Multidétecteurs de Basse énergie : de INDRA à FAZIA
Olivier LOPEZ, LPC Caen
Résumé
Dans ce cours, un panorama détaillé sur l’évolution de la détection dans le domaine des
multidétecteurs de basse énergie est présenté. Le cours est entièrement dédié aux multidétecteurs de
particules chargées utilisés dans le domaine des mécanismes de réaction autour de l’énergie de
Fermi, soit entre 10 et 100 MeV par nucléon. D’autres multidétecteurs existent bien sûr pour les
études sur la structure nucléaire (MUST, MUST2, EUROBALL, EXOGAM, AGATA, …) mais ne seront
pas abordés ici car nécessiteraient à eux seuls une autre présentation. Le cours débutera par une
description du contexte de détection pour les mécanismes de réaction aux énergies de Fermi, ensuite
seront évoqués les multidétecteurs de premièrenération tels que NAUTILUS. Dans un second
temps, les caractéristiques des multidétecteurs de seconde génération (INDRA, CHIMERA) seront
détaillées et cela permettra de dresser un bilan sur les avantages et inconvénients de ces détecteurs.
Enfin, la recherche et développement initiée depuis quelques années sur l’utilisation de solutions
numériques (traitement du signal, électronique, déclenchement) pour la détection des particules
chargées dans le domaine de quelques MeV à quelques GeV sera abordée. Le projet FAZIA, projet
d’un multidétecteur utilisant une électronique numérique de traitement du signal, sera alors décrit en
détail.
Abstract
A detailed overview concerning detection with low-energy arrays is proposed here. This lecture is
entirely devoted to charged particles arrays operating in the Fermi energy domain, namely between
10 and 100 MeV/nucleon. Others arrays are also designed for nuclear structure studies like MUST,
MUST2, EUROBALL, EXOGAM, AGATA … but will not be described here since they deserve a whole
presentation by themselves. The lecture will start with some considerations about the Physics and the
detection context for the reaction mechanisms in the Fermi energy range. NAUTILUS, as a first
generation array, will be detailed. Then, second-generation arrays will be presented (INDRA and
CHIMERA) and compared. At last, the R&D carried since few years on digital electronics (pulse shape
analysis, electronics, and trigger) for charged particles detection will be addressed. Some of the key
issues concerning the mass and charge identification like channelling or inhomogeneity will be
discussed. At last, the FAZIA project for the design of a array using digital electronics and pulse
shape analysis will be presented as an example of future low-energy array.
Plan du cours
1 Contexte physique
Equation d’état de la matière nucléaire : mécanismes de réaction
Collisions d’ions lourds : exclusivité de détection
2 Notions de base concernant les multidétecteurs
Efficacité de détection : notion d’acceptance
Espace des phases et couverture angulaire
Granularité et empilements
Identification des particules chargées
- Méthode E-ΔE
- Discrimination de forme
- Temps de vol
Electronique et déclenchement
3 Multidétecteurs de première génération : 4π
NAUTILUS : ancêtre des multidétecteurs
Bilan : de quoi a-t-on besoin pour progresser ?
4 Multidétecteurs de seconde génération : 4πZ(A)
INDRA : résolution accrue
- Caractéristiques générales
- Identification
- E-ΔE
- Discrimination de forme
CHIMERA : mesure de la masse
- Caractéristiques générales
- Identification en charge et masse
Bilan : avantages et inconvénients
Perspectives : que faut-il améliorer ?
5 Multidétecteurs de troisième génération : 4π(N)AZ
Identification en masse dans les détecteurs silicium
- Méthodes analogiques : CHIMERA-PS
- Méthode numérique : projet AZ4π
- Conclusions : quels sont les axes de R&D ?
6 Le projet FAZIA
Caractéristiques générales
Les différentes étapes du projet
La physique abordée
1 Contexte physique
Equation d’état de la matière nucléaire
Les collisions d’ions lourds autour de l’énergie de Fermi (E = 10-100 MeV par nucléon)
permettent de produire des noyaux dans des états extrêmes en terme de température (T), de
pression (
ρ
), ou encore d’isospin (N/Z). Ceci permet alors d’envisager de caractériser et
définir l’équation d’état de la matière nucléaire, équation liant les propriétés microscopiques
de la matière nucléaire aux variables thermodynamiques extensives ou intensives comme
l’énergie E, la température T, la pression P ou encore le volume V des systèmes nucléaires
étudiés [1]. La connaissance précise de l’équation d’état de la matière nucléaire est
indispensable pour les scénarii imaginés lors des explosions de supernovae de type II,
produisant de la matière nucléaire fortement excitée et comprimée. Les relations entre
énergie et pression (compressibilité), énergie et température (capacité calorifique), ou
encore énergie et isospin (énergie de symétrie) sont en effet indispensables pour établir
l’évolution de la matière nucléaire sous ces conditions extrêmes et établir les modèles
astrophysiques adéquats [2]. D’autre part, l’équation d’état de la matière nucléaire permet de
rendre compte des propriétés dynamiques des collisions entre ions lourds et donc de décrire
de manière plus précise l’émergence et les propriétés des phénomènes observés dans les
réactions nucléaires tels que la multifragmentation, l’émission au col ou encore le
prééquilibre. En effet, l’équation d’état est un ingrédient essentiel de tout modèle de transport
basé sur le champ moyen et ses extensions, censé pouvoir décrire les collisions d’ions
lourds autour de l’énergie de Fermi.
