Cheminement théorique
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la position selon laquelle une problématique socio-environnementale se construit, se définit et se
négocie en fonction des acteurs impliqués (Hannigan, 1995). Il s’agit alors d’aller vers un
conservatisme alternatif : un projet qui ne fasse violence ni au passé de l’humanité ni à l’inscription
de celle-ci dans la nature. Car l’insaisissable et pourtant existante nature humaine est tissée de
nature et d’histoire.
Sur un territoire, un projet de gestion ne peut fonctionner que si les acteurs du territoire se
l’approprient. Par exemple, la préconisation de bonnes pratiques, considérées comme légitimes au
niveau réglementaire et institutionnel, peut être rejetée a priori par les acteurs du territoire si
ceux-ci les considèrent illégitimes. Une démarche participative peut constituer un bon moyen
d’appropriation et de légitimation d’un projet territorial au niveau local. On sait que la conservation
concerne en France 1% du territoire, et pourtant, que d’histoires autour de ces zones, que de
litiges entre acteurs. Il s’agirait alors de considérer la valeur humaine d’un territoire au sein des
politiques environnementales ; autrement dit, humaniser la conservation de la nature et intégrer
les acteurs faibles aux projets environnementaux.
Nous définissons les acteurs faibles comme ceux qui ne disposent pas des meilleurs atouts dans la
négociation (charisme, pouvoir, relations…) pour imposer leur choix, leur valeur morale et défendre
leurs intérêts (Sébastien & Paran, 2004). Leur présence à la table des négociations dans une
démarche participative conduit à se poser deux questions : (1) comment éviter les recours (même
non délibérés) à la loi du plus fort pour prendre les décisions? Et (2) comment éviter les
phénomènes qui freinent le processus de décision? (Villeneuve & Huybens, 2002). Ces deux
questions n’ont bien évidemment pas la même portée dans des processus à décideur unique,
comme la consultation qui n’implique pas de négociation, ou comme la concertation qui implique
une négociation limitée. Seule la démarche participative se traduit par une implication positive des
acteurs dans la durée tout au long de l’élaboration d’un projet commun, dont ils ont eux mêmes la
responsabilité (Agence de l’eau RMC, 2002). Si l’approche participative fait actuellement l’objet de
nombreuses réflexions théoriques (Roche, 2002 ; Fiorino, 1996), les réalisations pratiques restent
peu nombreuses et les expériences comme les SAGE ou les Agenda 21 locaux progressent
lentement. Cette analyse nous conduit à poser l’hypothèse suivante : certaines pratiques
conservationnistes engendrent des conflits sociaux.
2. Quand la gouvernance s’attèle aux problématiques environnementales
2.1. L’environnement en manque de statut
a. la nature, capital anthropique
L’environnement représente « un bien ou service pour lequel les droits de propriété ne sont pas
définis » (Brodhag & Husseini, 2000). Pourtant, la définition des droits de propriété détermine la
manière dont les ressources seront exploitées (Stevenson, 1991). On distingue trois régimes de
propriété différents (Bromley, 1991 ; Ostrom, 1990) : (1) le régime de la propriété privée, où un
agent économique a un contrôle absolu sur la ressource, droit d’usus, de fructus et d’abusus, (2) le
régime de propriété publique, où l’Etat a le contrôle absolu sur la ressource et définit les conditions
d’usage de celle-ci et (3) le régime de propriété commune, où un ensemble d’individus engagés
contractuellement a le contrôle absolu sur la ressource et peut nommer un arbitre extérieur qui
fasse respecter le contrat.
Figure 17 : Environnement, la tragédie des biens communs ?
On a longtemps considéré les ressources naturelles comme intarissables, qui ne faisaient ni l’objet
d’une quelconque rivalité, ni d’une exclusivité…ni d’un quelconque intérêt pour la recherche. Un
idéal (pour certains) qui s’assombrit quand sa confrontation au réel révèle une « tragédie des biens