. perf) qui signifie
quelque chose comme A chaque fois que la nuit tombe, la lune se lève, les étoiles
couvrent la voûte céleste…). En revanche, le bulgare dispose d’un système très
développé de temps verbaux, y compris de temps futurs : bădešte vreme (futur), bădešte
predvaritelno vreme (futur antérieur), bădešte vreme v minaloto (futur dans le passé),
bădešte predvaritelno vreme v minaloto (futur antérieur dans le passé). (Cf. section 5).
1.3. La Modalité
En analysant le rapport entre le sujet de l’énonciation et le procès énoncé au
futur, certains auteurs (cf. Quintin, Confais, Rotgé) parlent de "l'hypothèse paradoxale",
qui insiste à la fois sur « l'incapacité » du locuteur « de statuer sur la vérité ou non de ce
qu’il énonce tout en inscrivant les faits énoncés dans un univers qui, au moins de son
point de vue (et sans doute aussi pour son partenaire), est celui de la réalité [...] »47..
Ainsi Quintin place le "paradoxe" au coeur même du signifié du FUT, surtout lorsque
celui-ci n'est pas daté. W. Rotgé48 évoque aussi le paradoxe du futur qui « associe
l'assertion et la non-validation » du contenu propositionnel. Le concept du « futur
paradoxal » peut être également illustré à travers certains emplois du FS et du FP, dont
le sens pourrait être perçu comme opposé, voire contradictoire. Ainsi, la certitude totale
alterne avec l'incertitude (Elle va finir sa thèse l'été prochain / Elle finira sa thèse l'été
prochain), l'injonction – avec la requête polie (Vous allez fermer les fenêtres avant de
partir/ Vous fermerez les fenêtres avant de partir), l'engagement catégorique avec la
promesse évasive (On va vous téléphoner / On vous téléphonera). De plus, les débats
sur le statut du futur « temps » et / ou « mode » ne datent pas d’hier. Or, l’analyse des
données aussi bien en français qu’en bulgare a montré que cette séparation est
difficilement tenable. Les emplois temporels et modaux, associés aux propriétés
aspectuelles des futurs forment un tout (cf. section 2.1.).
47
Quintin (1986 : 393).
48
Rotgé (1993 : 167).
72
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
2. Les choix théoriques et méthodologiques
Sur le plan des choix théoriques, les travaux que j’ai réalisés sur les futurs se
démarquent des modèles « référentiels » dont les origines remontent à Aristote et qui
préconisent que les temps verbaux réfèrent de manière directe et linéaire au temps
chronologique, divisé en trois époques : passé, présent, futur. Cette approche a du mal à
expliquer des emplois tels que On a bientôt fini ou A cette heure-ci, il aura bien mangé,
qui loin d’être marginaux en français (on entend quotidiennement des énoncés de ce
type), sont traités de « métaphoriques », « stylistiques » ou « à la place de ».
Mes travaux se démarquent aussi des modèles « psycho-logiques » (Guillaume,
Imbs, R. Martin) qui représentent aussi, pour la plupart, le futur de manière linéaire.
Voici comment P. Imbs (1960 : 189-190) décrit de façon fort imagée la structuration
temporelle de l’indicatif en français. Il y voit un mouvement allant du passé vers
l’avenir, représenté comme « un fleuve au cours inversé : au départ, le delta très ramifié
du passé ; au milieu le large déploiement du présent ; à la fin, le mince filet du futur, à
peine grossi d’un affluent de dernière heure (le futur antérieur), après quoi c’est la
ténèbre, où le temps va se perdre dans l’inconnu des possibles et des impossibles. Le
deuxième « cinétisme », d’après P. Imbs, « suppose un centre stable et permanent, le
présent, qui semble être la vraie source du temps humain: à sa gauche et à sa droite
jaillissent, comme en gerbe, le passé et l’avenir, dans un mouvement permanent de
relations avec lui » (idem, p.190). Cette approche accorde au présent le statut privilégié
de « centre organisateur » des opérations de repérage temporel. Ici aussi l’inconvénient
majeur c’est le calque du temps extralinguistique sur le temps linguistique. Enfin,
l’approche anaphorique et déictique des temps de Kleiber et Berthonneau (1993) reste
elle aussi essentiellement « temporaliste » et ne tient pas compte des propriétés
aspectuelles des temps.
Devant ces difficultés, certains linguistes adoptent une division binaire entre un
« passé », et un « non passé » qui regroupe le présent et le futur (J. Feuillet, 1973 : 8283), entre le « révolu » et le « non-révolu » (J.-P. Confais, 1995 : 180), entre le
«passé » et le « présent-futur » (Co Vet, 1981). A la différence du modèle de R.
Martin (1981), qui distingue au sein du futur une « zone linéaire », correspondant aux
73
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
emplois « temporels » et une « zone ramifiée », correspondant aux emplois « modaux »,
l’analyse que propose J.-P. Desclés (1995) franchit ce clivage traditionnel, en opposant
des événements linéairement ordonnés avant To et des événements structurés sous forme
d’arbre, situés après To, localisables dans un nouveau référentiel, celui des possibles. Il
s’ensuit que le référentiel énonciatif oppose deux domaines qui relèvent du domaine de
la modalité: (i) le réalisé certain et (ii) le non-réalisé ouvert vers les possibles de l’àvenir. Ces approches binaires semblent beaucoup plus fidèles au fonctionnement des
temps dans la langue.
En bref, sur le plan théorique, mes travaux sur les futurs établissent des filiations
entre les différents courants énonciatifs (Benveniste, Culioli), la sémantique cognitive
(le modèle topologique de J.-P. Desclés et de Z. Guentchéva) et la syntaxe fonctionnelle
de D. Creissels et de M. Maillard, ce qui permet de mieux appréhender le
fonctionnement des catégories des TAM dans les tiroirs futurs.
Sur le plan méthodologique, j’énumérerai quelques-uns des principes qui soustendent mes travaux et qui aujourd’hui, au moment de ce bilan, me paraissent comme
étant des avancées méthodologiques, par rapport au peu de travaux qui existaient, il y a
une dizaine d’années sur les futurs, surtout dans une perspective contrastive:
1) l’analyse des formes de futur en français et en bulgare, intégrant les niveaux
syntagmatique, phrastique et textuel, afin de mieux dégager leurs principales valeurs
sémantiques ;
2) le recours aux méthodes de comparaison directe (original-traduction) du
bulgare vers le français, la vérification des données dans le sens inverse (du français
vers le bulgare) sur des corpus de romans, de pièces de théâtre et de discours politiques ;
3) la méthode statistique pour calculer les fréquences des équivalents
fonctionnels des futurs français en bulgare et inversement, à une époque où les
méthodes quantitatives d’analyse des données, recueillies manuellement, étaient
relativement peu utilisées (par ex., les données ont montré qu’en bulgare 70% des
verbes utilisés au futur étaient des verbes d’aspect perfectif contre 30% de verbes
imperfectifs ; en français 70% des verbes au futur simple sont accompagnés d’un repère
temporel dans le corpus contre 30% des verbes au futur périphrastique). Ces données
74
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
quantitatives ont servi à des conclusions, relatives au fonctionnement des formes futures
dans les deux langues.
4) la distinction nette entre les catégories morphologiques du temps/aspect/mode
représentées au niveau morphématique et les catégories de la temporalité, l’aspectualité,
et la modalité relevant du niveau supérieur, celui de l’énoncé et de l’ensemble du texte.
Ainsi, à la différence du « temps » grammatical concernant le paradigme des flexions
verbales, la temporalité englobe les tiroirs verbaux, les déictiques temporels (adverbes
ou compléments nominaux satellites). L’aspect grammatical, catégorie morphologique
du verbe en bulgare et qui fonctionne en français à travers l’opposition entre temps
simples et temps composés, est différent de l’aspectualité qui englobe des éléments de
nature assez variée, comme le type de procès (aspect lexical), les marqueurs syntaxicolexicaux comme la complémentation, la détermination, la nature sémantique du sujet et
de l’objet, les phases du procès49, etc. Enfin, à la différence du mode, conçu comme un
paradigme de tiroirs (catégorie formelle), la modalité recouvre de multiples phénomènes
comme les modalités énonciatives (assertive, interrogative, exclamative, injonctive), les
modalités d’énoncé (le certain, l’éventuel, le possible, le souhaitable), issues des
modalités logiques (épistémiques, aléthiques, déontiques), les verbes modaux, les
adverbes, les adjectifs appréciatifs, etc.
5) le souci et la nécessité d’utiliser une terminologie grammaticale adéquate pour
les phénomènes étudiés qui distingue temps chronologique et temps linguistique
(time/tense, Zeit/ Tempus, temps/tiroir), d’éviter la transposition directe des étiquettes
comme perfectifs/imperfectifs propres à la morphologie aspectuelle des langues slaves
sur des phénomènes aspectuels du français qui n’a pas d’aspect morphologique et où les
termes comme télique/atélique semblent plus appropriés;
6) la prise en compte simultanée des trois paramètres (temporel-aspectuelmodal) qui coexistent et se manifestent à différents degrés dans les énoncés au futur.
Les analyses des différents corpus ont montré qu’il est impossible de les étudier
séparément, c.à.d. de distinguer les emplois temporels et les emplois modaux comme le
fait la grammaire traditionnelle, ce qui déforme les réalités linguistiques. Qui plus est,
49
Dans mes travaux plus récents sur l’aspectualité (doc 26), il est question de combinatoire syntaxique et
lexicale). Cf. section 6.
75
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
les grammaires traditionnelles50 passent sous silence l’aspect des formes futures en
français. Dans une perspective contrastive et typologique, il est nécessaire de traiter
globalement les TAM plutôt que d’y voir des catégories différentes (Creissels, 2006 :
181). Cette démarche a abouti à ce que j’ai appelée une approche transcatégorielle de
l’étude des futurs dans les deux langues.
2.1. L’approche transcatégorielle
Les travaux sur les futurs mettent au jour de façon systématique le lien entre la
temporalité et la modalité. Toute forme de futur est modale par définition. Cette
« cohabitation forcée » entre temps et modalité (Rotgé, 1995) peut être illustrée par des
exemples du type Ca sera le facteur, Il aura perdu ses clefs (futur de conjecture), où la
validation de l’assertion du procès localisé dans le passé est attendue dans l’avenir. Le
rapport entre temporalité et aspectualité, beaucoup moins traité dans la littérature,
apparaît nettement dans la concurrence possible entre Elle se marie/ va se marier/se
mariera l’année prochaine, où, dans les trois cas, le procès est localisé dans le futur ; ce
qui change c’est le point de vue de l’énonciateur sur son déroulement. Le présent et le
futur périphrastique (FP) indiquent un procès en continuité avec To (les préparatifs ont
déjà commencé), tandis qu’avec le futur simple (FS), le procès est envisagé en rupture
avec To. On pourrait interpréter l’énoncé de la façon suivante : le futur est conçu
comme une entité disctincte du présent, le mariage est encore en stade de projet (Imbs,
1960). Enfin ces mêmes exemples peuvent être utilisés pour expliciter le lien entre
aspectualité et modalité, lien moins évident que les deux précédents et, de ce fait,
souvent occulté dans les descriptions. Avec le présent, le procès est conçu comme une
affirmation (degré de certitude élevé), le FP (en continuité avec To) donne une vision
intermédiaire entre affirmation et prédiction tandis que et le FS véhicule le sens de
prédiction à cause de sa rupture avec To. Dans l’énoncé Je vous répondrai si vous me
laissez une seconde (J. Chirac sur TF1, 12.1996), les trois dimensions coexistent et ne
peuvent être négligées dans l’analyse du FS : le procès est situé après To (probablement
dans l’instant qui suit, ce qui fait s’écrouler le mythe proche/lointain), dans le domaine
50
Par exemple, la Grammaire vivante du français (1989) de M. Callamand, La Grammaire du français.
Cours de civilisation de la Sorbonne (1991), entre autres.
76
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
modal de l’hypothèse et en rupture de To, car le si est un indice linguistique de
« décrochage » ou de rupture par rapport à To (Desclés, 1994 : 65). Comme l’indique
Fleischman (1983 : 84) « Futures are universally temporal/aspectual or temporal/modal
or all three ». L’analyse des futurs français et bulgares confirme ce constat. Le choix
entre les différentes formes du futur conditionné par leurs propriétés aspectuelles,
modales et temporelles dépend essentiellement des visées (intentions) énonciatives et
discursives du locuteur : atténuation du propos, politesse, rappel, structuration de la
narration (le présent et le futurs dits « historiques), préférence pour la simplicité
morphologique et l’économie (au sens de Martinet) ; par exemple, le présent est
fréquemment utilisé à la place du futur et ce, dans de nombreuses langues. On retrouve
ici les principes de base des approches fonctionnelles.
En bref, temporalité, aspectualité et modalité sont profondément imbriquées
dans le fonctionnement des futurs. Le futur se trouve au croisement du temps, de
l’aspect et de la modalité (cf. aussi Lyons, 1977, Comrie, 1985). Il implique un
positionnement énonciatif pour exprimer le degré d’éventualité du procès (modalité),
ainsi que les liens de continuité ou de rupture par rapport à To (aspect)51.
3. Les futurs dans les différentes distributions syntaxiques
L’étude des futurs dans différentes distributions syntaxiques permet de mieux
dégager leurs principales valeurs aspecto-temporelles et modales. L’étude de ces
distributions syntaxiques fait ressortir les contextes dans lesquels ces formes sont
substituables ou non-substituables. Plus généralement, l’étude de la concurrence entre le
présent, le FS et le FP en français, entre le futur et le conditionnel en bulgare relève de
la réflexion constante qui sous-tend mes recherches sur le lien entre les formes et le
sens. Dans ce qui suit, seront brièvement passées en revue les principales constructions
syntaxiques dans lesquelles apparaissent les futurs français et bulgare.
51
Cf. aussi Morgenstern et al. (2009 : 164).
77
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
3.1. Procès futurs uniques (hors série) dans la phrase simple
Ce sont surtout les formes de FS, plus rarement celles de FP et de FA, qui
apparaissent dans cette distribution syntaxique. Dans la majorité des cas, ces futurs
simples sont accompagnées d’un marqueur temporel de type nominal ou adverbial
(maintenant, demain, dans quelques jours, dimanche prochain, l’année prochaine). S’y
ajoute aussi la concurrence du FS avec le présent qui, dans ces conditions syntaxiques,
peut aussi exprimer l’avenir (Je passe mon examen le 20 juin, Il part demain). Cette
concurrence de formes a pour conséquence des différences de sens subtiles, parfois
difficiles à analyser. Le futur périphrastique (FP), lui, est plus rarement daté. La
proportion est de 91% de FS contre 9% de FP datés. Etant ancré dans la situation
d’énonciation, le FP n’a pas besoin d’indications temporelles précises, comme le montre
les données du corpus. Le FS se combine facilement avec des adverbes et des
compléments nominaux ponctuels ou itératifs qui expriment la rupture par rapport à To
(ensuite, après, un jour, souvent, tous les soirs), tandis que le FP, dans les rares cas où il
est daté, se combine avec des adverbes indiquant la continuité (aspect prospectif) par
rapport à To (immédiatement, maintenant, aujourd’hui, tout de suite, d’un instant à
l’autre). De plus, dans la phrase simple, le FP, à cause de son profil aspectuel, apparaît
fréquemment avec des verbes d’état, de changement d’état ou de phases (commencer,
débuter, poursuivre, durer, continuer, changer, modifier, s’achever) : Ca va continuer
longtemps comme ça. Qu’est-ce que cela va changer pour les particuliers ?
Il existe des énoncés où seuls les FS sont admis, comme par exemple : En 1999,
trois nouveaux pays rejoindront ( ?? vont rejoindre/*rejoignent) l’Union européenne
(Journal TV, 09.2007). La Sécurité sociale dégagera (*dégage, ??va dégager) un
excédant d’environ 2 milliards de francs en 2000 (Le Monde, 20.09.1999). Le satellite
européen Corot partira (*part, ??va partir) en 2012. Comme on le voit dans ces
exemples, tous les FS sont datés. Etant coupé de To, le FS a besoin d’une spécification
temporelle. Le FP serait moins naturel, à cause de son aspect prospectif en continuité
avec To, le présent est, lui, exclu de ces contextes. Ceci prouve une fois de plus que ce
n’est pas le tiroir verbal qui est porteur de la temporalité de l’énoncé, mais le contexte
large et les nominaux (Maillard, 1989, Creissels, 1995). Dans ce type d’énoncés, le
locuteur n’a pas toujours le libre choix de l’une ou de l’autre forme, ce qui est dû aux
propriétés aspectuelles des formes respectives qui sont ici non substituables.
78
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
Bien que plus rarement, le FS permet aussi « une saisie en cours
d’accomplissement » (Leeman, 1994 :161) du procès situé après To. Ce trait apparaît
dans des contextes syntaxiques bien spécifiques : en phrase simple, accompagné d’un
complément de phrase, d’un adverbe de type déjà ou d’un SN de type pendant des
années : A huit heure, il dînera déjà ; A cette heure-ci, nous volerons vers
Hawaï (paraphrasables par Nous serons en train de voler vers Hawaï), ce qui peut être
comparé à A cette heure-ci, nous volions déjà vs *Nous volâmes déjà vers Hawaï. En
bulgare, c’est le verbe imperfectif qui s’impose : Utre po tova vreme šte letim (imperf)
za Xavaj.
Le FS et le FP non datés peuvent être en concurrence dans des phrases comme
par exemple Il y a des problèmes, on va s’en occuper/ on s’en occupera ! T’inquiète
pas ! Je vais faire / je ferai la vaisselle. Je t’appellerai (*vais t’appeler) un jour, peutêtre. Dans ce dernier exemple, issu du film Fleurs brisées (diffusé sur Arte le
13.05.2010), le protagoniste féminin en quittant son compagnon, utilise le futur simple
je t’appellerai tout en rajoutant un peut-être, à la fin. Dans ce cas, ce sont des
considérations modales qui entrent en jeu : l’engagement fort (tout de suite) avec le FP
(je vais faire la vaisselle), comparé à l’engagement moins fort avec le FS (je t’appellerai
demain, plus tard, peut-être, voir jamais). Dans un énoncé On vous appellera au
délocutif, que l’on peut souvent entendre dans les échanges administratifs, la promesse
est encore moins rassurante. Le différent degré d’engagement du locuteur (trait modal)
est lié aux traits aspectuels des deux tiroirs (connexion vs déconnexion par rapport à
To).
Un des principaux objectifs théoriques de mes travaux sur les futurs consiste
donc à expliquer dans quels contextes et pourquoi le FS est préféré au FP et
inversement. Pourquoi le français dispose-t-il de deux formes, là où le bulgare n’en a
qu’une ? L’étude systématique des cas de concurrences entre le FS et le FP français est
important du point de vue théorique, mais aussi appliqué, pour l’enseignement du FLE
aux bulgarophones qui ont souvent du mal à comprendre dans quelles distributions les
deux formes sont interchangeables et dans quelles autres, elles ne le sont pas. Cette
question de concurrence est aussi étroitement liée aux interrogations concernant le sens
que véhiculent les différentes unités linguistiques.
79
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
Enfin, le futur antérieur peut aussi apparaître dans une phrase simple avec ou
sans repère temporel : Lundi, je serai parti. Demain matin, les nuages auront envahi
tout le pays. Ils m’auront bientôt oublié. On aura tout essayé. Paul aura perdu ses clés
(conjecture), On aura tout vu ! (indignation) L’expression corporelle l’aura
accompagné toute la vie (bilan). Dans ces cas, contrairement aux descriptions
traditionnelles du FA, celui-ci n’exprime en aucun cas l’antériorité (on constate donc
l’inadéquation de son étiquette). Il s’agit d’un procès présenté comme accompli au
futur, ce qui s’apparente aussi à ses différentes valeurs modales. Comme l’indique
Wilmet de manière imagée : « La vérité d’aujourd’hui n’apparaîtra en plein lumière
demain ». Le déplacement du FA dans des « zones » antérieures (Il aura raté son train)
ou concomitantes de l’acte de l’énonciation (avec le FS Ca sera le facteur) est à
l’origine de la lecture modale de ce types d’énoncés. Une interaction complexe s’opère
entre l’aspect accompli, la localisation temporelle d’un tiroir censé parler du futur dans
le passé et les effets modaux qui en découlent. Le procès déjà accompli est projeté dans
l’avenir, ce qui enlève à l’affirmation la certitude ou la brutalité d’une constatation au
PC (On aura tout essayé vs On a tout essayé). Comme je l’ai montré dans le document
5, tous les emplois du FA aussi bien temporels (d’antériorité) que modaux (conjecture,
bilan, indignation) peuvent être déduits de sa valeur aspectuelle invariante d’accompli.
Les catégories de la temporalité-aspectualité-modalité sont donc indissociables dans
l’analyse de ces cas de concurrence. C’est une de mes principales contributions par
rapport aux descriptions traditionnelles de ce tiroir.
3.2. Procès futurs en série dans une phrase simple ou complexe
(structure de succession)
A cause de leur aspect global, les procès au FS s’inscrivent facilement dans une
structure de succession (dans le cadre d’une phrase ou de deux phrases qui se suivent),
ce qui se traduit syntaxiquement par la juxtaposition (en chaîne) des événements futurs
qui « se suivent sans se chevaucher » (Deslés & Guentchéva, 2006). Plusieurs exemples
de ce type existent dans la Modification de Butor : Vous vous lèverez, vous sortirez,
vous irez jusqu’au bout du couloir. Souvent, les futurs simples se combinent avec des
adverbes comme après, bientôt, alors, à ce moment-là qui impliquent une rupture par
80
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
rapport à To et qui permettent de mieux structurer les événements futurs dans une série
ordonnée:
Nous irons d’abord dans un centre d’accueil dans la Grande Ville. Ensuite nous
ferons des recherches pour retrouver vos parents. (AK, p. 150)
-Naj-napred šte gi zakaram (perf) v priematelnija centăr na Golemija Grad.
Posle šte izdirim (perf) roditelite im. (p. 132)
En bulgare, les verbes perfectifs au futur qui renvoie à la globalité du procès sont
prédominants dans cette distribution :
Njakoj den šte stana (perf) majstor. Togava.... togava šte sedna (perf) i šte
napiša (perf) edna posledna kniga. (VP., Ball, p. 175)
Un jour, je serai maître. A ce moment-là, je m’assiérai et j’écrirai un dernier
livre. (p.175)
Par ailleurs, les futurs simples en série n’entrent pas toujours dans une structure
de succession : Pendant dix jours, nous prendrons de bon temps, nous mangerons, nous
boirons, nous fumerons, nous danserons, nous ferons du sport. Ici les procès ne sont pas
succesifs, ils peuvent être énoncés dans un ordre différent, sans que cela n’entame le
sens de l’énoncé. En bulgare ces verbes sont rendus par des futurs imperfectifs (šte
piem, šte jadem, šte pušim, šte tancuvame, šte sportuvame). La comparaison avec le
bulgare, à cause de l’aspect morphologique codé sur le verbe, peut aider à mieux cerner
les propriétés aspectuelles du FS : pour les FS qui renvoient à des événements (aspect
global), le bulgare a le plus souvent pour équivalents des verbes perfectifs, pour l’aspect
inaccompli du FS - des verbes imperfectifs.
A la différence du FS, les FP en série n’entrent pas dans une véritable structure
de succession , susceptible de faire avancer la narration. Une suite de FP n’est pas
exclue mais elle est moins naturelle (Franckel, 1984 : 68). Les rares exemples du corpus
avec des FP dans ces conditions correspondent plutôt à une visée simultanée que
successive : Je vais rester ici, je vais vous frotter le dos, vous lavez les cheveux. Vous
n’allez pas vous gêner devant moi (A. Kristoff). Je vais faire de grandes réformes, je
vais interdire le cumul (L. Jospin). Le plus souvent, après une suite de FP, un FS vient
clore la série de procès futurs.
81
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
3.3. La suite FP→ FS dans le cadre de la phrase complexe
(juxtaposée ou coordonnée) ou de deux phrases
L’ordre FP→FS est très fréquent, car il est le reflet du rapport entre procès en
liaison ou en rupture avec To. Le corpus a fourni de nombreux exemples de
structuration phrastique et textuelle fondée sur l’opposition aspectuelle FP/FS (cf.
document 9, p. 269-282) En voici quelques exemples : Comment savoir ? On va
m’emmener et on me tuera (Kristoff). Dans un premier temps, nous allons établir les
règles du jeu très simples. A la fin du débat, il y aura deux conclusions de 3 minutes (Le
Débat Jospin-Chirac). Je vais laver leurs habits sales, je les apporterai demain avec
l’argent (Kristoff).
Le bulgare ne structure pas l’espace futur de la même façon. Il utilise des futurs
(perfectifs ou imperfectifs), là où le français fait une différence entre FP et FS, ce que
les traducteurs respectent en général :
Ne znaes li ? Ste ni sădjat (imperf), posle šte izlezem (perf) zaedno.
Tu n’es pas au courant ? Ils vont nous juger (sous-entendu maintenant), après
nous sortirons ensemble.
De manière générale, l’aspect lexical du verbe bulgare n’a cependant pas
d’incidence directe sur le choix du tiroir français (FP ou FS), comme le montre
l’exemple suivant :
Viž kakvo moeto momče -kaza toj. Stava duma za tova: ti šte otključiš (perf)
sega, šte vlezeš (perf) v koridora i šte vikaš (imperf) visoko djado si Georgi. (...)
Šte go izvikaš (perf) visoko. (VP, Ball., p. 112)
-Ecoute, mon garçon , dit-il.Voilà de quoi il s’agit: tu vas ouvrir tout de suite la
porte, tu entreras dans l’entrée et tu appelleras bien fort grand-père Guéorgui.
(...). Tu l’appelleras bien fort. (p. 111)
La première occurrence de futur šte otključiš (perf) est rendue par un FP (tu vas
ouvrir), les deux autres occurrences de futur šte vikaš (imperf) /šte izvikaš (perf) sont
traduites dans les deux cas par un futur simple (tu appelleras) en français,
conformément à l’ordre chronologique FP →FS.
82
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
3.4. Procès futurs dans la structure principale-subordonnée
La subordonnée circonstancielle de temps (SCT) est la structure prototypique où
apparaît le FA dans sa valeur dite d’antériorité. Comme je l’ai déjà dit supra, la valeur
d’antériorité du FA procède de sa valeur aspectuelle d’accompli : Quand il aura terminé
sa thèse, il viendra nous voir. Toutefois, la fréquence du FA dans cette distribution est à
la baisse, car en français moderne, le FA après quand n’est pas obligatoire Quand il
terminera sa thèse, il viendra nous voir. En bulgare, le FA est plutôt rare, il est
fortement concurrencé dans ces conditions par le présent perfectif (ou le parfait) :
Quand + présent perfectif : Kato oblečeš (prés. perf) sakoto, njama da liči (Quand tu
auras mis ta veste, cela ne se verra pas).
Toujours dans le cadre de la SCT, on peut avoir aussi deux FS, dont l’un est
d’aspect accompli, l’autre – d’aspect inaccompli : Lorsque nous arriverons, l’enfant
dormira déjà (= sera en train de dormir). Pendant qu’il regardera (inaccompli) la
télévision, elle lui volera (global) ses clés. Le FS cumule ici les traits spécifiques du
profil aspectuel du passé simple (volera vs vola, aspect global) et de l’imparfait (aspect
inaccompli regardera vs regardait), le contexte, la construction syntaxique, la nature
lexicale du procès, les emplois en série sélectionnant tantôt l’un, tantôt l’autre. En
bulgare, l’aspect est plus facilement identifiable, grâce à la morphologie verbale :
Dokato toj gleda (présent imperf) televizia, tja šte mu otkradne (fut. perf) ključovete.
Par ailleurs, la subordination est la construction syntaxique prototypique
d’expression de la modalité épistémique. C’est le cas des subordonnées complétives
du type Vdicendi (il pense, sait, espère, dit, croit, prétend) que + FUT et ce, dans les
deux langues (Kălna se, če šte go napravja, Je jure que je le ferai). Mais cette structure
complexe n’est pas la seule à véhiculer la probabilité épistémique. (Cf. les emplois
conjecturaux du FS et du FA Ca sera le facteur. Il aura manqué son train, analysées de
la façon suivante : seul l’avenir confirmera, épistémiquement, ce qui au présent n’est
qu’une hypothèse vraisemblable (R. Martin, 1981). Bien que les grammaires bulgares
signalent ce type d’emplois pour le futur antérieur bulgare, ces derniers sont rares et peu
naturels, comme l’ont aussi montré les résultats du corpus. Le bulgare leur préfère le
parfait, accompagné de peut-être : Sigurno e izpusnal vlaka Peut-être il a raté son
train.
83
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
Enfin, en bulgare, il existe une plus grande souplesse en ce qui concerne les
structures syntaxiques dans lesquelles apparaissent les futurs. Le futur, le futur dans le
passé, le conditionnel ne s’encastrent pas comme en français dans des structures
syntaxiques spécifiques (Mantchev, 1986 :154) ; on peut même employé le futur après
si : Ako šte xodim na kino, šte ti se obadim. Litt. Si nous irons au cinéma, on
t’appellera. Ceci s’explique par l’absence de concordance des temps en bulgare, mais
aussi par le fait que la forme verbale est moins contrainte par le contexte syntaxique, du
fait de son aspect morphologique grammaticalisé. Dans le cadre de la phrase complexe,
après une principale au passé (aoriste, imparfait ou plus-que-parfait), le présent et le
futur bulgares sont très fréquents en subordonnée. Dans l’énoncé bulgare :
Toj maxna (Aor) răka i trăgna (Aor) da izliza. Na praga sprija (Aor) i kaza
(Aor), če utre šte namine (Fut) pak. Izpsuva (Aor) ošte vednăž i izleze (Aor).
(VP., Ball.,)
Il fit un geste de la main et s’apprêta à sortir. Il s’arrêta sur le seuil et dit qu’il
repasserait [litt.*repassera demain] le lendemain. Il poussa un juron et sortit.
la proposition principale contient un aoriste, tandis que la subordonnée est au
futur (bădešte vreme), rendu par un conditionnel présent en français ; le déictique
demain devient le lendemain dans la langue cible. En schéma :
BG Aor-Aor-Aor-Aor que demain FUT - Aor-Aor
FR PS-PS-PS-PS(dit) que COND PR le lendemain - PS-PS
La comparaison des deux langues permet de dire que la concordance des temps
dépasse le domaine de la syntaxe pour rejoindre celui, beaucoup plus complexe, du
fonctionnement des « temps » dans le système narratif et de structuration du récit (cf.
section 4).
3.5. Les futurs dans les différents types de phrases
L’analyse des formes futures dans les différents types de phrases : négative,
exclamative, interrogative s’avère aussi instructive non seulement en ce qui concerne
leurs propriétés modales mais aussi aspecto-temporelles. Le FP est largement
prédominant sinon presque exclusif dans des phrases exclamatives et interrogatives : Tu
84
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
ne vas pas me faire de manière ! Et maintenant, que vais-je faire ? Un jeu subtil entre
la personne grammaticale (l’énonciateur), la négation et l’exclamation d’une part, et la
forme verbale au FP, d’autre part, produit des effets de sens modaux de protestation, de
dissuasion, que Damourette et Pichon (1936 :107) nomment de façon originale l’« allure
extraordinaire » (Ah non, tu ne vas pas me faire une grippe, maintenant ! Tu ne vas pas
dire que tu pars maintenant !). Ces séquences illustrent la profonde imbrication entre
les modalités d’énonciation (exclamation + négation), les modalités intersubjectives
(Charaudeau, 1992) (l’allocutif + FP) et les modalités d’énoncé - l’injonction ou
l’interdiction qui relèvent du domaine du déontique. Cette imbrication complexe entre
les différents types de modalités peut être schématisée selon la formule M[M(p)] où M
désigne la modalité d’énonciation, M la modalité d’énoncé et (p) le contenu
propositionnel52. De manière plus générale, ces exemples montrent l’impossibilité de
dissocier la construction syntaxique de l’interprétation sémantique et des conditions
discursives (contexte, intonation spécifiques) dans lesquelles ces énoncés sont produits
conformément à l’approche fonctionnelle.
3.6. Conclusion
Les résultats de mes travaux montrent que toutes les formes verbales du futur
sont affectées d’un aspect spécifique. Sur le plan syntagmatique, les verbes lexicalement
téliques ou atéliques en français sont compatible avec le futur, le futur bulgare accepte
aussi bien des verbes perfectifs qu’imperfectifs, avec toutefois une prédominance des
verbes perfectifs (70% contre 30% d’imperfectifs), ce qui correspond en français au fait
que le FS est essentiellement global et accessoirement inaccompli en fonction des
indices contextuels.
Sur le plan phrastique, l’étude des distributions syntaxiques fait émerger une
architecture aspectuelle complexe des futurs qui diffère d’une langue à une autre. En
français, le FA est accompli. Le FS est global et plus rarement inaccompli, le FP est
prospectif. En bulgare, le futur peut être perfectif ou imperfectif, le FA est utilisé aussi
52
G. Chevalier (1993 :122).
85
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
avec des verbes perfectifs ou imperfectif53 mais celui-ci a moins de valeurs modales
qu’en français. Le bulgare ne dispose pas de FP. Il a moins de contraintes dans l’emploi
des futurs dans la phrase complexe (principale-subordonnée) et dans la si-construction.
4. Analyse textuelle des futurs
Comme il a été déjà dit, la majorité des descriptions analysent les TAM au
niveau syntagmatique et phrastique. Or, la prise en compte du niveau discursif et, plus
généralement, textuel est essentiel afin de mieux cerner leur fonctionnement. Les
travaux qui font l’objet d’une synthèse dans ce chapitre donnent des arguments forts en
faveur d’une analyse syntaxico-sémantique et discursive des tiroirs verbaux. Une fois de
plus, la pertinence de l’approche fonctionnelle est démontrée.
Depuis les travaux d’E. Benveniste (1966) et de H. Weinrich (1973), les tiroirs
verbaux sont considérés comme facteur essentiel de la cohésion textuelle et de la
structuration du récit. Les temps verbaux en discours et en récit deviennent de vrais
« signaux » de changement de l’attitude de l’énonciateur et, par conséquent, entraînent
une lecture tendue, respectivement relâchée, des textes narratifs. Or, l’analyse textuelle
des futurs bulgares et français ont montré que :
- les structurations discursives dépassent de loin la simple opposition entre discours
/ histoire (Benveniste) ou encore discours / récit avec premier plan/arrière plan
(Weinrich 1973), autrement dit les deux plans d’énonciation ne sont pas étanches, mais
« poreux » (A. Jaubert,1990 : 38)
- la répartition des tiroirs verbaux dans les registres énonciatifs, valable pour le
français, n’est pas « exportable » dans d’autres langues54.
53
La notion d’aspect accompli ne suffit pas pour rendre compte de la possibilité d’utiliser des verbes
perfectifs et imperfectifs au FA en bulgare. La distinction subtile entre accompli et achevé (Guentchéva,
1990 : 34-35) est fort utile pour expliquer ces cas. Elle est grammaticalisée en bulgare Šte săm čel
(accompli, sans indication d’achèvement) / Šte săm pročel (accompli et achevé) knigata, mais pas en
français, où l’on a recours à des moyens contextuels pour préciser que l’action est à la fois accomplie et
achevée ou seulement accomplie J’aurai lu le livre (sans le finir ou jusqu’au bout) ou J’ai lu le livre
(accompli sans indication de l’achèvement) vs J’ai lu le livre jusqu’au bout, accompli + achevé).
54
C’est d’ailleurs le reproche qu’adresse J. Feuillet (1985 : 4-5) à la classification benvenistienne:
« Benveniste, dans son article, ne s’intéresse qu’au système français. [...].Si, déjà la théorie de Benveniste
86
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
Ces constats ont soulevé trois interrogations auxquelles j’ai essayé d’apporter
des éléments de réponses :
- les présents et les futurs qui interviennent de manière systématique dans la
narration en bulgare sont-ils, oui ou non, un signal de passage du registre récit en
discours ou d’intrusion du discours en récit?
- leur présence perturbe-t-elle la cohésion narrative?
- peut-on expliquer ces emplois par d’autres concepts, plus souples, comme par
exemple l’ouverture sur un référentiel des possibles, proposé par J.-P. Desclés et Z.
Guentchéva (1994, 1995, 2006) dans le cadre de leur modèle topologique du temps et
de l’aspect ? Selon ce modèle, l’avenir ne peut être considéré comme une ligne droite
se poursuivant après le moment de l’énonciation mais comme « une diagramme en
fourche dans lequel chaque embranchement représenterait l’un des multiples possibles »
(Z. Guenctheva, 2001), ce qui est étroitement lié à la nature modale du futur. Des
référentiels supplémentaires (rapportés, médiatifs, des possibles) s’ouvrent à partir de
To, susceptibles de se projeter ou se superposer sur les référentiels énonciatifs ou
narratifs (J.-P. Desclés & Z. Guentchéva, 200655).
Pour répondre à ces interrogations, j’ai étudié les présents-futurs dans quatre
distributions différentes : a) au niveau phrastique (dans la structure principalesubordonnée) b) dans le cadre du discours indirect libre (DIL) c) au sein d’un
paragraphe au passé d) dans plusieurs paragraphes entièrement composés au présentfutur, insérés dans une narration au passé (en dehors du DIL) (doc. 21). Pour illustrer
mon propos ici, je donnerai deux exemples. Le premier concerne l’emploi des présentsfuturs dans le DIL en bulgare :
soulève de gros problèmes pour le français, elle est pour le moins inadéquate quand il s’agit de langues
liées génétiquement».
55
Sur la question des référentiels aspecto-temporels, cf. aussi Desclés &Guentchéva (2010).
87
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
Zatvoren krăg. Skitaxme (AOR) ot komisija na komisija, visjaxme (AOR)
po gišeta i kantori - otvsjakăde vdigaxa (IMPARFAIT) ramene: da ide
(IMPERATIF) v starčeski dom. Zašto da ne ide (PRES ; PERF) v starčeski dom?
Tam šte mu e (FUT du Vêtre) ujutno na starija čovek!
Nakraja ot « Socialni griži » se săglasixa (AOR) da go ostavjat na mira
(VP, Ball, p. 122).
C’était un cercle vicieux. Nous courûmes de commission en commission,
nous attendîmes devant des guichets et dans des bureaux: partout on haussait
les épaules. Il devait aller [litt. qu’il aille] à l’hospice des vieillards. Pourquoi
n’irait-il pas [litt. Pourquoi ne pas y aller]? Il s’y sentirait [litt. il y sera]
tellement bien!
Pour finir, le bureau d’aide sociale accepta de le laisser en paix.
En schéma :
narration→
BG AOR-AOR-IMP FR PS-PS- IMP narration→
DIL (pensées, propos)→
IMPERATIF –Prés. Perf--FUT
IMP-COND-COND
DIL (pensées, propos)→
narration
AOR
PS
narration
L’occurrence bulgare da ide (impératif)56 v starčeski dom (litt. qu’il aille à
l’hospice des vieillards) est rendu en français par il devait aller. C’est une transposition
du tour direct « Vous devez aller ». En bulgare cette occurrence à l’impératif est
précédée de deux points. L’interrogation Pourquoi n’irait-il pas? (litt. Pourquoi ne pas
y aller) et l’exclamation Il s’y sentirait (litt. Il y sera) tellement bien ! sont aussi des
signaux de passage au discours indirect libre. Le bulgare opère une transposition de
personnes (le tu/vous devient il) mais non pas des tiroirs. Le futur il y sera, comme
d’ailleurs l’impératif ou le présent (perfectif) à valeur future qui y fonctionnent
librement, ne sont cependant pas un indice de changement du registre énonciatif. Le
DIL ne constitue pas un plan énonciatif à part; c’est un type de discours spécifique qui
s’intègre dans le registre du récit sans opérer de véritable rupture avec lui. Ce mode
d’énonciation original « s’appuie crucialement sur la polyphonie » (D. Maingueneau,
1993 : 105). Le DIL engendre de nouveaux référentiels locaux (Z. Guentchéva, 1994 :
174) qui relèvent du domaine des possibles, mais comme ces référentiels dépendent
directement du registre narratif, les processus et les événements y sont projetés. Ce
nouveau référentiel introduit souvent une séquence de souvenirs ou de pensées qui
56
C’est une forme composée de l’impératif, formée à l’aide de la conjonction da, qui se conjugue à toutes
les personnes.
