Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) Servitudes : un réseau de distribution d’électricité n’est pas un fonds dominant le 26 juin 2012 CIVIL | Bien - Propriété IMMOBILIER | Propriété Doit-être cassé l’arrêt qui a admis l’existence d’une servitude conventionnelle au sujet de l’édification d’un transformateur électrique sur une parcelle dès lors que le réseau de distribution d’électricité ne saurait être qualifié de fonds dominant. Civ. 3e, 13 juin 2012, FS-P+B, n° 10-21.788 La présente décision revient sur les caractéristiques constitutives d’un fonds au sens de la législation sur les servitudes conventionnelles. Un propriétaire a donné à bail une partie de son terrain à la société Électricité de France (EDF) pour que celle-ci puisse y implanter un transformateur électrique. À la suite de l’aliénation du bien, le nouveau propriétaire demanda à EDF de procéder au déplacement du poste ainsi implanté. Cette dernière s’y refusa, arguant de l’existence d’une servitude conventionnelle. La cour d’appel de Paris fit droit à cet argument en considérant que la convention conclue entre les parties au litige doit s’analyser en une servitude ayant pour objet d’instaurer une charge grevant le terrain en cause au profit d’un fonds dominant, en l’espèce constitué par le réseau de distribution électrique. Au visa des articles 636 et 687 du code civil, la Cour de cassation censure cette qualification de fonds dominant conféré à ce réseau. La combinaison de ces deux articles rappelle effectivement qu’une servitude ne peut être instituée qu’au profit d’un « héritage » et que celui-ci est, soit le fonds de terre – auquel cas la servitude est dite rural –, soit un bâtiment – la servitude étant alors qualifiée d’urbaine. La difficulté recelée par la présente affaire est précisément de déterminer à qui profite l’installation du transformateur électrique. La cour d’appel a considéré que le fonds dominant était le « réseau électrique ». Or cette désignation quelque peu elliptique ne permet pas d’identifier un fonds. Ce n’est pas – à notre sens – le caractère incorporel de cet élément qui fait échec à la reconnaissance de la servitude. Le droit des biens démontre depuis un certain temps déjà sa capacité à s’émanciper de cette approche traditionnelle dont témoignent les termes des dispositions relatives aux servitudes. Peut-être s’agit-il plus de l’impossibilité pure et simple de l’appréhender. La troisième chambre civile ne s’oppose pas directement à la création d’une servitude qui concernerait le transformateur. Elle reproche au juge du fond d’avoir fait du réseau électrique le fonds dominant. Autrement dit, il semble possible de maintenir cette charge réelle à condition de trouver le véritable bénéficiaire de la servitude. Celui-ci ou, plus exactement, ceux-ci ne seraient-ils pas l’ensemble des fonds qui, par l’entremise de ce transformateur, sont raccordés et alimentés en électricité ? Il est effet parfaitement possible d’instituer une servitude venant grever un fonds servant au profit d’une pluralité de fonds dominants (V. Rép. immo, v° Servitudes, par Djoudi, n° 16). D’ailleurs, légalement instituées, ces servitudes existent déjà. Ainsi, la loi de 1906, désormais codifiée dans le code de l’énergie, met en place des servitudes pour le passage de l’énergie, tout Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017 Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) comme le fait le code des postes et des communications électroniques qui institue, dans l’intérêt public, des servitudes pour les ondes radioélectriques. Il ne faut donc pas voir dans cette décision l’interdiction absolue de mettre en place de telles servitudes mais la nécessité de correctement identifier le ou les fonds dominants. Pour autant, il est un autre fondement qui pourrait mettre à mal la reconnaissance de servitude dans l’installation d’éléments tel que celui objet du présent litige. La Cour de cassation s’attache, à raison, à rappeler « qu’une servitude ne peut être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété » (Civ. 3e, 24 mai 2000, n° 97-22.255, D. 2001. 151, note R. Libchaber ; RDI 2000. 316, obs. J.-L. Bergel ) et même si elle éprouve parfois quelque difficulté à appliquer son propre principe (Civ. 3e, 12 mars 2008, n° 07-10.164, D. 2008. 919, obs. G. Forest ; ibid. 1224, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; ibid. 2458, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2008. 795, obs. S. Prigent ; RDI 2008. 202, e er obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 2009. 142, obs. T. Revet ), elle n’entend pas l’abandonner (Civ. 3 , 1 avr. 2009, n° 08-11.079, D. 2009. 1141 ; ibid. 2300, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ). Tel pourrait être le véritablement fondement de l’opposition du propriétaire au maintien, en dehors de la conclusion d’un bail, du transformateur d’électricité. D’ailleurs, ce principe général, qui n’est que l’expression de la nature même du droit de propriété, pourrait faire obstacle à un nombre bien plus important de servitudes lorsque celles-ci nécessitent, pour leur mise en œuvre, la construction d’ouvrages et emportent donc une emprise matérielle sur le fonds servant. par Nicolas Le Rudulier Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017