Actes de la conférence « Transition énergétique et

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Actes de la conférence
« Transition énergétique et
sobriété : enjeux et rôles de
l’échelon territorial »
(30 octobre 2013 à Sciences Po)
SOMMAIRE
Cadrage général :
2
Table ronde n°1 : Transition et sobriété vues par la recherche
Avec :
Interventions
Questions en salle :
5
10
Table ronde n°2 : Transition et sobriété à l’échelon territorial : quelles
initiatives sur le terrain ?
Interventions
14
Questions en salle :
19
Table ronde n°3 : Quelles politiques publiques pour accompagner la mise en
œuvre territoriale de la transition énergétique?
Interventions
22
Questions en salle :
27
Conclusions
30
Cadrage général :
Laurence Tubiana, Directrice de la Chaire Développement durable de
Sciences Po, de l’Iddri, et facilitatrice du débat national sur la transition
énergétique
J’ai le plaisir d’introduire cette journée que la Chaire Développement durable a
organisée aujourd’hui avec des partenaires anciens et nouveaux : SNCF, Proléa, Mc
Donald’s France, EDF et Rexel. La Chaire a développé un partenariat
particulièrement stimulant avec Le Monde, qui n’est pas seulement un journal mais
également un média rayonnant de manière diversifiée.
Cette conférence s’inscrit dans l’année de débat autour de la transition
énergétique. Michel Colombier et moi-même avons beaucoup travaillé autour de ce
débat et bien que l’histoire du débat est encore à faire, je peux vous transmettre ce
que j’y ai vécu.
Ce colloque aujourd’hui permet une réflexion sur la dynamique de transition
énergétique à l’échelon territorial qui est un échelon difficile à définir. Le débat a
duré 8 mois et il fut peu visible à l’extérieur. Cependant, il a été visible pour les
régions et les communes ou autres collectivités locales. Le comité de pilotage a été
extrêmement mobilisé avec Thierry Vial comme secrétaire général. Le débat a
mobilisé 112 personnes de milieux divers, réparties en 8 groupes de travail. Il y a eu
une tension dans ces échanges. Nous avons pris part à une petite équipe connectée
qui a ressenti tout ce qui s’est passé en France. 2000 débats dans toute la France,
c’est exceptionnel. Je me suis impliquée dans le Grenelle de l’environnement,
processus très intéressant mais qui n’a pas fait l’objet de la même appropriation sur
le territoire.
Le débat portait sur la définition de la transition telle que vue par le pays : Que faire
dans la société française à partir d’expériences de terrain ? Une journée citoyenne a
été organisée dans 14 régions avec une centaine de citoyens sélectionnés et revus
selon le protocole des World Wide Views promu par le Danish Board of Technology,
l'équivalent danois de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques (OPECST). Nous avons eu énormément de retours sur
l’appropriation territoriale. Elle s’est faite par un corps intermédiaire professionnalisé
dans un débat très animé et très investi.
Nous avons observé un contraste entre les difficultés de s’entendre à Paris et
une plus grande ouverture localement. Au fond, ce qui paraissait impossible à
Paris était déjà en marche en province dans les régions, les agglomérations et les
communes. La notion de sobriété a été complexe à débattre. L’objectif de réduction
de 40% des émissions carbone est déjà intégré au niveau local ; la réduction de la
consommation finale de 50% est une évidence en province, cela semble impossible
à Paris ; sur les questions de financement, un accord est impossible à trouver à Paris
car le taux de retour sur les économies d’énergie apparaît problématique, mais c’est
une évidence dans beaucoup de régions, notamment dans la région des Pays de la
Loire avec une conférence financière locale ; la transition professionnelle est
impossible à Paris mais travaillée localement ; la question de la rénovation du bâti
qui est essentielle car peu de nouveaux bâtiments sont construits, cause de grands
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troubles pour les professions et semble impossible à résoudre à Paris tandis que
localement, l’identification de ce problème associé à la crainte d’être de simples
sous-traitants est un problème mais il n’apparaît pas impossible de le résoudre.
En animant ce débat localement, nous revenions regonflés en constatant que
localement, des actions sont prises et ne se pose pas la question « Doit-on le
faire ? ». La question ne fait pas question : oui, il faut changer. La précarité
énergétique marque l’impossibilité de continuer comme avant. C’est 3.2% du PIB
européen qui part dans les factures d’importation énergétique chaque année.
Localement, la question est « Comment changer ? ». Les débats sont donc
fondamentalement différents. Le changement est en marche avec des territoires loin
d’être égaux. N’est-on pas dans un moment de crises des politiques publiques ? J’ai
pu avoir le sentiment que les corps intermédiaires ne représentent plus la société
française. Comment faire pour que les changements soient traduits dans le débat de
la politique publique ?
J’ai trouvé révélatrice la discussion sur la France en 2025 : nous nous voyons encore
comme une France par le haut alors que nous vivons une période de
bouleversement. Dans le modèle économique traditionnel, nous projetons le passé
dans l’avenir. Mais c’est une France qui n’existera plus, d’où la difficulté des
institutions à penser cette transformation profonde qu’on ne connaît pas, alors que
dans la société, beaucoup de choses se préparent, d’où l’intérêt du débat. Il faut
comprendre la difficulté des changements dans la société et l’utilité de l’État
central et des corps intermédiaires pour accompagner ces changements. Les
appareils de l’État ne répondent pas à ce changement en marche. L’objectif du débat
est d’y voir plus clair, ce changement se fait avec ceux qui le font, qui le pensent. Il
existe un « big divide » entre ce que nous pensons à Paris et ce qui arrive dans la
réalité.
Michel Colombier, Directeur scientifique de l’Iddri et membre du groupe
des experts du débat national sur la transition énergétique
Pourquoi ce thème de la sobriété? Il ne recouvre pas l’ensemble de la transition
énergétique.
Une des principales raisons est que ce thème fait l’objet d’un clivage fort à Paris.
C’est l’un des clivages les plus marqués. Ce clivage est de deux natures :
- Il est substantiel : selon l’importance accordée à la sobriété dans l’évolution de
la société française, cela va ouvrir des voies différentes pour la transition et
les grands choix énergétiques
- Le clivage s’opère également entre acteurs :il y a des acteurs pour lesquels la
sobriété est une obligation et ceux pour lesquels, c’est aberrant car cela
concerne les comportements, les modes de vie, ce qui est perçu comme une
ligne rouge à ne pas franchir. Il est impossible d’avoir une discussion.
Le débat porte sur les sources d’énergie mais aussi sur la quantité d’énergie dont
nous avons besoin. Mais le système énergétique est plus un paquebot qu’un voilier
car il faut des décennies pour opérer un changement. Il faut donc penser la société
dans 30 à 40 ans. Ces sociétés seront différentes et il y a des irréversibilités, des
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rigidités. Par exemple, les locaux dans lesquels nous sommes aujourd’hui sont
anciens, cependant il y a eu une évolution dans notre manière de les habiter. Les
infrastructures sont plus longues à bouger que les modes de vie.
Pour découpler le lien entre croissance et demande d’énergie, nous parlons souvent
d’efficacité : il s’agit de s’appuyer sur le progrès technique pour développer des
usages plus efficaces. C’est une question que nous savons assez facilement
appréhender, elle renvoie aux notions d’investissement, de rentabilité ou encore de
prise de décision.
Au-delà des techniques, nous avons donc également parlé de sobriété mais sans
avoir une définition commune de ce concept. Elle est souvent définie en négatif : tout
ce qui n’est pas l’efficacité, la technologie. La sobriété ce serait le découplage
entre l’usage et la consommation sans l’efficacité. Ceci renverrait à une notion de
comportement individuel, comme ne pas prendre sa voiture pour faire les courses. La
sobriété serait alors soit une démarche personnelle, éthique et morale soit/et une
démarche de contrainte des individus par les politiques publiques (nous disposons
alors d’instruments comme les normes ou les instruments économiques qui ont aussi
un impact sur les comportements).
En faisant de la sobriété une stricte démarche individuelle plusieurs difficultés se
posent: doit-on changer les comportements ? La discussion sur l’étalement urbain
illustre cette difficulté. Dans le débat parisien, certains disaient qu’il faut ralentir cet
étalement tandis que pour d’autres, ce serait le sens de l’histoire, ce que les citoyens
veulent. Mais dans le débat local, les élus ne comprennent pas ce questionnement
car c’est une évidence pour eux que l’étalement est un problème et qu’il faut
intervenir. La question est : Comment? Les politiques publiques sont pour l’instant
impuissantes.
Contrairement à d’autres biens comme les produits agricoles qui répondent à un
besoin fondamental (alimentation), l’énergie n’est pas un besoin. Nous consommons
d’abord des services pour répondre à un besoin de confort thermique, d’éclairage. La
société n’a pas besoin de l’énergie en soi mais de services pour la santé, la
mobilité ou la culture. L’énergie n’est qu’une façon de satisfaire ces besoins. La
déconnexion entre la consommation énergétique et les services dépend de la façon
dont nous nous organisons. Par exemple, cela relève moins d’une punition de ne pas
prendre sa voiture quand on travaille à côté et que les commerces sont à proximité.
Le comportement individuel est inscrit dans une infrastructure urbaine et dans un
temps du travail, ce qui a une influence énergétique.
La question « faut-il changer les comportements ? » est imbécile. Évidemment les
comportements changent, nous sommes différents de nos grands-parents. Il faut
donc comprendre ce mouvement et la question devient : comment voulons-nous
influer sur ce changement pour l’inscrire dans le projet de transition énergétique ? A
la dimension individuelle et de contrainte, doit s’ajouter une dimension d’organisation
collective de la sobriété : d’où l’importance des collectivités locales qui sont des
acteurs primordiaux pour façonner notre quotidien, laisser place à nos aspirations et
inventer des solutions.
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C’est la question des infrastructures physiques et institutionnelles qui fait le lien entre
collectivités locales et sobriété, et on peut observer localement de nombreuses
initiatives pour expérimenter des solutions originales. La distinction efficacité/sobriété
apparait alors un peu virtuelle et dans la réalité, toutes ces actions seront un
mélange d’efficacité et de sobriété. Elles viseront à la fois à faciliter les innovations
techniques, à leur donner forme, et à promouvoir de nouvelles approches par les
citoyens. Nous n’allons pas rechercher une distinction systématique mais montrer
que la transition n’est pas seulement la mobilisation d’innovations techniques mais
aussi une ouverture à de nouvelles possibilités.
Cette innovation sociale s’appuie sur l’innovation technique mais elle va lui donner
tout son sens. Nous n’allons pas seulement remplacer nos véhicules par des
modèles électriques, nous allons voir s’insérer des objets nouveaux pour une
nouvelle connectivité humaine visant la satisfaction des besoins dans les villes du
21ème siècle. Il faut penser la sobriété non seulement comme une contrainte
individuelle mais aussi comme un objet collectif qui se développe avec les
communautés locales.
Nous allons étudier dans un premier temps les aspirations des Français en termes
de mode de vie, puis nous aborderons les innovations de terrain. Dans un dernier
temps, nous reviendrons sur les principes communs et les outils collectifs (fiscalité, la
norme, innovation et l’organisation) qui peuvent facilité la mise en œuvre et la
cohérence de la transition.
