vers une conception plus humaniste de l`organisation

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L’organisation apprenante :
vers une conception plus humaniste de l’organisation
Philippe LE (Université d’Angers, LARGO)1
RÉSUMÉ
L’organisation apprenante a été souvent présentée ces dernières années comme
l’organisation modèle de demain aussi bien par les chercheurs que les praticiens : la
capacité d’apprentissage est considérée en effet comme la seule source d’avantage
concurrentiel durable. Mais qu’entend-t-on par « organisation apprenante » ? Au travers de
la littérature sur ce thème, on constate que cette notion, que beaucoup relient à celle moins
récente d’apprentissage organisationnel, demeure encore floue : il n’y a pas de véritable
consensus au niveau de sa définition même et de ses perspectives, de sa conceptualisation et
méthodologie. Devant la confusion et la complexité liées au concept d’apprentissage, ce
présent article vise à apporter un nouvel éclairage théorique sur l’organisation apprenante
en intégrant la dimension humaniste de ce concept, aspect souvent négligé ou mal compris.
Nous proposons un cadre conceptuel qui nous permettra de mieux comprendre les liens entre
les notions d’apprentissage et de changement : nous affirmons en effet que les entreprises
doivent changer et se tourner rapidement vers une conception plus humaniste de
l’organisation si elles veulent faire face à un environnement sans cesse changeant.
ABSTRACT
Within the last few years, the learning organization has often been presented by
scholars as well as practitioners as the ideal type of the organization of tomorrow: the
learning ability is indeed considered to be the only source of sustainable competitive
advantage. But what is really meant by « learning organization »? After reading the several
writings on the topic, we can note that this notion that much people link with that, less recent,
of organizational learning remains fuzzy: it has little consensus in terms of definition,
perspective, conceptualization, and methodology. Given the confusion and complexity linked
with the concept of learning, this paper is aimed at bringing a new theoretical perspective on
the concept of the learning organization by integrating its humanistic dimension, an aspect
which is often neglected or not well understood by those preoccupied by the subject. We
propose then a conceptual framework which will enable us to understand the links between
the notions of learning and change better: we state indeed that companies have to change and
move toward a more humanistic conception of the organization if they want to adapt to an
environment characterized by turbulence and rapid change.
1
Adresse pour la correspondance : Philippe LE, Université d’Angers; 13, allée François Mitterrand B.P. 3633 49036
Angers Cedex 01. Tél. 02.41.96.21.35 ; Fax. 02.41.96.21.96 ; e-mail: [email protected].
INTRODUCTION
Alors que nous approchons du nouveau millénaire, nous assistons à une « quête
désespérée » de nouvelles approches en management (Eccles et Nohria, 1992, p. 2), les
paradigmes de management existants montrant leurs limites (Hamel et Prahalad, 1994a). La
recherche de nouveaux paradigmes s’est accélérée en raison des facteurs suivants : déclin des
firmes occidentales amorcé depuis les années 70 avec des marges de profit déclinantes ;
l’incertitude face à l’avenir ; les changements technologiques et sociaux ; les forces du marché
avec des consommateurs de plus en plus exigeants et aux goûts de plus en plus évolués et
affirmés ; les changements démographiques ; la dégradation de la qualité de vie et de la nature
avec des coûts environnementaux énormes ; la globalisation croissante des marchés et une
concurrence exacerbée. Il n’est pas surprenant de constater que la plupart des entreprises se
trouvent dans une situation plus ou moins précaire, et il n’est guère aujourd’hui de firme dont
l’existence ne soit pas menacée, au moins à terme.
La recherche de nouveaux paradigmes en management a abouti notamment ces
dernières années vers le concept de l’organisation apprenante (learning organization), souvent
présenté par les chercheurs ou praticiens comme le modèle souhaitable de l’organisation de
demain. Ce concept apparu à la fin des années 80, que beaucoup confondent à celui moins
récent d’apprentissage organisationnel, suscite beaucoup d’intérêt (les deux notions étant
parfois utilisées indifféremment). Il faut dire que la capacité d’apprentissage a été présentée
comme la seule source d’avantage concurrentiel durable (de Geus, 1988 ; Senge, 1990 ; Stata,
1989). Cependant, au travers de la littérature, on ne trouve pas de véritable consensus en
termes de définition, perspective, conceptualisation et méthodologie sur l’organisation
apprenante (Easterby-Smith, 1997 ; Edmondson et Moingeon, 1997 ; Tsang, 1997). Le
concept demeure souvent ambigü. Il n’a pas la même signification pour tous les auteurs bien
au contraire. De plus, on constate que le fossé qui sépare les concepts d’apprentissage
organisationnel et d’organisation apprenante ne cesse de se creuser (Tsang, 1997). Le premier
faisant l’objet généralement de recherches descriptives et tentant de répondre à la question
suivante : « Comment apprend une organisation ? » Tandis que le second fait l’objet au
contraire d’écrits prescriptifs et normatifs, ne présentant pas toujours tous les gages de la
rigueur scientifique. Il se préoccupe de répondre à la question suivante : « Comment bâtir une
organisation apprenante ? » en partant donc du principe que les organisations n’apprennent
pas ou pas suffisamment.
Malgré les nombreux écrits sur l’organisation apprenante et l’apprentissage
organisationnel, ces notions restent encore floues et demandent à notre sens à être clarifiées.
Cet article vise à apporter un nouvel éclairage théorique sur ce concept en intégrant sa
dimension humaniste, en écho à l’orientation des idées en management depuis presque quatre
décennies. Cet aspect n’a pas été toujours bien compris par ceux qui se sont intéressés au
concept en raison d’une idée de l’apprentissage par trop restrictive et fragmentaire.
En effet, quelles sont les implications les plus profondes de l’évolution des écrits en
management, ceux qui plus récemment affirment « révolutionner » les théories
organisationnelles et qui appellent à une réévaluation des pratiques managériales
traditionnelles? Il semble y avoir une convergence vers le rôle déterminant des êtres humains,
leur « actualisation », leur « cohésivité », leur « engagement », leur « mobilisation », et vers la
nécessité de pratiques managériales qui permettent cette concrétisation. En dépit des limites
de ces écrits que l’on évoquera ultérieurement dans ce papier, le but actuel des théories sur
l’organisation n’est-il pas de développer une « firme plus humaine » ? Pour rendre cela
possible, je crois qu’il est nécessaire de se pencher sur la dimension humaniste voire
spirituelle oubliée des concepts de l’organisation apprenante et de l’apprentissage
organisationnel, au-delà de leurs simples aspects techniques voire cognitifs. Mais quel type
d’humanisme ? Au cours de cette réflexion, j’expliciterai le terme « humanisme », mais pour
le moment j’invite le lecteur à comprendre l’humanisme comme la priorité donnée à la
personne, ses actes, son sens du soi, et son rôle clef dans toutes les activités organisées.
L’objectif de cet article est par conséquent de proposer un cadre conceptuel qui nous
permette de mieux comprendre les rapports entre la notion d’apprentissage dans les
organisations et celle de changement organisationnel, et de développer notre argument selon
lequel les entreprises doivent s’orienter vers une conception plus humaniste de l’organisation
si elles veulent faire face à un environnement en perpétuelle mouvance.
1.
1.1.
BILAN DES IDÉES EN MANAGEMENT DEPUIS UN DEMI-SIÈCLE : VERS
UNE REVALORISATION DU CAPITAL HUMAIN
En quête d’une organisation post-taylorienne
Quelle est donc cette organisation qui apprend ? On ne peut pas séparer l’analyse de ce
concept des théories et études existantes sur l’organisation. D’autant qu’on a présenté
l’organisation apprenante comme une rupture par rapport aux approches traditionnelles du
management. Notons toutefois que les études existantes sur l’organisation apprenante, outre
qu’elles demeurent fragmentées dans leurs orientations, sont rarement construites sur les
résultats de recherche antérieurs et font fi plus encore de l’évolution de la pensée en
management.
