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de la loi selon la tradition mosaïque. Cependant, le christianisme va encore plus
loin : Dieu doit être au-delà de la loi. La gnose au fondement de la pensée
johannique insiste sur cette dimension nécessaire pour avoir un Dieu : en finir
avec la loi, les sacrifices et les temples qui règlent l’espace public. On ne peut
honorer Dieu, dit Schelling, qu’en lui soumettant notre raison.
C’est dans cette perspective que Schelling comprend l’Incarnation. Dieu ne
survient qu’en incarnant la mise à mort de tous les dieux et de toutes les
religions. L’Incarnation est donc ici entendue à partir d’une représentation
négative, à partir d’un processus kénotique. Un corps ne peut pas enfermer Dieu.
Pourtant, ce corps a en même temps un statut. Le corps du Christ est un corps
transcendantal puisqu’il est la condition de possibilité de la destruction de tous
les dieux et de tous les corps. Le Vendredi Saint représente en ce sens
l’expulsion dans un dernier cri de la vie, c’est-à-dire l’ultime moment de la
sortie de soi du corps. Le Vendredi Saint marquerait la fin de toutes les
représentations des dieux dans un corps.
Du fait de cette conception du Vendredi Saint, Schelling possède une pensée du
corps exclusivement transcendantal si bien qu’il est incapable de penser le corps
vivant.
2.2. Une impasse de la pensée de l’histoire
Qu’advient-il de ce Dieu sans corps ? C’est ce à quoi tente de répondre le
deuxième versant de l’histoire du christianisme tel que l’explique alors
Schelling. Le Dieu chrétien va tout traverser pour redevenir un Dieu. La
décorporisation ne conduit pas à une réincarnation (dans le corps perdu) mais
cette fois-ci l’histoire du Dieu chrétien est de redevenir Dieu, de revenir d’où il
vient. Il doit redevenir le Premier de tous les vivants. Ce Premier de tous les
vivants n’a plus le corps qu’il a perdu mais son histoire devient celle de la
restitution de son passé. Le Dieu désincarné doit redevenir Dieu en Dieu. Ce
problème, explique Schelling, nous renvoie à l’origine : qui était Dieu pour que
ce Dieu qui a vaincu tous les dieux redevienne le Dieu qu’il était à l’origine.
Nous voyons que Schelling se concentre sur une question qui concerne
essentiellement le passé, un avant l’histoire des dieux. Dès lors, la vie intra-
divine devient pour lui une question plus importante que le devenir de l’Eglise.
On a en effet de son point de vue plus besoin d’une trinitologie que d’une
histoire de la communauté des croyants. Schelling va dès lors passer de
nombreuses années à écrire les Weltalter, le livre du passé. De surcroît, il est
‘‘contaminé’’ en plus du christianisme par les mystiques sur le passé de Dieu
avant les dieux qui constitue sa ‘‘clinique’’ d’alors (Boehme, Oetinger…).