AVANT-PROPOS Ce recueil est un travail d'équipe pour une équipe, un ins-
trument d'échanges et de communications entre des enseignants
unis par le désir de changer renseignement du français ; et
sans doute, parce qu'il a circulé entre des gens qui se connais-
sent, qui se sont unis — ou affrontés —, qui se sont peu à
peu forgé une problématique commune, sans doute parle-t-il
souvent à demi-mot, par allusions. Nous aurions pu refaire,
réécrire, polir ; les auteurs de ce livret ont préféré garder une
forme un peu brute. Et, à mon sens, ils ont bien fait.
Car ce qui est ici présenté est un texte inscrit dans une pra-
tique, la pratique de l'enseignant du premier cycle ; ce qui est
mis en cause, c'est un certain modèle pédagogique ; ce à quoi
nous ne nous résignons pas, c'est à échanger une machine
abstraite imposée contre une autre machine abstraite impo-
sée,
un formalisme contre un autre formalisme, fût-il paré des
plumes des techniques modernes les plus avancées. Pour para-
phraser un récent et remarquable article de Frédéric Gaus-
sen (Le Monde, 7-8 novembre 1971) : introduire des mathé-
matiques nouvelles, une linguistique moderne, certes :
«
mais
qu'y auxa-t-il de profondément modifié si l'enseignement
continue d'être dogmatique ? » Nous voulons que l'enfant ma-
nipule, apprivoise, critique — sans relâche — son langage,
celui de ses proches, de la société dans laquelle il vit, découvre,
seul, avec le maître, avec le mouvement scientifique contem-
porain, des hypothèses de fonctionnement, soit renvoyé aux
faits,
aux manipulations et par là, constamment, à la société
qui l'entoure.
Entreprise scandaleuse à beaucoup : l'enseignement du fran-
çais étant depuis son introduction dans l'enseignement (c'est-à-
dire depuis Port-Royal) extrêmement politisé, lieu privilégié
de toutes les idéologies, y toucher, c'est toucher à tous les
tabous. Entreprise harassante : la pédagogie ayant été toujours
soigneusement mise à l'écart du Second Degré, à l'Université,
dans les concours, partout, rendue objet de dérision pour plus
de sûreté ; chaque enseignant, nous tous, avons eu tout à
apprendre. Mais entreprise passionnante : la théorie des lin-
guistes se fait modèle pédagogique, se fait tout autre selon
les milieux, les impératifs sociaux ; elle modifie, elle est
modifiée ; elle est comme un révélateur et, en même temps,
elle instruit. Entreprise enfin qui ne quitte jamais la pra-
tique d'un pas ; l'enseignant use de la théorie, construit des
modèles, analyse, certes ; mais encore plus, il a en charge
soixante enfants qu'il doit suivre jour après jour, qu'il doit
faire réussir à des examens souvent absurdes, qu'il doit faire
progresser, comme on dit. Il ne risque pas de se perdre dans
la rêverie. Jean-Claude CHEVALIEK