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INTRODUCTION
Depuis quelques années la montée en puissance de mouvements islamistes au Sénégal n’a eu
de cesse d’être commentée. La famille, parce qu’elle est considérée comme la cellule de base de la
société, constitue ainsi le terrain privilégié d’un affermissement de leur emprise sur la société. Le Code
de la Famille s’est avéré être au cœur des débats qui agitent différentes conceptions juridiques de
l’organisation des rapports familiaux entre les individus. C’est pourquoi, dans le contexte post-
alternance, les débats sur le Code de la famille peuvent rendre compte de cette prétendue islamisation
de la société. Un projet de Code de statut personnel applicable aux musulmans a ainsi été proposé au
cours de l’année 2002 comme réforme du Code de la famille actuel en invalidant ses dispositions.
Maître Babacar Niang, leader du groupe qui est à l’origine de cette réforme, la justifie comme suit :
« Il serait donc faux et dangereux de se contenter de simples modifications de tels ou
tels articles de l’actuel Code de la famille. Il s’impose en vérité d’adopter un autre code
totalement différent dans sa substance de l’actuel Code de la famille, et pour ce faire, il
convient de respecter la liberté de conscience de chacun inscrite dans notre Constitution en
substituant au Code de la famille un Code de statut personnel qui soumet chacun à sa loi
personnelle, c’est à dire qui soumet les musulmans à la Charia, les Chrétiens et les non
Musulmans à leur loi personnelle »1.
Le débat sur le code de la famille soulève les passions ; il est d'autant plus remarquable pour sa
capacité à le faire, en ce qu’il touche aux fondements mêmes de la cellule familiale, cellule de base de
la société sénégalaise, mais également parce qu’il pose, de manière directe, la question de la laïcité au
centre des enjeux.
En effet le Code, parce qu’il organise les pouvoirs au sein de la famille, voire de la société, est
convoité par des groupes organisés, des lobbies, et autres organisations politiques, religieuses, et
sociales. Se pencher sur la question du débat autour du code de la famille au Sénégal nécessite, avant
tout, de s’interroger sur la place et la signification que prend celui-ci au regard de l’évolution
historique, politique, sociale et religieuse du Sénégal.
En effet au-delà du projet de réforme qui pour le moment semble voué à l’échec selon les dires
du Président de la République Abdoulaye Wade, il est surtout intéressant de voir comment ce projet
mobilise les acteurs politiques, religieux (en les confondant parfois), sociaux autour d’enjeux comme
les rapports hommes/femmes, l’implication politique des confréries, ou la laïcité de l’Etat.
Notre étude s’attachera à comprendre dans quelle mesure ce débat sur le code de la famille,
qui est régulièrement réactualisé depuis son vote en 1972, a pris tant d’ampleur en ce début de siècle.
Dès lors, pourquoi et comment assiste-t-on à la résurgence de ce débat ? Qu’elle est son évolution ? Et
comment celui-ci s’exprime-t-il sur la scène politique sénégalaise ?
Dans quelle mesure la cristallisation d’opinions et la prise de positions par les différents
entrepreneurs identitaires viennent-elles affirmer ou infirmer l’évolution politique démocratique prise
par le Sénégal depuis le début des années 80 ? N’offre-t-elle pas le cadre d’une redéfinition du pacte
social sénégalais, et non pas sa faillite (Cruise O’Brien)2 en faisant valoir des critères identitaires forts
(religieux, communautaires), tout en instrumentalisant l’opposition fondamentale envers les modèles
importés (institutions juridiques, modèle étatique laïc) ? Ne faut-il pas dès lors sortir de cette vision
instrumentaliste et voir dans ce « retour du religieux » non pas l’échec de l’importation de modèles
occidentaux (enjeu de la laïcité), mais la marque de restructurations de l’espace public sénégalais,
autour de redéfinitions des concepts de laïcité et de citoyenneté?
Le Sénégal est caractérisé par une expérience démocratique stable et ancienne qui s’est
confirmée lors des élections présidentielles de l‘alternance en mars 2000. C’est pourquoi, il faut
s’interroger sur la place et le rôle de ces débats, au sein même du processus de démocratisation. Les
1CIRCOFS, Comité de suivi du Projet de Code de Statut Personnel du Sénégal, « Projet du Code de statut
personnel », Institut islamique de Dakar, 2è édition, année 1422/ 2002, p.3.
2 CRUISE O’BRIEN, D. « Le contrat social sénégalais à l’épreuve», Politique Africaine, Paris, 45, avril 1992.