Table ronde n°1 : Transition et sobriété vues par la recherche
Avec :
Animateur : Didier Pourquery, Rédacteur en chef développement éditorial (Le
Monde)
Philippe Baret, Docteur en sciences agronomiques (Université catholique de
Louvain)
Gaëtan Brisepierre, Sociologue indépendant, spécialisé dans les questions
d’énergie, d’environnement et d’habitat
Damien Demailly, Responsable du programme Nouvelle Prospérité (Iddri – Institut
du développement durable et des relations internationales)
Interventions
Didier Pourquery, Rédacteur en chef développement éditorial (Le
Monde)
Le Monde est ravi de s’associer à ce débat car c’est l’un des axes de développement
du journal qui souhaite participer aux débats notamment au débat sur le
développement durable aussi bien ici que dans beaucoup de régions.
La table ronde va consister à regarder à travers le monde de la recherche ce qui se
passe pour déterminer la pertinence du terme de sobriété. Cela existe-t-il vraiment
en pratique ?
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La sobriété, en latin sobrietas, c’est la tempérance mais aussi la prudence.
L’actualité de ce terme oscille entre deux mots : en période de croissance faible, estce de l’austérité, c’est-à-dire de la sobriété subie ou de la frugalité, c’est-à-dire de la
sobriété choisie ? Au-delà de cette préoccupation, pour les gens, c’est moins une
question de sobriété que de consommer autrement. Il s’agit donc de revisiter en
profondeur les modes de consommation, de production d’espaces de vie commune,
de façons de se nourrir ou de commercer…
Comment la sobriété peut-elle aider à réduire les inégalités ? C’est un autre aspect
important à aborder.
Pour illustrer et nourrir ce débat, nous avons plusieurs intervenants à cette tableronde. Via le prisme de l’agriculture, de l’habitat, de l’économie de fonctionnalité,
qu’est-ce que vous observez sur le champ de la sobriété ?
Philippe Baret, Docteur en sciences agronomiques - Université
catholique de Louvain
Mon objectif est double : partager mon point de vue d’agronome et partager la
connaissance du système agronomique.
Dans les systèmes agricoles et alimentaires, la sobriété se pense à deux niveaux :
des contraintes du système et des contraintes temporelles.
L’agronomie a des contraintes externes comme le climat, les sols et des contraintes
internes comme la superficie des exploitations. Dans un premier temps, l’exploitant
va gérer la sobriété pour répondre aux difficultés par la voie de l’organisation. Dans
l’histoire agricole, cela s’est réglé jusqu’à la fin du XIXème siècle dans un rayon de
quelques km autour de l’exploitation. Jusque-là, l’agriculture reposait uniquement sur
la photosynthèse, c’est-à-dire la transformation du soleil en sucre.
Il existe aussi une dimension du temps long : il y a un souci de la plupart des
agriculteurs dans le monde et singulièrement les plus traditionnels d’entre eux, d’une
production pendant une saison mais aussi dans le long terme. Beaucoup ne
s’intéresse pas seulement au profit saisonnier mais à la fertilité des sols comme
capacité de produire dans le futur.
Pour moi, dans le cadre de l’agriculture, la sobriété peut se définir comme la gestion
raisonnée des ressources pour assurer le bien-être dans le long terme. On trouve ici
un principe de prudence, d’anticipation.
Je veux vous convaincre de trois choses :
- Le système agricole actuel n’est pas pertinent pour les enjeux du XXI ème
siècle.
- La transition ne se fait pas spontanément en agriculture car le système est
verrouillé
- Il faut un rééquilibrage drastique entre paradigmes tant d’un point de vue
financier qu’en stock de connaissances.
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La révolution verte a été un succès principalement quantitatif mais le défi du 21ème
siècle est d’une autre nature car c’est aussi le maintien de la biodiversité et la
diminution des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit de substituer à la
trajectoire maniaque de monoculture, une vision multifonctionnelle. C’est donc bien
une reconfiguration systémique qui est demandée à l’agriculture. Cette
reconfiguration doit prendre de la distance avec le critère du rendement, c’est donc
une quête d’autonomie. Le concept d’agriculture écologiquement intensive
m’interpelle car selon moi, il est impossible d’opérer une double performance
écologique et économique. Il faut un nouveau système sobre et autonome avec une
meilleure maîtrise des coûts. Il ne faut pas seulement revoir la casserole mais aussi
le menu, c’est-à-dire revoir les systèmes de consommation, par exemple en
substituant une consommation végétale à une consommation trop carnée. Si nous
consommons moins de viande, nourrir la planète impliquera d’augmenter le
rendement seulement de 0,1% par an, sinon il devra être augmenté 10 fois plus.
Pourquoi les systèmes agricoles sont-ils si lents à se reconfigurer en profondeur ? Ils
sont verrouillés par deux éléments : les acteurs et les normes. Cela a été théorisé ici
avec la théorie acteurs-réseaux [théorie de Bruno Latour NDLR]. Changer les options
actuelles de l’agriculture est difficile comme nous pouvons le voir en Bretagne. Ce
sont des choix d’organisation du territoire et pas seulement d’agriculture qui explique
la situation actuelle.
Est-ce possible de sortir de ce verrouillage ? Il y a trois éléments clés pour y arriver :
-
le changement d’échelle : il est nécessaire de ne pas penser l’agriculture
comme un ensemble de parcelles mais comme un système multi-niveaux
dynamique pour réarticuler entre autres la politique publique et la
consommation, et pour élargir le cadre de réflexion
-
l’objectivation : il est essentiel d’objectiver le discours des contradicteurs et
des adeptes des systèmes alternatifs. Pour une partie des modèles futurs, il
ne faut pas se limiter au rendement. Il est possible d’obtenir un revenu
comparable avec 24 ou 150 vaches laitières mais il y a peu d’études du plus
petit système qui est vu comme marginal. Il faut faire un travail d’objectivation
et de légitimation des systèmes alternatifs. Le choix des indicateurs et une
discussion autour de ces indicateurs sont essentiels.
-
le rééquilibrage drastique notamment en termes de formation, de
développement : les systèmes dominants ont eu pendant des années des
subventions et des formations. Aujourd’hui, il existe des solutions alternatives
mais il y a besoin d’investir dans leur connaissance et dans leur
reconnaissance. Elles ne sont pas intrinsèquement meilleures, mais nous
manquons de solutions. Il est donc nécessaire de réinvestir dans des
trajectoires moins connues. Pour une agriculture plus sobre, il est essentiel
d’investir et de s’y investir. Cela nécessite une forme d’engagement radical,
une forme de renoncement à des trajectoires pour répondre aux enjeux du
21ème siècle.
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Pour une sobriété heureuse et pertinente, elle ne doit pas être naïve, mais offrir une
vision systémique, large et radicale en partant des facteurs verrouillant le
changement pour les dépasser.
Version complète du texte : http://www.philagri.net/?p=579
Gaëtan Brisepierre, Sociologue indépendant, spécialisé dans les
questions d’énergie, d’environnement et d’habitat
Dans mon métier, je fais des enquêtes de terrain à la rencontre des consommateurs
et des professionnels pour voir comment ils vivent les changements liés à la
Transition Energétique. J’ai réalisé une enquête récente sur des bâtiments pionniers
de la basse consommation qui m’a permis de réfléchir aux rapports entre efficacité et
sobriété énergétique. J’ai réalisé cette enquête en partenariat avec l’ADEME, Leroy
Merlin et l’architecte lyonnais Thierry Roche. Comment ça se passe concrètement
dans ces bâtiments maintenant que la RT2012 est en vigueur ? [Réglementation
Thermique NDLR]. L’enquête portait notamment sur l’un des premiers bâtiments à
énergie positive en France, livré en 2008-2009 et donc avec une expérience de vie à
l’intérieur.
Le point de départ du travail est qu’il y a un écart entre la consommation prévue à la
conception et la consommation mesurée en période d’occupation. Le bâtiment reste
bien sûr économe et c’est un bâtiment prototype mais habité. La surconsommation
dans les Bâtiments Basse Consommation fait partie d’un phénomène plus général
appelé « effet rebond » par les économistes et qui consiste en des comportements
inattendus contrebalançant les bénéfices prévus. Cette surconsommation a de forts
enjeux car le bâtiment est le secteur où nous avons été le plus ambitieux pour la
transition énergétique. Il existe donc un risque de démobilisation avec la
surconsommation. Malgré ces surconsommations, le tiers investissement est
aujourd’hui présenté comme mécanisme pour les financer.
L’approche actuelle de la performance énergétique conçoit le bâtiment hors sol. Il y a
exclusion du facteur humain en considérant que les habitants ont un comportement
optimal. Il est préférable de partir d’une approche in vivo. C’est une approche
inductive, c’est-à-dire partant du terrain pour remonter aux choix des acteurs, et
systémique qui montre les interactions entre choix techniques et mode d’organisation
du bâtiment. L’observation des pratiques des usagers des BBC montre qu’ils
n’appliquent pas à la lettre les consignes des professionnels. Il y a un consensus
chez les professionnels sur l’idée que le BBC demande un savoir vivre spécifique
mais les habitants inventent leur propre façon de vivre le Bâtiment Basse
Consommation. Par exemple, le confort d’été repose sur le comportement adéquat
des habitants, notamment l’ouverture en grand des fenêtres la nuit mais les habitants
ne le font pas et préfèrent juste entrouvrir ou ouvrir juste le matin car se posent les
questions des bruits et des intrusions. Il existe des contraintes et des besoins qui ne
leur permettent pas d’adopter les pratiques attendues. Nous pouvons également
parler du phénomène de compensation électrique de l’inconfort. Certaines personnes
ont du mal à s’accommoder d’une température plus faible. Dans ce cas, les gens
s’équipent de convecteurs électriques. Le promoteur lui-même en a distribué pour les
pannes électriques. Ce phénomène s’observe aussi l’été avec l’usage du ventilateur.
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Dans ces bâtiments, la consommation d’électricité pour appareils électroménagers et
électroniques ne s’inverse pas. La réglementation ne prévoit pas de prendre en
compte ces éléments. Le bâtiment ne peut pas remettre en cause l’utilisation de ces
appareils mais nous pouvons assurer la mise en place de dispositifs pour adapter la
consommation.
L’enquête a pu relever d’autres marges de manœuvre dans les relations entre
habitants et professionnels :
-
L’amélioration des conditions de confort au bout de 2-3 ans grâce à la
participation des usagers dans la gestion des bâtiments. Par exemple, dans le
bâtiment de la Cité de l’environnement, un système de gestion participative a
été mis en place. Selon une approche démocratique, au bout de 2 ans, a été
décidée l’augmentation de la température de consigne de 2 degrés. Je fais un
pari qu’en augmentant la température, nous allons réduire la consommation
car les habitants n’utiliseront plus les convecteurs et cela réduira la tension. A
minima, cette décision doit nous interroger : doit-on imposer les 19°C à tous ?
-
La question de la maintenance. Ces bâtiments n’ont pas de radiateurs mais il
y a un problème d’encrassement des filtres qui déséquilibre le système. Il faut
changer régulièrement ces filtres, ce qui n’était pas prévu. Les habitants se
sont auto-organisés pour des achats groupés de filtres et le représentant
syndical est passé dans chaque logement pour apprendre à changer les
filtres.
