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06/05/2008 |
Illégitimité
En droit de la filiation, l'illégitimité est attachée à une naissance survenue hors mariage, dite illégitime ou
naturelle, les parents étant célibataires ou adultères. Tant les Romains que les Germains distinguaient
différents degrés d'illégitimité: enfant de concubins, enfant de prostituée, enfant adultérin et enfant
incestueux. La christianisation, surtout quand le mariage devint un sacrement (XIIe-XIIIe s.), renforça la
discrimination envers tous les enfants illégitimes, qui étaient par exemple désavantagés dans les successions,
exclus de certaines charges, victimes d'interdictions professionnelles, empêchés de se marier dans des
familles vouées aux "métiers honorables"; clercs, ils ne recevaient que les ordres mineurs. Une dispense
ecclésiastique ou une légitimation (selon le droit canonique) pouvait améliorer leur statut, mais ils restaient
défavorisés comme héritiers.
Sauf pendant l'intermède de la République helvétique, chaque canton avait ses propres dispositions de droit
civil en matière d'illégitimité. Quelques cantons alémaniques, en majorité catholiques, appliquaient le principe
de paternité: si le père était connu, l'enfant recevait son nom et son droit de cité. Mais au milieu du XIXe s., on
passa de plus en plus au principe de maternité: l'enfant prenait le nom de sa mère et n'avait droit de la part
du père qu'à une pension alimentaire, mais pas à une reconnaissance de sa filiation. Les cantons romands
s'inspiraient du Code Napoléon, qui interdisait toute recherche en paternité. Dans la plupart des législations
cantonales, la grossesse hors mariage devait être déclarée aux autorités par la femme enceinte elle-même ou
par la sage-femme au moment de la naissance. On auditionnait les parents ou la mère seule si, comme il
arrivait souvent, le père était absent. Dans plusieurs cantons, la femme devait subir pendant l'accouchement
même un interrogatoire sur les circonstances de la conception. Puis venaient les procédures judiciaires:
procès pour immoralité, décisions sur la garde et l'entretien de l'enfant.
Le Code civil suisse introduit en 1912 autorisait une reconnaissance volontaire de l'enfant par le père. Il
distinguait deux sortes de rapports juridiques entre l'enfant illégitime et son père: la reconnaissance avec
effets d'état civil et le cas comportant obligation de payer une pension alimentaire. La révision du droit de
l'enfant apporta enfin dans sa deuxième étape (1978) une large égalité juridique entre enfants légitimes et
naturels, de telle sorte que l'on peut certes encore parler de naissance hors mariage, mais que le terme
d'illégitimité n'est plus opportun. L'Eglise catholique admit cette égalité en 1983.
Dans la conscience populaire traditionnelle, le mariage n'était pas le seul cadre permettant des relations
sexuelles légitimes: il y avait aussi les fiançailles, les promesses de mariage et les coutumes comme le
Kiltgang. La règle d'abstinence imposée par la loi et par l'Eglise avait pour effet de contraindre les couples à
se marier le plus rapidement possible dès que s'annonçait une grossesse prénuptiale. Une naissance
illégitime se produisait quand les parents étaient dans l'impossibilité de se marier, que ce fût en raison
d'empêchements légaux, par manque de moyens (cas fréquent en temps de crise économique), parce que le
père était déjà marié ou encore parce que, absent ou étranger, il échappait à sa responsabilité, ce qui se
produisait assez souvent avec les membres de groupes mobiles, sans ménage, comme les domestiques, les
compagnons artisans et les soldats. A la fin du XVIIIe s., dans certains cantons alémaniques, à Zurich surtout,
on considérait comme légitimes, par exception, les Brautkinder ("enfants de fiançailles"), issus de couples
ayant signé une promesse de mariage valable, mais dont l'union n'avait pu être célébrée en raison de
l'opposition des autorités.
La crainte des châtiments judiciaires, du déshonneur et du mépris social est surtout perceptible dans les cas
d'abandon d'enfants (enfants abandonnés) et d'infanticide. Avec un taux de mortalité infantile plus élevé et
une socialisation plus difficile, les enfants illégitimes avaient moins de chances dans la vie que les autres.
