1 :INTRODUCTION : LES RELATIONS COLLECTIVES DU TRAVAIL
COMME CHAMP D’ETUDE
Le terme de relations collectives du travail est pour le moins imprécis. Au sens strict, les
relations collectives recouvrent l’ensemble des règles, institutions et pratiques qui
caractérisent les relations entre employeurs ou représentants d’employeurs et les salariés
représentés par leurs organisations syndicales. Le terme collectif peut cependant prêter à
confusion : les relations individuelles existant entre l’employeur et le salarié, par exemple la
conclusion d’un contrat de travail, la négociation d’un préavis de licenciement, l’obtention
d’une promotion barémique, sont également déterminées par les règles, pratiques et
institutions issues de la négociation collective. Elles sont donc partie intégrante des relations
collectives du travail. Si l’on se réfère à la littérature anglo-saxonne, on retrouvera plutôt le
terme de relations industrielles. Ce terme a le mérite de désigner l’ensemble des relations
existant entre les employeurs et les salariés. Il est cependant restrictif dans la mesure où le
terme industriel renvoie à l’industrie alors que l’emploi est actuellement concentré dans le
secteur des services (à raison de plus de 65 % en Belgique). Le terme de relations
industrielles provient du fait que les relations spécifiques entre employeurs et salariés sont
nées et se sont développées en même temps que se développait l’activité industrielle. Il est
évident que lorsque l’on parle aujourd’hui de relations industrielles, on désigne tout autant les
rapports existant entre employeurs et salariés du secteur de la sidérurgie par exemple que
ceux existant entre employeurs et salariés du secteur bancaire ou du secteur des soins de
santé. Cependant, et nous aurons l’occasion d’y revenir, le terme de relations industrielles est
également révélateur d’un certain type de relations collectives qui ne sont plus
nécessairement adaptées aux nouvelles caractéristiques des marchés du travail notamment
du point de vue de la distribution sectorielle de l’emploi. Les deux termes nous semblent donc
tout autant imprécis et ils seront indifféremment employés tous les deux dans la suite de ce
cours.
De ce qui précède, il apparaît qu’une tentative de définition unique est difficile. Salomon
(1997) propose la définition suivante :
un ensemble de phénomènes, opérant à la fois sur le lieu de travail et en-dehors
de celui-ci, consistant à déterminer et à réguler la relation d’emploi
Cette définition implique que le champ couvert par les relations collectives ou les relations
industrielles ne se limite pas à l’étude stricte des relations collectives entre employeurs et
salariés, mais qu’il recouvre, selon Lallement (1995)
l’ensemble des pratiques et des règles qui, dans une entreprise, une branche,
une région ou l’économie tout entière, structurent les rapports entre les
salariés, les employeurs et l’Etat. Ces rapports peuvent être individuels ou
collectifs, être directement le fait des acteurs impliqués dans la relation de
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travail ou de leurs représentants, s’enraciner dans des coutumes ou donner lieu
à la production de règles formelles (accords, conventions, lois,...)
On parlera alors plutôt de relation d'emploi (employment relations). Ce terme offre l'avantage
de couvrir l'ensemble du système d'emploi, la notion de relations industrielles étant plus
souvent associée au modèle industriel, impliquant essentiellement les salariés masculins,
occupés à plein temps, syndiqués, ouvriers et pratiquant les actions collectives telles que les
grèves et les négociations collectives. L'étude des relations d'emploi reflète mieux le
développement de modalités d'emploi plus variées, telles que le travail à temps partiel,
l'emploi dans les services, les modes de gestion individualisés de la main d'œuvre…Dans la
suite du cours nous utiliserons indifféremment les termes relations industrielles ou relations
collectives. Le cours sera concentré sur ces notions, et accessoirement sur la relation
d'emploi.
1.1 Discipline autonome ou point de rencontre de plusieurs
disciplines
Les relations industrielles, ou collectives, constituent un champ d’études très vaste, à la fois
parce que les disciplines scientifiques qui sont concernées sont multiples et parce que la
réalité que les relations industrielles recouvrent est loin de se limiter au cadre strict des
relations employeurs-employés sur le lieu de travail.
Les relations industrielles se trouvent ainsi au carrefour de disciplines telles que l’économie, la
sociologie, les sciences de gestion, les sciences politiques, le droit.
L’économiste, par exemple, introduira dans ses modèles d’équilibre du marché du travail les
effets de la présence syndicale, il étudiera à partir de la théorie des jeux les effets des
comportements des différents acteurs agissant dans le cadre des relations industrielles ou
encore tentera de mesurer l’impact que peut avoir le taux de syndicalisation sur les
performances macroéconomiques. Le juriste s’attachera évidemment à l’étude du droit des
relations collectives. Le gestionnaire l’envisagera d’un point de vue de gestion des ressources
humaines, en terme d’organisation, en ayant pour objectif la recherche de la plus grande
efficacité productive.
