Matériaux de basse dimensionnalité Les nitrures d’éléments III : des semiconducteurs III-V singuliers ? Après des débuts difficiles dans les années 70, les nitrures d’éléments III ont suscité un regain d’intérêt il y a une dizaine d’années après que l’un des verrous technologiques majeurs – le dopage de type p – eut été résolu. L’industrialisation de DELs bleues et vertes a alors été très rapide et a en fait précédé la compréhension fine des phénomènes physiques mis en jeu dans ces matériaux. Il est certain que la qualité médiocre du composé de base GaN a sans aucun doute accentué ce retard. Aujourd’hui, l’un – Centre de recherche sur l’hétéroepitaxie et ses applications (CRHEA), UPR 10 CNRS, bât. 5, rue Bernard Grégory, Sophia Antipolis, 06560 Valbonne. 28 AlN 6 0,2 BeSe 5 MgS 4 3 Al O (0001) 0 2.5 2 3 SiC(0001) Si(111) 3.0 3.5 4.0 MgSe 0,4 ZnSe AlP AlAs 0,6 CdSe GaP AlSb InP GaAs 1,2 GaSb InAs InSb InN 2 1 0,3 ZnS GaN 4.5 5.0 5.5 6.0 6.5 Longueur d’onde (µm) L es nitrures d’éléments III (GaN, AlN, InN et leurs alliages) sont des semiconducteurs aux propriétés remarquables. La plus importante est sans conteste leur bande interdite directe qui varie de 1,9 eV pour InN à 3,4 eV pour GaN, et atteint 6,2 eV pour AlN (figure 1). Grâce aux concepts de l’ingénierie de bande interdite développés dans le cadre des semiconducteurs III-V traditionnels (arséniures, phosphures, antimoniures), il est ainsi possible de couvrir entièrement la gamme spectrale visible, mais aussi le domaine des ultraviolets A (320-400 nm) et B (280-320 nm). Ce point, complété par la très forte stabilité du matériau de base GaN, est à l’origine de la réalisation industrielle de diodes électroluminescentes (DELs) bleues et vertes de haute brillance, et de diodes laser (DLs) émettant à 0,4 µm. Bande interdite (eV) Les nitrures d’éléments III sont des semiconducteurs remarquables car ils couvrent l’ensemble du spectre visible ainsi que les ultraviolets A et B. Les dispositifs optoélectroniques à base de nitrures présentent aujourd’hui des performances exceptionnelles, malgré une densité de dislocations très élevée (> 108 cm–2) et des champs électriques intrinsèques géants (plusieurs MV/cm). Les différents phénomènes physiques mis en jeu dans ces matériaux sont illustrés par les propriétés optiques de puits et de boîtes quantiques. 7.0 Parametre de maille (A) Figure 1 - Bande interdite de divers composés semiconducteurs en fonction de leur paramètre de maille. Les nitrures d’éléments III couvrent un large domaine spectral qui s’étend du rouge (650 nm) à l’ultraviolet (200 nm). Les substrats les plus couramment utilisés pour la croissance de ces matériaux sont le saphir (Al2O3) et le carbure de silicium (SiC). des objectifs majeurs de la recherche fondamentale sur les nitrures d’éléments III est d’identifier les paramètres clefs qui gouvernent l’émission de lumière dans les nanostructures (puits ou boîtes quantiques) utilisées comme couche active des dispositifs électroluminescents. Les deux problématiques récurrentes concernent, d’une part, les effets de polarisation liés à la structure hexagonale de ces matériaux et, d’autre part, les effets de localisations des porteurs dans l’alliage GaInN. POLARISATIONS SPONTANÉE ET PIÉZOÉLECTRIQUE L’une des spécificités des nitrures d’éléments III, comparés aux autres composés III-V tels que les arséniures (GaAs par exemple), est leur structure hexagonale de type wurtzite. Dans la maille cristalline hexagonale, les barycentres des charges positives et négatives ne coïncident pas toujours, créant ainsi un ensemble de dipôles orientés selon une même direction. Il apparaît dès lors dans le cristal une polarisation macroscopique en l’absence de toute contrainte externe (encadré 1). Cet effet est bien connu dans les matériaux ferroélectriques et est appelé « polarisation spontanée ». Il est important de souligner que ce phénomène existe même dans le cas d’une structure hexagonale parfaite √ (c/a = 8/3 ). En revanche, il n’y