88
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
alternent avec les séquences narratives (D. Maire-Reppert, 1994 : 186)57. Le deuxième
exemple concerne le cas où des occurrences de futur et de présent sont employées dans
une séquence entièrement « composée » au passé:
V GDR započvaše erata na Koni. [...] Ako Haiman poželaeše (IMPARFAIT) Koni
da premesti pustinjata Sahara văv Frajberg s pomošta na edno sito, Koni
njamaše i da se zamisli (FUT DU PASSE). Šteše da ja premesti (FUT DU PASSE).
[...] Tărseše (IMPARFAIT) izkuplenie na grexovete si. (...) Be (IMPMPARFAIT)
gotov da se sbie s vseki imperialist pootdelno i săs Zapadna Germanija kato
cjalo. Togava Hajman šte go povika (FUT PERF) na vtorija etaž, šte go počeše
(FUT PERF) zad ušite i šte mu kaže (FUT PERF): « Ti si (PRES) slaven kolega,
Koni. » « Danke, her Hajman! »
No tova e (PRES) druga istorija... (VP, All, p. 166)
En RDA commençait l’ère de Koni. [...] Si Heimann demandait à Konny
d’apporter le désert du Sahara à Freiberg à l’aide d’un tamis percé, Konny
n’hésiterait pas une seule seconde. Il le ferait. Il cherchait à racheter ses péchés.
(...) Il était prêt à se battre avec chaque impérialiste pris individuellement et
avec l’Allemagne de l’Ouest tout entière. Alors, Heimann le ferait [litt. le
fera] venir au deuxième étage et le gratterait [litt. le grattera] entre les
oreilles [litt. et lui dira]: « Tu es un excellent collègue, Konny ». « Danke,
Herr Heimann ».
Mais c’est une autre histoire... (p. 203)
BG IMPARF- IMPARF-FUT DU PSE- FUT DU PSE -IMPARF-IMPARF-FUT-FUT-FUT: « PRES ».
PRES
FR IMPARF-IMPARF-COND PRES-COND PRES- IMPARF.-IMPARF.- COND- COND: « PRES»
PRES
La série de futurs dans le récit en bulgare le fera venir, le grattera entre les
oreilles, lui dira, qui débouchent sur un discours direct, constitue une ouverture sur le
référentiel des possibles, car les procès renvoient à des événements, produits de
l’imagination du personnage et insérés dans la trame narrative au passé. La dernière
phrase, qui clôt le paragraphe : Mais c’est une autre histoire peut être paraphrasée ainsi:
je me suis laissé aller dans mon imagination en m’écartant du fil principal de l’histoire,
maintenant revenons à ce qui a été dit précédemment. Il serait difficile d’admettre que
dans ce passage les futurs en bulgare constituent un « signal » de changement du
registre du récit vers le discours. Ceci irait à l’encontre de la cohésion narrative. Les
occurrences de futurs qui s’« immiscent » dans le registre narratif (des événements déjà
réalisés) peuvent être interprétées comme engendrant un nouveau référentiel, celui des
57
Cf. aussi à ce sujet D. Maingueneau (1994 : 140) qui indique que grâce au DIL, l’auteur peut « glisser
sans aucune rupture de la narration des événements à celle des propos ou pensées pour revenir ensuite à la
narration des événements ».
89
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
possibles, tout comme les conditionnels présents en français, sans pour autant quitter le
registre narratif sur lesquels ces événements se projettent.
Si, en français, les temps de l’époque future ne s’accordent pas (ou peu) avec
un récit qui demande « tendanciellement des faits passés » (cf. J. Bres, 2009), le bulgare
ne confirme pas cette tendance. Il est intéressant de signaler l’exemple du roman
bulgare Hôtel Paradise de K. Nikolov (1982), où les événements racontés au futur ont
déjà eu lieu dans le passé. On obtient ainsi des « images de tension » successives (cf.
aussi la Modification de M. Butor), ainsi qu’une neutralisation de l’opposition entre
sphère du discours et sphère du récit (J. Feuillet, 1985). On pourrait expliquer ces cas
par le fait que le futur ajoute au lexème verbal le morphème de projeté par rapport au
moment de l’énonciation, mais aussi par rapport à un moment, qui ne relève plus de
l’avenir et qui est postérieur au point de référence choisi (Ch. Touratier, 1996, F. Revaz,
2009).
En bulgare le présent, le futur, ainsi que le triplet déictique hier-aujourd’huidemain, fonctionnent librement, sans aucune contrainte grammaticale, en indépendante
et en subordonnée dans un récit au passé. Ceci s’explique par le fait que, comme il a été
déjà signalé supra, il n’y a pas de concordance des temps en bulgare et il n’est pas
normal qu’il y en ait, du moment que le temps bulgare est actuel » (Mantchev,
1986 :154). Ici « actuel » devrait être interprété dans le sens de branché sur l’actualité
de l’énonciation. Ainsi, l’aoriste bulgare (mais aussi grec et albanais), à la différence du
passé simple français, est fréquemment utilisé dans le registre du discours, car il n’est
pas coupé du moment présent. Cela va de soi pour le parfait. Dans certains cas, le plusque-parfait peut aussi renvoyer à des procès qui auront lieu dans le futur Ne bjaxme li
kaneni na gosti tazi večer ? N’étions nous pas invités ce soir ? (valeur de rappel).
Autrement dit, la répartition des tiroirs dans le discours et dans l’histoire (Benveniste)
s’avère inopérante pour le bulgare.
Par ailleurs, l’analyse des futurs bulgares dans le DIL confirme le constat que
celui-ci n’est pas un phénomène relevant de la syntaxe de la phrase mais porte sur un
ensemble textuel de dimensions variables (Maingueneau, 1993 :106-107). Les travaux
résumés dans cette section apportent des arguments en faveur du fait que le DIL
fonctionne différemment en français et en bulgare (doc 21). Du fait de la plus grande
liberté d’emploi des tiroirs dans les registres de l’énonciation en bulgare (l’aoriste dans
90
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
le discours, le futur dans le récit), ces « intrusions » n’altèrent en rien la cohérence
textuelle et sont ressenties comme tout à fait normales par le lecteur natif. Elles
imposent « une lecture » plus attentive et augmentent la vivacité de la narration. Les
présents et les futurs qui interviennent de manière systématique dans la narration en
bulgare ne sont pas un véritable signal de passage du registre récit en discours. Au lieu
de chercher à délimiter des plans énonciatifs, il serait donc plus juste d’y voir des
réalisations mixtes, très fréquentes dans la littérature moderne. Le découpage classique
en discours / récit se voit « dépassé» par la souplesse du fonctionnement des tiroirs
qu’exploitent largement et avec aisance les romanciers. Enfin, le concept d’ouverture
sur un référentiel des possibles (conditionnée par la présence de futurs, de conditionnels,
de subjonctifs présents), qui se projette sur les référentiels énonciatif ou narratif (J.-P.
Desclés et Z. Guentchéva), s’est avéré un outil conceptuel particulièrement pertinent
pour expliquer les nombreux cas de futurs, insérés dans la trame narrative en bulgare.
5. Préoccupations terminologiques
Les travaux sur les systèmes temporels, aspectuels et modaux du français et du
bulgare ont impulsé une réflexion systématique sur la pertinence de la terminologie
grammaticale les concernant. Cette section résumera les documents 1 et 7 (le doc. 10 sur
la notion d’attribut a été mentionné dans le chapitre 1). Pour ces travaux, les discussions
sur le métalangage menées au sein du groupe Metagram et aussi au Colloque
international sur le Métalangage et la terminologie, organisé en 1998 à Grenoble, ont
été particulièrement bénéfiques.
L’effort de créer un métalangage adéquat n’est pas une fin en soi. Il part du
constat que les étiquettes des temps verbaux sont imparfaites et ce, pour trois raisons
essentielles :
a) issues d’une tradition grammaticale greco-latine tenace, elles sont le reflet
d’une tendance fâcheuse à calquer le temps linguistique sur le temps extra-linguistique.
Selon la théorie aristotélicienne des trois époques, les « temps » du verbe sont une
reproduction fidèle (un décalque exact, Maingueneau, 1994) de l’axe chronologique :
passé, présent, futur. Chacun des paradigmes de la conjugaison serait affecté à une
91
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
époque déterminée du temps (Maillard, 1998 : 157), ce que les faits de langue réfutent
catégoriquement.
Ainsi, les grammaires scolaires continuent à enseigner que le passé composé est
une forme du passé et que « le nom donné à ce temps verbal est justifié car il permet de
situer une information, un événement dans le passé, achevé au moment où l’on parle
(Bérard & Lavenne, 1989 : 273). Je ne puis m’empêcher de raconter ici une petite
anecdote. Moi-même victime de cet enseignement traditionnel de la grammaire, tout
juste arrivée en France, j’étais très étonnée d’entendre dans un bus un enfant prononcer
l’énoncé suivant : Maman, on est bientôt arrivés ? Je ne comprenais pas pourquoi un
temps destiné à situer le procès dans le passé était utilisé pour un événement futur. Cet
emploi du PC pour le futur m’échappait complètement, ce qui est significatif des dégâts
que peut causer une terminologie inadéquate. De nombreux enseignants étrangers du
FLE auraient corrigé cette « erreur » : Maman, serons-nous bientôt arrivés qu’un
francophone natif n’utiliserait sans doute jamais. Des énoncés du type On aura bien
avancé aujourd’hui ou Dès que j’ai fini, je t’appelle, tout à fait banals pour un
francophone natif, sont sources de difficultés pour les apprenants du FLE. Dans la
conception métagramienne du temps verbal (Maillard, 1998) les temps se déplacent ou
« glissent » comme un curseur, selon une expression favorite de Maillard, sur l’axe
chronologique. En l’absence d’indices contextuels, le verbe peut se voir confier, mais
seulement par défaut, une valeur temporelle58 L’exclusivité des informations
temporelles dans la terminologie verbale occulte les indications aspectuelles et modales
dont le verbe est également porteur.
Les travaux résumés ici donnent des arguments en faveur du fait que le
« temps » grammatical se construit dans le contexte et dans la situation énonciative. Le
locuteur peut choisir en pleine connaissance de cause et non pas accessoirement, comme
essaient de le faire croire les grammaires, un temps traditionnellement réservé au passé
pour parler d’un procès présent ou futur (par ex. C’est dommage que vous partiez si tôt,
ce soir il y avait un spectacle qui vous aurait intéressé (Creissels), Je voulais vous
demander un service, Si demain à cinq heures je ne suis pas venu, ne m’attendez pas !
Sans cette panne, j’avais fini à coup sûr demain. L’aoriste bulgare peut référer aux trois
58
Cf. les propositions pour une nouvelle nomenclature grammaticale de Métagram (1993).
92
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
époques : Sega razbrax ! Maintenant, je compris/j’ai compris ! Bjagaj, stignax te!
Cours, je t’ai rattrapé (pour je te rattraperai !). L’inverse est aussi tout à fait possible :
un futur à la place d’un tiroir censé exprimer le passé comme dans Saint Romain va
bientôt connaître la « drôle de guerre ». Pendant quatre années, ses rues retentiront de
bruit de bottes allemandes (M. Auvrey),
b) L’exclusivité des informations temporelles dans la terminologie verbale
occulte les indications aspectuelles et modales dont le verbe est également porteur, or,
comme l’indique Creissels (1995 :174) « l’aspect est une donnée constante et
universelle, susceptible de remplacer le temps comme principe fondamental de
structuration de systèmes verbaux ». Dans Il a déjà/maintenant/bientôt terminé, c’est la
valeur aspectuelle et non pas la temporalité qui est l’invariant de la forme verbale a
terminé, l’ancrage temporel étant fait par l’adverbe. Dans l’énoncé Le mercredi 20
janvier
1987,
Terry
Waite,
émissaire
de
l’église
anglicane
diasparut/a
disparu/disparaissait au Liban, alors qu’il essayait de prendre contact avec les
ravisseurs chiites des deux otages américains (Le Monde, 20 janvier 1988, cité par
Maillard), le choix de la forme temporelle ne se fait pas en fonction du temps, car le
procès est situé dans les trois cas dans le passé, c’est l’aspect qui change (vision globale,
accompli, inaccompli sur le procès).
Pour de nombreux linguistes (par exemple, Fleischman, 1983), l’aspect est
ontogénétiquement plus ancien que le temps. Leeman (1994) souligne aussi que dans la
terminologie verbale, il faudrait privilégier, dans la mesure du possible, ce qui relève de
l’aspect : par exemple accompli du présent ou présent accompli à la place du passé
composé. Dans la terminologie de Métagram (1993), le terme de parfait, qui existe
aussi en allemand (Perfekt) , espagnol (preterito perfecto), portugais (preterito perfeito),
italien (perfetto) a été proposé.
c) le métalangage concernant les « temps » verbaux est assez hétérogène, car il
s’appuie souvent sur des critères de nature différente : sémantique (futur proche),
temporel (futur antérieur), morphologique (passé composé), aspectuel (plus-queparfait). Or, le futur dit proche (suite à la vision référentielle du temps) est très mal
nommé : il peut être utilisé dans des énoncés, devenus désormais célèbres, mais loin
d’être isolés en français, comme Ca va durer dix-sept ans comme ça (Labiche) ou Cela
va être commode pendant ces cinquante ans qui nous restent à vivre (Anouilh). Il est
93
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
d’ailleurs très richement étiqueté dans la littérature linguistique selon des critères variés
(futur proche ou immédiat, intentionnel, efférent, périphrastique). Un autre exemple de
tiroir mal nommé est le futur antérieur, car la valeur d’antériorité résulte de sa valeur
aspectuelle d’accompli. Dans la Grammaire de Port Royal, il est appelé futur parfait.
A la différente de l’anglais qui distingue time et tense, de l’allemand qui
distingue Zeit et Tempus, le français ne dispose que du terme « temps » pour désigner le
temps extralinguistique et les paradigmes formels de la conjugaison des verbes
(Touratier (1996 :223). Ceci a amené Damourette et Pichon à forger le terme de
« tiroirs ». Cette synonymie gênante existe aussi en bulgare qui utilise un seul terme
vreme pour le temps grammatical et extralinguistique. En bulgare, la nomenclature des
grammaires et des manuels cumule des notions temporelles et aspectuelles (minalo
svăršeno vs minalo nesvăršeno vreme (temps passé accompli vs inaccompli). En
revanche, les ouvrages linguistiques ont plus souvent recours à des termes de nature
aspectuelle (parfait, plus-que-parfait, imparfait). Le terme d’aoriste à la place de passé
perfectif59 correspond beaucoup mieux à la nature de cette forme qui, à l’instar de
l’aoriste grec, peut indiquer des procès localisés aussi bien dans le passé, le présent ou
l’avenir.
Ces imperfections appellent à des tentatives d’amélioration qui sont nécessaires
d’un point de vue descriptif afin de repenser la conception du temps linguistique, d’un
point de vue contrastif, mais aussi pour l’enseignement des langues étrangères afin d’en
faciliter l’acquisition. La réflexion métalinguistique sur la langue maternelle aide les
apprenants à comprendre et à maîtriser l’organisation du système linguistique de la
langue étrangère.
Les propositions d’innovation vont dans le sens d’une terminologie « plus
aspectuelle » que temporelle. Sans entrer dans le détail de l’argumentation de chaque
étiquette proposée (cf. doc 1 et 7), je reproduis ici les deux tableaux contenant des
propositions d’étiquettes privilégiant le critère aspectuel en français et en bulgare. Ils
montrent qu’une harmonisation terminologique est possible au moins à l’échelle des
langues européennes.
59
Je rejoins la critique de Z. Guentchéva (1990 : 89) vis-à-vis du trait ‘moment déterminé du passé’,
retenu comme fondamental dans les définitions traditionnelles de ce temps, trait qui selon elle « n’a aucun
sens ».
94
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
INDICATIF
Formes simples
Présent
Futur simple
il mange
il mangera
Formes composées
Présent
Futur antérieur
il a mangé
il aura mangé
Imparfait
Plus-que-parfait Conditionnel
passé
il avait mangé
il aurait mangé
Conditionnel
présent
il mangerait
il mangeait
Passé simple
il mangea
Passé antérieur
il eut mangé
Tableau 5. Terminologie traditionnelle des tiroirs de l’indicatif français
INDICATIF Présent
il mange
Futur
il mangera
Parfait
il a mangé
Imparfait
Futur imparfait
il mangeait
il mangerait
Plus-que-parfait Futur
plus-que-parfait
il avait mangé
il aurait mangé
Prétérite
il mangea
Futur parfait
il aura mangé
Prétérite parfait
il eut mangé
Tableau 6. Terminologie des tiroirs de l’indicatif français :
propositions d’innovation
95
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
FORMES
SIMPLES
FORMES COMPOSEES
Segašno vreme
TEMPS
PRESENT
Bădešte vreme
TEMPS FUTUR
Bădešte predvaritelno
FUTUR ANTERIEUR
PRESENT
Minalo
neopredeleno
PASSE
INDEFINI
PARFAIT
FUTUR
FUTUR ANTERIEUR
četa
(je lis)
săm čel
(j'ai lu)
šte četa
(je lirai)
šte săm čel
(j'aurai lu)
Minalo
nesvăršeno
PASSE
IMPERFECTIF
IMPARFAIT
Minalo
predvaritelno
PASSE
ANTERIEUR
PLUS-QUEPARFAIT
Bădešte v minaloto
Bădešte predvaritelno
v minaloto
FUTUR DANS
LE PASSE
FUTUR ANTERIEUR
DANS LE PASSE
četjax
(je lisais)
bjax čel
(j'avais lu)
štjax da četa
(je lirais/j'aurais lu)
štjax da săm čel
(j'aurais lu)
Minalo svăršeno
PASSE
PERFECTIF
AORISTE
četox
(j'ai lu; je lus)
Tableau 7. Terminologie traditionnelle des tiroirs de l’indicatif bulgare
96
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
PRESENT
PARFAIT
FUTUR
četa
săm čel
*je suis lu
(j'ai lu)
šte četa
šte săm čel
*je veux (je) lis /lire *je veux (je) suis lu
(je lirai)
(j'aurai lu)
(je lis)
FUTUR PARFAIT
IMPARFAIT PLUS-QUEPARFAIT
FUTUR
IMPARFAIT
četjax
štjax da četa
štjax da săm čel
*je voulais suis lu/avoir lu
*je voulais (je)
(j'aurais lu)
lis/lire
(je lirais; j'aurais lu)
(je lisais)
bjax čel
(*j'étais lu)
(j'avais lu)
FUTUR
PLUS-QUE-PARFAIT
AORISTE
četox
(j'ai lu; je lus)
Tableau 8. Terminologie des tiroirs de l’indicatif bulgare :
propositions d’innovation
Même si on peut déplorer avec D. Leeman (1994) que « les nouvelles
propositions restent souvent lettre morte, car les grammaires continuent à se servir de la
terminologie traditionnelle », ces efforts ne sont pas vains ou inutiles car ils permettent
de repenser les concepts grammaticaux, de donner un meilleur éclairage du
fonctionnement des systèmes verbaux des langues, une plus grande cohérence en
matière de description grammaticale.
6. La combinatoire syntaxique et lexicale et l’aspectualité
A la différence du bulgare où l’aspect est une catégorie grammaticale
morphologique, en français, l’absence de marqueurs morphologiques aspectuels sur le
prédicat verbal complique le calcul des valeurs aspectuelles et rend la dépendance vis-àvis du contexte plus forte. Le calcul des valeurs aspectuelles est fortement dépendant de
différents paramètres de nature syntaxique ou lexicale qui peuvent changer radicalement
l’aspect du prédicat verbal comme par exemple :
97
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
a) le sujet au singulier ou au pluriel : Max a traversé la rivière (en une heure) vs
Les soldats (la troupe) ont/ a traversé la rivière (pendant des heures)60. En bulgare on
aura comme correspondants deux verbes : un verbe perfectif prekosi pour le premier
cas : Max prekosi rekata et un verbe imperfectif prekosjava pour le deuxième cas :
Voiskata/vojnicite prekosjava(xa) cjal den rekata.
b) la nature sémantique du sujet : L’enfant est tombé (en un éclair de seconde) vs
La plue est tombée (pendant des heures). En bulgare : Deteto padna (perf) vs Cjal den
valja (imperf) dăžd (Toute la journée il a plu);
c) les compléments : absence ou présence de compléments (essentiels ou
satellites) : Hier, l’enfant a dessiné (Včera deteto risuva (imperf)) vs L’enfant a dessiné
un cercle (Deteto narisuva (perf) okrăžnost) ;
d) la détermination : Il a bu du vin (Pi (imperf) vino) vs Il a bu une bouteille de
vin (Izpi (perf) edna butilka vino) ;
e) les SNprép (pendant X heures/en X heures) Jean a repeint sa chambre en
deux heures/ pendant deux heures (Toj bojadisa (perf) za dva časa/ bojadisva (imperf)
stajata) v prodalzenie na dva časa).
L’étude de l’aspect doit donc être élargie du morphème au lexème et au
syntagme verbal et surtout au niveau phrastique et textuel. Ceci est particulièrement
valable pour le français qui n’a pas grammaticalisé l’aspect dans la morphologie
verbale, mais aussi pour le bulgare où l’aspect est une catégorie complexe qui relève à
la fois de la morphologie, de la syntaxe et du lexique (Cf. aussi pour le russe GuiraudWeber, 2004 : 9).
A date plus récente, les recherches que j’ai menées avec E. Melnikova dans le
cadre de son projet de thèse portant sur l’aspectualité des constructions verbo-nominales
des sentiments en français et en russe, qui se situent dans la prolongation de mes
travaux sur l’aspectualité décrites dans ce chapitre, proposent des développements et des
approfondissements concernant la prise en compte de différents paramètres contextuels,
susceptibles d’avoir une incidence sur le calcul des valeurs aspectuelles (ponctualité,
durativité, phases) de ces structures. Comme il a été déjà montré tout au long de ce
60
Exemples de M. Gross (1980 : 73-76).
98
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
chapitre, l’aspectualité relève aussi bien du lexique, que des relations syntagmatique, de
la syntaxe de la phrase et de l’organisation textuelle. Par ailleurs, l’aspect n’est pas
uniquement une catégorie verbale, elle affecte aussi la catégorie nominale. L’ensemble
verbo-nominal véhicule des informations aspectuelles. Contrairement à l’idée largement
répandue selon laquelle l’aspect est une catégorie essentiellement verbale (Cohen 1989),
celui-ci peut aussi affecter la classe nominale (Anscombre 2005 ; Flaux &Van de Velde
2000 ; G. Gross 1996 ; Kossakovskaïa 2002 ; Pazelskaïa 2003) et, en particulier, les
noms de sentiments (N_sent). Ainsi, « il est de plus en plus reconnu que ce trait
[l’aspectualité] n’affecte pas moins les N que les V » (Simone & Pompei 2007 : 50).
Les propriétés aspectuelles et référentielles des noms restent à ce jour peu étudiées,
quoiqu’elles semblent susciter depuis peu un intérêt croissant (Huyghe et Marin , 2007 :
265).
Cette nouvelle série de travaux (doc. 15, 25, 26, 23) est centrée sur ce qui est
aujourd’hui appelé, suite à la théorie Sens-Texte d’I. Mel’čuk, la combinatoire
syntaxique et lexicale, définie comme un élément essentiel qui relève du
« syntactique » du signe, à côté du signifié et du signifiant. La combinatoire syntaxique
(ou grammaticale) renvoie à la structure actancielle des mots, alors que la combinatoire
lexicale intègre les coocurrences lexicales privilégiées, ainsi que les relations lexicales
paradigmatiques. La problématique de la combinatoire sera traitée dans le détail dans le
chapitre 4.
7. Conclusion
Les principales avancées théoriques et descriptives61 de ces travaux pourraient
être résumées comme suit :
1) Ces travaux proposent une approche cohérente multidimensionnelle
(transcatégorielle) du futur. On trouve cette démarche globale dans la théorie
culiolienne qui considère que les opérations énonciatives permettent de calculer
des
61
valeurs
référentielles
dans
des
domaines
comme
Cf. aussi J.-P. Desclès dans la Préface de mon ouvrage Sémantique du futur (2001).
99
ceux
de
la
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
quantifiation/qualification, de la modalité, de la temporalité-aspectualité, qui loin
d’être autonomes sont en étroite interdépendance. La pertinence de l’approche
transcatégorielle (TAM) pour l’analyse des futurs, mise en place dans la thèse
(1998), développée et approfondie dans les différents travaux qui l’ont suivie,
prend en compte les trois paramètres (temps, aspect, mode) pour calculer les
valeurs des futurs bulgares et français. Il s’agit d’une approche globale pour
analyser les catégories grammaticales.
2) La temporalité, l’aspectualité, la modalité sont des catégories globales qui
dépassent le niveau syntagmatique. Les travaux proposent des arguments solides
en faveur d’une analyse des interactions complexes entre tous les paramètres
syntaxico-sémantiques au niveau phrastique et textuel. L’analyse des valeurs
sémantiques et discursives des futurs dans leur environnement syntaxique est
caractéristique de l’approche fonctionnelle.
3) L’approche contrastive a permis de mieux cerner les propriétés aspectuelles
des futurs et de mettre en place la structuration aspectuelle complexe des futurs
dans les deux langues.
4) Ces travaux donnent des arguments en faveur d’une vision de la temporalité
linguistique, où le futur conceptualisé et grammaticalisé par les langues, n’est
pas considéré comme étant symétrique du passé linguistique.
5) L’analyse textuelle contrastive des futurs français et bulgares est faite avec les
mêmes outils conceptuels, issus des modèles énonciatifs (Benveniste, Weinrich,
Maingueneau) et du modèle topologique de J.-P. Desclés et de Z. Guentchéva.
6) La réflexion théorique sur la temporalité et l’aspectualité des futurs a donné
lieu à des propositions pertinentes concernant la terminologie grammaticale des
temps verbaux en français et en bulgare.
100
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
7) L’évolution de ce volet de mes recherches vers l’étude de la combinatoire
syntaxique et lexicale permet de mieux appréhender l’aspectualité des
constructions verbo-nominales de sentiments en français et en russe
(problématique très peu explorée dans les deux langues), ainsi que l’aspectualité,
en général.
101
Chapitre 2. Syntaxe et sémantique des temps-aspects-modes
102
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
CHAPITRE 3
Syntaxe et sémantique des
prédicats causatifs
103
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
104
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Introduction
Ce chapitre correspond aux travaux que j’ai menés à partir de mon séjour postdoctoral à l’Université de Lausanne (2000-2001) et que je poursuis actuellement, en
parallèle avec d’autres problématiques de recherche (notamment autour de la
combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des affects qui feront l’objet du chapitre
4). Les travaux sur les constructions causatives ont été présentés à de nombreux
Colloques internationaux, publiés dans différents ouvrages et revues (documents (11),
(13), (16), (18), (19), (20), (24), (27), (29), (32). Quatre mémoires M1-M2 (Y.
Bezinska, E. Yurovskikh, N. Srilerdfa et M. Bak) ont été consacrés à l’étude de
différents aspects des prédicats causatifs. Le mémoire de M. Bak correspond à un
nouveau volet qui est venu s’ajouter à l’étude de la syntaxe et la sémantique des
prédicats causatifs, à savoir le raisonnement causal dans un grand corpus d’écrits
scientifiques dans le cadre du projet ANR Scientext. A cela s’ajoute le co-encadrement,
avec J.-P. Chevrot, de la thèse de Y. Bezinska sur l’acquisition des constructions
causatives par des enfants français et bulgare, âgés de 3 à 6 ans.
Afin de mieux rendre compte de cet axe central de mes recherches, je passerai en
revue les différents moyens d’expression de la causalité dans les langues (section 1) et
je discuterai de l’importance de la prise en compte des phénomènes de changement
linguistique et de grammaticalisation dans l’analyse du fonctionnement des mécanismes
causatifs en français et en bulgare (section 2). Je montrerai aussi l’intérêt indéniable
qu’a, à mes yeux, l’approche fonctionnelle pour l’analyse des structures faire+Vinf et se
faire+Vinf (Sections 3 et 4). Je traiterai du statut de (se) faire+Vinf dans le système de
la voix grammaticale (section 5). Enfin, je présenterai le nouveau volet des recherches
sur les prédicats causatifs correspondant au raisonnement causal dans les textes
scientifiques (section 6).
Avant d’entre dans le vif du sujet, quelques précisions terminologiques
s’imposent. Les termes de causalité, causativitité, causation peuvent prêter à confusion,
du fait de l’emploi différent qu’en font les linguistes. Dans mes travaux, je distingue le
niveau conceptuel de la causalité qui renvoie à la relation causale qui met en relation
deux situations (A cause B) de la causativité qui correspond aux moyens dont disposent
les langues pour exprimer cette relation causale (ou la causalité). Cet usage très général
105
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
du terme de causalité rejoint celui qu’en font J.P. Desclés & Z Guentchéva (1998), A.
Jackiewicz (1998), G. Gross (2009). Elle correspond aussi grosso modo au terme de
causation (kauzacija) utilisé par Nedjalkov et Sil’nickij (1969 : 6), définie comme une
relation entre deux micro-situations et qui en plus exprime le processus par lequel la
cause produit l’effet. Par exemple dans A provoque B, le terme de causation met
l’accent sur l’élément prédicatif provoque qui unit A et B. L’usage du terme de
causativité dans mes travaux qui correspond aux différents mécanismes causatifs dans
les langues (morphologiques, lexicaux, factitifs, constructions périphrastiques,
restructurations phrastiques (métataxe)) ne recouvre qu’en partie l’usage qu’en font J.P.
Desclés & Z Guentchéva (1998). Dans leur article Causalité, Causativité, Transitivité
(1998), la causativité renvoie aussi bien à des marqueurs causatifs spécifiques (comme
par exemple, le morphème de cause dür en turc öl-dür-dü (Mehmet Hasan öl-dür-ü.
Mehmet a tué Hasan vs Hasan öl-dü Hassan est mort) qu’à des notions comme la
transitivité et la factitivité (idem : 25). Du moment où les termes sont bien définis,
l’usage différent qu’en font les linguistes devient beaucoup moins gênant.
1. Typologie des mécanismes causatifs
En 2000, au tout début de mes recherches post-doctorales consacrées au factitif
faire+Vinf , menées dans le cadre de la syntaxe structurale de Tesnière, mon principal
objectif était de mieux appréhender le fonctionnement de cette structure, inexistante en
bulgare. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le classement des mécanismes
causatifs du typologue australien R.M. W. Dixon (2000) dans son article A typology of
causatives : form, syntax and meaning qui venait de paraître. Cet article a servi par la
suite de fondement à mes recherches. Mon projet initial s’est alors considérablement
élargi, d’abord en me servant de l’échelle de compacité de Dixon pour comparer les
structures causatives du français et du bulgare et en élargissant progressivement, sur des
points précis, la comparaison avec d’autres langues, notamment le russe, l’anglais ou
l’allemand.
Dixon (2000) range les mécanismes causatifs à travers les langues selon des
critères morphosyntaxiques, à savoir du plus compact au moins compact62 :
62
Dixon (2000) se base sur le continuum des causatifs établi par Comrie (1981) : analytic [periphrastic]
morphological – lexical.
106
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Scale of compactness (R.M.W. Dixon, 2000)
Type of mechanism :
Scale of compactness (R.M.W. Dixon, 2000)
More compact
Less compact
L
Lexical (e.g. walk, melt, explode, trip, dissolve)
M
Morphological – internal or tone change, reduplication,
affixation like lie / lay
CP
Two verbs in one predicate (Complex Predicate), faire in
French
P
Periphrastic constructions with two verbs (a causative verb
and a lexical verb) in separate clauses like make cry
Cette échelle permet de classer et de comparer les mécanismes causatifs aussi
bien dans le cadre d’une étude unilingue que multilingue. Le classement graduel des
mécanismes causatifs qu’elle propose constitue une charpente solide, mais non figée
dont je me suis servie pour répertorier les données que j’ai recueilles dans Frantext,
dans des œuvres françaises traduites en bulgare et inversement (plus de 1500
occurrences de faire+Vinf). Je suis partie de l’analyse du prédicat complexe faire+Vinf
français (3ème palier de l’échelle de Dixon) afin de classer les mécanismes bulgares,
correspondant à cette structure. Le choix du factitif français comme point de départ de
cette recherche s’explique par le fait, que comme je l’ai déjà dit supra, cette
construction complexe n’existe pas en bulgare et pose des problèmes aux apprenants
bulgarophones du FLE. Elle me posait certains problèmes à moi aussi. Je voulais donc
mieux comprendre les particularités de faire+Vinf en français et surtout comment une
langue (en l’occurrence le bulgare) pouvait-elle fonctionner sans une telle construction.
J’ai appliqué la typologie de Dixon avec souplesse, en l’adaptant à mes objectifs et
résultats et en affinant, à l’intérieur des paliers, les sous-ensembles de mécanismes
causatifs recensés. Après avoir confronté les données du bulgare, mais aussi des
exemples du russe et de l’allemand avec ceux du français, il s’est avéré pertinent
d’ajouter un palier supplémentaire à cette échelle, à savoir la structure phrastique
transformée (doc. 11 et 24). Voici la version remaniée de l’échelle de Dixon :
107
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
1. Lexical: (bulgare, russe, anglais)
vzrivjavam (faire exploser) / vzrivjavam se (exploser)
les causatifs « de service » (bulgare, russe)
podstrigvam se→litt. se couper les cheveux→ se faire
couper les cheveux
les intransitifs transitivés (bulgare, russe, anglais, français)
faliram bankata → « failliter » la banque ; démissionner le
ministre
FAIRE + INF
(Prédicat
complexe)
2. Morphologique (bulgare, allemand, anglais, turc, etc)
plača (pleurer) → razplakvam (faire pleurer) ;
springen (sauter) / sprengen (faire sauter); pija (boire)/ poja
(faire boire)
3. Périphrastique (bulgare, russe, roumain, anglais,
allemand)
Karam + da (conj. de subord.)+V au présent
Inciter qn à ce qu’il fasse qch
4. Une structure phrastique transformée (bulgare, russe,
allemand)
Ce mot fit soupirer M. de Rênal → A ces mots, M. de Renal
soupira
Dans la construction factitive faire+Vinf, l’ajout de faire augmente d’un nouvel
actant63 la valence du verbe à l’infinitif (X pleure vs Y fait pleurer X ; X tond la pelouse
vs Y faire tondre la pelouse à X). Du point de vue syntaxique, suite à l’ajout du nouvel
actant, le sujet se trouve destituer et prend la première place libre après le verbe à
l’infinitif selon la case hierarchy de Comrie (section 1.3.3.). Du point de vue
63
Il existe une certaine confusion dans la littérature en ce qui concerne l’emploi des termes d’actant et
d’argument. Certains auteurs, sous l’influence de l’anglais, utilisent ce dernier comme synonyme
d’actant. Lazard (2007a : 129) critique cet emploi chez Creissels (2006) : « Pourquoi parler
« d’arguments » de la proposition plutôt que d’actants, cette heureuse création de Tesnière ? » D’autres
auteurs (Muller, 2002 : 25) font une différence entre l’actant en tant que fonction syntaxique et
l’argument en tant que rôle (fonction) sémantique. La notion d’argument comme synonyme d’actant est à
éviter, car elle renvoie à la notion logique de prédicat et de ses arguments. Lazard (idem) propose la
distinction actant (plan morphosyntaxique) / participant (plan sémantique). Dans mes travaux, j’utilise
systématiquement la notion d’actant. Il est clair que les fonctions syntaxiques des actants : sujet, cod, coi
sont à distinguer des rôles sémantiques des actants comme agent, patient, bénéficiaire, etc.
108
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
sémantique, la construction factitive véhicule un enchâssement sous faire d’une relation
sémantique, où le nouvel actant assume le rôle d’agent principal ou causateur (en
anglais causer), tandis que l’actant destitué est analysé comme deuxième agent, patient,
victime, bénéficiaire. Ces différents rôles sémantiques peuvent être tous regroupés sous
le terme de causataire (causee). On obtient le binôme causateur/causataire (doc. 11).
L’ajout de faire est analysé comme un procédé « analytique » de marquage de la
nouvelle valence (Tesnière, 1965 : 266-267) qui correspond au 3e degré de compacité de
l’échelle de Dixon. D’autres langues marquent la nouvelle valence de manière
« synthétique » en faisant appel à une opposition préexistante entre un verbe non
causatif et un verbe causatif (Tesnière, idem), à des mécanismes morphologiques
(comme en turc ou en bulgare), à des constructions périphrastiques moins
grammaticalisées (en anglais, bulgare, russe etc). Je détaillerai dans ce qui suit les
mécanismes causatifs correspondant aux cinq paliers de l’échelle de Dixon adaptée.
1.1. Les causatifs lexicaux
L’observation des données montre que les langues comparées disposent de deux
principaux sous-types de mécanismes causatifs lexicaux qui correspondent au 1er palier
lexical, à savoir :
(a) l’alternance décausative : l’opposition entre un verbe transitif de sens
causatif et un verbe réfléchi non causatif comme en bulgare: strjaskam (faire sursauter)
→ strjaskam se (sursauter), xranja (faire manger) → xranja se (manger, se nourrir),
vzrivjavam (faire exploser) → vzrivjavam se (litt. s’exploser). Par exemple : Vojnicite
vzrivjavat bombata (litt. Les soldats explosent la bombe) vs Bombata se vzrivjava (litt.
La bombe s’explose).
(b) la transitivation causative : l’emploi transitif (causatif) d’un verbe
intransitif, phénomène syntaxique, observable dans plusieurs langues comme par
exemple en anglais avec des verbes comme explode, walk, trip, dissolve, march (An
owner runs his horse to win the race. Ils bougent la banlieue, Le président a
démissionné le ministre).
Je reviendrai sur les phénomènes d’alternance décausative et de transitivation
causative dans la section 2 de ce chapitre.
109
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
1.2. Les causatifs morphologiques
Le français ignore ce mécanisme. En revanche, en bulgare, il existe plus d’une
cinquantaine de verbes64 (Doc 31) préfixé de raz- qui véhiculent un sens causatif. Le
préfixe raz- fonctionne donc comme un préfixe causatif en bulgare (cf. aussi Slabakova,
1997), car il permet d’ajouter un agent (causateur, causer) à l’instar de morphèmes
causatifs dans d’autres langues (par ex. dür en turc), ce qui correspond au 2ème palier de
l’échelle de Dixon. La valeur causative de raz- dans razplakvam, razsmivam,
razkărvavjavam65 semble dérivée d'une des valeurs du préfixe, à savoir l'idée d'une
action menée jusqu'à son terme pour obtenir le résultat contenu dans le verbe simple:
amener à pleurer, à rire66.