Collisions d’ions lourds et exclusivité de détection
Pour accéder aux propriétés liées à la matière nucléaire fortement excitée, il est très vite
apparu au début des années 1980, grâce à l’avènement d’accélérateurs de particules de
quelques dizaines de MeV par nucléon, que les collisions entre ions lourds à des énergies
proches de l’énergie de Fermi de la matière nucléaire (EFermi= 38 MeV) permettaient de
produire des noyaux dans des conditions identiques à celles attendues dans les processus
violents à l’œuvre dans l’Univers (supernovae). C’est en effet par l’intermédiaire des
nombreux mécanismes de réaction à l’œuvre dans ce domaine en énergie, qui se trouve à
l’intersection des effets dus au champ moyen à basse énergie, et de ceux dus aux propriétés
individuelles des nucléons à plus haute énergie, que l’on peut produire des noyaux chauds,
comprimés, présentant souvent un rapport neutron sur proton (nommé de manière abusive
« isospin ») différent de celui des noyaux stables.
La figure 1 présente un exemple des différents mécanismes observés dans ce domaine en
énergie [3]. On notera ici la variété des vitesses, qui varient de 0 à plus de 10 cm/ns, sur un
domaine angulaire polaire variant entre 0 et 180° dans le laboratoire. Les mécanismes de
réaction peuvent produire des résidus de fusion à basse énergie (qui peuvent évaporer ou
fissionner), des noyaux issus de la fragmentation du projectile et/ou de la cible à plus haute
énergie (visibles sous forme des « cercles coulombiens » sur la figure 1), de collisions
profondément inélastiques aux énergies intermédiaires (« deep inelastic ») ou encore
d’émission hors équilibre (col, prééquilibre, colonne centrale sur la figure 1). Tous ces
mécanismes, souvent mélangés dans les collisions d’ions lourds autour de l’énergie de
Fermi, contribuent donc à produire toute une panoplie de produits de réaction dont les
caractéristiques varient de manière importante, avec des charges comprises entre 0
(neutrons, gammas) et 100 (transuraniens), des énergies entre quelques MeV et quelques
GeV. Ceci conditionne grandement les performances attendues par un multidétecteur dans
cette gamme d’énergie de bombardement.
Figure 1 : Corrélations entre rapidité parallèle y (axe horizontal, correspondant ici à l’axe du
faisceau) et vitesse perpendiculaire
β
(axe vertical) pour l’ensemble des produits de réaction
mesurés dans les collisions 197Au +197Au de 40 (haut) à 150 (bas) MeV par nucléon,
données INDRA [3]. Les 3 colonnes correspondent à un classement en paramètre d’impact
b : b proche de l’angle d’effleurement soit des collisions très périphériques à gauche,
collisions semi-périphériques au milieu et collisions centrales (b petit) à droite. Le niveau de
gris sur l’échelle en Z représente la section efficace associée (croissante du clair au foncé).
Cette grande dynamique en charge/masse et énergie, souvent associée à des émissions
qui peuvent être ouvertes sur un large domaine angulaire dans le laboratoire (du fait des
nombreuses sources possibles d’émission des particules), ont alors conduit les
expérimentateurs à construire des appareils de détection adaptés à ces caractéristiques, à
savoir des détecteurs présentant une grande dynamique de détection en terme de
charge/masse et énergie, associé à une large couverture angulaire de l’espace; c’est la
naissance des premiers multidétecteurs dans ce domaine, au début des années 1980. Pour
la première fois à cette époque, les expérimentateurs devenaient capables de mesurer de
manière exclusive (en coïncidence) les produits de réaction de chaque collision, sur la base
d’une détection événement par événement. Cette approche a ainsi permis le développement
des études thermodynamiques associées à la matière nucléaire en collision, par la
caractérisation précise des sources d’émission associées aux particules mesurées dans
chaque événement.
2 Notions de base concernant les multidétecteurs
Dans ce paragraphe, nous allons lister quelles sont les caractéristiques importantes des
multidétecteurs, à savoir les notions d’efficacité de détection (liée à la couverture angulaire),
d’espace des phases (liée à la cinématique de la réaction), de granularité (liée au taux de
double comptage à ne pas dépasser), et enfin de détection pour ce qui concerne les
particules chargées.
Efficacité de détection et notion d’acceptance géométrique
L’une des notions fondamentales pour évaluer les performances d’un multidétecteur est la
notion de couverture géométrique ou encore acceptance. Elle mesure le taux de détection
élémentaire d’une particule dans l’espace ; la plupart du temps, elle est donnée comme un
pourcentage de détection par rapport à tout l’espace (4π). Pour connaître la probabilité réelle
de détection ou efficacité ε d’un événement multi-particules, il suffit alors d’appliquer la
simple formule suivante qui considère l’indépendance de l’émission des particules :
ε = PM (1)
P représente l’acceptance géométrique du multidétecteur. La figure 2 donne l’évolution
de l’efficacité de détection en fonction de la multiplicité. On remarque la chute importante
d’efficacité dès que le nombre de coïncidences demandées M est grand. En effet, pour le
domaine de Physique considéré (collisions d’ions lourds autour de l’énergie de Fermi), des
multiplicités M de 1 à 30 sont couramment observées. Dans ce cas, les efficacités de
détection deviennent pratiquement nulles pour des valeurs d’acceptance inférieures à 80%.
Figure 2 : Efficacité de
détection en fonction de
la multiplicité M de
particules détectées.
Les différentes courbes
correspondent à des
acceptances géo-
métriques comprises
entre 99% et 70%.
Espace des phases et couverture angulaire
La couverture géométrique ou acceptance ne représente une caractéristique fondamentale
des multidétecteurs qu’à partir du moment où l’on caractérise l’espace des phases dans
lequel évoluent les produits de la réaction. En effet, nous avons vu que les particules
détectées ont des vitesses comprises entre 0 et 10 cm/ns (cf. fig. 1), ce qui est l’ordre de
grandeur des vitesses VCM du centre de masse de réaction autour de l’énergie de Fermi. Un
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