Partie 2 : Pratiques de planification locale 4 PLANIFICATION ENVIRONNEMENTALE Dans ce chapitre, nous mettons en relief certains aspects spécifiques de la planification dans le domaine de l'environnement. Rappelons que la planification environnementale ne diffère pas en tant que telle des autres domaines de planification de sorte que nos analyses sur la planification locale en général restent pertinentes pour la planification dans le secteur de l'environnement. Quelques tendances L'examen des planifications entreprises par les paysans avec ou sans des intervenants fait surgir quelques tendances. Il est intéressant d'examiner les deux cas séparément. En l'ABSENCE D'INTERVENTION DIRECTE de projets, services ou ONG : • Les initiatives de planification purement environnementales sont plutôt rares. En général, elles ont pour origine un événement bioclimatique, une sécheresse ou des pullulations de prédateurs des cultures (I.Traoré et L.Sima, n°7)1. Parfois, il s'agit d'une analyse propre à la société villageoise à la suite d'une prise de conscience (B.Ballo, n°2). • Les initiatives prennent deux formes : des mesures physiques (par exemple un barrage) ou biophysiques (des plantations) et des mesures organisationnelles, le plus souvent des réglementations ou des normes pour gérer l'accès à des ressources ou à des espaces. • En règle générale, à l'échelle villageoise ou inter villageoise, la planification concerne des mesures communautaires, plus rarement collectives (OP, AV ou ZAER, etc.). Quand des INTERVENANTS sont à l'origine de l'initiative ou lorsqu'ils viennent en appui : • Les actions planifiées prennent souvent place en lien avec ou dans le cadre d'une démarche d'aménagement des terroirs. • En général, les approches sont basées sur la recherche de solutions à des problèmes. Même si l'analyse des potentialités est rarement absente, en pratique, au moment de planifier l'action, les problèmes éclipsent régulièrement les potentialités. • L'accent est placé sur les solutions techniques. Toutefois, plusieurs projets visités ont développé des efforts remarquables pour dépasser ce niveau d'intervention et inclure des approches organisationnelles pour solutionner des problématiques environnementales (EDP, FIL, CAT/GRN, ...). • Un diagnostic environnemental approfondi est à la base des démarches. En général, les projets visités n'ont pas ménagé leurs efforts pour impliquer les populations dans le travail d'analyse. Une large gamme d'outils ont été déployés par certains projets (par exemple, FIL et CAT/GRN dans la zone de Sikasso). • Selon les zones, le débouché des efforts de planification sera un investissement plus ou moins lourd sur un ou plusieurs ouvrages (GRDR dans le cercle de Kayes) ou un ensemble de mesures liées à un ouvrage (Terra Nuova, DED avec EGAB dans la commune de Oualia). Dans la région de Sikasso, des actions socio-organisationnelles, et notamment des législations ou des conventions inter terroirs, ont aussi été mises en œuvre à la suite d'initiatives de planification. 1 Pour la numérotation des études de cas, nous renvoyons le lecteur à la note n°1 du chapitre 2, page 13 . – 49 – Philippe De Leener, "Planification locale, développement local, gestion de l'environnement et décentralisation : Partie 2", 02/1999, PNAE/CID (Bamako), Club du Sahel (Paris) Partie 2 : Pratiques de planification locale Dans les deux cas, lorsqu'on s'intéresse aux FACTEURS DE REUSSITE, plusieurs tendances significatives apparaissent : • les actions environnementales efficaces sont fréquemment celles qui intègrent dans une même opération DIVERSES MESURES conservatrices ou restauratrices. Par exemple des mesures de gestion ou de valorisation des eaux combinées avec des mesures de restauration ou de protection des terres. • Rares sont les démarches de planification qui ne s'accompagnent pas de la création ou de la mobilisation de STRUCTURES ORGANISATIONNELLES villageoises ou inter villageoises. Planifier dans l'environnement signifie implicitement planifier au niveau de l'organisation locale. • Les réussites les plus frappantes semblent avoir été obtenues là où le lien entre la planification de MESURES PHYSIQUES et la planification de MESURES SOCIALES (réglementations ou conventions entre acteurs) a été