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On ne dispose de données quantitatives que depuis l'introduction des registres paroissiaux à la fin du Moyen
Age. A cette époque, le concubinage assez répandu chez les clercs comme chez les laïcs devait impliquer un
taux d'illégitimité relativement élevé. Réduit à la fin du XVIe s. sous l'effet de la Réforme et la Réforme
catholique (Consistoires), ce taux rebondit au XVIIIe s., surtout dans les classes populaires, en raison de la
politique malthusienne qui visait à exclure du mariage tous ceux dont la reproduction ne paraissait pas
souhaitable. Des cantons catholiques (Lucerne, Soleure) aussi bien que protestants (Bâle-Campagne, Berne,
Argovie dès sa création) prirent des mesures d'empêchements au mariage. Face à des obstacles sociaux et
juridiques qui s'ajoutaient aux difficultés économiques et autres, on retardait le mariage ou même on y
renonçait. Un effet analogue résultait du célibat observé par les personnes qui s'engageaient comme
domestiques et qui, nombreuses en ville et même dans certaines régions rurales, constituaient un groupe de
jeunes adultes auquel on interdisait avec plus ou moins de succès de vivre leur sexualité. Le nombre des
naissances illégitimes atteignit son maximum au milieu du XIXe s., puis décrut régulièrement, tendance
favorisée par l'abolition des empêchements au mariage en 1874, puis par l'augmentation de la nuptialité
après la Deuxième Guerre mondiale, par l'arrivée du planning familial et de la pilule contraceptive dans les
années 1960. Depuis 1975, les naissances hors mariage croissent de nouveau, mais l'on ne peut plus parler
d'illégitimité (Famille).
En comparaison européenne, la Suisse présentait un taux d'illégitimité assez bas: souvent inférieur à 1% et
rarement supérieur à 2% aux XVIIe-XVIIIe s., il s'inscrivait encore au XIXe s. parmi les plus faibles, ne dépassant
que ceux de l'Irlande et des Pays-Bas. On observait de grandes disparités régionales, surtout entre ville et
campagne, mais aussi entre cantons (voir les exemples de Glaris et Lucerne), en raison de l'observation plus
ou moins stricte des lois ecclésiastiques et des normes morales, et selon la portée des empêchements
juridiques au mariage.
Le nouvel intérêt que suscite depuis les années 1970 la recherche historique sur des thèmes comme les
classes populaires, la famille, les femmes et les rapports entre les sexes a bénéficié à l'étude de l'illégitimité
et de son évolution. On a proposé divers modèles explicatifs; certains ont été très controversés. Des tenants
de l'histoire des mentalités ont interprété l'augmentation du taux d'illégitimité au début du XIXe s. comme
l'indice d'une première révolution sexuelle, d'une émancipation des jeunes ou des femmes, ou encore comme
le symptôme d'un effondrement des repères et valeurs traditionnels dans la société. D'autres, plus attachés
aux causes matérielles, aux changements économiques dont dépendent les mutations sociales, ont montré
que ce phénomène se produisait dans un contexte d'autonomie économique plus précoce des jeunes et de
mobilité accrue de la population; ils l'ont donc vu comme une conséquence de l'industrialisation et de
l'urbanisation. Pour leur part, les spécialistes de l'histoire des institutions ont insisté sur les innovations
juridiques, comme le renforcement des empêchements au mariage et le découragement, voire l'interdiction,
de la recherche en paternité.
Bibliographie
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– M. Alt, E. Sutter, «Bethört, verführt, gefallen...», in Itinera, 1985, 2/3, 120-148
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– Ch. Pfister, Bevölkerungsgeschichte und historische Demographie, 1994
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– L. Schmugge, B. Wiggenhauser, éd., Illegitimität im Spätmittelalter, 1994
– L. Schmugge, Kirche, Kinder, Karrieren, 1995
– E. Sutter, "Ein Act des Leichtsinns und der Sünde", 1995
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HRG, 5, 452-456
– I. Spinelli, "Grossesses illégitimes" devant la justice criminelle du bailliage de Mendrisio sous l'Ancien
Régime, mém. lic. Genève, 2002
Auteur(e): Markus Lischer / PM
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