a pas de polarisation spontanée dans Matériaux de basse dimensionnalité les semiconducteurs à phase cubique en raison de leur symétrie. Cependant, sous l’action d’une contrainte bi-axiale, par exemple dans le plan (111), la maille cristalline se déforme et brise la symétrie cubique. Il apparaît alors une polarisation dans le cristal, orientée selon l’axe polaire [111] (encadré 1). La manifestation d’un champ électrique sous l’action d’une contrainte est appelée piézoélectricité. Une polarisation piézoélectrique orientée le long de l’axe [0001] est aussi présente dans les semiconducteurs à phase hexagonale lorsqu’une contrainte bi-axiale dans le plan (0001) leur est appliquée. Dans un nitrure d’éléments III, la polarisation totale est la somme de la polarisation spontanée (structure à l’équilibre) et de la polarisation piézoélectrique si contrainte il y a (encadré 1). Nous discutons maintenant de l’influence de la polarisation macroscopique sur les propriétés optiques de nanostructures épitaxiées selon la direction [0001]. Dans ce cas, l’axe de polarisation est parallèle à l’axe de croissance et perpendiculaire au plan des couches. Si l’on juxtapose deux matériaux nitrures A et B de nature différente, comme GaN et AlGaN, la discontinuité de polarisation macroscopique totale P entre les deux milieux se traduit à l’interface A/B par un plan de charges σ = P(A)–P(B) . Ce plan de charge crée à son tour dans le cristal un champ électrique de module E = σ/2εε0 où ε est la constante diélectrique du matériau et ε0 la permittivité du vide. Dans un puits quantique (B/A/B) , les deux interfaces portent chacune un plan de charge de même module mais de signes opposés. Les champs électriques créés par ces plans de charges s’ajoutent dans le puits quantique (E = σ/εε0 ) et s’annulent en dehors, c’est-à-dire dans les barrières (encadré 2). L’importance des effets de polarisation dans les hétérostructures de nitrures d’éléments III tient principalement aux valeurs géantes du champ électrique. A titre d’exemple, la théorie prédit des champs électriques respectivement de 10 MV/cm et 15 MV/cm dans les systèmes GaN/AlN et InN/GaN. Ces valeurs particulièrement élevées pour des semiconducteurs sont issues de la conjonction de trois facteurs. Tout d’abord, les coefficients piézoélectriques dans ces matériaux sont très grands, environ dix fois supérieurs à ceux mesurés dans les semiconducteurs III-V traditionnels. Ensuite, les paramètres réticulaires entre les différents composés nitrures sont très différents. Le désaccord de paramètre cristallin entre GaN et AlN est 2,5 %, et il atteint 11 % entre InN et GaN. Toute hétérostructure nitrure pseudomorphe (c’est-à-dire non relaxée plastiquement par des dislocations) est donc l’objet d’une contrainte qui, combinée aux larges coefficients piézoélectriques, engendre de forts effets de polarisation. Enfin, au champ piézoélectrique se superpose le champ résultant de la différence de polarisation spontanée entre le matériau « puits » et le matériau « barrière ». Bien que la polarisation spontanée dans les nitrures d’éléments III soit beaucoup plus faible que dans les matériaux ferroélectriques, elle peut participer de façon significative au champ électrique interne. Dans un puits quantique GaN/AlN par exemple, le champ électrique théorique de 10 MV/cm vient pour moitié de la différence de polarisation spontanée entre GaN et AlN. En revanche, dans le système GaInN/GaN, le champ électrique interne est principalement dû aux effets piézoélectriques, car la différence de polarisation spontanée entre GaN et InN est faible. EFFET STARK CONFINÉ DANS LES PUITS ET LES BOÎTES QUANTIQUES NITRURES La présence d’un champ électrique dans un puits quantique est mise en évidence au travers d’expériences de photoluminescence (PL). Cette technique donne en effet accès Figure 2 - Spectre de photoluminescence à basse température (10 K) de puits quantiques GaN/Al0,17Ga0,83N de différentes largeurs. Pour des épaisseurs de