Aucune de ces disciplines ne peut cependant fournir un cadre d'analyse global des relations
collectives. Considérons deux disciplines dont on pourrait croire qu'elles recouvrent chacune
le même champ d'étude : l'économie du travail d'une part, la gestion des ressources
humaines d'autre part.
Cette partie des sciences économiques que l'on appelle économie du travail est
essentiellement constituée par l'application de la théorie microéconomique néoclassique au
fonctionnement des marchés du travail. Les comportements des agents sur ces marchés sont
donc supposés être des comportements de maximisation, du profit pour les entreprises, de
l'utilité pour les travailleurs et le prix du travail, c’est-à-dire le salaire, est la variable clé
puisqu'elle est censée assurer les équilibrages sur les marchés du travail. On pourra objecter
Commentaire [RP1] : insérer
historiens, oilitologues... cf
visser,1995, in van ruysseveldt,
p 38
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que dans ses développements plus récents, l'économie du travail néoclassique intègre dans
ses raisonnements les écarts aux hypothèses de concurrence parfaite, les problèmes liés aux
asymétries d'information, et les développements nés de la théorie des jeux. Ces
développements permettent de prendre en compte certaines caractéristiques institutionnelles
du marché du travail, ou du moins certaines particularités qui distinguent les marchés du
travail d’un marché comme celui des biens. Les problèmes d’asymétrie d’information par
exemple sont typiques de la relation d’emploi : l’employeur ne connaît pas la productivité
réelle du salarié et le salarié ne connaît pas les stratégies qui seront adoptées par
l’employeur, notamment en matière de carrière et de fixation des salaires. On touche là à des
domaines qui sont également au cœur des préoccupations des chercheurs qui se consacrent
aux relations industrielles.
Si la théorie économique relative aux syndicats constitue un domaine d’analyse déjà ancien,
la théorie des négociations salariales s’est essentiellement développée au début des années
1980. Auparavant, ces dernières faisaient essentiellement l’objet d’études descriptives ou
institutionnalistes. Bien que très utiles, ces travaux ne permettaient ni d’expliquer la
détermination des salaires sur base des hypothèses économiques usuelles, telle que la
rationalité des agents, ni en termes de marché du travail en équilibre partiel ou général.
L’approfondissement et l’utilisation de la théorie des jeux en économie, au cours des années
1980, a permis de donner des fondements théoriques précis aux comportements stratégiques
des agents lors des négociations collectives ainsi qu’à la répartition des profits qui en découle.
Cependant, l’analyse se limite alors, pour la majeure partie des travaux, au cadre strict du
marché du travail. L’influence des négociations sur d’autres variables que l’emploi et les
salaires n’est que rarement à l’ordre du jour.
Le raisonnement est dans la plupart des cas conduit en terme d'équilibre partiel. En
particulier, les interactions entre les marchés du travail et la macroéconomie sont souvent
sous-estimés. Un exemple typique de ce raisonnement conduit en équilibre partiel est
d'affirmer qu'une diminution du coût du travail devrait conduire à un accroissement de la
demande de travail, donc de l'embauche, de la part des entreprises. Si ce raisonnement peut
s'avérer correct au niveau d'une entreprise, ou même d'un secteur d'activité, lorsque qu'on
considère les équilibres macroéconomiques, ce n'est plus aussi évident : le salaire est un
élément du coût pour l'entreprise, mais il est également synonyme de pouvoir d'achat et donc
facteur de demande. Une diminution salariale générale a donc comme corollaire une
diminution de la consommation et donc du produit national. Il est vrai cependant que dans des
périodes antérieures, surtout dans les pays européens, le facteur travail était, d'un point de
vue économique, surtout envisagé sous l'angle macro-économique, comme facteur de
production, mais également comme agent consommateur, en sous-estimant les mécanismes
micro-économiques.
Des études empiriques concernant l’impact des syndicats sur les performances macro-
économiques ont été développées. Les estimations empiriques relatives à l’influence des
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syndicats sur un certain nombre de variables macro-économiques et en particulier sur le
différentiel salarial, l’allocation des ressources, la productivité, le profit, l’investissement et
l’emploi livrent des résultats qui restent ambigus ou contradictoires.
D'une manière générale, l'économie du travail, du moins dans le cadre théorique
néoclassique, semble incapable d'intégrer dans ses développements l'aspect institutionnel
des marchés du travail. Autant que par les "lois du marché", les marchés du travail sont régis
par un ensemble de règles, tacites ou explicites, qui en déterminent le fonctionnement. Ces
règles obéissent non seulement à des logiques économiques, mais aussi à des logiques
sociologiques ou politiques. Ces règles déterminent bien sûr des fonctionnements des
marchés du travail et des relations collectives de type différent. Une simple comparaison entre
un pays comme le Royaume-Uni et la Belgique permet de comprendre que des systèmes
juridiques complètement différents ont comme conséquence des modèles de relations
collectives différents et des fonctionnements différents des marchés du travail.