Pourtant, le concept de l’organisation apprenante fait partie de la problématique du
changement ainsi que de la théorisation sur l’organisation qui, depuis la fin des années 20,
vise à faire table rase des limitations imposées par les principes du taylorisme et des
théoriciens de l’école classique (Fayol, Taylor, Ford, Weber, Gilbreth, Gantt, Mooney,
Gulick...). Ceux-ci percevaient les organisations comme des machines et les travailleurs
comme des pions, jugeant que les unes et les autres se conformaient à une autorité ainsi qu’à
des règles strictes et n’agissaient que sous l’impulsion de stimulants économiques2. Une place
pour chaque homme et chaque homme à sa place, une place pour chaque chose et chaque
chose à sa place, nous dit Fayol. Sans vouloir réduire sa pensée à ce principe isolé, force est de
constater qu’il résume bien, en caricaturant, les théories traditionnelles de l’organisation.
Les préceptes de l’école classique ont eu d’importantes conséquences sur les modes de
gestion des entreprises. La mise en application de ses directives a souvent conduit à de très
nombreux dysfonctionnements dans les entreprises ainsi qu’à de nombreuses critiques qui
dénoncent notamment les méfaits de la bureaucratie (Gouldner, 1954 ; Merton, 1957 ; Perrow,
1979)3. Elles ont largement démontré leurs limites, même si leur influence se fait encore sentir
2
Pour une analyse plus approfondie, voir Morgan (1986).
Les critiques du modèle bureaucratique s’attaquent plus à sa dégénérescence qu’à ses principes essentiels. Il est
loisible de se poser la question de savoir si « ces effets pervers » sont inévitables et prouvent que le modèle ne peut
exister dans la conception de Weber.
3
de nos jours dans les entreprises et les organisations (par exemple, Pinchot, 1994 ; Senge,
1990). Elles ont en particulier le défaut de nier le facteur humain (ou d’en avoir une certaine
conception très réductrice) et de concevoir l’organisation selon une vue très mécaniste de la
réalité.
Les problèmes humains ont fait par la suite l’objet d’une nouvelle quête de rationalité,
explicitement centrée sur ce qui avait été laissé de côté, à savoir la personne et les relations
humaines entre individus. L’école des relations humaines avec ses principaux représentants
Roethlisberger et Mayo, ainsi que son prolongement, le courant participatif, se sont centrés
sur l’intégration du facteur humain aux divers contextes de la production, de la
communication et de l’organisation générale de l’entreprise. Ils ont eu le mérite de faire porter
l’attention des dirigeants sur des conduites humaines que l’on considérait antérieurement sous
l’angle purement économique, technique ou idéologique. Maslow, McGregor, Likert, Leavitt,
Lewin, Argyris, Herzberg et bien d’autres sont les psychologues industriels et sociaux qui ont
vigoureusement dénoncé les insuffisances du mouvement classique et critiqué l’organisation
hiérarchique et taylorienne du travail. Ils ont placé l’individu, l’homme, au centre de
l’organisation et ont fortement développé la recherche sur les modèles d’organisation capables
de prendre en compte la malléabilité et les capacités évolutives et créatrices de l’individu.
Leur objectif n’est pas tant de rendre absolument heureux les individus au travail, mais
d’inventer des modèles d’organisation qui exploitent davantage le potentiel humain.
Avec le mouvement socio-technique4 qui complète celui des Relations Humaines, les
logiques de liberté, d’autonomie, de changement, d’humanité, de créativité et de démocratie
ont prévalu (Perrow, 1973). Avec notamment l’idée de la participation collective par groupes
d’individus (en priorité les salariés) pour développer de nouveaux schémas de travail, d’autres
perspectives de carrière, et divers arrangements visant à mieux concilier la vie familiale et la
vie professionnelle. Ainsi que l’idée que les salariés et leurs supérieurs hiérarchiques doivent
apprendre, de ce point de vue, à reconceptualiser leur travail, et les hauts dirigeants à créer les
contextes adéquats.
Un regard rapide vers les écrits les plus influents en management depuis la fin des
années 1970 montre clairement que la pensée en management cherche à comprendre
davantage le changement, sa nature et sa dynamique. Le changement ne provient peut-être pas
de l’environnement comme l’affirment dans les années 60 les théoriciens de la contingence au
premier rang desquels Lawrence et Lorsch (1967) et Burns et Stalker (1961), qui estiment que
la firme doit simplement s’adapter au changement et donc à l’environnement.
Dans cette volonté de comprendre le changement, la culture d’entreprise, thème favori
par ailleurs de la critique du management traditionnel, figure en bonne place. La large
conquête des marchés mondiaux du Japon a éveillé l’intérêt pour cette notion (Lee, 1980 ;
Ouchi, 1981 ; Pascale & Athos, 1981 ; Peters & Waterman, 1982). Né des toutes premières
tentatives pour comprendre le succès du modèle japonais, le thème de la culture a joui d’une
popularité grâce à l’ouvrage Le prix de l’excellence (Peters et Waterman, 1982). Ainsi, une
nouvelle idée du management a été lancée. On demande désormais au manager de devenir un
héros, un créateur de mythes et valeurs, un catalyseur jouant avec les symboles pour mobiliser
une force de travail enthousiaste galvanisée par la productivité et une performance soutenue
4
Ce sont les membres de l’Institut Tavistock des Relations Humaines fondé en 1946, en Angleterre, qui ont inventé
le qualificatif de « système sociotechnique », afin de mettre en relief l’interdépendance entre les aspects sociaux et
techniques du travail.
(Deal et Kennedy, 1982 ; Kilman, Saxton & Serpa, 1985 ; Peters & Austin, 1985 ; Peters &
Waterman, 1982 ; Waterman, 1987). L’autre thème, qui est considéré comme complémentaire
au premier, est celui de la qualité totale. Celle-ci s’est développée également au Japon, via les
cercles de qualité, les systèmes de production au juste-à-temps avec les zéro stock et les zéro
défaut (Crosby, 1979 ; Deming, 1986 ; Juran , 1988).
La plupart des best-sellers des années 80 dans le domaine du management ont
essentiellement combiné les thèmes de la culture d’entreprise et le management par la qualité,
en valorisant « l’esprit d’équipe », les « valeurs partagées », le « projet commun » ou les
« cercles de qualité » (Archier et Sérieyx, 1984 ; Crozier, 1989 ; DePree, 1989 ; Peters, 1992 ;
Scherkenbach, 1988 ; Sérieyx, 1989). Les problèmes d’écologie et d’éthique se sont greffés à
ces thèmes mais la préoccupation première reste la promotion des styles de management
favorisant la cohésivité, la complicité, l’initiative et la créativité à tous les niveaux. Cela passe
par la revalorisation du capital humain et la mise en avant des valeurs communes, de l’esprit
d’équipe, de l’initiative, de la collaboration, de l’équité, de la qualité, de la moralité et de
l’honnêteté.
Auparavant, le principal problème des managers et des théoriciens de l’organisation
était de trouver les moyens de motiver, mobiliser et stimuler les gens pour faire un travail que
la spécialisation, la division technique du travail, et les préoccupations de réduction des coûts
ont rendu de plus en plus ennuyeux, insipide et vide de sens. Avec le succès économique des
japonais (et aussi, sur des bases différentes, des allemands et des suédois), les objectifs
n’étaient plus de faire des produits de plus en plus vite au moindre coût mais de les produire
mieux, de manière plus « créative » et plus fiable. L’ère de la qualité a été étendue à la firme ;
tous les employés doivent être désormais des participants actifs et intelligents.
Le thème de convergence majeur pour les nombreux courants œuvrant pour une firme
plus humanisée serait donc l’importance de l’Homme ou les attitudes et les comportements
individuels au travail. Qu’importe la tendance ou le sujet : la culture d’entreprise (Deal et
Kennedy, 1982 ; Ouchi, 1981 ; Peters et Waterman, 1982) ; « l’actualisation » de
l’intelligence et des ressources humaines (Crozier, 1989 ; Peters et Austin, 1985 ; Waterman,
1987) ; la qualité totale et le renouveau de l’éthique au travail (Juran, 1988 ; Mintzberg, 1989
; Peters et Austin, 1985) ; le lieu de travail, lieu également pour le dialogue et le partage (De
Pree, 1989 ; Peters, 1992 ; Peters et Austin, 1985 ; Weitzman, 1984) ; la vision à court terme
de la plupart des managers occidentaux, focalisés sur les profits immédiats, l’utilitarisme et le
technicisme mécaniste (Etzioni, 1989 ; Minc, 1990 ; Mintzberg, 1989) ; et plus récemment
l’émergence du concept non plus de capital humain mais de capital intellectuel (Quinn, 1996 ;
Ulrich, 1998 ; Stewart, 1997).