puits supérieures à 3 nm, l’énergie de transition est inférieure à celle du matériau GaN massif (3,48 eV). Cela est dû au champ électrique interne provenant des polarisations spontanée et piézoélectrique qui déplace les transitions optiques vers le rouge (effet Stark). En insert : énergie de transition expérimentale de puits quantiques GaN/Al0,17Ga0,83N en fonction de la largeur du puits (carrés pleins). L’ajustement de ces valeurs par un calcul de type fonction enveloppe (trait continu) permet de déduire un champ électrique interne de 710 kV/cm. La courbe en trait pointillé est le résultat du calcul à champ nul. 29 Encadré 1 POLARISATION SPONTANÉE ET PIÉZOÉLECTRIQUE La symétrie de la structure cristalline d’un matériau a des conséquences importantes sur ses propriétés de polarisation. Dans le cas de composés fortement ioniques à phase hexagonale (wurtzite), tels les nitrures d’éléments III, la distribution des densités électroniques autour des différents atomes fait que les barycentres des charges positives et négatives ne coïncident pas nécessairement. Cela donne lieu dans le cristal à un ensemble de dipôles orientés suivant un même axe : le matériau est le siège d’une polarisation macroscopique. Elle prend l’appellation de polarisation spontanée, car ce phénomène existe dans le cristal à l’équilibre en l’absence de toute contrainte externe √ et ce, même pour une structure hexagonale idéale (c/a = 8/3). Cette polarisation spontanée Psp ne se manifeste pas dans le volume, mais aux interfaces du matériau avec le vide ou avec un autre composé. Elle crée une n entre le matécharge monopolaire à l’interface qui vaut Psp . n à l’interface entre riau et le vide, ou [ Psp (A) − Psp (B)]. deux matériaux A et B (n vecteur unité normal à la surface). Dans les nitrures d’éléments III, le vecteur polarisation Psp est orienté suivant la direction [0001]. Il n’existe aujourd’hui aucune mesure expérimentale absolue de la polarisation spontanée dans les nitrures. Seul un calcul ab initio développé par Bernardini et al. donne les valeurs numériques suivantes : Psp = −0,081,−0,029 et –0,032C/m 2 pour AlN, GaN et InN, respectivement. coefficient piézoélectrique et les ci j = c11 , c12 , c13 , c33 sont les constantes élastiques. Dans les nitrures d’éléments III, la polarisation totale du milieu est donc la somme algébrique de deux contributions, l’une existant à l’équilibre (la polarisation spontanée), l’autre sous l’action d’une contrainte extérieure (la polarisation piézoélectrique). Ces deux polarisations étant de même nature physique, il est très difficile de déterminer expérimentalement la contribution de chacune d’entre elles. POLARISATION PIÉZOÉLECTRIQUE [111] Psp = 0 Ga Ppz = 0 As Structure cubique a l equilibre POLARISATION SPONTANÉE Ppz [0001] Psp = 0 Ga Psp Ga Ppz ≠ 0 Psp ≠ 0 As N Structure cubique sous contrainte bi-axiale Structure GaN wurtzite a l equilibre [0001] La polarisation spontanée n’existe pas dans les semiconducteurs à phase cubique tel GaAs par raison de symétrie. En revanche, l’action d’une contrainte bi-axiale exercée dans le plan (111) brise la symétrie cubique et fait apparaître une polarisation orientée suivant l’axe [111]. Ce phénomène est connu sous le nom de piézoélectricité. Une polarisation piézoélectrique se manifeste aussi dans les semiconducteurs à phase wurtzite lorsque qu’une contrainte leur est appliquée. Pour une contrainte bi-axiale exx dans le plan (0001), le champ de polarisation piézoélectrique selon [0001] 2 /c33 ]ex x , où d31 est le s’écrit Ppz = 2d31 [c11 + c12 − 2c13 30 Ppz Psp Psp ≠ 0 Ga Ppz ≠ 0 N Structure wurtzite sous contrainte bi-axiale Matériaux de basse dimensionnalité Encadré 2 EFFET STARK CONFINÉ QUANTIQUE la bande interdite du matériau « puits ». Lorsque les matériaux « puits » et « barrière » présentent une discontinuité de polarisation macroscopique, des densités de charges (σ ) de signes opposés apparaissent aux deux interfaces. Elles créent à leur tour un champ électrique