sociales et des déconstructions textuelles de tout et de n’importe quoi qui caractérise
la sociologie des sciences post-bloorienne, dont la théorie des réseaux socio-
techniques constitue la ligne de fuite la plus radicale. Insistant sur le caractère
arbitraire des système de représentations sociales, on peut faire remonter la troisième
version du constructivisme à la sociologie des formes de classification de Durkheim et
Mauss et la relier, en passant par Saussure et Lévi-Strauss, à la mode déconstructiviste
des post-structuralistes, reçus et revus par le post-modernisme, les cultural studies et
le féminisme différentialiste dit de la troisième vague.
Alors que Bourdieu a essayé d’intégrer les trois variantes du constructivisme social
dans une théorie néo-kantienne de la connaissance sociologique qui rompt, dans un
premier temps, avec la constitution du monde ordinaire par le sens commun pour le
réintégrer dialectiquement, dans un second temps, dans une phénoménologie critique
de la constitution doxique du monde, Latour a défait la synthèse bourdieusienne en
radicalisant et en post-modernisant le constructivisme constitutif des
ethnométhodologues, tandis que Boltanski-Thévenot ont développé une version
originale et pluraliste du constructionisme constitutif-consensuel à partir d’une dérive
pragmatique de la sociologie critique. Dans les pages qui suivent, je présenterai les
versions respectives en termes de la construction structurale de l’objet, la constitution
pragmatique du monde commun et de la co-construction performative du monde et
des réseaux socio-techniques.
Les nouvelles sociologies françaises ne sont pas seulement constructivistes, elles sont
également, à un titre ou à un autre, critiques. Tout comme la notion de ‘construction’,
la notion de ‘critique’ est polysémique et prête aisément à la confusion. En ce qui
concerne les sciences sociales, il convient de distinguer la critique épistémologique de
la sociologie de la critique sociale de la société, alors même qu’une théorie critique de
la société se doit de les combiner en traquant systématiquement les réifications et les
aliénations (Vandenberghe, 1997-1998).2 La critique épistémologique remonte
évidemment à la Critique de la raison pure de Kant. Ayant trait aux conditions de
possibilité de la connaissance, elle cherche à maintenir la connaissance à l’intérieur
des limites de la raison et analyse transcendentalement comment les catégories de la
2 Suivant Peirce, on pourrait appeler la première ‘Critik’ et la seconde ‘Kritik’: “Ce mot [Critik, ou en
Grec κριτικη], utilisé par Platon (qui divise toute la connaissance entre l´épitactique et la critique), fut
adopté en latin par les Ramistes et en anglais par Hobbes et Locke. L´empruntant à Locke, Kant, qui
écrit toujours Critik - le c étant possiblement une réminiscence de son origine anglaise - l´a introduit
dans l´allemand. Kant a clairement exprimé son désir qu´on ne confonde pas le mot avec celui de
critique, avec la critique littéraire (Kritik en allemand)” (Peirce, 1959: 2.205).