partie 1

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:INTRODUCTION : LES RELATIONS COLLECTIVES DU TRAVAIL
COMME CHAMP D’ETUDE
Le terme de relations collectives du travail est pour le moins imprécis. Au sens strict, les
relations collectives recouvrent l’ensemble des règles, institutions et pratiques qui
caractérisent les relations entre employeurs ou représentants d’employeurs et les salariés
représentés par leurs organisations syndicales. Le terme collectif peut cependant prêter à
confusion : les relations individuelles existant entre l’employeur et le salarié, par exemple la
conclusion d’un contrat de travail, la négociation d’un préavis de licenciement, l’obtention
d’une promotion barémique, sont également déterminées par les règles, pratiques et
institutions issues de la négociation collective. Elles sont donc partie intégrante des relations
collectives du travail. Si l’on se réfère à la littérature anglo-saxonne, on retrouvera plutôt le
terme de relations industrielles. Ce terme a le mérite de désigner l’ensemble des relations
existant entre les employeurs et les salariés. Il est cependant restrictif dans la mesure où le
terme industriel renvoie à l’industrie alors que l’emploi est actuellement concentré dans le
secteur des services (à raison de plus de 65 % en Belgique). Le terme de relations
industrielles provient du fait que les relations spécifiques entre employeurs et salariés sont
nées et se sont développées en même temps que se développait l’activité industrielle. Il est
évident que lorsque l’on parle aujourd’hui de relations industrielles, on désigne tout autant les
rapports existant entre employeurs et salariés du secteur de la sidérurgie par exemple que
ceux existant entre employeurs et salariés du secteur bancaire ou du secteur des soins de
santé. Cependant, et nous aurons l’occasion d’y revenir, le terme de relations industrielles est
également révélateur d’un certain type de relations collectives qui ne sont plus
nécessairement adaptées aux nouvelles caractéristiques des marchés du travail notamment
du point de vue de la distribution sectorielle de l’emploi. Les deux termes nous semblent donc
tout autant imprécis et ils seront indifféremment employés tous les deux dans la suite de ce
cours.
De ce qui précède, il apparaît qu’une tentative de définition unique est difficile. Salomon
(1997) propose la définition suivante :
un ensemble de phénomènes, opérant à la fois sur le lieu de travail et en-dehors
de celui-ci, consistant à déterminer et à réguler la relation d’emploi
Cette définition implique que le champ couvert par les relations collectives ou les relations
industrielles ne se limite pas à l’étude stricte des relations collectives entre employeurs et
salariés, mais qu’il recouvre, selon Lallement (1995)
l’ensemble des pratiques et des règles qui, dans une entreprise, une branche,
une région ou l’économie tout entière, structurent les rapports entre les
salariés, les employeurs et l’Etat. Ces rapports peuvent être individuels ou
collectifs, être directement le fait des acteurs impliqués dans la relation de
travail ou de leurs représentants, s’enraciner dans des coutumes ou donner lieu
à la production de règles formelles (accords, conventions, lois,...)
On parlera alors plutôt de relation d'emploi (employment relations). Ce terme offre l'avantage
de couvrir l'ensemble du système d'emploi, la notion de relations industrielles étant plus
souvent associée au modèle industriel, impliquant essentiellement les salariés masculins,
occupés à plein temps, syndiqués, ouvriers et pratiquant les actions collectives telles que les
grèves et les négociations collectives. L'étude des relations d'emploi reflète mieux le
développement de modalités d'emploi plus variées, telles que le travail à temps partiel,
l'emploi dans les services, les modes de gestion individualisés de la main d'œuvre…Dans la
suite du cours nous utiliserons indifféremment les termes relations industrielles ou relations
collectives. Le cours sera concentré sur ces notions, et accessoirement sur la relation
d'emploi.
1.1 Discipline autonome ou point de rencontre de plusieurs
disciplines
Les relations industrielles, ou collectives, constituent un champ d’études très vaste, à la fois
parce que les disciplines scientifiques qui sont concernées sont multiples et parce que la
réalité que les relations industrielles recouvrent est loin de se limiter au cadre strict des
relations employeurs-employés sur le lieu de travail.
Les relations industrielles se trouvent ainsi au carrefour de disciplines telles que l’économie, la
sociologie, les sciences de gestion, les sciences politiques, le droit.
L’économiste, par exemple, introduira dans ses modèles d’équilibre du marché du travail les
effets de la présence syndicale, il étudiera à partir de la théorie des jeux les effets des
comportements des différents acteurs agissant dans le cadre des relations industrielles ou
encore tentera de mesurer l’impact que peut avoir le taux de syndicalisation sur les
performances macroéconomiques. Le juriste s’attachera évidemment à l’étude du droit des
relations collectives. Le gestionnaire l’envisagera d’un point de vue de gestion des ressources
humaines, en terme d’organisation, en ayant pour objectif la recherche de la plus grande
efficacité productive.
Aucune de ces disciplines ne peut cependant fournir un cadre d'analyse global des relations
collectives. Considérons deux disciplines dont on pourrait croire qu'elles recouvrent chacune
le même champ d'étude : l'économie du travail d'une part, la gestion des ressources
humaines d'autre part.
Cette partie des sciences économiques que l'on appelle économie du travail est
essentiellement constituée par l'application de la théorie microéconomique néoclassique au
fonctionnement des marchés du travail. Les comportements des agents sur ces marchés sont
donc supposés être des comportements de maximisation, du profit pour les entreprises, de
l'utilité pour les travailleurs et le prix du travail, c’est-à-dire le salaire, est la variable clé
puisqu'elle est censée assurer les équilibrages sur les marchés du travail. On pourra objecter
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Commentaire [RP1] : insérer
historiens, oilitologues... cf
visser,1995, in van ruysseveldt,
p 38
que dans ses développements plus récents, l'économie du travail néoclassique intègre dans
ses raisonnements les écarts aux hypothèses de concurrence parfaite, les problèmes liés aux
asymétries d'information, et les développements nés de la théorie des jeux. Ces
développements permettent de prendre en compte certaines caractéristiques institutionnelles
du marché du travail, ou du moins certaines particularités qui distinguent les marchés du
travail d’un marché comme celui des biens. Les problèmes d’asymétrie d’information par
exemple sont typiques de la relation d’emploi : l’employeur ne connaît pas la productivité
réelle du salarié et le salarié ne connaît pas les stratégies qui seront adoptées par
l’employeur, notamment en matière de carrière et de fixation des salaires. On touche là à des
domaines qui sont également au cœur des préoccupations des chercheurs qui se consacrent
aux relations industrielles.