Nous ne pouvons pas régler toutes ces questions à travers la réglementation, cela
passe aussi par de nouveaux cadres de concertation entre concepteurs et habitants.
Damien Demailly, Responsable du programme Nouvelle Prospérité Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales)
Le partage, c’est dire que de nombreux biens que nous possédons individuellement
peuvent être mutualisés. Par exemple, la perceuse est un outil rarement utilisé que
l’habitant peut acheter ou bien louer pour quelques euros à des personnes dans un
rayon de 500 mètres autour de sa maison, en allant sur le site Zilok. Il existe d’autres
exemples comme la voiture avec Autolib ou encore les jouets avec monjoujou.com.
L’enjeu est conséquent car les biens et équipements représentent 20% de la
consommation des français.
Les acteurs de cette économie sont très variés. Par exemple pour les voitures,
Autolib est un partenariat public-privé, Buzzcar est un système plus peer-to-peer et
Peugeot est une entreprise traditionnelle avec le système « Mu by Peugeot ».
L’économie du partage nous intéresse car elle est le symbole de la promesse de la
croissance verte. Par exemple, une voiture passe 90% de son temps garée et
représente donc un capital sous-utilisé. Le partage permet d’optimiser un capital
physique et il représente un gain en termes de ressources car moins de voitures sont
produites.
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Cette économie participe à dénouer le lien entre un objet et un usage.
Sur les questions de sobriété, j’ai un problème avec le concept. Lorsque j’entends
des gens mobiliser le concept de sobriété, deux personnes ont deux définitions
différentes. Que peut être la sobriété ? Être sobre, est-ce être en rupture avec la
surconsommation ? Pour l’économie du partage, ce ne sont pas des gens qui veulent
consommer moins mais ils veulent pouvoir accéder à un service moins cher et ils ont
parfois également une conception environnementale. Les gens cherchent à faire des
économies mais nous ne connaissons pas l’usage de l’argent économisé. Je
n’observe pas de rupture avec la surconsommation. Nous ne consommons pas
moins en général mais moins de certaines choses.
La sobriété fait-t-elle une opposition entre technologie et mode de vie ? Pour le
partage, cela ne fonctionne pas non plus car cette économie s’est démultipliée grâce
aux TIC [Technologies de l’Information et de la Communication NDLR]. Un autre
exemple est la voiture électrique comme nouvelle technologie. En pratique, elle
favorise le partage pour diminuer le coût du véhicule et simplifier le rechargement.
En parlant du partage, l’enjeu majeur c’est la question du dumping social et fiscal. En
théorie, il faut déclarer la location d’une voiture dans l’impôt sur le revenu mais dans
la pratique, les gens ne le font pas. Un autre exemple est l’attaque en justice d’Air
bnb à New-York car les usagers ne paient pas la taxe locale de tourisme.
Didier Pourquery, Rédacteur en chef développement éditorial - Le
Monde
Dans chacune de ces interventions s’ouvrent des fenêtres possibles pour une action
de l’État : sur l’organisation pour intégrer l’économie du partage ou sur la
communication pour l’usage des bâtiments BBC. Ce sont des zones où l’État peut
intervenir et cela ne relève pas seulement du comportement individuel.
Questions en salle :
Q1 : Question à M. Baret : Je voulais vous interroger sur les effets pervers des
nouvelles technologies que sont les biocarburants. Les effets négatifs pour la 1ère
génération ont été démontrés mais des chercheurs promeuvent la 2nde génération.
Qu’en est-t-il des aspects agronomiques ? Ces biocarburants contribuent à mettre du
carbone dans le sol. Quel est l’impact sur la fertilité des sols à long terme ?
Philippe Baret
La réponse a deux échelles :
-
Les biocarburants sont pensés comme un système d’innovation. Nous
retrouvons le problème récurrent en agriculture avec les OGM de 2nde
génération conçus comme bien meilleurs que les premiers. Même si la
seconde génération se veut comme une amélioration, elle est pensée selon le
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même système. Est-ce que nous ne sommes pas de nouveau avec une
solution miracle non pensée globalement ?
-
A une échelle plus micro, se pose la question de récupérer la valeur ajoutée à
la fin des filières. Par exemple, je connais un agriculteur qui a refusé la biométhanisation car elle n’offre pas la même richesse pour un enfouissement
dans le sol.
Il s’agit de comparer les trajectoires mais souvent en agriculture, nous n’explorons
qu’une seule solution sans analyser comparativement les deux.
Q2 : Question relancée par M. Pourquery : Pourquoi n’avançons-nous pas ?
Pourquoi le système est-il relativement bloqué et pourquoi est-ce difficile d’y
objectiver ?
Philippe Baret
Nous n’avançons pas car en France, il y a plusieurs optima locaux et notamment
l’agrandissement et l’intensification technique. Cependant en cas d’augmentation des
coûts de l’énergie, cela ne tiendra pas. Les autres systèmes comme les circuits
courts sont peu légitimés. Investir dans les deux systèmes est impossible, nous
investissons dans deux options en parallèle car qui est peu efficace. Dans l système
industriel dominant, la recherche est très coûteuse pour une faible progression. Il faut
le laisser tomber pour nourrir les autres alternatives. Il existe une difficulté à prendre
des risques. Pour l’agriculture biologique et pour les autres systèmes, il n’existe pas
une recette miracle mais un risque donc il est nécessaire d’envisager l’échec. Le
blocage provient entre autres du coût énorme des approches technologiques du
système industriel et d’une aptitude au risque trop faible des corps intermédiaires.
Q3 : Nous n’explorons pas souvent toutes les solutions de l’économie du partage.
Les exemples cités garantissent une certaine réversibilité avec un faible
engagement. Nous pouvons parler du cas de la chaudière individuelle, qui est plus
efficace si elle dessert plusieurs unités de logement. Cependant, l’individu va
répugner à sacrifier sa chaudière individuelle. Cette irréversibilité n’est pas
totalement acceptée par les citoyens.
Damien Demailly
La réversibilité est un angle intéressant de l’économie du partage. L’avantage de la
réversibilité est bien concevable pour l’individu. Certes, en tant qu’usager de l’autopartage, j’ai besoin d’une personne pour proposer ce partage mais je peux changer
de choix rapidement contrairement à Autolib. Un problème important est l’avance de
trésorerie pour les entreprises voulant faire du partage.
Gaëtan Brisepierre
Dans les éco-quartiers, il existe souvent ce type de système. Plusieurs éco-quartiers
sur le territoire font remonter des difficultés de gestion sur les équipements partagés
entre plusieurs bâtiments. Il y a des problèmes sur les espaces intermédiaires
comme le parking entre une copropriété et des HLM. Dans les réseaux de chaleur, le
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contrôle par les prestataires qui règlent ce réseau est insuffisant. Se pose la question
de l’organisation sociale à mettre en place. Les habitants ont des difficultés à
intervenir, à avoir des informations et à prendre des décisions.
Q4 : L’économie de partage ne répond à priori pas à la surconsommation. Les
innovations techniques servent comme support à l’innovation sociale, par exemple
avec le partage de la télévision dans un bâtiment. Ne doit-on pas aller plus loin ?
Cela ne doit-il pas servir d’innovation éthique autour de l’envie de se réunir ?
Gaëtan Brisepierre
Nous pouvons avoir un impact sur la consommation d’énergie avec une meilleure
information. Cependant, cela ne suffit pas une nouvelle technologie d’information
pour changer les comportements. Une innovation sociale est nécessaire avec des
décideurs locaux comme les collectivités locales. Un exemple est un concours de
sobriété par famille ou un accompagnement du bailleur social avec une logique
préventive pour les problèmes de précarité énergétique. L’envie de se rencontrer est
une motivation première des gens notamment localement pour construire des liens
faibles, c’est-à-dire des liens ni familiaux ni amicaux mais d’intérêts partagés.
Philippe Baret
Pour les producteurs, il y a des stratégies via les CUMA pour le partage de tracteurs
par exemple. A une vision ponctuelle de l’innovation technique, je préfère
l’anticipation sans penser uniquement innovation mais plutôt apprentissage collectif.
Damien Demailly
La question du lien social est très importante pour l’économie du partage. Nous
avons l’exemple du covoiturage. Pour le partage en général, il n’y a pas toujours un
lien social. Certaines personnes ont des valeurs de consommation différentes.
Didier Pourquery
Sur les liens faibles, nous le voyons avec les AMAP qui font lien entre des personnes
qui consomment de la même façon. Il y a une distinction à faire entre l’économie de
partage et la co-révolution.
Q5 : En tant qu’agronome, je m’inscris en faux avec les propos de M. Baret. Les
agriculteurs essaient de produire mieux depuis longtemps. Les gens des villes ne
comprennent pas que les nitrates n’ont rien de dangereux pour la santé. Les algues
vertes qui poussent par ses nitrates sont aussi des puits de carbone. Il n’y a pas un
système d’agriculteurs. Parler de nourrir le monde dans 50 ans n’a pas de sens. Ce
sont les français qui vont produire leur nourriture donc ils peuvent produire la viande
qu’ils souhaitent consommer.
Philippe Baret
Sur les agro-carburants, vous pouvez lire le rapport du rapporteur des Nations Unies
Olivier De Schutter qui montre le lien entre la crise sur les prix des produits
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alimentaires et les prix du pétrole. Sur l’Afrique, je ne suis pas d’accord. L’Afrique
subsaharienne est importatrice et les pays européens sont exportateurs. Ce n’est
pas notre rôle de nourrir les pays du sud mais les systèmes d’agricultures montrent
que nous avons un impact. Le système agricole français est un peu décalé car le
bilan économique est négatif sans les subventions sauf pour l’élevage de chèvres.
Les agriculteurs français optimisent leur système dans le cadre des subventions.
Q6 : Le thème de la sobriété a été choisi car il est clivant. Je n’approuve pas ce choix
car le contraire de la sobriété est l’ivresse. Nous sommes d’emblée dans un registre
moral mais ce n’est pas un bon choix. Nous devons changer le système énergétique
pour 50 ans pour atteindre les objectifs climatiques. Pourquoi n’ont pas été créés un
groupe de travail sur le bâtiment et un sur la mobilité dans le débat sur la transition
énergétique ? L’objectif n’est pas moral. Je ne comprends pas la caractéristique du
débat sur la transition énergétique ?
Q7 : Lorsque nous parlons de sobriété, il y a une notion morale. Dans le département
du 93, nous constatons une énorme précarité énergétique. A Sevran, nous sommes
inaudibles en parlant de sobriété car la population est déjà démunie. Nous passons
pour des moralistes, ce que la puissance publique ne doit pas être. Dans vos
recherches M. Brisepierre, avez-vous perçu cet aspect ? Est-ce à l’État de prescrire
par la loi les normes de sobriété ? Selon une directive européenne, l’État peut mettre
en place des contrats de performance énergétique (CPE). Cela vous semble-t-il une
bonne solution ?
Gaëtan Brisepierre
Il ne faut pas confondre précarité et sobriété. La sobriété est souvent définie comme
l’idée que moins, c’est mieux. Je crois davantage en l’idée de faire plus avec moins.
Lorsque nous parlons de précarité énergétique, nous excluons les classes moyennes
qui connaissent des formes de précarité énergétique. Le mot de sobriété ne permet
pas de mobiliser au-delà d’un public militant. La sobriété est perçue comme une
impasse pour l’action car c’est le négatif de l’efficacité énergétique.
