Matière noire : le Cern part à la chasse aux photons noirs

Matière noire : le Cern part à la chasse
aux photons noirs
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Laurent Sacco, Futura-Sciences
Publié le 29/11/2016
La matière noire pourrait interagir avec la matière normale pas seulement avec la force
gravitationnelle mais aussi avec des cousins des photons qui ne sont pas directement visibles. Le
Cern est parti à la chasse de ces photons noirs (qui pourraient aussi faire partie de la matière
noire) cette année avec l'expérience NA 64.
Interview : quelles particules composent la matière noire ? Selon les calculs et les observations,
il existerait dans l'espace une grande quantité de matière invisible. Cette masse mystérieuse,
baptisée matière noire, est encore aujourd'hui une énigme à laquelle se frottent de nombreux
chercheurs. Dans le cadre de sa série de vidéos Questions d’experts, sur la physique et
l’astrophysique, l’éditeur De Boeck a interrogé Richard Taillet, chercheur au LAPTH, afin qu'il
nous en dise plus sur cette matière noire.
L'étude du rayonnement fossile à l'aide de Planck, des oscillations acoustiques des baryons dans
le jeune univers observable à l'aide de la distribution des amas de galaxies et enfin des
supernovae SN Ia ne laissent guère de doutes quant au contenu du cosmos observable. La
matière que l'on connaît sur Terre et dans le Système solaire ne constitue pas la majorité du
contenu de l'univers. À environ 70 %, celui-ci est sous forme d'une mystérieuse énergie noire et à
environ 25 %, sous forme de particules encore inconnues, la matière noire. C'est du moins la
conclusion à laquelle on arrive si l'on suppose que la gravitation est bien décrite par la théorie
de la relativité générale d'Einstein.
On chasse ces particules avec des collisions de faisceaux de protons au LHC. Ces collisions ont
pris fin pour cette année, laissant la place à des expériences avec des faisceaux d'ions lourds.
On saura peut-être dans quelques mois si les données collectées commencent à révéler leur
existence.
Vue du montage expérimental de NA 64 au Cern. © Christoph Madsen, Noemi Caraban, Cern
Les physiciens du Cern sont également partis à la chasse aux particules de matière noire avec
d'autres outils que les collisions de protons. Il y a bien sûr CAST (Télescope pour les axions
solaires du Cern) qui est une expérience en quête depuis des années de particules
hypothétiques que l'on nomme des « axions ». Plus récemment, les chercheurs se sont lancés
sur la piste des photons noirs, ces cousins des photons issus d'une nouvelle physique au-delà
du modèle standard et dont on avait déjà parlé dans l'article ci-dessous.
Des photons noirs détectables grâce à la
conservation de l'énergie
Point de collisions d'hadrons ici. Les physiciens ont bombardé des noyaux d'atomes avec des
faisceaux d'électrons dans le cadre de l'expérience NA 64 qui a été lancée en juillet 2016
pendant deux semaines. Une deuxième campagne de recherche qui a duré cette fois-ci quatre
semaines s'est terminée le 9 novembre.
La méthode de détection des photons noirs, s'ils existent, est simple à comprendre. Elle repose
sur le principe de la conservation de l'énergie. On commence par déterminer précisément
l'énergie des électrons utilisés pour bombarder les noyaux. Le modèle standard nous dit combien
d'énergie doit être émise par les collisions sous forme de photons ordinaires. La théorie des
photons noirs nous dit qu'une partie de cette énergie doit en fait se trouver sous la forme de ces
particules exotiques et donc, que l'on doit mesurer un déficit précis d'énergie sous forme de
photons ordinaires, trahissant l'existence de leurs cousins.
Aucune trace de photons noirs n'a encore été découverte dans les données collectées avec le
détecteur de l'expérience NA 64. Nous n'en sommes toutefois qu'au début et ces données nous
ont déjà permis de poser de nouvelles bornes sur les propriétés de ces hypothétiques particules.
Pour en savoir plus
Matière noire : nouvelles limites sur l'existence des
photons noirs (ce qui suit est facultatif. Il ne faut pas que cela vous
confusionne l’esprit. Lisez-le avec du recul.)