réalisé dès le départ, un peu comme si ces dernières étaient la condition d'effectivité des premières.Autrement dit, les efforts de planification environnementale perdraient de leur force lorsque les intervenants investissent plutôt leurs efforts sur les opérations techniques ou les actions de sensibilisation aux dépens d'une réflexion sur la production des normes et règles qui les accompagnent implicitement. Planification environnementale aux échelles micro-locale, locale et communale La gestion de l'environnement est d'autant plus efficace qu'elle se réalise avec la même intensité aux différents niveaux, depuis la parcelle jusqu'au basin versant. Les différents niveaux doivent s'emboîter harmonieusement et synergiquement. Il faut rappeler à ce sujet l'importance de coordonner les différents LIEUX DE DECISION, depuis l'exploitation agricole jusqu'aux instances inter villageoises. Il faut aussi avoir en tête les différents NIVEAUX DE DECISION, D, R et E. En effet, entre la décision prise et décrétée à l'échelle du village et sa mise en œuvre concrète dans les divers lieux concernés, il y a toute une chaîne décisionnelle et une diversité d'acteurs qui entrent successivement en scène. Par exemple, lorsque les autorités villageoises, en général le chef, ses conseillers et les responsables des grandes familles, s'entendent sur des mesures conservatrices à propos de certaines ressources ligneuses à préserver dans le terroir (niveau D de la décision), l'exécution de ces mesures passent par une série de micro-décisions à caractère opérationnel et par des actions de contrôle qui impliquent la responsabilité directe d'autres groupes d'acteurs, par exemple les chefs d'exploitation qui détiennent des droits de cultures sur les terres où sont localisées ces ressources ligneuses (niveau R de la décision). Mais, en pratique, les gestes techniques qui agiront directement sur les ressources ligneuses à préserver seront exécutés par d'autres acteurs encore, par exemple les jeunes chargés des défrichements et de la préparation des terres ou les femmes impliquées dans le semis ou sarclage (niveau E de la décision)2. Si la planification opérationnelle ne mobilise pas les diverses catégories d'acteurs décisifs aux divers niveaux (étages) de décision, les mesures environnementales risquent de ne pas produire les effets attendus. En effet, dans le domaine environnemental, l'articulation harmonieuse – et cadensée – des différents niveaux de décision est un des éléments clés qui déterminent l'efficacité des planifications et du déroulement des actions qui s'en suivent. Cet aspect est régulièrement négligé par les acteurs, qu'il s'agisse d'acteurs villageois ou d'intervenants. En général, l'investissement décisionnel est réalisé au niveau D, parfois au niveau R et plutôt rarement au niveau E. Le raisonnement que nous avons développé dans le cas du village peut être étendu à l'échelle inter villageoise ou communale. La question clé devient alors : comment coordonner les micro- 2 Le lecteur intéressé par cette approche de la décision se reportera à Ph. De Leener, 1988, "Le projet dans l'environnement démographique, économique et écologique", OPES 2112, UCL, Louvain-LaNeuve, Belgique. – 50 – Philippe De Leener, "Planification locale, développement local, gestion de l'environnement et décentralisation : Partie 2", 02/1999, PNAE/CID (Bamako), Club du Sahel (Paris) Partie 2 : Pratiques de planification locale décisions concernées par les grandes décisions des leaders locaux (villageois et bientôt communaux) ? Planifier l'action environnementale dans les communes Au cour de l'atelier de restitution à Bamako, du 21 au 23/12, un groupe de travail a investi sa réflexion sur la planification environnementale à l'échelle de la commune3. Le groupe a proposé toute une procédure que nous reprenons ci-dessous : • S'inspirer de la politique nationale, • Identifier les acteurs, • Identifier les problématiques, • Identifier les actions, • Identifier les priorités, • Élaborer un programme d'action, • Mettre en œuvre le programme, • Organiser le suivi et l'évaluation. Cette procédure a été vivement discutée. Un autre groupe a proposé de reprendre la démarche proposé en partant d'un autre point de vue : • Les acteurs