Si la théorie économique relative aux syndicats constitue un domaine d’analyse déjà ancien,
la théorie des négociations salariales s’est essentiellement développée au début des années
1980. Auparavant, ces dernières faisaient essentiellement l’objet d’études descriptives ou
institutionnalistes. Bien que très utiles, ces travaux ne permettaient ni d’expliquer la
détermination des salaires sur base des hypothèses économiques usuelles, telle que la
rationalité des agents, ni en termes de marché du travail en équilibre partiel ou général.
L’approfondissement et l’utilisation de la théorie des jeux en économie, au cours des années
1980, a permis de donner des fondements théoriques précis aux comportements stratégiques
des agents lors des négociations collectives ainsi qu’à la répartition des profits qui en découle.
Cependant, l’analyse se limite alors, pour la majeure partie des travaux, au cadre strict du
marché du travail. L’influence des négociations sur d’autres variables que l’emploi et les
salaires n’est que rarement à l’ordre du jour.
Le raisonnement est dans la plupart des cas conduit en terme d'équilibre partiel. En
particulier, les interactions entre les marchés du travail et la macroéconomie sont souvent
sous-estimés. Un exemple typique de ce raisonnement conduit en équilibre partiel est
d'affirmer qu'une diminution du coût du travail devrait conduire à un accroissement de la
demande de travail, donc de l'embauche, de la part des entreprises. Si ce raisonnement peut
s'avérer correct au niveau d'une entreprise, ou même d'un secteur d'activité, lorsque qu'on
considère les équilibres macroéconomiques, ce n'est plus aussi évident : le salaire est un
élément du coût pour l'entreprise, mais il est également synonyme de pouvoir d'achat et donc
facteur de demande. Une diminution salariale générale a donc comme corollaire une
diminution de la consommation et donc du produit national. Il est vrai cependant que dans des
périodes antérieures, surtout dans les pays européens, le facteur travail était, d'un point de
vue économique, surtout envisagé sous l'angle macro-économique, comme facteur de
production, mais également comme agent consommateur, en sous-estimant les mécanismes
micro-économiques.
Des études empiriques concernant l’impact des syndicats sur les performances macroéconomiques ont été développées. Les estimations empiriques relatives à l’influence des
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syndicats sur un certain nombre de variables macro-économiques et en particulier sur le
différentiel salarial, l’allocation des ressources, la productivité, le profit, l’investissement et
l’emploi livrent des résultats qui restent ambigus ou contradictoires.
D'une manière générale, l'économie du travail, du moins dans le cadre théorique
néoclassique, semble incapable d'intégrer dans ses développements l'aspect institutionnel
des marchés du travail. Autant que par les "lois du marché", les marchés du travail sont régis
par un ensemble de règles, tacites ou explicites, qui en déterminent le fonctionnement. Ces
règles obéissent non seulement à des logiques économiques, mais aussi à des logiques
sociologiques ou politiques. Ces règles déterminent bien sûr des fonctionnements des
marchés du travail et des relations collectives de type différent. Une simple comparaison entre
un pays comme le Royaume-Uni et la Belgique permet de comprendre que des systèmes
juridiques complètement différents ont comme conséquence des modèles de relations
collectives différents et des fonctionnements différents des marchés du travail.
Il faut cependant signaler que l'économie du travail n'est pas une discipline homogène. Des
courants de pensée se sont démarqués du paradigme néoclassique et ont intégré dans leurs
raisonnements économiques l'existence et le rôle des différentes institutions du marché du
travail. Du côté anglo-saxon, des économistes comme Doeringer et Piore ( 1972) ou Freeman
(1984) sont représentatifs de ce courant de pensée. En France, l'économie du travail
représente un courant qui tente d'intégrer sociologie et économie (Michon (). Ces chercheurs
peuvent être considérés comme des socio économistes, et leurs recherches rentrent dans le
cadre de l'étude des relations industrielles. L'Ecole de la Régulation s'est développée en
France à l'initiative de chercheurs comme Robert Boyer, Michel Aglietta et Alain Lipietz. Ces
économistes , essentiellement des macroéconomistes, ont plus particulièrement étudié
l'importance des modes de régulation de la relation d'emploi dans l'explication des différents
régimes de croissance économique. Le système des relations collectives joue ici un rôle
central dans cette explication. L'économie des conventions est un autre courant de pensée
relativement récent et qui à de nombreux égards est plus proche de l'étude des relations
collectives et industrielles que de ce que l'on a coutume d'appeler l'économie. Elle considère
le social comme un fait et cherche à l'introduire dans les analyses économiques pour
expliquer, mieux que par la seule recherche de leurs intérêts, ce que les individus décident.
L'essentiel n'est plus de déduire la vie sociale des comportements des individus, mais de
comprendre ces comportements en fonction de leur vie sociale. On se rapproche des
relations industrielles.
La gestion des ressources humaines est une autre discipline qui à bien des égards est
proche des préoccupations des relations industrielles. Il s'agit en effet d'étudier, et de
concevoir des mesures impliquant les "ressources humaines" et visant à une efficacité et une
performance optimales de la part des individus et de l'organisation. On le voit, l'accent est mis
sur les performances des organisations, autrement dit des entreprises, et les relations
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employeurs-salariés ne sont conçues que dans ce cadre. La satisfaction des besoins des
salariés, qu'ils soient individuels ou collectifs, ne sera dès lors prise en compte que si elle
coïncide avec l'optimisation des performances de l'entreprise. L'existence d'institutions,
comme les Conseils d'Entreprise ou les délégations syndicales, l'existence d'une législation
du travail, ne sont considérées que comme des contraintes qui s'imposent à l'entreprise et
non comme des éléments d'un système.
Cette comparaison entre relations industrielles d'une part et économie du travail et gestion
des ressources humaines d'autre part n'a pas pour objectif de dénier à ces deux dernières
disciplines leur légitimité. Les domaines étudiés se recouvrent souvent et des faits identiques
peuvent être étudiés de différents point de vue, chacun présentant ses spécificités.
L'économie du travail sera souvent plus abstraite, faisant appel à des modèles
mathématiques, ou au contraire plus quantitative, utilisant l'économétrie ou les statistiques
dans l'étude du marché du travail. La gestion des ressources humaines sera quant à elle
concentrée sur l'entreprise, considérée du point de vue des gestionnaires de l'entreprise.
1.2 Le champ couvert par les relations industrielles
Le champ couvert par les relations industrielles est très large. Si pour certains, tel
l’économiste D. Hammermesch (1984) les relations industrielles concernent essentiellement
les relations entre un employeur et les salariés ou leur syndicat au sein d'un établissement ou
d'une firme, pour d'autres, tels Dunlop les relations industrielles résultent de l'interaction entre
employeurs, salariés, syndicats et institutions publiques et du contexte général des marchés
du travail, du développement technologique et des dispositifs réglementaires. Cette dernière
conception élargit celle qui est évoquée par Hammermesch, mais on peut sans doute
considérer qu'elle est encore trop restrictive, dans la mesure où il semble logique d'intégrer
dans les relations industrielles les mécanismes et institutions qui se sont développés à partir
des relations collectives, au niveau de l'entreprise d'abord, au plan général ensuite. On verra
qu'en Belgique, et dans de nombreux autres pays, on retrouvera dans les organismes ayant
en charge la gestion des marchés du travail mais également dans des institutions telles que la
Banque Centrale des représentants des organisations participant aux relations collectives.
Leur rôle, le pouvoir qu'ils exercent dans ces organismes et institutions sont parties
intégrantes des relations collectives. Dans certains pays, dont la Belgique, le système de
sécurité sociale actuel est issu des relations collectives. De caisses mutuelles de prévoyance
organisées au niveau d'une entreprise, d'une profession ou d'un secteur d'activité, on a abouti
à un système fédéral qui semble aujourd'hui indépendant des relations collectives, même s'il
est encore géré en partie par les participants à la négociation collective. Selon les pays,
l'importance des relations collectives dans la définition des relations d'emploi est variable,
comme le rôle et l'importance des institutions.
Si les relations industrielles sont, par définition, aussi anciennes que ne l’est l’industrie, leur
analyse comme champ d’étude autonome est plus récente.
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Ce sont les Webbs qui ont été à l’origine des études des relations industrielles en tant que
domaine autonome d’études. Deux ouvrages peuvent être considérés comme pionniers, A
history of trade unionism et Industrial democracy. Dans le second ouvrage cité, les Webbs
étudient spécifiquement le rôle et les fonctions assumées par les syndicats. Cet ouvrage
constitue une première tentative d’étude systématique des relations industrielles, et il l’est
resté pendant longtemps. Les autres études ont porté plutôt sur des aspects particuliers de
ces relations industrielles, sans que le système en tant que tel ne soit étudié, ni surtout sans
que cette notion de système de relations industrielles n’ait été définie ou dégagée.
Jusqu’à la fin des années 50, l’essentiel de l’étude des relations industrielles a consisté en
une approche institutionnelle, comprise ici comme l’étude et la description des institutions
constituant les relations industrielles, et de récolte de faits relatifs aux relations industrielles.
Cette approche a été le mieux illustrée au Royaume-Uni par les travaux du Groupe d’Oxford,
constitué de professeurs et de chercheurs qui furent à un moment ou un autre rattachés à
l’université d’Oxford. L’origine de ce groupe remonte à 1949. Selon Turner (1968),
particulièrement critique, l’orientation du Groupe d’Oxford se caractérisait par une récolte
d’informations et d’enquêtes, essentiellement de court terme, par une faible maîtrise et
utilisation d’outils théoriques, qu’ils soient de type sociologique, économique ou statistique, qui
auraient pu contribuer à une analyse plus approfondie des relations industrielles. Ce jugement
doit cependant être nuancé : Clegg (1960) et Flanders (1965), tous deux membres du Groupe
d’Oxford ont contribué à l’étude plus fondamentale, le premier sur la démocratie dans les
relations industrielles, le second sur l’application de la théorie du système des relations
industrielles au cas de la Grande Bretagne. Cependant, l’approche institutionnelle a très
profondément marqué l’étude des relations industrielles, et pas seulement en GrandeBretagne.
1.3 Les cadres de référence
L’étude des systèmes de relations industrielles dépend du cadre de référence dans lequel on
se situe. Les approches selon lesquelles les relations industrielles seront étudiées se basent
sur chacune des hypothèses sur la nature des organisations du travail et de la société, et de
ce fait analysent différemment
le rôle et la place des relations individuelles, donc des
organisations de salariés et d’employeurs et des conflits ou divergence d’intérêts.
On doit à Fox d'avoir étudié les relations collectives de ce point de vue. Il en distingue deux,
l'unitariste et le pluraliste. On y ajoutera le cadre de référence marxiste.
Dans le cadre de référence unitaire, on suppose que l’organisation est, ou devrait être , un
groupe intégré d’individus, placé sous une autorité unique et partageant un ensemble de
valeurs, d’intérêts et d’objectifs communs. Il n'y a pas de division et d'opposition au sein de
l'entreprise puisque tous les acteurs ont le même objectif d'efficience du fonctionnement de
l'entreprise et que tous bénéficieront du return que l'atteinte de cet objectif procurera.
L'entreprise est vue comme une équipe. Selon Fox, on peut parler d’une idéologie du
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management dans la mesure où celui-ci légitimise son rôle d’autorité en supposant que les
intérêts du management et des salariés sont identiques et en se concentrant sur le rôle de
gouvernance du management dans l’intérêt de l’organisation dans son ensemble. Ces
conceptions se trouvent à la base de nombreux développements de ce que l’on appelle la
Gestion des ressources humaines (GRH).
Le conflit, en tant qu’expression de l’insatisfaction du salarié, est perçu comme étant
irrationnel, puisque fondamentalement les intérêts des membres de l’organisation convergent.
Dans ce cadre, l’existence de négociations collectives, et donc de constitution de groupes
organisés au sein de l’organisation et défendant des intérêts spécifiques, peut être considérée
comme une anomalie de l’organisation. Le conflit, lorsqu’il surgit, est considéré comme
frictionnel et marginal, non constitutif de l’organisation, et résulte de défauts de l’organisation :
conflits de personnes, mauvaise communication entre le management et les salariés,
incompréhension des salariés de la stratégie ou des décisions du management. La méthode
de résolution des conflits qui en découle est souvent basée sur l’autoritarisme ou le
paternalisme.
Il y a peu de place dans ce cadre de référence pour l'organisation syndicale. Celle-ci est plutôt
considérée comme élément perturbateur et transgresseur, pouvant mettre en cause le pouvoir
managérial et donc l'unité de point de vue supposée. L’existence de syndicats, en tant
qu’organisation de défense d’intérêts propres des salariés, est alors considérée comme
anachronique. Cela se marque par une hostilité au pouvoir syndical, une opposition aux
formes de participation qui contournent les pouvoirs managériaux dans les entreprises et un
faible engagement dans les procédures de relations collectives. Le fait syndical , et les
négociations qui en résultent, sont perçus comme une contrainte, et tout au plus acceptée
dans le cadre de la détermination des modalités de la relation d’emploi (salaires, durée du
travail), à l’exclusion de tout ce qui pourrait entraver le droit à la gestion.
Si d’un point de vue scientifique ce type d’approche n’est selon Fox (1966) plus pris en
compte, selon Salamon (2000) elle a sans doute fourni la base du développement de certains
aspects de la gestion des ressources humaines, particulièrement du point de vue de
l’hypothèse d’une unicité d’intérêts, de valeur et de culture.
