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LeTemps.ch | Révolution télévisuelle. L'avis de l'expert. Loi radio-TV: le pouvoir de l'image est le même à heure fixe ou à la demande
24.10.12 15:02
Opinions Jeudi27 avril 2006
Loi radio-TV: le pouvoir de l'image est le
même à heure fixe ou à la demande
Par Nicolas Capt, juriste, spécialiste du droit des médias et des nouvelles technologies
La future loi sur la radio et la télévision, en ne prenant pas en
compte l'essor de la TV à la demande sous toutes ses formes et en
restant ancrée dans la notion bientôt obsolète de la grille des
programmes, est dominée par l'insécurité juridique.
Après plusieurs années d'atermoiements, la nouvelle loi fédérale sur la radio et la télévision (LRTV)
vient d'être publiée à la Feuille fédérale avec un délai référendaire au 13 juillet prochain. Dans le
contexte médiatique actuel se pose la question de la régulation efficace de la vidéo à la demande. Loin
de ne constituer qu'un gadget branché de plus pour technophiles avertis, cette dernière préfigure tout
simplement la télévision de demain. L'immense majorité des acteurs du marché des médias
électroniques s'accorde en effet à dire que la traditionnelle grille des programmes, immuable repère
collectif, est en passe de rejoindre le musée.
Ce qui pourrait n'apparaître que comme un nouveau mode de consommation offert au public («snack
tv») remet en fait en cause, de par une redéfinition totale des codes qui lui sont propres, la notion
même de télévision. La révolution tient ainsi tant aux plates-formes - un nombre croissant de
terminaux permettent d'accéder à des services de vidéo à la demande - qu'aux contenus proposés.
Ces derniers, spécialement formatés pour une diffusion sur très petit écran et pour une
consommation nomade, ne sont pas de simples redites de contenus élaborés pour la télévision
classique, mais bien des émissions propres.
Et c'est là où le bât blesse. Solidement ancrée sur la notion de programme et excluant de son champ
d'application toutes diffusions dont le moment ne serait pas fixé unilatéralement par le diffuseur, la
future loi consacre un système dominé par l'insécurité juridique. Par définition, les vidéos à la
demande n'y seront pas soumises. Cette situation est problématique à plusieurs égards. En premier
lieu, les contenus offerts sur demande seront soustraits au contrôle de l'Autorité indépendante
d'examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP), ce qui ouvre la porte à des dérapages sur
le plan de la libre formation de l'opinion.
L'AIEP a en effet pour mission d'examiner, sur plainte, la compatibilité d'une émission avec le droit des
programmes. Elle veille ainsi à ce que les émissions respectent les principes fondamentaux que sont
la présentation fidèle des événements, le reflet équitable de la pluralité des opinions, l'interdiction de
l'apologie et de la banalisation de la violence ou encore le principe de séparation distincte de la
publicité des autres parties du programme. Au regard de la loi, rien n'oblige les diffuseurs de vidéos à
la demande à les respecter.
Que le Conseil fédéral rappelle, drapé de bonne conscience, que de tels contenus ne se trouveront pas
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dans une zone de non-droit et que les dispositions civiles et pénales pertinentes s'appliqueront n'y
change rien. Le bien juridique protégé par la LRTV, la libre formation de l'opinion, n'est pas le même
que dans les dispositions juridiques applicables en matière civile et pénale. Quant aux esprits
libertaires, ils ne manqueront pas de s'engouffrer dans la brèche pour prêcher un abandon complet de
ce régime dans lequel ils ne voient qu'un héritage soviétique.
La situation est à l'évidence plus complexe. L'image possède un pouvoir de suggestion et d'évidence à
nul autre pareil. Un récit filmé possède ainsi une charge émotionnelle plus grande que son équivalent
écrit. L'image sait choquer. Et manipuler aussi. Chacun a en mémoire les images mensongères des
charniers de Timisoara à la chute du régime Ceausescu. Le pouvoir de l'image est le fondement du
régime actuel de l'audiovisuel. Il ne convient pas d'adopter des règles différentes pour la vidéo à la
demande. En effet, peu importe la manière dont l'image est transmise. Dès lors qu'image animée il y
a, protection du public il doit y avoir également.
Bien entendu, il ne s'agit pas de ruiner les timides efforts entrepris en matière d'éducation aux
médias, encouragés par le Conseil de l'Europe. Il s'agit simplement de garantir un principe fondateur
de notre société démocratique: la transparence. Peut-on admettre qu'un journal télévisé disponible à
la demande puisse se faire systématiquement le porte-parole d'un parti politique sans que cette
inclination ne soit clairement assumée en tant que journalisme engagé? Et que dire de ces blogs qui
présentent des vidéos d'une violence innommable et qui la banalisent? Visités par des millions de
personnes, ils n'ont plus rien d'un journal intime ou d'une communication interpersonnelle.
Il ne s'agit toutefois pas de tomber dans l'excès inverse en bridant inutilement les médias
électroniques par une surréglementation liberticide mais simplement, égalité oblige, de soumettre les
nouvelles formes de diffusion au régime des médias électroniques classiques. L'égalité de traitement
impose en effet que des choses semblables soient traitées de manière semblable.
Avec un champ d'application étroit qui ne régule que la télévision au sens classique du terme, la
Suisse se dote d'une loi contraire au projet de révision de la directive européenne sur la télévision sans
frontières. La convergence, figure de proue de la révision LRTV, semble définitivement oubliée. En
effet, on peine à comprendre en quoi l'effet sur le téléspectateur serait moindre si ce dernier visionne
un contenu sur demande. Le critère de distinction étant de nature essentiellement technique, il va à
l'encontre du principe de neutralité technologique.
La situation est également préoccupante s'agissant de la publicité. A une période où la régulation du
placement de produit suscite une grande controverse, une déréglementation sans cautèles ne laisse
pas d'étonner. D'autant que la traçabilité de l'information, devenue difficile en raison de la
multiplication des intermédiaires, ajoute à la confusion ambiante. Le consommateur n'est souvent plus
en mesure d'établir quel a été le cheminement de l'information qui lui est transmise.
Est-on ainsi prêt à accepter qu'un magazine d'information, d'apparence sérieuse, soit en fait une
émission publicitaire ou qu'un diffuseur propose des contenus financés par de puissants
commanditaires sans que le principe de transparence ne soit respecté? Le problème est d'autant plus
aigu que ces nouveaux modes d'accès à l'information et au divertissement visent en premier lieu les
jeunes, peu aguerris à déceler ces sourdes manœuvres commerciales et que les sommes investies par
les nouveaux entrants sur le marché - généralement des opérateurs téléphoniques - sont tout
simplement colossales. Le groupe Vodafone dispose ainsi d'une puissance financière soixante fois
plus importante que le groupe TF1.
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D'aucuns remettent leurs espoirs dans l'autorégulation mais force est de constater, qu'en la matière, la
raison économique est souvent la meilleure. Le développement fulgurant de l'offre de vidéos à la
demande s'explique aussi par l'absence d'une réglementation contraignante à l'égard des nouveaux
entrants, ce qui est propre à leur ouvrir des perspectives commerciales sans commune mesure avec
les projections prudentes que peuvent s'autoriser les opérateurs audiovisuels historiques. Sur le plan
de la concurrence, c'est loin d'être sans risque.
© 2012 Le Temps SA
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