dans le puits qui entraîne un effet Stark, c’est-à-dire un décalage vers le rouge des transitions optiques (hν < hν). Dans le même temps, les porteurs sont spatialement séparés comme l’indiquent leurs fonctions d’onde (lignes continues grisées). Un puits quantique est constitué d’une fine couche d’un matériau A dans un matériau B dont la bande interdite est plus grande. Si l’épaisseur de la couche A est suffisamment faible (typiquement inférieure à 10 nm dans les nitrures d’éléments III), les porteurs sont confinés et les niveaux d’énergie quantifiés (traits pointillés). Ainsi, l’énergie de transition du niveau fondamental dans la bande de conduction (BC) vers le niveau fondamental dans la bande de valence (BV) est supérieure à E = σ/εε0 E=0 BC hν hν BV AlGaN GaN AlGaN - σ Lw +σ Structure de bande de conduction (BC) et de bande de valence (BV) d’un puits quantique de largeur L w avec et sans champ électrique E. Les traits en pointillés correspondent aux énergies de confinement des électrons et des trous (niveau fondamental n = 1 ), les traits pleins en grisé représentent leurs fonctions d’onde. L’effet Stark confiné quantique dû au champ électrique E diminue l’énergie de transition du puits (hν < hν) . La densité de charge σ est fixée par la différence de polarisation macroscopique totale entre matériaux « puits » (GaN) et « barrière » (AlGaN). aux transitions électroniques fondamentales d’une hétérostructure. Le spectre de PL d’un puits quantique se compose généralement d’un pic d’intensité correspondant à l’émission de photons lors de la transition des électrons de leur niveau de base dans la bande de conduction vers leur niveau fondamental dans la bande de valence (encadré 2). L’énergie de transition dépend de la bande interdite du matériau « puits », des masses effectives des porteurs, de la largeur du puits quantique et de la hauteur des barrières de potentiel. Lorsqu’un champ électrique siège dans un puits quantique, la chute de potentiel associée dans les bandes de conduction et de valence entraîne une diminution de l’énergie de transition d’une quantité égale à −eL w E , e étant la charge de l’électron, L w la largeur du puits quantique, et E le champ électrique. Ce décalage vers le rouge des transitions optiques est connu sous le nom d’effet Stark confiné quantique (encadré 2). Nous montrons en figure 2 le spectre de PL à 10 K d’un échan- tillon comportant plusieurs puits quantiques GaN/Al0,17Ga0,83N élaboré par épitaxie sous jets moléculaires sur un substrat de saphir [Al2O3(0001)]. L’épaisseur des différents puits varie de 1 nm à 8 nm, la largeur des barrières AlGaN étant constante (10 nm). Le puits le plus étroit ( L w = 1 nm) émet à plus de 3,7 eV, soit bien au-dessus de la bande interdite du matériau GaN massif (3,48 eV à 10 K). Cela n’est ni plus ni moins que la conséquence du fort confinement quantique des 31 porteurs dans les bandes de conduction et de valence lorsque le puits est étroit. Quand l’épaisseur du puits augmente, le confinement quantique devient plus faible et l’énergie de transition doit diminuer pour finalement tendre vers celle du matériau GaN massif (3,48 eV). Or, nous constatons en figure 2 que l’énergie de PL des puits quantiques de largeur 4, 6, et 8 nm est inférieure à 3,48 eV. Cette caractéristique est la signature d’un effet Stark confiné quantique, conséquence d’un champ électrique interne. Nous reportons en insert dans la figure 2 les énergies de transition expérimentales (carrés pleins) des puits quantiques GaN/Al0,17Ga0,83N en fonction de leur largeur. L’ajustement de ces données à partir d’un simple calcul de type « fonction enveloppe » (trait continu) permet d’évaluer le champ électrique interne à 710 kV/cm (la courbe en trait pointillé correspond au calcul à champ nul). Le champ électrique dépend de la composition en aluminium des barrières AlGaN. Ce paramètre joue à la fois sur le champ piézoélectrique, la contrainte étant fixée par la différence de réseau cristallin entre