Le Relèvement du Taux d'intérêt Directeur de la Banque Centrale du Congo entraînera l'économie en récession Tribune de Tcheta-Bampa Albert, PhD en Economie (Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) Depuis troisième trimestre 2016, la Banque Centrale du Congo (BCC) a relevé son taux directeur en complétant des interventions de la BCC sur le marché des changes afin de lutter contre la dépréciation du Franc Congolais (FC). Malheureusement, la gestion du taux de change à l’aide du taux d’intérêt pourrait entraîner de fortes hausses de taux d’intérêt, qui vont tendre à contracter la production nationale et à dégrader les termes de l’échange. La BBC déclare qu’en effet, la RDC est un pays cibleur d’inflation (voir, allocution du Gouverneur Mutombo Mwana Nyembo du 13 janvier 2017, p. 2), or, en pratique le régime de change congolais a un flottement géré ou dirigé. La flexibilité des changes est un prérequis primordial à l’adoption du ciblage d’inflation parce qu’elle permet d’orienter la politique vers son objectif premier de stabilité des prix (voir, Masson et al., 1997 ; Amato et Gerlach, 2002 ). Le relèvement du Taux directeur actuel est susceptible de compliquer la gestion de la stratégie de ciblage d’inflation de la BCC. Relever le taux directeur de 5 points, passant de 2 % à 7% en septembre 2016, et de 7 %, passant de 7 % à 14 % en janvier 2017, est trop violent et de ce fait, risque d’impacter négativement la profitabilité des banques commerciales ; la fragilité du secteur bancaire qui s’ensuit peut alors devenir un obstacle majeur à l’atteinte de la cible (objectif) d’inflation annoncée. La raison est la suivante. La BCC est en face d’un conflit d’objectifs ou de ciblage: elle cible à la fois l’inflation et le taux de change. Ce qui rejoint la règle de Tinbergen (Tinbergen, 1952), selon laquelle il faut disposer d’autant d’instruments que d’objectifs, chaque instrument devant être affecté à l’objectif qu’il sert le mieux. Cette décision va de plus en plus éloigner les potentiels de relancer la croissance, parce que les banques commerciales augmenteront le coût des crédits bien plus qu'elles ne relèveront les intérêts payés aux épargnants. Ce qui va amplifier le ralentissement de l’investissement et de l'activité des entreprises. Je suis assez surpris de la période à laquelle la BCC décide le changement de sa politique monétaire. Cette période correspond en effet, à un taux élevé de chômage (ou absence des gains d'emplois solides) et à un ralentissement de la croissance, qui atteint 2,5 % en 2016, son mauvais chiffre depuis 2002. Même si l’économie congolaise est caractérisée par la forte dollarisation et par le recours important aux prêts en devises (affaiblissement du mécanisme de transmission monétaire), le taux prêteur changera au gré du taux directeur. L'endettement des entreprises congolaises est quasi-totalité de court terme, la hausse des taux courts l'affectera négativement. Elle pourrait être un obstacle majeur à la demande et l’offre globales et donc l’avènement d’une nouvelle phase de croissance forte. Je pense que la BCC n’aurait pas dû relever son taux directeur durant cette période de ralentissement de l’activité. Il convient donc de déterminer ici quel sera l'impact sur la macroéconomie et le bilan des entreprises. Tribune d’ @AlertTcheta publiée par www.zoom-eco.net / Twitter : @Zoom_eco / FaceBook : Zoom Eco Les leçons à tirer des expériences précédentes : évolution du taux d’intérêt directeur (1991-2017) Sans refaire l'histoire des précédentes politiques de taux d'intérêt directeurs en RDC, il convient tout de même de rappeler plusieurs épisodes importants et marquants de la politique monétaire congolaise depuis 1990. 1) Nyembo Shabani (1991 - 1993), Buhendwa bwa Mushasa (1993 - 1994) et Djamboleka Lona Okitongono (1994 - 1997) La politique monétaire des gouverneurs Jean Nyembo Shabani, Joseph Buhendwa bwa Mushasa et Djamboleka Lona Okitongono lorsqu'ils ont dirigé la BCC étaient en gros de resserrement. Comme aujourd’hui, ces gouverneurs ont d’abord utilisé les réserves internationales pour stopper la dépréciation du taux de change. Ils ont également utilisé la politique des taux d’intérêt comme l’instrument pour gérer le taux de change en complétant des interventions de la BCC sur le marché des changes. Par exemple, de novembre à décembre 1991, Nyembo Shabani a relevé le