Les enquêtes sociologiques montrent que les changements de comportement ne
peuvent être séparés des changements technologiques. Avant les années 50, seule
une pièce pouvait être chauffée mais avec l’innovation technologique, nous sommes
passés au chauffage central.
Sur le CPE, c’est considéré comme le levier principal. Dans les copropriétés, il y a
souvent un propriétaire militant qui fait cette démarche. Soit nous changeons le mode
de gestion de la copropriété et nous permettons plus d’initiatives des copropriétaires
soit nous instaurons un nouveau business modèle type CPE avec une délégation de
la gestion technique par l’extérieur. Le problème c’est qu’il s’agit d’un choix
structurant dans les 30 ans à venir donc il faut une prise en compte d’aspirations
complexes.
13
Table ronde n°2 : Transition et sobriété à l’échelon territorial : quelles
initiatives sur le terrain ?
Avec :
Animateur : Andréas Rudinger, Chercheur Politiques climatiques et énergétiques
(Iddri)
Jean-Luc Daubaire, Adjoint au Maire de Rennes délégué à l’Énergie et à l’Écologie
Urbaine et Conseiller Communautaire délégué à l’Énergie
Michel Leclercq, Vice-président de l’association Éoliennes en Pays de Vilaine,
membre fondateur de la SAS Begawatts qui gère le parc éolien citoyen de Béganne
et membre du mouvement national Energie Partagée
Jean-Philippe Puig, Directeur Général de Sofiprotéol, l’acteur financier et
économique de la filière des huiles et protéines végétales
Jo Spiegel, Président Délégué de l’agglomération Mulhousienne
Interventions
Andréas Rudinger, Chercheur Politiques climatiques et énergétiques Iddri
Nous avons vu que la sobriété était une notion complexe à définir. Je retiens trois
points :
-
La nécessité d’explorer différentes trajectoires et de laisser un espace à
l’expérimentation. C’est souvent revenu dans le débat sur la transition
énergétique. Nous allons voir comment l’échelon local met en place ces
initiatives.
-
La sobriété n’est pas déliée du reste, c’est quelque-chose qui se construit
dans l’échange comme intersection entre innovations organisationnelles et
évolution des comportements.
-
Le besoin de structures, d’organisations collectives, et la notion de réseaux
d’acteurs. Quels acteurs participent ? Comment dépassent-t-ils les potentielles
séparations d’aujourd’hui ?
Jo Spiegel, Président Délégué de l’agglomération Mulhousienne
Je souhaite que la ville soit aussi sobre qu’agréable, aussi éducatrice que
dynamique ; dans ma commune, nous avons créé la Maison de la Citoyenneté en
2006. La même année, l’agglomération s’est lancée dans l’élaboration d’un plan
climat-énergie.
A ce propos permettez-moi d’ajouter que nous connaissons depuis une vingtaine
d’années une révolution silencieuse : la montée en puissance de l’intercommunalité.
Je suis un militant de l’intercommunalité. J’ai milité également pour le conseil
d’Alsace unique. Nous devons être cohérents et efficaces. Il n’y a pas un sujet que
14
j’aborde sans mettre en valeur le sens et la démarche. La démocratie est un
cheminement partagé. C’est dans la démarche que se fait la démocratie. Notre
devoir est de laisser une planète vivable à nos petits-enfants. Il faut que le sens soit
partagé. Il ne peut y avoir de haute qualité environnementale sans haute qualité
humaine.
Nous sommes dans un système à bout de souffle car nous ne nous inscrivons
jamais ou rarement dans une démarche systémique. Nous sommes des
analphabètes de la démocratie si nous la réduisons au simple bulletin de vote. La
sobriété est l’affaire de tous. Nous avons signé un pacte civique en tant que maires
pour un engagement civique. Nous sommes incapables de fertiliser les fonctions de
la démocratie : délibération, élaboration et décision.
Les territoires sont pensés comme des copier-coller de la mondialisation. Mais les
territoires ne seront acceptés que comme humains, durables et démocratiques. Les
territoires sont des espaces de transformation pour la sobriété. La sobriété ne se
délègue pas, elle ne se décrète pas. Nous ne devons pas être dans un statut quo
conservateur, ni dans un grand soir de la révolution. Le moteur de la métamorphose
sera la démocratie. Ce ne doit pas être de la délégation mais de la construction, dans
une démocratie lente, murie, interactive et édifiante.
Dans ce contexte d’innovation démocratique, nous nous sommes engagés dans un
plan climat en 2006 pour lutter contre le changement climatique. Il répond à trois
intentions : donner du sens (valeur, acceptation, direction), accomplir des
responsabilités (selon le principe de subsidiarité) et ajouter une notion de territoire
vécu. Une communauté de destin peut devenir une communauté d’action par le
vécu. Le couple communes-communautés est essentiel et joue un véritable levier sur
des thématiques diverses comme l’aménagement du territoire, l’habitat ou encore
économie.
La démocratie passe également par une grammaire démographique exigeante. Un
aller-retour doit s’opérer entre 4 niveaux d’exigence :
-
Information, sensibilisation de l’ensemble des acteurs : élus, cadres, société
civile, citoyens.
-
Débats pour réinventer le sens de l’agora grecque
-
Elaboration collective : c’est le conseil participatif rassemblant habitants,
associations, entrepreneurs, experts, qui a construit le plan climat de
l’agglomération
-
Implication des citoyens et des entreprises : 105 acteurs sont engagés dans le
plan climat avec 600 mesures évaluées par intranet et extranet
Le plan climat a permis la réduction des émissions de gaz à effet de 13% en 5 ans.
Afin d’atteindre les objectifs de Kyoto en 2050, nous devons travailler sur la boucle
production de politique publique-évaluation-avancées.
15
Ces transformations se font sur la durée. Elles réinterrogent à la fois la conduite des
politiques publiques mais également les comportements personnels.
Jean-Philippe Puig, Directeur Général de Sofiprotéol, l’acteur financier et
économique de la filière des huiles et protéines végétales
Sofiprotéol a été créé il y a 30 ans, soit 10 ans après le blocus aux Etats-Unis sur
l’exportation de protéines. Les agriculteurs, forts de cette mauvaise expérience, ont
voulu développer la production des oléo-protéagineux en France. Sofiprotéol était un
établissement financier et l’entreprise est devenue aussi un groupe industriel,
exploitant d’entités comme Lesieur. Le chiffre d’affaires de l’année dernière est de
l’ordre de 7,3 milliards euros.
Le monde agricole avait mis du capital dans l’entreprise mais n’avait pas souhaité de
dividendes donc le capital est réinvesti. La mission de Sofiprotéol est toujours de
développer les oléagineux et protéagineux en France. Sofiprotéol est très présent
dans l’innovation pour les différentes générations de biocarburants. L’entreprise fait
la liaison avec le monde agricole avec des contrats de progrès.
Pour la transition énergétique, le monde agricole est déjà en marche. Le monde
industriel est aussi innovant pour baisser la consommation énergétique. Par
exemple, Sofiprotéol a réalisé un investissement de 32 millions d’euros pour le site
de Bordeaux afin d’économiser ce que la France dépense en passant de l’heure
d’été à l’heure d’hiver.
Michel Leclercq, Vice-président de l’association Éoliennes en Pays de
Vilaine, membre fondateur de la SAS Bégawatts qui gère le parc éolien
citoyen de Béganne et vice-président de l'association nationale Energie
Partagée
Notre histoire est partie d’une idée simple venant de deux personnes : construire
des éoliennes pour seulement quelques personnes étant compliqué, il serait plus
simple d’en construire pour plusieurs centaines de familles. Cette idée s’est
développé en 2002 en Bretagne, sur l;e modèle des coopératives danoises ou
allemandes. Ce principe a rapidement séduit beaucoup de monde, nous avons créé
en 2003 l'association Eoliennes en Pays de Vilaine ( EPV) pour porter ce projet avec
pour objectif la réappropriation l’énergie éolienne et l'utilisation de l'impact paysager
du parc comme outil pédagogique pour sensibiliser les riverains aux enjeux
énergétiques et les inciter à réduire leur consommation électrique. Le parc éolien
devant participer au financement de cet aspect pédagogique.
Construire des parcs éoliens est compliqué en France, seuls deux à trois projets sur
dix se concrétisent. Malgré un bon accueil local, nous avons du abandonner le
premier site en 2004 puis un second en 2005. Le développeur qui nous
accompagnait s'est alors désengagé. Nous nous sommes demandé si nous devions
arrêter ou continuer. Une subvention de la Fondation de France nous a incités à
dépasser cet échec en embauchant un salarié en CDI. Six mois plus tard, la région
nous a aidés et nous avons pu pérenniser cet emploi et poursuivre nos projets.
Ayant trouvé un nouveau partenaire de co-développement, celui-ci a tenté de
prendre le contrôle de la société de projet. Nous avons compris que pour être
autonome il fallait financer nous même le développement. Nous avions évalué à
16
150 000 euros le coût des études, nécessaire au dépôt d'un permis de construire
hors frais de suivi et coordination. L'association EPV n'était pas adaptée pour cet
investissement. Quelle structure mettre en place pour une maîtrise locale de ces
financements ? Comment mobiliser de l’argent ? Le choix a été de créer une SARl :
Site à Watts et de travailler sur deux sites pour limiter les risques, 300 000 € durent
être mobilisés. 24 militants de l'association, se sont engagés, d'autres adhérents ont
souhaité participer. Connaissant les risques encourus, l'association a souhaité qu'ils
se regroupent en en clubs d’investisseurs pour diminuer les montants investis par
chacun. Trois premières CIGALES (Club d'investisseurs pour une Gestion Alternative
et Locale de l'Épargne Solidaire) ont été créées regroupant 60 personnes , puis une
Société d’Économie Mixte de la Loire-Atlantique ayant pour objet le développement
des énergie renouvelables a intégré la SARL.
Nous avons obtenu le premier permis de construire en 2009 à Béganne en
Morbihan, puis le second en Loire Atlantique en 2011.
La construction de chaque parc de 4 éoliennes nécessite un investissement de près
de 12 millions d’euros, le quart est nécessaire pour lever des emprunts pour boucler
ce budget. Nous voulions impliquer plusieurs centaines de petits investisseurs dans
chaque SAS, société d'exploitation, Cependant au-delà de 99 actionnaires une
société ne peut faire appel à des investisseurs, sans l'accord de l' autorité des
marchés financiers (AMF). Pour résoudre cette question, l’ADEME a accompagné la
réflexion aboutissant à la création d'un fonds citoyen, national qui pourrait faire une
Offre au Public de Titres financiers (OPTF) avec le visa de l’AMF. C'est ainsi que le
mouvement Énergie Partagée a été créé en 2010 : il associe une association et un
fonds d'investissement destinés à accompagner et financer des projets d'énergie
renouvelables ou de maîtrise de l'énergie citoyens. Aujourd’hui ce fonds
d’investissement regroupe
3000 sociétaires pour une trentaine de projets en
France.