La conception pluraliste suppose au contraire l'existence d'intérêts différents, d'aspirations et
d'objectifs divergents. Celle-ci suppose :
•
Une distribution large de l’autorité et du pouvoir dans la société.
•
La séparation entre propriété et gestion des entreprises.
•
L acceptation et l’ institutionnalisation des conflits sociaux ou politiques.
•
La constitution au sein des organisations d’une série de groupes aux intérêts, objectifs et
leadership propres.
7
Les organisations sont donc constituées d’un ensemble complexe de tensions, de
revendications diverses qui doivent être gérées afin d’assurer la permanence d’une structure
permettant la collaboration au sein des organisations. Chaque organisation est dès lors dans
un état permanent de tensions dynamiques.
•
résultant des conflits d’intérêts des différents groupes.
•
nécessitant un ensemble de règles, procédures et institutions.
Selon Ross (1958), les organisations doivent être comprises comme une société plurale,
comprenant de multiples intérêts et objectifs différents, qui sont maintenus dans une situation
d'équilibre. Dans cette conception, le conflit n'est pas anormal, il est au contraire attendu.
L'objectif du management sera de concilier les points de vue de manière à garder le conflit
dans des limites telles qu'il ne nuit pas à l'entreprise. Le conflit n'est pas perçu comme
nuisible mais au contraire la façon dont les conflits sont gérés, plutôt que ignorés ou évités,
peut contribuer à l'efficience de l'entreprise, selon Celle. Le conflit naît de l’existence d’intérêts
et d’objectifs différents : le management a comme rôle et objectif l’efficacité, la productivité et
la profitabilité de l’organisation, qui supposent la coordination des activités de tous les
membres de l’organisation, alors que les objectifs du groupe des salariés seront plutôt perçus
en termes personnels : salaires et conditions de travail.
Les conflits peuvent résulter à la fois
de situations spécifiques et de principes de
management en général : la fermeture d’un département d’une entreprise peut répondre à la
nécessité pour le management d’assurer une meilleure rentabilité ou efficacité productive
mais ira à l’encontre des intérêts des salariés en terme de sécurité d’emploi. De la même
façon le management cherchera généralement à assurer au maximum son autorité et son
pouvoir pour contrôler l’organisation alors que les salariés essaieront de contre balancer ce
pouvoir afin d’établir des garde-fous contre des décisions ou des actions du management
qu’ils peuvent trouver arbitraires.
Mais la reconnaissance de l’existence des conflits a comme corollaire la résolution de ceux-ci
par la négociation et le compromis. Ceci suppose qu’il y a de part et d’autre acceptation d’un
équilibre des forces entre les principaux groupes d’intérêts (management et salariés) et donc
que chaque groupe est prêt à limiter ses revendications et aspirations à un niveau qui peut
être acceptable par l’autre. La résolution des conflits suppose donc l’existence de règles, de
procédures qui permettent d’atteindre la collaboration et la coopération par le compromis. Le
« right to manage » est consenti plutôt qu’imposé.
La résolution des conflits est caractérisée par la nécessité d’établir des règles, des
procédures et des institutions qui organisent la collaboration entre les différents groupes et
individus à travers un système organisé et codifié de négociation. Cela suppose implicitement
qu’il y a accord sur la nécessité de prises de décisions partagées, du moins dans certains
domaines.
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L’existence de syndicats dans ce cadre est légitimisée, non seulement en tant qu’organisation
de l’expression des intérêts propres des salariés au sein de l’organisation mais également en
tant qu’expression de l’intérêt des salariés au niveau de l’organisation sociale et économique.
Les syndicats ne sont pas perçus comme l’élément générant le conflit. Ils fournissent au
contraire une forme continue et organisée de l’expression d’intérêts particuliers qui de toutes
manières existeraient par ailleurs.
Cette légitimité, selon Fox, ne résulte pas tant d’un rapport de force ou d’une tolérance de la
part du management que d’une acceptation de valeurs sociales qui reconnaissent aux
différents groupes d’intérêts le droit de se structurer et d’intervenir dans leur « devenir ».
Toujours selon Fox, cette perspective pluraliste implique également la reconnaissance par les
employeurs de la légitimité de l’organisation horizontale des salariés, c’est à dire en dehors du
cadre strict de l’organisation.
La conception pluraliste a elle-même été soumise à la critique. En effet, si la conception
pluraliste reconnaît les divergences d'intérêts et d'objectifs, elle suppose généralement que
les protagonistes sont sur un pied d'égalité et qu'aucun d'entre eux n'a la possibilité d'avoir sur
l'autre un avantage décisif ou continu. Les compromis issus des conflits sont alors des
situations d'équilibre pouvant être stables et conduisant à une certaine inertie du système.
Selon cette critique du cadre de référence pluraliste, il n'y a pas de différence sensible entre le
cadre unitaire et le cadre pluraliste, puisque les hypothèses implicites de ce dernier quant à
l'égalité dans les relations collectives conduisent au maintien de la situation existante et donc
des inégalités qui existent bel et bien.
La critique la plus radicale, notamment de la conception pluraliste, est celle qui émane du
courant de pensée marxiste, qui suppose un antagonisme de base entre possesseurs des
moyens de production (le capital) et possesseurs de la force de travail (les salariés).
Selon la conception marxiste, les relations industrielles doivent être analysées dans le
contexte de la société capitaliste qui se caractérise par :
•
•
les conflits entre classes sociales sont la source du changement social.
Les conflits de classe résultent d’abord de la distribution inégale du pouvoir dans la
société, l’inégalité fondamentale opposant ceux qui possèdent les moyens de production
à ceux qui offrent leur travail.
•
La nature des institutions sociales et politiques découle de cette inégalité fondamentale
et renforce la position dominante.
•
Les conflits sociaux ou politiques ne sont que l’expression des conflits économiques
inhérents à la société.
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Tableau 1-1 : les relations industrielles selon le cadre de référence
UNITARISTE
HYPOTHESES
Société capitaliste
NATURE DES CONFLITS
RESOLUTION DES
CONFLITS
ROLE DES SYNDICATS
Valeurs, intérêts et
objectifs communs
Autorité unique et
structure « loyale »
PLURALISTE
Société post-capitaliste
Valeurs, intérêts et
objectifs différents
Autorité concurrente et
structure « loyale »
MARXISTE
Société capitaliste
Asymétrie et inégalités
dans la société
Inhérent aux systèmes
économiques et sociaux
Irrationnel et frictionnel
Inévitable, rationnel et
structurel
Le désordre est
précurseur du
changement
Changement de société
Coercition
Compromis et accords
Intrusion
Légitimé
Réponse des salariés au
capitalisme
Anachronisme historique
Interne et partie
intégrante de
l’organisation du travail
Expression et mobilisation
de la conscience de
classe
Economique (si contraint)
Economique et
managérial
Développent la conscience et l’activité politiques
source : SALAMON (1997).
