© M. Maesschalck, 2007-2008, FILO 2290
A
CADEMIE DE
L
OUVAIN
Questions de philosophie de l’histoire
FILO 2290
Année académique 2007-2008
La philosophie de l’histoire
dans la dernière philosophie de Schelling
Prof. Marc Maesschalck
Note de synthèse à l’usage de étudiants
Ces notes ont pour objectif de fournir un support didactique par rapport au
cours oral et formulent de manière directe les thèses discutées plus longuement
au cours (et défendues techniquement dans les articles de la farde de lecture).
2
Introduction générale
1. Thème et question du cours
Notre réflexion portera sur l’émergence de la conscience de l’objet en tant
qu’elle est constitutive du corps et du rapport à l’histoire. Autrement dit, la thèse
que nous défendrons est qu’il y aurait une certaine relation entre la conscience
de la formation de l’objet et la représentation du corps propre dans son rapport à
l’histoire.
Nous insistons sur cette clé de lecture pour une raison heuristique : les textes que
nous traverserons (la Philosophie de la Mythologie et la Philosophie de la
Révélation) sont marqués au plan symbolique - ils traitent de la mythologie et du
christianisme. Par conséquent, une première attitude consisterait à seulement
travailler la conscience religieuse. Or, en posant cette question du rapport entre
le corps et l’histoire, nous tentons de résister à la tentation de ne voir que la
question religieuse dans ces textes.
Schelling confirme d’ailleurs la clé de lecture que nous proposons lorsque, dans
la Leçon de 1842, il définit en ces termes le projet de sa philosophie de la
Mythologie :
« La philosophie de la Mythologie a pour objet de comprendre la possibilité d’un
procès théogonique de la conscience et sa nécessité sous quelque condition. Il faudra
dès lors : établir la possibilité d’un tel procès pour ensuite le diagnostiquer dans la
mythologie en tant qu’effectivité d’un tel mouvement
1
».
L’objectif que se fixe Schelling ne se réduit donc nullement à la compréhension
du phénomène de la Mythologie. Ce qui est plus radicalement en jeu, c’est de
comprendre à la fois la possibilité d’une conscience qui se projette sur un
processus théogonique et la nécessité qu’elle s’effectue sur ce mode là. La
question fondamentale qu’il pose est donc de savoir comment la conscience en
vient à s’historiciser sous la modalité théogonique ?
Schelling crée un verbe allemand pour désigner ce processus : « in-
transcendieren », que nous pourrions traduire par « in-transcendantalisation ».
Ce verbe a pour fonction de rendre compte du mouvement par lequel l’extérieur
s’intériorise ou, pour le dire plus précisément, de la possibilité qu’un rapport à
soi-même s’institue par la modalité de l’extérieur dans une effectuation
théogonique. Il y a donc tant un rapport au possible extérieur qu’au nécessaire
intérieur que nous pouvons schématiser suivant deux séquences :
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F. D.W. S
CHELLING
, Sämtliche Werke, Bd. XI, p. 266.
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1/ Possibilité – Extérieur – Théogonique corps
2/ Nécessité – Intérieur – Histoire Histoire
D’où le thème annoncé de notre réflexion : y a-t-il chez Schelling une thèse qui
poserait, par l’intermédiaire d’un processus théogonique, un lien entre le corps
propre et la nécessité de s’historiciser, comme deux moments constitutifs de la
conscience comprise en tant que liberté historique ?
2. Contexte de la question
Une hypothèse exégétique que nous formulons est que la solution que cherche
Schelling dans la dernière philosophie provient d’une insatisfaction
philosophique qu’il s’adresse à lui-même. Cette insatisfaction résulte de
l’incapacité dans laquelle se trouve sa philosophie pour penser le corps et pour
traiter de l’histoire - alors que c’était précisément ce qui l’avait conduit à rompre
avec les philosophies de Kant et Fichte.
La philosophie de Schelling est en effet en crise en 1807-1815. Toute la dernière
philosophie est la volonté d’utiliser des expériences ‘‘cliniques’’ universelles
qu’il analyse phénoménologiquement - tel que la religion chrétienne, la religion
mythologique… - comme lieux à partir desquels il peut répondre aux impasses
que sa philosophie rencontre.
Pourquoi est-il arrivé à ces impasses ?
2.1. Une impasse de la pensée du corps
Le premier problème est lié à la manière dont Schelling interprète le
christianisme, comme si sa philosophie avait été influencée par un certain type
de christianisme qui rate l’incarnation ; ce qui reflète finalement la trace de
l’incapacité de sa propre philosophie à penser le corps.
Pour le Schelling de cette époque, le christianisme est une religion qui explique
tout ce qu’il faut pour être un Dieu, et tout ce qu’il faut pour le redevenir. Pour
être Dieu, il faut être plus qu’un dieu, il faut être l’Absolu. C’est dans ces
réflexions que l’on trouve le thème romantique, hölderlinien et schellingien, de
la mise à mort des autres dieux par le Dieu chrétien. Le christianisme est ici
compris par Schelling, même s’il ne le thématise pas explicitement, comme la
religion de la sortie des religions.
