Athena 258 / Février 2010
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Logopédie
pèdes, psycho-acousticiens, phonéticiens, musi-
ciens, chanteurs..., un même vocabulaire ne
recouvre pas toujours une même réalité percep-
tive, rapporte le professeur Morsomme.
L'élaboration d'une échelle pour la voix chantée
est donc particulièrement importante et répond à
un besoin clinique. Dans nos études, nous avons
proposé une échelle composée de six paramètres
(non gênant, harmonieux, agréable, régulier,
stable, timbré) pour l'analyse du vibrato, une des
caractéristique de la voix chantée. Sa fiabilité a
été éprouvée par dix experts, qui ont évalué le
vibrato de cinquante-quatre échantillons vocaux.
Une analyse factorielle nous a permis de déga-
ger trois facteurs: esthétique, physico-acoustique
et global. Pour l'heure, nous poursuivons nos
travaux afin de peaufiner notre approche.»
Rester à l'écoute
Une autre échelle d'évaluation subjective de la
voix est le Voice Handicap Index (VHI), élaboré
par B.H. Jakobson en 1997. Elle est née de la
nécessité de quantifier l'aspect «invalidant»
qu'un trouble vocal peut provoquer sur la qualité
de vie, et de mesurer les conséquences psycho-
sociales des troubles vocaux. Sur la base de
trente items, le patient est appelé à décrire
l'impact de sa dysphonie ou de sa dysodie dans sa
vie de tous les jours, ce qui permet au praticien
de mieux cibler les objectifs de la thérapie par
rapport à ses desiderata. Cette échelle d'autoéva-
luation se révèle performante face aux troubles
vocaux les plus fréquents, mais moins lorsque les
perturbations sont discrètes, comme cela peut
notamment être le cas chez des sujets dyso-
diques. Par ailleurs, son efficacité est faible pour
les voix a-laryngées (5) ou les voix d'enfants.
En 2008, lorsqu'elle travaillait à l'Université
catholique de Louvain (UCL), Dominique
Morsomme a adapté, avec l'aide de différents
professionnels, le VHI au chant. Les demandes
des chanteurs professionnels peuvent être extrê-
mement pointues et se référer à des troubles
presque imperceptibles lors d'une évaluation
perceptive. D'où l'intérêt d'une échelle d'auto-
évaluation adaptée aux chanteurs dysodiques et
non dysodiques. L'échelle susmentionnée, issue
du VHI, a fait son entrée en clinique tant en
Belgique qu'en France. Elle a également été
traduite en suédois, tandis que d'autres traduc-
tions et validations sont en cours, en particulier
en anglais et en néerlandais.
Bien que l'échelle perceptuelle GRBASI et
l'échelle d'autoévaluation VHI soient relative-
ment bien corrélées, spécialement pour les para-
mètres G (grade), R (raucité) et B (souffle -
breath en anglais), des discordances peuvent
apparaître. Elles se manifestent rarement lorsque
le patient rapporte un problème vocal consé-
quent, tel un souffle prononcé, mais se rencon-
trent parfois quand, échappant à l'autoévaluation
(une voix un tantinet rauque, par exemple), une
légère anomalie est néanmoins perçue par le
thérapeute. Ou alors - c'est assez fréquent avec
les chanteurs - quand la plainte du patient n'est
pas corroborée par l'évaluation perceptive du
phoniatre ou du logopède.
En clinique, que faire s'il y a discordance ? «Ne
pas trancher le problème avant d'avoir discuté
avec le patient, répond Dominique Morsomme.
Tout dépend de sa motivation. Certains opteront
pour le statu quo à partir du moment où ils sau-
ront qu'ils ne souffrent pas d'une pathologie
grave comme un cancer du larynx. Toutefois, il
convient de rester à l'écoute des patients qui se
plaignent, même si aucune pathologie n'est déce-
lée et que l'évaluation perceptive n'a rien révélé
d'anormal non plus. Ainsi, chez les profession-
nels du chant, les plaintes touchent souvent à la
sphère de la proprioception, ont trait à un
"ressenti", à une gène. Il faut alors se demander
ce qu'attend précisément le sujet d'une éventuelle
rééducation et si les techniques logopédiques à
notre disposition nous permettent de satisfaire à
sa demande.»
Une affaire de pression...
À côté des échelles subjectives ont été dévelop-
pées des mesures qualifiées d'objectives. Sur la
base de la production d’une voyelle tenue, d’un
texte phonétiquement équilibré ou de listes de
mots ou de phrases, une série de mesures acous-
tiques peuvent être relevées,
comme la fréquence fonda-
mentale, les niveaux de pres-
sion sonore ou encore la répar-
tition des formants dans le
spectre. De même, des mesu-
res aérodynamiques telles que
le débit d’air buccal, le flux
d’air, la fuite glottique, le
temps maximum phonatoire,
la pression sous-glottique esti-
mée (6) seront effectuées lors
du bilan vocal.
La pression sous-glottique
estimée suscite un intérêt
croissant car, comme l'ont
montré plusieurs auteurs, elle
est un bon indice de forçage
vocal. Selon Dominique
Morsomme, cette approche
devrait s'affiner et pourrait
déboucher sur la définition de valeurs de réfé-
rence pour diverses pathologies, tels les nodules,
lésions survenant de manière typique lors du
(5) Voix sans
larynx, par
exemple à la
suite d'un cancer
laryngé.
(6) Cet examen
porte le nom de
PSGE (pression
sous-glottique
estimée).
(7) Ensemble
d'organes consti-
tuant un appareil
– tractus urogé-
nital, tractus
vocal...
Le professeur
Dominique
Morsomme,
spécialiste de
la logopédie
des troubles de la voix
à l'Ulg et au Centre
hospitalier
universitaire (CHU)
de Liège.
Courriel:
Dominique.Morsomme
@ulg.ac.be