.
Selon la perspective marxiste, les procédures et institutions des relations collectives
constituent plus un renforcement qu’une limitation du pouvoir du management. Tout au plus
elles permettent des aménagements temporaires et limités du système. Selon cette
conception, le système des relations collectives, tel qu’il est codifié par ses institutions et ses
règles devient un élément constitutif du système capitaliste, et cela d’autant plus que ses
acteurs, employeurs et syndicats, se concentrent davantage sur le maintien de ces règles et
procédures que sur les résultats de leur utilisation.
1.4 Nature des relations collectives
Les
différentes
approches selon lesquelles les relations collectives
peuvent être
étudiées, sont classées par Salamon en deux groupes .
Dans le premier on retrouvera ce qu’on appelle les modèles Input-Output, les approches
systémiques et les modèles du partenariat social. Ils correspondent à une conception
pluraliste.
Dans le deuxième groupe on retrouvera les approches de gestion des ressources humaines
d’une part (conception unitariste) et de contrôle du process du travail (conception marxiste).
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Les relations industrielles peuvent également être étudiées dans un cadre plus large : c’est
notamment ce que proposent Blyton et Turnbull qui englobent l’étude des R.I dans celle de la
relation d’emploi.
1.5 Le modèle INPUT-OUTPUT
Ce modèle analyse les relations collectives comme un processus de transformation du conflit
en régulation. Toujours selon Fox, le conflit trouve ses origines soit dans les tensions
engendrées au sein des organisations (conditions salariales, relations management/salariés,
conditions de travail) soit dans les différences de valeurs portées par les différents groupes
sociaux au sein de la société et de l’économie dans son ensemble.
L’émergence des conflits peut se manifester sous plusieurs formes (Salamon)
•
sous forme individuelle par le biais de faibles implications des salariés, de forte rotation
de la main d’œuvre.
•
sous forme institutionnalisée, individuellement ou collectivement : procédures de
conciliation, négociations collectives, tribunal du travail….
•
Sous forme de conflit ouvert : grèves, black-out, manifestations diverses….
L’émergence de ces conflits est perçue comme légitime , même dans leur forme de conflit
ouvert, parce qu’elle permet dans un second stade de résoudre les oppositions d’intérêt qui
les ont fait naître et de maintenir la cohésion et l’équilibre de la structure sociale.
L’importance du conflit peut cependant être analysée différemment selon les auteurs.
Pour Hyman (1975), la fonction de conflit est une transformation totale de la structure de
contrôle du travail que ce soit au sein des organisations ou au niveau de la structure sociale
ou économique dans son ensemble. L’établissement de règles et de procédures comme issue
au conflit est alors plutôt perçu comme une contrainte qui s’impose au conflit.
La production de règles de procédures et d’institutions peut soit être le fait de décisions ou
d’actions unilatérales, par exemple à l’initiative du management d’une entreprise , des
pouvoirs publics, ou de décisions conjointes, bipartite (employeurs - salariés) en tripartite
(employeurs, salariés et pouvoirs publics).
La négociation collective occupe une place essentielle dans l’étude des relations industrielles,
en ce sens qu’elle permet à travers les organisations des salariés (syndicat), d’exercer un
pouvoir collectif face au pouvoir de l’employeur.
Ce n’est cependant pas le seul « instrument » permettant de produire règles et institutions, et
l’étude des relations industrielles doit également s’attacher à étudier normes et procédures
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produites en dehors de la négociation collective et qui contribuent également à définir les
termes de la relation salariale. A cet égard les normes et règles informelles doivent aussi être
considérées. On se rapproche alors plus de la conception selon laquelle les relations
industrielles doivent être étudiées dans le cadre plus large de la relation d’emploi (voir ciaprès)
On peut distinguer les règles selon
•
Leur auteur : unilatéral, conjoint, bi ou tri partite
•
Leur fonction : règles procédurales ou substantives
•
Les règles substantives sont celles qui définissent, au sens large, les conditions de
la relation salariale.
•
Les règles procédurales définissent le fonctionnement des relations industrielles
(institutions, procédures de négociation….)
•
Leur lieu d’application : règles internes ou externes à l’organisation (différences entre
conventions d’entreprises d’une part et conventions sectorielles nationales ou lois d’autre
part)
•
Leur degré de formalisme, allant de l’habitude au texte légal
1.6 Première approche globale : relations collectives comme
système composé d’acteurs, dépendant d’un contexte, d’une
idéologie, et d’un ensemble de règles (Dunlop, 1958)
Les travaux de DUNLOP sont généralement considérés comme pionnier dans le domaine des
relations industrielles. Son apport essentiel a été de bâtir le concept de systèmes des
relations industrielles. Le livre de Dunlop, Industrial Relations System, publié en 1958 est
depuis lors une référence de base pour beaucoup d'auteurs et de chercheurs.
1.6.1 La notion de système des relations industrielles
• Ce qu'il appelle le système des relations industrielles doit être considéré comme un soussystème de la société industrielle. Cette conception implique notamment que si le système
social dans son ensemble exerce une influence et contraint le système des relations
industrielles, il ne le domine et ne le détermine pas entièrement. A ce titre, selon Dunlop, le
système des relations industrielles a un statut comparable aux systèmes économiques et
politiques. Entre ces différents sous-systèmes il existe des inter-sections : la détermination
des salaires, l'allocation du facteur travail sont des domaines qui seront étudiés tant par
l'économiste que par le spécialiste des relations industrielles. Mais l'analyse du processus
de production sera de la compétence de l'économiste alors que l'ensemble des règles et
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institutions organisant le poste de travail ne sera pas intégré dans l'analyse économique
mais sera au coeur de l'étude du système de relations industrielles.
• comme le système des relations industrielles doit être considéré comme un sous-système
de la société industrielle, au même titre que les sous-systèmes économiques ou politiques,
cela implique, toujours selon Dunlop, que les outils théoriques, notamment économiques,
développés dans le cadre de l'étude de ces autres sous-systèmes ne sont pas adaptés à
l'étude des relations industrielles.
• le système des relations industrielles n'est évidemment pas isolé du système social dans
son ensemble. L'étude des relations industrielles supposera donc que soient faites
certaines hypothèses à propos du système social dans lequel s'inscrit le système des
relations industrielles. Le système japonais des relations industrielles ne peut être compris
que dans le cadre plus général du fonctionnement de la société japonaise. Les échecs
rencontrés dans les tentatives de transposition mécanique de certaines caractéristiques
des relations industrielles japonaises au sein des systèmes européens montrent
l'importance de ces hypothèses.