La société d'exploitation du parc de Béganne, Bégawatts, SAS de type coopératif, a
pu constituer ses fonds propres (2.7M€) en regroupant une trentaine de membres
fondateurs, SAW, EPV, 53 clubs d'investisseurs et Cigales, un fonds d'
investissement de la région Bretagne, Énergie Partagée, et 4 entreprises de l'
Économie sociale et solidaire : Les particuliers, plus de mille, détiennent 85 % du
capital, Leur participation à la définition de la gouvernance de la société, s'est
avérée être un formidable. outil d'éducation populaire,
.
Qu’est-ce qui nous a permis de durer ? Dans un cadre convivial, les adhérents se
mobilisent pour un projet positif, participant à l'enjeu capital de la transition
énergétique. La force de l’association est de permettre la mobilisation de
nombreuses compétences de manière ponctuelle et spécialisée. Les attentes de tous
bords nous ont porté pour réussir ce pari de réappropriation locale de l'énergie
éolienne.
Ces éoliennes devraient aider les gens à consommer moins. Depuis trois ans, une
salariée accompagne le secteur scolaire et bientôt tous les associés pour un
échange de bonnes pratiques.
La porte d’entrée de tous ces gens peut être très différente. Certains sont des
militants, d'autres souhaitent participer à un projet de pays, d’autres y voient un
placement éthique de leur épargne.
17
Le pari est de croire que ces citoyens mobilisés pour produire une énergie propre
soient conscients de sa rareté et réduisent leur consommation électrique.
Jean-Luc Daubaire, Adjoint au Maire de Rennes délégué à l’Énergie et à
l’Écologie Urbaine et Conseiller Communautaire délégué à l’Énergie
Les réussites aujourd’hui sont en bottom-up. Le 20ème siècle fut celui de l’argent roi,
du profit immédiat, sans considération pour les conséquences. Nous avons
développé cette “culture” jusqu’au niveau des citoyens : “UFC/Que Choisir”, “60
Millions de Consommateurs”… ont participé à construire cette image d’un “citoyen
averti” : acheter la meilleure qualité au moindre coût ; cela a notamment été
dramatique au niveau du bâtiment, nous laissant un parc inadapté à gérer
aujourd’hui !
Par ailleurs, le 20ème siècle est marqué par cette consommation aussi au niveau de
nos ressources : on a épuisé en moins d’un siècle les réserves que la nature avait
mis 1000 ans à fabriquer ! Là encore on consomme d’abord, sans s’interroger sur les
conséquences (pollutions), sans s’interroger sur la “finitude” des ressources !
Le 20ème siècle est marqué par cette logique de consommation des ressources non
renouvelables, le 21ème siècle sera celui du développement des ressources locales et
renouvelables.
La ville de demain doit être responsable en étalement urbain et en utilisation des
ressources. Elle doit coopérer avec la campagne. Il est essentiel de se poser la
question de la place de l’homme dans l’écosystème. Avec le retour des circuits
courts, il faut regarder la ville de demain sur les réseaux plus horizontaux, les
réseaux d’échanges de savoir ou d’énergies. La ville de demain sera une ville sobre
par la réhabilitation des logements, une gestion nouvelle des déplacements car bien
avant la réduction de la consommation d’énergie, les transports en commun c’est
d’abord rendre l’espace aux habitants.
Cette sobriété ne sera possible qu’avec de la volonté politique. Prenons l’exemple
des téléphones sans fils… la norme DECT2 n’oblige plus (comme le faisait la norme
DECT1) à associer une pièce d’une valeur d’à peine un euro. Les constructeurs pour
la plupart ne l’installent donc plus, or cette petite pièce permettait à la “base” de
n’émettre des radiofréquences que lors d’une utilisation du téléphone… Ainsi
aujourd’hui les fréquences sont émises en permanence… même quand on n’utilise
pas le téléphone.
Volonté politique, mais aussi actions citoyennes peuvent faire évoluer les choses.
Par exemple, Greenpeace a obtenu d’Apple une réduction de 50% de la
consommation simplement parce qu’ils ont été mis en évidence.
Localement, une ville a des missions et notamment celle d’être un exemple pour les
citoyens. Il est important de mettre en œuvre, dans les secteurs dont nous avons la
responsabilité, les actions que nous préconisons, cela permet non seulement de
progresser en termes de compétences, mais aussi de proposer des exemples
“grandeur nature” aux habitants.
Si la ville a été exemplaire (1er plan climat en 2004, plan pluriannuel d’amélioration
thermique du parc municipal) nous arrivons à un constat : si nous, ville, étions
“parfaits” (ou 0 carbone) sur tous nos bâtiments municipaux ceux-ci représentent
moins de 10 % du “bâti” sur la ville : nous ne pourrons atteindre les objectifs tels que
18
- 20 % en 2020 en agissant sur seulement 10 % du problème ! Inéluctablement, nous
avons donc besoin de travailler tous ensemble.
Notre idée est de changer le logiciel et de co-construire plutôt que décider pour la
population. Le changement doit partir du terrain. Avec la convention des maires, la
commission européenne a fait le même constat, et pour la première fois a passé
contrat directement avec les Maires.
En première étape, nous avons mis les acteurs en réseau avec le projet Believe. Il
met en place des forums intelligents en énergie, rassemblant de l’architecte à
l’utilisateur pour échanger, apprendre à travailler ensemble, comprendre ensemble
ce qui devrait être amélioré et rechercher des solutions.
Puis dans le cadre du plan climat de 2010, 17 conférences ont été réalisées avec
140 citoyens réunis pendant 2 jours pour réfléchir à ce qu’ils attendent de Rennes
sur le climat afin de rendre le changement désirable. Ils ont produit un livre blanc et
sur cinq points majeurs du plan, trois sont issus de ce livre blanc. Cela permet aussi
à ces citoyens de contrôler, d’évaluer ce qui sera fait par rapport à ce qu’ils
estimaient souhaitable.
Une autre opération est “bâtiment basse consommation pour tous”. C’est un travail
en conception intégrée en faisant se rencontrer tous les professionnels concernés
par un aménagement : hydrologue, géologue, concepteurs, architectes, métiers et
usagers.
L’étape suivante est le projet européen Engage : des citoyens peuvent faire
connaitre ce qu’ils ont fait, se rendre disponibles pour partager leurs expériences et
donner envie aux autres citoyens. De 127 “citoyens exemplaires” au début nous en
sommes aujourd’hui à 1048.
Le slogan de notre plan climat est une ville à basse consommation et à haute qualité
de vie.
Andréas Rudinger, Chercheur Politiques climatiques et énergétiques Iddri
Avec ces interventions, se pose la question du réseau d’acteurs. La sobriété
énergétique au niveau local, c’est l’intelligence dans l’échange.
Questions en salle :
Q1 : Le mille-feuille administratif est perçu péjorativement. La transition passe par la
construction d’un écosystème. Certains acteurs hésitent à se mettre en réseau,
comme les artisans qui ont une forte indépendance. Quelles solutions pour que les
artisans se mettent en groupement momentané ou autre pour être plus efficaces ?
Jean-Luc Daubaire
En partant de notre expérience avec le projet Believe, nous avons créé des réseaux
dans lequel il y a des artisans. Cela a été favorisé par notre volonté politique. En
2008, le maire de Rennes voulait des BBC dans son programme mais il n’y avait pas
de filière de formation d’isolateurs par l’extérieur. Les artisans se sont réunis et ont
créé ces filières de formation.
19
Jo Spiegel
Au lancement du plan climat en 2006, un axe majeur identifié fut l’isolement des
bâtiments. Cela représente 2 milliards de chiffre d’affaire et 1500 emplois non
délocalisables. Nous avons créé tout de suite un pôle de compétence basse
consommation et il inclut notamment des artisans, qui appartiennent à un monde se
sentant souvent oublié. Les enjeux climatiques peuvent créer une dynamique
territoriale et être source d’intelligence collective. Des chantiers pilotes avec des
métiers nouveaux ont été mis en place. Nous avons créé une forme de motivation et
de reconnaissance partagée.
Q2 : Avez-vous remarqué une évolution de l’appropriation par les gens des plans
climat ? Une critique est que l’on retrouve toujours les mêmes personnes autour de
ces plans. Avez-vous remarqué que de plus en plus de gens sont intéressés et pas
seulement des experts et habitués ?
Jo Spiegel
Nous avons besoin de plus d’informations au sens pédagogique. Nous devons nous
appuyer sur les enfants qui transmettent des messages aux parents. Il y a l’avant et
l’après plan climat. Il y a vraiment des comportements différents notamment pour les
élus. Pour eux, nous constatons en effet une vraie et sérieuse émulation. Une
culture « Climat » s’est installée progressivement et commence à rayonner sur le
territoire. Pour les citoyens, nous manquons d’indicateurs mais avec les réunions
publiques, nous voyons la montée en puissance de l’intérêt et de la compétence des
habitants.
Nous constatons que, sur une démarche comme celle du Plan Climat, nous
fonctionnons par cycle (assimilation, accommodation, nouveau déclic). Nous nous
inscrivons dans ce que j’appelle une démocratie lente, avec une priorité donnée au
sens. Le discours du sens qui nous engage pour changer de paradigme est exaltant
bien que difficile.
Q3 : Question par Andréas Rudinger à Jean-Philippe Puig: Quelle a été la place des
agriculteurs pour porter le projet ?
Cela fait 30 ans que le réseau existe, il a mis du temps à se créer. Il devait
progresser dans le sens sociétal du terme. Les agriculteurs ont pris conscience qu’ils
devaient répondre aux demandes citoyennes comme diminuer les émissions de gaz
à effet de serre. Par exemple, la culture compagne s’est développée. Il s’agit de
planter deux graines en même temps et une deuxième culture apparait quand la
première est terminée. Notre rôle à Sofiprotéol s’organise par rapport au monde
agricole qui est un monde déjà dans le débat. Nous l’avons animé et nous avons
procédé à une contractualisation des actions engagées. Il faut faire la liaison entre
économie et progrès via les rémunérations. Les agriculteurs avec les plus grands
revenus sont aussi les plus respectueux de l’environnement.
20
Q4 : Question par Andréas Rudinger à Michel Leclercq : En Allemagne, 50% des
installations pour les énergies renouvelables sont gérées par les usagers. Quels sont
les facteurs qui devraient changer en France pour généraliser cette approche ?
L'information sur les possibilités de réappropriation par les citoyens est première De
plus en plus de collectivités territoriales prennent conscience de l’importance de
l’énergie. Au niveau des particuliers, les gens le font un peu mais dès qu’on arrive
dans le collectif, nous sommes limités en termes de structures juridiques adaptées.
La SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) peut être utile mais elle n’est pas
adaptée pour le processus des énergies renouvelables qui nécessite beaucoup
d’investissement. En effet, au minimum 57,5% des revenus doit être versé pour des
réserves impartageables. Le grand public n’investira pas non plus s'il n’y a pas de
rendement. La SAS est plus souple permet une gouvernance coopérative.
L'investissement citoyen permet une meilleure acceptation locale et offre des
ressources aux territoires
La difficulté, les contraintes liées à la communication en direction des investisseurs
devraient être assouplies. Il faut qu’une société coopérative puisse informer en toute
transparence d’un projet citoyen,
Les SEM [Société d’Économie Mixte NDLR] n'ont pas encore l'habitude d'associer
les citoyens, cela émerge, ce sont des changements de culture à poursuivre.