taux directeur de 10 points, passant de 45 % à 55 % ; de même, mai à juin 1993, dès son arrivée à la tête de la BCC, Buhendwa bwa Mushasa a rapidement relevé le taux directeur de 40 points, passant de 55 % à 95 % ; et de mars à avril 1994 de 50 points, passant de 95 % à 145 %. Durant cette période, tout le monde a en mémoire l'inflation n’a pas baissé, au contraire, cette période est caractérisée par l’hyperinflation et inflation chronique (cf. tableau, 1), le taux de croissance de l'économie lui a baissé de -8,4 % en 1991 ; de -10,5 % en 1992 ; de -13,4 % en 1993 et de -3,8 % en 1994 (cf. tableau 1) et le taux de chômage a largement augmenté. Entre 1991 et 1994, on parle ainsi en RDC de la récession. Taux directeur BCC (1991-1996) janv.-91 mai-91 sept.-91 janv.-92 mai-92 sept.-92 janv.-93 mai-93 sept.-93 janv.-94 mai-94 sept.-94 janv.-95 mai-95 sept.-95 janv.-96 mai-96 sept.-96 janv.-97 350,00 300,00 250,00 200,00 150,00 100,00 50,00 0,00 Source : auteur à partir des données de la Banque Centrale du Congo. Tribune d’ @AlertTcheta publiée par www.zoom-eco.net / Twitter : @Zoom_eco / FaceBook : Zoom Eco Tableau 3. Inflation, prix à la consommation et Produit intérieur brut (% annuel) Période Inflation Croissance PIB Période Inflation Croissance PIB Période Inflation Croissance PIB 1991 2154 -8,4 2001 360 -2,1 2007 17 6,3 1992 4129 -10,5 2002 32 2,9 2008 17 6,2 1993 1987 -13,4 2003 13 5,6 2009 3 2,9 1994 23773 -3,8 2004 4 6,7 2010 7 7,1 1995 542 0,7 2005 21 6,1 2011 15 6,9 1996 492 -1,0 2006 13 5,3 2012 10 7,2 Sources : Banque mondiale. Notes : (1) Certains chiffres sont arrondis. (2) Basé sur le critère de Cagan, l’hyperinflation du Zaïre a commencé en Octobre 1991 et a pris fin en Septembre 1994 (voir aussi, Beaugrand, 1997). 2) Jean-Claude Masangu Mulongo (1997 - 2013) Jean-Claude Masangu Mulongo décide, après la mise en œuvre d’un programme de désinflation apparenté à une stabilisation basée sur la monnaie et le taux de change, de baisser fortement et rapidement les taux d'intérêt directeurs américains. Cette action, conjuguée à un soutien (en termes de refinancement) aux banques qui se trouvèrent alors en difficulté, permit à l'économie de surmonter rapidement cette crise. Ceci a rendu moins cher le coût du crédit dans l’économie, ce qui a soutenu l'investissement, l'activité des entreprises donc la croissance. Certes, il y a eu quelques relèvements du taux d’intérêt directeur, mais il a été généralement maintenu au plus bas, dans un objectif de soutien à l'activité économique entre 2001 et 2011. Cependant, en 2012, le gouverneur de la BCC décide de baisser le taux directeur jusqu’à atteindre 2% en 2013 et plus vite que ne le justifiait l'évolution de l'inflation (sur 12 mois qui ont précédé le changement des gouverneurs). C’est son niveau historique le plus bas. 3) Deogratias Mutombo Mwana Nyembo (2013 - ) Sa politique est simple : il n'a jamais monté les taux, jusqu’en septembre 2016. C'est assez impressionnant, mais Deogratias Mutombo Mwana Nyembo a maintenu les conditions monétaires à des niveaux exceptionnellement bas, alors que la baisse du taux d’intérêt directeur en 2012 ne reflètait pas la baisse du taux d’inflation. Le prix à la consommation était déjà inférieur à 2 % en janvier 2012, le taux plus bas depuis 2000 ; il a atteint en décembre 2012 un niveau historiquement bas, presque de zéro. Malgré, cette politique monétaire anormalement restrictive, le gouverneur a maintenu le taux directeur à 2 % pour rester crédible. Tribune d’ @AlertTcheta publiée par www.zoom-eco.net / Twitter : @Zoom_eco / FaceBook : Zoom Eco Taux directeur BCC (2001 - 2016) 180 160 140 120 100 80 60 40 20 2016Q4 2016Q1 2015Q2 7 2014Q3 2013Q1 2012Q2 2011Q3 2010Q4 2010Q1 2009Q2 2008Q3 2007Q4 2007Q1 2006Q2 2005Q3 2004Q4 2004Q1 2003Q2 2002Q3 2001Q4 2001Q1 2013Q4 3 0 Source : auteur à partir des données de la Banque Centrale du Congo. Depuis le troisième trimestre 2016 cependant, la politique des taux d’intérêt est devenue l’instrument pour gérer le taux de change en complétant des interventions de la BCC sur le marché des changes: le taux d’intérêt directeur a été relevé brutalement de 2% à 7% au mois de septembre dernier et de 7 % à 14 % au mois janvier 2017. Ce changement de stratégie entraîne au moins cinq remarques. D’abord, l’utilisation du taux d’intérêt pour gérer le taux de change peut montrer que les interventions suite