• un système de relations industrielles est une abstraction au même titre qu'un système
social ou un modèle économique. Il ne prétend donc pas être une description fidèle de la
réalité mais permet de mettre en évidence des relations importantes et de se concentrer
sur des variables critiques, comme de formuler des propositions de recherche ou de
récolte statistique ultérieure.
Trois niveaux d'analyse doivent être distingués, selon Dunlop :
1.
2.
les relations entre le système des relations industrielles et l'ensemble de la société ;
les relations entre le système des relations industrielles et le système économique,
tous deux étant considérés comme des sous-systèmes du système global ;
3.
la structure et les caractéristiques propres du système des relations industrielles.
1.6.2 Structure d'un système de relations industrielles
Selon Dunlop (1993, p. 47) un système de relations industrielles, « à tout moment de son
développement est composé d'acteurs, est inscrit dans un contexte déterminé », est
caractérisé par une idéologie qui soude le système de relations industrielles et possède une
série de règles instituées pour réguler le comportement des acteurs sur les lieux et au sein
des collectifs de travail.
1.6.2.1 Les acteurs
Les acteurs sont constitués par :
1. une hiérarchie constituée par les managers et leurs agents de supervision ;
2. une hiérarchie de salariés ;
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3. des institutions et organisations publiques ou paritaires impliquées dans les
relations au sein et en dehors des entreprises entre employeurs et salariés.
Les relations industrielles naissent de la confrontation des deux premiers acteurs : la
hiérarchie constituée par l'employeur a la responsabilité de donner des instructions, donc de
faire travailler, tandis que la hiérarchie des salariés a le devoir de suivre ces instructions, donc
de travailler. La notion de hiérarchie de salariés employée par Dunlop n'implique pas
nécessairement qu'il y ait organisation formelle, par exemple en syndicat. Les salariés
peuvent être inorganisés, au sens courant du terme, mais le fait est que dès qu'un collectif de
travail existe depuis une certaine période, il apparaît au minimum une organisation informelle,
avec ses normes de conduite aussi bien au sein du collectif de salariés que par rapport à la
hiérarchie des managers. Dans ce sens, on peut dire que les salariés inscrits dans une
relation d'emploi suffisamment continue ne sont jamais désorganisés.
Le rôle des institutions ou organismes publics varie considérablement d'un système à l'autre.
Dans certains cas ou dans certaines périodes, ces institutions pourront complètement
dominer et déterminer les relations entre les employeurs et les salariés : les interventions du
gouvernement fédéral belge visant à limiter réglementairement la croissance salariale à 6 %
durant les années 97 et 98 en sont un exemple ponctuel. Un exemple sans doute plus clair
est la façon dont les relations industrielles étaient organisées dans les pays d'économie
planifiée comme l'URSS. Dans d'autres cas, le rôle des instances publiques sera très limité,
parfois même presque inexistant : le système des relations industrielles britannique est de ce
point de vue fort différent du système français ou du système belge des relations industrielles.
Mais quelle que soit l'importance relative de ces trois acteurs, ils seront toujours présents
dans un système de relations industrielles (ce qui explique d'ailleurs que l'approche
économique considérant uniquement les relations capital-travail, ou employeur-salarié ne peut
suffire à expliquer le système des relations industrielles.
1.6.2.2 Le contexte d'un système de relations industrielles
Le contexte dans lequel se situe un système de relations industrielles est déterminé par les
autres sous-systèmes de la société industrielle. Ce contexte est décisif quant à la forme que
revêtent les règles qui définissent le système de relations industrielles. Dunlop relève trois
éléments essentiels de ce contexte :
1. les caractéristiques technologiques des postes et lieu de travail ;
2. les caractéristiques des marchés des produits ou des facteurs et les contraintes de budget
qui s'imposent aux acteurs ;
3. les lieux de pouvoir et la répartition du pouvoir au sein de la société entière.
Les caractéristiques technologiques du poste et des lieux de travail sont déterminantes pour
le système de relations industrielles : elles influencent le type de management, le type
d'organisations des salariés, les problèmes liés au contrôle et à la supervision, les
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caractéristiques de la force de travail qu'elles nécessitent et les possibilités de régulation par
les pouvoirs publics. La simple énumération de postes de travail différents permet de
supposer que les systèmes de relations collectives seront différents selon que l'on envisage
une compagnie aérienne, un charbonnage, un institut de beauté, une banque... Les
caractéristiques technologiques des postes de travail, dont le type de produit ou de service
créé, déterminent :
• la taille de la force de travail qui sera nécessaire à sa production, sa concentration dans
une zone restreinte ou au contraire sa dissémination ;
• la stabilité de la relation d'emploi et du collectif de travail ;
• l'isolement ou au contraire l'intégration par rapport aux zones urbaines ;
• l'existence ou l'absence de relation avec la clientèle, les conditions de travail, que ce soit
du point de vue de la santé, de l'hygiène ou du point de vue des potentialités d'accidents
liées aux postes de travail ;
• la distribution des qualifications.
Ces caractéristiques sont déterminantes à la fois du type de hiérarchie managériale qui peut
être mise en place, du type d'organisation des salariés et des modes de régulation ou
d'intervention dont peuvent se doter les pouvoirs publics. Ces caractéristiques différentes
posent des problèmes différents en terme de relations industrielles. Des différences
significatives entre des systèmes de relations industrielles peuvent donc être imputées à ces
différences technologiques importantes et en retour, des caractéristiques technologiques
semblables peuvent, dans des sociétés fort différentes, entraîner les différents acteurs à
adopter des règles et procédures fort proches.
Les contraintes de marché et de budget constituent le deuxième aspect du contexte
déterminant le système des relations industrielles. Ces contraintes s'exercent directement sur
la hiérarchie managériale, mais se répercutent généralement aux autres acteurs. Selon que le
produit créé est échangé sur un marché de concurrence parfaite, d'oligopole ou de monopole,
le système de relations industrielles sera différent. A titre d'exemple, on peut comparer le
système de relations industrielles existant dans un secteur comme le la production et la
distribution de gaz et d'électricité en Belgique ou en France, et le système des relations
industrielles d'un secteur beaucoup plus concurrentiel comme le secteur textile. Les
différences de système de relations industrielles seront également très marquées lorsqu'on
les examine dans le contexte d'entreprises ou de secteurs abrités de la concurrence
extérieure et de secteurs exposés à cette concurrence. Pendant longtemps le secteur des
banques assurances a été relativement abrité de la concurrence internationale. L'intégration
européenne a conduit à une concurrence beaucoup plus intense entre les différentes
entreprises européennes de ce secteur qui se traduit dans des modifications des pratiques et
règles des relations collectives. Un système de relations industrielles n'est donc pas un
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système figé. Il s'adapte aux conditions du marché et aux contraintes, notamment
budgétaires, auxquelles font face les entreprises ou les secteurs d'activités.