Ce qui ressort clairement, c’est le souci de mettre en exergue l’élément humain de façon
à ouvrir la voie à des pratiques managériales visant au mieux l’intelligence de chacun et de
développer son désir d’appartenir à l’entreprise qu’il sert. Il semble impératif maintenant de
trouver une forme de management qui voit l’employé non plus comme un rouage passif mais
comme un complice actif et volontaire.
1.2.
Impasses des théories traditionnelles de l’organisation
Cependant, selon certains auteurs, le management traditionnel n’est pas préparé pour ce
changement (par ex. Chanlat, 1990). Il lui manque les moyens conceptuels et théoriques pour
saisir l’ampleur des bouleversements à venir. Embués dans la théorie traditionnelle,
solidement ancrée dans le fonctionnalisme et l’idéologie du consensus, beaucoup de
théoriciens de la gestion ne prennent pas conscience que ces changements fondamentaux dans
les facteurs de succès exigent également un changement profond dans la philosophie du
management et dans la conception du travail et du travailleur. Entre l’employé à qui on
demande de « faire de plus en plus vite » et une obéissance passive et celui à qui on attend de
l’engagement, de l’initiative et de la créativité constante, il y a un pas... pas évident à franchir.
Cela nécessite au préalable une analyse approfondie de la vie organisationnelle avec ses
comportements individuels ainsi que les relations interpersonnelles de travail qui peuvent
constituer autant d’obstacles au changement (Argyris ; 1990 ; Morgan, 1986). On est
également confronté à des dirigeants qui trop souvent conçoivent (et traitent) le travailleur
comme un instrument de production, comme une sorte de « mécanisme poussé par des
besoins », comme maximisateur de profits, comme une ressource à être exploitée et surveillée,
comme un coût qui doit être contrôlé et minimisé.
C’est bien là la limite des théories de l’organisation et de la vision managériale réformée
depuis les années 1980 : ce refus obstiné de remettre en question les fondations sur lesquelles
les relations de travail sont actuellement vécues dans les firmes. Avec la contradiction encore
séculière entre les intérêts des patrons et managers (le capital) et ceux des travailleurs (le
travail)5. Pour les patrons, l’objectif est de dégager toujours plus de profit au détriment entre
autre de la valorisation des salaires. Quant aux travailleurs, ils revendiquent toujours pour
obtenir de meilleures conditions de travail et des salaires décents, qui s’érodent néanmoins
régulièrement. Comment le management peut-il alors prétendre qu’il y a des intérêts et
objectifs convergents dans la firme, qu’il peut y avoir un consensus ? Le modèle des relations
humaines et de la motivation a montré son incapacité intrinsèque à dépasser le problème de
fond : faire des dirigeants et des dirigés de réels partenaires (Aktouf, 1986 ; Chanlat et
Dufour, 1985 ; Sievers, 1986). On ne peut pas changer le mode de management sans faire
face à cette contradiction. C’est pourtant le tour de passe-passe tenté par le courant du
symbolisme et de la culture d’entreprise (Deal et Kennedy, 1982 ; Kilman et al., 1985 ; Peters
et Waterman, 1982), l’objectif étant de permettre au travailleur de s’approprier la firme
symboliquement sans rien toucher matériellement, c’est-à-dire, sans partager les profits, le
pouvoir, la propriété, les informations ou les décisions. Se proposer de gérer et changer la
culture de façon volontariste semble quelque peu naïf surtout lorsqu’elle repose sur une
connaissance et une compréhension très parcellaires du processus de formation de la culture
dont certains, par ailleurs, tentent l’analyse selon une démarche de nature socioanthropologique s’opposant aux modèles purement managériaux (le modèle de la corporate
culture part du principe que l’entreprise a une culture qui lui est spécifique, alors que d’autres
pensent qu’elle est cette culture (Smircich, 1983)). Comme le fait remarquer Meek (1988),
« la culture n’est pas une variable indépendante et ne peut pas être créée, découverte ou
détruite par les caprices du management ». La culture ne serait pas une variable isolable parmi
d’autres, mais bien un véritable système qui structure la vie sociale, pas seulement dans
l’entreprise mais dans la société en général.
La plupart des approches en management se concentrent sur l’employé (le capital et la
ressource humaine). C’est un signe sûr d’un intérêt vif pour l’élément humain. Cependant, en
maintenant le statu quo sur tout ce qui concerne le pouvoir, les conflits d’intérêt, et la division
voire la fragmentation du travail, les comportements individualistes ou de défense, etc., elles
5
Il est à noter que le marxisme s’est toujours centré autour de cet élément, l’analyse des relations de travail.
ne reflètent qu’un humanisme faussé. Comment peut-on s’attendre à ce que les employés
participent à des valeurs partagées et se libèrent, si les pratiques traditionnelles perdurent et si
les mentalités ne changent pas radicalement ? Les analyses organisationnelles afférentes à la
gestion du changement ont en effet ceci de commun : soit elles ignorent les conflits
organisationnels, les antagonismes (l’entreprise étant représentée comme une grande famille),
soit elles pensent pouvoir les éliminer par de beaux discours idéologiques, la hausse du niveau
de vie ou ce qui est trop souvent perçu comme de la manipulation. Les courants behavioriste,
politique, psychanalytique, qui se sont certes intéressés à ces aspects, n’évoquent guère leur
traitement, pensant que ce sont là des traits inévitables de la vie organisationnelle et de la
nature humaine ou encore qu’il faille se tourner vers des idées plus radicales, par exemple
celles égalitaristes de Karl Marx. Une analyse satisfaisante doit donc intégrer tous les aspects
de la vie organisationnelle.
En cela, les théories organisationnelles actuelles sont fragmentaires et aucune d’entre
elles n’appréhende véritablement l’organisation dans sa globalité. Elles n’ont pas une vision
holistique de l’être humain. Pas un des écrits ne mentionne le souci d’une « théorie globale de
l’être humain et de l’organisation ». Nous pensons donc qu’il est nécessaire de se tourner vers
d’autres voies pour appréhender le changement, en particulier vers le concept de
l’organisation apprenante. Pour cela, nous devons réinterpréter la notion d’apprentissage afin
de bien la comprendre.
2.
2.1.
L’APPRENTISSAGE DANS LES ORGANISATIONS : ENJEUX, CONDITIONS
ET FACILITATEURS
Enjeux d’une organisation qui apprend
A priori, on ne voit pas trop le lien entre l’apprentissage et une organisation fondée sur
des vues humanistes. Si on en juge par les différentes définitions existantes de l’apprentissage
organisationnel, on peut être d’autant plus perplexe : « création et modification de routines,
acquisition et diffusion de connaissances utiles à l’organisation, amélioration de la capacité à
entreprendre des actions efficaces, capacité à donner du sens et à interpréter, détection et
correction d’erreurs, modifications des cartes cognitives ou cadres de référence », etc. Notre
intention n’est pas de discuter ici des différentes approches de l’apprentissage organisationnel
et de conclure à une absence d’accord sur le concept, d’autres l’ont fait. Mais de repenser le
concept sous un angle plus créatif ce qui pourra offrir un pont entre les aspirations des
théoriciens de l’organisation suscités et l’élaboration d’une organisation plus humanisée.
Pour comprendre ce que signifie l’apprentissage, il faut comprendre le paradigme sur
lequel repose les organisations actuelles et plus largement la société. De nombreuses voix
provenant aussi bien des sciences que de la philosophie nous font remarquer le problème de la
fragmentation de la pensée profonde et insidieuse développée par la vision mécaniste du
monde (par ex., Bohm, 1980 ; Bohm et Edwards, 1990 ; Capra, 1983 ; Talbot, 1992 ;
Wheatley, 1992 ; Wilber, 1984). Elle a des répercussions dans chaque champ de l’existence et
est ainsi profondément ancrée dans notre culture et dans notre conception de l’organisation.