GaN et AlGaN, et sur la polarisation spontanée (pour celle-ci, une simple interpolation linéaire entre les valeurs de GaN et AlN est utilisée pour décrire l’alliage). Sont reportés en figure 3 les spectres de PL de quatre échantillons contenant chacun quatre puits quantiques GaN/AlxGa1−x N de largeur 1, 2, 3 et 4 nm (correspondant à 4, 8, 12, et 16 mono-couches moléculaires1), et réalisés pour différentes compositions d’aluminium. La figure 3 montre une dispersion en éventail des énergies de transition lorsque la composition en aluminium augmente. Le décalage vers les hautes énergies des pics de PL des puits les plus étroits (1 et 2 nm) est la consé1. Une mono-couche moléculaire de GaN équivaut à un plan d’atomes de Ga plus un plan d’atomes de N, soit 0,259 nm. 32 Figure 3 - Spectres de photoluminescence à basse température (10 K) d’une série d’échantillons comprenant 4 puits quantiques GaN de largeur 1, 2, 3 et 4 nm. La composition en aluminium dans les barrières AlxGa1-xN varie de 8 à 27 %. L’énergie du puits le plus étroit (1 nm) augmente avec la composition, en raison de l’accroissement du confinement quantique alors que celle du puits le plus large (4 nm) diminue à cause de l’effet dominant du champ électrique interne (effet Stark) qui augmente aussi avec la composition. quence de l’augmentation du confinement quantique des porteurs, alors que le déplacement vers le rouge des puits les plus larges (3 et 4 nm) reflète l’accroissement du champ électrique interne avec la composition en aluminium. Pour des barrières en AlN, le champ atteint expérimentalement 5 MV/cm. Cette valeur très élevée conduit à un phénomène assez singulier : les transitions optiques des hétérostructures quantiques GaN/AlN sont décalées par effet Stark dans quasiment tout le spectre visible, alors que les bandes interdites de GaN et AlN (respectivement 3,4 eV et 6,2 eV) ne permettent a priori qu’une émission dans l’ultraviolet. Ce point est illustré en figure 4. Chaque tache de couleur correspond à la photoluminescence à température ambiante d’un plan de boîtes quantiques GaN dans une matrice AlN. Lorsque la hauteur2 des boîtes augmente, la luminescence varie du bleu à l’orange par effet Stark géant. En combinant sur un même échantillon des boîtes quantiques de tailles judicieusement choisies, l’émission résultante est blanche en vertu de la loi d’addition des couleurs (figure 4). Ce principe est envisagé pour la production de lumière blanche à partir de DELs de nitrures, dont la zone active contiendrait par exemple un émetteur bleu et un émetteur jaune. 2. Dans le cas présent, la largeur des boîtes quantiques est beaucoup plus importante que leur hauteur si bien que la quantification a lieu principalement selon cet axe. De ce fait, la hauteur d’une boîte quantique peut être assimilée à la largeur d’un puits. Matériaux de basse dimensionnalité Axe de croissance 5 nm Boite quantique GaN Hauteur des boites quantiques GaN simple (largeurs de barrières infinies). Ce résultat montre qu’une simple approche électrostatique rend bien compte des phénomènes mis en jeu, bien que la géométrie de nos échantillons (nombre de puits fini et largeurs de puits différentes) ne vérifie pas stricto sensu les conditions d’applicabilité de l’équation précédente. hauteur Empilement de boites de hauteurs differentes 1,5 nm Figure 4 - Photoluminescence à température ambiante de boîtes quantiques GaN/AlN épitaxiées sur substrat Si(111). Dans les hétérostructures GaN/AlN, le champ électrique interne de 5 MV/cm entraîne un effet Stark géant qui décale l’émission du bleu à l’orange lorsque la hauteur des boîtes quantiques augmente. Le blanc est obtenu pour un échantillon où l’on a épitaxié un empilement de boîtes quantiques de différentes hauteurs. La variation du champ électrique dans des puits quantiques multiples en fonction de la largeur de la barrière est reportée en figure 5. Pour EFFETS DE LOCALISATION ET EFFICACITÉ RADIATIVE 1000 Puits quantiques multiples Champ electrique (kV/cm) Nous avons montré précédemment que l’amplitude du champ électrique est fixée par la différence de polarisation totale entre les matériaux « puits » et « barrière ». La situation se complique quelque peu dans le cas d’une structure comportant plusieurs puits quantiques (cas de l’échantillon dont le spectre est reporté en figure 2). La conservation du vecteur déplacement électrique = 0 avec D = ε E + P ) à tra(∇ D vers l’hétérostructure A/B conduit à ε A E A − ε B E B = PB − PA , E A et E B étant respectivement les champs électriques dans les matériaux A et B. Si la structure est périodique, la condition de raccordement de type Born-von Karman impose L B E B +L A E A = 0, où L B et L A sont respectivement les largeurs des barrières et des puits. De ces deux relations nous déduisons l’expression du champ électrique dans une structure de type puits quantiques multiples ou super-réseaux : E A = (PB − PA ) L B /(ε B L A + ε A L B ) . Al 0,17 Ga N/GaN 0,83 800 600 E = 870 kV/cm x L /(ε L + ε L ) A 400 0 10 L’ensemble des données expérimentales corrigées des effets de géométrie ont permis de mesurer précisément le champ de polarisation dans le système GaN/AlGaN. C’est ainsi qu’il a été montré que l’effet piézoélectrique n’est pas suffisant pour expliquer les valeurs du champ électrique et qu’il existe dans les nitrures d’éléments III, comme le prédit la théorie, une autre source de polarisation : la polarisation spontanée. 20 30 B B A A B 40 50 60 Largeur de la barriere, L (nm) B Figure 5 - Évolution du champ électrique dans des puits quantiques multiples en fonction de la largeur de la barrière inter-puits. Comme le prévoit l’électrostatique (trait plein), le champ électrique à l’intérieur des puits diminue fortement lorsque la largeur de la barrière devient fine. une même composition en aluminium (17 %), le champ électrique est un tiers plus faible dans des puits quantiques multiples séparés par des barrières de 5 nm que dans un puits quantique simple. Les données expérimentales sont correctement reproduites par la relation E A = E A (∞) L B /(ε B L A + ε A L B ) , où E A (∞) = 870 kV/cm est la valeur du champ électrique pour un puits quantique L’absence de substrat GaN monocristallin de taille suffisante pour des applications industrielles a conduit au développement de la filière nitrures sur des substrats alternatifs tels que le saphir ou le carbure de silicium. Ce dernier est le moins mauvais des substrats actuellement disponibles, mais sa production est difficile et son prix de vente prohibitif. Le saphir s’est donc imposé bien que son paramètre cristallin soit très différent de celui des nitrures (figure 1). Ce désaccord paramétrique génère de très nombreux défauts structuraux dans les couches épitaxiales. Les plus courants sont les dislocations qui se forment pour relaxer l’énergie élastique emmagasinée dans la couche contrainte. Dans le cas des nitrures, celles-ci se propagent dans les couches (dislocations traversantes) et leur densité est typiquement de 108 à 1010 cm–2. Pour mémoire, rappelons que les DLs à base d’arséniures ou de phosphures comportent une densité de défauts inférieure à 102 cm–2. Malgré une densité de dislocations très élevée, les dispositifs optoélec33 La première hypothèse qui fut avancée pour expliquer le comportement apparemment paradoxal de ces dispositifs était que, dans les nitrures, les dislocations n’étaient pas des centres de recombinaison non radiative. Il a été rapidement démontré que ce n’était pas le cas et, qu’à l’instar des autres semiconducteurs III-V, les dislocations étaient tout aussi néfastes. Il fut alors proposé que l’alliage GaInN, réalisé par épitaxie en phase vapeur d’organométalliques, soit l’objet d’une séparation de phase qui crée des zones riches en indium (on parle alors un peu improprement « d’alliage inhomogène »). Ces dernières forment alors des puits de potentiel dans les trois directions de l’espace comme le sont les boîtes quantiques réalisées par croissance en îlots dans les systèmes InAs/GaAs et Ge/Si. Si la hauteur de barrière de potentiel de ces boîtes est bien supérieure à l’énergie procurée par l’activation thermique, les porteurs y sont piégés même à température ambiante3. Le taux de recombinaison interne est alors de 100 % à condition que la « boîte » soit exempte de tout défaut non radiatif. On comprend dès lors le rôle que peuvent avoir les boîtes quantiques sur l’efficacité radiative d’un milieu très « défectueux ». Si la 3. A température ambiante, le confinement doit être au moins de 250 meV (10 kT). 