celle que nous avons du corps, et d'être également convaincus de l'existence de tous les deux ; car il n'y a pas plus de
contradiction que la pensée existe séparée et indépendante de la solidité, qu'il n'y en a que la solidité existe séparée
et indépendante de la pensée …" Qu'on rapproche, avec l'auteur du mémoire, ces passages de passages
analogues qu'on trouve sans peine dans Descartes, et on se convaincra qu'en effet la méthode de l'Essai sur
l'entendement humain est à peu près celle des Méditations.
Il est encore un autre rapprochement à faire entre ces deux philosophes : c'est l'idée de l'âme considérée comme
substance passive, ce qui fait dire à M. Maine de Biran que le sage Locke, en parlant de la substance d'après Descartes,
abonde sans le vouloir dans le sens de Spinoza.
Or ces points suffisent certainement pour constater la filiation du père de la philosophie moderne à l'homme qui, en la
détournant du spiritualisme au sensualisme, ne l'a pas moins, sous quelques rapports, fidèlement suivie dans la voie où
d'abord l'avait placée Descartes, et l'auteur du mémoire a sagement fait de dire, surtout avec les réserves qu'il y met
justement, que l'Essai sur l'entendement humain, en raison de la popularité dont il a joui, a peut-être, après les
Méditations, contribué, plus que tout autre ouvrage, à répandre l'esprit de la véritable méthode psychologique.
[Leibnitz : un penseur selon Descartes].
Il explique Leibnitz comme il a expliqué Locke, Malebranche et Spinoza ; c'est aussi, à ses yeux, un penseur selon
Descartes, mais non en tout ni pour tout, et qui l'est d'ailleurs comme le génie peut l'être à l'égard du génie. Leibnitz, de
la haute position qu'il prend dans l'histoire, est à la fois le partisan et l'adversaire de Descartes, l'adversaire en un point, le
partisan en l'autre. Il voit dans Spinoza un cartésianisme immodéré, et il le modère, ou plutôt, car c'est la seule bonne
manière de modérer un excès, il le combat dans son principe, dans l'idée de substance, et il lui oppose celle de force,
de cause substantielle, à la pure passivité il substitue l'activité ; à ces existences qui n'en sont pas, qui ne sont que des
modes d'attributs, de pleines et entières existences, des entéléchies, des monades. Mais, d'autre part, on dirait que s'il
voit dans Spinoza un cartésianisme immodéré, il voit dans Malebranche, au moins sous certains rapports, un
cartésianisme trop modéré, et il ne consent à accepter l'hypothèse de l'assistance divine ou des causes occasionnelles,
que pour la transformer hardiment en celle de l'harmonie préétablie. Il ne réprime ainsi d'une main la philosophie
cartésienne que pour lui lâcher la bride de l'autre ; il ne la refrène en un sens que pour la pousser dans l'autre, et
malheureusement, dans ce double effort, il se contrarie et s'entrave lui-même ; il affaiblit, par l'une de ces idées, les
heureux effets de l'autre, et par l'harmonie préétablie porte coup aux monades.
Tel est en résumé le sentiment de l'auteur au sujet de Leibnitz, sentiment juste en lui-même, et auquel il ne manque,
pour être plus complet, que de s'être étendu de la métaphysique à la physique et aux mathématiques, et d'y avoir suivi
le lien qui, là encore, unit Leibnitz à Descartes.
[La part prise au mouvement cartésien, par d'autres auteurs].
Il devient moins important de voir comment l'auteur envisage et estime, pour la part qu'ils ont prise au mouvement
cartésien, d'autres esprits également éminents, mais moins spécialement philosophiques, Pascal, Bayle, Port-Royal,
Bossuet, Fénelon, etc., etc. Nous nous bornerons à quelques remarques qui suffiront à cet égard. Ainsi, il montre bien
comment Bayle, d'après l'esprit de scepticisme qui l'anime constamment, affecte de soutenir ce qu'il y a de moins
plausible dans Descartes, comme le principe de la conservation, la théorie de l'assistance, l'hypothèse de l'animal
machine, pour en tirer ensuite des objections contre la liberté et la Providence (p. 332) ; comment la logique de Port-
Royal se rattache et tient étroitement à la philosophie de Descartes ; il aurait peut-être pu aller plus loin, et dire que
Descartes lui-même y avait coopéré, ou du moins, pour certaines parties, avait expressément été mis à contribution.
A ses observations très-justes sur le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même de Bossuet, il aurait pu ajouter,
pour plus amples informations, qu'avec Bossuet, qui, en effet, termina l'imitation par un ouvrage inimitable, il y eut
plusieurs auteurs, tels que le P. Lami, Clauberg, et même des hommes moins connus dans l'histoire de la philosophie,
l'aïeul du chancelier Séguier, par exemple, qui firent chacun à leur manière leur Connaissance de Dieu et de soi-même ;
tant il est vrai, encore une fois, que Descartes, qui avait comme donné le ton à ces sortes de traités dans ses
Méditations, fut d'un exemple fécond et puissant pour son siècle. Enfin il remarque avec raison que combattre comme
Fénelon le spinozisme par le cartésianisme, ce n'est pas bien choisir son terrain, ni se servir des meilleurs armes, et
qu'il lui manque sous ce rapport, comme à tous les disciples de Descartes, quelque principe plus vrai qui lui permette
d'être un adversaire plus conséquent et plus fort, et que le véritable adversaire à opposer à Spinoza, ce n'est pas
Descartes, mais Leibnitz.
[Les vérités et les erreurs du cartésianisme].
Mais nous laissons ce morceau relatif à l'Influence de la philosophie cartésienne sur les grands écrivains du XVIIe siècle,
qui est encore philosophique, mais ne serait pas loin de devenir littéraire, et qui d'ailleurs en lui-même est quelque peu
incomplet, pour nous hâter d'arriver à celui qui détermine le mémoire sous ce titre : De la part de vérité et d'erreur
contenue dans le cartésianisme, et qui est ou du moins doit être bien autrement philosophique.
L'auteur y dit en résumé, à la suite d'une discussion qui a pour but d'amener et de justifier ses conclusions (p. 502), "que
l'évidence posée comme le signe unique et infaillible de la vérité et la souveraineté de la raison, que la distinction
nette et profonde des phénomènes de l'esprit et des phénomènes du corps, avec la vraie méthode philosophique qui
en est la conséquence, et l'existence d'idées autres que celles qui nous viennent des sens, telles sont les trois grandes
vérités que contient le cartésianisme ; mais qu'à côté il renferme un plus grand nombre d'erreurs, telles qu'en
métaphysique la nécessité d'établir la légitimité du criterium de l'évidence par la démonstration de l'existence de
Dieu, la démonstration même de cette existence, la négation de l'évidence du monde extérieur, la confusion de la
volonté avec l'intelligence, de la résolution avec le jugement, l'hypothèse touchant les bêtes, et enfin la plus capitale de
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