Selon W. Isaacs (1994), « la fragmentation de notre pensée est un véritable virus qui
infecte chaque champ de l’expérience humaine. Découlant en partie d’une vision du monde
héritée du XVIe siècle (qui voyait le cosmos comme une machine géante), nous avons divisé
notre expérience en parties séparées et isolées (p. 85) ». L’homme par la pensée, qui est un
« véritable système déformant », en est venu à considérer le monde comme une série de
fragments mécaniques disjoints, lui-même étant l’un de ces constituants. Et il s’est mis à agir
en fonction de cette vision du monde, ce qui conduit à « une sorte de confusion généralisée de
l’esprit, laquelle crée une série sans fin de problèmes qui interfèrent avec la clarté de notre
perception, assez sérieusement pour nous rendre incapables de résoudre la plupart d’entre eux
(Bohm, 1980) ». D. Bohm (1980) soutient en effet que « la notion que tous ces fragments
existent séparément est évidemment une illusion, et cette illusion ne peut que mener à rien
d’autre qu’un conflit sans fin et à la confusion (p. 30) ». Car, « fragmentation signifie aussi
conflit et égocentrisme ; en d’autres termes, non pas tension créatrice mais conflit dénué de
sens (Bohm, 1988) ».
Il y a donc un paradoxe dans la façon même dont les êtres humains perçoivent le monde
et agissent en conséquence. Jusqu’à un certain point, la pensée crée des modèles qui englobent
nos opinions, nos croyances, nos présuppositions. La réalité étant très complexe, nous créons
des modèles afin de la simplifier et de nous permettre d’intervenir et de prendre des décisions.
A ce niveau, il est essentiel de créer des modèles même si cela peut causer des problèmes. Car
premièrement, nos modèles ne sont pas toujours adéquats, c’est-à-dire que la fragmentation
que nous faisons des choses n’est pas forcément toujours appropriée. Nous oublions,
deuxièmement, de mettre nos modèles à jour. Nos modèles ont été créés par rapport à une
situation particulière, mais comme la réalité est en perpétuel changement, il faudrait aussi
changer ces modèles, chose que nous négligeons souvent de faire. Troisièmement, nous
oublions que nous fonctionnons avec des modèles et nous confondons nos modèles avec la
réalité. Il faut ici un sens aigu de l’exploration pour voir comment et combien nous sommes
programmés. La plupart des gens partent de leurs présupposés sans même savoir qu’ils les
entretiennent. W. Isaacs (1993, p. 29) résume cette crise de perception de la manière suivante
:
" L’essence de la crise est basée sur le fait que les gens ont appris à
diviser le monde en catégories de pensée et opèrent des distinctions à
l’intérieur de ces catégories. Bien que ces catégories soient un mécanisme
naturel pour développer le sens, nous avons tendance à être presque
hypnotisés par elles, oubliant que nous les avons créées. Nous agissons sans
intelligence et esprit, comme si nos hypothèses et catégories de pensée
étaient parfaitement représentatives de la réalité. Nos propres créations, nos
pensées exercent un pouvoir en apparence indépendant sur nous. Ce qui est
peut-être le plus frappant, c’est de réaliser que nous le faisons
collectivement. L’apprentissage organisationnel n’avancera pas fortement,
semble-t-il, sans une discipline collective qui examine ce domaine subtil et
cependant profondément influent."
Une pensée fragmentaire peut avoir des conséquences désastreuses, car incapable de
vision globale et déformée par sa fixation excessive sur le particulier et les détails. Cette
pensée est un facteur de division, d’isolement arbitraire, d’opposition voire même
d’égocentrisme (Bohm et Edwards, 1990 ; Cayer, 1996). D’ailleurs, la fragmentation est
particulièrement visible quand les êtres humains cherchent à communiquer et réfléchir
ensemble sur des questions difficiles. Plutôt que de penser et raisonner ensemble, les gens
défendent souvent leur « part », cherchant à gagner sur les autres (Isaacs, 1994). D’où les
maux qui sévissent dans les organisations et plus largement dans la société. La vision
holistique préconisée par un nombre croissant de scientifiques peut contribuer à libérer
l’individu de l’emprise paralysante de l’ego. Les sagesses transcendantales enseignent
d’ailleurs de tous les temps le caractère illusoire de l’ego et, grâce notamment à la méditation,
visent à démanteler cette superstructure, la remettant à sa juste place (Wilber, 1984).
Dans les organisations, cette fragmentation débouche sur la création de « murs » qui
séparent les différentes parties de l’entreprise (les hommes, les services, départements...), la
rendant plus difficile à gouverner. D’après P. Senge, le principal promoteur du concept de
l’organisation apprenante, les murs qui existent dans le monde physique (structures
hiérarchiques, entreprises morcelées) sont le reflet de nos murs mentaux. Les modifications de
structure, telles par exemple le « process reengineering », visant à abattre les murs entre les
différentes fonctions ne peuvent avoir d’effets durables que si nos modèles mentaux – images
internes de la façon dont le monde fonctionne et qui sont profondément ancrés en nous –
changent également. Ces murs sont autant d’obstacles à la communication, à l’écoute et la
compréhension mutuelle.
La plupart de nos organisations se caractérisent en outre non seulement par la séparation
entre cadres et travailleurs, mais aussi par un clivage fondamental de l’autorité, de la
responsabilité, des qualifications, du savoir et des activités (Chanlat, 1985 ; Morgan, 1986).
En dépit du mythe politique de l’égalité des hommes, certains sont plus égaux que d’autres.
Au sein d’une organisation, seule une minorité possède l’autorité, est responsable, a les
qualifications requises, le savoir et est considérée comme le moteur pour la réalisation des
objectifs de l’entreprise. À vrai dire, la dynamique sous-jacente de ce clivage fondamental ne
conduit pas uniquement à la construction d’une échelle inégalitaire de qualifications et
d’aptitudes. Elle va beaucoup plus loin puisque le personnel de l’organisation agit justement
dans cet esprit selon le postulat que seule une petite minorité possède la totalité. En termes
psychanalytiques, on pourrait dire que ceux qui sont au sommet sont omniscients, omnipotents
et que tous les autres sont ignorants.
La fragmentation omniprésente au sein de l’organisation moderne engendre
inévitablement la compétition. Les hommes à l’intérieur de l’entreprise sont souvent rivaux,
parfois davantage entre eux qu’avec les concurrents extérieurs. Selon Kofman et Senge
(1993), nous avons façonné nos vies autour de la lutte et de la compétition, à tel point que
c’est notre seul modèle et mécanisme pour changer, s’améliorer et apprendre. « Le problème
est que nous avons perdu l’équilibre entre la compétition et la coopération précisément à un
moment où nous avons le plus besoin de travailler ensemble (p. 9). » La compétition (sans
doute née des ambitions personnelles, du désir de chacun de réussir et de protéger ses intérêts
propres) fait que « le paraître est plus important que l’être ». La peur de ne pas paraître bien
est un des plus gros ennemis de l’apprentissage. Car, pour apprendre, nous devons reconnaître
qu’il y a des choses que nous ne savons pas. Or, ne pas savoir est considéré dans l’entreprise
(comme d’ailleurs dans la société et notamment à l’école) comme un signe de faiblesse ou
d’incompétence. En réponse, la plupart d’entre nous ont développé des défenses – comme
résoudre nos problèmes de manière isolée, afficher constamment notre meilleur visage en
public, et ne jamais dire « je ne sais pas ». Le prix payé par les organisations est énorme. En
effet, nous nous barricadons dans des routines défensives qui protègent les modèles mentaux
de la moindre critique. Ceci débouche sur ce que C. Argyris (1990, 1991) appelle le « talent
de l’incompétence », talent que possèdent les gens pour se protéger contre l’inconfort et les
menaces ressentis face au besoin d’apprendre, de se renouveler. Une attitude qui en fin de
compte ne leur permet pas d’améliorer leurs compétences et d’évoluer.