34 densité de boîtes quantiques est largement supérieure à la densité de défauts non radiatifs, les porteurs sont majoritairement piégés dans ces boîtes où ils se recombinent radiativement. A l’inverse, dans un puits quantique, les porteurs se déplacent librement dans le plan des couches où ils ont ainsi une forte probabilité de se recombiner non radiativement sur les dislocations. La démonstration expérimentale de l’effet bénéfique de la localisation des porteurs dans les hétérostructures GaInN/GaN épitaxiées sur saphir (densité de dislocations de ~ 5.109 cm–2) est donnée en figure 6. Dans un cas, les porteurs sont quasi libres puisque l’échantillon est composé de puits quantiques GaInN/GaN ; dans l’autre cas, les porteurs sont piégés dans des boîtes quantiques réalisées par mode de croissance en îlots (Stranski-Krastanov). A basse température (10 K), l’intensité de PL de l’échantillon à puits quantiques est 100 fois inférieure à celle de l’échantillon à boîtes quantiques. Cette distinction s’accentue lorsque la température augmente : alors que la luminescence de l’échantillon à puits quantiques n’est plus détectable audessus de 140 K, le système à boîtes quantiques reste luminescent jusqu’à température ambiante. Ce résultat est l’illustration parfaite de l’augmentation du rendement radiatif des couches « défectueuses » via l’utilisation de boîtes quantiques. Initialement, cette idée a été proposée et vérifiée pour remédier à l’effet néfaste des dislocations quand des arséniures sont épitaxiés sur substrat de silicium. Elle trouve avec les nitrures d’éléments III une démonstration tout à fait saillante. Les performances des DELs à puits quantiques GaInN/GaN résultent de la très forte localisation des porteurs dans l’alliage ternaire GaInN. L’origine de cette localisation est actuellement sujet à controverse selon qu’elle proviendrait des fluctuations de potentiel créées par la ségrégation de phase de l’alliage (analogie avec les boîtes quantiques) ou bien d’un phénomène intrinsèque à la liaison In-N. Intensite de photoluminescence (u. arb.) troniques à base de nitrures font preuve de performances tout à fait exceptionnelles. Le rendement quantique externe des DELs bleues dépasse aujourd’hui 20 %. Cette valeur approche les meilleurs résultats obtenus sur les DELs à base d’arséniures ou de phosphures que l’on peut considérer comme exemptes de dislocations. Les performances des DELs de nitrures sont d’autant plus surprenantes que leur zone active repose sur un puits quantique GaInN/GaN dont on sait qu’il est le siège d’un très fort champ électrique (de l’ordre du MV/cm). Or, ce champ sépare spatialement les porteurs, diminuant ainsi la probabilité de recombinaison radiative électron-trou et par là même l’efficacité des DELs. GaInN/GaN 100 10 Boites quantiques 1 Puits quantiques 0,1 Seuil de detection 0,01 0 50 100 150 200 250 300 Temperature (K) Figure 6 - Variation de l’intensité de photoluminescence de puits et de boîtes quantiques GaInN/GaN en fonction de la température. La croissance épitaxiale est réalisée sur substrats saphir, d’où une densité de dislocations égale à ~ 5.109 cm-2. A 10 K, l’intensité de l’échantillon à boîtes quantiques est plus de cent fois supérieure à celle de l’échantillon à puits quantiques grâce à la localisation des porteurs. Lorsque la température augmente, l’intensité des puits quantiques diminue fortement et devient