de penser que notre moi puisse se scinder. Si Bergson devait se
réincarner et enseigner à nouveau les élèves du Lycée de Clermont-
Ferrand, il devrait sérieusement remanier son cours sur le caractère
un et indivisible de l'esprit : "Le concept générique de "conscience"
recouvre un ensemble de phénomènes variés sous tendus par des
régions anatomiques distinctes" (p. 120). Dans ces conditions, il est
pour le moins aventureux de soutenir que le cerveau est l'organe de
l'action et non celui de la représentation ; et tout aussi aventureux
de soutenir que la mémoire est de nature spirituelle.
De façon générale, c'est la psychologie des facultés, dont
chacune, selon le mot de W. James, "réalise une personnalité
mentale complète à fonctions spécifiques et limitées", que les
avancées des neurosciences rendent obsolètes. Ici, J.N. Missa semble
trop timide dans ses conclusions. Ce qui fait la différence entre la
psychologie cognitive (privilégiant l'étude du versant mental d e
l'esprit-cerveau) et la psychologie des facultés n'est pas tellement
(comme le suggère une note de la page 129) que les
neuropsychologues cognitivistes travaillent sur la base
d'observations empiriques tandis que les spiritualistes adoptent la
méthode a priori ; c'est plutôt que la psychologie des facultés est
incapable de se défaire de l'idée de personnalité mentale complète.
Pour elle, la volonté représente "un homme qui veut sans penser ;
l'intelligence un homme qui pense sans vouloir, etc.", selon une
formule de W. James citée à la page 166.
Le dernier chapitre comporte, entre autres questions d e
méthode, un examen critique du matérialisme éliminatif de P.
Churchland. On retrouve chez J.N. Missa le même sens de la nuance
qui avait motivé (aux pages 29-33) ses réserves à l'endroit de la
théorie de l'identité dans ses différentes versions (U.T. Place, H.
Feigl,
U.C. Smart, D.M. Armstrong, D.K. Lewis). De même qu'une
"théorie réductionniste ne peut saisir le trait le plus caractéristique
des phénomènes mentaux, à savoir l'expérience consciente" (p. 32),
de même le programme de naturalisation radicale de la philosophie
de l'esprit suggéré par P. Churchland conduit à "nier l'existence des
questions métaphysiques" (p. 207), par l'incorporation de la science
dans le domaine de la philosophie. J.N. Missa estime, à juste titre,
que le prix à payer est trop important dans les deux cas.
Un lecteur extrêmement pointilleux et intransigeant quant aux
distinctions fines pourrait trouver, à l'occasion, à redire aux
classifications de J.N. Missa. La présentation la plus pédagogique (et
la plus humoristique) du mind-body problem est de R. Chrisholm,
dans une série de dessins reproduits par R. Taylor à la page 19 de
Metaphysics (Englewood Cliffs, N.J., Prentice Hall, 1974 pour la
seconde édition). Elle distingue nettement le dualisme (Descartes,
Ecoles) du spiritualisme (Bergson) et le matérialisme (Cabanis, Vogt)
de l'épiphénoménisme (Ribot). Mais il
s'agit
là d'un point
secondaire.