L’analyse des causatifs morphologiques du bulgare, qui se situent au 2e palier de
l’échelle de Dixon, peut amener à remettre en question ou à affiner le principe
typologique, à savoir la corrélation entre langues analytiques et moyens causatifs
analytiques et, respectivement, entre langues synthétiques et moyens synthétiques
(recours à des affixes) pour l’expression de la cause (Shibatani, 1976 : 2-3, Gawelko,
2006 : 130). Le polonais (langue slave synthétique à déclinaisons), par exemple,
disposerait, selon Gawelko (2006), d’environ 500 verbes causatifs, tandis que la
construction analytique du type Je fais le chien aboyer est très peu fréquente. Le
polonais confirme donc cette corrélation. En revanche, le bulgare, devenu
progressivement langue analytique67, dispose lui aussi de verbes lexicaux (dans une
alternance décausative) et morphologiques assez fréquemment utilisés pour exprimer
des situations causatives. Ces deux procédés, figurant parmi les plus compacts sur
64
Ces verbes ont été répertoriés dans le Dictionnaire bulgare-français (1973).
65
Nedjalkov & Sil’nitsky (1973) indiquent que « causative affixes are more productive in combination
with intransitive verbs than with transitive verbs », ce qui se confirme en bulgare (cf razplakvam (faire
pleurer), razsmivam (faire rire), razkărvavjavam (faire saigner)).
66
Vaillant (1966 : 470, 478) mentionne deux sens pour le préfixe raz- : le sens primitif de séparer
(razdeljam = séparer, diviser) et le sens de distribuer, éparpiller qui pourrait en découler : razdavam
(distribuer), en russe razbrosjat’ (éparpiller), mais ne mentionne pas le sens de raz- causatif. Slabakova
(1997 : 683) analyse le sémantisme causatif de raz- de la façon suivante « the agent engages in the
eventuality intensely or is involved a great deal ».
67
La perte des déclinaisons en bulgare s’est produite progressivement entre le XIIe et le XIVe s. (IvanovaMirčeva & Haralampiev, 1999 : 49).
110
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
l’échelle de Dixon, sont assez productifs en bulgare, malgré le caractère analytique de
cette langue.
1.3. Le prédicat complexe faire+Vinf
Dans le cadre de l’analyse transformationnelle (Kayne, 1977), la construction
faire + V inf est analysée comme l’enchâssement sous faire d’une structure infinitive
déjà engendrée, correspondant à un noyau à une place comme en (1) et en (2):
(1) Le poulet cuit.
(2) Adèle fait [le poulet cuire]
En schéma :
P matrice [P infinitive enchâssée].
On déduit ensuite la construction en (3) et (4), par une règle transformationnelle
de montée du prédicat (predicate lifting ; faire-attraction68 (Kayne, 1977):
(3) Adèle fait le poulet cuire
(4) Adèle fait cuire le poulet.
Selon cette analyse, faire + Vinf n’est pas un prédicat complexe, ses deux
éléments (faire + Vinf) ne sont pas réunis sous le même nœud verbal. Cette analyse est
loin de faire unanimité parmi les linguistes. Pour Ruwet (1972 : 134-135) cette analyse
est inadéquate. Une solution lexicale en terme de « redondance lexicale » lui est
préférable. Egli & Roulet (1971 : 6) vont dans le même sens en indiquant que « ce n’est
pas l’enchâssement de la structure intransitive déjà engendrée qui pose le plus de
problème, c’est le fait que ce procédé ne permet pas d’exprimer les restrictions de
sélection qui régissent les relations entre le sujet causatif et les phrases qui peuvent en
être le prédicat ». Il est nécessaire donc selon eux d’ajouter des règles lexicales. Enfin
Lyons (1970 : 293) évacue le problème avec élégance en disant que « [c]ette solution
qui consiste à enchâsser le noyau à une place comme prédicat du noyau à deux places
pose des problèmes techniques assez délicats, mais vraisemblablement surmontables
que nous n’étudierons pas ici ».
68
Dans les analyses transformationnelles de faire+Vinf, on parle de biclausal configuration ; le
causataire est analysé comme « sujet sous-jacent » du verbe à l’infinitif, ce qui est rejeté dans les
analyses structurales du tour factitif en français.
111
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
En revanche, selon l’analyse structurale, suite aux travaux de Tesnière, faire
augmente d’un nouvel actant la valence du verbe à l’infinitif. Le schéma Vmonov+ 1
actant suffit donc pour rendre compte des particularités de ces constructions sans avoir
recours à des règles transformationnelles compliquées69.. Il existe actuellement un
consensus parmi les linguistes70 qui considèrent que faire est devenu un vrai mot-outil,
porteur des marques de personne, nombre, temps. Ainsi, faire + V inf, mais aussi les
constructions analogues dans les autres langues romanes, excepté le roumain, ne
peuvent s’analyser comme un V principal + complétive infinitive, mais comme
constituant un noyau prédicatif unique dont la valence « résulte d’une réorganisation
déclenchée par l’intégration d’un sujet-causateur à la valence du verbe à l’infinitif »
(Creissels, 2000 / 2001 : 70). Les deux arguments les plus souvent évoqués sont
l’impossibilité d’insérer un SN entre faire +Vinf (*Il fait les enfants manger différent de
Il laisse les enfants manger et la montée des clitiques (Je le lui ai fait envoyer, vs *J’ai
fait la lui envoyer) 71.
Faire+Vinf fonctionne actuellement comme prédicat complexe en français (le 3e
palier de Dixon). Le français, l’italien, l’espagnol sont appelés strongly causativeoriented languages (Simone & Cerbasi, 2001), à cause de la fréquence élevée de la
construction spécialisée du type faire faire qch à qn parmi les mécanismes causatifs.
1.4. Les périphrases causatives
Elles sont composées de deux verbes (un verbe de sens causatif et un verbe de
sens non causatif John make Mary cry), qui ne forment pas de prédicat complexe.
L’anglais dispose d’un large éventail de constructions, analysables en verbes causatifs +
complétive infinitive : I forced him to go, I made him go , I have him go , I allowed her
to go, He let her go. On retrouve ce type de constructions en roumain, en bulgare et en
russe qui peuvent être considérées comme étant des poor causative-oriented languages
69
Cette démarche théorique rappelle celle de la Construction grammar (Fillmore, Goldberg, Lakoff, Kay)
qui n’opère pas de dérivation de surface à partir de structures profondes. Elle est entièrement surfaciste.
Ainsi par exemple, les versions passive et active d’une même proposition ne sont pas dérivées de la
structure profonde, elles ne sont pas « synonymes », mais représentent des instanciations de deux
constructions différentes qui ont un sens et un contenu pragmatique différents.
70
M. Gross (1968 : 41), Gaatone (1976 : 164-182), Creissels (1995), Abéillé & Godard (2003).
71
Pour plus de détails sur les arguments linguistiques en faveur de l’analyse de faire+Vinf en tant que
prédicat complexe, cf. doc. 11, 24, 31) et aussi Gaatone (1976), Creissels (2006).
112
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
(Simone & Cerbasi, 2001), car parallèlement à la valeur causative, le premier verbe de
la construction (V1) véhicule différentes valeurs modales (contraindre, inciter,
persuader qn à faire qch). Par exemple en bulgare, les constructions causatives karam
Ivan da raboti litt. j’incite Ivan à ce qu’il travaille (je fais travailler Ivan) comportent
une complétive au subjonctif et ne donnent pas lieu à des prédicats complexes comme
dans les autres langues romanes (excepté le roumain : Profesoruli făcut pe elevi să scrie
un test litt. Le professeur a fait aux élèves à ce qu’ils écrivent un test). Le russe possède
également des périphrases moins grammaticalisées du type verbe causatifs + Vinf,
comme zastavit’ (obliger)+ SN-acc + Vinf pit’ (boire) = faire boire. Chacun des deux
verbes réunis dans la périphrase peut être suivi de ses propres compléments, preuve du
moindre degré de grammaticalisation de ce type de constructions causatives et de leur
statut de mécanisme causatif le moins compact (4e palier de l’échelle de Dixon).
1.5. La structure phrastique transformée
Ce palier est venu s’ajouter aux quatre paliers de l’échelle de Dixon (2000). Il
correspond aux transformations structurelles complexes qui s’opèrent dans la phrase
bulgare pour rendre le factitif français. Les actants centraux du verbe français
deviennent des compléments circonstanciels (non obligatoires) de cause en bulgare :
Ce mot fit soupirer M. de Rênal. (Stendhal)
Pri tezi dumi, M. de Rênal văzdăxna.
A ces mots, M. de Renal soupira.
Son instinct de femme lui faisait comprendre que cet embarras n’était
nullement tendre (Stendhal, 40)
Săs svoja ženski instinkt razbiraše, če tova smuštenie ne proiztiča ni naj-malko
ot nežni čuvstva.
Grâce à (litt. avec) son instinct de femme, elle comprenait que cet embarras
n’était nullement tendre.
C’est ce que Tesnière appelle la métataxe. Des exemples analogues existent
aussi en russe et en allemand72 :
72
Exemples empruntés à Tesnière (1965).
113
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Čerez nix ona zabyla svoju čjornuju bedu. (Dostoïevski, l’Idiot)
A cause d’eux, elle oublia sa misère noire.
Ils lui firent oublier sa misère noire.
Dadurch kann ich Zeit gewinnen.
Grâce à cela, je gagne du temps.
Cela me fait gagner du temps.
On obtient des structures phrastiques sensiblement restructurées et moins
compactes, d’où le niveau ajouté dans l’échelle de Dixon.
1.6. Conclusion
Si le français privilégie la construction avec faire, formant un prédicat complexe
(PC), le bulgare, comme le russe font appel aux trois autres mécanismes : le mécanisme
lexical (L) (vzrivjavam bombata « exploser la bombe » pour « faire exploser la
bombe) ; le mécanisme morphologique (M), (affixation : razplakvam → faire pleurer),
ainsi que des périphrases (P) du type karam njakogo + da + verbe au présent = inciter
qu à faire qch, faire en sorte qu’il fasse qch), composées de deux verbes distincts ne
formant pas de prédicat complexe. Enfin, des changements structuraux complexes
peuvent s’opérer dans la phrase en bulgare (métataxe), afin de rendre le sens du prédicat
complexe français faire+Vinf. Les principaux apports de ce volet de mes recherches
consistent en :
a)
la mise en évidence d’un sous-ensemble de causatifs lexicaux concernant les
langues slaves affinant le palier lexical de Dixon (l’alternance décausative,
cf. section 2.1.);
b)
la mise en évidence de la productivité du préfixe causatif –raz en bulgare;
c)
l’ajout d’un nouveau palier correspondant à des structures phrastiques moins
compactes en bulgare, comme équivalent de faire+Vinf en français.
114
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
2. Le changement linguistique et la grammaticalisation
L’objectif de cette section est de montrer l’importance de la prise en compte du
changement linguistique et de la grammaticalisation pour l’éclairage du fonctionnement
des mécanismes causatifs en synchronie. De nombreux phénomènes complexes, à
savoir l’alternance décausative, la transitivation causative, le fonctionnement de
faire+Vinf comme prédicat complexe et celui des structures causatives moins
grammaticalisées en bulgare, peuvent être expliqués grâce à la diachronie, au
changement linguistique et la grammaticalisation. Cette dernière est aussi un paramètre
important dans l’acquisition du prédicat complexe faire+Vinf. C’est donc sous cet
angle-là que je résumerai ici une série de travaux faisant partie de cet axe de mes
recherches (doc. 13, 16, 18, 27, 31).
2.1. L’alternance décausative (AD)
Dans le cas de l’AD, le verbe transitif (détériorer vs se détériorer) est considéré
comme primaire, tandis que le réfléchi en est le dérivé. Le morphème se est analysé
comme opérateur de fermeture de la valence73 (la diathèse récessive chez Tesnière,
1965 : 272) ou morphème décausatif. Dans la littérature typologique, le phénomène est
connu sous le terme d’alternance décausative (Nedjalkov & Sil’nitskij, 1969 ;
Haspelmath, 199374 ; Shibatani, 2002), assez répandue dans les langues slaves ; par ex.
en bulgare vzrivjavam (litt. exploser, faire exploser) vs vzrivjavam se (litt. s’exploser).
Ces verbes, assez nombreux en bulgare, appartiennent à des classes sémantiques
différentes75 : des verbes de déplacement : razxoždam (promener qn) vs razxoždam se
(se promener) vs, kačvam (faire monter) vs kačvam se (monter) ; de mouvement :
spiram (arrêter) vs spiram se (arrêter), izpravjam (faire se lever)vs izpravjam se (se
73
Le réfléchi –se, -sja est analysé comme «opérateur de fermeture de la valence» (Tesnière), «réducteur
de la valence verbale» (Lazard), morphème décausatif (Nedjalkov & Sil’nitskij, 1969 ). Le terme
d’alternance décausative (dekauzativacija) a été forgé par Nedjalkov et Sil’nitskiy (1969 : 40). Selon
Babby (1993 : 356) “sja- is no more anticausative morpheme than it is a reflexive, passive or middle
morpheme : it simply records a reduction in the verbs initial valence».
74
Haspelmath (1993) appelle cette alternance inchoative/causative. Par ailleurs, le terme de décausatif
(Nedjalkov & Sil’nitsky) semble préférable, car celui d’inchoatif a une acception aspectuelle qui pourrait
ici induire en erreur.
75
Pour une analyse détaillée des constructions réflexives en bulgare, cf. Guentchéva (1997).
115
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
dresser, se lever) 76, des verbes de changement d’état topja (rasplavit’ en russe) (fondre)
vs topja se (rasplavitsja en russe) faire fondre77, des verbes de sentiments /émotions :
strjaskam (faire sursauter) vs strjaskam se (sursauter), jadosvam (mettre en colère) vs
jadosvam se (être en colère), skarvam (faire se fâcher) vs skarvam se (se fâcher). Par
exemple Toj skara dvama stari prijateli (en russe posoril) Il a fait se fâcher deux amis
de longue date vs Toj se skara s dvama stari prijateli (en russe posorilsja). Il s’est fâché
avec deux amis de longue date. Ces se-verbes véhiculent des valeurs moyennes ou
médio-passives78.
La principale interrogation que je me suis posée vis-à-vis de cette dérivation a
été la suivante : pourquoi le verbe réfléchi est-il considéré comme dérivé du verbe
transitif ? C’est la diachronie qui s’est révélée particulièrement éclairante pour le sens
de cette dérivation. En vieux slave, la grammaticalisation du réfléchi s’est opérée
relativement tardivement (Nichols, 1993 : 71-84). On pourrait situer cette
grammaticalisation à partir du VIe s. En latin, la voix pronominale apparaît tardivement
aussi, vers le VIIe s.79. On observe donc un parallélisme fort intéressant entre le
processus de dérivation du réfléchi à partir de verbes transitifs dans les langues slaves et
romanes.
Les comparaisons contrastives ou interlangues permettent, comme je l’ai déjà
évoqué dans le chapitre 1, d’affiner ou de nuancer certains principes typologiques,
comme par exemple le principe de l’iconicité (Givón, 1991 : 106) selon lequel plus
l’unité linguistique est sémantiquement complexe, plus sa forme est complexe80. Ainsi,
dans l’alternance décausative (cf. les binômes russes lomat’(casser) → lomat’sja (se
casser), ou bulgares kačvam (monter = faire monter) → kačvam se (*se monter)), c’est le
76
Une anecdote au sujet de se lever vs lever qch vs faire se lever. Lors de mon post-doc en Suisse en
2001, je participais à une fête de Noël chez des gens, réunis autour d’une table assez longue. Etant assise
au milieu, mon voisin à gauche qui voulait partir, me demande poliment : Madame, je devrais vous lever.
Veuillez m’en excuser !
77
En français, la dérivation s’opère dans le sens inverse de non causatif intransitif fondre vers le causatif
transitif faire fondre.
78
Cf. aussi Babby (1993 : 355), Guencthéva (1997 : 364-372).
79
On observe «une tendance à insérer, surtout pour les verbes intransitifs, une référence au sujet, sous la
forme de pronom réfléchi au sein du prédicat verbal. La voix en -tur disparaît progressivement vers le
VIIe-VIIIe s. et c’est le tour pronominal qui en assume alors une partie de ses emplois. (Serbat, 1986 :
133-134). C’est surtout en latin tardif (vers le VIIe s.) que «le phénomène s’accentue et l’on voit
apparaître des variantes pronominales de verbes intransitifs» (Mellet, Joffre, Serbat, 1994 : 441).
80
“Categories that are cognitively marked […] tend also to be structurally marked” (Givón, 1991a: 106 ;
1991 b: 362).
116
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
verbe non-causatif (lomat’sja, kačvam se) qui correspond à la forme réfléchie dérivée
du verbe transitif qui est morphologiquement plus complexe (à cause du morphème
réfléchi se), tandis que la situation qu’il décrit est plus simple : elle comporte un
argument en moins (X casse Y, Y se casse). Comme l’indique à juste titre Kazenin (2001
: 917) « […] reflexives [are] morphologically more complex than their non-reflexive
counterparts ». Mel’čuk (2002 : 107) traite ce cas de « relations sémantiques et
formelles inverses » (reverse word-formation), selon lesquelles le verbe qui est
sémantiquement plus complexe (le causatif décomposer) est formellement plus simple
que le réfléchi (se décomposer). L’alternance décausative est une spécificité des langues
slaves, un « valence decreasing device ».
2.1.1. Les causatifs « de service »
Il existe aussi en bulgare une sous-classe de verbes réfléchis qui peuvent être
ambigus : ils peuvent véhiculer ou pas un sens causatif. Certains linguistes appellent ces
verbes des causatifs « de services » ou « à bénéficiaires » (benefactive causative)81
(Babby (1993 : 343). L’agent provoque le procès et en est le bénéficiaire: podstrigvam
se → se couper les cheveux (soi-même) // se faire couper les cheveux (par le coiffeur),
vadija si zăb (litt. s’arracher une dent) →se faire arracher une dent (par le dentiste),
prekarvam si telefon→
→ se faire installer le téléphone; en espagnol : Me opéro mañana
(litt. Je m’opère demain). Il est clair que l’énonciateur ne peut s’arracher une dent, ni
s’installer le téléphone ou s’opérer soi-même. Il s’agit de procès effectués le plus
souvent par un agent (causee, causataire) non instancié au profit de l’agent causateur,
ce qui rend peu probable une lecture réellement réfléchie (soi-même, pour soi-même),
qui dans certains cas n’est pas pour autant exclue82. Ces cas assez répandus en bulgare,
qui existent aussi en russe ou en espagnol, ne gênent pas pour autant la communication.
Dans des cas, l’agent peut apparaître sous forme de complément circonstanciel (chez le
81
Comme me l’avait fait judicieusement remarqué P. Sériot, dans un énoncé comme En Sibérie, les
bagnards se font couper les cheveux, ces derniers n’en sont pas vraiment des bénéficiaires, mais plutôt
des victimes. Dans le cas d’une intervention médicale Il s’opère demain, il s’agit plutôt de patients. Ceci
montre l’extrême prudence qui s’impose lorsqu’on choisit de étiquettes de nature sémantique.
82
Cf. aussi à ce sujet Guentchéva (1997 : 367) qui distingue pour ces cas une lecture réfléchie et une
interprétation « réflexive causative » Dans ce deuxième cas, l’agent a le contrôle intentionnel sur le
procès et c’est un autre agent qui est chargé de l’effectuer.
117
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
dentiste, chez ma coiffeuse préférée, à la clinique, par les techniciens) mais c’est loin
d’être obligatoire.
La description et l’analyse de ces cas (2.1. et 2.1.1.) au premier palier lexical de
l’échelle de Dixon constitue une affinement de sa typologie, car il ne les mentionne pas.
Ceci pourrait être considéré comme un des apports de cette série de travaux.
2.2. La transitivation causative (TC)
Il s’agit de la possibilité qu’ont certains verbes intransitifs (comme par exemple
en anglais melt, explode, walk, trip, dissolve, march) d’être utilisés avec un complément
d’objet et de véhiculer, de ce fait, un sens causatif. Dans cette alternance, appelée
transitivation causative (TC), c’est le verbe intransitif qui est considéré comme
primaire, tandis que le verbe transitif correspondant a un sens causatif. Contrairement à
au cas traité dans la section précédente (2.1.), il s’agit d’un procédé d’augmentation de
la valence verbale. La transitivation causative (Le président a démissionné le ministre.
Ces reportages ont explosé l’audimat) est un phénomène purement syntaxique qui n’a
pas besoin d’un morphème spécifique (faire) pour dégager une valeur factitive
(Touratier, 2001). Dans le cas de la TC, analysée comme un changement de diathèse
sans marque morphologique (Lyons, 1970 : 276), l’augmentation d’un actant de la
valence du verbe intransitif produit un verbe de sens causatif (La banlieue par ceux qui
la bougent (Nouvel Obs), Ces jeunes qui délirent la banlieue (idem), Ils refusent de
paniquer les voyageurs (Journal TV).
Ces cas sont très répandus en anglais. Comme l’indique Halliday (1985 : 146), le
processus fort de transitivation est un des changements les plus remarquables du
système verbal anglais qui a commencé il y a 500 ans. L’ergativisation massive en
anglais (ex. X starves originellement intransitif devient causatif Y starves X83) a eu lieu
au cours du XVe-XVIe s. et continue encore partiellement. Le système transitif anglais
est fort instable et la langue doit s’adapter constamment à ce changement rapide.
L’anglais fait donc preuve d’une grande souplesse dans ce domaine, ce qui peut être en
rapport avec l’inexistence, dans cette langue, de verbes moyens ou pronominaux
(Lazard, 1994 : 155).
83
Cf. à ce sujet Lemmens (2005 : 134).
118
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Ce procédé, bien que plus rare, existe aussi en français, en bulgare (Samoubixa
go, On l’a suicidé) et en russe (Eltsina ušli na pensiju (presse) litt. *On a parti Eltsine à
la retraite, On a fait partir Eltsine à la retraite)). Il est en progression en français mais
reste relativement peu étudié84. Certains verbes comme entrer ou sortir transitifs sont
entrés dans l’usage dès le XVIe s. Il existe sur ce point un parallélisme intéressant avec
l’anglais en diachronie. Vaugelas (1647 : 38-39) en condamne fermement l’usage. Selon
lui sortir le cheval pour faire sortir le cheval est très mal dit ! D’autres verbes comme
descendre, lever, monter, pencher, tomber les ont rejoints. En revanche, l’emploi
transitif de verbes comme suicider, démissionner, exploser (J’explose les têtes.
J’extermine grave, Isard cité par Larjavaara, 2002) est beaucoup plus récent.
L’instabilité de la valence verbale engendre des emplois « hors norme » qui intègrent
progressivement l’usage (doc 13), chaque verbe évoluant à son propre rythme. Il est
difficile d’établir le nombre exact de verbes labiles en français. Actuellement ils
représenteraient entre 10% et 15% de la totalité des verbes français85.
C’est un phénomène qui relève du changement linguistique86. Toujours est-il que
le changement linguistique n’est pas le seul paramètre permettant d’expliquer le
fonctionnement de cette alternance complexe. La question qui se pose légitimement ici
est de savoir pourquoi certains verbes se prêtent facilement à la transitivation causative,
tandis que d’autres ne le permettent pas (*Le clown rit le public). C’est l’Hypothèse
inaccusative (Levin & Rappaport, 1995) qui permet d’apporter des éléments de réponse
à cette question. (cf. section 3.1.2.3.)
84
Gougenheim (1929), Blikenberg (1960), Ruwet (1972)) et, à date plus récente, Larjavaara (2000) ou
Krötsch & Oesterreicher (2002).
85
Selon des données avancées par Larjavaara (2000 : 166). Sur les 121 exemples que j’ai recueillis dans
le TLFI selon l’instruction emploi transitif de verbes intransitifs, 15% environ ont des emplois transitifs
causatifs. Selon les grammaires, le nombre des verbes neutres varie entre 200 et 400 en français (cf. aussi
Muller, 2002 : 42).
86
La transgression du schéma actanciel du verbe monovalent qui entraîne une modification du sens du
verbe a été expliquée de différentes manières : influence de l’anglais ou variations dialectales (Tesnière),
évolution historique (Vaugelas, Gougenheim), visées pragmatico-énonciatives (Ruwet, Babby). Touratier
(2001 : 131) parle de « violence syntaxique ».
119
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
2.3. La grammaticalisation de faire+Vinf
La grammaticalisation est au centre des préoccupations des études typologiques.
Le terme de grammaticalisation a été défini pour la première fois par Meillet
(1912/1982 : 131) comme « le passage de la composante lexicale à la composante
grammaticale. ». Kurylowicz (1965 [1975]: 52) élargit cette notion en parlant d’« un
processus, qui soit change des lexèmes pleins en mots grammaticaux, soit rend des
éléments grammaticaux encore plus grammaticaux. ». Traugott (1988) et Traugott &
König (1991) ajoutent la composante pragmatique à la grammaticalisation qu’ils
entendent comme le passage de la composante grammaticale à la composante
pragmatique ou discursive du langage. Dans la littérature, on retrouve également le
terme de grammaire émergente (emergent grammar) désignant « un mouvement vers
une structure » (movement toward a pattern) (Hopper, 1987 : 148) et rendant compte du
caractère dynamique de la grammaticalisation.
Combette et al. (2003 :237) constatent qu’empiriquement le changement linguistique
se fait en trois étapes : une première phase A, antérieure au changement, une phase de
variation B, où forme ancienne et forme nouvelle coexistent, et une phase postérieure C,
où la nouvelle forme exclut l’ancienne. C’est exactement ce qui se passe dans la
grammaticalisation de faire+Vinf (cf. docs 27, 31). On y distingue trois étapes
(Chamberlain, 1986 ; Simone & Cerbasi, 2001):
Etape 1 : l’emploi généralisé en latin (IIIes. av J.-C. – Iers. après J.-C.) des
constructions à deux prédicats : V1 (de commande, de persuasion) + complémenteur ut
+ V2 subjonctif (inducere aliquem ut mentiatur).
Etape 2 : les formes ancienne (deux prédicats) et nouvelle (prédicat complexe)
coexistent (XIe - XVe siècles) en ancien et en moyen français. Ex. Hostages, faites les
ben guarder vs De nos ostages ferat trencher les testes (Chanson de Roland).
Etape 3: la nouvelle forme exclut l’ancienne à la fin du XVe s. (et que ainsi
l’avoit faict publier partout par ung chevalier de Bourgongne (Commynes, Mémoires
I).
L’évolution de faire + Vinf illustre deux paramètres révélateurs de la
grammaticalisation : la désémantisation et la décatégorisation syntaxique de faire
(Lamiroy, 1999 : 35 – 37). Le premier processus concerne l’entrée lexicale qui « se vide
progressivement de son sens plein pour acquérir en revanche un sens fonctionnel,
120
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
grammatical » (idem : 35). La décatégorisation syntaxique consiste dans le fait que « le
verbe tend de moins en moins à sélectionner les syntagmes nominaux pour s’associer de
plus en plus à des types de verbes non finis ou non tensés, tel l’infinitif. » (idem). Ceci a
pour conséquence la montée des clitiques qui aboutit à une réanalyse des deux verbes
comme un seul syntagme verbal. La grammaticalisation de la construction factitive
faire+Vinf en français est un processus unidirectionnel allant des structures analytiques
(à deux prédicats en latin) aux formes plus synthétiques (prédicat complexe en français
contemporain).
La construction factitive fait preuve d’une grande cohésion non seulement sur le
plan syntaxique, mais aussi sur le plan sémantique. La fusion des prédicats entraîne
logiquement un renforcement de sa cohésion sur le plan sémantique, ce qui fait que ces
constructions sont perçues comme une entité lexicale unique. Les linguistes (Rogiest,
1983, Creissels 2000/2001, Wilmet, 1997) signalent la forte tendance à la lexicalisation
des constructions causatives (ex. : faire voir = montrer, faire mourir = tuer, faire
comprendre = explique, faire savoir = annoncer, faire voir = montrer, faire apprendre
= enseigner).
2.4. L’évolution historique des constructions causatives en bulgare
L’évolution des construction causatives en bulgare a suivi une direction
diamétralement opposée mais elle s’est également faite en trois étapes (Vaillant, 1977 :
183, Haralampiev, 2001) :
Etape 1 : causatif morphologique en (-o/ě/u/a-…) + -iti (en vieux slave entre le
Ve et le IXe s.)87
Etape 2 : fluctuation entre V1 causatif + (SN) + Vinf et V1 causatif + da (conj) +
V2 prés. (en vieux et en moyen bulgare entre le IXe et le XVe s.)
Etape 3: construction à deux prédicats V1 causatif + da (conj) + V2 prés (à partir
du XVIe s.)
87
Les données sur la périodisation des changements historiques en bulgare sont issues de IvanovaMirtcheva & Haralampiev (1999) et de Haralampiev (2001).
121
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
L’infinitif a progressivement disparu en bulgare entre le XIIe et le XVe s. pour
laisser la place à la forme périphrastique V1+ la conjonction da + V présent. Le
phénomène s’est amplifié à l’époque du «creuset balkanique» Feuillet (1999 : 252)88. A
partir du XVe s., la construction causative analytique V1 causatif + da (conj) + V2 prés
s’impose définitivement. Le tableau ci-dessous illustre les étapes opposées dans
l’évolution de la construction causative faire+Vinf en français et karam njakogo da
raboti (inciter qn à ce qu’il travaille) en bulgare :
FRANÇAIS
Latin
constructions à 2 prédicats
V1 + ut + V subj.
V1 caus. + SN + Vinf
Ancien et Moyen français
(XIe s. - XVe s.)
fluctuation entre :
faire + SN + Vinf
faire + Vinf
Français moderne
(à partir du XVIe s.)
prédicat complexe :
faire + Vinf
BULGARE
Vieux slave
causatif morphologique
(alternance vocalique en o/ě/u/a- + -iti)
Vieux) et Moyen bulgare
(IXe s. – XVe s.)
fluctuation entre :
V1 caus. + (SN) + Vinf
V1 caus. + da (conj.) + Vprés
Bulgare moderne
(à partir du XVIe s.)
construction à 2 prédicats :
V1 caus. + da (conj.) + Vprés
Tableau 9. Evolution des constructions causatives en français et en bulgare89
La comparaison des constructions causatives en français et en bulgare sur le plan
diachronique permet de mieux expliciter les différents degrés de grammaticalisation de
ces constructions. Le prédicat complexe du français occupe le 3e palier de l’échelle de
Dixon (2000), tandis que la construction bulgare du type inciter qn à ce qu’il travaille
occupe le 4e palier, celui des mécanismes les moins compacts. Cette comparaison
permet aussi de mieux appréhender leur fonctionnement en synchronie. Ceci confirme
l’idée (Peyraube, 2002 :46) que la syntaxe diachronique peut être au service de la
description synchronique en fournissant des procédures d’explication. Par exemple, en
français, les verbes exprimant une modalité (comme pouvoir, devoir) excluent la
complétive et sélectionnent l’infinitif. L’absence de complétive apparaît ainsi comme
88
Selon Feuillet (idem : 15) « le processus de balkanisation commence aux XIVe-XVe s. et conduit à un
changement typologique très important du bulgare.»
89
Ce tableau est issu du doc. 27.
122
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
une propriété définitoire de l’auxiliarité en français (Lamiroy, 2007 : 32). En bulgare,
inversement, les verbes modaux, et plus généralement, causatifs introduisent la
complétive en da en synchronie, à cause de la disparition de l’infinitif.
2.5. Grammaticalisation et acquisition
Cette problématique de recherche est liée à la thèse de Y. Bezinska sur
L’acquisition des constructions causatives chez des enfants français et bulgares de 3 à 6
ans que je co-encadre avec J.-P. Chevrot. Cette collaboration fructueuse a donné lieu à
plusieurs publications communes (doc. 18, 27, 32) et travaux individuels de la
doctorante. Cette nouvelle orientation dans l’étude des prédicats causatifs m’a amenée à
me pencher sur la question des parallélismes éventuels entre la grammaticalisation des
constructions causatives et les processus de leur acquisition. De prime abord, cette
hypothèse pourrait paraître assez osée. Pourtant, en examinant de près l’évolution
historique de faire+Vinf et de la construction causative bulgare et son émergence
progressive dans le langage enfantin, plusieurs faits intéressants peuvent être mis en
parallèle.
Selon Peyraube (2002, 47-49), il existe deux approches pour traiter le
changement syntaxique : une approche formelle (générativiste) et une approche
fonctionnelle. La première considère que c’est l’acquisition par l’enfant de sa langue qui
est à la base du changement grammatical, celui étant progressif et autonome de toute
considération fonctionnelle90. La seconde approche relie le changement syntaxique à des
facteurs discursifs, historiques, développementaux. Peyraube (2002) mentionne aussi
trois
mécanismes
sous-jacents
au
changement
syntaxique
(l’analogie,
la
grammaticalisation et l’emprunt). La grammaticalisation est celui qui explique le
processus de formation du prédicat complexe faire+Vinf. Pour Combette et al (2003 :
234), le changement linguistique est un phénomène universel dû à un ensemble de
facteurs d’ordre cognitif (l’apprentissage de la langue maternelle par l’enfant), social et
pragmatique, ainsi que de facteurs internes au système de la langue. Enfin, selon
90
Selon Lightfoot (1979) la seule cause possible de changement du système grammatical (syntaxique) est
l’apprentissage par l’enfant de sa langue maternelle. Ce principe est remis en question, car d’une part, il
existe des exemples de changement morpho-sytaxiques initiés par des adultes (Peyraube, 2002) et d’autre
part ce paramètre est trop réducteur : il ne peut expliquer à lui seul le changement linguistique qui dépend
de nombreux autres facteurs (cf. l’approche fonctionnelle).
123
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Tomasello (2003) et son usage based approach, les facteurs complexité et fréquence
jouent un rôle crucial dans le processus d’acquisition des faits de langue.
Les résultats des expérimentations de Y. Bezinska qui concernent des enfants
entre 3 et 6 ans, effectuées dans le cadre de sa thèse, se superposent de façon très
intéressante à ceux de l’étude de Sarkar (2002) sur l’acquisition de faire+Vinf chez des
enfants entre 1 ;9 et 3 ;10 ans. Nous disposons donc d’un échantillon complet qui s’étale
de 1 ;9 à 6 ans :
1ère étape: les enfants omettent souvent l‘auxiliaire causatif faire, c’est le verbe
lexical qui véhicule le sens causatif (*Il tombe le robot, *Il saute le
cheval, *Je danse le petit chat).
2ème étape : on observe une fluctuation entre les emplois justes de faire+Vinf en
tant que prédicat complexe et les emplois avec l’insertion d’un SN
entre faire et l’infinitif ( faire+SN + Vinf), ce qui pourrait signifier
que le factitif n’est pas encore intégré en tant que PC (*Je fais les
sauter, *Le papa fait la fille manger) à cette étape du développement
langagier de l’enfant. Les deux formes coexistent chez le même
enfant à un moment donné de son développement langagier.
Toutefois, les emplois justes sont loin d’être exclus.
3ème étape : la construction faire+Vinf est stabilisée : Puis, je vais le faire sauter
sur le bébé.
Les expérimentations montrent que les enfants n’arrivent pas toujours à
conceptualiser de façon compacte la situation causative dans son intégralité (Bezinska,
2010 : 158). En production, ils sont capables d’exprimer séparément les actions des
participants à la situation causative : par exemple Le clown fait des grimaces et le bébé
rit, mais ont encore du mal à enchaîner la cause (le clown qui est le causateur), l’action
effectuée par celui-ci (fait des grimaces) et la conséquence (les enfants (le causataire))
rient). Ils expriment cette situation complexe par l’enchaînement coordonné des
relations, sans enchâssement sous faire de la conséquence (Le clown faire rire le bébé).
Lorsqu’ils produisent faire+Vinf, les enfants entre 3 et 6 ans font des erreurs au niveau
des actants : omission du causateur, du causataire, mauvais positionnement des
clitiques, insertion d’actants entre faire+Vinf, hésitations au niveau du genre et des
124
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
fonctions syntaxiques des actants (La maman le/la/lui fait manger la soupe). A ce stade
du développement langagier de l’enfant, la production de faire+Vinf est en voie de
stabilisation. Les résultats de Y. Bezinska montrent que la maîtrise de faire+Vinf ne se
fait pas entre1 ;9 et 3 ;10 ans, comme l’indique Sarkar (2002), mais plus tard, entre 4 et
6 ans.
Un autre procédé utilisé par les sujets interviewés ce sont les constructions
moins grammaticalisées du type donner à manger/à boire à la place de faire
manger/faire boire. Ceci pourrait s’expliquer aisément par le moindre degré de
grammaticalisation de ces structures à deux prédicats, où chaque prédicat est suivi de
son propre argument. La fusion des prédicats implique une restructuration, une
réanalyse des actants ce qui retarderait le processus de leur acquisition.
C’est donc la production de faire+Vinf qui reste la plus difficile à cause de la
complexité morphosyntaxique de la structure. L’enchaînement conceptuel de la
situation causative pose moins de problèmes, mais n’entraîne pas l’emploi spontané du
factitif. L’émergence de factitifs justes en production dépend de la nature du verbe (ses
propriétés syntaxiques et sémantiques : verbes de mouvement, de déplacement cf.
l’Hypothèse inaccusative de Levin & Rappaport), sa fréquence à l’oral, les indices que
l’enquêtrice fournit pour orienter les locuteurs. Les performances des enfants
s’améliorent sensiblement lorsque ceux-ci produisent les constructions causatives après
avoir entendu le modèle adulte (tâche d’imitation). Enfin, en compréhension, le factitif
ne pose pas de problèmes particuliers. Il est cognitivement présent et facile à reconnaître
dans l’input. Le tableau suivant emprunté au doc (27) illustre les pourcentages de
réussite de ces trois tâches expérimentales dans les deux corpus (français et bulgare) :
125
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Production
Compréhension
Imitation
FR
BG
FR
BG
FR
BG
3-4 ans
25
35
63
70
54
57
4-5 ans
33
40
70
83
63
68
5-6 ans
40
48
85
96
72
80
Tableau 10. Pourcentages de réussite des trois tâches expérimentales dans les deux
corpus
Ces données ont été collectées par Y. Bezinska auprès de 71 enfants francophones
et 60 enfants bulgarophones entre 3 et 6 ans, répartis en trois groupes expérimentaux91 :
a) 25 enfants francophones et 20 enfants bulgarophones entre 3 et 4 ans ;
b) 21 enfants francophones et 20 enfants bulgarophones entre 4 et 5 ans ;
c) 25 enfants francophones et 20 enfants bulgarophones entre 5 et 6 ans.
Pour ce qui est du français, l’expérimentation explore la capacité des enfants à
produire, à comprendre et à imiter la construction factitive faire + Vinf. Pour le bulgare,
elle teste les habiletés des enfants bulgarophones en les soumettant aux mêmes tâches
(production, compréhension, imitation) pour l’ensemble des mécanismes causatifs dont
dispose cette langue : lexical (xranja – nourrir); morphologique (razsmivam – faire
rire); périphrastique (karam da tancuva – faire danser).
On peut donc conclure sur ce point en disant que c’est la complexité
morphosyntaxique du mécanisme causatif (+1 actant) qui poserait problème plutôt que
la complexité intrinsèque du sémantisme causatif92 : les enfants comprennent ces
structures mais ne les produisent pas spontanément. Le statut de prédicat complexe de
de faire+Vinf rend son acquisition plus difficile et retarde sa stabilisation (vers 6 ans).
91
Les participants ont été enregistrés et filmés individuellement et ce, une seule fois ; chaque session
expérimentale s’est déroulée à la maternelle et a duré approximativement 20 minutes.