Autre effet de la fragmentation, le manque de créativité criant dans les organisations. La
réactivité et le conformisme dominent (Kofman et Senge, 1993). S’adapter, entrer dans les
normes, être accepté devient très important. L’autorité, exercée dans la plupart des institutions
actuelles, engendre des réflexes de défense et sape la pulsion naturelle des gens à apprendre.
Les systèmes de management sont dominés par la peur, l’ultime tentative de motiver
« extrinsèquement », alors que ce que recherchent les managers et théoriciens du management
c’est de susciter au contraire l’engagement des individus ainsi qu’une motivation et
mobilisation qui soient « intrinsèques ». Or, la créativité ne peut pas naître de la peur. Selon
Kline et Saunders (1993), si l’on veut énoncer une simple cause qui explique toute la
confusion et le manque d’engagement que l’on retrouve dans beaucoup trop d’entreprises,
cette cause pourrait être justement la peur. « Subtile, se répandant partout, insidieuse et
irrépressible, la peur est une partie de l’atmosphère de ces entreprises qui est dure à isoler,
sans parler de son élimination. Mais comme un poison invisible dans l’air, la peur aggrave
l’état de tension, de confusion et de désordre chez les employés (p. 24). »
Ainsi, dans les organisations traditionnelles, les obstacles individuels à l’apprentissage
sont très souvent liés à la pensée fragmentaire et égocentrique des membres, qui favorise les
conflits, la compétition, la réactivité, le conformisme et la peur.
Il ne suffit plus de faire des incantations faciles et gratuites sur le capital humain. Il faut
encore appréhender de manière globale la nature des problèmes dans les organisations qui
empêchent le changement. On sent bien que l’apprentissage ne peut pas se développer dans
une culture organisationnelle dominée par la peur, le compromis, la défense, l’autorité, le
contrôle, la compétition interne, le conformisme, l’exploitation et les jeux politiques. Or, selon
un nombre croissant de chercheurs, ces traits sont dominants dans les organisations modernes
: ils sapent l’énergie et l’engagement des gens et donc l’efficacité de l’organisation.
Il n’est pas difficile également de deviner que ces traits sont souvent associés à une
organisation dans laquelle il existe un manque flagrant d’égards pour l’aspect humain. Tout
cela découlant de la fragmentation. Un certain nombre de travaux plus ou moins récents ont
dénoncé la plupart de ces problèmes sans toutefois bien appréhender la racine. Un
groupement thématique donnerait l’énumération suivante (bien sûr non-exhaustive) :
1. Contestation de l’ordre établi, du pouvoir unilatéral, le monopole des profits, la
conception instrumentale de l’employé ... comme autant d’obstacles à la créativité collective,
l’adaptation, l’innovation, la "déviance créative" (Atlan, 1985 ; Clegg, 1975 ; De Pree, 1989 ;
Morgan, 1986 ; Orgogozo et Sérieyx, 1989 ; Villette, 1988 ; Weitzman, 1984).
2. Une exhortation contre la fragmentation du travail, contre la destruction de son sens,
contre l’hyperspécialisation et sous-division des tâches ... raisons qui expliquent que le travail
devienne de plus en plus aliénant, ennuyeux, inintéressant et une source de souffrances et
tensions (Braverman, 1974 ; Chanlat et Dufour, 1985 ; Dejours, 1980, 1990 ; Pfeffer, 1979 ;
Sievers, 1986 ; Turner, 1990).
3. Appel pour une discussion sur la relation entre le langage et le travail, la place et le
rôle du dialogue, la possibilité de l’auto-expression, les pathologies de la communication
causées par la violence à l’homo loquens dans l’univers industriel ... tout cela étant inspiré, en
bonne partie, par les travaux de l’école Palo Alto (Aktouf, 1986 ; Chanlat et Bédard, 1990 ;
Clegg, 1990 ; Crozier, 1989 ; Girin, 1990).
4. Appel pour reconnaître que les conceptions et pratiques managériales font échouer
toute possibilité réelle de donner à « l’homme » le statut de sujet, celui d’un acteur
personnellement et ontologiquement autorisé à s’identifier à la firme et à la remettre en
question, à se réapproprier les actes qu’on l’assigne à faire, à les vivre comme une expression
de ses propres désirs (Chanlat et Dufour, 1985 ; Crozier, 1989 ; Dejours, 1980, 1990 ; Pagès,
Bonetti et de Gaulejac, 1984 ; Sievers, 1986).
5. Dénonciation d’un certain manque d’éthique et d’honnêteté envers les employés, des
dommages causés par le monopole des fruits de l’engagement et de la productivité du
travailleur, du comportement égoïste et à court-terme des managers ... tout cela empêchant
l’employé de vivre et d’être traité comme une personne humaine (Etzioni, 1989 ; Olive, 1987
; Packard, 1989).
6. Refus de l’économisme et utilitarisme étroits dont sont imprégnées les théories et
pratiques managériales traditionnelles et qui font des managers et firmes des prédateurs
cyniques sans grande considération pour l’intégrité et la dignité personnelle, le droit à une
certaine qualité de vie, que ce soit pour les employés, les consommateurs ou les citoyens
(Etzioni, 1989 ; Galbraith, 1987 ; Mitroff & Pauchant, 1990 ; Pfeffer, 1979).
2.2.
Conditions : changer d’état d’esprit
Il semble clair que tout ceci empêche la construction d’une firme plus humanisée, plus
apprenante. Mais ce changement qui s’annonce ne va pas de soi. Et aller d’une pensée
fragmentaire, limitante et égocentrique vers une pensée qui appréhende le Tout, passer de la
compétition à la collaboration, ou de la réactivité et conformisme à la créativité n’a rien de
simple et d’évident.
On a traditionnellement considéré les changements qui se produisent au sein des
organisations comme liés à des modifications dans les techniques, les structures, les
compétences et les motivations du personnel. C’est en partie exact, mais un véritable
changement dépend aussi des transformations dans les images et dans les valeurs (bref, nos
modèles mentaux) qui guident l’action et créent la réalité (Kim, 1994 ; Senge, 1990).
L’organisation étant une réalité socialement construite (par ex., Bohm, 1988 ; Weick, 1979),
on peut en effet considérer que les membres jouent un rôle actif dans la « construction de la
réalité » par l’intermédiaire de leurs schèmes d’interprétation. Un changement organisationnel
effectif ne peut donc être accompli qu’à travers une prise en compte des modèles mentaux,
entraînant par-là même inévitablement un changement culturel6.
Ainsi, si l’origine de la plupart de nos problèmes réside dans le fonctionnement de la
pensée, c’est là aussi que se trouve la source du changement. La réalité est le fruit de nos
actions, qui sont elles-mêmes la conséquence de nos perceptions (Kim, 1994 ; Isaacs, 1993).
Albert Einstein affirmait quant à lui : « Le monde que nous avons créé est le produit de nos
manières de penser. Il ne peut être changé que dans la mesure où nous changeons ces modes
de pensée. » On voit bien que si les théories de l’organisation tournent court, c’est parce
qu’elles n’ont pas su appréhender le levier du changement. En bref, on s’est préoccupé des
symptômes sans remonter à la racine.
6
Il est intéressant de noter que les idées développées entretiennent des relations étroites avec la perspective
constructiviste, la théorie de l’énaction ou bien même de la théorie de l’autopoïèse (théorie des systèmes de seconde
génération). La société, les organisations, l’environnement ou encore la culture peuvent, dans une certaine mesure du
moins, être considérés comme des phénomènes socialement construits.
Partant de là, force est de constater que la capacité à reconnaître et changer les modèles
mentaux existants est le facteur central de tout apprentissage organisationnel ; cela nous
apporte un nouvel éclairage sur l’idée de changement et transformation de l’organisation mis
en avant dans les définitions de l’organisation apprenante. Pedler et al. (1991) ne définissentils pas l’organisation apprenante comme « une organisation qui facilite l’apprentissage de tous
ses membres et qui se transforme continuellement » ?
