Promotion 2013
Année 3
Période 1
PHY551A
Optique quantique 1 : Lasers
Édition 2013
Réimpression 2015
Alain Aspect, Claude Fabre, Gilbert Grynberg
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Tome I
Avant-Propos
La découverte des lasers, en 1960 a complètement renouvelé l’optique. Au niveau fon-
damental, comme dans le domaine des applications, des possibilités radicalement nouvelles
ont été offertes au physicien et à l’ingénieur, par la directivité, la monochromaticité, la
puissance de la lumière laser. Certaines applications, comme les télécommunications par
fibre optique, présentent des enjeux économiques considérables. Des progrès récents en re-
cherche fondamentale, comme le refroidissement d’atomes par laser, ou le développement
des « peignes optiques de fréquences », offrent des perspectives remarquables d’amélio-
ration des horloges atomiques, dont la précision et l’exactitude pourraient dépasser les
1015, soit une seconde d’incertitude en trente millions d’années, permettant alors une
augmentation spectaculaire de la précision de la localisation par satellite, un meilleur
contrôle des flux de données, ou de nouveaux tests de la relativité générale. Ce cours a
pour but de présenter les notions de base de la partie de l’optique quantique, consacrée
aux lasers et à leurs applications. Notre premier objectif est de présenter une théorie des
lasers simple mais puissante et générale. Elle donne une compréhension unifiée applicable
à la grande variété des lasers dont nous disposons aujourd’hui, et sans doute à ceux qui
ne manqueront pas d’apparaître dans le futur. Nous essaierons ensuite de dégager les pro-
priétés spécifiques de la lumière laser qui la rendent apte à des applications inconcevables
avec les sources traditionnelles.
Pour comprendre le principe des lasers, nous devrons d’abord étudier l’interaction
lumière-matière, dont l’exemple le plus simple est l’interaction atome-rayonnement. Les
processus en jeu ne peuvent se décrire que dans le cadre quantique, et nous utiliserons donc
les connaissances acquises dans le tronc commun, que nous complèterons par l’étude des
transitions d’un système quantique entre deux états, ou entre un état discret et un conti-
nuum (chapitre 1). En fait, on utilise la mécanique quantique pour traiter les atomes,
mais on décrit la lumière laser comme un champ électromagnétique classique. Cette théorie
« semi-classique » de l’interaction atome-rayonnement, universellement utilisée en phy-
sique des lasers, permet de rendre compte de façon quantitative d’un très grand nombre
de phénomènes, tout en donnant des images simples et fécondes. Elle permet aussi de
décrire en détail l’amplification de lumière par émission stimulée, à la base de tous les
lasers (chapitre 2). On peut se demander pourquoi ne pas utiliser une théorie complète-
ment quantique où la lumière aussi est quantifiée. On peut en fait montrer, en utilisant
une telle théorie1, que la description d’un faisceau laser par une onde électromagnétique
1Voir le cours « Optique Quantique 2 » de la majeure de physique 2.
4AVANT-PROPOS
classique est particulièrement judicieuse et commode, notamment pour rendre compte des
propriétés de cohérence.
Armés de ce modèle de l’interaction matière-rayonnement, nous pourrons donner une
description générale du fonctionnement des lasers, et de quelques propriétés essentielles,
qui seront présentées sur des exemples représentatifs de divers types de lasers très répandus
(chapitre 3).
Dans les chapitres 4 et 5, nous approfondirons l’étude du fonctionnement des lasers,
soit en régime stationnaire, soit au contraire en régime transitoire. Nous verrons ainsi
apparaître des comportements caractéristiques de deux grandes catégories de laser : les
lasers continus d’une part, pouvant être ultra-stables, et souvent de faible puissance; les
lasers en impulsion d’autre part, qui permettent de délivrer en des temps incroyablement
brefs (jusqu’à 1015 s, c’est-à-dire une femtoseconde, et même moins puisqu’on a atteint
en 2004 l’échelle des attosecondes, 1018 s) des énergies correspondant à des puissances
crêtes qui se comptent en milliers voire en millions de gigawatts. Pour décrire ces différents
régimes, nous partirons d’équations apparemment très simples, mais qui comportent des
termes non-linéaires, à l’origine d’une très grande variété de phénomènes importants :
compétition entre modes, impulsions de relaxation, déclenchement passif par absorbant
saturable... L’intérêt de ces phénomènes va bien au-delà de la physique des lasers, car on ne
saurait surestimer l’importance des effets non-linéaires dans la physique moderne, et plus
généralement dans toute la science et la technique. Dans ce domaine, le laser nous offre
des exemples concrets, relativement faciles à moliser et à étudier expérimentalement,
permettant de se familiariser avec les phénomènes non-linéaires.