92
On retrouve ici le principe d’iconicité de Givón (1991) selon lequel plus la situation est cognitivement
complexe, plus les structures qui l’expriment sont complexes.
126
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
En bulgare, les constructions du type karam + da (conj.) + V prés. (inciter qn à
ce qu’il travaille) sont moins grammaticalisées et les enfants bulgares ont moins de
difficultés à les produire au même âge (entre 4 et 6 ans). La tâche de production est
mieux réussie chez les participants bulgarophones. Le statut syntaxique de la
construction causative, où chaque verbe est suivi de son propre actant, facilite,
apparemment, son acquisition et sa maîtrise à un âge plus précoce. Même si des
parallélismes entre l’évolution de la construction causative et son acquisition ne sont
pas observés en bulgare, le passage du synthétisme vers l’analytisme facilite sans doute,
comme le montrent les résultats de cette étude acquisitionnelle contrastive, son
appropriation par les enfants bulgares.
Pour revenir à notre hypothèse, le processus graduel de grammaticalisation de
faire+Vinf dans ses étapes 2 (fluctuation entre faire+Vinf et faire+SN+Vinf) et 3 (le
prédicat complexe s’impose) correspondent aux étapes 2 (fluctuation entre faire+Vinf et
faire+SN+Vinf) et 3 (stabilisation du prédicat complexe faire+Vinf) de son acquisition
chez les enfants français entre 3 et 6 ans. Le tableau 11 (doc. 27) illustre ces
parallélismes :
Étape 3
Étape 2
Étape 1
V1 + ut + Faire +SN + Vinf Faire + Vinf
Vsubj
(prédicat complexe)
Faire + Vinf
(prédicat complexe)
Grammaticalisation
V1 caus +
SN + Vinf
fluctuation
stabilisation
Étape 2
Étape 3
Faire +SN + Vinf Faire + Vinf
___
Faire + Vinf
(prédicat complexe)
Acquisition
(prédicat complexe)
fluctuation
stabilisation
Tableau 11. Correspondances entre les étapes de grammaticalisation et d’acquisition de faire + Vinf
On pourrait donc conclure à l’existence de certaines correspondances entre
l’évolution historique de faire + Vinf en français et son émergence progressive dans le
langage enfantin. S’il existe des similarités évidentes entre le changement historique et
127
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
l’acquisition93, il paraît difficile de considérer cette dernière comme étant un facteur
impulsant le changement historique.
2.6. Conclusion
Les grandes lignes qui se dégagent de cette série de travaux qui font l’objet
d’une synthèse dans cette section peuvent être formulées comme suit :
a) la diachronie explique le sens de la dérivation du verbe transitif vers le
réfléchi dans l’alternance dite décausative. Les travaux ont établi un parallélisme dans
l’apparition du réfléchi dans les langues slaves et romanes (vers le VIIe s.);
b) le changement historique est un paramètre linguistique important permettant
d’appréhender le phénomène de la transitivation causative. Cette série de recherche ont
mis en avant le parallélisme dans les processus de transitivation des verbes de
mouvement et de changement d’état en anglais et en français (autour du XVIe s).
Toutefois le phénomène est moins présent en français ;
c) l’évolution des constructions causatives en français et en bulgare s’est opérée
dans deux sens opposés : grammaticalisation (prédicat complexe) en français, perte de
l’infinitif et formation de structure périphrastiques moins grammaticalisées en bulgare.
Il n’existe pas à ma connaissance de travaux comparatifs dans ce domaine ;
d) La grande cohésion de faire+Vinf sur le plan syntaxique explique les cas de
lexicalisation de la construction ;
e) Il existe des correspondances entre l’évolution historique de faire + Vinf en
français et son émergence progressive dans le langage enfantin. Il semblerait que
lorsque le changement linguistique va d’une structure analytique vers une structure plus
compacte qui nécessite un réarrangement des actants, cela pose plus de problème aux
enfants, ce qui a été montré empiriquement dans l’étude de Y. Bezinska. On constate
des correspondances entre les étapes de fluctuation et de stabilisation aussi bien dans la
grammaticalisation que dans l’acquisition du prédicat complexe faire+Vinf.
f) La comparaison avec l’évolution de la construction causative en bulgare et son
acquisition est également éclairante à ce sujet. Là, des parallélismes entre diachronie et
93
Romaine (1989), citée par Peyraube (2002 : 48).
128
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
acquisition ne sont pas constatées, ce qui pourrait être expliqué par le fait que dans le
sens inverse - le passage du synthétisme vers la construction analytique à deux prédicats
(inciter qn à ce qu’il fasse qch) - celle-ci ne pose pas de problème et est naturellement
acquise par les enfants du même âge. Ces deux résultats, résumés dans les points (e) et
(f) peuvent être considérés comme une contribution nouvelle à l’étude du changement
linguistique et de l’acquisition des structures complexes dans les deux langues.
Autrement dit, l’approche contrastive permet de mieux appréhender les processus et les
étapes de grammaticalisation des constructions causatives en français et en bulgare.
129
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
3. L’analyse fonctionnelle des constructions causatives
Le factitif faire+Vinf a fait l’objet de nombreux travaux se situant à l’interface
entre la syntaxe et la sémantique. Ces derniers privilégient souvent certains aspects du
fonctionnement de la construction au détriment d’autres. Ainsi par exemple, je ne
trouvais pas d’explications satisfaisantes dans la littérature à propos d’énoncés en
concurrence du type Delphine fait sortir la voiture du garage vs Delphine sort la
voiture du garage (Ruwet, 1972) et les nuances de sens qu’ils véhiculent. Ces
interrogations relèvent une fois de plus de la réflexion qui sous-tend mes travaux, à
savoir la réflexion sur le lien entre forme et sens. Elles ont impulsé une série de travaux
(doc. 11, 16, 20, 29), dont le principal objectif a été de proposer une analyse
fonctionnelle aussi complète que possible du fonctionnement de faire+Vinf dans les cas
de concurrence avec des causatifs lexicaux. Cette analyse prend en compte de manière
systématique l’interaction entre les paramètres morphosyntaxiques, sémantiques et
discursifs dans le fonctionnement des structures faire+Vinf et se faire+Vinf. Elle
s’inspire des modèles fonctionnels, largement débattus dans le chapitre 1, qui accordent
une importance fondamentale à ces paramètres, ainsi qu’à la fonction communicative de
la langue. On pourrait y rajouter l’approche « modulaire » H. Noelke (1999 : 37) qui
vise à mettre en place un modèle « total », censé relier la forme linguistique au sens. Ce
n’est pas une approche dérivationnelle (syntaxe → sémantique → pragmatique), ni un
modèle universel, mais un modèle développé dans le but d’une recherche particulière.
Elle diffère de l’approche modulaire de Chomsky (des années 70) qui postule
l’indépendance des modules et, en particulier, celui de la syntaxe. Par ailleurs, dans le
modèle de Noelke (1994 : 168), la structure de surface est de première importance pour
des raisons empiriques. C’est la structure à laquelle nous avons directement accès : c’est
notre observable. Je me suis inspirée de certains aspects de ce modèle dans le doc. 16.
Dans la section (3.1.), je rends compte de l’interaction entre les paramètres
syntaxiques, sémantique et discursifs dans le fonctionnement de faire+Vinf. Dans la
section (4), je propose une analyse multidimensionnelle de se faire+Vinf. Dans la
section (5), je traite du statut de faire+Vinf et se faire+Vinf dans le système de la voix
en français.
130
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
3.1. Faire+ Vinf : analyse fonctionnelle
3.1.1. Analyse syntaxique
L’analyse syntaxique des deux structures (Delphine fait sortir la voiture du
garage vs Delphine sort la voiture du garage) montre qu’elles ont des configurations
actancielles identiques. Dans les deux cas, il y a augmentation de la valence, l’ajout
d’un nouvel actant. Se pose alors la question de savoir en quoi consiste la différence
entre ces deux cas. Comme l’indiquent Desclés & Guentchéva (1998 : 12), sur le plan
syntaxique, la factitivité et la transitivité ont des rapports homologues mais, du point de
vue sémantique, la factitivité diffère de la transitivité par certains aspects. S’agit-t-il
d’une redondance lexicale ? Quelles sont les nuances de sens que les deux constructions
véhiculent? Face à ces questions, l’analyse purement syntaxique montre ses limites. J’ai
donc essayé d’apporter des réponses à ces questions en proposant une analyse qui prend
en considération trois principaux paramètres d’ordre sémantique.
3.1.2. Analyse sémantique
Les trois paramètres sémantiques qui se sont avérés essentiels pour expliquer la
différence entre les deux structures sont les suivants : la causation (manipulation)
directe/indirecte, le degré d’agentivité du sujet et de l’objet et la nature sémantique du
verbe à l’infinitif.
3.1.2.1. Les notions de manipulation directe/indirecte
La différence entre ces structures est le plus souvent expliquée par les notions de
manipulation directe / indirecte sur lesquelles il existe une abondante littérature94 : la
construction transitive (sortir la voiture) implique le trait de manipulation directe :
c’est le référent du sujet qui est plus directement impliqué dans le procès. En revanche,
la construction factitive (faire sortir la voiture) est non marquée pour ce trait : elle peut
l’impliquer ou ne pas l’impliquer (manipulation ± directe) : par le chauffeur (un actant
94
Cf. Babby (1993), Dixon (2000), Givón (1984), Ruwet (1972), Shibatani (1976), Creissels (2006).
131
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
non instancié95) ou par elle-même (Delphine fait en sorte que la voiture sorte du garage).
Ici, l’interprétation sémantique reste tributaire de la construction syntaxique. Or, les
faits de langue sont plus compliqués. Le sémantisme de ces formes « n’est pas
entièrement prévisible à partir de leur structure » (Morgenstern, 2005 : 3). Les
interprétations ne se distribuent de manière aussi optimale (F. Martin, 2003). Un
causatif lexical peut dénoter une causation indirecte : Paul a tué Georges en lui
injectant un poison très lent (F. Martin, 2003)96.. Inversement, la construction factitive
peut impliquer la manipulation directe : Paul a fait fondre le beurre en le triturant avec
les doigts. L’ambiguïté est le plus souvent levée contextuellement comme, par exemple,
dans Pauline, approbatrice, lui fit cuire le steak dans la cuisine et alla s’allonger sur
son lit. (Sagan, TLFI). Ici, c’est Pauline elle-même qui cuit le steak. Dans le cas de Je
les ferai épousseter souvent vos habits (Stendhal, Frantext), on imagine mal que la
servante (=je) fasse épousseter les habits par quelqu’un d’autre. Il y a donc dans faire
épousseter manipulation directe et le contexte large confirme cette interprétation. Les
constructions faire cuire, faire épousseter sont interchangeables avec les verbe transitifs
correspondants (cuire, épousseter), sans que cela implique un changement du nombre
des actants. Selon Desclés & Guentchéva (1998 : 18), dans des énoncés de ce type
(Pierre fait craquer une allumette ou fait marcher un tourne-disque), la construction
faire+Vinf n’est pas un vrai factitif, puisqu’un seul agent est impliqué et que cet agent
contrôle ou agit sur un patient qui, lui, n’a aucune activité agentive. Selon les auteurs,
ces cas relèvent de la transitivité et non pas de la factitivité (cf. la section suivante, point
b). On sort en quelque sorte du sens causatif canonique du factitif faire faire qch à qn
pour se rapprocher du domaine de la transitivité.
L’analyse des données a montré que même si dans certains cas (rares !) on peut
parler de redondance lexicale ou de quasi-synonymie (Ruwet, 1972) pour cuire vs faire
cuire) ou de synonymes « exacts » comme Mel’čuk et al. (1984-1992, T.4.) pour les
cooking verbs comme cuire vs faire cuire, frire vs faire frire(Pierre frit le poulet dans
95
Tesnière (1965) appelle cet actant non instancié actant « à marquant zéro ».
96
Ce cas est traité par Desclés & Guentchéva (1998 : 13) comme un cas de transitivité syntaxique et
sémantique qui implique toujours deux participants (un agent et un patient). L’agent a une capacité de
déclencher ou d’interrompre le processus qui affecte le patient et possède la capacité d’effectuer
directement ou par l’intermédiaire d’un instrument ce processus.
132
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
l’huile), bouillir vs faire bouillir (Pierre bout le lait sur la cuisinière97), flamber vs faire
flamber (une crêpe), c’est loin d’être le cas pour la majorité des autres verbes.
L’existence de deux formes n’est pas fortuite, ni arbitraire ; elle suppose une différence
de sens, ne serait-ce que minime. L’explication par la manipulation directe/indirecte ne
suffit pas, il est nécessaire d’inclure, dans l’analyse de ces cas de concurrence, un 2ème
paramètre d’ordre sémantique, à savoir le degré d’agentivité du sujet et de l’objet.
3.1.2.2. Le degré d’agentivité du sujet et de l’objet
Le sémantisme complexe des causatifs nécessite aussi la prise en compte des
notions d’agentivité et de contrôle. L’ajout du nouvel actant dans la structure syntaxique
causative correspond au rôle sémantique de l’agent « qui contrôle plus ou moins
l’intervention des autres protagonistes » (Creissels , 1995 : 286). La définition de Dixon
(2000 : 30) va dans le même sens : « a causative construction involves the specification
of an additionnal argument, a causer, onto a basic clause. A causer refers to someone
or something […] that initiates or controls the activity ».
La difficulté qui apparaît ici est liée au trait animé vs non animé de l’agent/cause
et, respectivement, du patient (causataire). Lorsque celui-ci (le causataire) est un animé,
il a, le plus souvent, une faible capacité agentive, il ne peut s’opposer, pour une raison
ou une autre, à ce que le sujet agentif lui impose. Pour des exemples du type sortir
l’ivrogne du bar, descendre un homme menotté d’une voiture ou démissionner le
ministre, la construction transitive à objet humain introduit une nuance sémantique de
forte coercition, d’implication plus directe, voire brutale, de la part de l’agent-causateur
dans le procès, ce qui est logique, vu l’interprétation univoque par la manipulation
directe. Mais la réalité linguistique est encore une fois plus compliquée. Il existe des
cas, où le référent de l’objet n’est pas dénué d’agentivité, de capacité ou de volonté
d’agir : Ça manquait pas, les filles qui auraient bien aimé qu’il les rentre du bal.
Attendez monsieur, je peux vous traverser si vous voulez98. Ici, le procès dépend de la
volonté du patient (les filles, le vieux monsieur). Le tableau se complique encore
97
Comme indiqué dans le DEC (1991, T . IV : 139), cet usage est rejeté par plusieurs locuteurs, ce qui
n’empêchent pas les auteurs de le traiter dans la rubrique des fonctions lexicales comme synonyme exact
de faire bouillir.
98
Exemples de Larjavaara, (2000 : 175).
133
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
davantage, car il y existe des référents du sujet inanimés qui se comportent comme des
agents (la metaphoric extension of the agentivity de Givón, 1980): Le vent a renversé la
barrière, La Lotus a sorti la Ferrari de la route.99..
Ces exemples montrent que les restrictions de sélection en termes d’animé / non
animé sur le sujet ou l’objet sont insuffisantes pour expliquer l’ensemble des cas et que
« sans doute il manque encore une théorie appropriée de l’interprétation de ces phrases
déviantes » (Ruwet, 1972 : 156).
En ce qui concerne la structure faire+Vinf, une solution serait de voir, comme le
proposent J.-P. Desclés & Z. Guentchéva (1998 : 19), trois schèmes distincts, à savoir:
a)
la causalité (lorsque le terme sujet n’a pas de véritable capacité de
contrôle mais renvoie à une classe d’événements ou de processus) : La
tempête fait découvrir aux enfants la force de la nature; Le soleil fait
sécher les tuiles.
b)
la transitivité100 (le terme de sujet a une capacité agentive, le second
actant est analysé comme patient) : Jean fait craquer une allumette.
c)
la factitivité qui implique trois participants101 : un agent causateur qui
impulse et contrôle le procès; un agent causataire qui peut avoir un
certain pouvoir agentif ou non et un patient affecté par le processus
Paul fait découvrir la mer à ses enfants, Marie fait repasser le linge
par sa femme de ménage.
Cette distinction fine est parfois difficile à appliquer, car comme le reconnaissent
les auteurs, il existe des cas où on peut hésiter entre ces trois schèmes (1998 : 19). Elle
dépend aussi beaucoup de la nature sémantique du verbe, comme on va le voir dans la
section 3.1.2.3. Pour revenir aux cas de concurrences traités dans cette section, si on
99
Exemple de Ruwet (1972 : 149).
100
Givón (1989 : 59) analyse la construction transitive simple en termes de prototype : l’affectation
contrôlée d’un patent par un agent. Ceci correspond à la notion de transitivité sémantique (Desclés,
1998). Cf. aussi J. François (2008 : 16).
101
Dans mes travaux, le factitif faire+Vinf renvoie aussi bien à des structures à deux qu’à trois
participants (Jean fait pleurer Marie, Jean fait signer le document au directeur). Les constructions à 4
participants sont plutôt exceptionnels en français : Ribbentrop écrivit une lettre comminatoire à Pétain.
Mais Hitler, agacé par ce remue-ménage fit écrire à Pétain, par Ribbentrop, une lettre comminatoire.
Pour une analyse récente et très bien argumentée de l’alternance à / par dans la reprises du causataire
dans les constructions factitives (Jean a faite lire la lettre à Paul/par Paul), cf. Le Bellec, 2009 : 164175).
134
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
suit, de façon générale, Givón (1980 : 336) et sa binding hierarchy, plus la construction
est compacte, plus l’agentivité et le contrôle sont forts. On peut retenir cette règle à titre
de tendance.
3.1.2.3. La nature sémantique de l’item verbal
Un autre résultat important de cette analyse fonctionnelle est que le sémantisme
du verbe influence l’instabilité de la valence verbale. L’observation des données fait
ressortir la nette prédominance des verbes de mouvement ou de déplacement (entrer,
rentrer, sortir, monter, descendre, courir) et de changement d’état (démissionner,
échouer, suicider, durcir) dans les cas de transitivation causative (TC)102. Suite à des
extensions occasionnelles de leurs spectres fonctionnels (Blinkenberg, 1960 : 117), ils
peuvent véhiculer un sens causatif. En voici quelques exemples :
Bouge ta ville ! Bouge l’Europe ! (Publicité, 2003)
Messier a le droit de démissionner les membres du CA de VU. (TV, 2002)
Il s’apprête à faire ses cartons, en attendant qu’un nouveau patron de France
Télécom débarque … et le débarque (N. Obs 2002).
Par cette température, on ne voyage pas un enfant de cet âge. (Dam. & Pichon)
Le premier qui ose dire cela, je le sors de la salle (cours universitaire).
Ces bêtes, je ne suis pas prêt à les partir (Journal TV, 2001)103
Comment Chirac a suicidé la droite (N. Obs)104
Ces jeunes qui délirent la banlieue. (TV, 2005)
Ils refusent de paniquer les voyageurs (Journal TV, 2005)
Cette émission a explosé l’audimat (Journal TV, 2009).
102
Jespersen (1927 : 319) indique la possibilité des verbes de «change» ou de «move» d’être transitivés.
Selon K. Mantchev (1976 : 24-45), les verbes de mouvement et de changement d’état peuvent, à
l’occasion, intégrer un objet et, de ce fait, se situent à mi-chemin sur l’axe allant de l’intransitivité (les
verbes d’existence) à la transitivité (les verbes d’action). Pour les degrés de transitivité, cf aussi Givón
(1984 : 98) et Hopper & Thompson (1980). On se souvient aussi que dans le processus inverse,
l’alternance décausative, on retrouve les même classes sémantiques de verbes : de mouvement, de
déplacement et de changement d’état (section 2.1.). Comme le remarque Haspelmath (1993 : 95),
l’alternance décausative est limitée, du point de vue typologique, à quelques classes sémantiques de
verbes comme ceux de déplacement ou de changement d’état.
103
En pleine crise de la vache folle, l’agriculteur ne veut pas faire partir ses bêtes (les écouler sur le
marché).
104
Emprunté à Kötsch & Oesterreicher (2002).
135
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
La question légitime que je me suis alors posée a été de savoir pourquoi ce sont
ces classes sémantiques de verbes qui ont ces propriétés et pas d’autres. J’ai trouvé des
éléments de réponse à cette question essentielle dans l’Hypothèse inaccusative de
Perlmutter (1978), développée par Levin & Rappaport (1995) dans le cadre de la
Grammaire relationnelle.
L’Hypothèse inaccusative (Perlmutter, 1978, Levin & Rappaport, 1995)
Selon cette hypothèse, les verbes intransitifs ne forment pas un ensemble
sémantiquement homogène (split intransitivity). On distingue les verbes inaccusatifs
(break, dry, open) et les verbes inergatifs
(laugh, play, speak). Du point de vue
syntaxique, les premiers ont un sujet en surface et un objet profond. Les seconds n’ont
qu’un sujet à tous les niveaux. Du point de vue sémantique, les inaccusatifs (casser,
bouger, tomber) impliquent un changement d’état, l’action vise ou atteint le sujet, les
inergatifs renvoient à une activité, l’action part du sujet105. Ce sont les inaccusatifs qui,
du fait de leur valence instable, se prêtent aisément à la transitivation causative. Les
inergatifs nécessitent le recours à la périphrase: The window broke. She broke the
window vs Children played. *The teacher played the children. The teacher made the
children play. Le tableau suivant résume les propriétés syntaxiques et sémantiques des
deux sous-ensembles de verbes intransitifs :
105
Sur certaines faiblesses syntaxiques de l’Hypothèse inaccusative (inaccusative mismatches), cf.
Legendre & Sorace (1993 : 186). Cependant les auteurs soulignent que ces dissonances ne remettent pas
en question l’Hypothèse qu’ils considèrent comme « simple et élégante ».
136
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Propriétés
inaccusatifs
inergatifs
sur le plan syntaxique
Sujet en surface = Objet
profond
Sujet à tous les niveaux
( monovalents. Stable valency)
(unstable valency)
auxiliaire
avoir
être
impersonnel
Il arrive des hommes
impersonnel passif
Es würde getanzt (Il a été
subordonnée participiale dansé)
*Il téléphone des gens
*Es würde geblücht (Il a été
fleuri)
Tombé de sa chaise, le bébé a
pleuré
*Travaillé pendant des années,
sur le plan sémantique
l’action vise ou atteint le Sujet
l’action part du Sujet (=agent)
v. de mouvement
+alternance causative
v. de changement (état,
position )
move, break, melt, start, grow,
march, jump, danse, run
bouger, entrer, tomber, sortir,
courir, marcher , danser,
voyager
v. d’existence, d’apparition
v. agentifs
exist, live, appear, emerge
laugh, play, speak, cry
exister, vivre, apparaître,
émerger
agir, parler, rire, crier, pleurer
-alternance causative
Jean a pris sa retraite.
Tableau 12. Propriétés syntaxiques et sémantiques des verbes inaccusatifs et inergatifs
Il s’agit, selon les auteurs, d’une distinction sémantiquement motivée et
syntaxiquement représentée. Le sens du verbe peut constituer un facteur déterminant
pour la structure syntaxique de l’énoncé. Levin & Rappaport (1995) insistent sur la
similarité impressionnante entre ces sous-classes de verbes à travers les langues (par ex.
en russe, italien ou hébreu). Or, en comparant les données de l’anglais avec celles du
français (doc 31), j’ai montré que la distinction entre ces verbes est, semble-t-il,
largement répandue, mais elle n’est pas universelle. Par exemple, en anglais, certains
137
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
verbes de mouvement (inergatifs et normalement non transitivables) comme march,
jump, dance, run peuvent être transitivés dans certaines distributions syntaxiques ou
sous certaines restrictions lexicales comme la présence obligatoire d’une suite
circonstancielle (to the end of love), le faible degré d’agentivité du causataire (les
soldats), ou la présence d’un causateur agentif (le jockey), qui n’est jamais instrument
ou force de la nature :
Dance me to the end of love.
The general marched the soldiers to the tents.
The rider ran and jumped the horse over the fence.
En français, ces mêmes verbes ne sont pas transitivables, même dans les
distributions syntaxico-sémantiques décrites supra :
*Danse-moi
jusqu’à la fin de notre amour.
*Le général marcha les soldats jusqu’aux tentes.
*Le jockey courut et sauta le cheval à travers la haie.
La comparaison inter-langues permet d’affiner ou de nuancer l’Hypothèse
inaccusative (doc. 31).
3.1.3. Analyse discursive
Le dernier paramètre à prendre en compte dans l’analyse fonctionnelle des
constructions causatives c’est le paramètre discursif qui complète leur analyse
syntaxique et sémantique. Noelke (1999 : 67) souligne l’intérêt pour son approche
modulaire (fonctionnelle) d’exemples où « des considérations stratégiques de nature
pragmatico-sémantique l’emportent sur les considérations syntaxiques pour rendre
accessible une position non prévue par la syntaxe.».
Le causatif lexical est considérée comme étant un moyen de diathétisation
causative plus économique, plus compact par rapport à la construction périphrastique
factitive. Souvent, le choix du causatif lexical est tout à fait intentionnel et s’opère dans
un objectif pragmatique précis. Il s’agit là d’un raccourci syntagmatique (Krötsch &
Osterreicher, 2002), qui pourrait s’expliquer par des objectifs pragmatico-énonciatifs
spécifiques, comme la rapidité, l’expressivité ou le principe de l’économie dans la
communication. Du fait qu’il y ait transgression du schéma actanciel habituel du verbe,
ces emplois sont perçus comme déviants, donc plus accrocheurs, ce qui explique l’usage
fréquent qu’en font les médias ou la publicité, comme c’est le cas de ce slogan
138
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
publicitaire à l’intention des jeunes: Bouge ta ville ! ou le titre Ce Français que sa
carrière « a émigré » en Belgique a été un des piliers de Tintin (Frémion)106.
Pour résumer, le choix discursif de telle ou telle structure syntaxique est dicté
par des contraintes lexicales, à savoir la nature sémantique du verbe : on ne peut pas
transitiver n’importe quel verbe, comme on vient de le montrer supra, mais aussi par
des motivations d’ordre sémantique comme le degré d’agentivité des référents du sujet
et de l’objet ou par le processus de causation directe ou indirecte.
3.2. Conclusion
L’étude séparée des paramètres morphosyntaxique et sémantique ne permet pas
d’expliquer la complexité des faits de langue étudiés. Seule l’approche fonctionnelle qui
prend en compte l’interaction entre les paramètres syntaxiques, sémantiques et
discursifs est à même de proposer une analyse globale du fonctionnement de faire+Vinf
et d’interpréter correctement les énoncés, où les deux formes sont possibles. Elle permet
de tisser des liens entre les différents paramètres afin de mieux appréhender le
fonctionnement de faire+Vinf. Voici en résumé les principaux résultats de ces
recherches :
- la syntaxe ne permet pas de rendre compte de la concurrence entre les
causatifs lexicaux et faire+Vinf
-
chacun des trois paramètres sémantiques, à savoir la manipulation directe /
indirecte, le degré d’agentivité du sujet et de l’objet et la nature sémantique
de l’item verbal apporte des éléments d’explication à ce phénomène
complexe de concurrence.
-
La comparaison du français et de l’anglais a montré que l’Hypothèse
inaccusative (1995) devrait être nuancée et affinée.
-
Ce cas de concurrence illustre également l’articulation entre la pragmatique
et la syntaxe. Autrement dit, le choix de l’une des deux formes dépend des
visées communicatives de l’énonciateur.
106
Exemple emprunté à Krötsch & Oesterreicher (2002 : 124).
139
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
De manière plus générale, le phénomène de concurrence étudié confirme que la
mise en discours de l’unité verbale mobilise des mécanismes syntaxiques, sémantiques
et énonciatifs dont l’interdépendance détermine les interprétations des énoncés107.
107
Cf. l’Appel à communication du Colloque de Besançon sur les constructions verbales et la production
de sens (2006))
140
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
4. Se faire Vinf : analyse fonctionnelle
La construction se faire+Vinf a été analysée de différentes façons. Pour certains
auteurs (Spang-Hanssen 1967, Riegel et all. 1993) ) il s’agit d’une forme de passif.
D’autres (Tasmowski & Van Oevelen 1987) proposent un traitement unitaire : malgré
des valeurs très similaires à la construction passive, le tour reste causatif (le passif est
un sous-cas du causatif pronominal). D’autres encore (Kupferman 1995) renoncent au
traitement unitaire au profit d’une analyse binaire : construction causative pronominale
et passive. La plupart de ces travaux mettent en avant un argument sémantique
commun, à savoir que le sujet de se faire +Inf aurait une part de responsabilité dans le
procès dénoté par l’infinitif, qui cependant reste difficilement démontrable dans les
procès « désagréables ». L’analyse syntaxique de la construction est souvent reléguée au
second plan. Rares sont enfin les études (Gaatone 1983) qui induisent la valeur passive
de se faire+Vinf à partir de facteurs pragmatiques. Bref, toutes ces études privilégient
souvent certains aspects du fonctionnement de la construction au détriment d’autres.
La construction se faire+Vinf véhicule des valeurs qui correspondent soit à un
causatif passif, soit à un causatif pronominal. Lorsque le Vinf est un transitif, se
faire+Vinf est le plus souvent substituable avec le passif (êtreVé). Pourtant les deux
formes véhiculent des nuances de sens différentes :
(1) Les jeunes chiraquiens plébiscitent Jacques Chirac.
(2) Jacques Chirac est plébiscité par les jeunes chiraquiens.
(3) Jacques Chirac se fait plébisciter par les jeunes chiraquiens.
A partir de l’étude de ce cas de concurrence, mon objectif (comme dans celui de
la section précédente) a été de montrer que seule une analyse multidimensionnelle est
capable de rendre compte du sémantisme complexe de ces formes. La corrélation des
différents paramètres (syntaxiques, sémantiques et discursif) permet d’analyser en
finesse et en profondeur les faits de langue étudiés.
Cette étude (doc. 20) a été basée sur un corpus d’environ 2 millions de mots,
issus de trois genres textuels : des textes littéraires (Frantext), journalistiques (Le Monde
141
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
et Le Figaro 2002), scientifiques (corpus KIAP-LIDILEM), ainsi que des messages de
forums sur Internet (2006 ) sur le thème de la vie quotidienne108.
Comme dans les exemples traités précédemment (sortir vs faire sortir la
voiture), la syntaxe ne permet pas de différencier (2) et (3). Dans les deux cas, suite à la
transformation de la phrase de départ (1), il y a destitution du sujet sans ajout d’un
nouvel actant et diminution de la valence (n-1) (diathèse récessive) par rapport à la
structure de départ (1).
Du point de vue discursif, le c.o.d. de la phrase de départ devient thème, après
transformation, dans les deux cas. Comme l’indique Bat Zeev Shyldkrot (1999 : 73) au
sujet des formes en se faire, se voir, se laisser+Vinf, le recours à la forme en se
faire+Vinf dans son interprétation passive « répond à un désir du locuteur et donc de la
langue, d’exprimer des nuances distinctes » par rapport aux formes du passif en êtreVé.
C’est sur le plan sémantique que les deux énoncés diffèrent surtout. Pour mieux
en rendre compte, j’ai analysé conjointement trois paramètres sémantiques : la nature
sémantique du verbe enchâssé sous se faire, les rôles sémantiques et la nature (animé vs
non-animé) du sujet (S).
4.1. Se faire+Vinf à sens passif
Lorsque le Vinf est un transitif (se faire+Vinf
trans ),
la construction causative
réfléchie est le plus souvent substituable avec le passif (êtreVé) (Cf. (2) et (3)). Pourtant
les deux formes véhiculent des nuances de sens différentes. Pour mieux en rendre
compte, il s’est avéré pertinent d’analyser la nature sémantique du verbe enchâssé sous
se faire, les rôles sémantiques et la nature (animé vs non-animé) du S.
108
Le corpus scientifique KIAP/LIDILEM est composé de trois parties : médecine (656 488 mots),
linguistique (659 724 mots) et économie (660 312 mots). Le corpus journalistique est issu de Le Monde
(2002) (dorénavant M) et Le Figaro (2002) (F). Le corpus littéraire provient de Frantext (1960-2007)
(FT). Le corpus de blogs est composé de 2000 messages (novembre 2006-avril 2007). Les adresses des
forums
sont
http://forums.france3.fr/france3/listecategorie.htm,
http://ununtu-fr:org/,
http://www.forumfr.com/forums.html. Je remercie K. Fløttum de l’Université de Bergen et S. Diwersy de
l’Université de Cologne pour la mise à disposition des corpus scientifique et journalistique, ainsi que E.
Yurovskih pour le corpus des blogs.
142
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
4.1.1. La nature sémantique du verbe
La plupart des travaux (Spang-Hanssen ,1967, Gaatone, 1983) attirent l’attention
sur le fait que la substitution est possible lorsque l’infinitif renvoie à des actes
désagréables ou violents (violences physiques ou verbales (injures, insultes)), par
exemple se faire expulser, écraser, injurier, agresser, attaquer. Ces verbes constituent
30% des verbes de l’ensemble du corpus. Les deux formes (se faire+Vinf et être +Vé)
sont donc interchangeables. Par exemple Bertrand Delanoë s'est fait agresser la nuit où
il a ouvert ses appartements. (Le Figaro(F)). Elle s'est fait attaquer trois fois. Il y avait
trop d'insécurité (F).
Or, comme le montrent les données, la construction réfléchie à valeur passive
s’attache, bien que plus rarement, à des prédicats dénotant des actes agréables: se faire
acclamer, embaucher, élire, plébisciter (Il peine encore à se faire aimer par tous les
siens. (F). On survit, de la pire manière, pour se faire admirer des autres. (FT)). Ces
verbes constituent 5% des corpus analysés ; ils sont six fois moins nombreux que les
verbes « désagréables », ce qui dément l’affirmation de Kupferman (1995 : 67), à savoir
que « les verbe statifs et de changement d’état sont prohibés de ces constructions » (*se
faire toujours aimer par ses enfants, *se faire admirer par ses étudiants109).
Les verbes le plus souvent enchâssés sous cette construction syntaxique sont
essentiellement des verbes d’action (agréable ou désagréable) et, plus rarement, des
verbes d’état.
4.1.2. Les rôles sémantiques du sujet
Le tour se faire+Vinf implique le plus souvent un « double » rôle sémantique
pour le référent de son sujet structural: celui-ci est à la fois patient et responsable
(instigateur) de ce procès. Cette analyse se heurte pourtant à des cas comme Les
derniers de la liste se font écraser par amour vs Les derniers de la liste sont écrasés
par amour), où le sujet ne peut, comme le montre le contexte plus large, être considéré
comme étant l’instigateur ou le « responsable » du procès et où la substitution avec le
passif est possible. Gaatone (1983 : 170) indique qu’ « [i]l est anormal d’admettre
qu’un être humain soit l’instigateur volontaire de procès dont il serait lui-même la
109 Les exemples et les astérisques sont de Kupferman (1995 : 75).
143
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
victime ». Là, l’explication par le rôle sémantique du S ne suffit donc plus. L’auteur
(idem :173) induit le sens de se faire+Vinf de la notion pragmatique de désagréable qui,
selon lui, permettrait de mieux en rendre compte. J’ai proposé de compléter cette
explication d’ordre pragmatique par la dimension aspectuelle, assez peu analysée110 de
manière systématique dans les travaux existants: le locuteur a le choix entre les deux
formes en fonction de la manière dont il envisage le déroulement du procès (passif
processif : Les derniers de la liste se font écraser par amour vs passif statif : Les
derniers de la liste sont écrasés par amour)111.
C’est aussi le cas de Elle s’est fait violer où il est difficile d’affirmer un certain
degré d’agentivité ou de responsabilité du référent du sujet. Sinner & Van Raemdonck
(2005 : 163) indiquent que ce type d’exemples est impossible en espagnol avec la
construction hacerse +Vinf . Par ailleurs, selon ces auteurs, la différence entre Elle s’est
fait violer et Elle a été violée « semble tenir plus de la représentation qu’une langue
donne de la réalité que de la réalité elle-même ». Or, une explication par le degré de
grammaticalisation plus avancé de se faire+Vinf (cf. section 4.4.) en français qui a pour
conséquence « une diminution de la perception du rôle agentif plus importante en
français qu’en espagnol » (idem : 173) me paraît, de loin, plus plausible que celle qui
explique le fonctionnement de se faire+Vinf dans les deux langues par les différentes
représentations qu’elles donnent de la réalité.
110
Selon Spang-Hanssen (1967 : 141) lorsqu’il s’agit d’actes désagréables ou violents, se faire+Vinf
marque l’idée de processus. Dubois & Lagane (1973 : 169) expliquent aussi la différence entre se
faire+Vinf et le passif par leurs propriétés aspectuelles: la première forme renvoie à des procès vus dans
leur déroulement, la seconde - à des procès vus comme des accomplies. Le paramètre aspectuel a été aussi
inclus dans l’analyse de la distinction entre se faire+Vinf à sens passif et un passif canonique par Le
Bellec (2009, 181-183).
111
Le passif canonique n’exclut pas une valeur processive mais celle-ci est assez contrainte
distributionnellement. Comme le montre Muller (2002 : 237), cette valeur n’apparaît qu’avec des verbes
d’action au présent essentiellement, par ex. Le mât est dressé sur la place par les ouvriers qui pourrait
véhiculer une valeur résultative mais aussi processive : en ce moment , il est en train d’être dressé. En
revanche, l’aspect processif est exclu au passé : Le mât a été dressé par les ouvriers véhicule un aspect
accompli statif. Cf. aussi à ce sujet Desclés & Guentcheva (1993). Avec se faire+Vinf , d’aspect
processif, ces contraintes n’existent pas. Dans l’exemple cité, Les derniers de la liste sont écrasés par
amour une lecture processive (en ce moment) du passif est difficilement envisageable.
144
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
4.1.3. La nature sémantique du Sujet (animé vs non-animé)
La difficulté d’analyser le S comme instigateur (ou responsable) du procès
apparaît aussi dans les exemples où le S est non animé. Bien que très peu fréquents
(moins de 3% des résultats), ces cas existent dans les corpus : La neige se fait désirer
dans certains coins de l'Europe. (M) ; Les classiques cassettes vidéo VHS sont ainsi sur
le point de se faire dépasser par les DVD. (F)
Ici, une fois de plus, ce n’est pas par le rôle sémantique du S (instigateur
volontaire ou involontaire du procès) qu’on peut rendre compte des différentes nuances
de sens entre les deux formes, substituables dans ces contextes. Ce sont des paramètres
aspectuels au service des visées discursives qui, une fois de plus, entrent en jeu. En
choisissant la forme se faire+Vinf, le locuteur présente le procès comme inaccompli (se
faire désirer) ou en déroulement (être sur le point de se faire dépasser), ce qui est en
harmonie avec le profil aspectuel de cette forme,
Pour récapituler, dans les cas où se faire+Vinf et êtreVé sont interchangeables, le
locuteur choisira être+Vé ou se faire+Vinf en fonction du rôle sémantique qu’il souhaite
« faire endosser » au Sujet: avec être Vé celui-ci est beaucoup moins agentif que celui
de se faire+Vinf qui est à la fois patient et instigateur du procès dont les effets
reviennent, d’une façon ou d’une autre, sur lui-même. Par ailleurs, lorsque le sujet de se
faire+Vinf « est impliqué indépendamment de sa volonté dans un enchaînement
causal » (François 2000 :163), c.à.d. que son double rôle n’est pas avéré, des facteurs
aspectuels entrent en jeu pour le calcul de la signification de se faire+Vinf.