Ainsi, apprendre, c’est avant tout surmonter les obstacles à l’apprentissage, c’est
remédier à la fragmentation. Les organisations, dans lesquelles toute fragmentation, tout esprit
de compétition et toute attitude réactive auront cessé, s’ouvrent à l’intelligence créative
(Kofman et Senge, 1993 ; Senge, 1990). Elles auront appris et sont par conséquent
apprenantes. Par conséquent, on voit qu’il est nécessaire de pratiquer une metanoï a, c’est-àdire un changement des modèles mentaux qui gouvernent nos actions7. Cela exige donc de
remettre en question notre manière de penser et d’agir, nos postulats et les habitudes les plus
ancrés de notre culture. Par rapport aux trois formes d’apprentissage organisationnel décrites
dans la littérature courante, l’apprentissage exigé pour devenir une organisation apprenante est
un apprentissage de type « triple boucle » ou « transformationnel » (Hawkins, 1994). Cette
forme d’apprentissage découle d’un besoin de dépasser les limitations imposées par les
manières de penser, les valeurs ou les paradigmes. De cet apprentissage peut découler
l’intelligence créative (Bohm, 1988 ; Bohm et Edwards, 1990). Habituellement, l’intelligence
est définie comme la mesure de la rapidité et de l’aisance à assimiler les théories, les
informations ou les concepts. Toutefois, dans cette forme d’apprentissage, on entend par
intelligence une source d’idées et de créativité accessibles par un processus de
« désapprentissage » ou, formulé autrement, un processus d’ouverture par la mise entre
parenthèses d’un savoir habituel. Bateson et Bohm soutiennent que l’accès à ces niveaux
d’apprentissage et de créativité nécessite une libération des énergies qui sont normalement
contenues par des cadres de pensée rigides, et ce pour développer la créativité, la coopération
et la flexibilité de la part des membres. Dans ce niveau d’apprentissage, on apprend ainsi le
contexte et la nature des processus par lesquels les gens forment leurs paradigmes et agissent
en conséquence. Hawkins (1994, p. 18) affirme :
" Dans cette dimension de l’apprentissage au niveau individuel, il est
nécessaire d’aller explorer les perspectives fondamentales à travers
lesquelles nous voyons le monde et les paradigmes qui façonnent notre
compréhension. L’apprentissage de niveau III ne concerne pas seulement les
insights personnels et la reconceptualisation de nos expériences, mais
implique une “metanoïa” fondamentale, un volte-face de notre regard, un
ébranlement des fondations de nos croyances et perspectives. À un niveau
organisationnel, cela implique un changement des mind-sets collectifs de la
culture d’une organisation et du fonds émotionnel dans lequel ils sont
enracinés."
Selon Hawkins (1991) et Bateson (1972), ce troisième niveau d’apprentissage touche à
une autre dimension, la dimension spirituelle, parce qu’elle a trait à la conscience et parce
qu’on peut y acquérir plus de sagesse. Cet apprentissage concerne en effet notre capacité à
7
Metanoïa signifie « changement d’état d’esprit ». Chez les Grecs, « metanoïa » signifiait une mutation, un
changement fondamental, ou plus exactement une transcendance de la pensée (« meta », au-dessus ou au-delà,
comme dans métaphysique, et « noïa », l’état d’esprit). Chez les premiers chrétiens, le terme signifiait l’éveil d’une
intuition collective, permettant d’approfondir la connaissance de Dieu. Notons que Senge, qui a popularisé le concept
d’organisation apprenante, a, avant de publier son ouvrage, parlé d’organisations « métanoïaques ». Voir Kiefer et
Senge (1984).
transformer les prémisses sous-jacentes et tout notre système de croyances et nécessite une
redéfinition profonde de sa propre identité (Bateson, 1972). « Une organisation a besoin non
seulement de gens d’action et d’opérationnels (Learning I) ; de stratèges et de penseurs
(Learning II) ; mais aussi d’hommes et de femmes ayant la sagesse (Learning III), parce que
selon les mots d’un Soufi, “Le savoir sans la sagesse, c’est comme une bougie non éclairée”
(Hawkins, 1991, p. 178). » La prise de conscience croissante des liens étroits qui nous lient au
monde et êtres vivants est un des aspects les plus subtils de l’apprentissage à triple boucle.
Celui-ci est une conséquence directe de la perspective systémique, tout comme le sentiment
de compassion.
2.3.
Comment faciliter l’apprentissage ?
Il faut donc des méthodes qui permettent de surmonter la fragmentation et donc les
blocages à l’apprentissage. Les racines du problème, à savoir la fragmentation, la compétition
et la réactivité qui ne permettent pas l’apprentissage sont des modèles de pensée bien ancrés
qu’il convient d’éliminer. Selon Bohm (1988), cela n’aurait pas grand sens d’exhorter les gens
à changer leur façon de penser ; cela ne ferait que surimposer une signification contradictoire
sur une autre plus ancienne, subtile, insidieuse, et profondément enracinée. Le résultat serait
une lutte entre plusieurs significations, qui verra la victoire de la plus forte. Ceci aurait plus
tendance à renforcer l’égotisme fragmentaire qu’à y mettre fin. « Le défi serait plutôt de
dissoudre l’ancien schéma de pensée et de perception plutôt que d’essayer de le contredire, de
le contrôler, ou de le détruire par la force ou par la volonté (Bohm, 1988, p. 192). »
Plusieurs chercheurs de disciplines diverses proposent la solution du dialogue ouvert qui
doit nous aider à prendre conscience de nos modèles, qui sont évidemment individuels, mais
aussi collectifs (à cause des médias et de nos structures sociales, de nos jours, un grand
nombre de nos croyances, de nos modèles sont collectifs et conditionnées) (Bohm, 1990 ;
Isaacs, 1993 ; Maré et al., 1991 ; Schein, 1993 ; Senge, 1990). Il est susceptible de
« dénouer » les résistances socioculturelles collectives qui ont sur nous tous une forte emprise
et de permettre la perception de sens nouveaux. À un niveau collectif peut survenir ce que
Bohm appelait « la création d’un sens nouveau » ou « la création d’un sens partagé ».
Le dialogue qui possède une dimension collective se présente sous cinq aspects tous
interreliés : apprendre à mieux communiquer ; explorer nos modèles, nos croyances
individuelles et collectives ; développer et porter notre attention sur le processus de la pensée ;
créer et recréer un sens nouveau ; et accéder à la créativité. Le dialogue reconnaît aussi que
l’être humain est un être de relation. Notre progression personnelle peut venir à travers
l’échange de points de vue avec autrui. Au cœur même du dialogue, on reconnaît cette image
de l’univers où tout est interdépendant. P. Freire (1993) a mentionné : « Le dialogue ne peut
toutefois pas exister en l’absence d’un amour profond de l’univers et des gens. Nommer
l’univers, acte de création et de re-création, est impossible si cet acte n’est pas inspiré par
l’amour. » Les gens qui pratiquent le dialogue ont chez eux une forme d’altruisme. Ils le font
avec la croyance que le dialogue peut transformer la société.
Outre le dialogue, d’autres pratiques peuvent également contribuer à modifier les
modèles mentaux et lever les obstacles à l’apprentissage collectif ; il s’agit notamment des
outils développés par Chris Argyris et ses collègues, et le pouvoir de la pensée systémique qui
permet de remédier aux limitations d’une pensée linéaire et mécaniste (Senge, 1990 ; Senge et
al., 1994). L’approche d’Argyris, Schön et de leurs collègues (par exemple, Argyris, Putnam
et Smith, 1985 ; Argyris, 1990), qu’ils appellent « la science de l’action », trouve ses racines
dans la recherche-action participative de Lewin et tente à la fois de décrire et de changer le
comportement social en dénouant les résistances et blocages individuels qui empêchent le bon
fonctionnement du cycle d’apprentissage.