communaux, citoyens, associations, élus, intervenants, etc. font un diagnostic des situations environnementales qu'ils vivent et ils analysent particulièrement les dynamiques, ce qui existe déjà (les ressources mobilisables) et ce qui "bouge" (les initiatives), pas seulement les problèmes. • Les acteurs de la planification communale organisent des processus de discussion et de négociation entre eux. • Les planifications environnementales des villages membres de la commune sont étudiées de même que les diverses initiatives que les acteurs ont déjà entreprises. Un bilan est dressé et les acteurs communaux en retirent des leçons. • La planification communale intègre (relie entre elles) les initiatives et les différentes planifications villageoises. • Un effort particulier est fait pour inventorier et utiliser les connaissances, compétences et savoir-faire locaux. • Sur cette base, les acteurs communaux envisagent quoi faire de plus et plus efficacement pour agir au niveau de l'environnement communal. Un plan d'action, c'est-à-dire un plan d'ensemble, soutenu par une stratégie, peut ainsi être formulé sur une telle base. Éventuellement, des actions spécifiques sur l'environnement sont identifiées à l'échelle communale. • Les planificateurs examinent ensuite dans quelle mesure leurs perspectives cadrent avec le schéma directeur d'aménagement de la commune. Ces deux conceptions sont relativement contradictoires. Elles reposent sur des VISIONS DIFFERENTES du rôle de l'État central : • Dans le premier cas, la planification part de ce que l'État a conçu pour et, en grande partie, à la place des gens ; on planifie de haut en bas en s'inspirant des politiques ou plans nationaux. A la limite, dans cette conception, les populations se mettent au service de l'État pour agir sur leur propre environnement. • Dans le second cas, c'est l'inverse, la planification part de ce que les gens font déjà, c'est-àdire des dynamiques villageoises ou associatives ; on planifie de bas en haut en examinant comment harmoniser les diverses initiatives. L'État se met alors plus nettement au service de ses populations en proposant des points de repère. 3 Nous reprenons ci dessous de larges extraits de la partie 3, pages 15 et 16 – 51 – Philippe De Leener, "Planification locale, développement local, gestion de l'environnement et décentralisation : Partie 2", 02/1999, PNAE/CID (Bamako), Club du Sahel (Paris) Partie 2 : Pratiques de planification locale Le débat a montré que le premier cas de figure évoque ce qui se fait depuis longtemps avec les problèmes que chacun connaît tandis que la seconde option s'inscrit plutôt dans la philosophie de la décentralisation qui fait le PARI SUR LA CREATIVITE et la responsabilité des acteurs locaux. La principale source d'inspiration pour agir dans l'environnement de sa commune ne doit-elle pas être l'analyse de sa propre situation, le bilan de ses propres capacités, l'évolution de ses propres ambitions ? Ce que l'État central propose dans ses politiques nationales ne vient-il pas alors en complément ? Ces questions nous paraissent pertinentes dans la mesure où, au niveau local en tout cas, les agents des services de l'État, et particulièrement ceux qui sont en lien étroit avec la gestion de l'environnement, devront probablement redéfinir leur rôle et donc, finalement, se redéfinir euxmêmes. La planification environnementale, une composante en interaction avec d'autres composantes au sein d'une planification globale Il est vain, selon nous, de parler d'environnement physique ou biologique isolément des autres dimensions de la vie des terroirs. Rappelons notre hypothèse de base : les dysfonctionnements environnementaux (érosion, déforestation, sécheresse) sont les symptômes de dysfonctionnements sociétaux, c'est-à-dire de dérèglements dans le fonctionnement des économies, des institutions et des organisations qui fondent les sociétés locales. En termes simples, nous posons que c'est parce que ça ne va pas entre les hommes que ça ne va pas non plus entre les hommes, les sols, les plantes et les animaux. En conséquence, si on veut agir efficacement sur l'environnement, nous pensons qu'il faut interpeller l'ensemble des composantes des sociétés locales, pour traiter non seulement les symptômes