4.2. Se faire+Vinf à sens réfléchi
Se faire+Vinf fonctionne aussi comme un causatif réfléchi. Dans ce cas, la
construction n’est pas substituable avec un passif. Il s’agit ici de la combinaison de la
diathèse causative et réfléchie. Lorsque le verbe à l’infinitif est intransitif (se faire+
Vinf
intrans),
les conditions structurales pour la transformation passive ne sont pas
réunies. Pour ce qui est de la nature sémantique des intransitifs qui s’enchâssent sous se
faire, il s’agit d’un petit nombre de verbes (une dizaine environ), notamment des
inaccusatifs de changement d’état : avorter, bronzer, exploser, maigrir, saigner, suer,
vomir. Ces verbes expriment une action qui vise ou atteint le S, ce qui est en harmonie
145
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
avec son rôle sémantique : les effets du procès lui reviennent, autrement dit il subit un
changement d’état. Il est à la fois déclencheur et patient (siège du procès) :
Surtout qu'ensuite ils vont régulièrement se faire maigrir chez des médecins,
dans des cures ou en thalassothérapie. (F)
Il y en a qui font ce qu'ils veulent, et d'autres qui se font suer à se soumettre
avant même qu'on ne leur demande. D'autres se font vomir, deviennent
anorexiques, pour rester à l'école (M)
La fréquence des verbes intransitifs enchâssés dans la construction se faire+Vinf
reste cependant très peu élevée (moins de 2% de la totalité des verbes du corpus).
Lorsque le verbe à l’infinitif est un transitif (se faire+ Vinf trans) , il apparaît dans
des contextes syntaxiques bien précis, avec des verbes qui expriment des actes liés au
corps humain : le S est instigateur et provoque un changement d’état sur son corps, ses
cheveux, ses vêtements : se faire confectionner une robe, couper les cheveux, caresser,
épiler etc). Se faire+Vinf à sens réfléchi est également très fréquent après des verbes de
perception (Nous regardions sur CNN des villes se faire bombarder), modaux (Les
candidats doivent/peuvent se faire connaître), de sentiments (Galiano aime se faire
désirer (F), Jospin déteste se faire dicter son calendrier (M)) ou bien après des
périphrases aspectuelles : Il est sorti à l'étranger et a commencé à se faire battre. (M).
Il était en train de se faire griller tranquillement une mouette sur un barbecue de
fortune. (FT). Ils ont fini par se faire piquer le travail (F). Pour ce dernier cas, à savoir
la combinaison de se faire+Vinf avec des périphrases aspectuelles indiquant le début, le
déroulement et la fin du procès, les données du corpus ont révélé une fréquence très
élevés de se faire+Vinf. Ici aussi l’explication aspectuelle est valable : le passif qui
renvoie essentiellement à des procès accomplis (Il est assassiné) est difficilement
compatible avec l’expression des phases du procès (commencer à, être en train de, finir
de), tandis que se faire+Vinf qui renvoie à des procès en cours est compatible avec les
phases. L’étude de toutes ces distributions dans lesquelles apparaît se faire+Vinf à
valeur réfléchie, ainsi que les contraintes syntaxico-sémantiques qu’elles imposent
n’ont pas fait l’objet d’une description et d’une analyse systématiques sur corpus. C’est
un des principaux apports de cette étude (doc. 20).
146
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
4.3. Se faire+Vinf en diachronie
Ce travail a montré que pour se faire+Vinf la diachronie peut s’avérer aussi très
éclairante. Elle révèle que « [à] partir d’une valeur causative, l’interprétation passive se
serait développée par l’intermédiaire d’une réflexivisation de la construction causative
sans marque morphologique. Une construction causative dans laquelle la position objet
était laissée vide , comme N1 a fait voir ∅ à N2, aurait eu la possibilité de s’interpréter
comme N1 s’est fait voir à N2 ; on serait ensuite passé à l’interprétation N1 a été vu par
N2 par réduction du rôle sémantique assigné à N1 au rôle sémantique du deuxième
argument du verbe voir » (Creissels , 2006 T2 : 69-70). L’auteur fait un rapprochement
avec Il s’est fait tuer dont l’interprétation n’exclut pas la possibilité d’attribuer une part
de responsabilité au référent du sujet, ce qui correspond à la signification originelle de
cette construction, mais qui peut fonctionner aussi comme équivalent pur et simple du
passif. Cela contredit l’analyse de Kupferman (1995 :76) qui postule l’existence de deux
constructions homonymes en se faire+Vinf (passive et causative réfléchie) : « [l]a
ressemblance morphologique entre deux formes syntaxiques ne signifie pas
nécessairement qu’elles soient typologiquement apparentées ». Or, les données
diachroniques vont à l’encontre de cette thèse. En français, se faire+Vinf semble avoir
atteint un degré avancé de grammaticalisation. Cette évolution en trois étapes pourrait
être schématisée de la façon suivante :
causatif (X a fait assassiner Y) → réflexivisation (Y s’est fait assassiner) → passif (Y a été assassiné).
On peut considérer avec Kurylowicz (1965), selon lequel la grammaticalisation
peut rendre des éléments grammaticaux encore plus grammaticaux, que l’évolution de
se faire en tant qu’auxiliaire du causatif réfléchi dans se faire+Vinf a abouti, entre
autres, à un auxiliaire de valeur passive.
4.4. L’analyse discursive de se faire+Vinf
L’analyse des différentes corpus a montré une fréquence inégale de l’emploi de
cette construction dans les différents types de corpus (Frantext, journalistiques, blogs,
écrits scientifiques). Voici le tableau récapitulatif des données des différents
corpus (issu du doc. 20):
147
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Corpus
Nombre d’occurrences de
se faire+Vinf
Nombre de mots
%
Frantext
21 991 573
2079
0,0095%
Le Monde
25 949 000
1932
0,0074%
Le Figaro
26 995 000
1751
0,0065%
255 900
12
0,0047%
1 978 633
14
0,0007%
Blogs
Scientifique
Tableau 13. Répartition de se faire+Vinf dans les différents types de corpus
Comme le montre le tableau récapitulatif, se faire+Vinf est le plus fréquent dans
les textes littéraires, très fréquent dans les corpus journalistiques, peu fréquent dans les
blogs et quasi-inexistant dans les corpus scientifiques. Comment expliquer ces faits ?
D’abord les choix discursifs de se faire+Vinf dans les textes littéraires et journalistiques
pourraient s’expliquer par les restrictions syntaxico-sémantiques qui pèsent sur le passif
(la construction verbale, les blocages aspectuels, les verbes modaux). La plus grande
fréquence de se faire+Vinf dans les corpus littéraires et journalistiques par rapport aux
autres corpus pourrait également être due au fait que le passif (et donc se faire+vinf à
sens passif) est propre à l’écrit et moins fréquent à l’oral (Dubois 1967 :102). Ce fait
pourrait inversement expliquer la très faible fréquence de la construction dans les blogs
qui se rapprochent de la langue parlée (on y rencontre surtout des expressions
lexicalisées se faire taxer de, se faire passer pour, se faire sentir). Une autre raison du
grand nombre d’occurrences de la construction se faire+Vinf dans les textes littéraires
ou journalistiques pourrait être le fait qu’à l’instar du passif elle permet de « maintenir
l’isotopie référentielle des sujets de phrases consécutives pour substituer une
progression à thème constant [... ] à la rupture thématique» (Riegel et al. 1993 : 441),
comme le montre l’exemple suivant, issu des corpus journalistiques :
L’attaquant bastiais Florian Maurice, qui a réussi l'exploit de se faire exclure du
terrain alors qu'il s'était déjà fait expulser (Le Monde).
Avant d'être nommés ambassadeurs, ou de se faire assassiner les écrivains
connaissent le plus souvent l'exil. (Figaro)
148
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Par ailleurs, le fait de considérer que les registres et, en particulier, le registre
soutenu, sont un paramètre important du choix de se faire+Vinf à sens passif
(Kupferman 1995 : 60) à l’écrit n’est pas confirmé par les données du corpus. Elles
révèlent un nombre important d’infinitifs enchâssés sous se faire appartenant aux
registres familiers, populaires, voir argotiques : se faire canarder, carotter, couillonner,
alpaguer, baiser, coffrer, cueillir, choper, sauter, engueuler, incompatibles avec un
registre soutenu.
Enfin, si le passif est assez fréquent dans les textes scientifiques, se faire+Vinf y
est quasiment absent, comme d’ailleurs la construction faire+Vinf (cf. section 6). Une
des raisons pourrait en être que dans les textes scientifiques, tendant à un maximum
d’objectivité, le passif est une stratégie d’évitement du « je » et, plus généralement, d’un
énonciateur agentif qui est propre à la construction se faire+Vinf. Ce type de textes
offrent très peu de situations où le sujet énonciateur a le double rôle de patient et
d’instigateur du procès, ce qui provoque un changement d’état ou bien où il est question
d’actes « agréables » ou « désagréables ».
4.5 Conclusion
Les tendances qui se dégagent à l’issue de cette étude multidimensionnelle
révèlent que l’emploi de se faire+Vinf à valeur passive et réfléchie est conditionné par
la construction verbale (verbes intransitifs, transitifs, bitransitifs), les traits aspectuels
(processif vs résultatif ou accompli) et le rôle sémantique du S. Le choix discursif entre
se faire+Vinf et êtreVé se fait en fonction du rôle du S (instigateur et patient vs patient)
dans le procès et la façon dont celui-ci se déroule. La construction se faire+Vinf est
considérée comme une forme à plusieurs valeurs, solution qui me paraît préférable à
celle qui y voit deux constructions homonymes. La diachronie est aussi un argument en
faveur de cette analyse. L’étude fonctionnelle sur de vastes corpus permet de mieux
rendre compte des spécificités du fonctionnement de se faire+Vinf. L’analyse des
paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs permet de conclure à l’existence d’un
continuum entre les valeurs d’une même forme. Lorsque le locuteur a le choix entre
deux ou plusieurs structures, il le fait en fonction des nuances de sens qu’elles
véhiculent. L’étude de la grammaticalisation de se faire+Vinf permet de mieux
appréhender son fonctionnement en synchronie.
149
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
5. Le statut de faire +VInf et se faire+Vinf dans le système de la voix
en français
L’analyse fonctionnelle de faire+Vinf permet également d’établir son statut dans
le système des voix en français. Les grammaires de référence, la Nomenclature
grammaticale (1975), certains linguistes (Kordy, 1988) lui refusent le statut de voix.
Traditionnellement, on distingue la voix active /passive, les tournures (ou
constructions) pronominales, impersonnelles et on y ajoute, dans le meilleur des cas, les
constructions avec les auxiliaires faire, laisser, voir.
Un bref éclairage terminologique des termes de voix et diathèses s’impose ici.
Creissels (2006 : 6) utilise le terme de voix défini comme « tout type de changement
dans les formes verbales qui présente une relation (relativement) régulière avec un
changement de valence ». Les changements de valence non corrélés à des changements
morphologiques du verbe ne relèvent donc pas de la voix grammaticale. Creissels
distingue quatre voix en français: l’actif, le passif, le causatif, le moyen. Le causatif est
défini comme une opération sur la valence verbale, lié à un changement de la forme
verbale (l’ajout de faire suivi du verbe à l’infinitif), consistant à introduire dans le rôle
du sujet un causateur, tandis que le causataire reçoit souvent « la même mise en forme
que le sujet destitué des constructions passives » ( idem, 59-69).
D’autres auteurs, comme par exemple Muller (2002 et 2005) ou Wilmet (2007)
font une distinction entre les notions de voix et de diathèse. Pour Wilmet (2007), aux
voix active, passive et moyenne s’ajoutent les constructions impersonnelle et factitive
pour former les cinq voies en français, le terme de diathèse lui renvoyant au
réarrangement du sujet (ou à la topicalisation). Muller (2005 : 14), quant à lui, propose
une distinction entre le terme de voix (ou constructions) qui désigne « les facteurs
syntaxiques de construction du verbe qui ordonnent […] les relations d’un actant au
verbe selon une hiérarchie de type communicatif. Les voix (active, passive) considérées
comme des « outils grammaticaux polyvalents » sont constitutives, suite à différents
croisements,
de
la
diathèse :
active/personnelle,
active
/impersonnelle,
passive/personnelle, passive/impersonnelle. Les diathèses sont liées aux choix
communicatifs faits par le locuteur dans les limites offertes par la grammaire des
constructions verbales ».
150
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Enfin, si on admet la définition de Lazard (1994 : 179) sur la voix / diathèse à
savoir que la variation sur les actants (diathèse) amène une modification corrélative de
la forme (morphologie) verbale (voix), et de là, des rôles sémantiques attribués au sujet
et à l’objet, on pourrait accorder le statut de voix au factitif françai. Celui-ci remplit ces
trois critères : + 1 actant sur le plan syntaxique, ajout de faire suivi d’un infinitif
(modification de la forme verbale), modification des rôles sémantiques (ajout d’un
causateur, l’agent destitué devient causataire).
En ce qui concerne la construction se faire°Vinf, quatre cas de figure sont à
distinguer qui relèvent de la diathèse:
a) se faire +Vinf fonctionne comme un passif (les deux formes sont
substituables) : Chirac se fait plébisciter / est plébiscité par les jeunes.
b) se faire +Vinf peut fonctionner comme un passif pronominal. En emploi
générique Les pianos se font toujours abîmer lors des déménagements, il se rapproche
du se moyen d’emploi passif (Ce livre se lit bien, Les pianos s’abîment lors des
déménagements).
c) se faire +Vinf fonctionne aussi comme un causatif réfléchi. Dans ce cas, la
construction n’est pas substituable avec un passif. Il s’agit ici de la combinaison de la
diathèse causative et réfléchie (se faire couper les cheveux, se faire avorter, se faire
maigrir)
d) se faire +Vinf fonctionne comme un passif oblique. Lorsque le verbe de la
phrase active est un verbe bitransitif, la construction se faire+Vinf permet de former un
passif sur le troisième actant. Il s’agit là d’un procédé qui pallie l’absence de passif
oblique en français (He was offered a book). (François, 2000, Muller, 2005, Novakova,
2009) :
Kim Yong-nam venait d’attribuer une parcelle du pays à M. Yang.
A1
A2
A3
M. Yang venait de se faire attribuer une parcelle du pays par Kim Yong-nam
A1=A3
A2
A3=A1
Ce phénomène relève pleinement de la diathèse qui permet d’en donner une
explication fonctionnelle: le S de la phrase active est destitué. Il s’ensuit un
151
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
réarrangement des actants : le c.o.i. accède à la fonction S, ce qui permet au locuteur de
le thématiser. Du point de vue des rôles sémantiques, le S est bénéficiaire ou victime du
procès. Avec les verbes bitransitifs, se faire+Vinf n’est plus une variante contextuelle
du passif mais une forme de sens passif, appelé passif complémentaire (Bat-Zeev
Shyldkrot 1999 :67), du destinataire (J. François 2000), ou oblique (Creissels 2006). Le
verbe réfléchi se faire est ici un auxiliaire de diathèse passive (J. François 2000 : 160).
Les questions de voix et de diathèse ont fait l’objet de nombreux travaux112.
Plusieurs acceptions et analyses de ces notions y sont proposées. Dans mes travaux,
elles n’ont été abordées qu’accessoirement. La comparaison systématique du
fonctionnement des voix/diathèses en français et en bulgare pourrait constituer une piste
fructueuse pour de futures recherches.
112
Pour ne citer qu’un exemple récent, je renvoie à la thèse de Ch. Le Bellec (2009) qui examine de
manière exhaustive et approfondie la diathèse verbale : passive, réflexive, impersonnelle, causative dans
trois langues romanes (français, espagnol, italien) dans le cadre de la Grammaire Fonctionnelle
Discursive.
152
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
6. Le raisonnement causal
Dans cette dernière partie de ce chapitre, j’aimerais faire le point sur une
évolution récente du travail sur les prédicats causatifs, à travers le mémoire de M2 de
M. Bak sur le raisonnement causal dans les écrits scientifiques. Le raisonnement causal
joue un rôle important pour l’interprétation des écrits scientifiques. Il est le fondement
de toute activité de rédaction scientifique et se manifeste à travers des moyens lexicaux
ou grammaticaux, mais aussi par le fait que « les interlocuteurs partagent la
connaissance d'une relation causale » qui leur permet de comprendre ce raisonnement
(cf. Gross & Nazarenko, 2004). Nous avons étudié le lien entre les moyens d’expression
de la cause (la causativité, dans notre terminologie) et le raisonnement de l’auteur dans
différents types de textes scientifiques (mémoires, articles, thèses), issu du corpus
Scientext (4 millions de mots environ). Les premiers résultats de ce travail ont été
exposés dans une communication conjointe présentée à la Journée d’étude Scientext le
24 juin 2010 à Grenoble. Le raisonnement causal, avec la problématique du
positionnement de l’auteur dans les écrits scientifiques, fait partie du projet ANR
Scientext, piloté par F. Grossmann et A. Tutin (2006-2009) et aussi de l’opération
« Discours scientifique » du Cluster 14 de la Région Rhone-Alpes.
Les relations causales sont constitutives du texte scientifique. L’information
causale implique les différentes étapes de la construction des connaissances. Si les
relations causales sont habituellement considérées comme indépendantes de toute
observation et jugement, les études récentes sur la causalité en linguistique (Jackiewicz,
1998, Nazarenko, 2000) en accord avec les études en philosophie (Hume, 1739, Kant,
1781) insistent sur le caractère subjectif de la relation causale, sur le fait qu’elle dépend
du point de vue du locuteur et, par conséquent, se trouve souvent modalisée. Autrement
dit, la causalité porte en elle les traces du raisonnement de l’énonciateur. Ainsi, Desclés
& Jackiewicz (2006 : 40) défendent l’hypothèse que la causalité encodée dans la langue
peut être vue comme une relation efficiente complexe entre situations mais aussi comme
une relation subjective entre cette relation efficiente et le locuteur qui la prend en
charge.
153
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Pour étudier le raisonnement causal dans les écrits scientifique, notre objectif a
été de faire un classement des verbes et constructions causatives dans ce type de corpus.
Notre corpus est réparti comme suit :
Tableau 14. Répartition des mots dans le corpus d’écrits scientifiques
Nous avons recensé quatre types de lexique verbal causatif et les avons classés
selon l’échelle de Dixon (2000) : a) verbes causatifs amener, provoquer, causer ; b)
causatifs morphologiques modifier, favoriser, amplifier, intensifier ; c) faire+Vinf faire
varier, faire intervenir, faire correspondre ; d) constructions périphrastiques amener
qn+Vinf, conduire qn + Vinf, contraindre qn + Vinf.
Les résultats de cette étude sur corpus montrent :
1)
une nette prédominance des verbes causatifs (2700 occurrences au
total) par rapport à la construction factitive (320 occurrences) et des
périphrases (370 occurrences) sur un total de 1 360 000 mots environ :
3000
2500
2000
1500
1000
500
0
Verbes causatifs
Constructions périphrastiques
Faire+Vinf
Figure 5. Répartition du lexique verbale causatif dans le corpus
2)
Nous avons formulé l’hypothèse qu’à la différence du lexique du
positionnement, très présent dans l’introduction et la conclusion du
texte scientifique (Tutin, 2010b : 344), le lexique verbal causatif relatif
154
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
au raisonnement (toutes catégories confondues) est largement
représenté dans le développement, le corps de texte. Or, nous avons
obtenu un résultat moins contrasté que notre hypothèse, à savoir que le
lexique causatif est pratiquement proportionnellement réparti dans les
trois parties du texte : introduction, développement, conclusion.
L’explication que nous pouvons en donner à ce stade de notre
recherche est la suivante : s’il apparaît que le lexique du
positionnement est particulièrement marqué dans les parties textuelles
peu techniques comme les introductions et les conclusions, le
raisonnement causal est constitutif de l’ensemble de l’activité de
rédaction scientifique. Il est donc normal de le voir réparti de façon
presque égale dans les trois parties textuelles. La construction du
savoir apparaît progressivement, du début à la fin du texte. En
schéma :
Figure 6. Répartition du lexique verbal causatif dans les trois parties des textes
scientifiques (IDC)
3)
Les disciplines qui se détachent en tête pour la fréquence du lexique
causatif sont la psychologie et la biologie. La psychologie, science
humaine, se rapproche de ce fait des sciences expérimentales comme
la biologie et la médecine et s’éloigne de la linguistique. La relation
cause – effet est dans ce cas fondée sur une base empirique : relations
entre des événements du monde, des phénomènes naturels (disciplines
phénoménologiques), confirmés par des calculs statistiques :
155
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
Figure 7. Répartition du lexique causatif par disciplines
4)
La combinatoire syntaxique et lexicale des verbes causatifs, ou la
sélection des différentes classes d’arguments par les verbes causatifs
(Gross, 2009), ainsi que leur fréquence sont significatives de leur
fonctionnement linguistique et contribue à leur classement. Par
exemple, dans notre corpus, des verbes comme entraîner ou conduire
à, qui sont les plus fréquents, ont un spectre argumental très riche
(respectivement 357 arguments pour entraîner et 341 arguments pour
conduire à, de polarité positive et négative). En revanche, les verbes
prototypiques comme causer, provoquer sont moins fréquents que
entraîner et conduire à, impliquer et ont respectivement un spectre
argumental moins riche. L’explication en est que ces verbes
sélectionnent le plus souvent des arguments ou de réactions
psychologiques négatifs (provoquer, causer des dégâts, catastrophes,
ralentissement, stérilité, cirrhose, asthme), peu présents dans les écrits
scientifiques.
5)
Ce qui ressort de cette étude est aussi le faible taux de fréquence de
faire+Vinf (on trouve le même constat pour les corpus journalistiques
dans Jackiewicz, 1998). Les constructions les plus fréquentes comme
faire varier, faire intervenir, faire agir ou faire progresser ne relèvent
156
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
pas du raisonnement causal. On pourrait les analyser comme des effets
d’une nouvelle relation de chaîne causale (Jackiewicz, 1998). En
revanche des tours plus lexicalisés comme faire supposer, faire
remarquer relèvent du raisonnement, mais sont très rares. De plus, le
patient (causataire) dans les textes scientifiques est pratiquement
toujours non-humain, ce qui restreint la variété des combinaisons entre
faire et le Vinf. Comme l’indique Gross (2009 : 33), faire+Vinf
représente le prototype de causatifs opérant sur une action humaine, ce
qui n’est pas le cas dans les écrits scientifiques ;
6)
Derrière l’apparente « neutralité » et l’objectivité du texte scientifique,
il en ressort que les indices ou les traces de la prise en charge
énonciative de la cause sont multiples et se trouvent dans la
combinatoire syntaxique et lexicale (comme par exemple les adverbes
Ceci a pour effet de causer inéluctablement des erreurs de
transmission ;
provoquerait
théoriquement,
probablement ;
les
adjectifs : Ceci implique un traitement profond, Une façon élégante
d’accroître l’effet de..) ; les verbes modaux (peut induire/causer,
permet d’accroître, devrait favoriser) etc. Plus généralement, ils
apparaissent au niveau phrastique (les impersonnels modaux Il est
donc théoriquement possible de faire intervenir cette information. Il
semblerait
que
certains
puissent
exercer
un
certain
effet
neuroprotecteur ou tout au moins n’induisent pas les complications
produite.), inter-phrastique, textuel et non pas au niveau du lexique
verbal. La présence du locuteur est également palpable dans les
marques de la 1ère personne comme par exemple Ceci nous a conduit à
postuler ; Nous avons démontré qu’elles provoqueraient une
diminution de l’activité du signal. Selon notre hypothèse, la délétion
d’une base entraînerait un déficit de reconnaissance de ce sous-site,
etc. Les écrits scientifiques ne sont pas donc pas neutres.
Les prédicats de cause opèrent sur 6000 substantifs différents. Dans leur
grande majorité, ces substantifs désignent des faits négatifs (Gross, 2009 : 340).
(causer des dégâts, des malheurs, des catastrophes, susciter des rancunes,
157
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
dresser des obstacles). Ce constat, fondé sur l’observation d’un très vaste
corpus, amène G. Gross à la conclusion suivante : « si les relateurs de cause ont
essentiellement des compléments négatifs, c’est que les hommes ne se posent
des questions que lorsqu’ils sont dans le malheur. Quand tout va bien, ils se
contentent de vivre. ». Nous allons donc cesser ici de nous interroger davantage
sur le lexique verbal causatif dans les textes scientifiques pour passer à la
conclusion générale de ce chapitre, résumant l’ensemble des travaux consacrés à
la syntaxe et à la sémantique des prédicats causatifs.
7. Conclusion
Voici en conclusion les grandes lignes, les principaux résultats et apports
qui peuvent être dégagés de ce volet de mes recherches :
1) Elles ont établi une typologie détaillée et raisonnée des mécanismes
causatifs du bulgare comparés à ceux du français et de quelques autres
langues, d’après l’échelle de compacité du typologue australien
R.M.W. Dixon (2000) ;
2) Les phénomènes d’alternance décausative (AD) et de transitivation
causative (TC) ont été expliqués dans la perspective du changement
linguistique et de la grammaticalisation, ce qui a permis de donner un
meilleur éclairage à la direction de ces dérivations : du verbe transitif
causatif vers le verbe intransitif réfléchi pour l’AD et du verbe
intransitif vers le verbe transitif causatif pour la TC.
3) Un parallélisme a été établi entre la grammaticalisation du réfléchi en
latin et en vieux slave (autour du VIe-VIIe s.), ainsi qu’entre le
processus de transitivation causative de certains verbes intransitifs en
français et en anglais (autour du XVIe s.).
4) La comparaison entre la grammaticalisation de faire+Vinf et
l’évolution diachronique des constructions causatives en bulgare a
montré que ces processus se sont opérés dans des directions
opposées, mais en trois étapes – dans les deux cas. Cette comparaison
n’a pas fait l’objet d’autres travaux, à ma connaissance.
158
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
5) L’hypothèse de l’existence d’un certain parallélisme entre acquisition
et grammaticalisation de faire+Vinf, fondée sur les expérimentations
menées dans le cadre de la thèse de Y. Bezinska et confirmée dans
ses grandes lignes par les résultats de ces expérimentations, peut aussi
être considéré comme une nouveauté. Des rapprochements entre ces
processus ont été faits par des linguistes appartenants à différents
courants formels ou fonctionnalistes, mais aucune étude n’a été faite,
à notre connaissance, sur la construction faire+Vinf. Cet aspect de
notre étude allie les approches fonctionnelles et cognitives.
6) Les résultats de ces mêmes travaux ont montré que l’évolution vers
l’analytisme de la construction causative en bulgare (de l’infinitif
synthétique ayant une morphologie causative vers la construction
périphrastique à deux verbes ne formant pas de prédicat complexe)
faciliterait leur acquisition par les enfants bulgares.
7) L’analyse fonctionnelle, c’est-à-dire la prise en compte des
paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs, s’est avérée
particulièrement pertinente pour appréhender de façon globale le
fonctionnement des constructions faire+Vinf et se faire+Vinf.
8) L’approche contrastive a permis de nuancer ou d’affiner certains
principes typologiques comme le principe d’iconicité de Givón,
l’Hypothèse inaccusative de Levin & Rappaport ou la corrélation
entre langues synthétiques et moyens synthétiques d’expression de la
causalité et inversement, établie par Gawelko (2006).
9) Le lexique verbal causatif a été analysé dans la perspective du
raisonnement causal sur un vaste corpus d’écrits scientifiques, issu de
Scientext.
Ces recherches ont été menées sur de vastes corpus variés, dans une
perspective fonctionnelle et contrastive. A cause de leur complexité syntaxique
et sémantique, ainsi qu’à leur variété, les constructions causatives constituent un
objet d’étude fascinant dans un cadre inter- et intralangue. Je terminerai ce
chapitre sur une citation de Comrie (1981 :158) que je partage entièrement :
159
Chapitre 3. Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs
« Caustative constructions have played an important role in the
recent history of linguistics not only from typological viewepoint113,
and also represent an important area of convergence between
linguistics and such adjacent disciplines as philosophy (the nature of
causation) and cognitive anthropology (human perception and
categorization of causation). Internally to linguistics, causative
constructions are important because their study, even within a single
language, but perhaps more cross-linguistically, involves the
interaction of various components […] including semantics, syntax
and morphology. Outside typology , the study of causative
constructions has been crucial in, for instance, the development of
generative semantics.
113
Les soulignements sont de moi.
160
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
CHAPITRE 4
Combinatoire syntaxique et
lexicale des constructions
verbo-nominales d’affects
161
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
162
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
Introduction
Ce chapitre a pour objectif de récapituler les grandes lignes d’une thématique
récente de ma trajectoire scientifique, centrée sur l’étude de la combinatoire syntaxique
et lexicale du lexique des émotions. Comment en suis-je arrivée à cette problématique ?
Depuis mon intégration en tant que membre permanent du LIDILEM en 2004, j’ai
rejoint l’équipe Syntaxe & Sémantique de l’Axe 1 Descriptions linguistiques et TAL,
dont je suis devenue co-responsable avec A. Tutin depuis 2005. Mes collègues F.
Grossmann, A. Tutin, Cristelle Cavalla avaient déjà réalisé plusieurs travaux sur les
expressions semi-figées d’affect (collocations dans la terminologie de la théorie SensTexte d’I. Melc’uk.) (Grossmann & Tutin, 2002, 2003, 2005). J’ai été très bien
accueillie et j’ai découvert un aspect de la recherche que je ne connaissais pas avant, du
fait de mon parcours un peu atypique : le travail en équipe ! Je dois dire que ce travail
m’a procuré et ne cesse de me procurer beaucoup de plaisir et de satisfaction sur le plan
scientifique et humain. Le lexique des émotions a donc pris une place importante dans
mes travaux de recherche, en parallèle avec mes travaux sur les prédicats causatifs,
démarrés au cours de mon post-doc à Lausanne. Je dois dire aussi que l’étude du
lexique est loin d’être un sujet « imposé » par les circonstances, au contraire, depuis
mes études à l’Université de Sofia dans les années 80, j’ai porté un intérêt particulier au
lexique en construction pour avoir suivi les enseignements du regretté Krassimir
Mantchev qui était mon professeur de morphosyntaxe pendant mes études universitaires
en Bulgarie. Mon mémoire de maîtrise était consacré au lexique verbal (voir, regarder
et leur synonymes) et aux constructions verbo-nominales exprimant la perception
visuelle (porter un regard, jeter un regard, un coup d’oeil sur), étude menée sur un
corpus de textes littéraires (français-bulgare). Le Colloque international sur
l’enseignement et l’apprentissage le lexique en mars 2003 à Grenoble, organisé par F.
Grossmann et S. Plane, a été une opportunité qui m’a permis de revenir à cette
problématique. J’y ai présenté les aspects linguistiques et didactiques d’une méthode
originale d’enseignement du lexique élaborée sous la direction de K. Mantchev, un
travail qui a ensuite constitué un chapitre d’ouvrage (Novakova, 2004, doc 12).
Je ferai d’abord la synthèse de la méthode structurologique de Mantchev (section
1.). Dans cette même section, je présenterai les résultats d’une recherche sur les
163
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
collocations du type avoir et être +nom de sentiment en français et en russe, menée dans
le cadre du projet de thèse d’E. Bouchoueva que je co-encadre avec F. Grossman. Je
récapitulerai ensuite les principaux apports des recherches collectives menées sur la
combinatoire syntaxique et lexicale des noms d’affect (section 2.) et je présenterai enfin
le projet ANR franco-allemand EMOLEX sur le lexique des émotions dans cinq langues
européennes (section 3.).
La série de travaux, présentés dans ce chapitre, dont le fil conducteur reste la
réflexion sur le lien entre forme et sens, entre la syntaxe et la sémantique, sont fédérés
par le postulat théorique et méthodologique que le fonctionnement linguistique des
lexies ne peut être appréhendé qu’à travers leur environnement syntaxique et leurs
associations avec d’autres éléments lexicaux, autrement dit en contexte. De nombreux
linguistes (Harris, Firth) défendent l’hypothèse que le sens d’un mot peut être mis en
évidence par les environnements récurrents dans lesquels il apparaît (cf. Tutin,
2010a :118). Sur le plan didactique, cette même approche, s’opposant aux fameuses
« listes » de mots enseignées pendant longtemps dans les années 70 aux apprenants de
langues étrangères, a fait ses preuves dans les méthodes de FLE (par ex. Cavalla &
Crozier, 2005) et occupe aujourd’hui une place centrale dans l’enseignementapprentissage du lexique.
Par ailleurs, les constructions verbo-nominales d’émotion qui sont au centre de
ce chapitre constituent des associations entre un verbe et un nom qui sont liés à
différents degrés sur le plan syntaxique et sémantique. Elles constituent le noyau
prédicatif de la phrase. Mel’čuk (2003) distingue les constructions libres (donner un
livre), semi-figées (collocations) (donner un cours) et figées (donner du fil à retordre).
Le constituant verbal des associations semi-figées est nommé collocatif, terme qui
désigne un membre dépendant « choisi en fonction du premier élément et du sens à
exprimer » (Mel’čuk, 2003). Bien qu’il s’agisse le plus souvent de collocations, le terme
de construction verbo-nominale est pris dans nos travaux (Melnikova & Novakova,
2010 a et b) au sens large, en tant qu’ensemble constituant le noyau prédicatif de la
phrase, sans considération du degré de figement exact de la construction.
164
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
1. Le lexique en construction
Le linguiste bulgare K. Mantchev propose une approche du lexique conforme à
celui de la grammaire : le sens est un procès qui se construit entre deux termes, le Sujet
(S) et l’Objet (O). Le rapport S ↔O serait donc l’opérateur constructif fondamental du
langage. Ses travaux, allant au-delà de la psycho-systématique de G. Guillaume et de la
sémantique structurale de B. Pottier, créent une théorie sémantique solide, qui aboutit à
une « structurologie », autrement dit, à une « syntaxe sémantique » du français (F.
Tollis, 1991).
Le procès sémantique est un rapport orienté (une visée), allant de la première à la
seconde limite (du S vers l’O). Comme, parmi les mots, la classe qui véhicule
principalement la notion de procès est le verbe, il faut naturellement partir de lui, pour
rendre compte du procès général d’élaboration du sens. On voit bien que dans ce
modèle, le verbe constitue le noyau prédicatif de l’énoncé. De ce point de vue, il se
rapproche de la syntaxe structurale de Tesnière. Selon Mantchev, ce sont les verbes
fondamentaux être, avoir, faire qui permettraient d’atteindre les premières articulations
sémantiques du langage. Ainsi par exemple, être préexiste à pouvoir qui préexiste à
faire. Cette idée que l’on trouve en germe chez Guillaume (1964 : 72), lorsqu’il étudie
l’auxiliarité, mais aussi chez Tesnière (1965 : 72-73), à savoir que les verbes d’état être
et avoir s’opposent à faire, trouve sa forme la plus élaborée dans les travaux de
Mantchev. Ces verbes, qui véhiculent les notions sémantiques d’existence, de
possession et d’action, sont considérés comme des paliers successifs dans l’élaboration
du sens, c’est-à-dire de la sémantogénèse (la genèse du sens). Bien que le verbe
constitue l’élément central dans les deux théories (de Mantchev et de Tesnière), il n’a
pas le même statut. Une différence essentielle avec le modèle de Tesnière consiste dans
le fait que le S et l’O chez Mantchev ne sont pas directement dépendants du verbe
(noyau de la phrase)114 ; ils contribuent, à travers le verbe, à l’élaboration progressive du
sens. Le lien est linéaire, il n’y a pas de dépendance comme chez Tesnière. Or, dans le
cadre de la syntaxe de dépendance de Tesnière, le verbe a un rôle central dans la
distribution des fonctions syntaxiques dans la phrase. Comme l’indique S. Meleuc
(2000 : 75), « les verbes occupent une place plus centrale que les noms dans ce
114
Tesnière a été souvent critiqué pour avoir mis sur le même niveau de dépendance le sujet et les autres actants du
verbe.
165
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
processus de construction du discours dans la mesure où ils sont les opérateurs
d’ensembles argumentaux importants ».
Dans le modèle mantchévien, la genèse du sens s’opère sur trois niveaux. Au
premier, se constituent les rapports généraux entre le S et l’O, ce qui donne lieu aux
idées d’existence, de possession et d’action. L’idée d’existence (Dieux existe. Cela est
(existe)) suppose un rapport indivisible entre SO : (SO)→
→. Celle de possession implique
l’idée d’avoir présentée comme une inversion de l’idée de être115: Ce livre est le mien ;
J’ai ce livre. En schéma : (O→
→S) / S→
→O). Enfin, le sujet (agent) atteint sans entrave
l’objet (aboutissement), pour donner lieu à l’idée d’action (faire) : S→
→O (Les ouvriers
ont goudronné la rue).
Au deuxième niveau sont constituées les propriétés objectives du S (avec les
trois sous-catégories de être) : l’ idée d’existence pure (être1 ), l’idée d’attribution (être2,
copule),
où s’opère une séparation minimale du S et de l’O, mais l’O, au lieu de se
détacher, retourne au S pour le définir : Cela est tel, et enfin l’idée de localisation (être3)
où l’O devient une substance autonome qui se détache du S, mais à la différence de
l’idée d’action, le S se trouve localisé dans l’O: Cela est quelque part.
Au troisième niveau s’ajoute une nouvelle variable, à savoir le dynamisme du S
constitutive de ses propriétés subjectives : modalité (pouvoir, vouloir, devoir),
perception (sentir, entendre et voir), intellection (penser, comprendre, savoir).
Transposé sur l’axe horizontal, cela donne le schéma suivant, adapté selon Mantchev
(1998 :121) :
EXISTENCE
ETRE
être1
POSSESSION
être2
être3
verbes modaux
AVOIR
ACTION
perception
intellection
FAIRE
Aux deux extrémités sont représentées les idées de ETRE (simple affirmation de
l’existence du S et qui précède ses modalités) et de FAIRE (qui fait de l’O le résultat de
l’activité du S) qui sont les deux limites indépassables entre lesquelles se situe l’idée de
115
On trouve aussi cette idée chez Tesnière.
166
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
possession (AVOIR). L’idée de modalité, d’une part, et celles de perception et
d’intellection, d’autre part, assurent la transition de l’existence à la possession et de la
possession à l’action. Autrement dit, pour agir, il faut d’abord être, ensuite il faut
pouvoir, avoir, percevoir et comprendre.
Un autre aspect intéressant de la structurologie de Mantchev est que la
construction (la genèse) du sens est transposable sur l’axe allant de l’intransitivité à la
transitivité. Les verbes d’existence (être1, exister, naître, vivre, demeurer dormir,
vieillir, mourir) sont par définition intransitifs. Les verbes attributifs (être2, devenir,
sembler, paraître) reçoivent obligatoirement un complément terminant leur sens, mais
de caractère spécial. Ce n’est pas un vrai complément d’objet (cf. aussi Novakova,
2003, doc. 10): il est le point d’aboutissement du verbe, le terme auquel celui-ci tend,
mais au lieu de se maintenir en dehors du verbe, il retourne au sujet pour le qualifier.
(Cf. Il est ingénieur. Il semble fatigué)). Les verbes locatifs qui regroupent les verbes
statiques comme demeurer, rester (= être3 ), mais aussi les verbes de mouvement aller,
rentrer, marcher peuvent intégrer un complément « circonstanciel » qui est essentiel au
verbe, car non-effaçable (aller, se rendre à Paris), sans être un vrai complément d’objet,
au sens traditionnel du terme (l’action passe, transite sur l’O, car le procès ne l’affecte
pas. On peut, par ailleurs, obtenir des verbes locatifs transitifs qui sont, pour la plupart
dérivés à l’aide d’une préposition locative : (Cf. monter sur → surmonter, passer
devant→ dépasser ; aller à → atteindre). Ces verbes tendent naturellement à un
complément extérieur. De circonstance, le complément devient un complément d’objet.