L’approche de Chris Argyris vise à aider les individus et les organisations à développer
l’apprentissage à double-boucle en examinant et changeant les hypothèses et théories qui soustendent leurs actions. Au lieu de se contenter d’améliorer certaines normes, l’apprentissage à
double-boucle travaille sur les hypothèses sous-jacentes à celles-ci. Les conséquences peuvent
être remarquables. Isaacs (1993) cite l’exemple du phénomène des mini-usines dans
l’industrie américaine de l’acier : une industrie basée sur des usines intégrées à grande échelle
a été transformée par une concurrence puissante et accepte maintenant la prémisse qui
n’aurait jamais été envisagée quinze ans auparavant : que le succès et la qualité peuvent
provenir d’usines petites, flexibles. Mais la question reste à savoir si ces organisations ont
réellement appris sur les raisons sous-jacentes qui expliquent la rigidité et les hypothèses
limitées qui prévalaient au départ. Sans apprendre à apprendre à cet autre niveau, il est
probable que le cycle se répétera. Ce type d’apprentissage est l’apprentissage à triple-boucle
ou transformationnel. Selon Isaacs (1993, p. 30),
" Si l’apprentissage à double-boucle d’Argyris et Schön répond à la
question, « Quelles sont les manières alternatives de voir cette situation qui
me permettraient d’agir plus efficacement? », l’apprentissage à tripleboucle pourrait répondre à la question, « Qu’est-ce qui me conduit moi et
les autres à être prédisposé à apprendre de cette manière ? Pourquoi ces
buts ? » L’apprentissage à double-boucle encourage le fait d’apprendre
pour améliorer l’efficacité. L’apprentissage à triple-boucle est
l’apprentissage qui nous ouvre aux « pourquoi » sous-jacents. Il s’agit de
l’apprentissage qui permet l’insight dans la nature du paradigme lui-même,
pas simplement une évaluation de quel paradigme est supérieur."
Les travaux de Peter Senge et de ses collègues du M.I.T. constituent une synthèse des
techniques qui permettent de réaliser un apprentissage continu. Ils dégagent cinq disciplines
d’apprentissage qui sont : l’élaboration d’une vision partagée, la pensée systémique, la
maîtrise personnelle, la clarification des modèles mentaux et l’apprentissage en équipe
(Senge, 1990 ; Senge et al., 1994).
3.
IMPLICATIONS DE L’APPRENTISSAGE
L’ORGANISATION DE DEMAIN
SUR
LA
NATURE
DE
En remédiant à la fragmentation, la compétition et la réactivité, il est sans doute possible
d’arriver à cette intéressante forme de compréhension que Gregory Bateson (1972) appelait la
« sagesse systémique » qui implique un changement d’état d’esprit et qui constitue sans doute
le véritable humanisme. Elle suppose d’arrêter de voir le monde comme un ensemble
d’éléments séparés, régis chacun par des relations de cause à effet simples et linéaires,
indépendantes les unes des autres et d’avoir au contraire une vision globale des problèmes. Et
de se sentir relié aux autres. G. Morgan (1986) distingue les organisations « égocentriques »
des organisations « ayant une sagesse systémique ». Selon lui, les organisations égocentriques
tracent des frontières autour d’une étroite définition d’elles-mêmes et tentent de ne servir que
les intérêts de ce domaine restreint. Ce faisant, elles limitent et faussent leur compréhension
du milieu plus vaste dans lequel elles évoluent. Il leur est souvent difficile d’abandonner ou de
« désapprendre » les identités et les mesures stratégiques qui leur ont permis d’exister et de
réussir dans le passé. Et pourtant, c’est bien souvent la condition de leur survie et de leur
évolution. Mais, en raison de cette vision tronquée et faussée, elles ne peuvent se montrer
proactives et mettent en péril leur devenir.
Mais lorsque les organisations reconnaissent que leur environnement n’est pas
complètement extérieur à elles-mêmes, et qu’elles ne doivent pas nécessairement être en
concurrence ou en lutte contre lui, il devient possible d’établir des relations complètement
nouvelles. Les organisations développent alors une sorte de « sagesse systémique ». Elles
deviennent plus conscientes de leur rôle, de leur signification et de leur importance relative à
l’intérieur du Tout ; en considérant ses fournisseurs, son marché, sa main d’œuvre et même ses
concurrents comme faisant partie intégrante du même système qu’elle, une organisation
commence à percevoir l’interdépendance systémique et à en estimer les conséquences. Nous
comprenons ainsi comment les organisations changent et se transforment en même temps
qu’elles changent et transforment leur environnement.
Il n’est pas étonnant alors de constater que les traits de l’organisation apprenante vont
dans le sens de cette sagesse systémique, mais aussi vers un ethos de coopération et créativité
:
— Sens de l’identité collective ainsi que de la mission. On a ainsi vu fleurir dans la
littérature en management les concepts de vision partagée (projet mobilisateur qui donne
l’énergie et la volonté d’apprendre, de progresser en réponse à la question : « Que voulonsnous créer ? »), de valeurs communes, de dessein, de mission ; ceux-ci traduisent le souci de
créer un sens de la communauté et de répondre aux aspirations individuelles des membres de
l’organisation (par ex., Collins et Porras, 1996 ; Senge, 1990) ;
— Conscience et responsabilité sociales en essayant constamment d’améliorer
l’environnement social interne et externe et en se préoccupant fortement à la fois des clients,
de la collectivité et de ses employés (Watkins et Marsick, 1993) ;
— Créativité, esprit d’entreprise en essayant de défier constamment le statu quo,
d’expérimenter et de prendre des risques (Kline et Saunders, 1993 ; McGill et Slocum, 1994) ;
— L’organisation comme lieu de réflexion où les gens développent l’esprit d’examen,
remettent constamment en cause leurs manières de voir et cherchent à appréhender toujours
mieux les interdépendances (Senge et al., 1994) ;
— Responsabilisation et participation en s’efforçant de s’écarter des modèles
bureaucratiques et hiérarchiques fondées sur l’autorité et le contrôle pour au contraire donner
à la fois autonomie, responsabilité, pouvoir à l’employé (par ex., Senge, 1990 ; Watkins et
Marsick, 1993) ;
— Partenariat, complicité, synergie avec l’idée répandue de développer le travail et les
relations d’équipe (avec l’utilisation d’équipes fonctionnelles, interdisciplinaires et
autogérées) et de collaborer plus étroitement avec clients, fournisseurs voire même
concurrents (McGill et Slocum, 1994 ; Watkins et Marsick, 1993) ;
— Lieu de dialogue, d’écoute, de convivialité généralisée et de partage (par ex., dans les
profits, le pouvoir, l’information, les décisions, les actions et la gestion) avec un climat
d’ouverture d’esprit, de confiance, d’équité et de respect pour la dignité et l’intégrité de
l’individu (par ex., De Pree, 1989 ; Kline et Saunders, 1993) ;
— Transparence et libre circulation de l’information avec la volonté de générer à tous
les niveaux du savoir, d’utiliser les facultés créatives des employés, de recueillir toutes les
intelligences d’où qu’elles viennent (clients, fournisseurs, concurrents, leaders d’industrie...)
et de les diffuser rapidement au sein de l’organisation (McGill et Slocum, 1994 ; Ulrich et al.,
1993) ;
Tout cela exige évidemment une nouvelle vision du leadership – autre thème
prépondérant des débats actuels en management ; le leader doit être maintenant un
visionnaire, un entraîneur, un concepteur, un mentor, un serviteur, un enseignant... (par
exemple, Senge, 1990)
Tous ces traits contribuent à créer un nouveau type d’organisation plus humaine. Qu’on
l’appelle « excellente », « de troisième type », « en éveil » ou « apprenante », ce sera encore
une firme dans laquelle les relations et les règles du jeu auront changé radicalement. Il est
maintenant impératif d’aller au-delà des tentatives acharnées pour influencer seulement le
comportement de l’employé, tandis que le reste demeure inchangé. Il est devenu maintenant
nécessaire de changer les règles et la nature même du pouvoir et du contrôle que la
fragmentation, les traditions et la vision mécaniste du monde ont perpétué dans les
organisations. Après tout, qu’est-ce qui est demandé si ce n’est l’établissement des conditions
de travail qui éveilleront chez l’employé le désir de coopérer, de créer ? Parce qu’un tel
changement doit être une expérience vécue (il ne peut être ni imaginé ni commandé), il y a
seulement une solution possible : les travailleurs doivent vivre leur relation vis-à-vis de leur
travail comme une appropriation réelle, plutôt que formelle. Ce qu’ils font dans l’entreprise
doit être vécu comme une réelle extension d’eux-mêmes, comme une occasion d’exprimer son
moi, leurs intérêts personnels devant converger avec ceux de la firme. Ainsi, cette dernière
devient un lieu pour le partenariat et le dialogue, un lieu de travail qui ne fonctionne plus sur
une utilisation intensive de la force de travail.
