BRAHMÂ ISSU DU LOTUS
LA COSMOGONIE DANS L’HINDOUISME
Notes page 9
Glossaire page 12
Au commencement…
En toute logique, l’approche d’une cosmogonie, même sous un
éclairage étymologique (1), devrait débuter par ces deux mots. Or, l’hindouisme fait
exception, bien qu’elle soit évoquée plus largement encore que dans la plupart des autres
religions.
Ni Dieu, ni l’Univers, ni même l’Humanité n’y ont connu de commencement. Le Vide
Primordial n’est mentionné dans aucune des milliers de pages d’une littérature traditionnelle,
pourtant, d’une infinie richesse. Il convient, dans l’hindouisme, d’évoquer plutôt, des cycles
de créations et de destructions, impliquant, malgré tout, la notion de début. Il s’agit là, d’un
commencement relatif.
Au commencement…
Témoignages, vestiges ou bribes, les textes védiques, pyramides
littéraires de l’Inde, sont les sources essentielles pour traiter un tel sujet. Parmi les plus
anciens de l’Humanité, ces écrits témoignent de la forme religieuse la plus archaïque en
Inde : le brahmanisme ou hindouisme. Afin de distinguer ces deux termes, je dirai que le
brahmanisme évoque la forme primordiale du védisme, alors que l’hindouisme correspond à
son évolution religieuse globale, soit à partir du Veda (2), soit après la période védique.
Le védisme fut introduit par les envahisseurs âryens, entre 2000 et 1500 avant notre ère.
Les éléments essentiels de cet apport remontent à des données que l’on peut qualifier d’indo
iraniennes et que l’on retrouve quand on observe ce qui, en Iran, est antérieur à la réforme
de Zoroastre et en même temps, homologue aux faits connus dans l’Inde védique : la
croyance en certaines notions fondamentales, en une double hiérarchie divine : les devas (3)
et les asuras (4) ; ce sont également : le culte du feu, les sacrifices animaux, les pratiques de
soma(5). Il ne faut pas négliger l’apport de la religion indo européenne, somme complexe de
croyances, tout à la fois, rituelles, naturalistes et sociales.
Néanmoins, le védisme ne s’explique pas uniquement par ce double héritage. C’est au
contact d’éléments autochtones et par l’effet d’une rapide évolution interne, que les formes
anciennes se sont, soit altérées, soit enrichies.
Bien que nous possédions une multitude de textes, véritables monuments de la religion
védique, ils ne représentent, au regard de la Tradition, qu’une infime partie de ce qui existait
à l’origine. Les écrits les plus importants sont les quatre samhitâs (recueil d’hymnes
versifiés), eux-mêmes constituant les védas :
- le Rigveda, le plus ancien document de la littérature indienne, véritable
anthologie : plus de mille hymnes aux divinités.
- le Yajurveda ou véda des Formules.
- le Sâmaveda ou véda des Mélodies reprend quelques strophes du Rigveda,
annotées musicalement.
- l’Atharvaveda, reprenant, lui aussi plusieurs strophes du Rigveda, mais en
mettant l’accent sur leur caractère spéculatif et magique.
Pour être précis, j’ajoute que la Tradition retient surtout les trois premières védas, ou Triple
Science ; l’Atharvaveda étant exclue de la Haute Dignité.
Chronologiquement, les autres textes essentiels sont :
- les Brâhmanas, commentaires en prose, partie de la Révélation védique,
expliquant les rites. Ces deux premières tranches (védas et brâhmanas)
forment la Çruti ou Révélation et sont traditionnellement perçues comme
d’inspiration divine. Les brâhmanas sont complétés par les Âranyakas et les
Upanishads, plus spéculatifs.
- la Smriti ou Tradition Mémorisée, désigne tous les autres documents du
védisme, en particulier les Sûtras ou Aphorismes qui constituent la gangue des
prescriptions sacerdotales. La smriti contient également des séries de textes en
divers styles (aphorismes, versets, prose courante…) qui permettent à tout
ritualiste de s’aguerrir en métrique, phonétique, astronomie, etc.
Tous ces textes sont rédigés dans un sanskrit archaïque.
Avant de traiter de la cosmogonie dans l’hindouisme, il convient, au préalable, de définir,
même sommairement, cette religion.
