signifiance des systèmes symboliques, car elles affrontent de plein fouet la question du «
sens » des formules qu’elles permettent de construire et de manipuler. Par là, non seulement
les préoccupations de la philosophie et des sciences formelles peuvent se rejoindre, mais la
philosophie a tout intérêt à ne pas négliger ni méconnaître l’apport propre des sciences
déductives à l’élucidation de la question de la signification, nous y reviendrons.
Seulement, montrer un point de convergence possible, fût-il radical, n’est pas encore
trancher la question de la légitimité. Or, cette question se pose avec acuité et insistance, et
elle a un caractère radical, en ceci qu’elle engage le statut même de la philosophie.
Expliquons-nous : la philosophie prenant pour thème la pensée logico-mathématique
est en position de redoublement à l’égard de cette pensée, ce qu’on traduit quelquefois en la
qualifiant de « réflexive ». Or, toute forme de redoublement n’est pas légitime. On se
souvient de la mise en garde de Wittgenstein2 : ce que les signes montrent, aucun autre
système de signes ne saurait le décrire. La langue étant une représentation du monde (de la
totalité des faits), on ne peut en faire usage pour représenter son propre mode de
représentation, car ce n’est pas là un fait. Ce mode de représentation ne peut que se
montrer dans l’usage du symbolisme. La logique est alors conçue comme l’ensemble des
règles qui gouvernent ce mode de représentation, et les tautologies, qui sont le schème de
ces règles, ne sont pas tenues pour de véritables propositions, dans la mesure où elles ne
« parlent » pas « d’objets » .
Cette réserve qu’exprime Wittgenstein frappe-t-elle d’interdit toute tentative de «
saisie réflexive » d’une réalité déjà constituée dans un ensemble signifiant ? Ce serait
ruineux pour la philosophie. Mais peut-on alors, et comment, distinguer un redoublement
légitime d’un redoublement illégitime ?
C’est exactement ce que propose Granger (cf. note 2), en opposant deux formes de
redoublement : celui qui prend la forme d’une métathéorie, et celui qui prend la forme d’une
métadiscipline. Précisons :
Selon Granger, serait « métathéorique » une doctrine qui traiterait son « objet » (une
discipline du premier ordre) exactement comme celle-ci traite ses objets. Mais il est clair que
ni la production des « objets » mathématiques, ni l’organisation de la pensée telle que la
logique peut la révéler ne sauraient être réduites à de simples objets. Un traitement
métathéorique aurait donc ici toutes les chances de se limiter à une simple paraphrase, et
échouerait de surcroît dans sa prétention fondatrice, car il se situerait toujours sur le plan
des « objets d’un certain ordre », appelant par conséquent une théorie des objets de l’ordre
suivant.
Afin d’échapper à ces restrictions, une métadiscipline devra s’établir sur un statut
différent de celui de simple théorie. Bien sûr, une métadiscipline se trouve encore en position
de redoublement, bien sûr, elle parle encore « sur » des systèmes de signes, mais sans les
réduire à de simples objets, et en ayant toujours en vue la détermination des conditions de
leur fonctionnement, et la délimitation de leur champ d’application.
Si on accorde ces distinctions, il devient possible de voir dans la philosophie quelque
chose comme la métadiscipline par excellence. La philosophie, chacun l’accordera, n’est pas
une connaissance d’objets. Une telle connaissance, caractéristique du savoir scientifique,
tente de représenter ses données selon des schémas ou des modèles abstraits, sur lesquels
d’une part peut s’exercer une pensée combinatoire et déductive, et à partie desquels d’autre
part on peut tirer des énoncés qu’une mise en correspondance avec l’empirie permettra de
valider ou d’infirmer. Or, rien de tel dans la connaissance philosophique. Elle est, conclut
Granger :