En somme, les travailleurs ne doivent plus être considérés comme des facteurs de coût à
« comprimer » ou « rationaliser » au maximum, mais comme des alliés dont on souhaite leur
engagement et leur intelligence. Réciproquement, les managers doivent cesser de se
considérer comme les seules personnes aptes à penser, décider, et gérer. Bien que la poursuite
du profit soit un objectif légitime, elle ne doit pas être le seul facteur à prendre en compte. Le
profit doit être considéré comme le résultat des efforts collectifs de toutes les parties. Il ne
s’agit également plus de savoir comment motiver l’employé à tout prix mais de se demander,
comme l’a fait Sievers (1986), pourquoi cette personne est si peu intéressée, motivée et
engagée. Les idées qui viennent d’être développées peuvent-elles nous donner une indication,
un espoir quant à la réponse à cette question ?
4.
CONCLUSION : NI UN IDÉAL ROMANTIQUE OU UNE UTOPIE MAIS UNE
NÉCESSITÉ
Nous avons brièvement passé en revue les différents courants théoriques afférents à la
gestion du changement dans les organisations. Nous avons utilisé les prescriptions les plus
populaires dans les théories en management pour montrer qu’en l’absence d’un cadre
conceptuel plus humaniste prenant en compte tous les aspects de l’être humain, toutes ces
théories avaient fort peu de chances d’aboutir. Ainsi, les nouvelles approches demeurent
inopérantes et beaucoup d’organisations demeurent dans l’impasse (par ex., Etzioni, 1989 ;
Mintzberg, 1989). C’est là précisément que les perspectives théoriques afférentes à
l’organisation apprenante entrent en jeu ; elles offrent des pistes de réflexion et de
compréhension plus larges. Tout le monde semble d’avis qu’une autre approche – voire une
nouvelle philosophie – du management et de l’organisation s’impose en cette fin de siècle.
C’est ce que les apôtres de la culture d’entreprise ou du renouveau et ceux qui les ont suivis
ont proposé8. Mais ils ont agi comme si les employés étaient crédules, naïfs et privés de
culture et valeurs, attendant des leaders héroïques capables de dénouer toutes les crises pour
les instruire. Ou comme si les managers souhaitaient facilement le changement et la remise en
question de leur pouvoir, statuts, titres et privilèges, bref de leur confort. Toute cette approche
fait partie du refus de faire une analyse en termes de conflit d’intérêts et conflit de classes,
produits de la fragmentation. Cependant, il demeure que, sous l’impulsion d’Ouchi, Peters et
Waterman, Mintzberg et tous ceux qui les ont précédés, les questions correctes ont été
finalement posées, même si les réponses n’ont pas été nécessairement recherchées à
l’extérieur du cadre fonctionnel-consensuel usuel.
Sortir des impasses implique (1) une réinterprétation théorique de la notion
d’apprentissage, chargée de confusion et d’ambiguïté dans la littérature en management ou
considérée comme un simple effet de mode, (2) pour les organisations, un changement d’état
d’esprit orienté vers la sagesse systémique, la coopération, la créativité, bref vers un réel
humanisme. Tout cela en accord avec une vision holistique du monde où tout est
interdépendant. La véritable intelligence implique que l’on modifie des attitudes, des modèles
bien enracinés, que l’on privilégie la primauté de l’initiative sur la passivité, de l’autonomie
sur la dépendance et le conformité, de la souplesse sur la rigidité, de la collaboration sur la
compétition, de l’ouverture d’esprit sur son étroitesse, et du questionnement démocratique sur
la croyance autoritaire, etc. Pour beaucoup d’organisations, cela exige un « changement de
personnalité » qui ne va pas de soi. Elles doivent reconnaître et supprimer les barrières
qu’elles ont elles-mêmes érigées et qui peuvent empêcher le processus. Ceci est
intrinsèquement difficile, étant donné la nature humaine et organisationnelle. Placer
l’apprentissage comme objectif prioritaire est, on l’a vu, une tâche loin d’être simple, car on
s’attaque là aux fondations traditionnelles du management et de l’organisation du lieu de
travail. Toutefois, les disciplines d’apprentissage dégagées par Senge et ses collègues (1994)
peuvent aider les entreprises à réaliser la transition.
Ce processus de changement implique aussi une orientation contraire à ce que la société
a considéré traditionnellement comme la norme au niveau à la fois des attentes du travail des
gens et des philosophies sous-jacentes qui ont façonné les organisations elles-mêmes. Il remet
en question les modèles de comportements établis culturellement, basés sur des régimes
bureaucratiques, des mécanismes de contrôle et des hypothèses profondément enracinées pour
aller vers une renonciation au pouvoir, aux privilèges, au management unilatéral. Dans le
climat économique actuel, les entreprises menées par les finances peuvent avoir du mal à
imaginer et concevoir ce type d’organisation mais c’est peut-être le prix à payer si elles
veulent compter sur des travailleurs productifs, alertes, intéressés, motivés et engagés.
8
Le terme révolution est utilisé, par exemple, par Peters (1987) et Crozier (1989) pour référer aux changements qui
doivent avoir lieu dans le management aujourd’hui.
Il s’agit de la seule révolution qui vaille, celle de l’intelligence. Cette révolution est
créative et contraste avec les transformations que l’on rencontre actuellement dans la plupart
des entreprises et qui ont bien souvent un caractère réactif (Hamel et Prahalad, 1994b) ; elles
sont souvent synonymes de révolution « avec effusion de sang », restructurations avec
dégraissage et licenciements tous azimuts (alors que la direction adopte de beaux discours sur
l’importance du capital humain), ou encore reconfigurations en supprimant notamment des
niveaux hiérarchiques. Les premières victimes de ces vagues de pseudo-transformations sont
les salariés démoralisés et démobilisés.
Il est important aussi de comprendre que ce mouvement vers une firme plus humaine est
ni un idéal romantique ou une position philanthropique, ou encore une utopie, mais une
nécessité. Cela sera encore plus fortement imposé par la mauvaise performance, les faillites et
les crises. Ce sera, pour beaucoup d’entreprises, le prix à payer pour la survie. Parce que les
entreprises ont atteint les limites ultimes du taylorisme ; la seule manière pour elles
d’améliorer la productivité semble être de faire de la place aux employés pour qu’ils
expriment de manière adéquate leurs intérêts personnels, leur autonomie, leur libre arbitre et
leurs désirs. Au vue de la persistance des styles de management autoritaires, beaucoup de
praticiens ne semblent pas comprendre le besoin impératif de s’écarter de l'ornière
taylorienne. Les fervents nouveaux credo de la revalorisation du « capital humain sans prix »
sont des preuves irréfutables de cette nécessité : l’ère de « la bonne personne à la bonne
place » est finie, le temps est venu pour l’employé qui sait comment penser, réagir, se
modifier, évoluer et apprendre.
C’est le type d’environnement que le leader éclairé et inspiré bâtira, parce qu’une firme
apprenante peut aboutir seulement à travers les efforts collectifs des individus qui sont poussés
par le désir de coopérer. Et cette coopération s’exprimera à travers la liberté de parole, une
plus grande autonomie, l’équité, la convivialité, la franchise, la confiance et le respect mutuel.
Une telle firme aura besoin de toute la synergie disponible de la plupart des esprits la
composant – si ce n’est de tous – dans le but d’inventer des solutions originales et créatives. Il
s’agit de la seule réponse à la complexité qui est reconnue comme un des défis majeurs
auxquels ont à faire face les managers d’aujourd’hui.
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