La lumière laser est en général extraordinairement plus monochromatique que celle
fournie par les sources traditionnelles. Pourtant, on ne peut se borner à la décrire par
une onde monochromatique idéale. Ce problème nous conduira à introduire, au chapitre
6, des éléments d’optique statistique, nécessaires pour donner un sens à la notion de
largeur de raie laser, de cohérence temporelle... Il s’agit en fait d’un exemple important
de l’utilisation des concepts statistiques en physique, où nous retrouvons le nom d’Albert
Einstein qui traita brillamment le problème du mouvement Brownien, avant d’introduire
le concept d’émission stimulée, à la base de l’effet laser !
Ce cours est très centré sur l’interaction laser-atome. Cette interaction est à la base
du fonctionnement du laser, mais la lumière laser a en retour profondément renouvelé la
physique atomique, conduisant à l’invention de nouvelles méthodes qui ont débouché sur
des applications spectaculaires. Ainsi, les physiciens ont appris à utiliser les lasers pour
contrôler le mouvement des atomes, que l’on sait refroidir ainsi au nanokelvin, et dont
on peut contrôler le mouvement jusqu’au point où ils se comportent comme des ondes
de matière. Cette possibilité de manipulation et refroidissement des atomes par laser
constituera notre dernier exemple d’application de la théorie de l’interaction lumière-
matière : il est présenté au chapitre 7. Ces méthodes ont d’ores et déjà des applications
pratiques, aussi bien dans le domaine des horloges atomiques, que dans le développement
de nouveaux senseurs inertiels et gravitationnels basés sur des interféromètres atomiques.
AVANT-PROPOS 5
Il n’est pas insignifiant de remarquer que le contenu du chapitre 7 correspond à un
champ de recherche qui a démarré dans la deuxième moitié des années 80 et qui a conduit
en 1997 à l’attribution du prix Nobel de physique à Claude Cohen-Tannoudji, Steven Chu,
et Bill Phillips. Depuis, ce domaine a débouché sur une nouvelle découverte majeure, celle
des « condensats de Bose-Einstein d’atomes en milieu dilué », elle aussi récompensée par
un prix Nobel en 2001 (E. Cornell, C. Wieman, W. Ketterle). Ces systèmes, dont on dira
quelques mots en fin du chapitre 7, présentent de fortes analogies avec les lasers, et on
parle aujourd’hui de « Lasers à Atomes ». On ne pouvait rêver de meilleure conclusion
pour ce cours.
Le tome I du cours polycopié « Optique quantique 1 : Lasers » est basé sur un tra-
vail collectif de longue haleine avec Gilbert Grynberg et Claude Fabre, et enrichi d’un
complément (2E) rédigé par Emmanuel Rosencher, qui nous fait profiter de ses immenses
connaissances en optique quantique des semi-conducteurs. Quant au tome II, rédigé plus
récemment, ses imperfections sont dues à moi seul.
Je ne saurais terminer cet avant-propos sans évoquer la mémoire de Gilbert Grynberg
qui nous a quittés au début de 2003, nous laissant avec une grande peine, et un grand vide.
C’est lui qui a créé cet enseignement d’Optique Quantique. Il avait d’abord introduit, au
sein du tronc commun de mécanique quantique, des exemples puisés dans ce domaine,
à une époque où l’optique n’était pas encore redevenue une discipline incontournable.
Son succès l’avait conduit à créer un cours d’optique quantique lors de la réforme ayant
introduit les majeures. C’est dans ce cadre que j’ai eu la chance de travailler avec lui, dé-
couvrant sa conception originale de l’enseignement de l’optique quantique, basée sur une
expérience de recherche de très haut niveau, et sur une réflexion personnelle profonde.
Cette conception sous-tend le cours que vous allez recevoir. Elle consiste à vous montrer
que si l’on veut comprendre en profondeur les phénomènes afin de pouvoir ensuite devenir
créatif, il ne faut pas être dogmatique, et savoir jongler avec des approches très différentes
permettant de voir les phénomènes sous des angles variés, de se les représenter avec des
images diverses, de les traiter avec plusieurs formalismes. Gilbert n’avait pas son pareil
pour sauter du modèle classique de l’électron lié élastiquement, au modèle complètement
quantique de l’atome habillé, en passant par le modèle semi-classique de l’interaction
lumière-matière. Il voulait faire partager aux polytechniciens cette expérience intellec-
tuelle, dont il pensait qu’elle avait une valeur générale, bien au-delà de notre discipline.
Son influence nous a marqués si fortement que son esprit vit toujours au travers de ce
cours.
Alain Aspect
Septembre 2007
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