Q5 : J’ai entendu des mots comme partage, participation et coopération ; des
initiatives. Est-ce que l’opérateur central qui découpe ces initiatives ne les perd pas
dans le réseau ? Quels sont les leviers que vous avez sur ces aspects réseaux pour
l’opérateur central ?
Michel Leclercq
Certaines collectivités territoriales, pour l'instant peu nombreuses s'emparent de ces
questions énergétiques, cela se développe. Les syndicats d’électrification peuvent
être un levier, certains syndicats départementaux s'y engagent (Vienne, Nièvre..).
Jean-Luc Daubaire
Le jeu n’est pas perdu mais difficile. C’est le parcours du combattant que de sortir du
système centralisé. Nous sommes propriétaires et nous prêtons nos réseaux. Les
compteurs linky ne mesurent au profit que d’un seul acteur, à savoir le vendeur donc
les citoyens voulaient maîtriser leur consommation et pas seulement le vendeur.
Nous pouvons faire bouger les choses avec des appels d’offre pour les nouveaux
quartiers. Par exemple, nous avons prévu tout un réseau autonome dans un quartier
à Rennes en cas d’orage.
Q6 : Il y a une supercherie en termes de transition énergétique. Les énergies
décarbonées ce sont les énergies renouvelables et surtout l’énergie nucléaire.
Pourquoi ne pas admettre que le nucléaire, c’est le développement durable ?
Jean-Luc Daubaire
Comme je l’ai dit en introduction, le passé, le 20ème siècle est celui du puisage de
réserves dans le sol. Tout montre aujourd’hui que ce système est fini et que nous
21
arrivons au bout des réserves... Les réserves d’uranium sont limitées et pas toujours
accessibles. Les plus pro-nucléaires admettent que l’utilisation de l’uranium a un coût
correct seulement jusqu’à la fin du siècle. D’ailleurs l’uranium est la source d’énergie
dont le coût augmente le plus vite. Le nucléaire est une énergie incapable de gérer
ses déchets, donc non durable, et totalement inadaptée au monde moderne car en
plus une centrale ne sait pas répondre à des moments de pic.
Table ronde n°3 : Quelles politiques publiques pour accompagner la
mise en œuvre territoriale de la transition énergétique?
Avec :
Animateur : Michel Colombier, Directeur scientifique (Iddri)
Nicolas Garnier, Délégué Général d’Amorce
Gérard Magnin, Fondateur et Directeur du réseau EnergyCities
Majdouline Sbaï, Vice-présidente du conseil régional Nord-Pas de Calais
Gaël Virlouvet, Administrateur de France Nature Environnement
Interventions
Michel Colombier, Directeur scientifique - Iddri
Nous envisagerons ici la sobriété non pas comme une action individuelle et morale
mais comme une action collective engagée sur les territoires. Quels acteurs pour
rendre cette transition possible ? Il faut comprendre dans ce débat quelles sont les
actions, les orientations que les initiatives locales peuvent attendre de l’État pour
capitaliser l’ensemble des expériences.
Gérard Magnin, Fondateur et Directeur du réseau EnergyCities
Je représente Energy-Cities, une association de villes européennes créée en 1990.
Avec les deux mots Energy et Cities, l’association veut montrer le caractère territorial
de l’énergie. Nous avons commencé avec 6 villes et nous en avons aujourd’hui 1000
de 30 pays.
Je vais me concentrer sur la sobriété avec plusieurs niveaux. Avec la sobriété, nous
sommes souvent dans la notion de contraintes qui peut engendrer de la frustration.
Au premier niveau, la sobriété c’est réduire les consommations dont nous n’avons
pas besoin. Pour les bâtiments publics par exemple, se pose la question de la
gestion de l’intermittence des bâtiments. Ce peut être des écoles inoccupées ou
l’éclairage public qui ne fonctionnerait pas toute la nuit. Ce premier niveau n’est pas
compliqué, il est peu coûteux par rapport aux résultats obtenus.
Au deuxième niveau, c’est la question de mieux utiliser ce qui existe. Souvent nous
ne prenons pas en compte l’énergie grise c’est-à-dire l’énergie pour construire les
bâtiments. Au Royaume-Uni, depuis quelques années, les écoles sont des small
businesses avec chaque école qui se gère. Dans un cas, l’utilisation des locaux est
22
passée de 1400 heures à 5000 heures par an avec de nouveaux usages. Le plus
souvent, le nombre d’heures est multiplié par deux. Lorsque quelqu’un gère
l’équipement, l’optimisation est recherchée. Dans un nouveau quartier, la ville de
Freiburg a une église commune protestante et catholique. C’est une série de petites
choses qui obligent à changer de manière de pensée. Ceci pose la question des
indicateurs. Nous utilisons un indicateur tel que la consommation d’énergie par mètre
carré sans tenir compte de la durée d’utilisation.
Au un troisième niveau, la sobriété c’est créer les conditions pour ne pas consommer
ou pour consommer moins, par exemple via les politiques d’urbanisme. Par exemple,
dans la ville de Freiburg, certains produits ne peuvent être vendus que dans des
magasins de quartier et dans le centre-ville mais pas dans les grandes surfaces. Il y
a plus de quinze ans, cela a été décidé par une alliance CDU-Verts. Le parti CDU
aime bien les commerçants et les Verts aiment l’environnement. Alors ça marche ! A
Groningen, aux Pays-Bas, il est interdit de construire des grandes surfaces aux
croisements de grandes routes. L’urbanisme a un rôle très important en ce sens qu’il
surdétermine largement la consommation énergétique. Or les urbanistes et les
énergéticiens ne travaillent pas ensemble. C’est ce que j’appelle la ville pastèque et
la ville groseille. Dans la ville pastèque, il n’y a pas de nœud, la ville s’étale mais il
n’est pas possible de penser les échanges. Dans la ville groseille, nous pouvons y
mettre autant de personnes mais autour de plusieurs centres.
Il y a aussi la sobriété concerne les ressources énergétiques qui existent, notamment
thermiques, qui sont autour de nous et que nous n’utilisons généralement pas :
chaleur fatale d’industries, eaux usées, lac, data centers, .etc.
Tous ces sujets ne sont pas des éléments de contraintes personnelles, mais au
contraire rendent la vie plus facile.
Pour terminer, la question de la sobriété doit être vue de façon systémique et
interactive : L’approche – logique – qui consiste à établir une hiérarchie d’intervention
1) sobriété, 2) efficacité, 3) énergie renouvelables, est peut-être une logique
d’ingénieur. Si c’était aussi simple, et selon une approche d’homo economicus, tout
le monde serait sobre car cela ne coûte rien et rapporte beaucoup Mais ça ne
marche pas comme cela. Les progrès les plus importants viennent par exemple des
quartiers 100% énergies renouvelables. Ils suivent une approche combinée et
systémique de ces trois dimensions. Car si je dois être à 100%renouvelable je dois
obligatoirement être efficace et sobre, sinon, c’est impossible économiquement. Les
collectivités territoriales ont un rôle dans cette organisation avec des possibilités
d’action selon leurs prérogatives. Les autorités locales avec le mouvement de
décentralisation doivent pouvoir expérimenter davantage et servie de base à une
plus large dissémination.. Si notre contexte juridico-politique évolue, nous aurons
peut-être plus de chances de développer ces initiatives en France, car pour l’instant
la prime est aux pays décentralisés.
Majdouline Sbaï, Vice-présidente du conseil régional Nord-Pas de Calais
Je vais vous donner quelques éléments de constat sur la région Nord-Pas-de-Calais.
Après la seconde guerre mondiale, la région est l’usine de la France. La ville est
organisée autour d’anciens centres industriels. L’ensemble des communes a été
23
pensé autour de ces usines avec un fort réseau de transport et des conséquences
sur la pollution atmosphérique. La région comporte 50% des friches industrielles de
la France et les plus mauvais indicateurs de santé en conséquence. La
consommation énergétique est importante avec une émission de 30% de gaz à effet
de serre en plus par rapport aux autres régions, et quatre fois moins de notre énergie
est produite par des énergies renouvelables. Dans notre région, 16% de la
population est en précarité énergétique. Elle a alimenté la France en énergie et est
en difficulté aujourd’hui. La balance commerciale est déficitaire et cela est aussi du
aux importations énergétiques.
La région est engagée dans plusieurs actions. Avant 2010, année du Grenelle 2, elle
a élaboré un schéma régional d’aménagement et de développement des territoires et
entreprend notamment la lutte contre la périurbanisation. La rénovation urbaine est
aussi un fort engagement avec 360 millions d’euros pour renouveler le parc de
logements sociaux et une appropriation par les habitants. Nous avons la volonté de
traiter cette question de la précarité énergétique. Enfin, des actions contre les
inégalités sociales et environnementales ont été initiées par les citoyens. Par
exemple, l’association Virage Énergie Nord-Pas-de-Calais vise à s’approprier le
scénario négawatt et à réduire les émissions de gaz à effet de serre par un facteur 4.
Dans le passé, nous avons été une région exemple de ce qu’il ne faut pas faire en
matière de développement durable. La région comporte des villes champignons
aménagées autour des industries.
Comment relever le défi énergétique ? Le schéma régional du climat, de l’air et de
l’énergie a été adopté récemment. Il porte des objectifs ambitieux à savoir une
réduction de 20% de la consommation d’énergie, une réduction de 20% des gaz à
effets de serre et une multiplication par 4 de l’efficacité énergétique avec les énergies
renouvelables. Une grande démarche de concertation avait été lancée en 2011 avec
l’ensemble des acteurs de la région pour changer le modèle de consommation
régionale. Il s’agit de saisir des opportunités comme le musée de Louvre à Lens pour
une réorganisation. C’est aussi les lycées du 3ème millénaire qui intègrent une
dimension sociale et culturelle.
Comment créer des emplois dans le domaine de la transition ? Nous avons adopté le
plan 100 000 logement. Nous travaillons avec Jérémy Rifkin en alliance avec le
monde de l’entreprise pour la mise en place d’un « Masterplan » de la 3ème révolution
industrielle. Les objectifs sont une réduction de60% de la consommation énergétique
dans la région, une division par 4 des gaz à effets de serre, une énergie 100%
énergies renouvelables en 2050. Le « Masterplan » a été publié pendant le World
Forum qui est un événement régional mobilisant, celui-ci portant sur une
consommation raisonnable. Le 20ème siècle était le siècle de la possession et le 21ème
sera le siècle du partage. Nous sommes dans une société qui doit partager et non
concentrer les ressources.
Quels sont les leviers pour une action territoriale ? Nous devons utiliser le rôle des
régions comme chef de file pour la constitution de réseaux d’acteurs. Se posent les
questions des moyens financiers et les questions des ressources des collectivités
territoriales. Le Fonds Européen de Développement Régional est utile pour devenir
des autorités de gestion. Le cadre réglementaire actuel permet des
24
expérimentations. Il y a 53 écoles des consommateurs dans cette région mais nous
pouvons aller plus loin en renforçant le pouvoir d’agir des citoyens.
Toutes les politiques de ville en transition peuvent être un bon levier pour le social. Il
faut repenser l’aménagement d’un territoire pour faire émerger des solutions. Il faut
éviter des fractures en imposant des éco-quartiers mais plutôt promouvoir par
exemple la réhabilitation.