Il faut cependant signaler que l'économie du travail n'est pas une discipline homogène. Des
courants de pensée se sont démarqués du paradigme néoclassique et ont intégré dans leurs
raisonnements économiques l'existence et le rôle des différentes institutions du marché du
travail. Du côté anglo-saxon, des économistes comme Doeringer et Piore ( 1972) ou Freeman
(1984) sont représentatifs de ce courant de pensée. En France, l'économie du travail
représente un courant qui tente d'intégrer sociologie et économie (Michon (). Ces chercheurs
peuvent être considérés comme des socio économistes, et leurs recherches rentrent dans le
cadre de l'étude des relations industrielles. L'Ecole de la Régulation s'est développée en
France à l'initiative de chercheurs comme Robert Boyer, Michel Aglietta et Alain Lipietz. Ces
économistes , essentiellement des macroéconomistes, ont plus particulièrement étudié
l'importance des modes de régulation de la relation d'emploi dans l'explication des différents
régimes de croissance économique. Le système des relations collectives joue ici un rôle
central dans cette explication. L'économie des conventions est un autre courant de pensée
relativement récent et qui à de nombreux égards est plus proche de l'étude des relations
collectives et industrielles que de ce que l'on a coutume d'appeler l'économie. Elle considère
le social comme un fait et cherche à l'introduire dans les analyses économiques pour
expliquer, mieux que par la seule recherche de leurs intérêts, ce que les individus décident.
L'essentiel n'est plus de déduire la vie sociale des comportements des individus, mais de
comprendre ces comportements en fonction de leur vie sociale. On se rapproche des
relations industrielles.
La gestion des ressources humaines est une autre discipline qui à bien des égards est
proche des préoccupations des relations industrielles. Il s'agit en effet d'étudier, et de
concevoir des mesures impliquant les "ressources humaines" et visant à une efficacité et une
performance optimales de la part des individus et de l'organisation. On le voit, l'accent est mis
sur les performances des organisations, autrement dit des entreprises, et les relations
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employeurs-salariés ne sont conçues que dans ce cadre. La satisfaction des besoins des
salariés, qu'ils soient individuels ou collectifs, ne sera dès lors prise en compte que si elle
coïncide avec l'optimisation des performances de l'entreprise. L'existence d'institutions,
comme les Conseils d'Entreprise ou les délégations syndicales, l'existence d'une législation
du travail, ne sont considérées que comme des contraintes qui s'imposent à l'entreprise et
non comme des éléments d'un système.
Cette comparaison entre relations industrielles d'une part et économie du travail et gestion
des ressources humaines d'autre part n'a pas pour objectif de dénier à ces deux dernières
disciplines leur légitimité. Les domaines étudiés se recouvrent souvent et des faits identiques
peuvent être étudiés de différents point de vue, chacun présentant ses spécificités.
L'économie du travail sera souvent plus abstraite, faisant appel à des modèles
mathématiques, ou au contraire plus quantitative, utilisant l'économétrie ou les statistiques
dans l'étude du marché du travail. La gestion des ressources humaines sera quant à elle
concentrée sur l'entreprise, considérée du point de vue des gestionnaires de l'entreprise.
1.2 Le champ couvert par les relations industrielles
Le champ couvert par les relations industrielles est très large. Si pour certains, tel
l’économiste D. Hammermesch (1984) les relations industrielles concernent essentiellement
les relations entre un employeur et les salariés ou leur syndicat au sein d'un établissement ou
d'une firme, pour d'autres, tels Dunlop les relations industrielles résultent de l'interaction entre
employeurs, salariés, syndicats et institutions publiques et du contexte général des marchés
du travail, du développement technologique et des dispositifs réglementaires. Cette dernière
conception élargit celle qui est évoquée par Hammermesch, mais on peut sans doute
considérer qu'elle est encore trop restrictive, dans la mesure où il semble logique d'intégrer
dans les relations industrielles les mécanismes et institutions qui se sont développés à partir
des relations collectives, au niveau de l'entreprise d'abord, au plan général ensuite. On verra
qu'en Belgique, et dans de nombreux autres pays, on retrouvera dans les organismes ayant
en charge la gestion des marchés du travail mais également dans des institutions telles que la
Banque Centrale des représentants des organisations participant aux relations collectives.
Leur rôle, le pouvoir qu'ils exercent dans ces organismes et institutions sont parties
intégrantes des relations collectives. Dans certains pays, dont la Belgique, le système de
sécurité sociale actuel est issu des relations collectives. De caisses mutuelles de prévoyance
organisées au niveau d'une entreprise, d'une profession ou d'un secteur d'activité, on a abouti
à un système fédéral qui semble aujourd'hui indépendant des relations collectives, même s'il
est encore géré en partie par les participants à la négociation collective. Selon les pays,
l'importance des relations collectives dans la définition des relations d'emploi est variable,
comme le rôle et l'importance des institutions.
Si les relations industrielles sont, par définition, aussi anciennes que ne l’est l’industrie, leur
analyse comme champ d’étude autonome est plus récente.
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