La distribution du pouvoir au sein de la société est également un élément décisif quant aux
formes que revêtiront les systèmes de relations industrielles et plus particulièrement les
relations de pouvoir et les rapports de force qui seront institués dans le cadre des relations
industrielles. Si on considère le cas de la Belgique, l'instauration de toute une série de
structures telles que les Comités d'Entreprise ou les Comités « de Sécurité et Hygiène »
devenus les Comités de Prévention et de Protection sur les lieux du travail (CPPLT)
correspondait à un rapport de force nouveau qui s'était institué à l'issue de la seconde guerre
mondiale. A la démocratie politique, régime parlementaire et droit de vote, on a essayé de
faire correspondre la démocratie économique, basée sur des organes de concertation sociale
que sont les Conseils d'Entreprise, Comités de Sécurité et d'Hygiène (CPPLT), Conseil
Central de l'Economie ou Conseil National du Travail.
Un système social fortement décentralisé et où les prises de décisions sont fortement
décentralisées pourra influer dans le sens de systèmes de relations collectives eux-mêmes
fortement décentralisés : peu de négociations à caractère sectoriel ou intersectoriel, mais
plutôt prééminence de négociations menées et conclues au niveau des entreprises. En
Belgique, du fait de la fédéralisation des institutions politiques, la question de la pertinence
des négociations collectives au niveau régional se pose de plus en plus.
16
1.6.2.3 L'établissement de règles
Les différents acteurs dont il a été question ci-avant établissent des règles au niveau du lieu et
du collectif de travail, qui organiseront les rapports entre les différents acteurs d'un système
de relations industrielles. Ces règles fixent à la fois les réglementations et les procédures qui
déterminent comment elles seront décidées et appliquées Par exemple en Belgique, les
CPPLT peuvent prendre des décisions, établir des réglementations par exemple en matière
de prévention des accidents, et l'application de ces réglementations seront contrôlées par
l'Inspection du travail. L'établissement de ces procédure et réglementations sont au centre de
l'étude du système des relations industrielles.
Ces règles et procédures ne sont évidemment pas figées, puisqu'elles sont également
déterminées par les changements technologiques, les contraintes de marché et de budget et
les rapports de force au sein de la société.
1.6.2.4 L'idéologie d'un système de relations industrielles
A ce stade, un système de relations industrielles a été décrit comme l'interaction d'acteurs
agissant dans un contexte et qui élaborent un ensemble complexe de règles et de
procédures. Afin de constituer ce que l'on pourra appeler un système, il faut encore une
idéologie, c’est-à-dire un ensemble d'idées et de croyances partagées par les différents
acteurs et qui assurent la cohérence du système.
L'idéologie d'un système de relations industrielles est un ensemble d'idées communes qui
définissent le rôle et la place de chaque acteur, mais aussi l'ensemble des idées que chaque
acteur se fait de la place et des fonctions occupées par les autres acteurs du système.
La stabilité d'un système de relations industrielles implique nécessairement qu'il y ait au mieux
convergence, au moins compatibilité entre les différentes idéologies ou philosophies adoptées
par les différents acteurs. Dans un collectif de travail où les managers auraient une
conception très paternaliste vis-à-vis des salariés et où les salariés n'accorderaient aucune
place au management, il n'y aurait aucune base idéologique commune qui permettrait à
chaque acteur d'accorder à l'autre un rôle légitime. Dans un tel collectif, les relations
industrielles seraient complètement instables.
Cette unité ou plus exactement convergence idéologique dont il est question ici n'implique pas
l'inexistence de conflit. Il faut distinguer les conflits portant sur l'organisation d'un système de
relations industrielles ou provenant des incohérences du système lui-même des conflits qui
ont lieu dans le cadre d'un système accepté de relations industrielles. L'échec de la
négociation d'un accord interprofessionnel et l'éclatement d'une grève afin de faire aboutir
certaines revendications est un conflit qui entre dans le cadre du système de relations
collectives. Par contre l'échec répété de plusieurs négociations, débouchant sur ce que
certains appellent la mise en cause du modèle de concertation à la belge peut être révélateur
d'une absence de convergence idéologique. La base idéologique assurant l'existence d'un
système de relations industrielles doit être distinguée de l'idéologie de la société dans son
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ensemble. On peut bien évidemment s'attendre à une certaine similarité ou compatibilité entre
ces idéologies. Il peut cependant exister des divergences ou des oppositions entre l'idéologie
dominante de la société et celle qui préside au système des relations industrielles. Dunlop cite
en exemple une société qui serait encore dominée par l'activité agricole et où dans la phase
d'industrialisation se constituerait un système de relations industrielles basé sur des
conceptions idéologiques opposées à l'idéologie dominante de la société. Pour certains, il
existe actuellement un décalage entre l'évolution des structures d'emploi, de qualification et
de production d'une part et le type de relations industrielles. Le déclin du syndicalisme dans
certains pays pourrait ainsi être expliqué par une différentiation croissante entre la base
idéologique du système des relations industrielles et l'idéologie de la société dans son
ensemble.
1.6.3 Systèmes généraux et particuliers des relations industrielles
La notion de système de relations industrielles est utilisée par Dunlop à différents niveaux. On
pourra étudier le système des relations industrielles dans un secteur d'activité ou dans une
entreprise, comme on pourra s'intéresser au système national de relations industrielles.
L'exemple du secteur sidérurgique peut être rappelé : particularités d'entreprises, du secteur
sidérurgique, de la métallurgie, de l'industrie, de l'ensemble des secteurs économiques.
La comparaison des différents systèmes peut être faite à différents niveaux : entre pays, entre
secteurs d'un pays, mais également entre secteurs semblables de pays différents. L'objet de
l'étude devenant alors de voir en quoi le système global de relations industrielles influence les
relations industrielles de secteurs situés dans une même environnement technologique et de
marché.
Les interrelations entre système des relations industrielles et les autres sous-systèmes de
l'organisation sociale sont synthétisées sur le graphique suivant :
1.7 Critiques à l'approche de DUNLOP
Tout en reconnaissant l'apport de DUNLOP à l'étude des relations industrielles comme
système, on peut relever quelques points controversés.
1.7.1 Existence de règles ou production de règles
Pour Wood et alii, un système de relations industrielles est constitué par le processus de
production de règles et c’est l’étude de ce processus qui constitue le coeur de l’étude des
relations industrielles. Le résultat de ce système, c’est-à-dire l’existence d’un système de
règles qui organisent l’activité productive ne constitue pas selon eux le cœur d’un système de
relations industrielles. En insistant sur le processus de production des règles, ils proposent
une vision du système des relations industrielles qui est dynamique, le système de relations
industrielles étant compris comme un instrument permettant de résoudre les conflits inhérents
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à l’activité productrice et permettant d’assurer « le besoin fonctionnel d’ordre au sein du
système productif » (Wood et alii). La conception de système des relations industrielles chez
Dunlop est plutôt celle d’une permanence du système, basé sur une idéologie commune et
tendant à se perpétuer. Ce débat peut également s’interpréter en terme du rôle que l’on
attribue au conflit ( grèves, protestations, lock-out). Dans l’optique de Dunlop, le conflit sera
plutôt perçu comme un élément perturbateur du système, alors que selon Wood, il est au
contraire l’élément qui est à la base du développement et de la dynamique d’un SRI.
