Un autre physicien russe, le légendaire Lev Landau était initialement très sceptique, trouvant
absurde l'idée qu'il puisse exister une violation fondamentale d'une symétrie liée à l'espace.
Pourtant des expériences, comme celle réalisée par la physicienne Chien-Shiung Wu
montrèrent que des violations de la symétrie P étaient bien réelles. Cela conduisit Okun et
d'autres chercheurs à postuler pendant les années 1960 qu'il existait peut-être un univers de
matière en miroir du nôtre, et le côtoyant. Pour maintenir la conservation de la parité, dont la
symétrie miroir, il fallait imaginer des copies des forces et des particules de matières connues à
l'époque, donc les forces électromagnétiques et les forces nucléaires, mais ne pouvant interagir
avec le nôtre que par l'effet de la gravitation. Il devait donc exister des atomes, des molécules et
des photons noirs, invisibles en pratique.
De gauche à droite, Rocky Kolb et Michael Turner sont deux célèbres astrophysiciens travaillant
aux frontières de la cosmologie et de la physique des particules élémentaires. Leur monographie
The Early Universe est un ouvrage de référence. © Fermilab
Des particules de matière noire dans un univers
miroir ?
Cette hypothèse de l'existence d'un monde miroir exigée par les symétries des particules
élémentaires a resurgi sous des formes renouvelées pendant les années 1980 et 1990 avec
l'essor des théories supersymétriques, en particulier celles des supercordes, et bien sûr les
confirmations de la validité des prédictions du modèle standard basées sur les fameuses
symétries de jauge et les groupes de Lie. C'est aussi à ce moment que les progrès de la
cosmologie et de l'astrophysique ont donné beaucoup plus de poids à l'hypothèse de la
présence de la matière noire dans l'univers.
La théorie quantique du champ électromagnétique et des forces nucléaire faible fait intervenir
un groupe de symétrie nommé U(1) pour le photon et un autre nommé SU(2). Comme celle des
forces nucléaires fortes fait intervenir le groupe SU(3), on dit souvent que les symétries
fondamentales des interactions du modèle standard sont un groupe SU(3)*SU(2)*U(1) qui est le
produit des groupes précédents. L'une des théories des supercordes les plus prometteuses
contient, elle, le produit de deux groupes de Lie identiques, en l'occurrence E8. Comme E8
contient comme sous-groupes SU(3) *SU(2)*U(1), des théoriciens de la cosmologie comme Kolb
et Turner ont pensé en 1986 que cette copie du modèle standard pouvait correspondre à
l'univers miroir d'Okun et surtout expliquer la présence de la matière noire. On n'a
malheureusement pas encore trouvé de preuve de l'existence des particules miroirs qu'il
implique.
Pierre Fayet, directeur de recherche CNRS au laboratoire de physique théorique de l’ENS à
Paris, est spécialiste de physique théorique des particules. Ses travaux ont notamment porté sur
la supersymétrie, l'astrophysique et la cosmologie. Il répond à trois questions sur l’apport des
physiciens théoriciens dans la découverte du boson de Higgs. © INP, CNRS
En fait, beaucoup de prolongements du modèle standard font intervenir un nouveau champ qui
possède aussi comme groupe de symétrie U(1) et qui décrit un boson se comportant comme le
photon du champ électromagnétique mais avec une masse. L'un des pionniers des théories
supersymétriques, le Français Pierre Fayet, a développé dès les années 1980 un exemple de
théorie de ce nouveau boson dont il pense qu'il est un bon candidat au titre de particule de
matière noire. Il est léger et se couple très faiblement à d'autres particules lors d'interactions. Il
est désigné alternativement comme le boson U ou le photon noir (dark photon en anglais).
Des photons noirs qui se désintègrent en paires
électrons-positrons
Le boson U se couplant faiblement aux charges électriques, on peut s'en servir pour tenter
d'expliquer le moment magnétique anomal (et non « anormal ») du muon. On peut montrer
aussi qu'il devrait être possible de le créer en faisant entrer en collision des protons, plus
précisément via la création d'une paire de quark et d'antiquark. Le boson U peut alors manifester
sa présence en se désintégrant de façon bien caractéristique en une paire d'électron et de