C’est à partir des verbes locatifs que commence à se dessiner de façon plus nette la
notion de transitivité116. Le verbe avoir et assimilés (prendre, obtenir, recevoir, trouver)
pose l’existence absolue de l’objet. Ce sont des verbes transitifs irréversibles au
passif (Cf. Il a un père. / *Un père est eu par lui; Il a obtenu son diplôme / *Son
diplôme a été obtenu par lui ; Il a pris son billet / * Son billet a été pris par lui). Le
verbe avoir conserve un caractère purement relationnel, le « substantiel » (le sens) étant
assumé par le terme du procès (c'est-à-dire l’objet). Les verbes de perception (sentir,
voir, entendre) et d’intellection (penser, comprendre, savoir) séparent l’objet extérieur,
116
Mantchev (1998 : 118) considère que la transitivité est un terme sémantique mais dont l’application est
purement morpho-syntaxique. Sur les notions de transitivité sémantique et syntaxique, cf. aussi Desclés
(1998).
167
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
du sujet. Ils se situent dans la zone de la transitivité. Enfin, se positionnent les verbes
d’action (acclimater, aérer, affûter, ancrer, annexer, asphalter). Avec eux, le problème
de la transitivité se trouve complètement résolu : le S (le plus souvent animé), doté
d’une puissance actancielle, produit un objet (inanimé), qui est spécifié et séparé de lui.
Dans la structure directement transitive, les deux limites du procès sont complètement
élaborées et ne dépendant plus l’une de l’autre.
Dans une recherche récente, j’ai appliqué ce modèle de transitivité scalaire (le
terme n’est pas utilisé ici au sens de Hopper et Thompson, 1980117) à l’analyse de la
fluctuation de la valence verbale des verbes causatifs (communication acceptée au
Colloque international ComplémentationS, Saint-Jacques de Compostelle, 20-23 octobre
2010). Cette analyse s’avère pertinente pour rendre compte des phénomènes de
transitivité causative et d’alternance décausative. Les verbes de mouvement et de
changement d’état qui peuvent, à l’occasion, intégrer un objet et, de ce fait, acquièrent
un sens causatif (TC), se situent à mi-chemin sur l’axe allant de l’intransitivité à la
transitivité. Inversement, ces mêmes types de verbes, de construction transitive, perdent
leur sens causatif, suite à la réflexivisation (AD)
-/+
intransitif
v. existence
v. agentifs
+/- transitif
transitif
v. mouvement
v. changement
v. mouvemt v. changement
exister
rire
bouger
casser
promener (se)
décomposer (se)
naître
pleurer
sortir
exploser
lever (se)
détériorer (se)
- causativité
-/+ causativité
+/- causativité
Selon la théorie de Mantchev, le sens a sa propre syntaxe, c’est-à-dire que le sens
fondamental du verbe est de nature syntaxique. La langue se présente comme une
ordination de positions, comme une syntaxe sémantique. A la différence de la théorie
guillaumienne, cantonnée à l’étude de la langue et, en elle, « à la seule analyse de la
forme grammaticale du mot », Mantchev propose une approche du lexique hiérarchisée,
117
Hopper et Thompson (1980) distinguent la high vs low transitivity selon 9 paramètres parmi lesquels le
nombre de participants, l’aspect, le mode, le degré d’agentivité, le degré d’affectation de l’objet, etc.
168
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
qui va au-delà du mot pour se hisser au niveau syntagmatique, ensuite à celui de la
phrase et, de ce qu’il appelle la transphrase ou le texte118.
Les travaux de Mantchev ne sont pas méconnus en France. Ayant paru surtout en
Bulgarie, ils n’ont cependant pas reçu l’écho qu’ils méritaient, à cause du fait qu’ils sont
difficiles à consulter. Toutefois, F. Tollis (1991) consacre à Mantchev un chapitre de
son ouvrage. Dans l’article panoramique de J.-Ph. Saint-Gérand (1999, p. 38) qui dresse
le bilan de la sémantique du XXe s en France, les travaux de Mantchev sont également
mentionnés comme un exemple de sémiologie clairement hiérarchisée.
L’originalité du modèle de K. Mantchev consiste dans le fait qu’il a été mis en
application dans un outil pédagogique, le Cours systématique de langue française
(Partie constructive), réalisé par les membres de son équipe119 et qui constitue le cœur
de l’enseignement universitaire du lexique du FLE en Bulgarie Ce Cours est dispensé
aux étudiants en philologie française à la Faculté des Lettres de l’Université de Sofia. Il
s’agit d’un public d’étudiants d’un niveau avancé et ce, dès la première année
universitaire. Ils sont, pour la plupart, issus de lycées où le français fait objet d’un
enseignement intensif. Le Cours propose une systématisation onomasiologique de la
matière lexicale autour de sept grandes notions (ou idées) : lieu, mouvement, qualité,
quantité, possession, intellection, perception.
Il est, en fait, rare de voir une théorie mise en pratique de façon aussi détaillée et
élaborée. C’est un de ses avantages incontestables. Ainsi l’enseignement du lexique
prend plus de consistance. Son originalité consiste dans le classement du lexique,
d’abord en fonction du sémantisme des verbes fondamentaux (être, avoir, faire) et,
ensuite, en fonction du cheminement constructif des verbe sur l’axe intransitivité →
transitivité. Le Cours assure une véritable progression lexicale qui se fait selon des
critères syntaxiques et sémantiques précis. Un deuxième point fort c’est la richesse de
l’illustration, grâce aux multiples unités lexicales proposées (verbes, pour l’idée de
mouvement, par exemple, marcher, circuler, évoluer ; expressions verbo-nominales :
se mettre en marche, faire un pas vers), noms (mouvement, marche, démarrage),
118
On trouve une conception semblable à date plus récente dans Riegel (2002, p. 24) : « Le fait
proprement syntaxique qu’un verbe régisse tel nombre de compléments ou tel type de complémentation
est fondamental, déterminé par son sémantisme. […] A tous les niveaux de l’architecture de la phrase, les
configuration syntaxiques sont les vecteurs de relations sémantiques très générales (prédication,
détermination, quantification) spécifiées par l’investissement lexical de leurs positions argumentales».
119
R. Kaménova, A. Mantchéva, E. Bechkova.
169
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
constructions adverbiales : à reculons, au pas, au galop. On ne peut être indifférent
face à l’énorme travail de recensement du corpus d’exemples et ce, à une époque où les
bases de données informatisées n’existaient pas et tout était fiché manuellement. Un
autre avantage c’est la qualité des exercices qui permettent de mettre en valeur les
particularités constructives des notions étudiées et qui aboutissent à des modèles de
traductions. Ces modèles facilitent le travail individuel de traduction des étudiants.
La méthode créée il y a 30 ans environ a également ses points faibles. Dans certains
chapitres, les principes constructifs cèdent la place à des listes trop exhaustives de mots,
classés selon des critères sémantiques qui manquent parfois d’homogénéité (par
exemple, dans la phase terminale de idée de mouvement (2002 : 110-111), à côté de
quitter les lieux, prendre la porte sont rangées des expressions comme prendre le
chemin (la route), se frayer chemin, continuer sa marche, suivre son chemin, tenir la
route qui devraient être classées, respectivement dans les phases initiale et médiane).
L’abondance de la matière lexicale peut décourager les étudiants qui parfois s’y
sentent un peu perdus. Les apprenants trouvent le manuel et les concepts difficiles.
Le plus grand inconvénient, à mon avis, c’est que les inventaires d’unités lexicales
sont illustrés par des textes et des exemples presque exclusivement littéraires , certes
d’auteurs du XXème s., mais cette grosse entreprise gagnerait beaucoup si elle arrivait à
diversifier les exemples : langue orale, presse, médias. Le fait que la dernière édition
n’ait pas évolué dans ce sens me paraît fort regrettable. Il y a bien sûr des raisons
objectives à cela (manque de moyens pour remanier le tout, disparition de certains des
auteurs, le départ à la retraite d’autres). Pour remédier à cette relative lourdeur du
manuel, les enseignants qui sont actuellement chargés de ce cours procèdent de manière
sélective, en choisissant certains tableaux et exercices du manuel et en les faisant
alterner avec des exemples de textes de différents genres, plus proche de l’oralité :
presse, publicité, etc.
Malgré ces inconvénients, cette méthode n’a pas cessé de faire ses preuves. En
témoigne le niveau assez élevé de formation des étudiants bulgares dans le domaine du
lexique. J’ai pu encore le constater lors de mon séjour dans le cadre de l’échange
d’enseignants (volet Teaching Staff) du programme Erasmus en mai 2010. La méthode
repose sur une approche linguistique solide du lexique, associant le vocabulaire et la
syntaxe. Une approche que l’on retrouve sous des formes différentes dans d’autres
modèles, comme celui de M. Gross et son concept de lexique-grammaire, ou dans la
170
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
théorie Sens-Texte d’I. Mel’čuk. Les collocations, qui regroupent aussi des expressions
verbo-nominales, fournissent un accès indispensable à la langue étrangère, d’autant plus
qu’elles diffèrent d’une langue à l’autre, ce qui pose inévitablement des problèmes aux
apprenants. Ou comme l’indiquent J-P Cuq et d’I. Gruca (2002 : 364) il est nécessaire
de « faire du lexique le pivot d’acquisition autour duquel s’organise la syntaxe et plus
tard la morpho-syntaxe ».
Dans la prolongation de cette réflexion sur le fonctionnement et l’enseignement
systématique du lexique se situe un travail collectif (Novakova & Bouchoueva, 2008,
doc 17) sur les aspects linguistiques et didactiques des collocations du type avoir ou
être+Nom de sentiment (N_sent) en français et en russe. Ce travail constitue une
modeste contribution à l’application des descriptions linguistiques en didactique. On
déplore souvent, à juste titre, le manque de lien entre la recherche universitaire et sa
mise en application didactique120. Comme le remarque très justement D. Leeman
(2000 :
48) « [p]ar la différence formelle qu’elle institue, la langue témoigne d’une
différence sémantique dont elle ne donne hélas pas la clé immédiate : c’est au linguiste
d’opérer ce travail de construction du signifié à partir d’un raisonnement sur les formes,
et tant que cette tâche n’est pas menée du côté scientifique, il n’y a évidemment rien à
transposer sur le plan didactique. ».
L’étude linguistique comparée montre que les N_sent en russe sélectionnent
souvent des verbes comme éprouver et ressentir (ispitovat’ strax, žalost (éprouver de la
peur, de la pitié), là où le français préfère le verbe avoir (peur, pitié). L’étude
quantitative que nous avons effectuée sur Frantext (1950-2000, 980 textes) montrent
que avoir peur est beaucoup plus fréquent (4033 cas, 99,46%) qu’éprouver de la peur
(22 cas ou 0,54%)121. En russe, ces collocations (au sens de Mel’čuk, 2003) font plutôt
figure d’exception : imet’ nadeždu (avoir de l’espoir), imet’ strax, žalost (avoir peur,
pitié) . Parmi les équivalents les plus fréquents des associations semi-figées du type
avoir+N sent en russe, il y a aussi les constructions impersonnelles (mne strašno = à
moi peureux) et aussi les verbes de sentiment (On ispugalsja (passe perf). Il a eu peur
120
Cf. à ce sujet LIDIL No 21/ 2000.
121
Les pourcentages sont pratiquement identiques pour avoir pitié et éprouver de la pitié.
171
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
vs On bojalsja (passé imperf). Il avait peur). Ce résultat a une incidence directe sur le
plan didactique. Les constructions semi-figées constituent un domaine du lexique
difficile à maîtriser par les apprenants non-natifs. Comme l’indiquent F. Grossmann et
A. Tutin (2003 : 9/10) : « Dans l’enseignement des langues (maternelles et secondes) les
collocations doivent encore trouver leur place […]. S’il s’avère qu’une sensibilisation
aux problèmes posés par les collocations peut être utile, on peut se demander comment
l’intégrer à l’enseignement d’une langue ». Dans notre travail (doc. 17), nous avons
soutenu l’idée que même si la conceptualisation contrastive122 des collocations, qui
implique une réflexion métalinguistique sur les différences et les correspondances entre
les moyens d’expression de la langue étrangère et ceux de la langue maternelle,
concerne surtout les apprenants d’un niveau avancé, certaines d’entre elles doivent
trouver leur place dès le niveau débutant dans le cadre d’une sensibilisation langagière
(« language awareness »). Ceci est particulièrement valable pour le cas des
combinaisons avec avoir et être (avoir faim, avoir soif, être en colère) qui font partie de
vocabulaire de base, contrairement aux collocations de type peur bleue, fort comme un
turc, qui peuvent faire l’objet d’un enseignement plus avancé. S. Verlinde et T. Selva
(2001 : 47) considèrent à juste titre qu’ « [i]l serait faux de croire qu’il faut commencer
par présenter des mots isolés pour passer ensuite aux combinaisons des mots. Certaines
collocations et expressions très courantes méritent au contraire d’être introduites dès le
début ». C’est dans ce domaine que l’analyse linguistique contrastive peut trouver toute
sa place.
122
Cf. à ce sujet R. Porquier & R. Vivès (1993).
172
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
2. La combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des émotions
L’étude du lexique doit se faire donc en tenant compte de ses associations avec
d’autres éléments du contexte linguistique. Dans cette section, je ferai le point sur les
travaux concernant la combinatoire syntaxique et lexicale du lexique des émotions (pour
la définition du terme, cf. 2.1.), réalisés en équipe avec mes collègues F. Grossmann, A.
Tutin et C. Cavalla. Nous avons proposé une typologie des noms d’affect à partir de
leurs propriétés combinatoires (Tutin, Novakova, Grossman, Cavalla, 2006, doc. 15).
Toujours dans cette même lignée, un Colloque international que j’ai co-organisé avec A.
Tutin a eu lieu à Grenoble les 26 et 27 avril 2007. Un ouvrage, intitulé Le lexique des
émotions, est paru en 2009 aux Ellug (I. Novakova &A. Tutin (éd.), doc. 22),
regroupant les meilleures contributions de ce Colloque, ainsi qu’une série d’autres
articles, abordant tous de manière originale et novatrice des aspects théoriques essentiels
comme la construction du sens par la combinatoire ou des aspects appliqués à savoir
l’enseignement structuré de la phraséologie en FLE, la classification des unités lexicales
en Traitement Automatique du Langage (TAL) ou la lexicographie. Les approches
théoriques qui sous-tendent cet ouvrage, d’inspiration structurale ou cognitive,
accordent une place essentielle à la combinatoire linguistique, et ce, dans une
perspective de comparaison des langues (français, espagnol, russe, polonais, grec).
Enfin, la détermination des noms d’émotions que nous avons étudiée de manière
systématique (Novakova & Tutin, 2009, doc. 23) s’est avérée aussi un paramètre
important, à prendre en compte dans leur classification.
Une précision terminologique s’impose ici au sujet des termes d’affect, de
sentiment et d’émotion. D’un point de vue linguistique, la distinction entre ces termes
est importante et nécessaire dans un travail classificatoire du lexique concerné. Dans
nos travaux, le terme d’affect est utilisé comme classifieur générique123. Les termes de
sentiment et d’émotion, quant à eux, correspondent à des classes de noms d’affect qui
ont des propriétés syntaxiques et sémantiques différentes. (cf. 2.2.)
123
Idem chez Flaux et van de Velde (2000). Anscombre (1995), quant à lui, préfère le terme de noms
psychologiques.
173
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
2.1. La combinatoire syntaxique et lexicale : définition
Notre définition de la combinatoire est plus large que celle donnée par d’autres
auteurs comme par exemple Mel’čuk, Clas & Polguère (1995). Pour eux, la
combinatoire syntaxique (ou grammaticale) renvoie à la structure actancielle des mots,
alors que la combinatoire lexicale intègre les cooccurrences lexicales privilégiées (ou
collocations), ainsi que les relations lexicales paradigmatiques.
La notion de combinatoire intervient aussi dans la notion de « profil
combinatoire » du mot ou le « schéma des cooccurrences spécifiques » (Blumenthal,
2007a et b), défini comme « l’ensemble de ses accompagnateurs stéréotypés, porteurs
d’associations typiques. ». Dans ce modèle, les mots pleins qui apparaissent
fréquemment en cooccurrence avec le terme clé sont pris en compte, sans qu’ils
entretiennent spécifiquement une relation syntaxique. Dans notre définition (Novakova
& Tutin 2009 : 8), la combinatoire lexicale intègre les associations lexicales qui
entretiennent une relation syntaxique et sémantique avec le terme clé (p.ex. une panique
générale, semer la panique, aimer passionnément, par amour, de peur). La
combinatoire syntaxique, quant à elle, renvoie aux structures actantielles des N_sent,
mais aussi à leur association avec les déterminants qui sont révélateurs du sémantisme
de ces noms.
L’étude de la combinatoire permet de construire l’identité sémantique des unités
linguistiques à partir de l’observation de leurs propriétés formelles ; dans une optique
typologique, elle exploite les faisceaux de propriétés combinatoires pour structurer les
champs sémantiques.
2.2. Typologie des N_affect
La principale thèse soutenue dans notre travail classificatoire des noms d’affect
(Tutin, Novakova, Cavalla, Grossmann, 2006, Novakova & Tutin, 2009) est la
suivante : leurs collocatifs verbaux, nominaux, adjectivaux, ainsi que leur détermination
fournissent une base empirique solide pour décrire leurs propriétés syntaxicosémantiques. L’étude de la combinatoire des mots est avant tout une méthode qui
permet « de mettre au jour le sens des mots en fondant l’analyse sur des observables »
174
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
(Tutin, 2010a : 121) et de proposer une structuration fine des N_affect. Notre démarche
est essentiellement corpus-based (basée sur corpus) (Tognini-Bonelli, 2001), plutôt que
corpus-driven (induite par le corpus).
Je décrirai brièvement ici notre méthodologie de travail. Nous avons d’abord
établi une liste des 2000 mots les plus fréquents à partir du corpus Frantext (30 millions
de mots), puis sélectionné à l’aide des critères définitoires (combinaison avec des verbes
comme avoir, éprouver, ressentir, la présence d’un actant expérienceur (la joie de
Marie), d’un actant de type ‘objet’ (le mépris pour les faibles) ou ‘cause (la peur du
noir), les N_affect les plus fréquents et en avons retenu 40 noms124. Dans un deuxième
temps, à l’aide du TLFi, nous les avons désambiguïsés en ne retenant que les acceptions
pertinentes (par ex. pour horreur, nous avons distingué deux N_affect différents :
horreur-peur, et horreur-dégoût). Nous les avons ensuite soumis à une analyse
linguistique minutieuse, fondée sur un faisceau de traits syntaxiques et sémantiques
dont les plus pertinents se sont avérés les suivants :
- les structures actancielles : l’amour de X pour Y ; l’admiration de X envers Y
pour son courage (Z) , prototypiques des noms de sentiments interpersonnels ou
intrepersonnels causés ; la crainte de X devant Y (le directeur), la crainte +Vinf (de le
réveiller) ; la crainte+que P (qu’il parte), prototypiques des émotions ou la solitude de
X, prototypique des états affectifs ;
- l’aspect : les phases aspectuelles: inchoative, cursive, terminative : se mettre en
colère, rester en admiration devant, surmonter sa peur) ; les traits ponctuel (exploser
de colère) vs duratif (vivre dans le bonheur) ;
- la causativité (provoquer la surprise, inspirer la haine, provoquer la peur) ,
- les manifestations de l’affect (expression du visage : rougir de colère, physiques :
trembler de peu, sauter de joie, s’évanouir de terreur) ;
- le contrôle de l’affect (cacher, contenir sa joie, surmonter son chagrin) ;
- la verbalisation (dire sa peine, hurler sa joie, rugissement de colère).
124
Admiration, affection, amitié, amour, angoisse, bonheur, colère, crainte, dégoût, désespoir, douleur,
ennui, enthousiasme, estime, étonnement, excitation, fierté, gêne, haine, honte, horreur (peur), horreur
(dégoût), inquiétude, joie, méfiance, mépris, orgueil, panique, passion, peine, peur, pitié, plaisir, respect,
satisfaction, solitude, souffrance, surprise, tendresse, terreur, tristesse.
175
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
Suite à l’examen de ces traits, nous avons abouti à un classement des N_affect,
composé de six sous-classes :
C1 ‘noms d’affect interpersonnels’ {amitié, affection, amour, tendresse, haine}
regroupe les noms comportant deux actants ; le second actant est un objet
sémantique toujours sous-jacent (mais parfois non réalisé syntaxiquement) qui est
préférentiellement humain125. Les noms sont durables et ne se « contrôlent » pas.
C2 ‘noms d’affect interpersonnels causés’ {respect, mépris, estime, méfiance,
admiration, pitié} se distingue de C1 par le fait qu’elle regroupe des noms qui ont
en plus de la structure précédente un actant supplémentaire (au moins sous-jacent),
qui a un rôle sémantique de cause. Ces N_affect ont généralement une dimension
sociale, normative. Ils sont durables et ne sont pas accompagnés de verbes indiquant
le contrôle. Les collocatifs verbaux ne marquent pas les manifestations physiques
subies ni l’expressivité (comme hurler). On les rencontre, en revanche, avec des
verbes de communication comme exprimer, communiquer son N_affect.
C3 ‘noms d’affect ponctuels réactifs’ {surprise, peur, angoisse, joie, excitation,
horreur (peur), désespoir, enthousiasme, souffrance, panique, et terreur} regroupe
des noms possédant un deuxième actant, qui a un rôle sémantique de cause. Ils sont
plutôt ponctuels, comportent des verbes de manifestations subies et s’associent à des
verbes expressifs.
C4 ‘noms d’affect interpersonnels réactifs’ {colère, honte, dégoût, horreur
(dégoût), gêne, inquiétude} intègre des noms qui ont un actant au rôle sémantique
de cause, mais aussi, souvent de façon sous-jacente, un objet humain. Ce ne sont
pas de purs affects : ils ont également une dimension évaluative et morale. Ils
peuvent être ponctuels et comportent des verbes de contrôle, de manifestations
physiques subies et de verbalisation expressive.
C5 ‘noms d’affect duratifs non contrôlés’ {ennui, bonheur, solitude, plaisir,
orgueil, satisfaction, tristesse}. Leur deuxième actant, la cause, est facultatif. Ils sont
durables et n’ont pas de contrôle.
125
Les emplois avec 2ème actant [- humain] sont statistiquement moins fréquents pour être pris en
considération dans cette classe.
176
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
C6 ‘noms d’affect duratifs contrôlés’ {peine, crainte, angoisse, désespoir, douleur,
fierté, horreur (peur), joie, peur} comporte des noms ayant la même structure
actancielle qu’en C3, mais pouvant être duratifs, et souvent accompagnés de verbes
de contrôle. Ces N_affect sont par ailleurs souvent intenses.
Cette typologie en six sous-classes a permis de mieux structurer le lexique des
émotions. Elle est plus exhaustive que celle d’Anscombres (1995, 1996) qui distingue
les noms exogènes et les noms endogènes ou celle proposée par Flaux et Van de Velde
(2000) qui distinguent sentiments et émotions, mais excluent les noms affectifs d’état de
la classes des affects, ou celle encore de Buvet et al. (2005) qui distinguent trois
hyperclasses : <émotion> (colère, enthousiasme), <sentiments> (amour, jalousie).,
<humeur> (morosité).
Dans un travail ultérieur (Novakova & Tutin, 2009, doc. 23), consacré à la
détermination des N_affect, nous avons observé la façon dont ce paramètre syntaxique
permet d’en affiner la typologie. Notre hypothèse selon laquelle les propriétés
aspectuelles et la structure actancielle permettent de prédire la détermination s’est
trouvée en grande partie validée par nos observations. Nous sommes arrivées à la
conclusion que la classe des noms d’affect n’est pas homogène concernant la
détermination : contrairement à ce qui est souvent affirmé dans la littérature, les noms
d’affect ne sont pas uniquement précédés de la détermination massive (par le
déterminant partitif comme dans éprouver de la joie, de la peine). De nombreux noms
d’affect apparaissent aussi dans des distributions de noms comptables (Un N, Det_plur
N): il éprouvait une crainte, une appréhension ; susciter des affections ; attiser/nourrir
des haines. A partir des propriétés distributionnelles des déterminants étudiés, trois
classes de N_affect se sont dégagées:
Classe 1 : Les N_affect massifs
Cette classe englobe deux sous-classes de N_affect qu’on peut considérer comme
essentiellement massifs :
A. Des noms comme admiration, affection, amitié, amour, haine, estime, fierté,
177
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
mépris, méfiance, respect, pitié qui acceptent le partitif et se combinent difficilement
avec les indéfinis singuliers (sans modifieurs) et les pluriels126. Ces noms se
« multiplient » très peu. Ils sont bi-actanciels (amour, amitié, affection) ou tri-actanciels
(admiration, respect méfiance, estime). Le deuxième actant est l’objet du sentiment
(l’amour de X pour Y). Le troisième actant est interprété comme la cause du sentiment
(le respect de X envers Y pour son courage).
B. Des noms comme ennui et solitude qui sont duratifs. Ils n’ont pas de 2e actant.
Dans notre corpus, ils n’acceptent la détermination comptable (un/des) que lorsqu’ils
sont accompagnés d’un modifieur (un ennui mortel). En limitant l’extension du nom, le
modifieur (une tristesse vague, une inquiétude grandissante)) rend le nom « dosable ».
Selon Wilmet (1989 : 101) : « [s]ans doute l’adjectif contribue-t-il à quantifier le
substantif, à fixer l’extension rendant du coup inutile et même disconvenant l’article
partitif. Le nom abstrait apparaît comme fondamentalement dosable ».
Classe 2 : Les N_affect comptables
Appartiennent à cette classe des N_affect comme angoisse, colère, crainte,
désespoir, étonnement, peur, terreur, panique, surprise qui acceptent difficilement le
partitif. Ils sont généralement accompagnés de l’indéfini singulier et du pluriel (Même
ses colères deviennent abstraites. Sa santé m’inspire des craintes assez graves). Ils sont
extensifs, ont un 2ème actant cause (rarement instancié) et renvoient à des événements.
Classe 3 : Les N_affect comptables et massifs
Cette importante classe regroupe des N_affect qui acceptent à la fois une
détermination comptable et une détermination massive (bonheur, dégoût, douleur,
enthousiasme, gêne, honte, inquiétude, joie, passion, peine, plaisir, satisfaction,
souffrance, tendresse, tristesse). Ces noms apparaissent dans les deux distributions sans
contrainte particulières. La plupart des N_affect de cette classe (inquiétude, plaisir, joie)
peuvent être ponctuels, lorsqu’ils apparaissent avec l’indéfini ou le pluriel ou duratifs,
lorsqu’ils sont précédés du partitif, comme le montre le contraste dans Une inquiétude
lui traversa pourtant l' esprit (ponctuel) vs Il y avait de l'inquiétude dans son regard
(duratif), d'habitude si confiant. Cette classe montre la grande souplesse et variabilité de
126
Nous avons exclu les contextes où des noms comme amitié, amour au singulier ou au pluriel ne
renvoient pas à un affect mais à une relation (par ex. Mon premier amour était brun).
178
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
ces noms par rapport à la détermination.
Pour
résumer,
trois
grandes
tendances
se
dégagent.
Les
N_affect
interpersonnels (sentiments), comme amitié, respect (duratifs), sont en grande partie
non-comptables. Les N_affect qui renvoient à des émotions ponctuelles comme colère
ou panique sont fondamentalement comptables. Enfin, il existe des N_affect comme
plaisir ou joie, qui peuvent être ponctuels ou duratifs. On les trouve dans des
distributions massives (avec le partitif) ou comptables (avec un ou un déterminant au
pluriel). Le lien entre des phénomènes morphosyntaxiques (comme la sélection du
déterminant) et la typologique sémantique des noms est également souligné par
Blumenthal (2010)127.
2.3. Le rôle de la combinatoire pour l’identification de l’aspect des
noms d’affect
Dans deux autres publications collectives (doc 25, 26), réalisées dans le cadre du
travail de thèse d’E. Melnikova, que je co-dirige avec F. Grossmann, la problématique
de la combinatoire est abordée sous un angle différent : nous étudions son rôle pour
l’identification des traits aspectuels des noms d’affect et ce, en comparant le français et
le russe. La combinatoire syntaxique et lexicale des N_sent est révélatrice de leurs traits
aspectuels. Nous y montrons que, l’aspect étudié traditionnellement comme une
catégorie essentiellement verbale, peut aussi affecter la classe nominale (cf. le chapitre
2, section 6) et, en particulier, les noms de sentiments. Nous travaillons sur les traits
aspectuels ponctuel et duratif, ce qui correspond bien à ce que dit J. Daniel dans un
dossier spécial consacré au bonheur (Nouvel Obs, No 2303-2304, 2009): Le bonheur,
c’est la durée. La joie c’est l’instant. Notre principale hypothèse est que les noms de
sentiments se combinent avec les verbes et les autres éléments contextuels en fonction
de leurs propriétés aspectuelles.
127
L’auteur souligne que certains noms qui renvoient à des propriétés inaliénables sélectionnent souvent le
déterminant possessif (son amour-propre) ; d’autres noms qui réfèrent à des affects plus « vagues » sélectionnent
l’indéfini (une mélancolie), d’autres encore impliquent le principe de la détermination (des données connues et bien
définies) comme dans l’euphorie de la Libération. Notre étude sur la détermination des N_affect, menée dans une
perspective différente bien que toujours typologique, relie les propriétés aspectuelles et les structures actancielles des
N_affect à leur détermination.
179
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
L’aspectualité est une des propriétés de la prédicativité des noms, parmi d’autres
comme la temporalité, la modalité, les structures argumentales. Les noms d'action, de
processus, d'état ou de sentiment, étant généralement issus de verbes, sont capables de
produire des effets aspectuels comparables à ceux des verbes (Vivès, 1993).
L’aspectualité dans les constructions verbo-nominales (CVN) en russe a été surtout
étudiée à partir des noms déverbaux qui « héritent » des valeurs aspectuelles des verbes
desquels ils sont dérivés (Kossakovskaja, 2002). Il s’agit surtout de travaux sur les noms
d’action d’aspect perfectif comme padenie (chute), pryžok (saut), opozdanie (retard) ou
d’aspect imperfectif comme padanie (procès de tomber), pryganie (procès de sauter),
opazdyvanie – le procès de venir en retard). Si des N_sent comme amour, admiration,
crainte, panique peuvent “hériter” des traits aspectuels des verbes dont ils sont dérivés
(le sens du verbe est intégré dans le noyau prédicatif, Ibrahim 2004 : 53), d’autres
comme colère, joie, bonheur ne sont pas déverbaux et ont des traits aspectuels qui sont
révélés à travers leurs associations avec d’autres éléments de leur environnement, et ce
dans les deux langues. L’étude de leur combinatoire est d’autant plus justifiée (Cf.
Melnikova, 2010, Novakova & Melnikova, 2010).
Pour identifier l’aspect des noms de sentiments à l’intérieur des constructions
verbo-nominales, nous avons retenu six paramètres que nous avons appliqués aux deux
langues étudiées. Pour les verbes, il s’agit de l’aspect lexical, des temps verbaux et des
phases aspectuelles du procès, et pour le N_sent – les classifieurs aspectuels (N1 de N2
accès de joie, de colère), les modifieurs adjectivaux (peur momentanée) et les
déterminants.
2.3.1. L’aspect lexical du verbe dans la construction verbo-nominale
de sentiment (CVN_sent)
Dans les CVN de sentiment, le verbe est généralement considéré comme
support, celui qui sert à « conjuguer » les éléments nominaux, ce sont des actualisateurs
qui inscrivent ces derniers dans le temps : présent, passé, futur. Ils véhiculent aussi
d’autres informations sur la nature interne de l’événement (G. Gross , 1996 : 61). Je
180
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
n’aborderai pas ici les multiples aspects théoriques, liés à la notion de verbe support128
(Vsup), que l’on doit à Harris et en France, aux travaux de M. Gross qui ont permis de
dégager et de décrire des structures comme Paul admire Léan, Paul a (éprouve) de
l’admiration pour Léa ; Paul est admiratif envers Léa. Je ne mentionnerai que quelques
points qui me paraissent importants dans le cadre de nos recherches contrastives
(français-russe) sur l’aspectualité des noms de sentiments. Les Vsup comme avoir de
l’admiration pour qn, être en colère, faire peur (de même que donner, mettre, perdre,
prendre) sont considérés comme des verbes supports « purs , sémantiquement « vides »
(M.Gross, 1981 : 37) qui se rapprochent des verbes non-prédicatifs (copules,
auxiliaires, semi-auxiliaires). M. Gross (1981, 1998 ) y ajoute les verbes supports
stylistiquement enrichis, comme par exemple exploser de colère. Ainsi, le Vsup peut
exprimer les phases aspectuelles (G. Gross 1996) : tomber en colère, entrer en fureur
ou des aspects plus spécifiques de l’expression des sentiments : vivre dans le désespoir
ou nager dans le bonheur. Certains linguistes129 proposent d’y inclure aussi les verbes
événementiels. Du fait que les Vsup ont des variantes aspectuelles, « le lexème verbal
peut lui aussi jouer un rôle sémantique » (Gaatone, 2004 : 240-242), notamment dans
l’expression de l’aspect, du déroulement de l’action (ponctuel, duratif) . Par exemple :
Il est arrivé un malheur / (Vsup événementiel, ponctuel, Npréd processif) *Il est arrivé
un bonheur / (Vsup événementiel, ponctuel, Npréd statif).
Or, le danger dans cette acception assez large de la notion de support qui fait que
leur liste ne cesse de croître (cf. chapitre 1, section 4) est qu’en définitive on risque de
ne pas trop savoir très bien identifier ce qu’est un verbe support et ce qui ne l’est pas. Le
danger est que soient étiquetés verbes supports des verbes qui ne répondent pas aux
tests syntaxiques établis par M. Gross pour leur identification. Face à ce phénomène qui
prend de l’ampleur, nous préférons ne pas utiliser le terme de verbe support, qui est
assujetti à un certains nombre de propriétés syntaxiques et sémantique restreintes, et
nous centrer sur les affinités entre les traits aspectuels des N_sent et les propriétés
aspectuelles des verbes avec lesquels ils se combinent dans le cadre de la construction
verbo-nominale de sentiment (CVN_sent): vivre dans le bonheur (duratif) – exploser de
colère (ponctuel)), par exemple Je contemplais (atélique) ce bonheur, cette beauté avec
128
Cette question a été abordée sous l’angle de la notion de prédicat nominal dans le chapitre 1, section 4.
129
Cf. Gaatone (2004 : 245).
181
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
amertume (Hugo) vs Sa peur s’ajoutant à son extrême fatigue, une colère soudaine
envahit (télique) Robinson (Tournier).
2.3.2. Les temps verbaux en français et les aspects verbaux en
russe
L’aspectualité dans les CVN s’exprime aussi à travers les temps verbaux.
L’imparfait correspond souvent au passé imperfectif en russe : Et puis, en vérité, il avait
peur !... (G.Leroux) Da, on i v samom dele bojalsja (passé imperf). Le passé composé a
fréquemment comme équivalent le passé perfectif en russe :
Madame a eu peur, naturellement, et elle a crié… (G.Leroux)
Gospoža, ponjatnoje delo, ispugalas’ (passé perf) i zakričala (passé perf).
En russe, les temps verbaux ne jouent pas de rôle distinctif dans la détermination
des aspects, mais c’est la morphologie verbale qui indique l’aspect perfectif ou
imperfectif du verbe. L’aspect est codé morphologiquement sur le verbe, ce qui permet
de mieux appréhender l’aspectualité dans les CVN_sent en français :
Neožidanno bystroje ispolnenije moix tajnyx želanij menja i obradovalo (perf) i
ispugalo (perf) (Tourgueneff)
La réalisation soudaine de mon désir voilé me remplit de joie et d’appréhension.
Les verbes perfectifs obradovat’ (préfixe ob-) i ispugalo (préfixe is-) sont rendus
en français par remplir de joie et d’appréhension; remplir est télique et apparaît ici au
passé simple ; il véhicule donc des traits aspectuels ponctuels. En revanche,
l’imperfectif au passé radovalis’ dans l’exemple suivant est rendu en français par ils se
réjouissaient, verbe atélique employé à l’imparfait qui exprime l’aspect duratif :
Na drugoj den’, na tretij opjat’ točno takže vse radovalis’ pri vstreče s nim.
(Tolstoï)
On ne se réjouissait pas moins de le revoir encore le lendemain et le
surlendemain.
182
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
Si l’on compare les CVN dans les énoncés : Une colère sèche m'envahissait peu
à peu (B. Vian) et Une colère soudaine envahit Robinson (M. Tournier), le verbe
envahir est télique mais possède une valeur d’inaccompli dans le premier cas (la colère
envahit le personnage progressivement, peu à peu,) et une valeur globale d’événement
(envahit au passé simple) dans le second, renforcée par l’adjectif ponctuel soudaine. Le
rôle de l’environnement sémantique et syntaxique du verbe est également très important
pour spécifier l’aspect (Novakova, 2001 : 221).
2.3.3. L’expression des phases dans les CVN_sent en français et en
russe
Les N_sent ponctuels entrent facilement en combinaisons avec des verbes
exprimant le début et de la fin du procès (respectivement ses phases inchoative et
terminative) : se mettre en colère (prixodit’ v jarost’), la colère tombe (gnev spadajet) ;
tandis que les N_sent duratifs ont une affinité pour la phase cursive (être en admiration,
byt’ v vosxiščenii):
• Aspect ponctuel+ phase initiale
La belle Normande entra dans une colère terrible (E. Zola),
Pjotr Stepanovič vošel v črezmernyj gnev (F. Dostoïevski)
Pierre Stépanovitch entra dans une grande colère (explosa en colère).
• Aspect ponctuel + phase terminale
Il cessa d’avoir peur de l’orage
Elle surmonta sa peur.
Ona poborola (passé perf) svoj strax.
Les N_sent duratifs, quant à eux, expriment préférentiellement la phase cursive
du sentiment, et ce dans les deux langues:
Aspect duratif + phase cursive
Tu répands en nous un bonheur infiniment simple. (Saint-Exupéry),
On prodolžal (passé imperf) byt’ v vosxiščenii […] (Dostojevskij)
Mitia continuait à être en admiration […].
De côté des noms de sentiments, nous avons exploré trois combinaisons : N1 de
N2, les modifieurs (une colère soudaine) et la détermination.
183
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
2.3.4. Les classifieurs
Dans les structures binominales N1deN2 (moment de joie, accès de colère ,
années de bonheur, le classifieur N1 peut aussi être révélateur des traits aspectuels du
N_sent (N2) (Tutin et al., 2006), comme d’ailleurs en russe et N1N2(gén) (gody
sčast’ja)). Ainsi, accès, bouffée(s), instant(s), éclat(s), flot(s), explosion, coup(s) sont
des classifieurs d'aspect ponctuel (J’appris à ne jamais agir sous le coup de la colère . Il
y avait eu de brefs éclairs de joie). En russe, on trouve des classifieurs du même type,
tels que pristup (accès), poryv (élan), vsplesk (transport, mouvement), mig (moment),
udar (coup), vzryv (explosion), priliv (flot). Pour l’aspect duratif, le français et le russe
disposent de classifieurs comme années (gody), jours (dni), moments (momenty, minuty)
de joie, de bonheur. Par exemple, céder sous le coup de colère, ustupat’ poryvu gneva
(ponctuel) vs songer aux années de bonheur, mečtat’ o godax sčast’ja (duratif).