inférieure au seuil de détection du banc de mesure au-delà de 140 K. Au contraire, la luminescence de l’échantillon à boîtes quantiques est toujours intense à température ambiante. PERSPECTIVES La science des matériaux nitrures d’éléments III a beaucoup progressé au cours de ces dernières années. Dans le domaine de l’électronique de puissance à haute fréquence, les transistors à effet de champ à hétérojonction GaN/AlGaN utilisent aujourd’hui à bon escient les effets de polarisation qui jouent un rôle primordial sur la densité du gaz bidimensionnel d’électrons présent dans le canal de ces transistors. Leurs performances, en progrès constants, sont d’ores et déjà exceptionnelles (fréquence de coupure supérieure à 100 GHz et puissance approchant 10 W par mm de grille à 10 GHz). Aussi espère-t-on à terme utiliser ces dispositifs pour remplacer certains tubes électroniques. L’optoélectronique dans la région spectrale qui s’étend du bleu au proche ultraviolet est particulièrement importante pour les applications « grand public » tels que les Matériaux de basse dimensionnalité CD-ROM ou les écrans plats couleurs. Cependant, la production de lumière blanche à partir de DELs pour l’éclairage domestique est sans nul doute l’application la plus révolutionnaire. Aujourd’hui, la solution technique repose sur l’utilisation d’une DEL bleue de forte brillance4 excitant partiellement un polymère ou un phosphore jaune afin d’obtenir du blanc par combinaison de couleurs. On peut envisager aussi un dispositif monolithique dans lequel la partie active est constituée de boîtes quantiques émettant différentes couleurs de telle sorte que leur mélange donne du blanc, comme nous l’avons montré. Les avantages des DELs par rapport aux lampes à incandescence sont une faible consommation d’énergie et une très grande durée de vie (>100 000 h). Du point de vue environnemental, cette technologie remplacerait aussi avantageusement les tubes fluorescents qui contiennent une quantité 4. Les meilleures DELs bleues ont une puissance de sortie de 14 mW à 20 mA. non négligeable de mercure. On comprend dès lors pourquoi les principaux industriels du secteur de l’éclairage domestique ont une activité de recherche dans ce domaine. Quand on sait que la recherche fondamentale en science des matériaux est aujourd’hui largement conditionnée par les possibilités d’application, il est à parier que les nitrures d’éléments III sont encore pour longtemps dans nos laboratoires. POUR EN SAVOIR PLUS Puits quantiques et effet Stark : Bastard (G.), « Wave mechanics applied to semiconductors heterostructures », Edited by les Éditions de Physique, 1988. Lefèbvre (P.), Allègre (J.), Gil (B.), Mathieu (H.), Grandjean (N.), Leroux (M.), Massies (J.), and Bigenwald (P.), Phys. Rev. B 59, 15363, 1999. Grandjean (N.), Damilano (B.), Dalmasso (S.), Leroux (M.), Laügt (M.) and Massies (J.), J. Appl. Phys. 86, 3714, 1999. Boîtes quantiques : Nitrures d’éléments III : Nakamura (S.) and Fasol (G), « The Blue Laser Diode », Springer – Berlin, 1997. « Group III nitride Semiconductor compounds », Edited by B. Gil, Clarendon Press – Oxford, 1998. Polarisation spontanée : Bernardini (F.), Fiorentini (V.) and Vanderbilt (D.), Phys. Rev. B 56, R10024, 1997. Weisbuch (C.) and Nagle (J.), « Science and Engineering of 1D and 0D Semiconductor Systems », NATO ASI Series, Plenum NewYork, B214 319, 1990. Gérard (J.M), Cabrol (O.), and Sermage (B.), Appl. Phys. Lett. 68 3123, 1996. Damilano (B.), Grandjean (N.), Semond (F.), Massies (J.), and Leroux (M.), Appl. Phys. Lett. 75, 962, 1999. Article proposé par : Nicolas Grandjean, tél. 04 93 95 78 29, [email protected] Jean Massies, tél. 04 93 95 42 14, [email protected] Les résultats présentés dans cet article sont le fruit d’un travail d’équipe et de collaborations. Nous tenons à remercier notamment M. Leroux, B. Damilano et F. Semond pour le CRHEA, et B. Gil et P. Lefebvre du Groupe d’études des semiconducteurs, – CNRS (université de Montpellier II). 35