à l’instabilité observée sur le marché des changes, sont moins efficaces en RDC et cela prouve que la BCC ne fait pas le poids face au marché et que se lancer dans une défense par les réserves est un combat perdu d’avance. Il peut par ailleurs s’agir simplement d’un moyen plus discret de gérer le taux de change. Les modifications du taux d’intérêt peuvent avoir plusieurs objectifs ; la BCC peut dissimuler plus facilement le fait qu’elle intervient pour défendre une parité menacée. Au contraire, les interventions par les réserves sont facilement repérables. Elles peuvent être à l’origine d’anticipations sur le mouvement futur du taux de change et sur la réaction de la banque centrale. De plus, l’utilisation du taux d’intérêt pour la stabilisation du taux de change est une politique pro-cyclique, dans le sens où la BCC décide la hausse du taux afin de stopper la dépréciation de franc congolais malgré un ralentissement de l’activité et une dégradation des termes de l’échange. Cette hausse du taux va alourdir l’endettement des entreprises et des banques. Tout comme les réserves de change sont limitées, la politique de taux d’intérêt aura aussi ses limites à cause de ses effets sur l’activité et sur le secteur financier. Enfin, l’augmentation du taux d’intérêt pour limiter la dépréciation du taux de change peut indiquer que la BCC s’aperçoit que malgré que la volatilité des taux d’intérêt est coûteuse à travers son effet sur la demande agrégée, la variation de taux de change est plus coûteuse sur la dette dans une économie très dollarisée comme celle de la RDC. Ainsi, si les autorités monétaires seront toujours obligées de gérer activement les mouvements du taux de change, la RDC connaitra une très forte volatilité du taux d’intérêt. Tribune d’ @AlertTcheta publiée par www.zoom-eco.net / Twitter : @Zoom_eco / FaceBook : Zoom Eco La gestion du taux de change à l’aide du taux d’intérêt est contre-productive Pour comprendre pourquoi la hausse du Taux Directeur est contre-productive pendant cette période de ralentissement de l’activité, il faut d’abord expliquer son influence dans l’économie. En effet, dans la plupart des pays, les banques centrales influent sur l’activité et les prix à la consommation en fixant le taux d’intérêt de leurs prêts à court terme aux banques commerciales. En RDC, le principal taux d’intérêt contrôlé directement par la BCC est ainsi le taux minimal des opérations principales de refinancement, ou taux directeur. Par un effet de diffusion le long de la courbe des taux d’intérêt et entre marchés de la dette, la politique monétaire exerce aussi une influence sur les taux d’intérêt de marché ainsi que sur les taux d’intérêt des crédits intermédiés à court, moyen et long termes. Dans la mesure où les prix et les anticipations de prix des biens et des services, ainsi généralement que les salaires, présentent une certaine rigidité (i.e. ils ne s’ajustent que lentement en termes agrégés aux chocs subis par l’économie), les modifications de taux d’intérêt nominaux induites par la politique monétaire se traduisent également par une modification des taux d’intérêt réels de court, moyen, voire long termes. Elles affectent ainsi, via les décisions de consommation et d’investissement, la demande et l’offre globales : c’est le fondement du canal de transmission de la politique monétaire dit « des taux d’intérêt ». De ce fait, la hausse du Taux Directeur rend plus cher le coût du crédit dans l’économie, ce qui décourager l'investissement, l'activité des entreprises donc la croissance. La BCC et le FMI (Fischer et al., 2013) estiment respectivement le délai de trois mois et de six mois de transmission du taux directeur à l’inflation. Si l’on considérait le délai de la BCC, le relèvement de 5% du taux directeur du mois de septembre 2016 affecte déjà l’investissement et le relèvement prévu de 7 % ce mois, entraînerait ses effets vers le mois d’avril prochain. Il y a des raisons de penser que le choc sera de trop grande ampleur, en particulier sur le bilan des entreprises. Les taux d'intérêt congolais peuvent avoir d'importants effets sur les bilans des entreprises privées congolaises, par un mécanisme connu sous le nom d'« accélérateur financier » qui fonctionne comme suit. Les prêteurs ne sont pas certains que les entreprises emprunteuses soient capables de les rembourser et leur demandent donc de garantir