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© POUR LA SCIENCE -Dossier cosmologie 53
marcheraient à l’envers, tous les textes vous apparaîtraient
comme réfléchis par un miroir, et chaque personne vous appa-
raîtrait avoir son cœur du mauvais côté.
Pour fascinante qu’elle soit, nous rejetons l’idée que nous
vivons dans un univers non orientable: elle entraîne tout
une série de conséquences que l’on n’a jamais observées.
Nous ne pouvons exclure, si l’Univers est suffisamment
grand, l’existence de zones où les phénomènes physiques
sont les symétriques dans un miroir de ce qu’ils sont
autour de nous. Cependant, nous pouvons, avec une rela-
tive sérénité, restreindre notre discussion aux dix variétés
euclidiennes tridimensionnelles qui sont orientables.
Les univers euclidiens possibles
Pour visualiser ces variétés tridimensionnelles, nous allons
emprunter la technique que nous avons utilisée pour décrire
les variétés bidimensionnelles. Pour le tore, nous avons pris
un carré comme domaine fondamental, puis nous avons fait
apparaître le tore en collant les côtés opposés de ce carré. Pour
visualiser les variétés tridimensionnelles, nous allons procé-
der de même, mais en prenant cette fois un objet tridimen-
sionnel comme domaine fondamental, par exemple un
cube. Le tore tridimensionnel est ainsi la généralisation du
tore bidimensionnel: au lieu de coller les côtés opposés d’un
carré, on colle les faces opposées d’un cube. Dans le tore tri-
dimensionnel, chaque point d’une face du cube est identifié
au point correspondant sur la face opposée.
Si vous vous trouviez dans cette variété tridimensionnelle
et que vous regardiez devant vous, vous verriez votre
propre dos et des images de vous-même dans chaque face
du cube. Derrière ces images apparaîtraient une multitude
d’autres images, aussi loin que porterait votre regard. Un tore
tridimensionnel est un peu comme le Palais des glaces
d’une fête foraine… à la différence que, dans le tore tridi-
mensionnel, les images ne sont jamais inversées. Cet espace
– comme tous les autres que nous allons étudier – est de
taille finie, même si ses habitants ont l’impression de vivre
dans un espace infini: seule une observation minutieuse
leur montrera que cette illusion est due à la répétition indé-
finie d’un même domaine fondamental.
Notez bien la nature circulaire de cette variété: si l’Uni-
vers était vraiment un tore tridimensionnel, vous pourriez
quitter la Terre dans une direction quelconque, puis,
sans jamais infléchir votre trajectoire, vous retrouver
finalement à votre point de départ. Cela vous semble
impossible? Pourtant, un phénomène similaire
existe sur Terre: si vous vous déplacez «tout
droit» sur un grand cercle, vous savez que
vous finirez par revenir un jour chez vous.
Une autre propriété intéressante du
tore tridimensionnel est son lien avec
le tore bidimensionnel. Si on décou-
pait le cube en tranches verticales très
fines, on obtiendrait une série de carrés. Les
côtés opposés de ces carrés seraient collés
ensemble, comme composantes des faces oppo-
sées du cube. Le tore tridimensionnel ressemble
donc à un classeur d’étudiant: c’est un cercle à
chaque point duquel est attachée une «feuille» en
forme de tore bidimensionnel (n’oubliez pas que le premier
et le dernier carré sont identiques puisque qu’il s’agit des
faces avant et arrière du cube qui ont été collées ensemble).
Les topologistes désignent cette variété par le symbole T
2
×S
1
,
où T
2
et S
1
représentent respectivement le tore bidimensionnel
et le cercle. Cette construction est un exemple de ce que l’on
appelle un faisceau de tores.
Ces variétés, comme toutes les autres variétés de
volume fini, sont un moyen commode de représenter un
univers en expansion (contrairement à l’espace clas-
sique infini dont on a du mal à visualiser l’expansion). Si
le domaine fondamental d’une
variété se dilate avec le temps,
l’espace d’apparence infinie
engendré par les multiples
images répétées du domaine
fondamental se dilate avec
lui. Vous aurez alors l’im-
pression que chaque
5. Un espace cubique quart de tour est obtenu de la même
façon que le 3-tore et l’espace cubique demi-tour, mais en tournant de
90 degrés l’une des faces avant le collage.
6. Les espaces prisma-
tiqueshexagonaux « un tiers de
tour » et « un sixième de tour » sont
obtenus à partir d’un domaine fon-
damental en forme de prisme hexa-
gonal dont les faces latérales sont
collées deux à deux et dont les faces hexa-
gonales sont assemblées après une rota-
tion indiquée, dans chaque cas, par
l’orientation de l’asticot violet.
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