L’hindouisme, religion et philosophie, peut être étudié de deux manières, comme un tout ou
comme une juxtaposition de fragments, les sectes. Les deux manières sont plausibles. Mais,
dans la mesure les sectes se sont répétées les unes les autres en puisant à un fonds
commun, que, de surcroît, leur apparition est plus ou moins tardive, il paraît logique de
décrire l’hindouisme comme s’il s’agissait d’un bloc.
L’hindouisme n’est pas une religion de type " courant ", qu’on pourrait définir d’abord
négativement, en isolant les formes non religieuses de l’existence. A certains égards,
l’hindouisme est indissociable de la spéculation philosophique ; à d’autres, de la vie sociale
qui, elle, se conçoit dans le cadre de classes et de castes, ainsi que des modes de vie ou
âçramas ; c’est en fonction de ces répartitions que s’établit le devoir, impératif moral qui, lui-
même est d’essence religieuse. Le terme fondamental de dharma, support des êtres et des
choses, désigne la loi, à la fois, dans sa plus grande extension, l’ordre qui préside aux faits
dans les disciplines normatives, mais surtout la loi morale, le mérite religieux ; c’est le seul
terme qui traduise notre mot religion, mais qui, en même temps, le dépasse et reste en deçà.
On naît dans l’hindouisme, plus qu’on en devient un adepte, dans la mesure la condition
est subordonnée aux cadres généraux de la vie indienne. Pour autant, il serait malhonnête
de contester qu’autrefois, le dharma se soit transmis par voie de conquête ou d’assimilation
pacifique parmi des populations qui n’en avaient pas hérité. Comment expliquer autrement
son empire et son emprise dans la quasi-totalité du sous-continent indien ?
Cette religion cumule divers apports. En premier lieu, une part spécifiquement védique,
directement transmise par les spéculations et croyances du Véda. Cependant, tout ce qui
compose ce recueil majeur, n’est pas nécessairement rité. Force est de constater que
l’hindouisme, attesté relativement tard dans les textes, existait probablement sous une forme
primitive dès l’époque védique, voire avant. La civilisation du bassin de l’Indus (Mohan-jo
Daro et Harappa), que l’on fait remonter à -2500/2000, présente de rares traces d’un culte
hindouiste, avec représentations du linga ou phallus, allusion figurée à des exercices de
yoga, prototype du dieu Shiva. Malgré tout, il apparaît que maintes pratiques védiques,
intégrées dans le "haut" culte, ainsi que la majeure partie du rituel privé et magique, ne
constituent rien d’autre que de l’hindouisme préclassique.
INFLUENCES
A mesure qu’elle s’étendait sur l’Inde, cette religion s’est imprégnée d’apports autochtones,
résultat du contact entre la culture proprement védique et la population anâryenne ou
dravidienne. On constate que bien des caractères pseudo hindouistes sont considérés
comme du folklore religieux, plus ou moins primitif, que l’on retrouve, ailleurs, en Inde. Tous
les cultes locaux offrent la même structure : emblèmes d’une symbolique naïve, divinités de
village, survivances animistes…Ces traits communs ont " glissé " dans le culte normal ; de là
à affirmer que l’hindouisme n’est, au fond, qu’une collection de cultes primitifs ou
élémentaires, il n’y a qu’un pas, qu’humblement, je ne franchirai pas !
Je considère plutôt, que ce qui compte dans quelque religion que ce soit, c’est moins ses
éléments constitutifs, que le nouveau système qu’elle fonde. Il faut voir dans l’hindouisme,
un phénomène nouveau, malgré maintes formes analogues et attestées, rencontrées en Iran
ou dans le sud-est asiatique.
Outre ces influences natives, a-t-il été constaté d’autres influences, par exemple, par contact
de civilisations ? La Grèce ? Peu vraisemblable. On a longtemps supposé que le culte des
images, inconnu dans le Véda, résultait de l’exemple grec. Les affinités, par ailleurs
superficielles, existant entre la théorie du samsâra(6) et le pythagorisme sont à considérer
comme un substrat plutôt qu’un emprunt. Quant à Alexandre Le Grand, dont le rêve et but
ultime était d'étendre son empire jusqu'au bout de la Terre, il n'influença pas le moins du
monde la philosophie hindoue. Tout au plus (!) fonda-t-il quelques satrapies, royaumes indo
grecs. Son rêve ne fut pas réalisé. La Perse a assurément contrib de manière plus
profonde, dans l’Inde du Nord, par la pratique de l’adoration du soleil, ou quelques influences
mazdéennes, ce, durant plusieurs siècles. Pour autant, le culte de Mitra(7), qui ne doit rien à
l’Iran, n’a bénéficié que d’une extension limitée dans l’Inde post védique. Ce sont plutôt les
Kushânas(8), souverains étrangers, qui auraient introduit, avec le sacerdoce des Mages,
certaines croyances iraniennes, voire babyloniennes.