Article de Laurent Sacco publié le 17/05/2014
Les particules de matière noire dans l'univers observable pourrait être des cousins
proches du photon décrits par des équations ressemblant à celle de l'interaction
électromagnétique. Doués de masse, contrairement au photon du modèle standard, ces
photons noirs, que l'on appelle aussi des bosons U, ont été traqués dans le cadre de la
collaboration Hades (High-Acceptance Di-Electron Spectrometer).
Les symétries jouent un rôle très profond en physique, particulièrement depuis la découverte des
lois de la mécanique quantique. Elles ont été un guide sûr pour classer et comprendre les
propriétés des particules élémentaires. Elles ont même permis de prédire l'existence des
quarks et des bosons W et Z du modèle standard. Même la notion de brisure de symétrie peut
être féconde comme l'illustre très bien la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs. Il existe
toutefois des situations où la violation de certaines symétries embarrassent les théoriciens.
Pourquoi l'univers manque-t-il d'antimatière ? D'où viennent les violations de la symétrie CP ?
Plusieurs fois, certaines violations de symétries n'ont été qu'apparentes et furent restaurées en
introduisant de nouvelles particules. Dans les années 1930, on avait par exemple découvert des
réactions de désintégrations nucléaires qui semblaient violer la conservation de l'énergie, laquelle
découle de l'invariance par translation dans le temps des équations fondamentales de la
physique. On pouvait rétablir cette symétrie en postulant l'existence d'une nouvelle particule
comme le fit Pauli avec le neutrino.
Lev Okun (1929-) est un physicien russe dont les travaux sur la physique des particules
élémentaires sont bien connus. On lui doit le terme de hadron désignant toutes les particules
faites de quarks et de gluons comme les nucléons, les mésons et les hypérons. © Cern
Un univers parallèle de particules de matière miroir
?
Pendant les années 1950 la découverte de la violation de la parité, la symétrie P encore appelée
symétrie miroir, a étonné les chercheurs. Comme l'explique le grand physicien russe Lev Okun,
l'hypothèse d'une non-conservation de la parité dans le monde des particules élémentaires avait
été suggérée par Richard Feynman lors d'une conférence en 1956 à laquelle assistaient Tsung
Dao Lee et Chen Ning Yang. Les deux physiciens d'origine chinoise donnèrent quelques mois
plus tard une formulation précise de cette violation de la symétrie miroir en montrant de plus
qu'elle conduisait à des tests précis. En pratique, cette violation impliquait que si on réalisait une
copie d'un dispositif expérimental obtenu en prenant son image dans un miroir, ce qui par
exemple change le sens du courant dans une bobine générant un champ magnétique, les
résultats des expériences dans ce second dispositif ne seraient pas identiques à ceux des
expériences effectuées avec le premier en ce qui concerne les forces nucléaires faibles.
Un autre physicien russe, le légendaire Lev Landau était initialement très sceptique, trouvant
absurde l'idée qu'il puisse exister une violation fondamentale d'une symétrie liée à l'espace.
Pourtant des expériences, comme celle réalisée par la physicienne Chien-Shiung Wu
montrèrent que des violations de la symétrie P étaient bien réelles. Cela conduisit Okun et
d'autres chercheurs à postuler pendant les années 1960 qu'il existait peut-être un univers de
matière en miroir du nôtre, et le côtoyant. Pour maintenir la conservation de la parité, dont la
symétrie miroir, il fallait imaginer des copies des forces et des particules de matières connues à
l'époque, donc les forces électromagnétiques et les forces nucléaires, mais ne pouvant interagir
avec le nôtre que par l'effet de la gravitation. Il devait donc exister des atomes, des molécules et
des photons noirs, invisibles en pratique.
De gauche à droite, Rocky Kolb et Michael Turner sont deux célèbres astrophysiciens travaillant
aux frontières de la cosmologie et de la physique des particules élémentaires. Leur monographie
The Early Universe est un ouvrage de référence. © Fermilab
Des particules de matière noire dans un univers
miroir ?
