pied de nez aux «professionnels» de l’art: « Ça
fait deux mille ans que des types avec des gros-
ses têtes se battent comme des chiffonniers
pour savoir ce que c’est que l’art, ce qui en est,
ce qui n’en est pas, et moi, Hervé Di Rosa, le
dernier des vulgaires, j’arrive et je dis: “L’art
c’est ça! Et l’art modeste, c’est ça!”8»
Comment ne pas souligner ce à quoi croit
profondément Di Rosa, à savoir la force de
communication de l’art? Si cette force est
occultée, si les sensations, les émotions sont
reléguées, à quoi servirait-il dès lors de l’expo-
ser? commente-t-il. La question immédiate
étant: avec qui communiquer? un public de
«connaisseurs»? ou celui, large, vaste et diver-
sifié, du plus grand nombre? Affirmant claire-
ment la dimension politique que doit signifier
l’art, Di Rosa ajoute: «Le musée [le Miam] a une
dimension politique parce qu’il parle de la vie
des gens, de leur vie quotidienne, de leurs
comportements, de leurs affects de base […].
Qu’en plus, on parle du peuple; dans populaire,
il y a peuple9.»
L’affirmation de la dimension politique de l’art,
exprimée ou sous-jacente chez les auteurs cités,
renvoie donc à la notion de culture populaire et
redonne sa place à l’art au cœur de la vie quoti-
dienne. Ainsi que le rappelait Paul Bourcier10,
les luttes des pouvoirs politique et religieux en
Europe contre les cultures paysannes ont
instauré la séparation entre formes populaires
et formes savantes en sonnant la disqualifica-
tion de la création et de la participation collec-
tives, de la transmission orale, pour ériger la
scène, le spectacle et la création savante. Même
si, avec l’entrée dans la modernité des années
1920, l’académisme est remis en cause, la
distinction se rejoue systématiquement dans bien des
courants artistiques. Ainsi cet exemple venus du monde
du jazz et de musiciens comme Duke Ellington, Sidney
Bechet ou Dizzie Gillepsie: « Dans la première moitié du
siècle, les musiciens de jazz avaient la danse en eux lors-
qu’ils jouaient, et les danseurs de jazz avaient la musique
en eux, ou alors il n’y avait pas de jazz […]. La musique
jazz a été inventée pour faire danser les gens.Aussi, lorsque
vous jouez du jazz et que le public ne ressent pas l’envie
de danser ou de bouger les pieds, vous vous éloignez de
l’idée de musique […]. Vous avez envie de danser lorsque
vous écoutez notre musique parce qu’elle vous transmet
la sensation du rythme […]. Les danseurs étaient d’un grand
secours pour les musiciens, parce qu’on pensait de la même
façon […]. On peut dire que nous composions pendant
qu’ils dansaient […]. C’est là que nous inventions les
nouveautés, et nous les enregistrions le jour suivant11.»
Ulf Poschardt12 rappelle la même chose en parlant du goût
perdu de la danse dans le mouvement hippie, le folk rock
et le rock, que seuls les Noirs et les artistes funk conser-
veront, avec, dans la foulée, les block parties introduites par
les DJ’s jamaïcains dans les quartiers populaires de la côte
est américaine, innovations de la piste de danse liées à des
fêtes populaires, publiques, semi-légales, et mêlant les
musiques soul, funk et latinos.
La culture populaire afro-américaine conserve l’ensemble
de ces caractéristiques, musiques et danses noires s’ap-
puient sur le quotidien et le reflètent. «La danse jazz fit
plus que n’importe quelle autre forme d’art pour faire
découvrir le Noir américain au monde d’après-guerre […].
Français et Européens découvrirent en eux la même affi-
nité avec cette musique et ces danses qui renvoyaient à ce
qui est de l’ordre de la vie, des émotions premières : un
corps dansant libératoire, jubilatoire13.»
C’est dans cette filiation que s’inscrivent la danse de rue et
le hip hop, répondant d’une part à cet ensemble de carac-
téristiques de la culture populaire, à savoir l’échange, la
réciprocité, la solidarité du groupe, mais
aussi la préservation de l’individualité; d’au-
tre part initiant un style rappelant le mode
d’être et de paraître des «zazous14» unissant
musiques, danses, costumes et coiffures.
❚8Hervé Di Rosa, L’Exposition inaugurale du Musée international d’art modeste,
catalogue, Sète, 2000, p. 15.
❚9Ibid., p. 17.
❚10 Paul Bourcier, Histoire de la danse, Paris, Le Seuil, 1994.
❚11 Éliane Seguin, Histoire de la danse jazz, op. cit., p. 123.
❚12 Ulf Poschardt, DJ culture, 1995, édition Kargo, traduction française 2002,
p. 96.
❚13 Éliane Seguin, op. cit., p. 125.
❚14 Pendant l’Occupation, les zazous exprimèrent leur non-conformisme et
leur opposition au régime en organisant des concours de danse qui les oppo-
saient parfois aux soldats allemands (source : www.wikipedia.org).
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