Plus récemment (XIIème s.), l’empreinte de l’Islam, avec lequel la pensée indienne est
demeurée longtemps en contact, semble plus déterminante. Dès cette époque, plusieurs
mouvements sectaires, pourtant profondément hindous, se sont inspirés de règles
islamiques comme, l’abolition des images, certaines pratiques mystiques ou épuration de
certains aspects de la religion. Comparer mystique soufie et piétisme hindou, osé par de
nombreux auteurs modernes séduits par le rapprochement naturel entre hindouisme et
islam, semble difficilement réfutable. Il existe, principe universel, quelques exceptions qui
confirment, malgré tout, la règle. Par exemple, chez Kabîr(9), ou au sein de certaines sectes,
tout peut s’expliquer par la seule propre force du mouvement et la logique interne. Il me faut
ici, ajouter que très rares, voire négligeables, sont les textes hindous, révélant nettement un
emprunt à l’Islâm.
L’influence chrétienne, plus moderne, ne s’observe qu’au sein de groupes limités.
A-t-elle atteint la lisière du monde indien, à la grande époque du roi scytho-parthe,
Gondopharès (10), auquel, selon la légende, saint Thomas (10bis) aurait rendu visite
lorsqu’il projeta d’évangéliser l’Inde ? Une communauté nestorienne (11) a pourtant bien
existé au Malabar, bien qu’on n’ait aucune information sur elle avant le IVème s. La fin de
son activité est consécutive à l’arrivée des Jésuites en 1600
Si l’hindouisme a, finalement, peu emprunté, il est sûr qu’il ait exercé quelque influence sur
les pensées environnantes.
Le constant brassage d’idées hindouistes a puissamment teinté bouddhisme et jaïnisme (12)
primitifs. Plus tard, l’évolution du bouddhisme en Inde et surtout hors de l’Inde, ainsi que
l’évolution du jaïnisme post-canonique (par référence à la littérature brahmanique), ne
cachent pas une imagerie, une spéculation et des pratiques issues de l’hindouisme ambiant.
Si le tantrisme (13) bouddhique s’est greffé sur le bouddhisme hindou, l’emprunt serait
considérable, à l’origine d’une vaste diffusion des doctrines hindouistes, à travers une
grande partie de l’Asie.
Incertitude mais interrogation quant à l’inspiration indienne des Upanishads (14) sur le néo
platonisme, en particulier sur Plotin. Quant à l’influence sur le taoïsme et plus généralement,
la pensée chinoise, elle est probable, notamment à travers le yoga, envisagé, ici, comme
méthode mystique et technique élémentaire.
Nous devons beaucoup à Mégasthène (15), dont la relation méthodique et détaillée, va
jusqu’à décrire la riche dissertation de saint Hippolyte à propos de la doctrine des
brâhmanes.
Non négligeable est l’influence exercée sur l’Islâm (juste retour des choses !). Traduits, soit
en urdû, soit en persan, de nombreux textes portent la marque de l’hindouisme : littérature
narrative, mystique ou dogmatique. Me faut-il ajouter qu’on trouvait plusieurs sectes
musulmanes, en partie hindouisées, aux alentours du XIVème s. ?
L’expansion de la doctrine hindoue à travers toute l’Asie sud orientale est incontestée ; fait
plus politique que religieux, l’hindouisation du Sud Est asiatique, a commencé dès le IIème s.
Conversion est un terme qui est inapproprié, voire inconnu dans l’Inde brahmanique. Pour
les Princes et la classe dirigeante des pays de la région (Sud Est asiatique), il s’agissait
plutôt d’imiter ou d’imposer les us indiens et d’adopter une forme de royauté fidèle à l’idéal
hindou ; en l’occurrence, le couple brâhmane-kshatriya (16), le culte du linga, influence de
Shiva. L’imprégnation est majeure au Cambodge, depuis l’empire pré khmer, ou à Bali,
n’échappent pas à l’observateur, textes brahmaniques, Upanishads, croyances védiques ou
pratiques tantriques, voire shivaïtes !