Cette hypothèse de l'existence d'un monde miroir exigée par les symétries des particules
élémentaires a resurgi sous des formes renouvelées pendant les années 1980 et 1990 avec
l'essor des théories supersymétriques, en particulier celles des supercordes, et bien sûr les
confirmations de la validité des prédictions du modèle standard basées sur les fameuses
symétries de jauge et les groupes de Lie. C'est aussi à ce moment que les progrès de la
cosmologie et de l'astrophysique ont donné beaucoup plus de poids à l'hypothèse de la
présence de la matière noire dans l'univers.
La théorie quantique du champ électromagnétique et des forces nucléaire faible fait intervenir
un groupe de symétrie nommé U(1) pour le photon et un autre nommé SU(2). Comme celle des
forces nucléaires fortes fait intervenir le groupe SU(3), on dit souvent que les symétries
fondamentales des interactions du modèle standard sont un groupe SU(3)*SU(2)*U(1) qui est le
produit des groupes précédents. L'une des théories des supercordes les plus prometteuses
contient, elle, le produit de deux groupes de Lie identiques, en l'occurrence E8. Comme E8
contient comme sous-groupes SU(3) *SU(2)*U(1), des théoriciens de la cosmologie comme Kolb
et Turner ont pensé en 1986 que cette copie du modèle standard pouvait correspondre à
l'univers miroir d'Okun et surtout expliquer la présence de la matière noire. On n'a
malheureusement pas encore trouvé de preuve de l'existence des particules miroirs qu'il
implique.
Pierre Fayet, directeur de recherche CNRS au laboratoire de physique théorique de l’ENS à
Paris, est spécialiste de physique théorique des particules. Ses travaux ont notamment porté sur
la supersymétrie, l'astrophysique et la cosmologie. Il répond à trois questions sur l’apport des
physiciens théoriciens dans la découverte du boson de Higgs. © INP, CNRS
En fait, beaucoup de prolongements du modèle standard font intervenir un nouveau champ qui
possède aussi comme groupe de symétrie U(1) et qui décrit un boson se comportant comme le
photon du champ électromagnétique mais avec une masse. L'un des pionniers des théories
supersymétriques, le Français Pierre Fayet, a développé dès les années 1980 un exemple de
théorie de ce nouveau boson dont il pense qu'il est un bon candidat au titre de particule de
matière noire. Il est léger et se couple très faiblement à d'autres particules lors d'interactions. Il
est désigné alternativement comme le boson U ou le photon noir (dark photon en anglais).
Des photons noirs qui se désintègrent en paires
électrons-positrons
Le boson U se couplant faiblement aux charges électriques, on peut s'en servir pour tenter
d'expliquer le moment magnétique anomal (et non « anormal ») du muon. On peut montrer
aussi qu'il devrait être possible de le créer en faisant entrer en collision des protons, plus
précisément via la création d'une paire de quark et d'antiquark. Le boson U peut alors manifester
sa présence en se désintégrant de façon bien caractéristique en une paire d'électron et de
positron. Les membres de la collaboration Hades (High-Acceptance Di-Electron Spectrometer) du
célèbre GSI en Allemagne à Darmstadt sont partis de cette façon à la chasse aux photons noirs.
Ils ont fait entrer en collision des protons, entre eux ou sur une cible fixe constituée de niobium,
et ont étudié avec précision le spectre des paires électron-positron produites.
Les résultats de leur travaux ont été publiés sur arxiv récemment. Ils posent de nouvelles
contraintes sur la masse et le couplage des bosons U avec les particules chargées. Aucune
preuve de l'existence de ces photons noirs n'a pu être apportée et certaines valeurs possibles de
leur masse ont été exclues. Il semble maintenant aussi plus difficile d'expliquer le moment
magnétique anomal du muon en utilisant l'hypothèse de l'existence des boson U car l'espace des
valeurs possibles des paramètres caractérisant ces bosons est devenu plus restreint. La matière
noire et les particules miroir restent donc dans l'ombre
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