La veille du « Masterplan », des centaines de salariés manifestaient. C’est une
confrontation entre le monde de l’avenir avec la transition énergétique et le monde
du passé avec la manifestation de salariés. Relier ces mondes ne peut se faire
qu’avec la démocratie locale en impliquant les citoyens dans des actions concrètes.
La sobriété, définie par Pierre Rabhi dans l’ouvrage Vers la sobriété heureuse, doit
dépasser l’aspect utile pour créer plutôt une conscience environnementale. Il s’agit
de devenir des acteurs conscients de ce que signifie construire une nouvelle société
pour le Nord Pas de Calais.
Gaël Virlouvet, Administrateur de France Nature Environnement
Je m’appuie sur un avis du CESE voté le 10 septembre dernier sur le financement de
la transition écologique et énergétique. Aborder la transition par la voie de la fiscalité
serait nécessairement la percevoir comme punitive. Il faut donc l’associer avec le
financement de l’avenir. Dans le cadre des négociations Grenelle, nous avons laissé
de côté les aspects financement. Au moment de la conférence environnementale en
2012, dans la table ronde fiscalité, nous n’avons pas parlé de financement.
Que devons-nous financer ? Ce peut être la recherche et le développement, des
infrastructures ou encore la mise en mouvement des acteurs.
Qu’est-ce qui existe ? Il existe des financements affectés, c’est le cas sur les
transports. Ça commence en Ile-de-France puis dans les collectivités en province.
Un versement transport est reçu pour la mise en place de transports urbains de plus
en plus verdis. C’est un cercle vertueux depuis 1985, année pendant laquelle Nantes
réhabilite le tramway puis d’autres villes suivent. Dans les années 2000, les villes ont
pu faire des plans vélos. Il existe un financement d’infrastructures, de plans vélos
mais pas pour les organisations typiquement comme le covoiturage. Il faut un outil
pour financer l’animation d’acteurs.
Sur la R&D, il existe des investissements d’avenir avec environ un quart pour
l’environnement. Il faudrait une seconde phase plus ambitieuse que 2009-2012.
Jean-Marc Ayrault a annoncé en juillet une seconde phase de 9 milliards d’euros
avec aussi des investissements pour l’environnement, même s’ils sont en deçà de ce
que le CESE veut.
Les questions écologiques ont une dimension transversale. Il est possible de faire
une lecture écologique de l’ensemble des financements. Par exemple, la ville de
Bordeaux passe tous les ans son budget au spectre du développement durable avec
un avis pour que le budget soit compatible avec la transition écologique. D’autres
questions demeurent : Pour la BPI, comment faire en sorte que dans la durée les
acteurs représentatifs puissent influer sur ces financements orientés ? Comment
associer des acteurs locaux à ces financements ?
25
Nicolas Garnier, Délégué Général d’Amorce
Le débat sur la transition énergétique a été particulièrement réussi : nous avons
parlé de tout et tout le monde a eu le droit de parler. C’est nouveau car c’est aussi un
enjeu de transition sociétal. Qui doit faire quoi ? Qui sera responsable de quoi ? Qui
peut intervenir ? Tout le monde est favorable à la transition mais pas dans la même
direction. Un élément fait consensus, c’est l’idée que la transition énergétique passe
par les territoires. Cela s’explique parce que l’enjeu de la maitrise de l’énergie et de
la diversification du bouquet énergétique est foncièrement un enjeu territorial.
En 1946, un système d’énergie a été construit et il a rempli sa mission à savoir
donner de l’énergie aux Français. La donne a changé car il y a peu d’énergie, elle est
chère et elle a des impacts environnementaux. A la différence du débat de 2005,
nous pouvons parler d’énergie dans les territoires. Le débat a mobilisé plus de
170 000 personnes et a produit 30 propositions. Cela démontre que tout le monde a
son mot à dire.
Qu’est-ce que nous attendons du débat ? Sommes-nous capables de construire un
modèle dans lequel chaque échelon territorial a sa place ? Comment planifier
l’énergie ? Nous devons développer notre capacité à la co-construction avec les
acteurs économiques et les territoires, et ce de manière prescriptive. A un deuxième
niveau, il existe un Plan Climat Énergie Territorial. Le problème est qu’il y a un
éparpillement des PCET. Par exemple, Nice a son PCET, la métropole aussi, de
même que le département et la région donc l’aéroport Nice Côte d’Azur est dans 4
PCET. Il faut reconstruire l’idée d’une complémentarité des PCET.
Se pose également la question de la maîtrise de l’énergie. Les collectivités
territoriales doivent réduire la consommation énergétique de leurs bâtiments et
transports mais elles n’ont aucun contrôle pour assurer que ce qui est construit
respecte les prescriptions données.
Un deuxième point sur l’énergie est le guichet de la rénovation thermique avec peutêtre un retour au système de 2005. Cependant, les gens iront davantage voir les
collectivités territoriales pour savoir le montant des aides qu’ils peuvent obtenir. Il faut
construire une forme d’accompagnement financier pour connaître le nombre d’aides
par rapport à la dépense.
Le troisième point pour l’énergie porte sur la distribution. C’est l’un des nœuds
gordiens à la jonction entre l’offre et la demande. Le débat a eu le mérite de
comprendre un jeu d’acteur. L’État a tout intérêt à ce que les ménages consomment
de l’énergie car c’est un actionnaire important d’EDF et il obtient des taxes sur la
consommation d’énergie.
Un autre point essentiel est la capacité des collectivités territoriales à coordonner et à
financer des actions de la transition.
Je souhaite conclure sur un message extrêmement positif aujourd’hui. Depuis
plusieurs semaines, j’ai des candidats de toutes les couleurs politiques qui
demandent quelles dispositions ils peuvent mettre dans leur programme sur les
questions d’énergie. La transition énergétique sera territoriale ou ne sera pas.
26
Questions en salle :
Q1 : Dans les modes d’accompagnement de la transition énergétique, il y a aussi
l’utilisation des gisements d’argent et d’énergie. Ce gisement d’argent peut être
purement privé. Il faudrait en revanche une volonté politique pour inciter cette vertu,
pousser les gens à se faire du bien. Pourquoi les hommes politiques ne prennent-ils
pas cette idée en main pour un facteur performant sur le parc HLM en France ?
Majdouline Sbaï
Cette suggestion est traitée dans le plan logement avec le système de tiers
investisseur via la SEM. Cela permet aux partenaires privés de se mobiliser. Ce
dispositif est inclus dans le plan 100 000 logement et dans le PNRQAD (Programme
national de rénovation des quartiers anciens).
Dans les programmes de rénovation urbaine, nous avons observé qu’en absence
d’accompagnement, ce gain de réduction de la consommation pouvait être perdu par
les usages. Le travail avec les habitants est donc vraiment essentiel.
Gaël Virlouvet
Est-ce qu’à travers les économies d’énergies nous pouvons financer les économies
d’énergie ? Nous n’arrivons pas bien à avancer sur cette question. Y a-t-il un réel
retour d’économies financières ? Aujourd’hui, ce n’est pas net du tout. Le ratio entre
coût d’isolation d’un bâtiment et rendement ne donne pas un résultat si positif. Cela
ne donne pas envie de s’engager. Avons-nous des outils ? Il existe tout une
population intéressée mais qui ne dispose pas d’argent pour investir. Aujourd’hui, le
tiers investissement est balbutiant. Il n’y a pas encore un effet d’échelle très
enthousiasmant. Avons-nous d’autres systèmes de financement ? Il y a le certificat
d’économies d’énergie. C’est un système assez obscur qui vient après la décision de
travaux. Il faut sans doute améliorer le CEE pour une plus grande transparence et
une meilleure gouvernance.
Gérard Magnin
Lorsque la banque KfW en Allemagne est chargée par le gouvernement de financer
la rénovation des bâtiments, elle peut accorder des prêtes jusqu’à 15 ans. C’est une
échelle de temps qui permet d’arriver à quelque chose qui se tient. Il faut donc
prendre en compte la question de la durée dans les remboursements si on veut
rénover de façon approfondie.
Il existe aussi des schémas qui sont des partenariats public-public. En Allemagne,
cela s’appelle l’intracting. Il s’agit pour un organisme public qui a des bâtiments et
équipements à gérer de dégager un fond initial en interne, qui devient un fonds
revolving. Le tiers investisseur est ainsi la collectivité territoriale. En
accompagnement de la Convention des maires, le programme ELENA (European
Local Energy Assistance) fournit une assistance technique aux collectivités
territoriales pour préparer des projets d’investissements bancables.
Q2 : A Sevran, un débat territorial a été organisé avec la région Ile-de-France. Après
discussion avec les citoyens, la conclusion est qu’il existe une volonté
d’expérimenter. Pourrons-nous voir ce droit d’expérimentation transcrit dans le projet
27
de loi ? Est-ce que cela peut apparaitre à l’échelon local et notamment pour le Grand
Paris ?
Nicolas Garnier
Ce droit à l’expérimentation est également apparu à plusieurs reprises dans le débat
national. De nombreuses choses peuvent être faites sans changer le droit.
L’expérimentation a du sens pour les grandes mesures. Par exemple pour la
distribution d’énergie, l’idée est de créer un schéma directeur de l’approvisionnement
énergétique. La logique d’une collectivité territoriale qui porte l’urbanisme et l’habitat
est de coordonner ces réseaux : chaleur, gaz, électricité selon le secteur. Cette idée
ne pourrait peut-être passer que par l’expérimentation.
Les seules actions que peut faire la loi sont interdire, dissuader, permettre, inciter, et
obliger. Je crains qu’au nom de l’expérimentation, nous ne mettions rien dans la loi.
Q3 : Je voulais proposer une vision cible et non une vision transition, c’est-à-dire ce
qui est souhaitable pour les financements. Il faut sortir de l’enfermement
monomaniaque du PIB. Pour prendre l’exemple de la rénovation thermique, on crée
de nouvelles richesses. Il est important de monétiser les bénéfices associés. Il faut la
possibilité d’avoir un financement sociétal et économique, il faut imaginer des
conditionnalités dans les contrats et trouver des acheteurs. L’objectif est de dire que
nous sommes tous responsables de la pollution donc nous devons accepter de
compenser. Depuis 15 jours, il existe un mécanisme officiel, un mécanisme
participatif. Les transporteurs aériens ont refusé de rentrer dans le système de
compensation et veulent entrer en discussion directement avec les industriels. Il faut
monétiser l’ensemble des avantages et c’est une décision politique.
Gaël Virlouvet,
Nous avons besoin d’une construction des indicateurs et d’une transmission de
l’information jusqu’au décideur. Le décideur prend-t-il en compte ces indicateurs ou
pas ? L’obliger à les prendre en compte est complexe, nous devons l’y inciter.
L’important est que la décision puisse exister avec ces indicateurs. Il faut une prise
en compte des critères sociaux, en plus des critères économiques.