Pour être le Dieu au-dessus des dieux, il faut participer à la destruction du Veau
d’or. Ce qui élimine les autres dieux, ce n’est pas seulement la loi, c’est la raison
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de la loi selon la tradition mosaïque. Cependant, le christianisme va encore plus
loin : Dieu doit être au-delà de la loi. La gnose au fondement de la pensée
johannique insiste sur cette dimension nécessaire pour avoir un Dieu : en finir
avec la loi, les sacrifices et les temples qui règlent l’espace public. On ne peut
honorer Dieu, dit Schelling, qu’en lui soumettant notre raison.
C’est dans cette perspective que Schelling comprend l’Incarnation. Dieu ne
survient qu’en incarnant la mise à mort de tous les dieux et de toutes les
religions. L’Incarnation est donc ici entendue à partir d’une représentation
négative, à partir d’un processus kénotique. Un corps ne peut pas enfermer Dieu.
Pourtant, ce corps a en même temps un statut. Le corps du Christ est un corps
transcendantal puisqu’il est la condition de possibilité de la destruction de tous
les dieux et de tous les corps. Le Vendredi Saint représente en ce sens
l’expulsion dans un dernier cri de la vie, c’est-à-dire l’ultime moment de la
sortie de soi du corps. Le Vendredi Saint marquerait la fin de toutes les
représentations des dieux dans un corps.
Du fait de cette conception du Vendredi Saint, Schelling possède une pensée du
corps exclusivement transcendantal si bien qu’il est incapable de penser le corps
vivant.
2.2. Une impasse de la pensée de l’histoire
Qu’advient-il de ce Dieu sans corps ? C’est ce à quoi tente de répondre le
deuxième versant de l’histoire du christianisme tel que l’explique alors
Schelling. Le Dieu chrétien va tout traverser pour redevenir un Dieu. La
décorporisation ne conduit pas à une réincarnation (dans le corps perdu) mais
cette fois-ci l’histoire du Dieu chrétien est de redevenir Dieu, de revenir d’où il
vient. Il doit redevenir le Premier de tous les vivants. Ce Premier de tous les
vivants n’a plus le corps qu’il a perdu mais son histoire devient celle de la
restitution de son passé. Le Dieu désincarné doit redevenir Dieu en Dieu. Ce
problème, explique Schelling, nous renvoie à l’origine : qui était Dieu pour que
ce Dieu qui a vaincu tous les dieux redevienne le Dieu qu’il était à l’origine.
Nous voyons que Schelling se concentre sur une question qui concerne
essentiellement le passé, un avant l’histoire des dieux. Dès lors, la vie intra-
divine devient pour lui une question plus importante que le devenir de l’Eglise.
On a en effet de son point de vue plus besoin d’une trinitologie que d’une
histoire de la communauté des croyants. Schelling va dès lors passer de
nombreuses années à écrire les Weltalter, le livre du passé. De surcroît, il est
‘‘contaminé’’ en plus du christianisme par les mystiques sur le passé de Dieu
avant les dieux qui constitue sa ‘‘clinique’’ d’alors (Boehme, Oetinger…).
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Cette conception de l’histoire implique chez Schelling une seconde impasse : un
déficit dans la pensée du futur.
2.3. Vers un dépassement des impasses
Ces deux apories, l’incapacité de penser le corps et l’incapacité de penser le
futur, vont amener Schelling à élargir sa clinique à la fois transculturellement -
en s’intéressant entre autres à la Chine, l’Inde, l’Egypte, la Grèce… -, mais aussi
en élargissant son interrogation de la conscience théogonique par une méthode
qui puisse faire droit à l’articulation du corps vivant et de son inscription
historique.
Qu’est-ce que « in-transcendieren », demandions-nous ? C’est justement la
tentative schellingienne pour répondre à la double aporie dans laquelle s’est
fourvoyée sa philosophie. Avec ce concept, Schelling veut dépasser sa
philosophie du corps transcendantal par une philosophie du corps vivant et sa
philosophie de l’histoire, qui est exclusivement une philosophie du passé, par
une philosophie du futur, que l’on appelle aussi Philosophie de la Providence.
3. Textes étudiés
Nous allons utiliser principalement deux cours inédits du vivant de Schelling qui
résultent d’une prise de note faite par deux étudiants : la Leçon de 1837 (Eberz)
et celle de 1842 (Chovátz).
On distingue trois grandes périodes dans la dernière philosophie :
1/ Erlangen (1821-1829)
2/ Munich (1827-1841)
3/ Berlin (1841-1856)
Nous allons nous pencher tout particulièrement sur la philosophie positive
développée à Munich
2
. Cette dernière se divise elle-même en deux grandes
parties :
1/ la Philosophie der Mythologie
2/ la Philosophie der Offenbarung.
Nous nous concentrerons sur Munich en ciblant la partie de la philosophie de la
mythologie se joue la transculturalité
3
. La Leçon de 1842 est, quant à elle, la
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La toute dernière philosophie, à Berlin, est la relecture d’une philosophie négative à partir de la philosophie
positive, une « reinrationale Philosophie ».
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