2.3.5. Les modifieurs
Les adjectifs modifieurs peuvent aussi véhiculer des nuances aspectuelles (GirySchneider 1996). Ils ne sont pas seulement ponctuels (immédiat, instantané, soudain))
ou duratifs (continu, long, tenace) mais aussi inchoatifs (liminaire, inaugural, naissant),
terminatifs (terminal, finissant) ou itératifs (quotidien, continuel, habituel) . Par
exemple : En se jetant du haut du rocher, Zaza prétendait garder son bel amour intact
et le bonheur éternel (Hanska). Glebov ispytal mgnovennyi gorjačij strax (Trifonov).
Glebov éprouva une peur momentanée et chaude. Toute la combinatoire ici – le verbe
ispytal (passé perf) éprouva, le nom peur associé à l’adjectif momentané - révèle
l’aspect ponctuel de la CVN_sent.
2.3.6. La détermination
La détermination massive et comptable reste une particularité du français qui, en
combinaison avec les N_sent, contribue à exprimer des valeurs ponctuelles ou duratives
(cf. section 2.1.). Le russe, qui ne dispose pas de déterminants (définis, indéfinis,
partitifs), a recours à de multiples moyens, tels que les classifieurs, les déterminants
démonstratifs ou indéfinis ou simplement à l’absence de déterminant.
184
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
Les N_sent d’aspect ponctuel, c’est-à-dire ceux qui se combinent avec les verbes
téliques (saisir / sxvatit’, pojmat’, prendre / vzjat’, envahir / oxvatit’, soulever /
podnjat’) et les classifieurs nominaux ponctuels (explosion / vzryv, bouffée, élan, accès,
excès, transport / pristup, poryv, …) acceptent facilement la détermination comptable
(doc 22, doc. 26). Le russe utilise dans ces cas des classifieurs comptables + nom au
génitif (pristup + gneva (gén.) / (accès de colère) qui sont des équivalents de un N_sent
en français; des déterminants démonstratifs (etot / celui-ci, tot / celui-là), indéfinis
(kakoj-to / quelque, un, une) ou le numéral cardinal (odin / un) :
Une colère l’envahit. (Saint-Exupéry)
Ego oxvatil
pristup
gneva.
Lui (gen.) envahir (passé, perf., sg) accès (nom.)
colère (gén.)
Un accès de colère l’envahit.
La détermination massive concerne plutôt les N_sent duratifs comme
bonheur (sčast’je), joie (radost’), peur (strax, bojazn’). En français ils se combinent
facilement avec le déterminant partitif qui n’existe pas en russe.
Leur amour était devenu de la peur. (E. Zola)
Eta strast’ prevratilas’ v ø bojazn’.
Cette passion se transforma (passé, perf.) en peur.
Le nom peur précédé du partitif est rendu en russe à l’aide du nom bojazn’
(crainte), dérivé du verbe bojat’sia (imperf.) avoir peur sans déterminant. L’absence
de déterminant est un procédé fréquent en russe pour rendre le partitif français :
Il naissait en lui de la joie ou de la tristesse. (R. Sabatier).
V nem rozdalas
ø radost ili ø
ø grust
En lui naître (passé, imperf.) ø joie (acc., sg) ou ø tristesse (acc., sg)
En lui naissait de la joie ou de la tristesse]
En bref, les classifieurs, les modifieurs et la détermination ont une incidence sur
le calcul de l’aspectualité des CVN_sent.
185
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
2.4. Bilan
L’approche contrastive a permis de mieux mettre en évidence les traits
aspectuels des N_sent. Le tableau qui suit (issu du doc. 25) est une synthèse des six
paramètres que nous avons étudiés afin de déterminer l’aspectualité des CVN_de
sentiment dans les deux langues :
Les paramètres
aspectuels révélés
1. A partir du Vsup
1) l’aspect lexical
2) l’aspect
grammatical
3) les phases
aspectuelles
2. A partir du Npréd
1) les classifieurs
2) les modifieurs
3) la détermination
En français
En russe
CVN télique
(tomber en admiration)
1 CVN perf.
(Prijti v vosxiščenie)
2 CVN imperf.
(prixodit’ v vosxiščenie )
Temps verbaux (formes
Aspects morphologiques
lexico-grammaticaux (hors
simples (inaccompli) il
contexte) imperfectif prixodit’ v
entrait souvent en rage /
formes composées (accompli) jarost’ / perfectif prijti v jarost’
hier il est entré en rage
Les phases (inchoative,
Vpat’ v (se mettre en)/ byt’ v
cursive et terminative) sont
(être dans)/ poborot’
exprimées par le sens lexical (battre,surmonter) N_sent
des Vsup (se mettre en, être
dans, sortir de)
Classifieurs ponctuels (pristup
Classifieurs ponctuels
(accès, bouffée(s), instant(s), (accès), poryv (élan), vsplesk
(transport, mouvement) /
éclat(s)) / classifieurs
classifieurs duratifs (gody, dni,
duratifs (années, jours,
momenty, minuty)
moments)
Modifieurs ponctuels
Modifieurs ponctuels
(soudain, immédiat,
(vnezapny, skory, sijuminutny) /
instantané) / modifieurs
modifieurs duratifs
(prodolžitelny, dlinny, stojky)
duratifs (continu, long,
tenace)
Comptable (indéfini) un
Comptable (classifieurs
N_sent / Massive (partitif)
comptables, déterminants
(du N_sent)
démonstratifs et indéfinis, les
numéraux cardinaux) / Massive
(N_sent au sg, absence de
partitif)
Tableau 15. Les six paramètres d’étude de l’aspectualité des CVN_sent
Si les traits aspectuels véhiculés par les N_sent français et russes sont similaires,
les deux langues se distinguent surtout au niveau de l’aspect du verbe (morphologique
en russe, temps verbaux en français) et de la détermination (absence de déterminant
186
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
défini ou partitif en russe, compensée par la présence de classifieurs comptables ou non
comptables).
Ces travaux constituent un apport à l’étude de l’aspectualité en français et en
russe. Ils s’inspirent, de façon large, de la théorie du Lexique – Grammaire de M.
Grosse, du Sens-Texte d’I. Mel’čuk, mais aussi d’autres théorie aspectuelles comme
celle de Bondarko, de Z. Guentchéva et de J.-P. Desclés, de L. Gosselin.
3. Le projet Emolex
L’expertise de l’équipe de l’Axe 1 du Lidilem dans le domaine du lexique des
émotions a été reconnue par l’ANR et la DFG (Deutsche Forschungsgemeinschaft).
Notre projet Emolex sur Le lexique des émotions dans cinq langues européennes :
syntaxe, sémantique et dimension discursive se situe dans la prolongation des travaux
réalisés et résumés précédemment. L’équipe française, dont je suis le responsable est
composée de 10 membres, l’équipe allemande (Cologne-Osnabrück - l’équipe de D.
Siepmann), sous la responsabilité de P. Blumenthal - de 7 membres (cf site web du
projet
provisoirement
hébergé
dans
Mozilla
à
l’adresse :
http://aiakide.net/emolex/spip.php?article1). Ce travail, très prenant et passionnant à la
fois, me permet d’acquérir une expérience précieuse dans l’animation d’un grand projet
de recherche.
3.1. Objectifs et assises théoriques
Le projet a trois principaux volets : linguistique, didactique et TAL. Le principal
enjeu linguistique consiste à proposer, à partir d’un cadre théorique articulant les
approches “représentationnistes” et “instrumentalistes” (sens-concept vs sens-usage),
une analyse exhaustive multidimensionnelle du comportement combinatoire
(syntaxique et lexématique), des valeurs sémantiques et des rôles discursifs des lexies
des émotions dans cinq langues européennes (allemand, français, anglais, russe et
espagnol). Le choix de ces cinq langues n’est pas arbitraire. Il a été motivé par les
compétences des deux équipes : français et russe pour l’équipe grenobloise, allemand,
anglais et espagnol (pour les équipes de Cologne-Osnabrück). Cette analyse exhaustive
débouchera sur une “cartographie” des N_émotion dans les cinq langues choisies. Ceci
187
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
permettra de mieux structurer le champ lexical des émotions par rapport à ce que
proposent les études existantes. Cette « cartographie » contribuera au développement
d’applications nouvelles en didactiques des langues étrangères, en lexicographie et en
TAL. Notre objectif sera de proposer de nouveaux matériaux didactiques pour
l’enseignement / apprentissage des associations lexicales privilégiées dans telle ou telle
langue (par ex. rouge de colère, red with rage, rot vor Wut) dans le but d’une meilleure
acquisition des collocations, d’un réemploi systématique dans une activité de production
de texte ou de communication orale. Grâce à une modélisation des phénomènes
combinatoires du lexique des émotions, il contribuera à améliorer les microstructures du
dictionnaire où il est difficile d’intégrer
des contextes larges. Il permettra enfin
d’améliorer les applications logicielles existantes pour la recherche d’occurrences et de
structures syntaxiques dans de grands corpus multilingues et de créer de nouveaux
outils encore plus performants. Emolex réunit les compétences de linguistes, de
didacticiens et de spécialistes en TAL. Il se situe au carrefour de la recherche
fondamentale et appliquée.
Ces objectifs aussi bien théoriques qu’appliqués reposent sur la complémentarité
des deux approches, qui s’alimentent mutuellement dans un cercle herméneutique (cf. le
projet Emolex (p. 24-26)130. Les approches représentationnistes partent d’une certaine
conceptualisation de la réalité qu’elles tentent de retrouver dans l’usage. Ces approches
fondées sur l’empirie relativisent l’autonomie du sens lexical et font entrer en ligne de
compte les relations entre les mots et leur contexte syntagmatique (on pourrait y
rattacher le Lexique-Grammaire de M. Gross ou la théorie Sens-Texte de Mel'čuk, Clas
& Polguère 1995). Il s’agit d’identifier des dimensions sémantiques pertinentes et les
relier aux structures syntaxiques. Les combinaisons lexicales sont au centre de la
réflexion comme, par exemple, dans la théorie Sens-Texte qui a été appliquée à la
lexicographie du russe (I. Mel'čuk et A. Žolkovskij, 1986), du français (I. Mel'čuk et al,
1984-1999), de l’espagnol (M. Alonso Ramos, http://www.dicesp.com/). L’enjeu pour
les théories représentationnistes consiste à imbriquer plus étroitement la notion
paradigmatique de « sens » et la notion syntagmatique de « combinatoire », ce qui
permettrait, d’une part, de fournir une description des champs lexicaux qui soit valide
130
Cette synthèse des approches est due à une collaboration fructueuse lors de la rédaction du projet entre
S. Diwersy, V. Bellosta et I. Novakova.
188
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
d’un point de vue onomasiologique et, d’autre part, de mettre au point des procédés
d’analyse de textes entiers utilisables dans une optique sémasiologique (cf aussi à ce
sujet Mel'čuk, 2001).
Les théories instrumentalistes prennent comme point de départ un certain usage
des mots pour en dériver des schémas sémantico-cognitifs qui, à leur tour, suggèrent
une conceptualisation spécifique du monde. En s’inspirant des positions théoriques sur
le langage de Wittgenstein tardif (2006: §§ 23, 43), les approches instrumentalistes
identifient le sens d’un mot à son usage. Parmi ces approches, l’une des théories les plus
solidement établies est le contextualisme britannique, qui se situe dans le sillage de J. R.
Firth131. Selon cet auteur, le sens vient aux mots grâce à leur usage avec d’autres mots
dans un environnement syntagmatique commun. Le contextualisme prend pour
principale source de connaissances l’usage et pour principal objet d’analyse le(s)
texte(s). Cette analyse lexicale à dominante inductive (corpus-driven) a été théorisée par
J. Sinclair (1991). Il y ébauche un lexical grammar qui confère aux séquences
polylexicales (semi-)figées (lexical items) le statut d’unité sémantique de base. Ces
approches ont également pour objectif de déterminer les dimensions sémantiques du
lexique en étudiant les différents types de préactivations (primings, cf. la Lexical
Priming Theory de Hoey, 2005), générées par l’occurrence de ce lexique non seulement
dans les collocations et associations sémantiques mais aussi discursives : interaction du
mot avec les relations de cohérence dans le discours (associations sémanticodiscrusives) ou son interaction avec des positions spécifiques d’un texte (colligations
discursives, Hoey, 2005 : 13)
Ces théories constituent des assises théoriques solides pour les aspects
syntaxiques et sémantiques du fonctionnement du lexique des émotions, ainsi qu’à ses
aspects discursifs. La combinaison de ces deux approches sera testée sur de grands
corpus multilingues, comparables et alignés. Ceci est rendu possible grâce à la
complémentarité des deux approches. Le représentationnisme part d’une certaine
conceptualisation de la réalité qu’il tente de retrouver dans l’usage dans l’objectif
d’établir des classements subtils des unités linguistiques; l’instrumentalisme prend
comme point de départ un certain usage des mots pour en dériver des schémas
131
Pour une présentation générale du contextualisme, cf. Firth (1957, 1968), Halliday (1961), Léon (2007).
189
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
sémantico-cognitifs qui, à leur tour, suggèrent une conceptualisation spécifique du
monde. Quant à savoir si le sens doit être identifié au concept ou à l’usage, c’est une
question de point de vue : le premier se focalise sur la fonction de représentation du
langage, le second sur sa fonction de communication .
3.2. Méthodologie de l’étude linguistique132
Puisqu’il s’agit de comparer les lexies des émotions dans cinq langues, notre
point de départ est forcément onomasiologique. Nous nous proposons dans un premier
temps d’établir une quinzaine de classes sémantiques correspondant à des sousdomaines du champ des émotions tels que la ‘joie’, la ‘tristesse’, la ‘colère’, la ‘peur’, le
‘respect’, regroupant les lexies des émotions les plus fréquentes (par ex. pour le sousdomaine du ‘respect’ : estime, égard, pour celui de la ‘colère’ : fureur, rage, pour celui
de la ‘joie’ : bonheur, bien-être), extraites des corpus électroniques des cinq langues
retenues (pour tous les détails sur les types et la taille des corpus multilingues, cf.
Annexe 1). Il s’agit pour l’instant d’étiquettes conventionnelles de travail permettant
une première investigation empirique. Les sous-domaines seront ensuite affinés et une
définition rigoureuse de chaque étiquette sera proposée. Un travail similaire a été
effectué à Grenoble sur un corpus de 850 000 mots de textes littéraires français (Cf.
Augustyn, Ben Hamou, Bloquet, Goossens, Loiseau, Rinck, 2008). A titre d’exemple,
dans ce corpus, 270 noms d’émotion associés à ces classes (au nombre de 27) ont été
recensés et classés selon le critère de fréquence mais aussi d’autres critères comme la
polarité (positif/négatif), l’intensité133 (haute, moyenne, basse) de l’émotion ou les
niveaux de langue (courant, littéraire, familier). Si le point de départ est donc
onomasiologique qui consitue notre tertium notionnel, nous adopterons par la suite une
démarche sémasiologique en étudiant les profils combinatoires et fonctionnels des noms
qui en font partie. Se pose ici le problème de la désambiguïsation du sens, car ce type de
lexique est fortement polysémique (Goossens, 2008) : par exemple horreur appartient à
la fois au domaine de la peur et du dégoût ; la douleur peut être physique ou morale. Le
132
La mise en place de la méthodologie du projet (3.2.) et de l’étude-pilote (3.3.) est le résultat de
plusieurs réunions pendant la rédaction et après l’acceptation du projet. J’insiste sur le fait que sa
conception et, bien sûr, sa réalisation en cours sont le fuit d’un travail collectif qui a montré une véritable
synergie entre les approches et les méthodes de travail entre les équipes française et allemande.
133
Sur l’intensité des adjectifs des émotions, cf Grossman&Tutin (2005).
190
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
projet permettra d’envisager un traitement interlinguistique des phénomènes
polysémiques qui nous semble riche en perspectives. Bien que les noms occupent une
place centrale à cause de leur combinatoire très riche, cette dernière fait également
apparaître d’autres catégories grammaticales dans les listes de fréquences des lexies,
comme par exemple les adjectifs134, les verbes, les adverbes qui soulèvent également
des questions importantes et complètent la structuration inter- et intralangue du champ
du lexique émotionnel.
S'y ajoutera comme nouvelle orientation de recherche (fonctionnelle et
macrolinguistique) l'analyse du « profil d'intégration textuelle » d'un mot donné, ce
profil résultant de son amorçage colligationnel (par ex. dans quelles proportions peur
apparaît en position de sujet syntaxique et dans quelles visées discursives ?) et de
différents types de préactivation discursive : collocations textuelles (lexical chains,
Hoey, 2005), associations sémantico-textuelles (le choix de telle ou telle lexie au service
des procédés discursifs et argumentatifs dans le texte), colligations textuelles (tendances
des lexies à apparaître au début, au milieu ou à la fin du paragraphe et du texte) (Hoey ,
2005).
Enfin, nous établirons les classements des lexies des émotions pour chaque
langue, établies au moyen de méthodes variées telles que l’échelonnement
multidimensionnel (multidimensional scaling, Blumenthal, 2009), l’analyse factorielle
des correspondances ou le clustering. Nous comparerons ces « cartes » permettant
d’établir les relations de proximité distributionnelle et sémantique entre les noms
d’affect dans une langue, mais aussi une comparaison entre les structures de champs
sémantiques appartenant à plusieurs langues (cf. Blumenthal 2007b et 2009).
Notre
étude
sera
donc
transcatégorielle
(noms-verbes-adjectifs),
multidimensionnelle et multilingue. Elle sera effectuée sur de vastes corpus que nous
sommes en train de récolter pour les cinq langues. Ces corpus seront équilibrés en taille
et aussi en genre (littéraires et journalistiques). A l’issue de cette 1ère année du projet, on
disposera de corpus comparables et de corpus alignés bilingues : fr-all, fr-angl, fr-esp,
134
Ainsi l’étude effectuée à Grenoble sur le lexique émotionnel révèle 250 adjectifs fréquents qui
appartiennent à une des vingt-sept classes nominales d’émotions recensées comme par ex. chagriné,
découragé, désespéré, mélancolique pour la classe de la ‘tristesse’, heureux, joyeux, plaisant pour la
classe de la ‘joie’, etc.
191
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
fr-russe, grâce au logiciel Alinéa, de notre collègue O. Kraif (2006). Ce travail prévoit
aussi l’annotation des relations de dépendances syntaxiques unifiée sur le plan
interlinguistique. Une fois ce travail préliminaire fini, nous disposerons d’outils
d’interrogation et d’extraction d’occurrences des corpus, développés par nos équipes
(Diwersy 2007, le concordancier ConcQuest, Kraif, 2008) et adaptés à nos besoins.
3.3. L’étude-pilote
Afin de réaliser ce vaste programme, les deux équipes se sont mises d’accord
pour tester une grille de paramètres linguistiques sur trois champs notionnels, à savoir
celui de la SURPRISE, du REGRET et de la DECEPTION. Notre étude est encore à son
début. Pour l’étude des lexies allemandes/espagnoles/anglaises/russes, on partira de
l’équivalent de l’élément « central » de chaque champ français (ex. : respect, déception,
etc.), puis on élargira vers des synonymes nominaux, adjectivaux et verbaux. Ainsi par
exemple, le champ notionnel de SURPRISE est composé des noms étonnement,
stupeur, surprise, des verbes épater, étonner, frapper, stupéfier , surprendre, des
adjectifs étonnant, étonné, surprenant, surpris), celui de DECEPTION de amertume,
déception, dépit, du verbe décevoir, des adjectifs décevant, déçu,
enfin celui de
RESPECT est composé de estime, respect ; estimer, honorer, respecter, respectueux.
Ces listes de candidats ont été établies en nous fondant sur les 270 noms , 250 adjectifs
et 393 verbes recensés dans le cadre du projet PPF, réalisé en 2005 à Grenoble, et après
avoir testé leur fréquence dans FRANTEXT (sur un corpus de 30 millions de mots).
D’autres recherches plus précises seront effectuées une fois nos corpus littéraires et
journalistiques mis en place. Chaque champ regroupera donc des noms, verbes et
adjectifs135 qui sont morphologiquement dérivés ou des synonymes (dérivés
morphologiques et sémantiques). Nous essayons de fixer, dans la mesure du possible,
des paramètres communs aux trois catégories de lexies afin d’arriver à un traitement
linguistique homogène. Nous retrouvons la même préoccupation dans Buvet et al.
(1995 : 138-139) : « un traitement conjoint des différentes formes est nécessaire pour
établir des classes de prédicats ». Dans cette étude, les classes de prédicats (<amour>,
135
Les travaux d’Anscombres (1995, 1996) portent exclusivement sur les noms, ceux de Mathieu (2000,
2008) sur les verbes. Buvet et al. 1995 proposent l’étude des lexies des émotions par racines prédicatives.
192
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
<colère>, <joie>, <gaité>), sont fondées sur la synonymie de leurs constituants
respectifs. Mais comme l’indiquent les auteurs, la proximité sémantique n’est pas
suffisante pour regrouper les différents prédicats dans une classe, ils doivent avoir des
fonctionnements formels similaires, par ex. d’habitude gaité et joie sont donnés comme
synonymes (pareil pour gai et joyeux), mais ces lexies n’ont pas le même comportement
syntaxico-sémanique (Buvet et al, 2005). Une démarche similaire est appliquée pour le
traitement des verbes par Y.Y. Mathieu (2000) : les verbes y sont regroupés d’emblée
selon leur proximité de sens, puis les classes obtenues sont évaluées du point de vue de
leur comportement syntaxique. Les propriétés syntaxiques viennent en quelque sorte
confirmer le classement. Notre démarche consistera plutôt à regrouper les lexies dans
des champs notionnels selon leur proximité sémantique, que nous soumettrons à une
analyse fondée sur un faisceau de traits syntaxico-sémantiques, pour ensuite obtenir des
classes forcément différentes de celles de départ, car les lexies regroupées selon la
synonymie très souvent n’ont pas de comportement linguistique identique.
L’étude sera basée sur les traits linguistiques retenus dans Tutin et al. (2006,
doc. 15) et sera enrichie d’autres traits. Pour les noms, le faisceau de traits sera
forcément plus riche, à cause de leur combinatoire plus riche. A l’étude des structures
actancielles, de l’aspect, de la causativité, des manifestations (ces traits ont été déjà
résumés dans 2.2.), d’autres comme la polarité négative (sentiments désagréables):
peur, tristesse, irritation, positive (sentiments agréables) amour, intérêt, passion, ou
neutres comme étonnement et indifférence et l’intensité amour→ passion→
fascination, ou inquiéter (neutre) → terrifier (beaucoup) → effaroucher (un peu) (cf.
Mathieu, 2000) sont ajoutés. Dans notre démarche, notre attention est centrée sur les
collocatifs relatifs à ces traits. Par exemple, la polarité négative s’exprime souvent par
des combinaisons lexicales renvoyant à des mouvements vers le bas (plonger, sombrer
dans le désespoir). En revanche, l’inverse ne paraît pas être systématique (sauter de
joie). Ces traits sont en quelque sorte « transversaux », car ils concernent à la fois les
verbes, les noms et les adjectifs. Ils sont aussi important du point de vue didactique : les
apprenants classent facilement espoir et désespoir comme respectivement des
sentiments positif et négatif.
193
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
Pour les verbes, les traits retenus sont : l’aspect (l’aspect lexical du verbe,
ponctuel136 pour agacer, effrayer ou duratif obséder, aigrir), la combinaison avec les
verbes de phases aspectuelles commencer à, rester en, finir de), les associations avec
des adverbiaux comme éléments de la combinatoire lexicale (appelés prédicats
appropriés dans la théorie des classes d’objets de G. Gross) qui, à travers certaines
restrictions, permettent de définir entre-autres l’aspect des verbes de sentiments comme
par exemple : A 5 heures du matin, Luc étonna (agaça+effraya ) Marie vs *A 5 heures
du matin, Luc obséda (rongea, endurcit, aigrit) Marie137. A ces traits s’ajouteront les
structures actancielles et les rôles sémantiques des actants (X cause V Y humain (Le
bruit effraie Paul), X cause V+N à Y humain (Le bruit fait peur à Paul). Un autre trait
essentiel aussi bien pour les noms que pour les verbes, la causativité permet de
distinguer deux grandes classes au sein des verbes de sentiments (Mathieu, 2000) : la
Classe I : (adorer, aimer) Marie adore le bruit , où le Sujet est l’expérienceur, tandis
que le complément est l’objet ou la cause du sentiment et la Classe II : (irriter,
déplaire) causatifs Le bruit irrite Marie, où le S est la cause et l’objet – l’expérienceur .
Les nominalisations (Ceci étonne Léa, Léa éprouve de l’étonnement devant l’attitude de
Marie), les constructions passives et, plus généralement, les diathèses constituent un
autre poste d’observation important pour les verbes (en lien avec la dimension
discursive) X tracasse Y, Y se tracasse, Y est tracassé par Y.
Enfin pour les adjectifs, la combinatoire avec les adverbes pourrait être aussi
intéressante, ainsi que les constructions attributives (être, demeurer stupéfait) et l’aspect
résultatif (déçu, étonné), duratif (coléreux, amoureux), ponctuels (surpris, effrayé,
agacé). Tous ces traits seront, bien sûr, affinés lors de l’étude linguistique qui débutera
en 2011, une fois les corpus multilingues mis en place.
Pour le volet discursif, d’autres critères tels la « saturation » et de « centrage »
(respectivement sur le sujet ou sur l’objet) seront testés autour de la problématique de
l’actualisation/progression thématique/progression à thème constant au niveau textuel
(dans des textes littéraires et journalistiques).
136
Pour Y.Y. Mathieu (2000), la majorité des verbes de sentiment sont ponctuels.
137
Exemple emprunté à Y.Y. Mathieu (2000).
194
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
4. Conclusion
Les travaux résumés dans ce chapitre ont tous pour fil conducteur la construction
du sens dans le cadre d’associations verbo-nominales exprimant des affects. La théorie
structurologique de Mantchev m’a servi de point de départ dans cette réflexion sur le
lexique en construction (doc. 12 ), complétée par la suite par d’autres modèles ayant le
même objet, à savoir le Sens-Texte de Mel’cuk ou le Lexique-Grammaire de M. Gross
(doc. 17). L’étude de la combinatoire syntaxique et lexicale s’est avérée primordiale
pour la typologie des noms d’affects. La répartition des noms d’affects en six classes en
fonction de leurs collocatifs, et plus généralement, de leurs propriétés syntaxiques et
lexicales, constituent un des principaux apports des travaux collectifs auxquels j’ai
participé et qui ont été résumés dans ce chapitre (doc. 15). A cela s’est ajoutée l’étude
de la détermination des noms d’affects (doc. 23) qui a permis aussi d’en affiner le
classement. Il s’est avéré que l’aspect des N d’affect comme leurs structures actancielles
présentent des corrélations avec la détermination comptable et massive. Ce résultat
important a été exploité dans le travail de thèse d’E. Melnikova et dans les publications
collectives qui en sont issues (doc. 25 et 26) et qui étudient de façon globale et
systématique l’aspectualité des constructions verbo-nominales de sentiments en français
et en russe. La nouveauté de ce travail consiste dans le fait que la question de
l’aspectualité des noms de sentiments n’a pas fait l’objet d’une étude systématique en
français et en russe et encore moins dans une perspective contrastive. Enfin, notre
expérience dans le domaine de l’étude du lexique des affects a découché sur le projet
ANR-DFG Emolex qui me permet d’acquérir une précieuse expérience dans l’animation
de projets scientifiques, ainsi que d’établir et d’affiner les classements des lexies des
émotions en français en comparaison avec quatre langues européennes dans le but
d’élaborer des cartographies, utiles à la théorie linguistique, mais aussi à
l’enseignement/apprentissage de ce genre du lexique et du lexique en général.
En résumé, les études sur la combinatoire syntaxique et lexicale des unités
linguistiques, menées au niveau syntagmatique et phrastique, peuvent être étendues au
niveau discursif et textuel ; elles sont également liées à la problématique de la
prédication (Vcollocatif+N_affect) et, plus généralement, à la construction du sens de
l’énoncé.
195
Chapitre 4. Combinatoire syntaxique et lexicale
196
Conclusions et perspectives
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
Arrivée à la fin de ce travail de synthèse, j’aimerais d’abord dire que je l’ai
trouvé bien stimulant et bénéfique. Bénéfique, car il m’a permis de prendre le recul
nécessaire pour une meilleure prise de conscience des enjeux théoriques qui soustendent mes recherches. Stimulant aussi, car il a m’a permis d’expliciter davantage
quelques positions que j’ai défendues à travers mes travaux et que je résumerai ici.
1. Les avantages d’une approche inter-langues
La comparaison entre plusieurs langues, perspective dans laquelle s’inscrivent
pratiquement l’ensemble de mes recherches, constitue un précieux filtre d’éclairage des
faits de langue étudiés. Elle fait apparaître des particularités linguistiques qui ne
ressortiraient pas nécessairement d’une analyse unilingue. Ceci est valable pour l’étude
de la temporalité et de l’aspectualité en français en comparaison avec le bulgare et le
russe. Ce qui en ressort, c’est que premièrement, l’aspect verbal dans les langues où il a
été morphologisé, permet de mieux appréhender les valeurs aspecto-temporelles des
verbes en français. Mais l’inverse est aussi vrai : l’observation fine de l’aspectualité en
français qui nécessite la prise en compte de plusieurs paramètres au niveau
syntagmatique, phrastique, textuel (ou contextuel au sens large) a montré que ces
paramètres ne peuvent qu’enrichir et affiner l’analyse de l’aspect dans les langues
slaves. L’analyse contrastive révèle aussi plusieurs incohérences dans la terminologie
grammaticale qu’utilisent les différentes langues et les difficultés que cela pose aux
apprenants des langues étrangères. Toutes ces questions ont fait l’objet de mon livre
Sémantique du futur (2001), paru dans la prolongation de ma thèse de Doctorat.
197
Conclusions et perspectives
Plus tard, ma réflexion s’est élargie à l’aspectualité de la catégorie nominale,
considérée traditionnellement comme peu concernée par l’aspect. Les études sur des
corpus français et russes ont montré des affinités aspectuelles entre les noms d’affects et
les verbes avec lesquels ils s’associent (par exemple exploser de colère (ponctuel) vs
vivre dans le bonheur (duratif)). D’autres paramètres comme les phases aspectuelles (se
mettre en colère, être en colère, apaiser, calmer sa colère), les modifieurs (bonheur
éternel, peur momentanée), la détermination (Une colère l’envahit vs Il naissait en lui de
la joie et de la tristesse) permettent de dégager des valeurs aspectuelles spécifiques au
noms d’affects, et ce dans les deux langues comparées.
L’approche inter-langues est aussi au cœur du projet ANR Emolex en cours
(2010-2012). Il s’agit de comparer le fonctionnement des lexies des émotions dans cinq
langues européennes du point de vue syntaxique, sémantique et discursif.
La comparaison de (se) faire+Vinf avec les verbes et les constructions causatives
en bulgare m’a permis de mieux appréhender le fonctionnement du prédicat complexe
en français, mais aussi de mettre en évidence certaines spécificités des structures
causatives bulgares.
Toutes ces réflexions ont impulsé la publication d’un ouvrage intitulé Lexique et
grammaire : regard croisés (2010), en collaboration avec E. Dontchenko de
l’Université d’Etat d’Astrakhan, qui fait le point sur les enjeux actuels de la linguistique
contrastive, ainsi que sur le rôle des différents types de corpus disponibles actuellement
qui constituent des outils précieux faisant avancer, indéniablement, ce domaine de la
linguistique.
2. Les avantages d’une approche fonctionnelle structuraliste
Ayant toujours essayé de mieux comprendre les nuances de sens que véhiculent
des formes syntaxiques en concurrence, mais aussi la motivation qui détermine le choix
du locuteur pour telle ou telle forme (par exemple Elle se marie/va se marier/se mariera
l’an prochain ou Delphine sort/fait sortir la voiture du garage, ou encore Le président
Chirac s’est fait plébisciter /a été plébiscité par les jeunes), je suis arrivée à la ferme
conviction que seule une approche globale, holiste, transcatégorielle, alliant l’analyse
des paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs permet de rendre compte, de la
198
Conclusions et perspectives
manière la plus satisfaisante possible, de leur fonctionnement. Ici, c’est la perspective
fonctionnelle qui s’est avérée particulièrement apte à rendre compte des spécificités des
différentes structures. La typologie fonctionnelle permet de comparer des données
observables dans les différentes langues, données rattachées aux mêmes domaines
notionnels. Je défends un fonctionnalisme structuraliste au sens de Saussure, où tout est
relié, tout se tient dans la langue, où les différentes valeurs des formes n’apparaissent
qu’en opposition. Dans le même temps, les différents composants de l’organisation
linguistique du langage sont reliés à sa fonction essentielle, celle de communication
qu’il est également nécessaire de prendre en considération dans les analyses. Aborder
ainsi la matière linguistique signifie mettre l‘accent sur la corrélation sens-forme-usage.
2.1. Les avantages d’une analyse par la grammaticalisation et le
changement linguistique
La grammaticalisation (on parle de théorie de la grammaticalisation, Combette
et al., Lamiroy) est un des thèmes de prédilection de la typologie à l’heure actuelle
(Croft, 1998). Ceci montre l’importance que celle-ci accorde à la diachronie et aux
aspects dynamiques du langage.
La problématique de la grammaticalisation est présente dans plusieurs de mes
travaux. C’est le cas de ceux qui traitent des formes futures en français et en bulgare où
je retrace leur évolution historique (à partir du verbe modal xoteti (vouloir)
grammaticalisé dans le morphèmes šte du futur bulgare ou à partir de la structure
cantare habeo qui a donné je chanterai en français). La grammaticalisation explique
aussi le fonctionnement syntaxique actuel de faire+Vinf en tant que prédicat complexe
en français, ainsi que l’usage fréquent de se faire+Vinf comme équivalent du passif (Il
s’est fait agresser → Il a été agressé). Ici aussi, la comparaison de l’évolution
historique de la construction causative périphrastique bulgare (karam Ivan da raboti,
inciter Ivan à travailler) avec celle du prédicat complexe faire+Vinf en français s’est
avérée fort instructive. En bulgare, on observe le passage d’une construction synthétique
du type Verbe+Vinf à une construction analytique V1 + complétive, à cause de la
disparition de l’infinitif et du passage de cette langue vers l’analytisme. Ceci permet
aussi d’expliquer les moindres difficultés qu’ont les enfants bulgares à l’acquérir.
199
Conclusions et perspectives
La grammaticalisation permet aussi d’expliquer le sens de l’alternance
décausative : du verbe transitif vers le verbe réfléchi (vzrivjavam vs vzrivjavam se, par
ex. Les soldat explosent la bombe vs La bombe s’explose.), phénomène assez rare du
point de vue typologique mais très présent dans les langues slaves et qui constitue un
des principaux moyens d’expression de la causalité au niveau lexical dans ces langues.
Le sens de la dérivation ne peut être expliqué que par la grammaticalisation plus tardive
du réfléchi en vieux slave. Inversement, le sens de la dérivation de l’intransitif vers le
transitif causatif (la transitivation causative) en anglais (move, melt, walk) surtout, mais
aussi en français (démissionner, bouger, sortir) et dans d’autres langues, est également
expliqué grâce au changement historique qui s’est produit à peu près à la même époque
en anglais et en français (autour du XVe s).
Au cours de mes recherches, je me suis rendue compte de la puissante valeur
explicative de la grammaticalisation. Ce détour vers la diachronie me paraît
particulièrement éclairant en ce qui concerne le fonctionnement des formes en
synchronie.
3. Les prédicats et la prédication
Il me reste enfin à expliciter mon positionnement par rapport à la notion de
prédicat sous l’angle des différentes problématiques de mes recherches. Les
questionnements que je me suis posés ont impulsé la coordination, avec Z. Guentchéva,
du No 37 de la revue LIDIL sur la Syntaxe et la Sémantique des prédicats .
Personnellement, je définis le prédicat d’un point de vue syntaxique : il s’agit du verbe
(noyau de la phrase), organisateur des relations actancielles dans la phrase et qui y
remplit la fonction prédicative par excellence. Dans l’analyse des relations prédicatives
dans la phrase, les fonctions grammaticales des actants sont associées à des rôles
sémantiques (agent, bénéficiaire, patient, expérient, cause, etc). C’est une conception
que l’on trouve chez Tesnière (on lui reproche une certaine confusion des plans
syntaxique et sémantique dans l’analyse des actants) ou chez Lazard. Une telle
définition exclut une acception logique de la notion de prédicat (en termes de
thème/rhème, ce qui est dit de ce dont on parle), ainsi qu’une acception très large du
prédicat (à la Harris). De plus, le verbe est associé à des marques (appelées opérateurs
200
Conclusions et perspectives
ou actualisateurs selon les théories) d’aspects, de mode, de temps. L’aspectualité, la
temporalité, la modalité (les travaux résumés dans le chapitre 2) sont, avec les structures
actancielles du verbe, les éléments constitutifs de la prédicativité.
Par ailleurs, les prédicats causatifs (structures monoclausales (complexes) ou
biclausales), leur grammaticalisation ou évolution historique, sont un terrain
d’investigation très fertile en ce qui concerne la notion de prédicat. Enfin, la
problématique de la combinatoire syntaxique et lexicale des constructions verbonominales d’affects pose aussi des questions très intéressantes, liées aux notions de
prédicat nominal et de verbe support. Notre analyse (Melnikova & Novakova, 2010) du
statut du nom dans les constructions verbo-nominales de sentiments peut être résumée
comme suit : il s’agit d’une expansion d’un verbe, que le nom choisit et avec lequel il
forme un tout qui constitue le noyau prédicatif de la phrase (exploser de colère,
éprouver de la peur). Du point de vue syntaxique, le nom de sentiment a un statut
particulier, ce n’est pas un vrai complément du verbe, mais il n’est pas non plus le seul
élément « prédicatif » dans la phrase. La combinatoire syntaxique et lexicale des noms
d’affects permet aussi de révéler l’aspectualité des constructions verbo-nominales
contenant un N_affect.
La problématique de la combinatoire a donné lieu à un ouvrage collectif Le
Lexique des émotions (2009, I. Novakova & A. Tutin dir.), où les questions des
paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs qui la composent, de la prédicativité
des N_affects sont traitées dans une perspective inter-langues.
4. Perspectives de recherches
Un des principaux défis que j’aurai à relever dans les quelques années à venir
consiste dans la réussite du projet Emolex. Ce projet collectif me permet d’acquérir une
précieuse expérience dans l’animation scientifique, dans la coordination d’un important
projet ANR d’envergure européenne. Sur le plan scientifique, il offre un vaste chantier
de recherche : il permettra d’établir une structuration du lexique des émotions dans cinq
langues, de mettre en évidence les propriétés syntaxiques, sémantiques et discursives
des différentes lexies exprimant des émotions (noms, verbes, adjectifs).
201
Conclusions et perspectives
Je souhaite aussi réaliser un autre sujet qui me tient à cœur, à savoir faire une
étude comparative du fonctionnement des diathèses en français et en bulgare, une
problématique qui, à ma connaissance, n’a pas été explorée jusqu’à présent pour
l’ensemble des diathèses dans les deux langues.
J’espère que les compétences que j’ai acquises dans les différents domaines de
mes recherches me permettront de continuer à encadrer des étudiants désireux de
travailler sur différents sujets à l’interface entre la syntaxe et la sémantique dans une
perspective contrastive. L’expérience montre qu’il existe une demande non négligeable
d’encadrement dans ce domaine.