les crédits au moyen d'actifs réels ou financiers. En cas de hausse des taux d'intérêt réels, cela fait baisser à la fois la demande intérieure en RDC et la valeur des garanties fournies. Du coup, les prêteurs relèvent les primes sur leurs crédits, ce qui augmente le coût des anciens comme des nouveaux emprunts pour les entreprises, qui réduisent d'autant leurs investissements. Ceci a pour effet d'accentuer le ralentissement de l'activité économique. Je suis assez surpris que la BCC relève ses taux sans analyser le type d'endettement des entreprises. En effet, comme nous l’avons souligné ci-dessus, l'endettement des entreprises congolaises est de court terme, la hausse des taux courts l'affectera négativement. Les obligations émises par les entreprises vont perdre une partie de leur Tribune d’ @AlertTcheta publiée par www.zoom-eco.net / Twitter : @Zoom_eco / FaceBook : Zoom Eco valeur et mécaniquement la capacité d'endettement auprès des banques se réduira. La même conséquence prévaut pour les entreprises ayant un endettement sur le long terme en cas de hausse des taux longs. Les leçons à tirer des expériences précédentes (et dans le mande), montrent que relever trop violemment les taux est plus risqué que de les relever légèrement. Il est donc probable que lorsque la hausse de taux, n’entraîne pas une revalorisation du loyer du FC, par conséquent, les investisseurs ne vont pas acheter cette monnaie en délaissant les autres car sa rémunération est mauvaise. La demande du FC étant faible celle-ci va baisser par rapport aux devises. Les marchés des taux d'intérêt et des monnaies sont directement liés (sur le moyen terme en tout cas). En effet, la hausse du taux directeur ne favorise pas le FC sur lequel ce taux s’applique. Plus globalement, l'économie congolaise ne se normalise pas encore (i.e. que l'on ne constate pas encore un retour de la croissance et des conditions économiques), les investissements ne vont pas se multiplier. Je pense que pour relancer l'économie congolaise, il fallait conserver des taux d'intérêt bas pour empêcher un ralentissement des investissements et des exportations. Au total, la gestion du taux de change à l’aide du taux d’intérêt est contreproductive. Du fait de son caractéristique structurelle et de sa faible niveau de développement financier, l’économie congolaise est très vulnérables aux mouvements du taux de change, et plus particulièrement aux épisodes de dépréciation du change, comme actuellement. Cette vulnérabilité se caractérise alors par ce que les économistes appellent couramment la « peur du flottement », qui pousse la BCC à gérer le taux de change afin que ce dernier ne connaisse pas de trop amples fluctuations. Néanmoins, comme nous l’avons souligné ci-dessus, étant donné que cette gestion du change s’effectue à l’aide du taux d’intérêt depuis septembre 2016, la question d’un potentiel conflit d’objectifs entre l’objectif principal d’inflation et l’objectif secondaire de change se pose naturellement. Ainsi, la BCC fait face un arbitrage suivant: laisser le taux de change se déprécier peut se traduire par un échec dans l’atteinte de l’objectif d’inflation annoncé, menaçant ainsi la crédibilité de la politique monétaire. A l’inverse, la défense la défense du FC pour d’autres raisons que celle liée à la transmission des variations du change aux prix intérieurs peut nécessiter de fortes hausses de taux d’intérêt, qui vont tendre à contracter la production nationale et à dégrader les termes de l’échange. La BCC est confrontée à ce dilemme épineux. Il semblerait qu’ainsi, la BCC ne respecte pas le principe de Tinbergen (1952) selon lequel une politique économique à objectifs fixés doit avoir au moins autant d’instruments que d’objectifs. La politique monétaire menée depuis 2016 est l’illustration même d’un tel conflit d’objectifs. La décision de la BCC de procéder à deux brusques relèvements de son taux directeur dans l’objectif de se prémunir contre toute sortie massive de capitaux, et ainsi éviter une sévère dépréciation du taux de change, n’est pas efficace. Elle aura comme conséquence directe de freiner une activité économique déjà en berne et d’alourdir fortement l’endettement des entreprises et des banques nationales, avec un risque certain pour la stabilité financière. Tribune d’ @AlertTcheta publiée par www.zoom-eco.net / Twitter : @Zoom_eco / FaceBook : Zoom Eco