Gérard Magnin
Parmi les 30 Propositions d’Energy Cities pour la transition énergétique des
territoires (http://www.energy-cities.eu/IMG/pdf/CahierPropositions_A4_fr.pdf), il y a
une intitulée Garder l’argent à la maison’. Sur un territoire de 100 000 habitants, il se
dépense annuellement, sans les carburants, 100 millions d’euros pour l’’énergie. Où
vont les euros ? Globalement, ils vont dans un circuit économique national et
mondial. Il faut se fixer des objectifs à moyen et à long termes pour conserver une
part plus importante de ces flux économiques localement. Il faut considérer les
bénéfices collatéraux des actions de transition énergétique, sur l’emploi, la précarité,
les taxes locales, etc. Lorsque nous interrogeons les maires de villes les plus
avancées en Europe sur les énergies renouvelables par exemples, ils - expliquent
volontiers leur politique par le fait qu’ils veulent garder à la maison - c’est-à-dire sur
leur territoire - qui se dépense pour l’énergie.
28
Q4 : Nous avons parlé de sobriété sans parler du gaspillage alimentaire. Aujourd’hui
30% des produits alimentaires partent directement à la poubelle. Il y a un effet
pervers de la loi : nous donnons à nos enfants des choses qui ne sont pas bonnes
pour les cochons selon la législation.
Sur le financement, la vraie difficulté est que lorsqu’une fiscalité vient sur une activité,
cela se répercute sur le prix de vente or nous sommes sur un marché international.
Comment faire pour que les produits importés supportent la même taxation ?
Q5 : On a parlé des différentes compétences des collectivités territoriales pour faire
le lien avec la technique et avec le citoyen. Quelle serait une répartition des rôles
idéale avec les différents échelons territoriaux et quelle est de facto cette répartition ?
Q6 : Le rôle des collectivités territoriales dans le financement est central. Mais elles
manquent des ressources. Il faut plutôt parler d’organisation. Il y a quelques années,
il y avait un souci de faire des portefeuilles d’action pour la transition. Chaque
territoire a sa compétence et parfois ces compétences ne sont pas convergentes. Il
faut donc davantage parler d’ingénierie de projet. C’est un marché colossal, il faut
mettre en place une maitrise d’ouvrage adapté.
Nicolas Garnier
12% des produits ne sont même pas ouverts. Il faudrait se poser la question des
associations caritatives : un sandwich ne peut plus être donné au bout d’un certain
temps. Une loi du bon samaritain est en préparation pour dédouaner les
supermarchés qui donnent aliments à ces associations.
Majdouline Sbaï
Nous avons une politique d’alimentation responsable dans notre région. Elle fait
partie d’un programme européen Green Cook qui lutte contre le gaspillage
alimentaire. 400 000 personnes sont inscrites à l’aide alimentaire. Quelle sortie
durable de la précarité alimentaire ? Comment optimiser l’aide ?
Sur l’organisation des collectivités territoriales, nous sommes confrontés à un
problème de changement de société et donc un changement de modèle des
politiques publiques est à penser. Il est important de réfléchir aux méthodes
d’animation, de co-construction.
La question des ressources doit être repensée à l’échelle d’un territoire. Une des
principales ressources est la ressource humaine : il est important de prendre en
compte la gratification reçue via les liens humains créés.
Gaël Virlouvet
Sur le gaspillage alimentaire, la FNSEA et la FNE sont mobilisés ensemble. Un
Pacte national est lancé sur le sujet.
Sur les questions de compétitivité de mondialisation, le constat du CESE c’est que
financer la transition est un effort, surtout avec une faible croissance sans
perspective de forte amélioration dans la dizaine. Sur le territoire, il y a des fuites sur
les questions de compétitivité. Les autres éléments pour la compétitivité sont
l’emploi, le pouvoir d’achat ou encore la protection sociale.
29
Sur les compétences des collectivités territoriales, pour l’énergie, c’est le bazar. Il y a
besoin de clarifier les choses, notamment en matière d’animation du territoire pour
emmener les acteurs dans la transition.
Gérard Magnin
Sur la question de la subsidiarité, soit on découpe a priori des responsabilités que
l’on affecte ensuite à chaque niveau soit on fonctionne par multi-niveaux, sur la base
d’un objectif commun à atteindre. Je préfère la seconde possibilité car l’énergie est
une question universelle. Elle touche chacun au niveau personnel ou encore au
niveau professionnel, et chaque niveau de décision du plus local au plus global.
Chaque personne qui agit peut voir les résultats. Depuis que le Paquet énergie
climat a été adopté par l’Union Européenne en 2008, plus de 5000 maires se sont
engagés à agir sur leur territoire sur les mêmes objectifs, dits les 3x20. Qui peut
croire par exemple que le déficit extérieur énergétique européen est seulement une
affaire d’État ? C’est une action multi-niveaux obligatoirement. Se pose la question
de l’approche de la subsidiarité qui doit marcher pour un monde en mouvement et
non pour un monde statique qui est révolu.
Conclusions
Daniel Boy, Directeur de recherche au Centre de recherches politiques
de Sciences Po (CEVIPOF)
Pour conclure, j’ai trois points :
• Je souhaite revenir sur le terme de sobriété comme fil vert de cette journée.
C’est un terme qui m’intrigue. Il a une résonnance assez forte. J’ai entendu un
représentant d’EELV récemment dire qu’il n’était pas pour une écologie
punitive. Ce serait intéressant de consulter les gens sur ce qu’ils associent à
ce terme. Ce terme évoque la contrainte, la frustration, l’austérité, la prudence
et la tempérance. Il ne faut pas considérer le terme sobriété de façon
isolée et isoler de l’autre côté l’efficacité. Il faut construire ce couple et de
nombreux intervenants nous ont aidés à construire ce couple. Il n’y a pas
d’efficacité des dispositifs sans des comportements conformes. Des réponses
comportementales non attendues par les techniciens ont été observées sur
les logements. Il n’y a pas de réponse ou une réponse imparfaite. C’est
toujours la même erreur répétée avec une technologie faite d’en haut non
appliquée par les gens car ils ne la comprennent pas. Pour fabriquer
l’économie du partage, il faut la technologie à l’inverse, notamment les TIC
[Technologies de l’Information et de la Communication NDLR]. Le vrai fil de
compréhension est ce couple efficacité-sobriété.
• Il faut considérer une logique de haut et de bas. La notion de démocratie a
traversé de nombreuses interventions. La vraie énigme de la démocratie est
finalement de savoir pourquoi les promoteurs de sciences et techniques ne
comprennent pas et continuent à penser que c’est un frein technique. Cette
tentation de sauter la phase démocratique pour aller plus vite est une chose
qui ne fonctionne plus dans nos sociétés réflexives. La démocratie n’est pas
30
un frein mais la condition de l’efficacité de la technique. C’est parce qu’il y
a une étape de consultation voire une co-construction que la technique
fonctionnera. Nous aurons beaucoup appris en convainquant les promoteurs
de sciences et techniques.
• Il y a une énigme dans le débat, c’est l’idée que cela ne marche pas en haut
mais cela marche dans les territoires. Les territoires sont introduits dans ce
débat mais ils étaient quasi-absents du Grenelle. La vraie novation est là, ce
n’est pas une contrainte, c’est la condition de la réussite. La notion de
territoires s’organise via trois points :
o Il est possible de distinguer national et local mais il ne faut pas oublier
qu’il y a un local du local. Il y a aussi des agglomérations qui décident
et des campagnes délaissées. Les travaux de Christophe Guilluy sur
les Fractures françaises montrent cette fracture avec les campagnes.
Christophe Guilluy dit que même en province, il y a un local du local. Il
y a une différence entre ce qui est dans l’agglomération et ce qui est en
dehors. Il y a des territoires délaissés.
o Une des raisons me semble-t-il qui fait que cela fonctionne mieux au
local qu’au national, c’est que la société réelle est plus facile à
construire au niveau local. Au local, quand on connait son territoire,
c’est relativement plus facile à construire. Au national, on doit construire
des artefacts, c’est-à-dire des choses dont la légitimité est incertaine et
dont le fonctionnement est compliqué.
o En discutant avec des environnementalistes convaincus, ils disent que
même si cela avance au local, se pose la question de l’évaluation en
ordre de grandeur de l’évolution au niveau local. L’ordre de grandeur
est essentiel pour estimer ce que cela implique pour la France et pour
l’Europe. C’est passionnant de comprendre pourquoi mais nous avons
envie de savoir les ordres de grandeur pour savoir si nous sommes
dans la cible des transformations que nous attendons. Je plaide pour
de la recherche économique sur le développement. Une fois descendu
au local, une remontée en généralité est nécessaire.
Laurence Tubiana, Directrice de la Chaire Développement durable, de
l’Iddri, et facilitatrice du débat national sur la transition énergétique
Cette conférence a rassemblé nombre d’intervenants très divers et mobilisés sur ce
qu’ils ont vécu.
• En écoutant aujourd’hui, je me suis dit que ce qui est novateur dans ce débat
sur la transition énergétique, c’est que nous sommes partis de la demande,
nous avons regardé le long terme et c’est une question que nous ne pouvons
penser par les grands systèmes. Nous avons mis du désordre dans cette
discussion. Cela a créé une inquiétude. Certains se sont demandé si les
échelons territoriaux disent des choses différentes qu’au niveau national. La
réponse est oui. La remontée en généralité se fera par le projet de loi. les
différences ne sont pas nécessairement spécifiques à chaque territoire, la
31
France est un territoire industriel en crise. Un moment de cristallisation sera
le projet de loi de programmation énergétique. Il n’existe pas un modèle
mais des modèles pour la mobilisation des énergies. Il y a un foisonnement de
l’histoire. Nous avons besoin d’aller au-delà maintenant que nous nous
écoutons les uns et les autres. Il existe un foisonnement de l’histoire pour
cette diversité.
• Nous avons besoin de connaissances, besoin de documentation, de réflexion.
Nous avons besoin d’un débat réflexif sur la sobriété au lieu de s’opposer sur
le caractère moraliste. Nous avons besoin de connaître le coût et les apports
de ces discussions. Nous avons besoin de passer des narrations à l’analyse
des mécanismes de changement. Un deuxième grand enjeu est donc un
enjeu de connaissance.
• Le troisième enjeu est un enjeu d’action. Nous avons parlé en creux et en
plein de ce que devait faire l’État pour permettre l’action. Avec l’État et les
collectivités territoriales, par un questionnement sur les intérêts des uns et des
autres, il y a une difficulté à construire un cadre national pour permettre les
actions avec des arbitrages. C’est un enjeu d’action dans un État qui doit
continuer à se réformer, d’où la notion vague d’expérimentation. Quels sont
les obstacles localement ? C’est un droit pour l’État de chercher à se réformer
et de permettre en même temps cette notion d’expérimentation. C’est un droit
de l’administration centrale de ne pas dire qu’il n’existe qu’un seul modèle et
qu’en dehors de ce modèle, c’est grave. C’est davantage cela
l’expérimentation qu’une généralisation au pays entier. Il faut trouver un
équilibre entre l’accompagnement public et un nécessaire investissement
privé. Cette originalité du débat va rester la dynamique du projet de loi entre
donner
un
cap
et
un
catalogue
de
bonnes
intentions.
Dans la convention internationale sur la biodiversité, les peuples indigènes se font
entendre comme des acteurs globaux de la biodiversité. Au nom de quelque chose
de global ils existent localement. C’est ce que font les villes pour la lutte contre le
changement climatique. Les villes le font par rapport à une cause globale, une
compréhension du système.
Pour clore cette journée, la Chaire Développement durable de Sciences Po tient à
remercier tous les partenaires qui lui ont permis d’organiser ces fructueux échanges
aujourd’hui.
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