MICHELINE MILOT
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fondements même d’une conception unique et universelle de la citoyenneté ; le
marqueur religieux doit alors être exclu de la défi nition citoyenne. Ailleurs, c’est
l’idéal même de la conception universaliste de la citoyenneté qui doit être repensé,
à partir de ce révélateur particulier qu’est la diversité religieuse.
Prenant en compte les aspects politiques, culturels, juridiques et sociaux qui
s’entrecroisent à l’intérieur de cette problématique, on trouvera dans cet ouvrage
des études sur les conceptions de la citoyenneté au cœur des processus de régulation
du pluralisme religieux dans des pays aux traditions politiques aussi diff érentes
que l’Allemagne (Chauliac), l’Angleterre (Sinclair), l’Espagne (Proeschel), Israël
(Tank-Storper), le Liban (Kanafani-Zahar), ou la France (Dargent). Les analyses
se penchent également sur les défi s posés à la laïcité et aux diff érents régimes
de relations Églises-État par le pluralisme religieux et philosophique, selon une
perspective comparative (Luca, Pastorelli, Willaime). Le traitement diff érencié des
groupes religieux à l’intérieur d’un même espace démocratique retient également
l’attention et plusieurs contributions soulèvent des interrogations plus que perti-
nentes à cet égard (Lamine, Lavigne, Liogier et Talin). Quelle conception de la
citoyenneté découle des diverses interprétations juridiques nationales et quels sont
leurs eff ets sur les politiques publiques ?
Dans la littérature scientifi que, on oppose parfois trop simplement le modèle
d’intégration républicain au modèle dit « communautarien ». Or, en y regardant de
plus près, on s’aperçoit que, malgré des diff érences notables de traitement et d’accep-
tation du pluralisme dans les aires géopolitiques de type démocratique, les aména-
gements comportent toujours une tension entre les deux tendances qu’il convient
de traiter sous le mode idéaltypique. Ainsi, les analyses réunies ici nous invitent,
plutôt que de prendre appui sur les qualifi catifs de républicain et de communau-
tarien, à défi nir les deux types idéaux, l’un individualiste et l’autre libéral, qui se
décalent théoriquement des modèles soit républicain soit communautarien, mais
qui y trouvent une application concrète, jamais de manière pure cependant. Ces
deux modèles représentant des idéaux régulateurs et non des réalités empiriques.
Le modèle individualiste pourrait être décrit comme une construction démocra-
tique de la citoyenneté « par le haut ». La souveraineté politique de l’individu se
trouve défi nie selon une certaine idée du bien commun et un vaste travail d’éga-
lisation des conditions. L’appareil par excellence de la cohésion collective et de
la défi nition de la citoyenneté est l’instance politique, transcendante et centra-
lisée (d’où l’expression « par le haut »). La communauté démocratique apparaît
comme un tout qui, idéalement, neutralise les statuts sociologiques particuliers
et qui rassemble tous les individus après que l’on ait évacué les diff érences (ou du
moins, qu’elles aient été repliées dans la sphère privée). Ce type idéal comporte
une certaine idée du citoyen « générique » et de ses caractéristiques universelles,
appuyée sur une passion démocratique de l’égalité. La citoyenneté est possible
par l’intériorisation des vertus formelles d’une logique qui « force » l’égalité en
ramenant en quelque sorte, d’un point de vue théorique du moins, l’individu au
degré zéro des appartenances grégaires.
[« Pluralisme religieux et citoyenneté », Micheline Milot, Philippe Portier et Jean-Paul Willaime (dir.)]
[Presses universitaires de Rennes, 2010, www.pur-editions.fr]