Julien Labia,
User d’une ontologie sans la formuler
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© Firenze University Press • Aisthesis • special issue 2013 • www.fupress.com/aisthesis • ISSN 2035-8466
comprendre cette fois, à partir d’un exemple historique, comment la critique musicale a
pu justement fonctionner en contournant plus ou moins adroitement et autant que
possible les questions d’ordre ontologique, et ce même à cet « âge d’or » où certains
critiques musicaux, comme Eduard Hanslick (1824-1904), étaient aussi des philosophes.
Cette réserve historique de la critique quant à l’ontologie de l’œuvre musicale ne doit
pas nous faire oublier que certains philosophes ont pris position d’une manière très
directe et très assurée contre l’ontologie de la musique au nom de la critique musicale,
essentiellement autour d’une réflexion ayant trait au jugement de valeur. Cette mise en
perspective historique et sa réévaluation seront l’objet de notre second temps.
Le troisième temps de notre démarche sera une brève tentative de réponse, à partir
d’un regard sur la critique musicale d’aujourd’hui. Nous tenterons alors de montrer dans
quelle mesure l’impératif d’un engagement dans le discours ontologique s’impose au
sein de la critique musicale même.
Mais il s’agira aussi d’aller contre certaines positions théoriques (comme celle
d’Aaron Ridley) faisant jouer, de leur côté, la critique contre l’ontologie.
En dernier lieu, nous tenterons d’ébaucher, sous une forme principalement
programmatique, ce que pourrait être une perspective de réflexion sur la critique
musicale.
1. La critique musicale, l’oubliée de l’ontologie de la musique ?
1.1. Un ver dans le fruit ouvrant un chemin contre l’ontologie
On peut voir dans l’ontologie de la musique plusieurs directions se dessiner. Pour suivre
cet « art à deux temps » qu’est la musique, toujours entre création et exécution, nous
mentionnerons simplement ici le problème de la nature des œuvres – une
problématique posée surtout en partant de la musique classique –, et celui de leur
interprétation authentique. On pourra ajouter à ce panorama forcément schématique et
incomplet deux autres questions d’une grande importance aujourd’hui. La première est
sans doute la réflexion ontologique portant sur une certaine tradition précise, comme le
font l’ontologie du rock
1
ou celle des musiques du monde [World Music/Weltmusik]
2
). La
1
Voir Pouivet (2010) ou Gracyk (1996).
2
Ce thème a été abordé au cours d’une récente école d’été franco-allemande : « Was ist
Weltmusik? Musikalische Ontologien und taxinomische Verfahren », organisée par D. Laborde, P.
Bohlmann et R. Vogels, CNRS-EHESS/Center for World Music, Hildesheim, 1-7 septembre 2013.