BLYTON et TURNBULL (1998) montrent en outre que malgré les enrichissements qui ont
été apportés à la conception systémique des relations industrielles en terme des variables
étudiées et des interactions prises en compte, l’accent reste placé sur l’ordre et la stabilité et
donc sur le maintien du système social socio-économique dans son ensemble et des rapports
de force qui les caractérisent.
1.7.2 L'idéologie
Bain et Clegg (1974) font deux critiques importantes :
La notion de système chez DUNLOP suppose, comme on l'a vu plus haut, l'existence d'une
idéologie commune. Cette conception du système peut être considérée comme conservatrice
car elle suppose que le système des relations industrielles est un système naturellement
stable et qui se reproduit naturellement.
Or, selon Bain et Clegg, citant Eldridge, "les sources de conflit et de coopération, d'ordre et
d'instabilité peuvent également prétendre à l'explication des systèmes". On peut en effet
accepter cette critique à la conception de Dunlop du système des relations industrielles. Ce
système est en mouvement et en évolution continue, sous l'effet d'idéologies le plus souvent
contradictoires et rarement convergentes. L'acceptation de règles communes n'implique pas
nécessairement un système d'idées commun à tous les acteurs des relations collectives.
1.7.3 Prise en compte des comportements
La deuxième critique adressée par Bain et Clegg concerne l'absence dans le concept de
système de Dunlop des variables de comportement des différents acteurs. Selon eux, l'étude
du système des relations industrielles doit inclure non seulement l'étude des règles, écrites ou
implicites, mais également celle des comportements des différents acteurs (exemple : les
relations sociales qui ont prévalu lors de la fermeture des Forges de Clabecq ne peuvent
uniquement être expliquées à partir du système formel des relations collectives).
19
1.7.4 La notion de contexte
La notion de sous-système, déterminé par un contexte a également été critiquée, du point de
vue de la définition de ce contexte et du point de vue des interactions entre le SRI et le
contexte. Salomon propose que la notion de SRI soit comprise et étudiée à deux niveaux :
le premier ( Industrial relations system (1) sur le graphique) consistant en l’étude des
processus de production des règles,
le deuxième niveau (Industrial system (2) sur le graphique)étant constitué par l’étude des
interactions entre la production de règles et le contexte, en incluant dans le contexte les
contextes politiques et légaux, sociaux et culturels.
1.7.5 Théorie des relations industrielles ou outil d’analyse
20
Plusieurs auteurs remettent en cause le caractère théorique du système des relations
industrielles tel que développé par Dunlop. Blyton et Turnbull (1998), reprenant les critiques
adressées par Poole (1981 et 1988), Marsden (1982) et Hyman (1975 ,1992) développent les
points suivants
-
le concept de système des R.I est au mieux une description des relations industrielles et
non une théorie.
-
l’importance relative des différentes variables, la façon dont elles interagissent n’est pas
explicité.
-
la notion de système implique une intégration fonctionnelle des différentes institutions en
particulier lorsqu’on postule une idéologie commune .
Selon Blyton et Turnbull (1998) la différence entre les approches pluralistes, parmi lesquelles
la notion de système des relations industrielles de Dunlop occupe une place centrale et
l’approche marxiste est fondamentale du point de vue des statuts de chacune de ces
approches.
L’approche marxiste des relations industrielles se fonde sur une théorie des rapports sociaux,
économiques et politiques. Il y a donc une cohérence théorique que l’on ne retrouve pas dans
les approches pluralistes. Selon Blyton et Turnbull, même si la théorie développée par Marx (
on ne parle pas ici des mouvements politiques marxistes) s’est montrée incapable de rendre
compte de l’évolution du système de production capitaliste, elle a le mérite de fournir des
fondements théoriques à l’analyse des relations industrielles. Par contre les approches
pluralistes, dont celle de Dunlop, restent limitées et descriptives.
1.8 Les relations industrielles comme élément de la relation
d’emploi.
Il semble donc préférable d’étudier les relations collectives (ou industrielles) dans un cadre
plus large, permettant de fixer un cadre théorique : celui-ci devant permettre de déterminer
quels sont les intérêts des différents acteurs, pourquoi ces intérêts divergent.
Ce cadre plus large devrait également permettre d’élargir les champs d’étude à ces aspects
de la relation salariale qui échappent aux relations collectives (ou industrielles). On peut citer
en exemple le développement actuel de certaines formes d’emploi qui échappent à la
négociation collective.
La relation d’emploi est un échange économique, un accord entre employeur et salarié sur la
capacité de travail du dernier (sa productivité et sa force de travail). Mais la relation d’emploi
est également une relation de pouvoir ne fut-ce que par le fait qu’en concluant un contrat de
travail avec l’employeur, le salarié accepte de se soumettre à son autorité.
A la différence de la plupart des autres transactions de marché, qui sont ponctuelles, la
relation d’emploi se caractérise par la continuité et elle nécessite qu’il y ait contrôle. En effet,
si généralement le salaire est fixé au début de la relation d’emploi et la durée fixée ou
21
indéterminée, par contre l’intensité du travail ne peut que difficilement être déterminé. Celle-ci
dépend en partie du contrôle que pourra exercer l’employeur ou son représentant sur le
salarié.
La relation est interdépendante, créant les possibilités à la fois du conflit et de la coopération.
Mais elle est asymétrique en ce sens que l’employeur dispose d’un pouvoir plus important
que le salarié :
La nécessité d’exploiter la force de travail achetée, c’est à dire d’utiliser cette capacité de
travail pour qu’elle génère un surplus, le profit et un travail efficient et donc un produit, induit
simultanément la possibilité du conflit et de la coopération. La nature de la relation d’emploi ne
peut pas dans cette optique se limiter au contrôle par le management de la force de travail
(optique unitariste ou marxiste) mais elle et caractérisée par une combinaison de désaccords
et d’accords , de conflits et de coopération.
Ce sont ces caractéristiques de la relation d’emploi, création d’un surplus économique,
coexistence de conflits et de coopération, l’indétermination de la nature de la relation
d’échange et l’asymétrie de pouvoir qui constituent l’intérêt de l’étude des relations
industrielles et non l’ensemble des institutions et règles qui n’en sont qu’un sous produit.
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