J’espère aussi pouvoir continuer mes recherches dans le même esprit d’équipe,
enrichissant et stimulant, dont j’ai pu bénéficié jusqu’à présent au sein du LIDILEM.
202
Annexe
PROJET EMOLEX
CORPUS MULTILINGUES
1.1. Corpus français
Corpus
Période
MotsType de corpus
occurrences
Langue
Presse
nationale
(Le 1993-2004
Monde, Libération, Le
Figaro, L'Humanité)
491.000.000 Textes
journalistiques
français
Presse
régionale
(Est 2002
Républicain, Sud Ouest)
116.000.000 Textes
journalistiques
français
Frantext - Romans
1950-2000
16.000.000
Textes littéraires
français
français Fiction
1950-2006
47.000.000
Textes littéraires
français
Période
MotsType de corpus
occurrences
Langue
1995-2002
364.000.000 Textes
journalistiques
allemand
TOTAL:
670.000.000
1.2. Corpus allemands
Corpus
Überregionale Presse
(F.A.Z., Frankfurter
Rundschau, Südallemande
Zeitung, Tagesspiegel)
TOTAL:
364.000.000
203
Annexe
1.3. Corpus anglais
Corpus
Période
MotsType de corpus
occurrences
Langue
English National
Newspapers (The Times,
The Guardian, Daily Mail)
1993-2006
310.000.000 Textes
journalistiques
anglais
English Local Newspapers
(Aberdeen Evening
Express, Cheddar Valley
Gazette, Brentwood
Gazette)
2005-2006
60.000.000
anglais
English Fiction
1950-2008
100.000.000 Textes littéraires
TOTAL:
Textes
journalistiques
anglais
370.000.000
1.4. Corpus espagnols
Corpus
Période
MotsType de corpus
occurrences
Langue
Prensa nacional (El Mundo, 1997-2002
El País)
142.000.000 Textes
journalistiques
espagnol
(www.elaleph.com)
120.000.000 Textes littéraires
espagnol
1960-2009
TOTAL:
262.000.000
1.5. Corpus russes
Corpus
Période
MotsType de corpus
occurrences
Langue
Obščenacional'nye gazety
(Izvestija, Nezavisimaja
Gazeta)
2002-2003
53.000.000
Textes
journalistiques
russe
Russcorpora
1960-2008
32.000.000
Textes littéraires
russe
Lib.Ru – Novaja proza
1990-2000
13.000.000
Textes littéraires
russe
TOTAL:
98.000.000
204
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Mannheim/Wien/Zürich, Bibliographisches Institut (Duden-Sonderreihe
vergleichende Grammatiken 1).
224
Curriculum vitae
CURRICULUM VITAE
IVA NOVAKOVA
Nom patronymique: NIKOLOVA
Nom marital:
NOVAKOVA
Prénom(s):
IVA
Née
le 08.071959, à Sofia, Bulgarie.
Nationalité :
française et bulgare
Etat civil :
mariée, un enfant
Grade :
Maître de conférences, 7ème section du CNU.
Etablissement :
UFR Sciences du Langage, Université Stendhal Grenoble 3,
Laboratoire LIDILEM EA 609 (Laboratoire de linguistique et de
didactique des langues étrangères et maternelles)
Langues :
français, bulgare, russe, anglais, allemand
1. Formation et déroulement de carrière
• Maîtrise de français ((1977-1981), Université de Sofia, Bulgarie
• Traductrice à l’Agence Sofia-Presse (1981-1991)
• Enseignante de français (lexicologie et syntaxe) à l’Université de Sofia
(Bulgarie) (1982-1987)
• Enseignante de français au Lycée de Nabeul (Tunisie) (1991-1993)
• DEA (1993-1994), Université Grenoble3, Sciences du langage: Linguistique et
didactique des langues, « Moyens d’expression de l’aspect en français et en bulgare »,
sous la direction de M. Maillard, Mention Très Bien.
• Doctorat 3e cycle (1994-1998), Université Grenoble3, Sciences du langage
« Temporalité, Modalité et Aspectualité au futur. L’exemple du français et du bulgare »,
sous la direction de Michel Maillard. Mention Très honorable avec félicitations.
• Membre invitée du Séminaire de linguistique (Linguistisches Kolloquim) de
l’Institut de philologie romane de l’Université Ludwig Maximilian de Munich,
Allemagne (1998-2001)
• Post-doc (2000-2002), Section des langues slaves, Faculté des Lettres, Université de
Lausanne, Suisse. La construction factitive faire +Vinf et ses équivalents en bulgare,
sous la direction de P. Sériot.
• Vacataire (2001-2002) à l’UFR des Sciences du langage (Linguistique générale,
sémantique)
225
Curriculum vitae
• ATER (2002-2004) UFR Sciences du langage (Lexicologie, Syntaxe)
• Maître de Conférences (depuis 2004), UFR Sciences du langage (Syntaxe générale
et française)
2. Animation et responsabilités scientifiques et administratives
• 1998 -2002 : Initiatrice et membre du Comité d’organisation des Journées
linguistiques franco-allemandes (1998 -2002), Munich. Rencontre annuelle entre
linguistes français et allemands dans l’objectif de la mise en place d’un échange
scientifique et de thèses en cotutelle.
• Depuis 2005 : Co-responsable avec A. Tutin du Séminaire Syntaxe& Sémantique
(Séminaire mensuel réunissant des chercheurs, doctorants et étudiants en Master autour
des problèmes d’interface syntaxe et sémantique) dans le cadre de l’Axe 1 du Lidilem
Descriptions linguistiques : syntaxe, sémantique, pragmatique et TAL.
• Depuis 2006 : Co-responsable du Programme 1 Interactions Syntaxe et Sémantique au
sein de l’Axe 1 du LIDILEM Descriptions linguistiques : syntaxe, sémantique,
pragmatique et TAL
• 2006 : Membre du Comité scientifique du Colloque international Cedil (04-07.07.
2006), Grenoble.
• 2007 : Co-organisatrice avec A. Tutin du Colloque international « Le lexique des
émotions et sa combinatoire syntaxique et lexicale », 26-27 avril 2007, Grenoble. Coéditrice de l’ouvrage Le Lexique des Emotions (2009), Grenoble, ELLUG.
• 2007 : Co-organisatrice avec Ch. Surcouf du Séminaire annuel du LIDILEM sur le
Temps (aspects linguistiques, philosophiques, psychologiques et informatiques)
réunissant des spécialistes confirmés du domaine, 29 juin 2007, Grenoble (cf. site du
Lidilem, http://w3.u-grenoble3.fr/lidilem/labo/).
• 2008 Coordination avec Zl. Guentchéva du No 37/2008 de la revue Lidil Syntaxe et
sémantique des prédicats.
• 2009 : Co-organisatrice avec J. Puckika du Séminaire annuel du LIDILEM
Linguistique et Cognition, le 26 juin 2009, Grenoble ((cf. site du Lidilem, http://w3.ugrenoble3.fr/lidilem/labo/).
• 2010 : Membre du Comité scientifique du Colloque international Cedil (29.06.-02. 07.
2010), Grenoble
• depuis 2008 : Membre du Comité de lecture de la revue Lidil
• depuis 2008 : Membre de la Commission consultative des spécialistes (CCS), 07ème
section, Université Stendhal, Grenoble 3
• depuis 2008 : Membre élu du Conseil d’UFR des Sciences du langage, Université
Stendhal, Grenoble 3
226
Curriculum vitae
3. Projets de recherche financés : participation et coordination
• 2006-2010 : Participation au projet SCIENTEXT (ANR) sur le positionnement et le
raisonnement de l’auteur dans un grand corpus d’écrits scientifiques, (resp. F.
Grossmann et A. Tutin, http://scientext.msh-alpes.fr/scientext-site/spip.php?article1)
• 2006-2010 : Participation au programme « Discours scientifique » de l’axe 4 du
Cluster 14 de la Région Rhône-Alpes (Enjeux et représentations de la science, de la
technologie et de leurs usages, resp. A. Tutin et F. Boch).
• 2007-2011 : Participation au projet PPF FULS : Formes et usages des lexiques
spécialisés en vue d’exploitations didactiques en FLE et FLM (resp. C. Cavalla).
http://webtek-66.iut2.upmf-grenoble.fr/index.php?dossier_nav=648
• 2009-2012 : Responsable du projet EMOLEX (ANR-09-FASHS-017) Le lexique des
émotions dans cinq langues européennes : études sémantique, syntaxe et dimension
discursive. (Responsable du projet, côté allemand, financé par la DFG, P. Blumenthal).
http://aiakide.net/emolex/spip.php?article1
4. Rayonnement (collaborations scientifiques internationales)
• Depuis 2005 : collaboration scientifique avec les chercheurs de l’Université de
Cologne et d’Osnabrück (Allemagne) qui a donné lieu à des publications, des colloques,
et au Projet Emolex (2009-2012).
• Depuis 2006 : collaboration avec les enseignants-chercheurs de l’Université d’Etat
d’Astrakhan (Russie) : direction de stages de recherches d’enseignants-chercheurs de
l’Université d’Astrakhan au LIDILEM
• 2008 : Invitation dans le cadre de la Convention de collaboration entre l’Université de
Grenoble et l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie) pour un cycle de cours et de
conférences invités (20 heures au total) que j’ai assurés au Département de français de
cette université (niveau licence et Master 1-2) du 7 au 14 septembre 2008.
• 2010 Publication d’un ouvrage international en linguistique contrastive Grammaire et
lexique : regards croisés, coédition des Ellug (Grenoble) et de l’Université d’Etat
d’Astrakhan (I. Novakova & E. Dontchenko (éds))
5. Encadrements de thèses, de mémoires de maîtrise, de stages
5.1. Co-encadrement de thèses :
[1] Y. Bezinska (depuis 2005) « L’acquisition des constructions causatives chez des
enfants bilingues (français-bulgare) » (coencadrement : Novakova 60%; Chevrot,
40%)
227
Curriculum vitae
[2] E. Bouchoueva (depuis 2005) « La combinatoire syntaxique et lexicale des noms
d’affect en français et en russe (étude contrastive) ». (coencadrement Novakova 60%;
Grossmann 40%)
[3] E. Melnikova (depuis 2006) « L’aspectualité des constructions verbo-nominales
exprimant des sentiments en français et en russe » (coencadrement Novakova 60% ;
Grossmann 40%; bourse de cotutelle avec l’Université d’Astrakhan, Russie)
[4] B. Tzaneva (depuis 2006) « Etude syntaxico-pragmatique de la personne en français
et en bulgare (coencadrement Novakova 60%, de Nuchèze 40%, bourse de cotutelle
avec l’Université de Sofia)
[5] O. Spiridonova (depuis 2008) « La conscientisation comme moyen d’intériorisation
de l’article par les apprenants – russophones du FLE », encadrement à 100%, dérogation
accordée par l’ED et le CS de l’Université Stendhal (bourse de cotutelle avec
l’Université de Nijni Novgorod, Russie).
5.2. Encadrement de Mémoires Master
[1] Y. Bezinska (2004-2005) Mémoire Master 2 « Etude exploratoire sur l’acquisition
du factitif chez deux enfants bilingues (français-bulgare)» (coencadrement :
Novakova 60%; Chevrot 40%), Mention Bien.
[2] E. Bouchoueva (2003 -2004) Mémoire Master 1, « Les noms du champ sémantique
de la tristesse en français et en russe (études contrastive) » (coencadrement :
Novakova 60%; Grossmann 40%), Mention Bien.
[3] E. Bouchoueva (2004-2005) ) Mémoire Master 2 « Les équivalents russes des
collocations française du type avoir + nom de sentiment (étude contrastive) »
(coencadrement : Novakova 60%; Grossmann 40%), Mention Bien.
[4] E. Yurovskikh (2006-2007) Mémoire Master 2 « Expression de la cause en français
et en russe », soutenu avec mention TB.
[5] Nuttakarn Srilerdfa (2007-2008) Mémoire Master 1
faire+Vinf : étude fonctionnelle »
« La construction se
[6] Monika Bak (2007-2008) Mémoire Master1 « L’acquisition de l’article par des
apprenants polonais du FLE ». Mention Bien.
[7] Yanitsa Dimitrova (2009-2010) Mémoire Master 1 « Le genre grammatical en
français et en bulgare ». Mention Bien
[8] Marina Postnikova (2009-2010) Mémoire Master 2 « Les constructions figées
portant sur les noms de métier en français et en russe ».
[9] Monika Bak (2009-2010) Mémoire Master 2 « Le raisonnement causal dans les
textes scientifiques », mention TB
5.3. Encadrement des stages de chercheurs étrangers au LIDILEM
[1] E. Melnikova (2005) (Université d’Astrakhan, Russie), stage de trois mois sur le
thème « Etude comparée de l’aspect et des modes d’action en français et en russe »,
228
Curriculum vitae
[2] A. Salkhenova (2007) enseignante à l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie) (3
mois) « L’expression du temps et de l’aspect grammatical en français, russe et kazakh »
[3] E. Dontchenko, (2009) MCF, Directrice du Département de langue française à
l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie)(3 mois), « La catégorie du temps en français
et en russe ».
6. Enseignements
Licence Sciences du langage
Licence 1
Semestre 1. Initiation à la syntaxe (responsable)
Semestre 2. Les unités syntaxiques et leurs relations. Le syntagme verbal.
Licence 2
Semestre 3. Les unités syntaxiques et leurs relations. Le syntagme nominal et le
syntagme adjectival (responsable)
Semestre 4. Les unités syntaxiques et leurs relations. Adverbiaux et relationnels
Licence 3
Semestre 6. Syntaxe générale et française
Master Sciences du langage « Descriptions linguistiques »
Master 1. Descriptions syntaxiques
Master 1 (2010) Diversité des approches syntaxiques
A partir de 2011 Master Sciences du langage. "Langage, Parole, Variations"
Master 1 (semestre 1) Syntaxe générale
Master 1 (semestre 2) Descriptions linguistiques (avec M. Piot).
229
Curriculum vitae
230
Liste exhaustive des travaux
LISTE EXHAUSTIVE DES PUBLICATIONS,
COMMUNICATIONS, COMPTES-RENDUS, CONFERENCES INVITEES
IVA NOVAKOVA
1.1. Publication et direction d’ouvrages :
[1] Novakova I. (2001) Sémantique du futur. Etude comparée français-bulgare,
L’Harmattan, Paris, 396 p.
[2] Novakova, I. & Guentcheva Z. (Ed.) (2008). Syntaxe et sémantique des
prédicats, LIDIL 37. ELLUG. Présentation, 6-22.
[3] Novakova, I. & Tutin A. (Ed .) (2009). Le Lexique des émotions. Grenoble,
ELLUG, 350 pages. Introduction, 5-17.
[4] Novakova, I. & Dontchenko E. (Ed) (2010) Grammaire et lexique: regards croisés .
coédition entre l’Université d’Etat d’Astrakhan et les ELLUG, Grenoble, 250 pages.
Introduction, 7-16.
1.2. Chapitres d’ouvrages :
[5] Novakova I. (1999) « Une approche transcatégorielle pour l’analyse du futur simple
et du futur périphrastique français » in Mélanges de linguistique, sémiotique et
narratologie, dédiés à la mémoire du Professeur Krassimir Mantchev, à l’occasion de
son 60e anniversaire, Université de Sofia - Editions Colibri, 1999, Bulgarie, 301-323.
[6] Novakova I. (2004) « Approche lexicale des expressions verbo-nominales en
français langue étrangère » in Didactique du lexique : contextes, démarches, supports,
E. Calaque & J. David (éd.), De Boeck, Bruxelles, 89-103 (Chapitre 6).
[7] Novakova, I. (2006) La transitivation causative : approche contrastive et
typologique, in D. Lebaud, C. Paulin, K. Ploog (Ed.), Constructions verbales &
production de sens. Presses universitaires de Franche-Comté, 115-126.
[8] Novakova, I., Bouchoueva, E. (2008a) Les collocations du type avoir et être + N
sentiments en français et en russe. Aspects linguistiques et didactiques, in F. Grossmann
& S. Plane (Ed.), Les apprentissages lexicaux. Lexique et production verbale, 219-233.
Septentrion.
[9] Novakova, I & Tutin, A. (2009) Les émotions sont-elles comptables ? in Novakova
I. & A. Tutin (Ed.), Le Lexique des émotions ELLUG, 65-79.
[10] Novakova I. (2010) « Quels enjeux pour la linguistique contrastive ? Sur l’exemple
des constructions causatives en français et en bulgare » in Novakova I. & E.
Dontchenko (Ed.) Grammaire et lexique: regards croisés, Presses universitaires de
l’Université d’Etat d’Astrakhan (Russie) et les ELLUG (Université de Grenoble), 3958.
231
Liste exhaustive des travaux
1.3. Articles dans des revues avec comité de lecture :
[11] Novakova I. (1995) Sur les systèmes aspecto-temporels du français et du bulgare,
in Contrastive Linguistics 6/1995, Sofia: Université de Sofia, 5-14.
[12] Novakova I. (1995) Unifier la terminologie des tiroirs verbaux - une utopie? in
LIDIL 14 / 1997, Grenoble: PUG, 91-112.
[13] Novakova I. (1998a) L’expression de l’idée d’avenir en français et en bulgare, Le
Langage et l’Homme, Vol. XXXIII N°1, mars 1998, Bruxelles -Louvain: Peeters, 5-20.
[14] Novakova I. (1998b) De la mobilité des « temps » verbaux sur l’axe chronologique
en bulgare et en français (approche contrastive), Le Langage et l’Homme, vol. XXXIII
No 2-3, septembre 1998, Bruxelles-Louvain, Peeters, 203-214.
[15] Novakova I. (2000) Le Futur antérieur français: temps, aspect, modalités in
Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, Band 110; Heft 2, F. Steiner Verlag,
Stuttgart, 112-135.
[16] Novakova I. (2001) Fonctionnement comparé de l’aspect verbal en français et en
bulgare in la Revue des Etudes Slaves, Paris, LXXIII/1, 2001, 7-23.
[17] Novakova I. (2003a) Sur la notion d’attribut en français et en bulgare in SCOLIA,
No 16 / 2003, Strasbourg, 207-222.
[18] Novakova I. (2003b) Le factitif français : approche syntaxique, sémantique et
contrastive (français-bulgare), in TRANEL No 37 / 2002, Suisse, 93-113
[19] Novakova I. (2005) Bouge ta ville ! De l’emploi transitif de verbes intransitifs avec
un sens causatif, in Faits de langues No 25 / 2005. L’exception, 141-147.
[20] Novakova I (2006a) De la langue de bois à la langue des médias, ou comment une
« petite » langue comme le bulgare évolue au gré des changements politiques, in
Bulletin suisse de linguistique appliquée, No 83/2, 187-199.
[21] Tutin A., Novakova I., Grossmann F., Cavalla C. (2006b) Esquisse de typologie
des noms d’affect à partir de leurs propriétés combinatoires, in Langue française 150,
32-49.
[22] Novakova I. (2009b), La dimension textuelle des tiroirs futurs en bulgare et en
français, Faits de langues, 33, 211-220.
1.4. Communications à des congrès internationaux ou nationaux avec
publications dans des actes ou des ouvrages avec comité de lecture
[23] Novakova I. (2000) Comment le féminin fonctionne-t-il en français et en bulgare ?
Communication présentée au Colloque international sur Le genre dans les langues,
cultures et littératures, Funchal, Madère, 24-27 novembre 1999, parue in E. Almeida &
M. Maillard (éds) O Femino nas Linguas; Culturas e Literaturas; Funchal,
Universidade de Madeira, 307-317.
[24] Novakova I. (2001) Quelques réflexions sur la terminologie relative au système
verbal français et bulgare, Communication affichée, présentée au Colloque international
232
Liste exhaustive des travaux
Métalangage et terminologie linguistique, 14-16 mai 1998 à l’Université Stendhal,
Grenoble III; parue en version intégrale in Métalangage et terminologie linguistique,
Actes du Colloque international de Grenoble, Colombat, B. & M. Savelli éd. ; Orbis /
Supplementa, Peeters, 2001) 943-959.
[25] Novakova I. (2003) Il faut te sortir pour te divertir un peu » : du « mauvais »
français ou évolution linguistique, observable dans d’autres langues aussi ? (De
l’emploi transitif de certains verbes intransitifs avec un sens causatif en français,
bulgare, russe et anglais) in Actes provisoires du Colloque sur L’Exception, T.2,
organisé par Faits de langues, Paris 3 et 5, 10-11 juin 2003, Paris, 290-304.
[26] Bezinska Y, Chevrot J.-P., Novakova I. (2008) La construction faire+Vinf :
approche linguistique et acquisitionnelle in Durand , B. Habert, B. Laks (éds) Actes du
1er Congrès mondial de linguistique française (CD-Rom), Paris, 9-12 juillet 2008,
1695-1709.
[27] Novakova I. (2008), Faire+Vinf : une analyse fonctionnelle, Communication
présentée au Colloque international Morphologie, syntaxe, sémantique : même combat
? , Oviedo, Espagne, 25-27 septembre 2008, parue en version intégrale et révisée in
Alvarez Castro, Bango de la Campa, Donaire (éds) (2010) Liens Linguistiques. Etude
sur la combinatoire et la hiérarchie des composants , Peter Lang, Bern, 461-474.
[28] Novakova, I. (2009a). La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle, parue
en version intégrale in E. Havu, J. Härmä, M. Helkkula ; M. Larjavaara et U. Tupmarla
(éd.), La langue en contexte, Actes du Colloque international Les Représentation du
sens linguistique (RSL IV), Helsinki, 27-29 mai 2008, Mémoires de la Société
Néophilologique de Helsinki, LXXVIII, 107-120.
[29] Melnikova E., Novakova I., Kraif O. (2009b) Quels corpus pour l’analyse
contrastive ? L’exemple des constructions verbo-nominales de sentiment en français et
en russe, in Actes des 6e Journées de la Linguistique de Corpus, Lorient (10-12
septembre 2009), http://web.univ-ubs.fr/corpus/jlc6.html.
[30] Bezinska Y, Novakova I. (2009c). Grammaticalisation et acquisition des
constructions causatives en français et en bulgare. 3e Colloque International de
l’AFLiCo « Grammaires en construction(s) », Université Paris Ouest, Nanterre, La
Défense, 27 - 29 mai 2009, accepté pour publication dans la revue Cognitextes de
l’Association française de linguistique cognitive, AFLiCo (à paraître en 2010).
[31] Melnikova E., Novakova I. (2010a), Les constructions verbo-nominales de
sentiment en russe et en français, Helmy Amr Ibrahim (éd.) Supports et prédicats non
verbaux dans les langues du monde, Paris : Cellule de Recherche en Linguistique
(CRL), 207-219.
[32] Novakova I. (2010b), Syntaxe et sémantique des constructions causatives,
Communication présentée au Colloque international d’Etudes romanes, parue in Les
catégories verbales dans les langues romanes. Actes du colloque international, Sofia,
25-27 février 2005, Textes réunis par M. Vélinova, Sofia, CU Romanistika, 274-287.
[33] Melnikova E., Novakova I. (2010c) Les paramètres aspectuels des constructions
verbo-nominales de sentiments en russe et en français, De Gioia M. (dir), Actes du 27e
Colloque international sur le lexique et le grammaire. L’Acquila, 10-13 septembre
2008, Rome, Lingue d’Europa e del Mediterraneo, 163-174.
[34] Bezinska, Y., Chevrot, J.-P, Novakova I., Nardy A. (2010d), L’acquisition de
faire+Vinf en français : production, compréhension, imitation, in F. Neveu, V. Muni
233
Liste exhaustive des travaux
Toke, J. Durand, T. Klinger, L ; Mondada, S. Prévost (éds), Actes du 2ème Congrès
mondial de linguistique française (CD-Rom), Nouvelle Orléans (USA), 12-15 juillet
2010, 1445-1456.
1.5. Communications orales dans un congrès international ou national ou
dans des Journées d’études
[35] Novakova I. (1995) Comment la catégorie de l’aspect fonctionne-t-elle en français
et en bulgare, Communication présentée à la Première rencontre de jeunes linguistes,
mars 1995, Dunkerque.
[36] Novakova I. (1998) L’« architecture » aspectuelle des tiroirs futurs. L’exemple du
français et du bulgare. Communication présentée au Colloque Chronos III, 29-30
octobre 1998, Valenciennes.
[37] Novakova I. (2000) « Une approche transcatégorielle pour l’analyse du temps
verbal. Communication présentée aux Journées linguistiques franco-allemandes (1ère
édition), Munich, 6-8 avril 2000.
[38] Novakova I. (2002) La construction « faire + inf » : approche syntaxique,
sémantique et typologique, Communication présentée aux Journées linguistiques
franco-allemandes (3e édition), Munich, 11-13 avril 2002.
[39] Novakova I. (2004) Elément pour l’analyse contrastive et typologique des
constructions causatives (Sur des exemples du français, bulgare, russe, allemand,
anglais, espagnol), Colloque international Typo 4, CERLITYP, les 15 et 16 novembre
2004, Paris.
[40] Tutin A, Novakova I. et Grossmann F. (2005) Esquisse de typologie des noms
d’affect à partir de leurs propriétés combinatoires, Colloque international de Cologne
sur les collocations, les 1er et 2 juillet 2005 en vue de la publication du numéro de
Langue française (2005) « Collocations, corpus, dictionnaires », organisateurs P.
Blumenthal, F.-J. Hausmann.
[41] Novakova, I, Tutin, A. (2006). Les émotions sont-elles comptables? Colloque
international sur la Quantification, Strasbourg, 19-21 octobre 2006.
[42] Novakova I. (2006) Causative mechanisms in Bulgarian and French.
Communication présentée à la 2nd Conférence on The Syntax of theWorld’s Languages
(SWL2), Lancaster, Grande-Bretagne, 14-17 septembre 2006.
[43] Novakova I. (2007), Etat de l’art sur l’étude de la causativité dans les textes
scientifiques. Communication présentée à la Journée d’étude sur l’écrit scientifique
organisée dans le cadre du Cluster 14, le 19 juin 2007 à Grenoble.
[44] Novakova I. (2008) Les mécanismes causatifs en français et en bulgare : quels
enjeux pour l'analyse contrastive ?", Fifth International Contrastive Linguistics
Conference (ICLC5) ; Louvain, 7–9 juillet 2008.
[45] Bak M., Novakova I. (2010) « Le raisonnement causal dans les textes
scientifiques », Communication présenté à la Journée d’étude Scientext, le 24.06.2010 à
Grenoble.
234
Liste exhaustive des travaux
1.6. Autres publications : Compte-rendus
[46] Novakova I. (2003) Passé et parfait. Textes réunis par A. Carlier, V. Lagae et C.
Benninger, Cahiers Chronos 6 / 2000, Amsterdam / Atlanta : Rodopi, 142 p. CR paru in
Zeitschrift für französische Sprache und Literatur (ZFSL), CXIII, Heft 1 / 2003, F.
Steiner Verlag, Stuttgart, 46-49.
[47] Novakova I. (2005) Les temps du passé français et leur enseignement. Textes
réunis par E. Labeau et P. Larrivée, Cahiers Chronos 9 / 2002, Amsterdam / Atlanta :
Rodopi, 242 p.). CR paru in ZFSL, Band 115, Heft 2 / août 2005, F. Steiner Verlag,
Stuttgart,179-184.
[48] Novakova I. (2008). La structure de la proposition : histoire d'un métalangage. P.
Sériot et D. Samain (Ed.) Cahiers de l'ILSL, Université de Lausanne. CR paru in LIDIL
38, 143-148.
1.7. Exposés, conférences invitées :
[49] 1994-1996 : 3 exposés dans le cadre du Centre Métagram, Laboratoire LIDILEM,
Université Stendhal, Grenoble III : « L’aspect grammatical en français et en bulgare».
« Sur le système de la voix en français et en bulgare ». « La terminologie verbale en
français et en bulgare ».
[50] 1998 «L’aspectualité en français». Conférence présentée dans le cadre du
Séminaire de linguistique (Oberseminar), Institut de philologie romane, Ludwig
Maximilian Universität, Munich, Allemagne (décembre, 1998)
[51] 1999 « Les modalités au futur ». Conférence présentée dans le cadre du Séminaire
de linguistique (Oberseminar), Institut de philologie romane, Ludwig Maximilian
Universität, Munich, Allemagne (décembre, 1999).
[52] 2001a « Le factitif français révélé à travers l’analyse contrastive avec les moyens
lexicaux véhiculant un sens causatif en bulgare ». Exposé présenté dans le cadre du
Séminaire de 3e cycle, Faculté des Lettres, UNIL, Lausanne, mai 2001.
[53] 2001b « Le factitif dans le système de la voix en français ». Conférence présentée
dans le cadre de l’Ecole doctorale ECLIPS, Université Lyon 2, mai 2001.
[54] 2002 « Les constructions causatives : approche syntaxique, sémantique et
typologique», exposé présenté dans le cadre du Séminaire transversal du Laboratoire
LIDILEM, le 12 décembre 2002.
[55] 2003 « Conversif ou causatif ». L’analyse du causatif dans le cadre de la théorie
Sens-Texte d’I. Mel’cuk, LIDILEM, exposé dans le cadre du Séminaire
Syntaxe&Sémantique, le 09 avril 2003.
[56] 2004 « La transitivation causative », exposé présenté dans le cadre du Séminaire
transversal du Laboratoire LIDILEM, le 25 mars 2004.
[57] 2007 « L’apport de l’analyse contrastive à la typologie des langues : l’exemple des
constructions causatives en français et en bulgare », Conférence invitée à la Section de
langues slaves, Université de Lausanne, le 04 décembre 2007.
235
Liste exhaustive des travaux
[58] 2008 Cycle de cours et conférences invités en syntaxe générale et française (20 h)
au Département de français de l’Université d’Etat d’Astrakhan en Russie du 7au
14.09.2008, dans le cadre de l’Accord de coopération pédagogique et scientifique entre
l’Université Stendhal Grenoble 3 et l’Université d’Etat d’Astrakhan.
[59] 2010 « Quels enjeux pour la linguistique contrastive ? Sur l’exemple des
constructions causatives en français, bulgare, russe et anglais », Conférence invitée au
CRISCO, Université de Caen, le 04 février 2010.
[60] 2010 « Syntaxe et sémantique des prédicats causatifs », Conférence invitée dans le
cadre de l’échange Teaching staff avec l’Université de Sofia, Département de langues
romanes, Bulgarie, mai 2010.
236
Liste des travaux relatifs à la synthèse HDR
LISTE DES TRAVAUX AYANT FAIT L’OBJET D’UNE
SYNTHESE DANS LE MEMOIRE HDR (2010)
IVA NOVAKOVA
Doc. 1. Novakova I. (1997), Unifier la terminologie des tiroirs verbaux - une utopie ?
Lidil, 14, 91-112.
Doc. 2. Novakova I. (1998a), L’expression de l’idée d’avenir en français et en bulgare,
Le Langage et l’Homme, Vol. XXXIII N°1, mars 1998, Bruxelles -Louvain: Peeters, 520.
Doc. 3. Novakova I. (1998b), De la mobilité des « temps » verbaux sur l’axe
chronologique en bulgare et en français (approche contrastive), Le Langage et
l’Homme, vol. XXXIII No 2-3, septembre 1998, Bruxelles-Louvain, Peeters, 203-214.
Doc. 4. Novakova I. (1999), Une approche transcatégorielle pour l’analyse du futur
simple et du futur périphrastique français, in Mélanges de linguistique, sémiotique et
narratologie, dédiés à la mémoire du Professeur Krassimir Mantchev, à l’occasion de
son 60e anniversaire, Sofia (Bulgarie), Editions Colibri, 301-323.
Doc. 5. Novakova I. (2000a), Le Futur antérieur français: temps, aspect, modalités,
Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, Band 110; Heft 2, Stuttgart, F.
Steiner Verlag, 112-135.
Doc. 6. Novakova I. (2000b), Comment le féminin fonctionne-t-il en français et en
bulgare ? in E. Almeida & M. Maillard (éds) O Femino nas Linguas; Culturas e
Literaturas; Funchal, Universidade de Madeira, 307-317.
Doc. 7. Novakova I. (2001a), Quelques réflexions sur la terminologie relative au
système verbal français et bulgare, in Colombat, B. & M. Savelli (éd.) Métalangage et
terminologie linguistique, Actes du Colloque international de Grenoble, Université de
Stendhal, Grenoble 3, 14-16 mai 1998, Orbis / Supplementa, Peeters, 943-959.
Doc. 8. Novakova I. (2001b), Fonctionnement comparé de l’aspect verbal en français et
en bulgare, Revue des Etudes Slaves, LXXIII/1, Paris, 7-23.
Doc. 9. Novakova I. (2001b), Sémantique du futur. Etude comparée français-bulgare,
L’Harmattan, Paris, ISBN 2-7475-0439-5, Collection Langue & Parole, 396 p.
237
Liste des travaux relatifs à la synthèse HDR
Doc. 10. Novakova I. (2003a), Sur la notion d’attribut en français et en bulgare,
SCOLIA, 16, Strasbourg (2), Université Marc Bloch, 207-222.
Doc. 11. Novakova I. (2003b), Le factitif français : approche syntaxique, sémantique et
contrastive (français-bulgare) », TRANEL, 37, Université de Neuchâtel, Institut de
linguistique, 93-113.
Doc. 12. Novakova I. (2004), Approche lexicale des expressions verbo-nominales en
français langue étrangère, in E. Calaque & J. David (éd.), Didactique du lexique :
contextes, démarches, supports, Bruxelles, De Boeck, 89-103 (Chapitre 6).
Doc. 13. Novakova I. (2005), Bouge ta ville ! De l’emploi transitif de verbes intransitifs
avec un sens causatif, Faits de langues, 25, L’exception, 141-147.
Doc. 14. Novakova I. (2006a), De la langue de bois à la langue des médias, ou comment
une « petite » langue comme le bulgare évolue au gré des changements politiques,
Bulletin suisse de linguistique appliquée, 83/2, Université de Neuchâtel, Institut de
linguistique, 187-199.
Doc. 15. Tutin A., Novakova I., Grossmann F., Cavalla C. (2006b), Esquisse de
typologie des noms d’affect à partir de leurs propriétés combinatoires , Langue français,
150, Collocations, corpus, dictionnaires, 32-49.
Doc. 16. Novakova I. (2006c), La transitivation causative : approche contrastive et
typologique, in Lebaud D., Paulin C., Ploog K. (éd.), Constructions verbales &
production de sens, Besançon, Presses universitaire de Franche-Comté , 115-126.
Doc. 17. Novakova I., Bouchoueva E., (2008a), Les collocations du type avoir et être +
N sentiments en français et en russe. Aspects linguistiques et didactiques, in F.
Grossmann & S. Plane (éd.), Les apprentissages lexicaux. Lexique et production
verbale, Septentrion, 219-233.
Doc. 18. Bezinska Y, Chevrot J.-P., Novakova I. (2008b), La construction faire+Vinf :
approche linguistique et acquisitionnelle, in Durand , B. Habert, B. Laks (éds) Actes du
1er Congrès mondial de linguistique française (CD-Rom), Paris, 9-12 juillet 2008,
1695-1709.
Doc. 19. Novakova I. & Z. Guentchéva (éd.) (2008c), Syntaxe et sémantique des
prédicats, Lidil, 37, ELLUG, Présentation, 6-22.
238
Liste des travaux relatifs à la synthèse HDR
Doc. 20. Novakova I. (2009a), La construction se faire+Vinf : analyse fonctionnelle, in
E. Havu, J. Härmä, M. Helkkula ; M. Larjavaara et U. Tupmarla (éd.), La langue en
contexte, Actes du Colloque international Les Représentation du sens linguistique (RSL
IV), Helsinki, 27-29 mai 2008, Mémoires de la Société Néophilologique de Helsinki,
LXXVIII, 107-120.
Doc. 21. Novakova I. (2009b), La dimension textuelle des tiroirs futurs en bulgare et en
français, Faits de Langues, 33, 211-220
Doc. 22. Novakova I. & Tutin A. (éd.) (2009c), Le Lexique des émotions, ELLUG,
Collection Langues, Gestes, Paroles, ISBN 978-2-84310-149-6, 350 p., Introduction, 517.
Doc. 23. Novakova I, Tutin A. (éd.), (2009d), Les émotions sont-elles comptables ? in
Novakova I. & Tutin A. (éd .) Le Lexique des émotions, ELLUG, Collection Langues,
Gestes, Paroles, 65-79.
Doc. 24. Novakova I. (2010a), Syntaxe et sémantique des constructions causatives, Les
catégories verbales dans les langues romanes. Actes du colloque international, Sofia,
25-27 février 2005, Textes réunis par M. Vélinova, Sofia, CU Romanistika, 274-287.
Doc. 25. Melnikova E., Novakova I. (2010b), Les constructions verbo-nominales de
sentiment en russe et en français, Helmy Amr Ibrahim (éd.) Supports et prédicats non
verbaux dans les langues du monde, Paris : Cellule de Recherche en Linguistique
(CRL), 207-219.
Doc. 26. Melnikova E., Novakova I. (2010c), Les paramètres aspectuels des
constructions verbo-nominales de sentiments en russe et en français, De Gioia M. (dir),
Actes du 27e Colloque international sur le lexique et le grammaire. L’Acquila, 10-13
septembre 2008, Rome, Lingue d’Europa e del Mediterraneo, 163-174.
Doc. 27. Bezinska Y, Novakova I. (2010d, à paraître), Grammaticalisation et
acquisition des constructions causatives en français et en bulgare, Communication au 3e
Colloque International de l’AFLiCo « Grammaires en construction(s) », Université
Paris Ouest, Nanterre, 27 - 29 mai 2009. Texte intégral accepté pour publication dans la
revue Cognitextes de l’Association française de linguistique cognitive, AFLiCo
Doc. 28. Melnikova E., Novakova I., Kraif O. (2010e), Quels corpus pour l’analyse
contrastive ? L’exemple des constructions verbo-nominales de sentiment en français et
en russe, in Actes des 6e Journées de la Linguistique de Corpus, Lorient (10-12
septembre 2009), http://web.univ-ubs.fr/corpus/jlc6.html.
239
Liste des travaux relatifs à la synthèse HDR
Doc. 29. Novakova I. (2010f), Faire+Vinf : une analyse fonctionnelle, in Alvarez
Castro, Bango de la Campa, Donaire (éds) Liens Linguistiques. Etude sur la
combinatoire et la hiérarchie des composants, Peter Lang, Berne, 461-474.
Doc. 30. Novakova I. & Dontchenko E. (éd.), (2010g, sous presse) Grammaire et
lexique: regards croisés, coédition des Presses de l’Université d’Etat d’Astrakhan et des
ELLUG, 250 p. Introduction, 7-16.
Doc. 31. Novakova I. (2010h, sous presse), Quels enjeux pour la linguistique
contrastive ? Sur l’exemple des constructions causatives en français et en bulgare, in
Novakova I. & E. Dontchenko (éd) Grammaire et lexique: regards croisés, coédition
des Presses de l’Université d’Etat d’Astrakhan et des ELLUG, Grenoble, ISBN 978-284310-165-6, 39-55.
Doc. 32. Bezinska Y., Chevrot J.-P., Novakova I., Nardy A., (2010i), L'acquisition de
faire + Vinf en français: production, compréhension, imitation, in F. Neveu, V. Muni
Toke, J. Durand, T. Klinger, L ; Mondada, S. Prévost (éds), Actes du 2ème Congrès
mondial de linguistique française (CD-Rom), Nouvelle Orléans (USA), 12-15 juillet
2010, 1445-1456.
240
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