En proposant une critique radicale de nos orientations économiques et sociales, je ne voudrais
pas pourtant qu’il y ait confusion.
C’est la société de marché qui est critiquable et non pas l’économie de marché. En effet on a
rien trouvé de mieux que l’économie de marché comme moyen d’organiser les échanges
économiques. Pour ma part dans ma jeunesse j’ai étudié le régime de planification
économique qui était celui de l’Allemagne de l’Est et cela m’a vacciné contre toutes les
prétentions à vouloir se passer de l’économie de marché. Et toute une série de critiques à
l’égard du capitalisme me semblent relever de la mauvaise utopie en donnant à penser qu’un
tout autre régime économique serait possible
C’est à mon avis la société de marché qu’il faut dénoncer, c'est-à-dire le fait que le marché
tend à décider de tout à tout moment et partout, pour chacun et pour tout le monde. Avec la
société de marché, l’intérêt général est conçu comme la résultante a posteriori du libre
concours des intérêts particuliers. M.Gauchet exprime ainsi la dérive vers la société de
marché « C’est à une véritable intériorisation du modèle du marché que nous sommes entrain
d’assister, un évènement aux conséquences anthropologiques incalculables, que l’on
commence à peine à entrevoir » (M.Gauchet 1998). Le modèle du marché s’étend bien au-
delà de l’économie à l’ensemble des secteurs de la vie sociale. Le modèle du marché devient
le modèle général des rapports sociaux. C’est un nouveau totalitarisme qui apparaît : celui de
l’argent.
Il y a dans la critique d’une certaine gauche du capitalisme une grande ambiguïté. Ceux qui
dénoncent le capitalisme et l’économie de marché comme source de tous nos maux en font
des boucs émissaires. Ils ont tort car s’il faut reconnaître que les maîtres du système (avec un
petit m) sont les très grandes entreprises, les spéculateurs, les grands capitalistes il n’empêche
que ces petits maîtres servent la logique d’un système peu ou pas contrôlé qui repose sur le
désir de chacun d’en avoir toujours plus. Le vrai Maître du système (avec un grand M) c’est
bien l’envie de tout un chacun d’en avoir toujours plus (M.Bellet 1993).
Il convient de refuser l’économisme plutôt que le capitalisme, car en refusant le capitalisme
on peut donner à penser que l’on croit pouvoir se passer de l’économie de marché. Parler
d’économisme c’est refuser de faire des capitalistes et du capitalisme le bouc émissaire, c’est
accepter l’économie de marché tout en refusant la société de marché, c’est reconnaître la
diversité des capitalismes possibles et plaider pour une régulation politique rigoureuse du
capitalisme. Mais alors on prend la mesure de la difficulté. Nous sommes tous concernés.
Nous sommes tous plus ou moins, (moins que les maîtres du système quand même)
responsables en tant que citoyens de sociétés riches, en tant que membres des 25% de la
population mondiale la plus riche qui consommons 75% des ressources naturelles mondiales.
En chacun de nous, le consommateur libre de ses choix, à la recherche de toujours plus de
confort, entre en conflit avec le citoyen responsable.
Enumérons cinq raisons de refuser l’économisme actuel.
1) Le type de croissance que nous connaissons est facteur d’inégalités et d’exclusion. Le
capitalisme mondialisé actuel choisit dans le monde entier les conditions de production qui lui
assurent la meilleure rentabilité, sans souci des anciennes solidarités nationales, sans souci des
territoires, sans sentiment d’obligations à l’égard des salariés. Il est intéressant de noter
certains livres récemment parus, écrits par des personnes qui sont au cœur du système
économique et qui en font une critique radicale (J.Peyrelevade, J.L.Gréau). Jean Peyrelevade