mais, surtout, les causes et les mécanismes qui les produisent. Il en résulte que la planification locale environnementale n'est pas environnementale au sens physique ou biologique du terme, mais sociétale. L'environnement physique ou biologique ne sont cependant pas négligés, simplement ils sont saisis comme des composantes de cette société, au même titre que l'environnement économique, social, culturel ou politique. La planification est donc nécessairement globale et, selon nous, c'est lorsqu'on tente d'isoler telle composante de telle autre qu'on la rend fragile ou improductive dans le long terme. Il faut toutefois clairement lever une ambiguïté : travailler dans une logique globale ne signifie pas faire tout et n'importe quoi : si la planification locale devient un fourre tout sous prétexte qu'elle doit être globale, on n'aura fait aucun progrès, on sera simplement revenu 20 ans en arrière à l'époque où le développement dit intégré faisait ses choux gras. Il faut se méfier autant des planifications "polyglottes" à vocation universelle que des planifications sectorielles. La question clé n'est pas "Est-ce qu'il y a une composante sociale, économique ou politique à côté de la dimension environnementale ?", mais plutôt "Est-ce qu'on a suffisamment raisonné la planification environnementale en termes politiques, économiques ou sociaux ?", ce qui n'est pas du tout la même chose. L'impasse surgit lorsqu'on ne raisonne l'action de changement environnemental qu'à travers la seule dimension environnementale, que lorsqu'on aborde les problèmes de l'érosion en ne regardant que le sol et en ignorant ce qui se passe entre les hommes autour du sol érodé. Une des voies prometteuses pour développer la planification environnementale et surtout l'impact des actions qu'elle organise, consiste donc à la désenclaver par rapport aux autres dimensions clés que sont l'économie ou le fonctionnement social ou politique. Plus la planification environnementale est également une planification de mesures ou stratégies sociopolitiques, plus ses impacts environnementaux semblent durables et pertinents. POINTS DE REPERE POUR PROGRESSER – 52 – Philippe De Leener, "Planification locale, développement local, gestion de l'environnement et décentralisation : Partie 2", 02/1999, PNAE/CID (Bamako), Club du Sahel (Paris) Partie 2 : Pratiques de planification locale —> Développer des approches de planification intégrative, qui ne saucissonnent pas les phénomènes et les domaines environnementaux, les sols, les arbres, les formations végétales, la gestion des animaux, les eaux, etc., mais qui, au contraire, recherchent leurs interconnections, tant dans l'analyse que dans l'action. —> Lors de la planification, articuler synergiquement les échelles micro-locales (individuelles ou familiales) aux échelles villageoises ou inter villageoises. —> Combiner la réflexion et l'action sur les centres de décisions avec la réflexion et l'action sur les questions environnementales proprement dites. Ce qui signifie, en pratique, qu'il faut veiller à ce que les "faits environnementaux" ne soient pas isolés des décisions qui les ont provoqués. —> Rendre opérationnelles les dimensions sociales et politiques dans les initiatives de planification environnementale. —> Combiner étroitement la planification de mesures environnementales et la planification de normes ou de modalités organisationnelles, l'impact des premières dépendant directement de l'efficacité des secondes. – 53 – Philippe De Leener, "Planification locale, développement local, gestion de l'environnement et décentralisation : Partie 2", 02/1999, PNAE/CID (Bamako), Club du Sahel (Paris) Partie 2 : Pratiques de planification locale Contacts Inter-Mondes Belgique Président : Philippe DE LEENER Coordinateur : Marc TOTTE 8, rue Mottes des Bergers B-1421 Ophain (Belgique) & Place des Doyens, 1 Institut d'Etude de Développement Bureau A330 B-1348 Louvain-La-Neuve Téléphones : 0032-472-285472 (GSM) 0032-484-327694 (GSM) 0032-2-3840633 (fixe) 0032-10-478502 (fixe) [email protected] [email protected] www.inter-mondes.org – 54 – Philippe De Leener, "Planification locale, développement local, gestion de l'environnement et décentralisation : Partie 2", 02/1999, PNAE/CID (Bamako), Club du Sahel (Paris)