Ce tableau des influences, à des degrés divers, de l’hindouisme, serait incomplet s’il
n’incluait pas la pénétration, chez certains écrivains et penseurs occidentaux, de thèmes
généraux comme, les mythes et la cosmologie, le « pessimisme » bouddhique, le
panthéisme ou la transmigration, et ce, depuis l’Âge romantique.
DIEUX ET DIVINITÉS
Généreux panthéon, l’hindouisme donne l’image d’une grande famille divine déstructurée ;
pour être plus près de la réalité (!), je dirais que cette inorganisation est due à
l’indépendance de chaque membre de cette sublime famille, malg les connexions
artificielles.
La mythologie de la Grande Épopée (Époque védique) nous propose huit dieux principaux
(je rappelle ici, que le mot Dieu et divinité viennent du sanskrit div, briller) huit "gardiens du
monde" et qui sont surtout décrits dans Les Lois de Manu, dans les Purânas (17)
Rappelons qu’il s’agit plutôt du dédoublement des quatre dieux protecteurs des orients.
Sûrya le Soleil, Candra la Lune (masculin), Vâyu le Vent, Agni le Feu, Yama la Mort, maître
des Enfers (également nommé Kâla ou le Temps, Dharma ou la Pluie), Varuna, dieu des
Eaux, Indra, dieu des pluies, porteur du vajra (le foudre), souvent représenté chevauchant
Airâvana et Kubera, dieu des richesses.
A ces dieux majeurs, il faut ajouter, toujours à l’Époque védique, Mitra, les Maruts (dieux du
vent), les Açvins (dieux jumeaux, conducteurs de chevaux, dirigeant la lumière et la pluie)
Trimûrti ou "les trois formes". Divine trinité composée des trois Grands Dieux de la
mythologie indienne : Brahmâ, Vishnu et Shiva. J’y reviendrai dans le chapitre
« Cosmogonie ». Apparue relativement tard, cette trinité n’a pas suscité, à l’origine, de culte
distinctif, tout au plus est-elle un reflet mythologique de la théorie des trois gunas (18). De
plus, le premier Grand Dieu, Brahmâ, l’élément créateur, n’est objet d’adoration que sur le
plan littéraire, sous la forme de quelques rares narrations ou par l’usage d’épithètes
emphatiques. Son seul sanctuaire indépendant se situe à Ajmer (19) et son unique temple
se trouve à Pushkar(20). En somme, il a conservé son caractère abstrait d’origine. Tout de
même, parmi ses innombrables épithètes, il en est une qui vaut superlatif et le place tout en
haut de la divine hiérarchie : "le dieu créateur de l’hindouisme" !
Pour autant, ses deux "colistiers" ont le beau rôle ; Vishnu comme "conservateur du monde"
et Shiva comme "animateur, protecteur et destructeur", ont véritablement irradié, se
partageant la quasi-totalité des fidèles et effacé ou phagocyté nombre de personnalités
mythologiques mineures. Il est fréquent de les voir, tantôt l’un, tantôt l’autre, assimilés à
l’Être suprême, dans certaines sectes. Enfin, phénomène surprenant, quoique rare, on
rencontre des formes mixtes, telles Harihara, couple Vishnu Shiva, liés en un même
symbole !
Le décor planté, j’en arrive à mon sujet : La Cosmogonie dans l’Hindouisme.
Cosmogonie ou cosmogonies ? Le pluriel, ici, s’impose, puisque cette religion présente la
particularité de « proposer » deux cosmogonies, de surcroît, dissociables. Nous sommes
passés de l’absence de cosmogonie (cf. Intro) à deux cosmogonies ! Ceci mérite, à tout le
moins, une explication.
COSMOGONIE PREMIERE
Les grands Purânas nous livrent la matière de cette première approche. Nous y trouvons les
phases successives de l’expérience yogique (21), envisagées comme les strates de la
manifestation du cosmos. Dans l’expérience yogique, nous assistons à une ascension de
l’individu empirique. Ce mouvement est l’image de la descente graduelle de l’Absolu, le
Purusa Suprême, lui-même devenu yogin (22), dans le cosmos. Ainsi, le mécanisme de
Création est symbolisé par le retour du yogin, du samâdhi (23), à l’existence ordinaire.
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !